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Essai :

Sujet :
Le rôle de l’écrivain consiste-t-il uniquement à s’engager au service de ceux qui
subissent l’histoire ?
Vous répondrez à cette question en rédigeant votre dissertation sous la forme
d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion. Vous pourrez vous
appuyer sur votre connaissance et votre lecture des œuvres étudiées en classe et
des œuvres lues en lecture cursive ainsi que sur vos propres lectures
personnelles.

« À travers le roman, se voient et se cachent les maladies du corps social.


D’une société et d’une époque, il figure assez bien la feuille de température. »
Ainsi parlait Maurice Nadeau, écrivain fortement engagé pour différentes causes,
mais toutes partageant un point commun : la liberté à toutes époques.
L’écrivain est, intemporellement, inspiré par victoires et défaites de l’Homme et sa
période ; et créant parfois avec encre et idées un avenir potentiel, il conte
l’Histoire sous une multitude d’yeux cherchant un même idéal : la justice.
Toutefois, ne nous hâtons pas de coller un sobriquet à notre cher sujet : un
écrivain ne peut être un simple prisonnier, lui qui amène liberté et fantaisie aux
mots ! Entendons par fantaisie que certains romanciers aux esprits délirants
gravent parfois dans leurs ouvrages des histoires sans liens apparents
quelconques avec l’injustice ou l’histoire ; et, détrompez-vous, elles n’en restent
pas moins lourdes de sens ! De même, le devoir ne se limite pas à une contrainte
imposée de l’extérieur. Il peut s’agir d’une obligation que l’on décide de s’imposer
librement.
Durant les prochaines lignes, ces concepts seront largement explorés à travers un
questionnement principal : Un écrivain est-il libre de tous concepts dans son
écriture ?
Tout d’abord, nous nous interrogerons sur le piège qu’est le temps pour l’écrivain,
pour basculer ensuite sur la notion de défense chez l’écrivain.

La temporalité, en science est considérée comme relative, une expérience


physique propre à chacun. Quel heureux hasard de découvrir cette similitude au
sein même des domaines littéraires ! En effet, le Temps représente une source
d’idées inépuisable grâce à sa subjectivité : quiconque vit et pense, aura un
passif et avenir fatalement différent de n’importe qui étant « un Autre ». Naissant
de ces différences une myriade de récits, même un événement relaté des millions
de fois possèdera de nouvelles facettes selon l’écrivain : ainsi, même une simple
seconde de vie est une épopée valant la peine d’être lue, en témoigne le nombre
d’ouvrage fascinant sur des périodes telles que la seconde guerre mondiale tel
que La Part de L’Autre(Éric Emmanuel Schmitt), Les Cerfs-Volants(Romain Gary),
Le magicien d’Auschwitz(Dos Santos)… Kant invite dans la « Critique de la raison
pure » à nous détourner de l’absurdité d’un Temps ayant une quelconque
objectivité : certes, il admet l’existence de changements observables par tous en
ce monde, et que « des changements ne sont possibles que dans le temps » ;
mais cette réalité du changement est réservée pour nous, êtres vivants, qui
possédons l’idée de son existence. Sa richesse est décuplée pour notre chère
espèce humaine ; nos réflexions, nourries depuis des millénaires à ce sujet, sont
dues au fait que « nous savons que nous savons » : quel beau jour en ce monde
pour s’appeler Homo Sapiens Sapiens ! De plus, sans l’atout qu’est notre
sensibilité, le concept de temps se meurt ; il n'est pas connu, par exemple, par les
objets, pour la simple et unique raison qu’ils n’ont pas de conscience. Nous ne
connaîtrons jamais le monde en son intégralité (et quel soulagement !) ; notre
univers humain est un monde multiple mais déterminé par ces deux formes
premières par l'intuition (considérées comme « transcendantales » par Kant) que
sont l'Espace et le Temps. « L'Espace-Temps » est une fortification inviolable
pour notre « soi » humain, pour la bonne raison que ce concept est unique et
primordial pour nos 5 sens, ainsi que notre mentalité. Pourtant, cette fortification
n’est pas la seule barrière pour notre évasion.
L’Espace est une dimension « libre » dans l’expérience humaine : nous sommes,
en effet, capables d’aller en avant comme en arrière, de monter comme de
descendre. Cependant, une seule trajectoire pour le Temps : l’avant. L’Homme
peut se battre contre ce fait (j’oserais avancer le terme de vérité générale), c’est
en vain : nous vivons « dans un train, roulant toujours vers le soleil » (Nino
Ferrer). Ainsi, cette bataille perdue s’avère être un leurre : le réel ennemi
(attaquable) demeure l’Oubli. Voici donc la motivation première pour « le Père de
l’Histoire », Hérodote, qu’il cultiva pour la rédaction son ouvrage « Historia »
(littéralement, « L’Enquête ») : il gravera en préface : « Voici l’enquête
d’Hérodote, afin que ni les actions des hommes ne disparaissent avec le temps, ni
les achèvements grandioses ne deviennent insignifiants ; et afin de donner la
raison qui mit les uns et les autres aux prises. » Au-delà d’une crainte, l’écriture
semble s’être développée pour faire barrage aux méandres angoissantes de
l’oblitération. Ainsi, un des premiers récits de combats épiques, en ayant fait rêver
plus d’un, consigne bien un but de « figer le temps » ; il est cependant quelque
peu prétentieux de penser ainsi : nous sommes, malgré cette illusion, les seuls et
réels traqués par la terreur qu’insuffle cette étrange dimension.
Et si notre libération ne se réaliserait qu’à travers une certaine forme
« d’acceptation » ?
Nous voilà à présent biens avancés : le Temps s’offre les privilèges d’être
transcendant et invincible pour l’Homme, et bien que parfois renversé, l’Oubli est
intrinsèquement présent. Une telle fatalité, bien que torturée, reste néanmoins
fortement oppressante. Cependant, l’Humanité continue de vivre ; mais par quelle
force mentale ? Le nihilisme, conséquence directe de ces réalisations, est à la
porte ; et pourtant, une éducation, un tour de force permet à l’espoir et la
motivation de perpétuer. Nous avons mentionné précédemment que la blanche
écriture semblait vouloir contrer le sombre oubli ; mais je vous invite désormais à
coupler cette idée à une, si ce n’est la phrase la plus iconique pour quiconque a
une approche, même sommaire, de la philosophie : « La seule chose que je sais,
c’est que je ne sais rien ». Ainsi aurait parlé Socrate, selon les dires de son élève
Platon. Socrate, déclaré homme « le plus sage d’Athènes », supposa que
l’affirmation de la Pythie n’était pas due à son savoir, mais à la prise de
conscience que « la sagesse » n’est pas résumable à un seul homme : ainsi
Socrate posséda la sagesse d’une certaine modestie. Mais quel voyage dans le
temps je vous propose ici ? Relire les écrits et récits de vieux hommes, ayant
vécu il y a de ça des millénaires ? Ici se cache le secret : le terme
« millénaires ». Des discours anciens encore étudiés de nos jours semblent avoir
réellement transgressés la fortification « d’Espace-Temps ». Ainsi, en intitulant
« Historia » son ouvrage, Hérodote avait déjà gagné contre le Temps ; il savait
intrinsèquement que les évènements de ce monde ne pourraient tous être
sauvegardés, que seule une poignée subsistera ; pourtant créa-t-il un terme
enveloppant ces temps passés, connus comme inconnus : Historia. Hérodote crée
donc avec modestie un terme pouvant englober tous les achèvements passés :
qu’importe leur existence dans nos esprits ? Ils appartiendront finalement à
l’Histoire.
Ainsi, c’est en acceptant qu’il est imparfait, que l’Homme, et particulièrement
l’écrivain, mis au monde un terme comprenant en globalité le réel passage du
Temps.

Il semble, en effet, que le Temps exerce une forte influence sur l’écrivain,
non pas comme contrainte mais bien plus comme une bénédiction : et c’est grâce
à des termes transcendants notre propre imaginaire que nous l’avons plus ou
moins maîtrisé intellectuellement. Mais est-ce vraiment le but de l’écrivain ?
Maitriser le Temps pour mieux en parler ; l’éthique de l’écrivain repose (ou est-elle
limitée) à l’emprise que le Temps a sur elle ? Remédions immédiatement à ces
questionnements.

Notre problématique originelle portait sur l’idée que les écrivains


s’engageraient uniquement pour les « victimes de l’histoire ». Ainsi, nous
pouvons nous demander la nature de l’écrivain lorsque celui-ci rédige une
autobiographie, ou bien un écrit basé sur le vécu de celui-ci ; par correspondance,
nous devrions considérer l’écrivain comme l’un de ces opprimés par l’histoire.
Ainsi, l’écrivain se prive d’une liberté pour en offrir d’autres, qu’elles soient
abstraites ou concrètes : il meurt pour des idées. Viens ici un dilemme de taille :
est-il légitime pour un écrivain de sacrifier sa vie pour n’importe quel concept
auquel il adhèrerait ? Le poète et chanteur Georges Brassens explore ce
raisonnement de manière élégante à travers sa chanson « Mourir pour des
idées ». L’auteur de cette ode constate que la mort de l’écrivain se doit d’être une
fatalité, mais lente ; comme si l’écrivain trépassait d’une indigestion de sa propre
doctrine « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ». Il propose
également que cette lenteur soit en vérité porteuse de certitude, et dénonce les
empressés qui partent trop vite, s’étant convaincu de morales absurdes (pour
exemple, des jeunes écrivains, enrôlés dans l’armée en tant que soldats, pensant
que les problèmes de leur patrie se règlent en violence, et partent mourir au front)
« Car, à forcer l’allure, il arrive qu’on meure pour des idées n’ayant plus cours le
lendemain /…/ Mourir pour des idées, c’est bien beau mais lesquelles ? ». Ainsi,
Georges Brassens soutient l’idée que les écrivains « s’engagent pour les victimes
de l’histoire », mais de manière réfléchie, transformant irrévocablement ces
derniers en victimes eux-mêmes. On retrouve ici l’opinion qu’un écrivain est
contraint de mourir pour des idées de l’histoire (les idées apparaissant forcément
dans un contexte social historique) ; cependant, leur liberté sera de choisir
sagement lesquelles sont dignes de sacrifices. Il se pourrait pourtant que ces
sacrifices tirent leur origine de la nature sociale humaine.
Un fait darwinien prouvé depuis quelques décennies apporte d’intéressantes
suppositions ; l’homme étant un animal à la réflexion développée, il possède donc
un comportement social fortement intéressant. L’homme appartient aux
« animaux sociaux » : il est un être vivant interagissant énormément avec les
autres membres de son espèce, et dont la vie dépend fortement de sa relation
avec l’Autre. En littérature, le concept « d’animal social » renvoie à une nature :
c’est inscrit dans l’éthique humaine que l’homme doit s’assembler avec d’autres
pour survivre. Et c’est grâce au langage (retranscrit physiquement par l’écriture)
que l’humanité peut ainsi allier ses membres entre eux : la communication est au
centre de la société. Cette idée, introduite par Aristote mais admirablement
exploré par David Brooks dans sa fiction « L’animal social », découle directement
du sentiment d’empathie (littéralement, « souffrir avec ») : dans la fiction
mentionnée, un certain Harold ne pourra s’empêcher de défendre et finalement
aimer une femme nommée Erica. Leur premier lien ? Leur espèce commune,
provoquant un sentiment nommé l’empathie. L’écrivain, restant un homme,
manifesterai cette défense avec la seule arme qu’est son stylographe ; par
ailleurs, il ne serait donc pas contraint de s’engager pour les opprimés par les
opprimés, mais bien à cause de lui-même. Ainsi, des écrivains tels que Ernest
Hemingway ou bien Romain Gary défendirent à tel point ces victimes de l’histoire
(qui sont, rappelons-le, aussi bien réelles que abstraites), que leur empathie
profonde, s’étant transformée en inapaisable douleur à la fin de leur vie, ne
permirent qu’un seul remède : la mort. L’empathie, chez l’écrivain, parait tel un
mal absolu aux conséquences parfois irréversibles : et pourtant, elle revêtit bien
d’autres costumes que celui de sa forme écrite engagée.
La littérature est probablement la plus libre des sciences : sa forme est fugace,
son ton changeant, et aucune de ses idées n’est forcément absolue. Dans sa
nouvelle « La Métamorphose », Franz Kafka inventa une histoire sombre et
complètement irréelle : j’ose affirmer avec une totale conviction que l’on ne verra
jamais un homme se transformer en cafard géant. Le côté déroutant de la nouvelle
est du au vocabulaire décrivant la transformation : un vocabulaire somme toute
banal, comme si l’événement ne tenait en rien du surnaturel. Derrière cette
métamorphose se cache en vérité l’allégorie d’une révolte individuelle contre une
société, surtout sur le plan professionnel (en effet, le premier problème évoqué
dans la nouvelle est l’incapacité d’aller travailler). Il semble que le protagoniste,
au travers de cette transformation, réveille malgré lui le refus d’une existence
dépourvue de sens. Il dévoile, quelques lignes plus tard, le sentiment
d’emprisonnement qui le rongeait avant son radical changement d’apparence. On
retrouve un personnage victime de la société, seul, qui pourtant réveilla en
l’écrivain (ici, Kafka) l’envie de rédiger une nouvelle complètement fictive, qui eut
pourtant de réelles conséquences sociales sur le plan international. Ce sentiment
qu’une moindre lamentation peut réveiller un écrivain est parfaitement capturé
par Camus dans son Discours de Suède « Mais le silence d’un prisonnier inconnu,
abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de
son exil ». Ainsi, la défense des victimes de l’histoire par l’écriture se révèle bien
plus imperceptible dans sa forme : en effet, nombre d’ouvrages comportent
immanquablement une morale, qu’elle soit jugée bonne ou mauvaise : mais sa
présence semble obligatoire. Un écrit défendra (presque ?) forcément une
victime, une idée : l’écriture semble finalement trouver sa liberté non pas dans sa
finalité, mais dans le moyen d’y parvenir.

L’écrivain est avant tout, un homme : avec ses craintes et ses devoirs. Sa
seule arme étant papier et encre, il défend un monde d’idée, en espérant
répercussion sur le monde physique. Il est fatalement prisonnier du monde dans
lequel il vit : comment faire autrement ? Même la plus fantasque des histoires
tire origine du réel de l’auteur, son monde étant son inspiration primordiale. Mais
l’histoire joua aussi sur le développement de la pensée et de la modestie humaine,
ce qui permis de l’apprivoiser et contrer une peur humaine : l’oubli. L’autre crainte
fut la découverte d’une absence de liberté chez l’écrivain : celui-ci semble
prisonnier du monde dans lequel il vit, et donc de ses protagonistes. Ajoutez à
cela cette maladie humaine nommée « l’empathie » qui pousse l’auteur à
dégainer sa plume pour les opprimés, et l’on pourrait penser l’écrivain comme un
oiseau en cage, prisonnier de ses sentiments. Et pourtant, c’est en la littérature
que réside la plus fugace forme d’action : elle se mue en chanson, discours,
nouvelles fictives, écriture engagée, etc… Ecrire (surtout pour l’écrivain) se fait
sur des sujets touchant la sensibilité de l’auteur : et la littérature y développe ici
sa plus belle forme de liberté, restant son apparence et donc sa nature. L’écrivain
est, en effet, prisonnier de son monde : et pourtant, en restant dans celui-ci, il lui
reste tant à découvrir !

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