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La littérature française du XXème siècle a été profondément marquée par les crises

historiques, politiques et morales. Sous l’influence de ce siècle tumultueux marqué par


deux guerres mondiales, un nouveau courant littéraire est engendré ; l’existentialisme,
qui représente une nouvelle philosophie. Dans ce contexte, Albert Camus, chef de file
de l’absurde et un des écrivains majeurs du XXème siècle, écrit L’Etranger en 1942. Le
livre raconte l’histoire d’un jeune homme taciturne nommé Meursault, condamné a mort.
En effet avant le jour de l’exécution, après le procès, meursault se trouve dans sa cellule,
et c’est pour la troisième fois que l’aumônier vient lui rendre visite pour l’exhorter a la
repentance. Nous verrons alors en premier lieu comment meursault se révolte avec
éloquence contre ce représentant de la société, pour enfin s’attarder sur une philosophie
paradoxale d’une vie absurde mais pleinement « justifiée »

Si meursault a toujours fait preuve d’impassibilité, dans cet extrait, la colère


l’envahit sans qu’il ne sache réellement pourquoi « alors, je ne sais pas pourquoi, il
y a quelque chose qui a crevé en moi » en effet, quelque chose de très spécial pour la
première fois se produit au plus profond de meursault, et par conséquent il a ce ressenti
de déverser sur l’aumônier tout le fond de son cœur. La métaphore filée ici fait
référence à un trop plein qui se vide comme si toute la colère accumulé pendant
11 mois pouvait désormais se libérer par la parole. Ce dernier exprime des
sentiments très prononcés et contradictoires, on le voit dans l’antithèse entre
« joie » et « colère ».

L’avènement de meursault au langage est donc provoqué par l’accumulation des


sentiments qui apparait sous forme d’une espèce de crise de révolte de l’insoutenable

Pris par ca colère, notre protagoniste se montre violent. En effet, l’atmosphère dans la
cellule devient tendu, on note la violence physique « pris par le collet de sa soutane »
ainsi que la violence verbale qui se manifeste de plusieurs manières, avec la tonalité
et l’intensité « crier a plein gosier » ainsi qu’avec le discours narrativisé qui montre
la teneur des propos « je l’ai insulté ». Meursault explose, il refuse de coopérer avec
cet envoyé de dieu qui tente de discuter. On note a le refus catégorique lorsque
l’aumônier annonce qu’il priera pour l’accusé « je lui ai dit de ne pas prier » ce dernier
alors écarte de son champ la charité et les valeurs de l’aumônier.

Non seulement meursault parle beaucoup, mais ses propos prennent l’allure d’un
véritable discours rhétorique dont l’éloquence rompt avec le ton souvent neutre et
inexpressif.

En effet, on note l’emploi de questions rhétorique « il avait l’air si certain, n’est ce


pas ? » « Et après ? » « comprenait-il , comprenait- il donc ? » sur un mode
agressif de provocation, meursault ici témoigne une volonté de faire réagir son
interlocuteur. De plus, les répétitions sont nombreuses dans cet extrait, on note la
répétition du mot raison sur un rythme ternaire, au passé puis au présent puis à
l’éternité « J'avais eu raison, j'avais encore raison, j'avais toujours raison. » cette
gradation sémantique met en relief l’éveil de meursault, le terme « privilégié »
est également répété 3 fois tantôt en participe passé en adjectif et en nom, pour
mettre en relief l’ironie de meursault et le thème de l’absurde, car tout le monde
est condamné a mort.de plus, on note l’épizeuxe, le dédoublement d’un même
terme « rien, rien n’avait d’importance » qui réfère a la condition de l’homme
confronté a la réalité amer de la mort.

Il annonce ensuite « je tenais cette vérité autant qu’elle me tenait » l’inversion


grammaticale ici souligne la puissance de la verité qui s’impose a meursault, celle
de l’absurdité de nos existences. Meursault se montre éloquent aussi avec cette
rapproche brutale « il n’était même pas sur d’être en vie puisqu’il vivait comme un
mort » l’opposition de deux notions fait éclater un paradoxe pour laisser entendre
que l’aumônier ne vit pas dans le présent mais dans l’illusion de la vie éternelle
après la mort

. Notre héros se lance ici dans un discours passionné ou l’éloquence témoigne de la


force nouvelle de ses convictions. Meursault donc s’affirme enfin.

Il ne veut plus voir ou entendre l’aumônier s’autoriser a prononcer une verité dans
laquelle il ne se reconnait pas au nom de ses propres convictions philosophiques et
religieuses. Meursault est désormais un brebis égarée, il refuse d’être enfermé sous une
étiquette discriminatoire qui le dépossède de son identité veritable. D’ailleurs, les
certitudes de l’aumônier sont réduites à néant à travers deux formules négatives «
aucune de ces certitudes ne valait un cheveu de femme » et « il n’était même pas
sûr d’être en vie » ici le terme cheveu évoque le plaisir, meursault est capable de
jouir du présent par opposition à l’aumônier qui est incapable de voir la beauté
d’une femme. On marque alors une distanciation entre ces deux personnages, qui se
présente d’ailleurs aussi avec l’opposition entre « lui » et « moi » et la redondance
du pronom personnels « moi » et « je » « il n’était même pas sur.. » « Moi, j’étais
sûr de moi, sûr de tout ». Enfin, meursault refuse de faire partie de la communauté
chrétienne quand il rejet ce que l’aumônier appelle « son Dieu »

On constate alors que meursault est arrivé a une pleine conscience de lui-même et de sa
propre vie, reste a préciser quelles sont les certitudes auxquelles il est parvenu.

Notre personnage est condamné a mort, et il semble puiser ses nouvelles certitudes de
cela. On effet, la mort est universalisé. Elle est omniprésente dans cet extrait « sur...
de cette mort qu’allait venir », ce dernier prend donc conscience de la mort comme
destin universel de l’homme et il l’affirme dans un registre polémique et ironique
pour provoquer l’aumônier « un seul destin devait m’élire moi-même et avec moi
des milliards de privilégiés » il n’y a donc plus de privilégiés puisque nous
sommes tous condamnés à mort quelle que soit les circonstances particulières
qui amènent chacun de nous a la mort. De plus, Cette mort apparait pour meursault
comme sa justification, c’est la preuve qu’il attend « c’était comme si.. «Je serai
justifié » C’est bien donc l’instant de sa mort qui paradoxalement donnera à sa vie un
sens, sa validité.
En effet, la mort donne sens a la vie, elle lui permet de voir sa vie dans un ensemble fini,
un tout, elle lui permet enfin de la saisir rétrospectivement. En outre, puisque tout est
voué a la mort, pour meursault toutes les vies sont équivalentes, il n’existe pas de valeur
qui puisse donner sens à la vie. « Rien, rien n’avait d’importance » tout est donc
égale, face à la mort tout s’égalise. En conséquence, meursault n’éprouve aucun regret
de ce qu’il a vécu puisque c’est équivalent a ce qu’il aurait vécu dans une autre vie.
De surcroit ce dernier dénonce toutes les illusions humaines, comme leur
prétention à être maitre de leur vie sous prétexte qu’ils décident de leurs actes «
que m’importaient. . Les vis qu’on choisit, les destins qu’on élit ». il réduit à néant
les croyances des autres hommes. Sous le coup de la colère, il balaie les convictions
et les croyances sur lesquelles se fondent la vie des hommes. Elles sont dénoncées
comme des illusions qui empêchent l’individu de vivre pleinement sa vie. Lui, au
contraire, libéré de toutes ces fausses valeurs, peut accéder à la vérité de sa propre vie,
qui s’avère l’absurde. Meursault refuse d’être ce que la société voudrait qu’il soit, un
chrétien repentant, dépossédé de son existence et ignorant sa propre vérité, or c’est un
brebis égaré, un antéchrist , et il possède enfin sa vie « j’étais sur de moi, sur de tout » il
parvient a être en plein accord avec cette vie dont il est désormais le possesseur
lucide « j’avais eu raison, j’avais encore raison, j’avais toujours raison » alors qu’il
vivait au hasard. Il a le sentiment d’avoir pleinement vécu sa vie. Ce qui compte c’est de
la vivre en tant que tel, en ce qu’elle a de plus terrestre, de plus concret, de plus sensitif,
de plus sensuel « aucune de ces certitudes ne valait un cheveu de femme » ce
cheveu est un symbole sensuel de ce que le monde peut offrir a l’homme. Par la colère,
meursault accède a une forme de sagesse qui rappelle la philosophie épicurienne ;
l’universalité de la mort, profiter pleinement de chaque instant c’est ce qui est le plus
important. Ce qui s’oppose a la philosophie religieuse qui consiste a se préparer a la vie
éternelle.

Ce moment de révolte contre l’aumônier est bien une prise de conscience définitive de
meursault. Dans un discours plein de véhémence, ce dernier rejette la vérité de
l’aumônier pour affirmer sa propre vérité : la vie est absurde et n’a pas de sens, les vies
se valent toutes. . En réponse a l’absurde, meursault fait l’apologie (discours de défense)
de la vie dans ce qu’elle a de plus terrestre. Evidement, a travers le discours de
meursault, c’est camus qui s’exprime. Meursault n’accède a la sagesse que par la
révolte contre les illusions du sens. La révolte est alors un passage nécessaire pour
accéder a la juste lucidité. L’étranger n’est pas un roman de l’absurde, mais un roman
qui répond aux sentiments de l’absurde en proposant une sagesse qui permet
d’échapper au désespoir. Cela s’oppose au roman LA NAUSEE de Sartre.

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