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Texte 15 Ecarte la nuit

Charles Juliet

La quête de soi est une démarche existentielle, essentielle, elle est au cœur de la discipline
philosophique, mais aussi de certaines œuvres littéraires. C'est le cas de toute l'œuvre de
Charles Juliet, auteur contemporain, surtout connu pour ses récits autobiographiques tels
que L'année de l'éveil et Lambeaux. Dans son théâtre, CJ soulève aussi cette quête,
notamment dans la pièce au titre symbolique Ecarte la nuit, datant de 1991, qui retrace cette
aventure intérieure difficile souvent source de crise personnelle. Dans cet extrait, le lecteur
spectateur assiste à un moment d'introspection décisif d'un homme, au tournant de sa vie.

Dans quelles mesures ce dialogue intérieur illustre, au delà du personnage, une prise
de conscience existentielle fondamentale, dans l’existence de l’âge ?

I. Le monologue intérieur d'un homme en crise

 le monologue s'ouvre sur l'expression d'un manque, d'une absence, d'un vide, avec
l'énoncé nominal et la négation totale « Pas d'arbres » (l.1), l'accumulation des arbres
qui suit « les chênes [...] bouleaux » (l.2-3) accentue cet effet de manque, d'autant
plus que l'arbre est le symbole de la vie

 périphrase verbale « je commençais [...] vie » pour rendre compte d'une année d'éveil
 emploi de l'imparfait d'habitude et la répétition en reprise anaphorique « souvent je
rêvais [...] route » (l.5-6) souligne avec insistance le poids de ses aspirations

 l'homme décrit un véritable paysage d'état d'âme avec la mention du champ lexical
de la lumière, sens de la vue, du toucher, de l'ouïe créant une véritable expérience de
synesthésie où les sens entrent en correspondances et sont convoqués
agréablement en même temps « c'était toujours […] musique » (l.8 à 15)

 périphrase « Je voulais [...] horizon » suggère un rêve inaccessible

 l'usage du verbe « imaginer » (l.19, 20) rencontre d'une illusion et d'un contraste
implicite entre le rêve et la réalité

 la vie idéale est traduite par une succession de termes mélioratifs en expansion
nominale «une vie [...] compatissants » (l.20, 23)

 énoncé elliptique associé aux points de suspension « et au lieu de ça... » (l.25) est
lourde de sous entendus pour confirmer que cet idéal s'est brisé au principe de réalité

Cet homme évoque bien ses rêves d'adolescent qui vont se briser face à une plus dure
réalité, tout ce monologue traduit donc les désillusions d'un homme, qui a perdu ses rêves
d'adolescent et risque de sombrer dans l'amertume et le ressentiment

II. Le dialogue et l'écoute de la voix intérieure

 ce conflit, qui rencontre d'une crise personnelle, se traduit par la répétition de


questions partielles et ouvertures au futur de l'indicatif à valeur de certitude « que
seras-tu [...] même... ? » (l.26 à 28 et 34 à 36) pour dénoncer avec insistance et sur
le ton du reproche la volonté de l'homme de fuir l'existence.
 dans son monologue il décrit un cadre idéal éveillant les sensations les plus
agréables sur le plan visuel et tactile « une maison [...] vagues » (l.31 33)

 l'enchaînement plus rapide des répliques par reprise du terme « mort » en


stichomythie confirme ce conflit intérieur.
 sa logique implacable de cause à conséquence souligne les contradictions de
l'homme traduit par une antithèse « parce qu'en [...] mort » (l.40-41)

 l'homme réfute son propre manque de logique par une négation totale « je ne déserte
pas la vie » (l.42) et se justifie par une quête de protection « je suis [...] sécurité »
(l.43-44)

 la voix revient à la charge et définit l'existence comme un combat à affronter au


moyen d'antithèses construites sur des antonymes « l'échec [...] bon » (l.49 52)

 la voix de la sagesse donne deux raisons essentielles au moyen d'une négation


totale « parce que [...] saisie » (l.56) ou restrictives « je ne te donne qu'à [...] recevoir
» (l.56-58)

 accusation par antithèse « Mais tu [...] voix » (l.61-62)

Cet homme est donc bien en crise personnelle profonde, d'autant plus que sa voix intime va
s'avérer la voix de la sagesse et ce dialogue intérieur ne fait que confirmer sa difficulté à faire
la paix avec lui-même et à affronter la vie, sans plus la fuir dans le rêve ou le repli.

Finalement l'intérêt de ce texte est double. D'une part, témoigner de la crise personnelle d'un
homme aux rêves brisés, au tournant de sa vie et d'autre part, rendre compte, plus
symboliquement, du combat intérieur et spirituel de tout homme pour vaincre ses peurs et
continuer à avancer sur un chemin de vie. Nous comprenons, désormais combien ce
dialogue intérieur est aussi le notre et acquière une portée universelle. La pièce de théâtre
contemporaine de Juliet apparaît ainsi, comme une pièce de porté philosophique qui, au delà
d'une expérience singulière, rejoint l'humanité commune pour toucher sa spectateur, par
effet de miroir.

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