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VII-Formes du langage dramatique classique :

On ne saurait insister sur l’importance du dialogue dans le texte théâtral ; non


seulement il informe le lecteur-spectateur sur ce que ressentent ou font les
personnages, mais il exprime les rapports conflictuels, de pouvoir et de
séduction entre eux. Véritable noyau de la pièce de théâtre classique, le dialogue
(ou dialogues) sont le lieu où le dramaturge fait montre de son talent d’écrivain,
car le dialogue théâtral n’est jamais prosaïque ni plat (il n’est jamais là juste pour
remplir le vide ; au contraire il est bourré de mots volontairement choisis, de
champs lexicaux recherchés et de figures de rhétorique relevées…. Bref, le texte
théâtral prononcé par les personnages mérite qu’on s’arrête sur ses principales
composantes.

Monologue:
Monologue : parole d’un personnage seul sur scène (ou se croit seul), le
monologue est toujours un moment très théâtral, apprécié par le lecteur-
spectateur car il partage avec le personnage en question, sa méditation, sa
réflexion, ses tourments ou sa douleur (on compte 12 monologues dans L’Ecole
des femmes, tirades d’Arnolphe, mais aussi courtes phrases); le monologue est
une pensée verbalisée : « j’avoue qu’il est quelquefois bien agréable sur le
théâtre, de voir un homme seul ouvrir le fond de son âme et de l’entendre parler
hardiment et dire tout ce que la violence de sa passion lui suggère ; mais certes
il n’est pas toujours bien facile de le faire avec vraisemblance », L’abbé
d’Aubignac, Pratique du théâtre, éd. Martino, p. 250.

Fonctions du monologue :
+ fonction introspective, psychologique du monologue (l’expression d’une
émotion) ; le monologue révèle, certes, les sentiments du personnage, son état
psychologique ; au niveau des formes de phrases triomphent les phrases
exclamatives, expression d’une parole qui ne s’adresse pas à un interlocuteur ; il
s’agit alors une parole auto-réflexive, lyrique, émotionnelle. On y trouve aussi, la
phrase interrogative, expression d’une pensée inquiète, perplexe devant le
monde. C’est le cas par exemple du dilemme où le personnage hésite entre
plusieurs décisions et doit absolument trancher…
+ mais le monologue peut rappeler aussi des faits qui servent l’action (dimension
dramatique) et intervient souvent à un moment crucial de l’action pour attirer
l’attention du spectateur sur le désarroi du héros.
+ Il peut aussi lier deux scènes (fonction de liaison), par exemple : dans Phèdre
de Racine, IV, sc 5, lie les scènes entre Phèdre et Thésée et Phèdre et Oenone.
Le monologue de l’héroïne de Racine sert à expliquer les tourments de la jalousie
de Phèdre qui vient d’apprendre qu’Hippolyte aime Aricie..
+Très utilisé dans la tragédie au XVIIème siècle, le monologue est aussi une
grande tirade (aspect poétique : nature des phrases (interrogatives,
exclamatives, plus ou moins longues), procédés verbaux pour dire l’hésitation, la
confusion ou le dilemme du personnage, le choix des mots à la rime ; aspects de
la versification mettant en exergue le déchirements des sentiments ; procédés
de l’invocation des anciens ou de la famille (dans Hernani de V. Hugo, le
monologue de Don Ruy Gomez devant les portraits de ses ancêtres) qui suspend
la tension dramatique en introduisant un aspect « statique » dans l’intrigue (ça
dépend des auteurs) : le monologue peut être ressenti comme antidramatique,
voire invraisemblable : pourquoi un homme se parlerait-il à haute voix, ce qui
serait ridicule et irréalise ? La justification théâtrale du monologue est liée à la
situation dramatique du personnage : entamer une méditation, laisser libre
cours à une effusion lyrique, être l’objet d’un dilemme cornélien, exprimer un
débat de conscience. Un personnage qui médite (méditation psychologique ou
morale), qui se parle, c’est le cas du soliloque (révéler au spectateur l’âme ou
l’inconscient du personnage ; dimension introspective du soliloque). Le soliloque
est un morceau détachable du reste du texte : par exemple le soliloque d’Hamlet
sur la vie et la mort ; le soliloque s’apparente à un dialogue avec soi-même, car
l’unité personnelle est momentanément brisée et se cherche (Figaro, I, sc 2).

Le monologue s’adresse à une autre instance que le locuteur, instance absente


ou fantasmée : le monologuant affronte son interlocuteur par le biais du
fantasme avant de l'affronter réellement ; alors que le soliloque est repli sur soi,
le soliloquant s'affrontant lui-même avant de pouvoir affronter les autres.
Exemples : Figaro (I, sc 2 …); Phèdre (IV, sc3) ; Harpagon dans L’Avare (IV, sc 7)
de Molière ; le célèbre monologue d’Hamlet, sur le point de passer à l’action
(« to be or not to be. That is the question »)…
Stichomythie :
Ce sont des paroles brèves échangées par les personnages, elles dynamisent le
dialogue et soulignent le contexte conflictuel ou du moins urgent de la situation ;
exemple : Dom Juan de Molière (I, sc2 ; II, scène entre Don Juan, Charlotte et
Mathurine).
Définition : P. Pavis, Dictionnaire du théâtre, p.374 : « échange verbal très
rapide entre deux personnages (quelques vers ou phrases, un vers, voire deux
ou trois mots), le plus souvent à un moment particulièrement dramatique de
l’action. Présente dans le théâtre grec et latin, la stichomythie connaît à l’époque
classique (XVI - XVIIè siècles), un certain succès pour les moments émotionnels
de la pièce. (…) la stichomythie fait l’effet d’un duel verbal entre protagonistes
au moment de leur conflit. Elle donne une image parlante de la contradiction des
discours et des points de vue et marque le moment de l’émergence dans la
structure discursive très stricte des tirades, de l’élément émotionnel, incontrôlé
ou inconscient. »

Tirade :
C’est une « réplique d’un personnage, le plus souvent dans la tragédie. La tirade
et souvent longue et véhémente ; elle s’organise rhétoriquement en une suite
de propositions, de questions, d’arguments ou de bons mots (la « tirade des
nez » dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand). La tirade est fréquente en
dramaturgie classique, lorsque le texte est réparti en discours assez longs et
autonomes, formant presque une suite de monologues. Chaque tirade tend à
devenir un poème ayant sa propre organisation interne et répondant aux tirades
précédentes. » P. Pavis, Dictionnaire du théâtre, p.418.

C’est donc une parole développée, en termes quantitatifs, elle enrichit le texte
théâtral par son contenu et sa rhétorique ; moment d’éloquence fort apprécié
par le spectateur de l’époque classique ; dans l’histoire du théâtre classique,
Beaumarchais est passé maître de la tirade. Il faudra rappeler l’usage des tirades
notamment dans les scènes de délibération ; au théâtre classique, parler c’est
agir : les discours «doivent être comme des actions de ceux qu’on y fait paraître ;
car là, parler, c’est agir », L’Abbé d’Aubignac, Pratique du théâtre, livre IV, chap.
II, p.282. Dans cette tradition littéraire du théâtre, il en sera tout autre aux XXè
et XXIè siècles (crise du langage et incommunicabilité entre individus, métaphore
d’un monde qui a perdu ses valeurs humanistes).
La tradition de la tirade dans théâtre classique remonte à l’Antiquité, mais aussi
pour des raisons théâtrales : calmer un public le plus souvent turbulent (selon
Jacques Scherer), mais moment idéal où le dramaturge fait montre de son talent
d’écrivain ou de poète.
Aparté :
« Le Comte, à part -Il veut venir à Londres, elle n’a pas parlé.
Figaro, à part – Il croit que je ne sais rien ; travaillons-le un peu, dans
son genre. » Beaumarchais, Le mariage de Figaro. »

L’abbé d’Aubignac distingue trois types d’apartés :

1-les personnages ne se voient ni ne s’entendent,


2-l’un voit et entend l’autre qui ne le voit pas ni ne l’entend,
3- quand ils se voient et s’entendent, l’un d’eux alors tenant à parler comme s’il
n’était pas entendu de l’autre.
Il s’agit d’un « discours du personnage qui n’est pas adressé à un interlocuteur,
mais à soi-même (et, conséquemment, au public). Il se distingue du monologue
par sa brièveté, son intégration au reste du dialogue. L’aparté semble échapper
au personnage et être entendu « par hasard » par le public, alors que le
monologue est un discours plus organisé, destiné à être perçu et déparqué de la
situation dialogique. Il ne faut pas confondre la phrase adressée par le
personnage comme à soi-même et la phrase dite à l’intention du public. (…)
l’aparté s’accompagne d’un jeu scénique susceptible de le rendre vraisemblable
(mise à l’écart du comédien, changement d’intonation, regard fixé sur la salle).
Certaines techniques lui permettent à la fois de « passer la rampe », et donc
d’être vraisemblable tt en se donnant à reconnaître comme procédé : projecteur
braqué sur le monologueur, voix off, éclairage d’atmosphère différent, etc. »
Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, p. 45.
Aparté : texte très court où le personnage (étudier son intention, comme pour
le monologue d’ailleurs) se confie au public sans être entendu par les autres ; si
le monologue exprime une certaine sécurité de lu locuteur, l’aparté est l’image
d’une tension, une réflexion secrète faite au public dans la trame des paroles
(question de tonalité : expressément vs secrètement; (a été critiqué par la
dramaturgie classique pour son invraisemblance) autre artifice théâtral en
dehors du monologue, l’aparté comme son nom l’indique, est une parole dite à
part, de telle sorte que les autres personnages sur scène ne l’entendent pas.

+ 1er effet : Créer une complicité avec le public : le personnage s’adresse


directement à lui, se confie à lui en quelque sorte ;
+ 2ème effet : casser l’illusion théâtrale, le flux narratif et théâtral ;
+ 3ème effet : très utilisé dans la comédie, il produit des effets amusants (procédé
comique) ; par exemple : L’Avare ou Figaro. Au XVIIè siècle, le public était très
friand de ce type de procédé ;
+4ème effet : faire connaître l’intérieur du personnage, ses sentiments cachés : les
pièces de Marivaux (XVIII è siècle) faites de jeux et de déguisements en est un
bel exemple (lire : le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux).
L’aparté exprime le jeu des intentions cachées entre les personnages : chacun
veut sonder l’esprit de l’autre, il veut savoir davantage à son sujet ; ce jeu de
cache-cache et de surprises est propre à la comédie classique.
Au niveau textuel, il est accompagné par des indications scéniques (didascalies),
comme : bas, parlant bas, se tournant vers le spectateur…
L’aparté peut faire connaître au public des sentiments que le personnage, obligé
de dissimuler devant son interlocuteur, ne peut pas exprimer à haute voix. Dans
ce cas, il est utile, selon l’abbé d’Aubignac, « pour faire entendre aux spectateurs
un secret sentiment qu’ils ne peuvent ignorer sans demeurer dans quelques
embarras, comme lorsqu’un acteur dissimule… »

Récit :
La fonction du récit dans le théâtre classique est double :
1- décrire des scènes se passant à l’extérieur de la scène (surtout s’il s’agit de
mort atroce, par souci de bienséance, par exemple : la mort d’Hippolyte dans
Phèdre de Racine.
2-pour des raisons techniques, le récit rapporte des actions qu’on ne représenter
sur scène (l’espace scénique reste tout de même limité) ; exemple : des
batailles ; des attroupements d’individus…
Dans Dom Juan, Molière commence ses trois premiers actes par des récits plus
ou moins longs où les personnages rapportent des actions passées autrefois ou
dans un passé récent. L’action ayant eu lieu dans l’entracte est ainsi ramenée sur
scène grâce au récit, à l’image d’un raccord, en termes de cinéma, afin
d’enchaîner sur le présent de la scène en question ; donc double intérêt du récit
dans Dom Juan de Molière: dramatique et temporel.

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