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Si vous n’avez pas choisi le même projet de lecture, il faudra réajuster la
conclusion afin qu’elle réponde à VOTRE projet de lecture.
Texte n°3 : Manon Lescaut, abbé Prévost, 1731
Après ce que vous venez d’entendre, la conclusion de mon histoire est de si peu d’importance,
qu’elle ne mérite pas la peine que vous voulez bien prendre à l’écouter. Le corps de Synnelet ayant été
rapporté à la ville, et ses plaies visitées avec soin, il se trouva non-seulement qu’il n’était pas mort, mais
qu’il n’avait pas même reçu de blessure dangereuse. Il apprit à son oncle de quelle manière les choses
5 s’étaient passées entre nous, et sa générosité le porta sur-le-champ à publier les effets de la mienne. On
me fit chercher, et mon absence avec Manon me fit soupçonner d’avoir pris le parti de la fuite. Il était
trop tard pour envoyer sur mes traces ; mais le lendemain et le jour suivant furent employés à me
poursuivre.
On me trouva, sans apparence de vie, sur la fosse de Manon ; et ceux qui me découvrirent en cet état,
10 me voyant presque nu et sanglant de ma blessure, ne doutèrent point que je n’eusse été volé et assassiné :
ils me portèrent à la ville. Le mouvement du transport réveilla mes sens ; les soupirs que je poussais en
ouvrant les yeux et en gémissant de me retrouver parmi les vivants firent connaître que j’étais encore en
état de recevoir du secours : on m’en donna de trop heureux.
Je ne laissai pas d’être renfermé dans une étroite prison. Mon procès fut instruit ; et comme
15 Manon ne paraissait point, on m’accusa de m’être défait d’elle par un mouvement de rage et de jalousie.
Je racontai naturellement ma pitoyable aventure. Synnelet, malgré les transports de douleur où ce récit
le jeta, eut la générosité de solliciter ma grâce. Il l’obtint.
J’étais si faible, qu’on fut obligé de me transporter de la prison dans mon lit, où je fus retenu pendant
trois mois par une violente maladie. Ma haine pour la vie ne diminuait point ; j’invoquais
20 continuellement la mort, et je m’obstinai longtemps à rejeter tous les remèdes. Mais le ciel, après
m’avoir puni avec tant de rigueur, avait dessein de me rendre utiles mes malheurs et ses châtiments : il
m’éclaira de ses lumières, qui me firent rappeler des idées dignes de ma naissance et de mon éducation.
La tranquillité ayant commencé à renaître un peu dans mon âme, ce changement fut suivi de
près par ma guérison. Je me livrai entièrement aux inspirations de l’honneur, et je continuai de remplir
25 mon petit emploi, en attendant les vaisseaux de France, qui vont une fois chaque année dans cette partie
de l’Amérique. J’étais résolu de retourner dans ma patrie pour y réparer, par une vie sage et réglée, le
scandale de ma conduite. Synnelet avait pris le soin de faire transporter le corps de ma chère maîtresse
dans un lieu honorable. Ce fut environ six semaines après mon rétablissement que, me promenant seul
un jour sur le rivage, je vis arriver un vaisseau que des affaires de commerce amenaient à la Nouvelle-
30 Orléans. J’étais attentif au débarquement de l’équipage. Je fus frappé d’une surprise extrême en
reconnaissant Tiberge parmi ceux qui s’avançaient vers la ville. Ce fidèle ami me remit de loin, malgré
les changements que la tristesse avait faits sur mon visage.