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Lecture linéaire n°6 : prologue de juste la fin du monde JLL

Le prologue du juste la fin du monde a une tonalité tragique. L'existence même du prologue montre
sa filiation avec la tragédie. Le prologue en latin est ce qui précède le discours.On retrouve des
points communs entre Jean-Luc Lagarce et le théâtre antique.Dans l'Antiquité, le prologue désigne
la première partie de la tragédie, avant même l'apparition du cœur. Or dans ce prologue Louis est
seul et assume l'entièreté du passage. Le but du prologue est d’introduire le sujet de la pièce pour
faciliter la compréhension des spectateurs.
En quoi ce prologue annonce t il la tragédie à venir ?
• L1à4 → Louis va mourir
• L 5 à 31 → volonté d’annoncer sa mort et peur
• L 32 à 43 → Louis veut rester maître de son destin

• Louis va mourir

➢ «LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après


– j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚
l’année d’après »
Le prologue commence par 2 indications temporelles qui sont floues, dans un futur qui s'oppose aux
présents dénonciations de la ligne 3. On constate dès le début une épanorthose : Louis se corrige. En
effet la 2e indication temporelle corrigé la première. Si on lit la biographie de JLL, on découvre que
son compagnon est mort, ce qui peut expliquer qu'il dise à mon tour. Ainsi, « l'année d'après »
renverrait en réalité à l'année suivant la mort de son compagnon. Les tirets ont ici presque une
fonction de parenthèse, Louis stoppe le texte commente puis reprend. Louis annonce sa mort
comme une une fatalité, c'est indiscutable. On peut supposer qu’on a affaire à la 3e ligne a une
prosopopée, un mort revient parmi les vivants pour commenter.

• volonté d’annoncer sa mort et peur

➢ « de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚ »
On observe un rythme binaire avec la répétition de « j'attendais ». Les 3 groupes verbaux sont
péjoratifs et en gradation. Louis triche envers lui-même et envers les autres, ce qui démontre de son
mauvais état mental, il a un constat pessimiste. Ses épanorthoses témoignent de sa sincérité envers
le lecteur. Il dresse son portrait par petites touches. Par en avoir fini, Louis entend mourir. Louis
utilise des images pour expliquer qu’il est tétanisé par la peur face au danger. Le champ lexical du
danger et de la peur nous fait comprendre que louis est à un moment charnière de sa vie. Il exprime
cette peur en associant la parole qui doit sortir à un danger qui le tétanise.
➢ « comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un
geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚ »
Louis utilise des images pour expliquer qu’il est tétanisé par la peur face au danger. Le champ
lexical du danger et de la peur nous fait comprendre que louis est à un moment charnière de sa vie.
Il exprime cette peur en associant la parole qui doit sortir à un danger qui le tétanise. Louis se
compare à tout le monde avec « comme on ».
➢ « malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚ »
« malgré tout » reprend ce qui a été dit plus tôt. Le retour à la ligne après « la peur » met cette
dernière en valeur. Louis prend un risque alors même qu’il est certain de mourir.
➢ « je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le
voyage‚ pour annoncer »
Cette ligne comprend de nombreuses épanorthoses. Ce passage rappelle le retour du fils prodigue
dans la Bible. Le complément circonstanciel de but nous laisse espérer que l’on va enfin connaître
l’objectif de Louis. Faire le voyage peut signifier retourner vers les siens ou mourir.
➢ « – et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours
été un homme posé ? »
En posant cette question rhétorique, Louis semble avoir un débat avec sa conscience. Il veut une
mort à son image : calme.
➢ « pour annoncer‚
dire‚
seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable‚ »
On trouve ici le champ lexical de la parole. On comprend que le cœur de l’intrigue est l’aveu de
Louis à sa famille. Avec l’adverbe « seulement », Louis fait une litote, comme si il voulait
minimiser l’intensité de son annonce. En effet, verbaliser, c’est donner une consistance à son
annonce. Cette deuxième partie finit sur le fatum (fatalité tragique).

• Louis veut rester maître de son destin

➢ « l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚


et paraître »
Le 3e mouvement commence par une nouvelle répétition du verbe « annoncer », ce qui nous
confirme que c’est bien l’annonce de sa mort qui est le sujet de la pièce. Louis se donne une mission
et ressemble à un héros tragique dans son insistance sur cette mission. Il appui sur la singularité de
sa mission : il doit réaliser cette dernière seul, on le voit au pronom « moi-même » et à l’adjectif
« unique ». On a également une notion de paraître, qui s’oppose à l’être, qui n’est qu’une illusion.
➢ « – peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le
plus loin que j’ose me souvenir – »
Les tirets ouvrent l’espace du monde intérieur, d’une voix enfouie qui s’apprête à surgir à l’occasion
de cette rencontre familiale : la voix de l’inconscient. Louis veut exercer un contrôle sur le peu de
temps qu’il lui reste.
➢ « me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore
que je ne connais pas‚ »
On remarque dès le début de cette ligne un chiasme, figure de style caractéristique des tragédies, qui
traduit sa position impossible. Le verbe donner s’adresse tout d’abord à un ensemble général « aux
autres », avant de se préciser « à eux ». Il développe ensuite les « autres » avec « tout
précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là ».
➢ « me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-
même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. »
L’allitération en m finale renforce la musicalité en créant des rimes internes.

Conclusion : On apprend à faire connaissance avec Louis dans ce prologue. On comprend


l'incommunicabilité qui va être le centre de cette pièce. Ce prologue remplit bien sa fonction
première puisqu'il livre des informations essentielles à la compréhension du texte : l'âge du
personnage, sa situation tragique, ses traits de caractère.Mais il permet aussi aux spectateurs de se
familiariser avec l'écriture originale de JLL. En effet, le style spiralaire de JLL permet d'avancer
dans le texte tout en faisant des retours en arrière. Les silences en disent parfois plus que les mots
chez cet auteur et c'est alors une preuve que l'incommunicabilité sera sans doute un des thèmes
majeurs de cette pièce. Ce prologue installe donc bien la tragédie à venir.

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