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Analyse linéaire III

Manon Lescaut, partie 2

Nous avons principalement retenu du XVIIIe siècle qu’il est celui de la


philosophie, du rationalisme, le siècle des Lumières. Mais quand il publie L’Histoire
du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut en 1731, l’abbé Prévost va à
l’encontre de cette tendance, et donne toute son importance aux sentiments, à
leur expression, et ce tout au long de son roman. Il raconte en effet l’histoire d’un
jeune chevalier renonçant à sa famille et au chemin qui était tracé pour lui afin de
vivre son histoire tragique avec Manon, une jeun e femme aux mœurs légères, qui
n’hésitera pas à se prostituer par crainte de la pauvreté. Le texte que nous
étudions est un extrait des dernières pages du roman. Manon est orge peu
auparavant, et Des Grieux est retrouvé évanoui par les habitants de la Nouvelle-
Orléans partis à sa recherche. Une fois ramené en ville, le chevalier est traduit en
justice pour son duel contre Synnele, acte illégal à cette époque. Cependant, ce qui
attire le plus l’attention est le profond désespoir du personnage, sa haine pour la
vie. [Lecture] Nous pouvons nous demander en quoi le narrateur cherche à susciter
la pitié du lecteur en mettant en avant les conséquences morales et physiques que
la mort de Manon a eues sur lui. Jusqu’à la ligne 13, nous pouvons lire la
recherche et la découverte de Des Grieux souffrant et sans Manon. Ensuite, il est
emprisonné et vit dans le désespoir le plus profond, allant de pair avec une grande
maladie. Enfin, à partir de la ligne 23, Des Grieux décide de retrouver la vie qu’il
menait avant de tomber amoureux de Manon et envisage pour cela de retourner
en France.
Lignes 1 à 13 : découverte de Des Grieux souffrant et sans Manon

~ l. 1 : marque de la présence du N* (= Des Grieux) > arrivée à la fin du récit, après


une énième péripétie. Des Grieux s’affirme comme narrateur et maître de son
histoire. Place faite au destinataire, indissociable de l’expérience du narrateur, qui
raconte son histoire à la fois à Renoncour et aux lecteurs.
~ l. 3 : premier terme du champ lexical des blessures, mais retournement rapide de
la situation
~ l. 3&4 : négations restrictives > retournement comique de la situation’ puisqu’en
fait, le personnage n’est pas mort, à peine blessé
> représentation de Des Grieux teintée de ridicule, puisque son duel, son
exploi chevaleresque est en fait vain.
> la fuite et la mort de Manon n’étaient donc pas nécessaires !
~ l. 5 : 1re mention de la vertu de « générosité » > vertu chevaleresque, partagée par
Synnelet et DG.
~ l. 5 à 15 : pronom indéfini > suite du récit des aventures, marque de
l’inconscience de DG, puisqu’il ne sait pas qui sont les agents. On peut aussi y voir
une marque d’indifférence.
~ l. 6&8 : verbes à l’infinitif appartenant à l’isotopie de la criminalité
~ l. 9 : cc de manière > annonce du danger (écarté car, s’il peut raconter son
histoire, c’est qu’il a survécu), gravité de la situation, tout en mettant l’accent sur
ce qu’il semble plutôt que sur ce qui est.
~ l. 10 à 13 : poursuite du champ lexical des blessures > véritable blessure, à la
différence de Synnelet + mise de l’accent sur la souffrance, tant physique que
psychologique.
~ l. 12 et 13 : gérondif + superlatif > annonce qu’il a survécu + exprime son
désarroi car il aurait préféré rester mort
Lignes 14 à 22 : Des Grieux emprisonné, malade et désespéré

~ l. 14&15 : retour de l’isotopie de la criminalité > insuffle un sentiment d’injustice car


le lecteur sait que DG n’a pas tué Manon.
~ l. 16 : adverbe > posture de Des Grieux vis-à-vis de la narration (non seulement lors
du procès, mais aussi la narration destinée à Renoncour et aux lecteurs) > volonté de
faire un récit « naturel », càd sans interférence, sans mensonge, sans désir d’embellir
l’histoire.
Épithète caractéristique du récit > volonté de susciter la pitié chez Renoncour et les
lecteurs.
~ l. 19&20 : isotopie du désir de mourir > écho l. 12&13 + montre le désespoir profond
de Des Grieux, symptôme de son deuil
~ l. 20 à 22 : isotopie du divin > utilité du mal, des malheurs = progresser en vertu
Métonymie > « lumières » = sagesse
~ l. 22 : COD marque cette progression puisque retour à de plus nobles idées, celles
reçues avec son éducation de jeune aristocrate français destiné à rentrer dans les
ordres.
Lignes 23 à 32 : Retour à une vie saine

~ l. 23&24 : 2 substantifs qui font passer la rémission du domaine psychologique


et spirituel au domaine physique.
~ l. 24 : nouveau complément d’objet (cette fois indirect) mentionnant
« l’honneur » > rappel de la condition sociale de DG
~ l. 26 : attribut du sujet > marque le caractère défini du changement opéré en DG
> ne s’apitoie plus sur son sort
Cc de manière > la mort de Manon le libère de la vie déréglée dans laquelle il s’était
enfoncé.
~ l. 27 : périphrase + hypocoristique > la résolution de DG ne change pas son
amour pour Manon
~ l. 28 : cc de lieu > extension de l’honneur à Manon, dans sa sépulture.
~ l. 29 à 31 : importance du sens de la vue et de la reconnaissance > reconnaît
son ami comme il revient à un mode de vie pratiqué par ce dernier et promu depuis
le début de l’œuvre.
~ l. 31 : double désignation de Tiberge (nom propre + périphrase) > mise en avant
de sa qualité principale, dont il a fait preuve pendant tout le roman, la fidélité.
~ l. 32 : nom commun développé par une expansion > importance de la peine et de
la souffrance, puisqu’elle s’inscrit physiquement sur le visage de DG > registre
pathétique pour susciter la pitié
En somme, cet extrait de fin de roman nous montre bien la douleur de Des
Grieux à la suite de la mort de son amante, douleur à la fois morale et physique. Il est
en effet décrit souffrant par de nombreuses expressions. Cependant, nous avons vu
que cette souffrance n’est pas éternelle et que, à la fin de notre extrait, il décide de
revenir à une vie qui corresponde davantage aux idéaux nobles et chevaleresques par
lesquels il a été éduqué. Ce revirement se fait suite à une prise de conscience qui ne
semble pas étrangère à toute intervention divine. Par l’intervention divine et le
registre pathétique de ployé dans tout cet extrait, Des Grieux devient presque un
héros de tragédie, vertueux mais poursuivi par les rigueurs injustes du destin.

ATTENTION !
Si vous n’avez pas choisi le même projet de lecture, il faudra réajuster la
conclusion afin qu’elle réponde à VOTRE projet de lecture.
Texte n°3 : Manon Lescaut, abbé Prévost, 1731
Après ce que vous venez d’entendre, la conclusion de mon histoire est de si peu d’importance,
qu’elle ne mérite pas la peine que vous voulez bien prendre à l’écouter. Le corps de Synnelet ayant été
rapporté à la ville, et ses plaies visitées avec soin, il se trouva non-seulement qu’il n’était pas mort, mais
qu’il n’avait pas même reçu de blessure dangereuse. Il apprit à son oncle de quelle manière les choses
5 s’étaient passées entre nous, et sa générosité le porta sur-le-champ à publier les effets de la mienne. On
me fit chercher, et mon absence avec Manon me fit soupçonner d’avoir pris le parti de la fuite. Il était
trop tard pour envoyer sur mes traces ; mais le lendemain et le jour suivant furent employés à me
poursuivre.
On me trouva, sans apparence de vie, sur la fosse de Manon ; et ceux qui me découvrirent en cet état,
10 me voyant presque nu et sanglant de ma blessure, ne doutèrent point que je n’eusse été volé et assassiné :
ils me portèrent à la ville. Le mouvement du transport réveilla mes sens ; les soupirs que je poussais en
ouvrant les yeux et en gémissant de me retrouver parmi les vivants firent connaître que j’étais encore en
état de recevoir du secours : on m’en donna de trop heureux.
Je ne laissai pas d’être renfermé dans une étroite prison. Mon procès fut instruit ; et comme
15 Manon ne paraissait point, on m’accusa de m’être défait d’elle par un mouvement de rage et de jalousie.
Je racontai naturellement ma pitoyable aventure. Synnelet, malgré les transports de douleur où ce récit
le jeta, eut la générosité de solliciter ma grâce. Il l’obtint.
J’étais si faible, qu’on fut obligé de me transporter de la prison dans mon lit, où je fus retenu pendant
trois mois par une violente maladie. Ma haine pour la vie ne diminuait point ; j’invoquais
20 continuellement la mort, et je m’obstinai longtemps à rejeter tous les remèdes. Mais le ciel, après
m’avoir puni avec tant de rigueur, avait dessein de me rendre utiles mes malheurs et ses châtiments : il
m’éclaira de ses lumières, qui me firent rappeler des idées dignes de ma naissance et de mon éducation.
La tranquillité ayant commencé à renaître un peu dans mon âme, ce changement fut suivi de
près par ma guérison. Je me livrai entièrement aux inspirations de l’honneur, et je continuai de remplir
25 mon petit emploi, en attendant les vaisseaux de France, qui vont une fois chaque année dans cette partie
de l’Amérique. J’étais résolu de retourner dans ma patrie pour y réparer, par une vie sage et réglée, le
scandale de ma conduite. Synnelet avait pris le soin de faire transporter le corps de ma chère maîtresse
dans un lieu honorable. Ce fut environ six semaines après mon rétablissement que, me promenant seul
un jour sur le rivage, je vis arriver un vaisseau que des affaires de commerce amenaient à la Nouvelle-
30 Orléans. J’étais attentif au débarquement de l’équipage. Je fus frappé d’une surprise extrême en
reconnaissant Tiberge parmi ceux qui s’avançaient vers la ville. Ce fidèle ami me remit de loin, malgré
les changements que la tristesse avait faits sur mon visage.

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