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PRESENTATION DU TEXTE ET LECTURE : ENVIRON 2 MINUTES)

Après la mort de Louis XIV et plus précisément durant la régence, une nouvelle
mode apparait, celle du libertinage tant sur le plan littéraire que sur le plan social. Les
mœurs se libèrent et on assiste à la libération de l'esprit qui s'accompagne d'une
libération du corps, le plaisir charnel est autant recherché que le plaisir intellectuel
d'exercer son esprit sans entrave. Nous retrouvons dans cette mouvance le célèbre
écrivain François Antoine Prévost plus connu sous le nom de l'Abbé Prévost, une
personnalité complexe qui vacille entre carrière cléricale et vie mondaine de
dépravation. Il écrit son roman Manon Lescaut, portant initialement le nom de «
L'histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut » en 1731 ; jugé scandaleux, il
fut condamné à deux reprises. Le livre raconte l'histoire d'amour tumultueuse entre
Des Grieux un jeune noble et Manon une femme libertine qui finira en une passion
funeste. L'extrait qui nous concerne évoque la fin de cet amour avec la mort de la
bien-aimée. Des Grieux et Manon, exilés en Amérique, se retrouvent en fuite dans le
désert. Épuisée par les conditions climatiques, Manon s'affaiblit au fil de leur avancée.
Lecture du texte

Nous verrons alors comment la narration de Des Grieux sublime la fin de la femme
qu’il aime. pour ce faire, j'analyserai le texte en suivant les deux mouvements que j'ai
dégagés. D'abord je montrerai que dans les quinze premières lignes nous retrouvons
une Manon qui semble s'être assagie, c'est une véritable rédemption ; les lignes 16 à
29, quant elles, narrent la mort de la jeune femme qui s'éteint avec douceur, dans
l'apaisement.

(ANALYSE UNEAIRE : ENVIRON 8 MIINUTES)


Les deux personnages se retrouvent dans le désert dans une situation critique, surtout
pour la fragile Manon. Pourtant le complément circonstanciel de temps « aussi
longtemps que » montre la force de caractère de l'héroïne en soulignant son courage,
elle qui semble aller jusqu'au bout de ses forces. Ce courage est indiqué par l'allégorie
« le courage de Manon put la soutenir qui suggère la vaillance de la jeune femme qui
ne ménage pas ses forces, malgré son épuisement. Des Grieux poursuit l'éloge de sa
bien-aimée avec une hyperbole, « cette amante incomparable qui valorise Manon,
faisant d'elle un être exceptionnel qui va au-delà de ses forces.

Manon est d'autant plus exceptionnelle qu'elle ne renonce qu'à la fin, quand elle n'en
peut plus, comme le suggère l'hyperbole « accablée enfin de lassitude » qui souligne la
difficulté de Manon à avancer dans le désert. Ainsi l'adjectif « accablée » souligne le
poids des épreuves qu'a surmontées Manon ; quant à l'adverbe « enfin il suggère un
point de non-retour : Manon est à bout. Cette idée est aussi illustrée par l'antithèse «
impossible » / « davantage » qui souligne l'état d'extrême épuisement où se trouve
Manon. Comme pour accentuer l'héroïsme de la jeune femme qui a tenu bon jusque-
là, Des Grieux donne des détails de leur environnement hostile à travers la négation
syntaxique « sans avoir pu trouver un arbre pour nous mettre à couvert » : Manon a
du mérite d'avoir pu avancer dans ces conditions. plus qu'une héroïne courageuse qui
surmonte des difficultés, Manon fait preuve d'abnégation. On le voit avec l'adjectif
numéral ordinal « premier » dans « son premier soin » : le narrateur suggère le zèle de
Manon qui s'empresse de s'occuper de son amant, avant de prendre soin d'elle. De
même l'antithèse « son »/ « ma » souligne l'oubli de soi dont fait preuve l'héroïne :
Manon place son amant avant elle.

Ce dévouement se retrouve aussi à travers l'adverbe hyperbolique « mortellement


» qui souligne I 'intérêt que Manon porte au bien-être de Des Grieux : elle
préférerait mourir plutôt que de laisser son amant sans soin.
Cest aussi ce à quoi contribue le complément circonstanciel de temps « avant que de
penser à sa propre conservation » : cette précision suggère l'oubli de soi, le sacrifice
de la jeune femme. Face à tant de détermination et de dévotion, Des Grieux ne peut
que s'incliner. c'est ainsi qu'il faut comprendre l'hyperbole « je me soumis On voit
d'ailleurs que cette attitude de Manon. si vertueuse, rend Des Grieux misérable,
indigne de tant de soins, comme le suggère le complément circonstanciel de manière
« en silence et avec honte » : le silence de Des Grieux s'explique par son sentiment de
culpabilité.

Après le récit des actions de Manon, vient celui des actions du narrateur-personnage.
La conjonction de coordination « Mais » marque ce changement. La phrase
exclamative suggère un dévouement sans limite du jeune homme, qui s'explique par
l'amour que le chevalier porte à la jeune femme ; elle indique l'ardeur avec laquelle il
tente de la soigner. Ce dévouement se retrouve aussi dans le recours à des hyperboles
; « ardeur » Oigne 9), « tous mes habits » (lignes 10), tout ce que je pus imaginer »
(ligne 12), « ardents (ligne 12), « entière » (ligne 13), « vifs » (ligne 15). Des Grieux
s'emploie à tout faire pour apaiser sa bien-aimée. Il veut rendre hommage à son
abnégation en étant aux petits soins avec elle. D'ailleurs l'anaphore du pronom
personnel « je qui débute chacune des phrases de ces lignes accentue ce dévouement,
montrant que Des Grieux se donne tout à elle. Mais les soins de Des Grieux sont vains
comme le suggèrent les phrases exclamatives qui expriment le regret. On retrouve
une prolepse, « par quel rigoureux jugement aviez-vous résolu de ne pas les exaucer
qui anticipe la mort de Manon de façon euphémistique, soulignant le regret du jeune
homme. Ainsi avant d'évoquer la mort de Manon, Des Grieux lui rendent hommage en
montrant la femme exceptionnelle qu'elle fut durant ses derniers instants, en la
sublimant — une véritable rédemption.

puis vient le récit, à proprement parler, de la mort de Manon. Or ce récit n'en est pas
vraiment un. On pourrait penser que le narrateur cherche éveiller l'intérêt du lecteur
en ayant recours à des propositions subordonnées relatives qui créent une attente : «
qui me tue » (ligne 16), « qui n'eût jamais d'exemple » (ligne 17). En effet, à travers
ces propositions, rien n'est précisé, mais leur caractère hyperbolique contribue à
éveiller la curiosité du lecteur qui ne peut que vouloir connaitre la suite. De même on
retrouve une hyperbole, « mon âme semble reculer d'horreur » (ligne 18), qui favorise
cet éveil d'intérêt : le narrateur cherche à susciter la curiosité morbide du lecteur
comme dans une tragédie. Mais à travers ces lignes, le narrateur rend compte de sa
douleur. Ainsi la proposition subordonnée relative u qui me tue » souligne l'extrême
souffrance provoquée par la mort de la jeune femme. De même le champ lexical du
tragique avec « malheur » (ligne 16). « pleurer » (ligne 17), « horreur » (ligne 18)
accentue cette souffrance. On sent que Des Grieux est inconsolable à travers le
recours au présent d'habitude, avec q porte » (ligne 17), « semble » (ligne 18), «
entreprends » (ligne 18) qui suggère que cette souffrance l'habite encore, quelques
mois après la mort de Manon. Face à cette douleur, Des Grieux a des difficultés à
raconter la mort de sa bien-aimée. Ainsi sa parole est essentiellement constituée de
mots mono ou bisyllabiques : un/ ré/cit/ qui/ me / tue/. Je/ vous/ ra/conte/ un/
ma/lheur/ qui/ n'eut/ ja/mais/ d'e/xemple/, etc. Ce faisant Il indique sa difficulté à
parler, il ne dit que le strict nécessaire.

D'ailleurs, il n'emploie pas le terme « mort mais il a recours à l'euphémisme « ce


malheur » comme pour conjurer le sort. S'il ne raconte pas la mort de Manon, il
poursuit son récit en indiquant ses derniers instants.
Avec l'adverbe « tranquillement » qui s'étale sur quatre syllabes, le narrateur installe
une ambiance sereine, rendant les derniers instants moins pénibles. Les sonorités
contribuent aussi à créer cette ambiance sereine. En effet. les allitérations en et en [SI
instaurent une certaine douceur, propice au recueillement. Nous en avons un
exemple dans la phrase suivante : « Je croyais ma chère maitresse endormie, et je
n'osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. » Avec le
champ lexical du sommeil, « endormie » (ligne 19), « sommeil » (ligne 20), 'e
narrateur atténue l'aspect terrifiant de la mort. Mais on la devine à travers l'adjectif «
froides » qui qualifie les mains. En effet, on est loin de la jeune femme passionné,
fougueuse de jadis. L'adjectif rappelle le froid du cadavre, renvoyant ainsi à la mort
prochaine de Manon. Cette mort s'illustre aussi à travers la modalité de la parole du
personnage. En effet, au lieu d'être rapportées au discours direct, le discours de la vie,
les paroles de Manon sont rapportées au discours indirect : « elle me dit, d'une voix
faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure Ce faisant, le narrateur indique la fin du
personnage. Or cette fin n'est pas désignée de façon brutale, l'euphémisme « dernière
heure » atténue la mort prochaine.
Cette fin, cette mort, est dépeinte de façon douce, sans référence à des éléments
disgracieux. Le narrateur propose des images douces, non brutales : « soupirs n, «
silence »,
« serrement des mains Cette douceur est à nouveau suggérée par les allitérations en
(m) et : « Mais ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement
de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes, me firent connaitre
que la fin de ses malheurs approchait On retrouve le procédé de l'euphémisme avec «
la fin de ses malheurs approchait À travers ce procédé s'illustre la difficulté de Des
Grieux à admettre la mort de sa bien-aimée. On retrouve une double négation « point
de moi que („.l ni que [...l par cette double négation, Des Grieux indique son refus de
raconter car la douleur est trop forte. Ce refus se retrouve aussi dans l'emploi de
sommaire pour évoquer cette mort : « Je la perdis ; je reçus d'elle des marques au
moment même qu'elle expirait rien n'est donné dans le détail, tout est résumé. La
tournure « c'est tout » sonne comme une fin de non-recevoir, un refus absolu de
raconter. pour Des Grieux, la mort de Manon est une douleur dont il ne peut guérir —
c'est ainsi qu'il faut comprendre le recours à l'hyperbole « fatal et déplorable
événement. » Bien que le jeune homme n'emploie pas le terme « mort ce qui pourrait
en faire un euphémisme, au lieu d'atténuer la notion, il l'accentue avec l'adjectif «
fatal p, marquant davantage les esprits. Ainsi la mort de Manon est évoquée de façon
douce, sans images brutales, comme pour rendre un dernier hommage à l'amante.

Ce dernier extrait de l'œuvre intégrale Manon Lescaut nous propose un exemple de la


mort d'un personnage marginal. Ici cette mort est sublimée : après une Vie
tumultueuse, la personne obtient une mort paisible qui rend compte de son parcours
de la déchéance à la rédemption. Etant pris en charge par l'amant du personnage, le
récit de cette mort est sous le signe de la retenue, de l'euphémisme : rien de brutal
n'est évoqué, tout est image, et l'héroïne est sublimée. un autre livre qui sublime la
mort du personnage est « Les misérables » ; la mort de Jean Valjean qui est décrite
pourtant, à mesure que la nuit s'épaississait, il y avait quelque chose de sublime dans
la mort de cet homme....(on peut arrêter de citer le passage ici Le vent qui soufflait
dans les arbres murmurait une prière, la lune baignait de clarté le visage de ce
condamné, les étoiles brillaient avec une majesté calme, comme pour le saluer. Il
semblait que la nature tout entière se penchait avec respect sur ce corps inerte et lui
donnait une dignité suprême.

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