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3ème analyse linéaire : Le Malade Imaginaire acte 1 scène 5

Fiche d’identité de l’oeuvre :


Le Malade Imagine est une pièce théâtrale de comédie écrite par Jean-Baptiste Poquelin,
plus communément appelé Molière en 1673. À travers cette comédie ballet, Molière critique
les médecins de son temps par la caricature d’un hypocondriaque, le personnage principal,
Argan. L’auteur rend sa pièce plus légère en y incorporant une intrigue sentimentale typique
de la farce, en effet, Argan va essayer de marier sa fille pour servir ses propres intérêts. Cet
extrait s’inscrit dans l’objet d’étude : “le théâtre du 17e siècle au 21e siècle” et dans le
parcours “Spectacle et comédie.”

Place de l’extrait dans l'œuvre : Dans le passage étudié, la deuxième partie de la scène 5
de l’acte 1, la servante d’Argan, Toinette, prend la défense d’Angélique, après qu’elle ait
appris la volonté d’Argan de la marier à un homme qu’elle ne connaît pas, le fils d’un
médecin, Thomas Diafoirus, alors qu’elle est amoureuse d’un autre jeune homme
prénommé Cléante. Cet extrait est surtout marqué par l’opposition entre Argan et Toinette,
quant au futur sentimental d’Angélique.

“Je vais maintenant procéder à la lecture du texte à haute voix”

Problématique proposée :
Nous verrons donc “en quoi cette confrontation tourne-t-elle à une inversion des rôles
inattendue et amusante ?”

Mouvement :
Bien qu’il n’y ait pas de différence fondamentale entre les deux parties du texte, nous
verrons que le premier mouvement c’est-à-dire de “hé bien oui” (l.1) à “de rente” (l.20) met
en scène un échange d’arguments difficile mais réel entre les deux personnages qui tourne
par la suite et ce jusqu’à la fin de la pièce, à une confrontation directe résultant en un
dialogue de sourd et bloqué.

Analyse linéaire :
Nous allons donc analyser la première partie qui en réalité se trouve au milieu de la scène,
nous présumons que Toinette répond à la réplique précédente d’Argan :
Dès le début de l’extrait, Toinette insiste sur le mot “malade” en le répétant à de nombreuses
reprises lors de sa gradation qui passe de “vous êtes malade” à “vous êtes fort malade”
(ajout de l’adverbe d’intensité ‘fort’). Elle use, ici, d’une antiphrase ironique puisqu’elle admet
le contraire de sa réelle pensée seulement pour faire taire son maître. De plus, par sa
réplique “plus malade que vous ne le pensez”, elle fait allusion à une maladie mentale, une
folie dont Argan n’est pas conscient qui est l’hypocondrie afin de se moquer de son maître et
de créer une complicité avec le public.
Toujours rationnelle, Toinette essaye de changer de sujet et de passer à autre chose avec
sa réplique “voilà qui est fait” et la conjonction de coordination adversative “mais” qui
marque une rupture avec la discussion précédente. En outre, étant la porte parole
d’Angélique, elle introduit la troisième personne du singulier pour débuter son
argumentation. Elle argue, ensuite, qu’Angélique “n’étant point malade, il n’est pas
nécessaire de lui donner un médecin”. Le complément circonstanciel de cause “n’étant point
malade” souligne l’effort de Toinette pour pousser Argan à recourir à la logique et à la
raison. Par ailleurs, elle utilise la négation dans le dessein de dissocier la situation du père
et de la fille.
Argan éprouve le besoin de se justifier et supprime ainsi la différence sociale entre lui et sa
servante, il lui rétorque alors : “c’est pour moi que je lui donne ce médecin”. La tournure
emphatique “c’est pour moi” met en relief l’égocentrisme du père qui va jusqu’à faire de sa
fille l’objet par lequel il obtient ce qu’il souhaite. Le mot “donne” sonne comme s’il lui offrait
un cadeau et ce mariage peut s’apparenter à une vente. Le schéma habituel des comédies
de Molière est mis en œuvre : il est question d’un mariage forcé ayant un rapport avec le
trait de caractère du personnage principal. Argan justifie son égoïsme par la soumission
qu’”une fille de bon naturel doit” à son père. Molière dénonce ici la hiérarchie sociale,
structurée par le genre et les générations, qui permet de tels excès. De plus, il estime que
sa fille doit être ravie, ce qui souligne son caractère tyrannique puisque sa fille en plus de se
sacrifier doit le faire avec le sourire.
Toinette tente de gommer la relation professionnelle par un rapprochement affectif lors de la
réplique : “voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil ?”. Ce conseil est une façon de
se montrer indispensable et de sortir de son rôle de servante en étant plus avisé que son
maître. Par ailleurs, cette initiative rusée révèle l’échec de l’approche rationnelle, et annonce
l’impossible entente entre Toinette et Argan.
Argan semble amadoué puisqu’il veut connaître le conseil, ce qui crée un effet d'attente. Le
piège de Toinette est réussi car il a suscité la curiosité du malade.
Or ce conseil est comique car il n’en est pas un : c’est une opposition frontale “de ne point
songer à ce mariage-là”. Toinette se justifie : “votre fille n’y consentira point”. Le futur de
l’indicatif est impertinent car il exprime la certitude de Toinette quant à l’échec du projet
d’Argan.
Le tyrannique exprime son incompréhension en répétant cette réplique. De manière
comique, l’idée qu’on puisse lui désobéir semble être inconcevable pour Argan.
Molière use de stichomythies de la ligne 7 à 14 afin d’apporter de la vivacité et du
dynamisme mais pour beaucoup d’autres raisons. Ces mots d’une réplique, répétés à la
suivante, forment des chaînes de mots. Molière joue sur le comique de répétitions lors de
cet affrontement avec les mots : “conseil, raison, consentir et fille” qui permettent de résumer
le sujet principal de la pièce, de souligner le manque d’esprit d’Argan qui répète car il
n’arrive pas à comprendre et de donner une cohérence et un rythme. Argan est toujours
dans une position de demande vis-à-vis de sa conseillère, Toinette, à qui il pose de
nombreuses questions auxquelles elle répond par des négations.
Toinette casse cette dynamique par sa longue réplique comique, à l’intérieur de laquelle, elle
introduit l’argument par le discours indirect “elle vous dira” afin de pas recevoir les
réprimandes de son maître. En outre, l’anaphore ternaire en “Diafoirus”, dans la justification
de Toinette, insiste sur le ridicule de ce patronyme (étant une blague scatologique) : “elle n’a
que faire de ce monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus
du monde. Cette gradation hyperbolique avec le père, le fils et tous les Diafoirus paraît
comique et insiste sur la négation (répétition du ni). Ainsi, Toinette se substitue pleinement à
Angélique, que la peur du père empêche de parler. Toinette est emblématique de la
servante de comédie qui se caractérise par une absence de retenue censée être propre à
son manque d’éducation.
Argan mobilise alors un second argument qui est plus développé mais qui demeure en
rapport avec l'intérêt : “Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là comme héritier”, il cite un
nombre chiffré “8000”, il insiste sur le fait qu’il y ait beaucoup de raisons par le pléonasme
“et de plus”... Le champ lexical de l’argent : “avantageux”, “héritier”, “lui donne tout son bien”,
“8000 bonnes livres de rente” témoigne d’un autre vice d’Argan : la vénalité.

Nous analyserons maintenant la deuxième partie de cet extrait qui constitue le discours de
sourds :
La servante, suite à cela, dénonce le caractère potentiellement criminel d’un tel
enrichissement : “il faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’être fait si riche”. À travers cette
moquerie et insinuation sur un ton ironique, remet en cause les médecins et la provenance
de leur argent et ainsi se pose en tant que porte parole de Molière.
Mais Argan se répète et reste obnubilé par les “8000 livres de rente” qui sont “quelque
chose” de tangible, contrairement aux sentiments, qu’il ignore. L’hypocondriaque montre ici
sa vénalité et son matérialisme.
Toinette ne peut qu'acquiescer ironiquement. Mais l’allitération en consonnes labiales “bel et
bon” laisse entendre sa colère. Elle ne fait que se répéter et on revient au point de départ de
la discussion.
La tension croissante ne peut mener qu’au conflit que le spectateur attend, voire espère,
tant la dispute est synonyme de comique farcesque dans la comédie. Et en effet, nous
assistons à un retour de la stichomythie et à une contradiction frontale et assez bête.
Argan laisse éclater son orgueil en une parole qui se veut performative : “je veux que cela
soit”. Mais Toinette s’oppose et les répliques fusent. De plus, le mot “dire” est répété 7 fois
afin de renforcer le but de chacun : avoir le dernier mot dans cette confrontation de paroles
(car au théâtre, le pouvoir c’est la parole). Argan n’arrive pas à imposer le silence à sa
servante et lui permet, même, de s’exprimer à travers des questions.
Toinette accuse Argan de ne pas savoir ce qu’il dit “On dira que vous ne songez pas à ce
que vous dites”. Elle remet en cause sa réputation et ce que les gens pourraient penser de
lui. Elle est, par ailleurs, très affirmative sur sa dernière négation : “Non, je suis sûre qu’elle
ne le fera pas” ce qui met en relief l’absence de progression entre la ligne 11 et 33.

Pour conclure, les relations entre maître et valet avec inversion des rôles sont fréquentes
dans la comédie et en particulier chez Molière. L’opposition, comme souvent, porte sur le
thème du mariage (mariage arrangé contre mariage d’amour). L’inversion des rôles à
fonction comique tient ici surtout au fait qu’Argan se montre incapable d’imposer le respect,
et tout simplement le silence, à Toinette : il l’interroge à plusieurs reprises, lui permettant
ainsi de développer ses arguments, il la laisse le contredire frontalement et ne la reprend
pas quand elle se moque de Diafoirus et de lui-même. La conversation tourne donc au
dialogue de sourds et on voit que le but de cette scène n’est pas de faire avancer l’action :
elle vise uniquement à un comique farcesque et se terminera d’ailleurs par la poursuite
grotesque de Toinette par Argan qui ne parvient pas à la rattraper. Toinette, si elle ne peut
convaincre Argan (mais qui le pourrait), met les spectateurs de son côté par sa malice, son
autorité naturelle et son effronterie, d’autant que son maître apparaît comme un homme
têtu, égoiste, fermé d’esprit, bref particulièrement peu sympathique. Ainsi, cette scène peut
en rappeler d’autres chez Molière où les maîtres sont ridiculisés par des valets astucieux,
comme par exemple le fameux épisode du sac dans Les Fourberies de Scapin.

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