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Aïssam Aït-Yahya. Fiqh al-Wâqî. Publications du CIRD, 2012, 156 pages.

Extrait n°2 : Définition des termes et explication


(p 19-20)

Le terme fiqh est un substantif qui dérive du verbe faqiha qui possède deux sens : commun et
linguistique. Le premier signifie compréhension (fahm) tel que le Coran le mentionne en plusieurs
endroits {Nous explicitons les versets pour un peuple capable de comprendre (yafqahûna)} (Coran
6/98). L’autre sens souligne l’idée de connaissance, de savoir et/ou de science. L’imam Ibn Mandhûr
dans sa célèbre encyclopédie étymologique Lissan al ‘arab nous rend compte de cette similitude de
sens entre fiqh et ‘ilm : « Al fiqhu : al ‘ilmu bi shay wal fahmoula […] wa faqiha fiqhan : bi ma’na
‘alima ‘ilman » (le fiqh c’est la science d’une chose et sa compréhension […] et comprendre un fiqh :
dans le sens de connaitre une science)
Ces deux sens du terme fiqh seront présents dans l’utilisation de l’expression « fiqh al wâqi’ » par le
cheikh Nâsir al ‘Umar dans son exposé. Parfois fiqh pourra avoir pour signification première
savoir/connaissance, il sera donc à comprendre comme un synonyme de science. Dans ce cas, l’on
pourrait même remplacer fiqh al wâqi’ par ‘ilm ul wâqi’ sans que cela ne modifie le sens voulu par le
cheikh. D’autres fois, fiqh aura pour exact synonyme « compréhension », c'est-à-dire la capacité de
l’intelligence (innée ou acquise) issue de la raison (‘aql) ou du cœur (qalb), de saisir parfaitement la
signification d’une chose. On comprendra à la fin de cette épître, que fiqh al wâqi’ en arrivera à
signifier une méthodologie islamique de réflexion et d’analyse dans l’étude du monde contemporain,
de ses sociétés et des hommes. Actuellement, le mot fiqh renvoie dans les sciences religieuses au
terme de « jurisprudence » ou ensemble de règles de loi émanant de l’Islam : c’est pourquoi nous
avons parfois décidé de traduire fiqh par « jurisprudence ». Quoiqu’il en soit nous devons toujours
garder à l’esprit cette distinction essentielle entre fiqh et ‘ilm, et donc entre fiqh al wâqi’ et ‘ilm al
wâqi’, avant de comprendre l’importance de cette distinction et les risques d’une trop grande
confusion entre ces deux termes dans notre seconde partie.
Quant au terme wâqi’ : rappelons qu’Allah a nommé la sourate n°56 al Wâqi’a, traduite
communément par « l’Evénement ». Allah dit : {lorsque l’événement (wâqi’atu) arrivera (waqa’ati)
nul traitera son arrivé (waq’atiha) de mensonge}. Ibn Kathir nous explique : « Cet événement est le
jour de la résurrection. On l’a appelé aussi l’Evénement parce qu’il arrivera sans aucun doute et
inéluctablement ». Le principe islamique qui en découle est de faire comprendre aux croyants et aux
lecteurs qu’en Islam, le Jour du Jugement est d’une certitude si absolue que l’on peut lui donner le
synonyme d’événement réel et réalisé, alors même, qu’il ne s’est pas encore déroulé. C’est ainsi que
nous comprenons que le substantif (masdar) wâqi’ renvoie aux champs sémantique d’événement
effectivement survenu et réalisé, aboutissant à un état réel, une situation déterminée visible et
définitivement acquise, d’où notre simple définition de Réalité.
[…]
L’une des difficultés à laquelle nous avons été confronté, fut d’essayer de trouver une discipline
équivalente au fiqh al wâqi’ dans le monde occidental. Force est de constater que son originalité, la

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pluralité de ses objectifs et de ses méthodes ont rendu la tâche infructueuse. Si on peut rattacher
certains de ces éléments constitutifs et de ces principes à la vaste famille des Sciences Humaines et
Sociales (SHS), en arguant du fait qu’il partage avec ces sciences beaucoup de présupposés, il s’en
éloigne pourtant radicalement pour beaucoup d’autres. De plus, vouloir réaliser une comparaison
des SHS avec le fiqh al wâqi’ peut même être faussé, car même si le fiqh al wâqi’ tel qu’il est présenté
dans cette épître est plutôt axé sur l’étude des hommes, de la société et de leurs faits, comme les
SHS : l’étude des sciences dites naturelles (physiques) peut-être incorporée au fiqh al wâqi’ si leurs
conclusions ont une influence capitale pour garantir les intérêts et la pertinence de l’Islam en tant
que civilisation. Les similitudes entre SHS et fiqh al wâqi’ sont donc aussi nombreuses que les
différences :
- Si pour Denis Collin (professeur de philosophie, auteur de « La théorie de la connaissance chez
Marx ») les SHS : « ne prédisent pas ce qui va être mais disent ce qui doit être ou devrait être
– y compris quand elles semblent purement descriptives » nous verrons que le fiqh al wâqi’
cherche, lui, à établir des projections et se baser sur elles pour établir des plans ou
programmes.
- Si depuis Durkheim, les SHS cherche à analyser les faits sociaux comme un scientifique
analyse un échantillon de matière, le fiqh al wâqi’ cherche aussi à analyser le réel tel qu’il est,
avec exactement la même rigueur scientifique.
Alors peut-on dire que le fiqh al wâqi’ est une science au sens épistémologique que lui donne
l’Occident ? La réponse est non.
Mais est ce que le fiqh al wâqi’ est dénué de but et de méthodologie scientifique au sens le plus
rationnel du terme ? La réponse est également négative. Tel est le paradoxe du fiqh al wâqi’, qui est
presque plus un état d’esprit méthodologique qu’une discipline réelle et distincte, mais qui englobe
en son sein une quantité indénombrable de sciences.
[…]
grâce au fiqh al wâqi’ et à la maîtrise de cette science, on doit toujours être en mesure de
comprendre les stratégies et les politiques des puissances non musulmanes, pour être apte à réagir
en amont, prévoir leurs actions, leurs buts et leurs objectifs, tout ceci afin de garantir les intérêts de
l’Islam et des musulmans au présent et pour son futur. C’est aussi exactement l’intérêt que souligne
le cheikh al Albani : « Le Fiqh al wâqi’ consiste donc à se préoccuper de ce qui concerne les
musulmans, dans leurs affaires ou aux sujet des ruses de leur ennemis afin de les mettre en garde… ».

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