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I. Premier mouvement : les deux frères face à face, De « Tu es là » (l. 1)
jusqu’à « imaginer le début du début » (l. 13)
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révélant ainsi le manque de confiance qu’il a en lui et dans les autres, l’image négative
et le sentiment d’infériorité qu’il a de lui-même. Les qualificatifs ironiques qu’il emploie
pour déstabiliser son frère le montrent bien, notamment le groupe nominal enrichi « ton
infinie douleur intérieure dont je ne saurais même pas imaginer le début du début »
(aux lignes 12 et 13). Par cette périphrase qui renvoie à la déchirure intérieure de
Louis, qui est différente des siens, comme une sorte d’étranger, sans doute par
l’homosexualité qui n’est pas dite, Antoine semble aussi deviner la mort que son frère
porte en lui, sur laquelle il est aussi replié.
Il paraît presque fasciné par cette attitude-là qu’il rejette (demeurer dans le silence).
Il est à noter qu’Antoine qualifie son « existence » de « paisible et douce » qu’il
veut opposer à la « douleur intérieure » de son frère. L’un serait paisible dans la vie
et l’autre enfermé dans sa mort à venir. Cependant cela ne transparait pas : ce
passage est plus une « lamentation » qu’autre chose, même s’il pense avoir évité cela.
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question sur un simple prénom. Cependant Louis ne répond à la question d'Antoine
que par une autre une autre question assez surprenante, puisqu'il s'agit d'un seul mot,
« Oui ? », qui ne répond qu'à l'interpellation, mais non pas au contenu du soliloque,
comme si rien n'avait été dit. On retrouve une forme de silence de Louis qui ne parvient
pas à dialoguer et qui crée une gêne.
Face à ce dialogue qui tourne court, Antoine s'arrête de parler en ponctuant son
intervention par deux phrases très courtes : « J'ai fini. / Je ne dirai plus rien. » Il clôt
ainsi à la fois le dialogue mais aussi le drame familial. Le passé composé marque
l'accompli et le futur à la forme négative annonce que tout a été dit. Pourtant rien de
ce qu'on attendait n'a été dit ni du côté de Louis qui n'a pas annoncé sa mort, ni du
côté de sa famille qui n'est pas parvenue à communiquer véritablement avec lui. La
pièce se clôt sur une déception commune. Personne n'a entendu ce qu'il souhaitait
entendre et personne n'a pu dire ce qu'il souhaitait dire, et de la façon dont il le voulait.
C’est l’impuissance des mots, du langage qui s’exprime ici.
La dernière phrase d'Antoine est assez mystérieuse : il fait référence à des
« imbéciles ». On retrouve bien sûr la crainte toujours qu'on se moque de lui. Mais il
est à noter que lui-même s'est traité d'imbécile. Qui sont donc ces imbéciles ? Se vise-
t-il lui-même (du moins certaines de ses réactions). L’imbécile, c'est aussi celui qui ne
veut pas comprendre et qui peut juger trop vite. Ce peut être son frère. Mais, au
théâtre, dans cette fore de tragédie où le personnage de Louis s’est adressé au public
à plusieurs reprises, les « imbéciles » peuvent être les spectateurs qui ont des
préjugés, qui ont ri à certaines scènes quand ils étaient mal à l'aise devant cette crise
familiale. Il est à noter qu’il emploie le conditionnel passé, ce qui montre que sa crainte
est modérée et atténue la violence de la formule.
La dernière réplique de Louis joue sur la même ambiguïté. Elle n'apporte pas
une grande précision. On ne sait pas si Antoine parle de son rire, des rires de sa famille
bien encore de ceux des spectateurs. On peut avoir l'impression, en tant que
spectateur, que Louis indique à son frère qu'il l'a compris et qu'il veut le rassurer. Louis
ferait référence aux "phrases" que son frère pourrait se reprocher après son départ. Il
lui signifierait qu'il n'a pas à se sentir coupable, qu'il le respecte, qu'il se soucie de lui
comme sa mère le lui demandait. Ce serait une fin pacifiée. Néanmoins Louis ne
cherche pas à relancer la conversation et le passé composé insiste sur l’achèvement
de l’action.
Conclusion
Ainsi dans ce soliloque qui clôt la deuxième partie, Antoine tente vainement
d’établir un échange sincère avec son frère, en lui montrant de façon pathétique quels
sont ses griefs contre lui, mais aussi quel est son sentiment de culpabilité et ce qu’il
représente pour lui, comme s’il y avait encore un avenir possible. Mais Louis, ne
semble pas l’entendre et le dialogue tourne court, avec une réplique finale assez
ambiguë. Les retrouvailles avec la famille se terminent sur un échec complet. Les non-
dits n’ont pas été abordés. Personne n’a pu faire comprendre à l’interlocuteur ce qu’il
avait vraiment à dire, à commencer par Louis qui mourra seul.
(Deux ouvertures possibles)
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(1) Cette impossibilité à communiquer avec l’autre est perceptible dès la
première scène de la pièce, à l’arrivée de Louis. Les personnages sont tous murés
dans leur monde, dans leur propre solitude, emprisonnés dans leur mal-être ou dans
leur rêve.
(2) Cette communication impossible entre deux êtres très proches se retrouve
bien sûr au cœur de l’échange entre Mathilde et Adrien dans la pièce de Bernard-Marie
Koltès Le retour au désert. Le frère et la sœur ont des valeurs qui sont à l’opposé l’un
de l’autre et ce qu’Adrien juge être une faute impardonnable, la situation de fille-mère,
est à l’origine d’une haine puissante qui a remplacé l’amour qu’ils se vouaient. La
relation entre Antoine et Louis a cette même complexité. A cause des non-dits
(l’homosexualité de Louis, le manque de confiance en soi d’Antoine qui ne croit pas
en ses compétences intellectuelles), les deux frères se font souffrir faute de pouvoir
se dire qu’ils sont attachés l’un à l’autre. Mais Louis ressent-il encore les mêmes
sentiments qu’Antoine ? En fait à la fin de la pièce, à cause de sa mort prochaine, il
semble s’être totalement détaché de lui.