Vous êtes sur la page 1sur 2

ALBERT CAMUS

Le XXe siècle débute sous le signe du refus de la pensée métaphysique et théologique qui,
jusque là avait imprégné non seulement le domaine de l'art mais aussi celui des sciences.
Ce changement avait été très bien synthétisé par la célèbre phrase de Nietzsche: "Dieu est
mort". Or, l'absence de la divinité, dernier repère de toute valeur, provoque le sentiment de
l'absurde de l'existence. Ainsi, toute la création d'Albert Camus va se situer sous le signe de cette
nouvelle manière de penser.
On peut remarquer deux étapes dans l'évolution de la réflexion de Camus: il y a, dans une
première étape, le sentiment de l'absurde existentiel et le sentiment de la solitude individuelle – l’
étape existentialiste. L`individu se retrouve seul au milieu d'un monde absurde car rien ne le fait
appartenir à un système de valeurs communes. Les œuvres qui illustrent le mieux cette étape sont
Le Mythe de Sisyphe (essai philosophique) et le roman L`Etranger qui s’inscrivent dans ce qui
lui-même appelle le « cycle de l’absurde ».
La seconde étape marque l’évolution de Camus vers la solidarité humaine. Le monde ne
cesse d'être absurde, l'existence individuelle non plus, mais il y a des moments limite dans la vie
lorsque l`individu se voit, malgré lui, lié à la communauté humaine, en général, par le sentiment
de solidarité. Cette nouvelle attitude est illustrée par et le roman La Peste, qui inaugure le cycle
de la révolte et de la solidarité, dont fait partie surtout l'essai philosophique L'Homme révolté.
Celui-ci est a l’origine de la rupture définitive entre camus et Sartre, puisqu’il souligne
clairement les divergences des deux écrivains sur la question de l’engagement.
Dans Le Mythe de Sisyphe le tragique est pleinement présent dans l’intrigue. L’essai est
construit à partir du sentiment de l’absurde, de ce qui est ressenti comme doué de non-sens.
Devant l’évidence du malheur, la solution à adopter n’est pas le suicide ; on doit d’abord
accepter cette condition sans se décourager et tenter de lutter contre l’absurde. Pour cela il faut
refuser de se laisser trompé par les valeurs établies par la morale traditionnelle. Du point de vue
de l’évolution, le sentiment de l’absurde est comme un déclic produit lorsque l’homme réalise le
caractère inévitable de sa fin. Face à cette situation sans issue, l’homme absurde doit toujours se
trouver dans un état de révolte, car le combat mené contre les évidences de l’échec est cependant
une victoire. Finalement, cette attitude partie d’une existence absurde affirme non pas une
victoire définitive, mais un état de satisfaction, d’accomplissement : „Il faut imaginer Sisyphe
heureux !”
Camus invite le lecteur à une prise lucide de conscience de l’absurde: vie quotidienne
répétitive, et dénuée de sens, existence soumise au passage du temps, à la maladie et au trépas,
scandale de la mort de l’enfant (Rieux: “Je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où
des enfants sont torturés.”).
Face à un tel monde injuste, Camus refuse l’ordre social incarné par les juges de L’étranger,
qui pratiquent une justice fondée sur des conventions hypocrites; il refuse également les
conceptions religieuses, à travers le personnage du père Paneloux de La peste, qui tente de
justifier le mal par une prétendue faute des hommes. Enfin, Camus rejette, par la voix de Tarrou,
l’action révolutionnaire parce qu’elle débouche tôt ou tard sur l’oppression et le crime.
Face à l’absurdité, Camus dresse parfois des héros qui, victimes exemplaires, témoignent par
leur sacrifice de l’injustice du monde: Meursault meurt parce qu’il est incapable de faire le jeu
des conventions et de céder à une hypocrisie qu’il déteste.
Mais, dans la Peste, Camus nous montre des hommes qui, d’instinct se lancent dans l’action
et dans la lutte. Cette activité est, dans un sens, désespérée, puisque: “les victoires sont toujours
provisoires” (lit-on à la fin du roman), car “le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît
jamais”.
Mais, par la décision de lutter pour le bien général, l’homme révèle sa grandeur et sa dignité;
il trouve une raison de vivre dans l’exercice de la solidarité, valeur essentielle dans l’œuvre de
Camus, que de nombreux personnages de La peste découvrent, en venant rejoindre les efforts du
docteur Rieux.
La conclusion qui en résulte est que, malgré l'absurde, malgré l'absence de tout argument
("rien ne vaut qu'on se détourne de ce qu'on aime"), on se sent solidaire avec l`humanité
malheureuse. On a voulu voir dans l'épidémie de peste qui a frappé la communauté d'Oran, le
fascisme qui venait d'être écrasé en Europe après avoir produit de nombreux dégâts et victimes
(le roman paraît en 1947).
Malgré l'attitude anti-métaphysique et anti-théologique de Camus on peut conclure que toute
action humaine profondément assumée repose, pour lui, sur l’amour envers ses semblables et sur
la solidarité.

Vous aimerez peut-être aussi