Le roman et le récit du Moyen-Âge au XXIe s.

Parcours : Personnages en marge, plaisirs du romanesque

Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, 2ème partie, l’abbé Prévost, 1731.

Explication linéaire

Extrait 2 : Des Grieux face à son père

Situation de l’extrait 

La libertine Manon pousse Des Grieux à escroquer avec elle le fils du riche G… M… qui l’entretient ; mais leur plan échoue et ils sont arrêtés.
Le Chevalier reçoit la visite de son père en prison. Ce dernier, après lui avoir reproché sa conduite, lui pardonne et fait exiler Manon en
Amérique. Cependant, une nouvelle rencontre entre le père et le fils a lieu au Luxembourg. Chacun d’eux défend ses arguments. Le père de Des
Grieux incarne la loi, et il constitue un obstacle à la relation entre Manon et Des Grieux.

Sujet général : Des Grieux affronte son père et exprime son désespoir et son désaccord.

Projet de lecture : Comment cette confrontation entre père et fils marque-t-elle le début d’une tragédie ?

Mouvement du texte 

1. De la ligne 1 à la ligne 18 : La tentative de persuasion de Des Grieux.

2. De la ligne 19 à la ligne 25 : L’inflexibilité du père.
3. De la ligne 25 à la ligne 31 : Les malédictions tragiques
Explication linéaire
1. La tentative de persuasion
L. 1 et 2
L. 2 « répondis-je »
« Non »
« sans vie », « sans sagesse », « sans
honneur »
« N’allons donc pas », «ôtez-la moi » Verbes à l’impératif
« vis odieuse », « désespoir», «mort»
« Je ne te donnerai que ce que tu
mérites »
« je me jetai à ses genoux »
« en les embrassant »
« pleurs », « Hélas », « souffert »,
« arrachée de vos bras », « mort »,
Discours indirect
Verbe introducteur introduisant direct, ce qui a pour effet de libérer la parole, contrainte par le poids
un discours direct
Adverbe de négation
Rythme ternaire
Lexique tragique
Négation restrictive
Verbes d’action
Champ lexical de la douleur
Dans la narration, Des Grieux passe du discours indirect au discours
de la tradition. Il s’agit d’un moment où le fils adopte une nouvelle
stratégie argumentative : persuader en demandant la grâce de Manon
sur un ton lyrique.
La répétition de cet adverbe (x2) par le père marque son
exaspération par le « discours si passionné » de son fils.
Le père a recours au registre tragique en opposant la mort à la vie et
en répétant trois fois la préposition « sans ». Son discours se fait
moralisateur et reflète bien la notion de mesure et de bienséance du
XVIIe s. « sagesse » et « honneur ».
Des Grieux comprend qu’il doit changer de stratégie argumentative :
il abandonne le registre lyrique en endossant le rôle du héros vaillant
dans le code aristocratique : il défie son père et lui demande la mort
comme faveur par la périphrase « un présent digne ».
Réplique ferme du père qui se remet néanmoins en question avec
l’antithèse l’opposant aux autres pères « bourreaux » et lui-même
d’une « bonté excessive ». Le père de Des Grieux rejette la faute sur
lui et considère que la déchéance morale et financière de son fils est
la conséquence directe de son indulgence envers lui.
Ces verbes d’action dessinent un tableau pathétique et mettent en
évidence le désespoir du Chevalier.
Son extrême agitation est notamment marquée par la ponctuation
« éprouvé », « douleur »
« Songez que je suis votre fils »
« souvenez-vous de ma mère »
« Auriez-vous souffert qu’on l’eût
arrachée de vos bras ? »
« Les autres n’ont-ils pas un cœur
comme vous ? »
2. L’inflexibilité du père
« Ne me parle pas davantage de ta
mère »
« voix irritée », « échauffe »,
« indignation », « m’importune »
« je retourne au logis, je t’ordonne de Asyndète
me suivre »
3. Les malédictions tragiques
« il est impossible que je vous
Verbes à l’impératif
Questions rhétoriques
Impératif négatif
Champ lexical de la contrariété
Négation lexicale
excessive dans sa prise de parole et le registre pathétique auquel il a
eu recours.
Ces verbes se rattachent au souvenir, et l’impératif devient ici une
invitation, une supplication de convoquer le souvenir de sa défunte
mère avec les verbes au conditionnel passé « auriez-vous souffert »,
« vous l’auriez défendue » afin de tenter de persuader son père en
suscitant ses émotions.
Le recours aux questions rhétoriques permet de dresser une
comparaison entre ce père unique et les autres en invoquant le
« cœur » et la « tendresse ».
La réaction du père au discours persuasif de son fils se fait d’une
manière catégorique avec l’expression d’une défense à l’impératif.
Son exaspération se fait entendre à travers le champ lexical de la
contrariété, d’autant plus que le souvenir de sa femme lui rappelle
encore plus son échec dans l’éducation de son fils « tes désordres la
feraient mourir de douleur ».
L’absence de mots de liaisons entre les propositions accélère le
rythme des phrases et témoigne de la décision prise par le père
inflexible : mettre fin à la conversation.
 La séparation entre le père et le fils est consommé. Leur rupture
se matérialise, de façon symbolique, par une distanciation
physique « je m’éloignai de quelques pas ».
Cette double négation marque l’acte de désobéissance du fils. Le
suive » rapprochement phonique entre les verbes « suive » et « vive » met en
« il ne l’est pas moins que je vive » Négation syntaxique exergue son désespoir.

« éternel adieu », « ma mort » Lexique tragique Le registre pathétique du début de la discussion devient tragique et
annonce la fatalité de la mort à la fin de cette histoire.

« Adieu, fils ingrat et rebelle ! »
« Adieu, père barbare et
dénaturé ! »
Adjectifs qualificatifs
Deux phrases nominales qui se font écho. Leur brièveté restitue
l’inflexibilité des propos.
Les adjectifs à connotation négative soulignent les accusations de
l’un envers l’autre : le père remet en question l’éducation de son fils
et ce dernier renie la nature paternelle de cet étranger « barbare ».

Conclusion

La querelle entre le père et son fils est intense. La stratégie argumentative basée sur la persuasion de Des Grieux reste sans effet sur ce père
exaspéré par les frasques de son fils. L’échange devient impossible et la rupture est inéluctable.
La fin de cette relation filiale marque la déchéance inévitable du Chevalier.