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Manon Lescaut : pourquoi ce roman plaît-il ?

Sujet d’écrit • Dissertation

🕒 4 heures ⌨ 20 points

INTÉRÊT DU SUJET • Le roman de Prévost doit son succès à des protagonistes ambivalents.
Pris dans les filets de leur passion, ne sont-ils pas à la fois immoraux et touchants ?

▶ Dans ses Pensées, Montesquieu évoque en ces termes Manon Lescaut : « Je ne suis pas
étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin qui est menée à la
Salpêtrière, plaise, parce que toutes les actions du héros, le chevalier Des Grieux, ont pour motif
l’amour qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. »

Ce point de vue de Montesquieu sur Manon Lescaut correspond-il à votre lecture du texte de
l’abbé Prévost ?

Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté, en vous appuyant sur
votre lecture de Manon Lescaut de Prévost, sur les textes étudiés dans le cadre du parcours
associé et sur votre culture personnelle.

LES CLÉS DU SUJET

Analyser le sujet

Formuler la problématique
Comment les deux héros du roman parviennent-ils à nous émouvoir malgré leur conduite
condamnable ? Peut-on expliquer par d’autres raisons la séduction qu’exerce le roman ?

Construire le plan

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Accroche] Au XVIIIe siècle, alors que le genre romanesque est souvent décrié pour ses
invraisemblances, voire son immoralité, Manon Lescaut connaît un grand succès. [Explication
du sujet] L’écrivain Montesquieu, philosophe précurseur des Lumières, dit ne pas s’étonner que
« ce roman dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin […] plaise » et avance une
explication : « parce que toutes les actions du héros […] ont pour motif l’amour ».

[Problématique] Comment ces amants parviennent-ils à nous émouvoir malgré leur conduite
condamnable ? Peut-on expliquer par d’autres raisons la séduction qu’exerce le roman ?
[Annonce du plan] Dans le développement qui suit, nous nous attacherons à étayer le point de
vue de Montesquieu [I] [II], puis nous nous demanderons quels autres ressorts le roman met en
œuvre pour nous plaire [III].

I. Des héros peu fréquentables…

1. Manon, une « catin »

■ Manon Lescaut est présentée comme une jeune fille pauvre, séduisante, envoyée au couvent
par ses parents « pour arrêter […] son penchant au plaisir ».
■ Malgré son très jeune âge, elle semble plus « expérimentée » que Des Grieux et se révèle
progressivement comme un être amoral, usant de ses charmes et prête à se vendre au plus
offrant, afin de s’assurer une vie confortable.

■ Avide des divertissements que la société lui offre, Manon détourne son amant d’un « système
de vie paisible et solitaire ». Aidée par son frère, Lescaut, elle lui fait fréquenter des milieux
corrompus et le pousse à trouver des expédients douteux, pour assurer son train de vie.

À NOTER

Le comportement de Manon fait écho à celui de la prostituée Nana, héroïne éponyme du


roman d’Émile Zola (1880), qui exploite son amant, le comte Muffat, et le fait déchoir.

2. Des Grieux, un « fripon »

■ Gentilhomme de bonne éducation, Des Grieux se métamorphose dès le premier regard


échangé avec Manon : il renonce sur-le-champ à sa vie studieuse et tranquille et abandonne la
carrière ecclésiastique à laquelle il se destinait.

■ Conscient des faiblesses de Manon (« il ne fallait pas compter sur elle dans la misère »), mais
prêt à tout pour elle, le jeune homme tombe dans le « précipice des passions » : de mensonges
en calculs puis en escroqueries, il s’affran­chit progressivement des règles sociales et morales,
jusqu’à commettre le meurtre d’un gardien dans le but de s’échapper de la prison où il est
enfermé.

3. Une société pervertie par l’argent

■ La bassesse des deux héros s’explique en partie par l’immoralité des milieux qu’ils
fréquentent : Prévost décrit une haute société dissolue, où l’argent règne en maître et finit par
corrompre tous les individus. Au sein de la Ligue de l’Industrie, Des Grieux apprend à devenir un
tricheur professionnel. De son côté, le riche et « vieux voluptueux » M. de G… M… n’a aucun
scrupule à acheter les faveurs de Manon.

■ La perversion de la haute société touche les autres catégories sociales : les domestiques du
couple dérobent l’argent de Des Grieux et le précipitent dans la pauvreté.

[Transition] Ces héros font ainsi preuve d’une morale douteuse. Mais le « motif noble » de
l’amour, comme le décrit Montesquieu, grandit les deux personnages.

II… mais ennoblis par l’amour qu’ils se portent


1. L’amour insouciant de Manon, la passion de Des Grieux

■ L’innocence de Manon et son amour affectueux et léger pour Des Grieux contrastent avec sa
vie dissolue. C’est un personnage paradoxal et énigmatique, « une princesse parmi les filles de
joie », qui ne correspond pas aux caractéristiques traditionnelles d’une « catin ». Déportée en
Amérique, elle est touchée par l’infini dévouement de son amant et se convertit finalement à
l’amour véritable, avant de mourir.

■ Des Grieux, lui, éprouve d’emblée une vive passion. Les trahisons successives de Manon ne
provoquent que des sursauts temporaires de lucidité : impuissant, aveuglé par son amour, il
pardonne et revient à sa belle infidèle.

2. Des personnages émouvants

■ Le couple inspire des sentiments de sympathie : tous – Renoncour, l’aubergiste ou le


Gouverneur de La Nouvelle-Orléans – succombent au charme de ces amants si bien assortis.
Leurs fautes sont vues comme des malheurs auxquels chacun compatit, y compris le lecteur.

■ Les trahisons de Manon, motivées par un manque d’argent, peuvent se justifier par son souci
humain de s’arracher à la misère.

■ La passion de Des Grieux est présentée comme une puissance aliénante et tragique , incitant
le lecteur à l’indulgence. Au contraire des libertins cyniques des Liaisons dangereuses
(Choderlos de Laclos, 1782) qui simulent l’amour pour mieux manipuler leurs proies, Des Grieux
conserve une pureté de cœur touchante.

CITATION

« Le fil rouge de la tragédie reste tendu d’un bout à l’autre de cette œuvre légère et lui donne
sa noblesse profonde. » Jean Cocteau, « Manon » dans La Revue de Paris, octobre 1947.

[Transition] L’amour rend ainsi leur dignité à ces personnages, malgré leur « conduite […]
basse ». Mais d’autres raisons rendent le roman plaisant.

III. Un roman qui plaît pour plusieurs raisons

1. Une intrigue riche en rebondissements

■ La conduite transgressive des héros est source de péripéties qui tiennent en haleine le
lecteur. Les rebondissements s’enchaînent en effet à un rythme effréné : escroqueries,
arrestations, enlèvements, évasions se succèdent et participent du plaisir de la narration.
■ Le parcours des deux amants devient ainsi une aventure rocambolesque digne du roman
picaresque : Prévost cherche à divertir le lecteur.

MOT CLÉ

Le roman picaresque, genre espagnol né au XVIe siècle, raconte les aventures d’un ­‐
personnage de basse extraction – le picaro – anti-héros qui se livre à des compromissions, en
marge de la société.

2. Un questionnement moral intéressant

■ Le roman n’est pas seulement distrayant ou touchant. Dans son « Avis de l’auteur », Prévost
annonce son intention d’« instruire » le lecteur. Le récit est effectivement jalonné de débats
éthiques sur le choix entre raison et vertu. La question est posée : ne faut-il pas préférer la
passion, malgré ses désordres, à une conduite fondée sur la raison et le respect des
conventions sociales ?

■ Le couple ne parvient pas à trouver sa place dans ce monde rigide, marqué par l’ordre moral
qui rejette leur mésalliance et leur union hors du cadre de l’Église. Tels Tristan et Iseut, les héros
sont contraints de vivre en cachette.

■ Le roman semble, à bien des égards, faire l’apologie de la passion. À travers Des Grieux,
Prévost proclame le triomphe de la sensibilité innocente. Il soulève également le problème de la
liberté et des droits au bonheur de l’individu dans la société des dernières années du règne de
Louis XIV.

Conclusion

[Synthèse] Ainsi, le lecteur se laisse charmer par ces héros peu fréquentables à qui il pardonne
tout, car le puissant amour gagne toujours. Les péripéties s’accumulent jusqu’à la rédemption
finale : à bien des égards, le roman semble inciter à cultiver la passion, malgré ses désordres. Il
interroge ainsi les chemins qui mènent au bonheur, dans une société très normée.

[Ouverture] Les héros sensibles et passionnés de Prévost annoncent le XIXe siècle romantique,
qui fait triompher l’expression des émois individuels, comme dans Adolphe (1816) de Benjamin
Constant.

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