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Analyse du prologue
L’action ici consiste paradoxalement en un acte d’adieu coïncidant pourtant avec des
retrouvailles.
Autour du titre
Le titre alterne une dimension définitive et une dimension réduite : effet de collage de
deux éléments contradictoires qui va dans le sens d’une certaine ironie ou d’une affirmation
tragique. On entend l’écho de l’expression orale « c’est pas la fin du monde » ainsi que la
pièce Fin de partie de Beckett. Le caractère énigmatique du titre écarte tout personnage, et
nous interroge directement sur l’idée de fin, voire de finitude (notion de fin au sens humain).
Est-ce une fin ou non ? Universelle ? S’agit-il du monde en général ou d’un monde en
particulier ?
Style
Le style intrigue : une longue phrase unique, à la respiration particulière, qui convoque
des tirets, annonçant déjà le style lagarcien : est-ce une écriture poétique, proche du verset ou
écriture dramatique, ou les deux, assemblées ? Ici, on observe des effets de rythme, de
coupure qui produisent une intensité de la parole, « à peine » / « malgré tout » / « la peur ».
Revenons sur ces tirets, limites graphiques d’un monde interne, véritables révélateurs
de la pensée profonde, confessions dans la confession, et précisions essentielles pour mieux
comprendre le personnage. Dans cet espace se nichent évidemment les épanorthoses, figures
de la recherche du mot juste, de la correction/précision de la pensée. On corrige une parole
précédente pour l’exprimer autrement.
Espace et temps
Personnage
Proximité et tragédie
Analyse linéaire
Les premiers mots « Plus tard » ouvrent à un futur, « L’année d’après / j’allais mourir »
situent le futur par rapport au passé, « J’ai près de trente quatre ans » se placent dans le
présent. Troublant, car le personnage est conscient de sa propre fin. Et nous la confie. Le
monologue s’ouvre donc sur une prolepse, soit une anticipation. Louis est à la fois acteur et
spectateur, voire démiurge.
Il annonce sa mort. Il semble incarner à lui seul un « chœur », et constitue déjà une sorte de
référence à la tragédie. D’ailleurs, l’expression « l’année d’après » revient de manière
anaphorique, comme un refrain macabre qui rappelle l’action implacable du destin et perturbe
la syntaxe et la fluidité, sorte d’anacoluthe (rupture syntaxique). La maladie et la mort
s’imposent comme des obstacles à la parole.
La peur glisse d’un visage à l’autre et c’est bien le retour sur le territoire familial qui devient
le centre névralgique de cette crainte. La désignation des « siens » par le pronom « les » dans
l’expression « je décidai de retourner les voir» révèle prudence, distance et appréhension. On
trouvera une autre occurrence avec « eux ». Et le double emploi de « malgré tout » confirme
cette volonté dans l’opposition, cette décision assimilable à un combat. Le rythme ternaire
« mes pas », « mes traces », « le voyage » agit comme un retour, une aventure symbolique,
une confrontation au passé, car ce « voyage » est polysémique, concret et symbolique. Le
retour aux sources semble une contrainte temporelle, car se plonger dans le passé est une
volonté du présent pour une annonce qui concerne un futur proche. Enfin, le voyage est
également cet euphémisme qui peut concerner la passage de vie à trépas.
Dans la mise en scène et la préparation de son retour, Louis acteur et metteur en scène nous
prévient qu’il doit se préparer, et sa nature (rempart contre une famille submergeante ou
violente ?) calme semble devoir s’imposer. C’est bien le champ lexical de la précaution qui
rythme son attitude « lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision » /
« lentement‚ calmement‚ d’une manière posée » et ce vocabulaire semble être un réseau de
paroles rassurantes de lui à lui, comme s’il devait calmer l’enfant meurtri au fond de lui.
Le thème de la parole surgit évidemment, car l’enjeu, c’est l’aveu. La parole est précisément
l’enjeu chez Lagarce (voir cours). Repérer à ce propos le champ lexical de la parole et les
synonymes de dire dans ce texte. La notion de « messager » est éminemment symbolique dans
la tragédie et elle concerne ici l’intéressé, directement. Il est le propre messager de sa mort. Sa
fonction est unique dans la pièce, à la fois ancré et distant, intermédiaire, personnage présent
mais au-dessus des autres, sans orgueil, mais avec une prescience, étrange, comme s’il se
doutait des attitudes à venir de chacun.
Enfin l’ultime fragment de ce monologue est dominé par la volonté de maîtriser son destin,
ses décisions, « j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé »‚ « décider »‚ « être responsable de
moi-même », « être mon propre maître ». Paradoxalement, il est associé à une autre
thématique, celle du masque : « illusion », « paraître », « peut-être ». A-t-il fallu à Louis se
cacher pour exister pleinement ?
La mise en scène de François Berreur (2007) propose clairement une mise à distance
du texte. Hervé Pierre incarne un véritable Monsieur Loyal (costume sombre- chemise
blanche-nœud papillon genre smoking, gestuelle, mimiques, surgissement sous les
applaudissements du public) qui confirme la notion de « représentation » de ce que Louis va
annoncer aux siens. Le spectacle proprement dit adviendra derrière le rideau une fois celui-ci
levé ! Donc, pas d’identification possible de Louis avec le « vrai Lagarce » (l’âge et la
rondeur d’Hervé Pierre rendant tout rapprochement improbable). Préjugé que François
Berreur voulait réduire à néant. C’est réussi.
Eclairé par une découpe, Louis en une sorte de maître de cérémonie, ou de comédien
de « one-man-show » annonce sa mort prochaine, presque gaiement. Le jeu est
volontairement cabotin mais toujours contrôlé, avec moulinets de bras et pas de danse
esquissés, petits sourires en coin, regards complices. Louis s’adresse au public mais
aussi « aux siens » qui attendent, derrière le rideau, le moment d’entrer en scène.
La diction du comédien est d’une grande clarté. Tous les mouvements du prologue
(flux verbal, effets d’attente, reprises, autocorrection, apartés) sont dits avec une maîtrise
parfaite de la partition musicale, du phrasé, de la respiration, le timbre de voix contribuant à
placer ici ou là ce qu’il faut de gravité sous le masque de l’amuseur public. Le rideau finit par
s’ouvrir sur la façade d’une maison devant laquelle patientent Suzanne, Catherine, Antoine et
la Mère. Un silence bercé par quelques notes de cordes, et Louis s’avance parmi eux. On note
ici que le prologue reprend sa fonction intrinsèque d’informer le spectateur sur le statut
tragique du personnage (Louis sait qu’il va mourir), mais la distanciation permet d’évacuer
tout sentimentalisme. Une pudeur qui permet peut-être de mieux envisager les rapports entre
les personnages.