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COURS

EPISTEMOLOGIE

MPCI/ UNZ
1
1. Qu’est ce que l’épistémologie

1.1. Définition de l’épistémologie

Le terme « Epistemology » (en français


épistémologie) a été forgé, au milieu du 19ème
siècle, par le métaphysicien James Frederick
Ferrier (1808-1864) pour désigner une théorie
de la connaissance. 2
«Épistémologie» est la combinaison de deux
mots grecs: épistémè (science, connaissance,
savoir) et logos (discours, langage, jugement).

L’épistémologie est ainsi, selon les cas, soit une


étude sur la science, soit une étude sur la
connaissance.
3
Les anglophones emploient pour la plupart
«epistemology» comme synonyme de «théorie
de la connaissance».

4
Les francophones utilisent «épistémologie»
uniquement pour qualifier la réflexion sur la
connaissance spécifiquement scientifique,
réservant l’expression «théorie de la
connaissance» à l’étude de la connaissance en
général (scientifique et non scientifique).

5
Pour Léna Soler: « L’épistémologie vise
fondamentalement à caractériser les sciences ,
en vue de statuer sur leur valeur, et
notamment de discuter si elles peuvent
prétendre se rapprocher de l’idéal d’une
connaissance certaine et authentiquement
justifiée.
6
Elle s’emploie pour atteindre cet objectif, à
décrire la manière dont procède telle ou telle
discipline dite scientifique pour élaborer et
tester ses théories, à spécifier la physionomie
de ces théories elles-mêmes, à estimer la
valeur logique et cognitive de telles
théories.».
7
L’épistémologie interroge la nature et la valeur
des principes, des concepts, des méthodes, et
des résultats des sciences. Ceci lui confère
deux caractéristiques majeures :

8
(1) Elle est un discours réflexif, c’est-à-dire un
discours faisant retour sur les sciences.
L’épistémologie présuppose donc la science et
vient forcément après elle.

9
(2) Elle est un discours critique: elle ne se
contente pas de décrire les sciences sans les
juger; elle s’emploie de surcroît à discuter du
bien-fondé et de la portée des propositions et
des méthodes scientifiques.

10
L’épistémologie étant un discours sur les
sciences, il conviendra:

 De spécifier la nature du discours considéré


(est-il philosophique? scientifique? quels sont
ses moyens?),

11
 De caractériser l’objet de ce discours (que
faut-il entendre par «science»? Quelles
disciplines concrètes range-t-on dans la
catégorie de sciences?).

12
Il est important de retenir que l’épistémologie a
deux aspects : un aspect normatif (ou prescriptif)
qui vise à définir ce qu’est la science et donc à
délimiter le champ de la science et un aspect
descriptif (quelles sont la structure et la
dynamique interne d’une discipline scientifique
?).
13
On retiendra l'idée générale d'un va et vient
entre la description de la science telle qu'elle se
fait (épistémologie descriptive) et la réflexion
critique sur ces pratiques (épistémologie
normative).

14
1.2. Qu’est-ce que la science ?

1.2.1 Définition de la science et critères de


scientificité

Deux démarches sont possibles pour définir ce


qu’est une science.

15
La première est une démarche normative, qui
consiste à édicter a priori une norme de
scientificité, c’est-à-dire de donner les critères
qui permettent de statuer sur le caractère
scientifique d’une discipline.

16
La seconde démarche est descriptive : elle
consiste à analyser les différentes disciplines
reconnues comme scientifiques, et à en dégager
a posteriori les points communs, qui seront
ensuite pris comme des critères de scientificité.

17
Etymologie du mot «science»

Le mot «science» est dérivé du latin classique


scientia (connaissance, et plus particulièrement
connaissance scientifique, rationnelle), qui
prend très tôt le même sens que le terme grec
épistémè. Scientia vient de sciens, scientis qui
signifie « qui sait », « instruit », « habile ».
18
Analyse du concept de science en vigueur

Le dictionnaire le Petit Robert (1995) propose


cette définition : « ensemble de connaissances,
d’études d’une valeur universelle, caractérisées
par un objet et une méthode déterminés, et
fondées sur des relations objectives vérifiables
».
19
Le sens commun est l’ensemble des
connaissances et croyances communément
partagées dans un groupe social, pouvant aussi
être appelé connaissance première ou opinion
commune.

20
Sous l’angle du sens commun, au terme de
science est généralement associé par la
plupart des gens des caractères positifs,
valorisants, l’adjectif « scientifique » étant
souvent employé dans le sens de « vrai », «
rigoureux », « sûr ».

21
La définition du Petit Robert, en même temps
qu’elle décrit l’usage, saisit le concept normatif
de science qui vaut à l’heure actuelle. Elle dit ce
qu’une discipline doit être pour avoir le droit
d’appartenir à la catégorie de science.

22
En d’autres termes, elle fournit les critères de
scientificité qui permettront de statuer sur la
nature scientifique d’une théorie ou d’un
ensemble de connaissances.

Analysons alors la définition point par point

23
L’objet dont traite une science doit être
clairement « déterminé ».

L’objet d’une science est ce dont traite cette


science, son domaine d’investigation : la nature
inanimée pour la physique, le vivant pour la
biologie, les phénomènes psychiques pour la
psychologie, etc.
24
Chaque science considère les mêmes
phénomènes d’un point de vue bien particulier,
introduit une grille de lecture propre qui la
conduit à se focaliser sur certains aspects du
réel et à en négliger d’autres.

25
Soit par exemple le suicide d’un individu par
défénestration.
Pour la physique, il n’y a là rien de plus que la
chute d’un corps. Il s’agit d’identifier les
paramètres pertinents à prendre en compte
(poids du corps, hauteur initiale de chute, etc.) et
de mettre en évidence la manière dont ces
paramètres sont liés entre eux. 26
Pour la psychologie, ce qui compte, ce sont par
exemple les événements marquants de l’histoire
singulière de l’individu, les motifs personnels
qui l’ont poussé à se jeter par la fenêtre, etc.

27
La sociologie durkheimienne fait quant à elle
abstraction de tous les aspects précédents, et
s’emploie à trouver des corrélations entre
suicide et facteurs sociaux.

28
Déterminer l’objet d’une discipline, c’est donc
spécifier les aspects des phénomènes qui
relèvent d’elle.

29
Se pose ici le problème de la définition des
frontières du domaine couvert par une
discipline scientifique, et de son possible
chevauchement avec d’autres disciplines.

30
Si l’objet principal dont traite une science est
souvent relativement simple à expliquer, une
définition exacte et exhaustive est souvent hors
d’atteinte et les frontières d’une discipline
demeurent floues.

31
Une science doit apporter des «
connaissances » sur son objet, c’est-à-dire
avoir un contenu.

Ce contenu est supposé caractériser


adéquatement l’objet étudié. Sans quoi, il serait
seulement un ensemble de croyances, c’est-à-
dire de propositions insuffisamment justifiées
et du coup éventuellement erronées.
32
Les connaissances scientifiques doivent être «
fondées sur des relations objectives
vérifiables ».

Les affirmations scientifiques ne sont pas des


dogmes. Il ne suffit pas de les imposer par la
force : il faut être en mesure de les justifier.
Autrement dit, il faut :

33
(1) Montrer dans l’objet étudié des
caractéristiques en principe susceptibles d’être
contrôlées par tous, c’est-à-dire d’être soit
directement observées, soit obtenues
expérimentalement par tout spécialiste
compétent.

34
(2) expliciter la manière dont ces
caractéristiques vérifiables étayent, (« fondent »)
les énoncés scientifiques discutés.

35
Les connaissances scientifiques sont
supposées posséder une « valeur universelle ».

Elles ne valent pas seulement pour un individu


singulier ou pour un groupe restreint
d’individus dans un contexte particulier, mais
bien pour tous, en tout temps et en tout lieu.

36
L’exigence d’une justification des énoncés
scientifiques susceptibles de s’imposer à tous à
partir d’éléments par tous vérifiables est ce qui
confère au discours scientifique son caractère de
connaissance universelle.

37
Les connaissances scientifiques doivent être
obtenues par une « méthode déterminée ».

Toute discipline scientifique devrait suivant


cette exigence être en mesure d’expliciter la
manière dont elle procède et les moyens par
lesquels elle construit ses connaissances.

38
La définition analysée mentionne enfin un
ensemble de connaissances

Une théorie scientifique est un ensemble de


propositions interconnectées. Il n’y a donc pas
simple juxtaposition des énoncés mis en jeu,
mais organisation interne, rapports
hiérarchiques.
39
Pour récapituler, est science un ensemble
structuré d’énoncés, formulés à propos d’un
objet bien délimité, et universellement valable
car fondés au moyen d’une méthode
rigoureuse et fiable.

40
Un problème central de l’épistémologie est celui
de la définition des critères de scientificité.
Quels sont les critères qui doivent permettre de
départager science et non-science?
Ces critères, et même leur existence, font l’objet
de débats entre plusieurs écoles de pensées.

41
1.2.2 L’opposition rationalisme/relativisme

Existe-t-il des critères de scientificité qui soient


universels et qui soient valables à toutes les
époques du développement des sciences ?

42
Position rationaliste: définir la science

Pour les partisans de l’école rationaliste, la


réponse est positive. On trouve ici une démarche
strictement normative.

43
Pour un épistémologue rationaliste « radical
», une définition de la science doit pouvoir
être formulée sous la forme d’un critère
universel radical. Ce critère de scientificité
est applicable à toutes les disciplines, et cela à
tous les stades de leur développement
historique.
44
Position relativiste: définir des sciences

A l’inverse, les défenseurs de relativisme


soutiennent qu’il n’existe pas de critère de
scientificité universel

45
Les critères définitoires sont variables d’une
discipline à l’autre, et peuvent évoluer au
cours du temps et varier d’une communauté
humaine à l’autre.

46
Dans cette perspective, les facteurs
psychologiques, sociaux, philosophiques ou
religieux acquièrent une grande importance,
qu’ils n’ont pas dans la perspective rationaliste.

47
Dans sa version la plus radicale, le relativisme
ne reconnaît pas l’existence d’un corpus
global de connaissances que l’on peut appeler
« science », mais seulement l’existence de
plusieurs domaines séparés que l’on peut
qualifier individuellement de science.

48
1.2.3 Classification(s) des sciences

Une multitude de disciplines sont aujourd’hui


réunies sous la catégorie de science. Il s’agit de
décrire la manière dont on les regroupe en
différents grands types.

49
Quelques problèmes liés à la classification

Une classification des sciences est par nature


subjective, en ce sens qu’elle est faite en se
basant sur des critères dont le choix n’a rien
d’évident ni d’automatique.

50
Des critères classiques sont des regroupements /
différenciations par type de problèmes étudiés,
par type de méthodes employées ou encore par
objets d’étude.

51
Un autre point qui réduit la portée de telles
classifications est le caractère « flou » du
périmètre de chaque discipline scientifique,
qui rend parfois très difficile de classer une
discipline parmi telle ou telle catégorie.

52
Ce problème est également renforcé par le fait
que les sciences évoluent dans le temps, et
qu’une classification proposée à un instant
donné peut devenir obsolète dans un futur
plus ou moins lointain.

53
Quelques types courants de classification :

• Sciences formelles / sciences empiriques.

Aux sciences formelles, appartiennent


principalement les mathématiques et la logique.

54
Aux sciences empiriques, s’identifient toutes les
autres disciplines académiques : physique,
biologie, psychologie, sociologie, économie,
histoire, etc.

55
Objet des sciences formelles

Les sciences formelles font dans une large


mesure abstraction du contenu pour se focaliser
sur la forme.

56
Peu importe par exemple au mathématicien
d’avoir affaire à dix oranges, à sept moutons ou
cent femmes : seules l’intéressent les propriétés
des nombres et des opérations sur les nombres,
la question « des nombres de quoi ?» étant
indifférente.

57
Peu importe de même au logicien qu’un
raisonnement traite d’hommes, du fait d’être
mortel ou de quoi que ce soit d’autre : seule
l’intéresse la manière dont s’enchaînent les
propositions dans les raisonnements.

58
Le concept de science formelle renvoie à l’idée
d’une certaine indépendance par rapport à
l’expérience sensible à la réalité matérielle
extérieure.

59
Le mathématicien a ainsi affaire à des figures
(en géométrie) ou à des nombres (en
arithmétique) qui sont des objets purement
conceptuels, des formes idéales (une ligne
parfaitement droite, un triangle exactement
isocèle, etc.) jamais telles quelles observées
dans la nature.
60
Objet des sciences empiriques

L’adjectif « empirique » signifie : « qui se


rapporte à l’expérience sensible ». Les sciences
empiriques ou sciences de l’empirie
s’intéressent donc à certains aspects spécifiés de
l’expérience sensible :

61
la physique à la réalité matérielle inanimée, la
biologie aux principes internes du
fonctionnement des êtres vivants, la
psychologie aux aspects psychiques des
comportements individuels humains, etc.

62
L’objet visé par les sciences empiriques est
supposé ne pas être une pure création de l’esprit
humain. Il n’est donc pas purement conceptuel :
il présente un certain ancrage matériel et se
manifeste au travers d’observations.

63
Différence sciences formelles/sciences
empiriques

C’est avant tout une différence dans la nature de


l’objet visé : objet purement conceptuel pour les
sciences formelles, objet matériel pour les
sciences empiriques.

64
Mais cette différence au niveau de l’objet se
répercute au niveau des méthodes
d’investigation et de validation.

65
Les sciences formelles utilisent les ressources de
la pensée, recourent à la méthode hypothético-
déductive.

66
Les sciences empiriques font en outre appel à
des observations concrètes, voire à une
expérimentation active et systématique
(autrement à la méthode expérimentale).

67
• Sciences de la nature/sciences de l’homme et
de la société

A l’intérieur des sciences empiriques, on


distingue :

- les sciences de la nature : physique, chimie et


science de la vie,
68
- les sciences de l’homme et de la société
(encore dites sciences humaines et sociales) :
psychologie, sociologie, ethnologie,
anthropologie, économie, linguistique,
histoire, droit, etc.

69
Les sciences de la nature traitent du
fonctionnement interne de la nature animée ou
inanimée. Elles isolent notamment des
successions constantes de phénomènes,
appelées lois de la nature.

70
Les sciences de l’homme et de la société (ou
social sciences pour les anglophones) étudient,
elles, les comportements humains et les
structures sociales qui en constituent le cadre.

71
• Sciences dures/sciences molles

Cette opposition repose essentiellement sur un


jugement de valeur. Il y a d’un côté les vraies
sciences, soit un prestigieux ensemble de
disciplines nobles, de méthodes fiables et de
résultats incontestés ;

72
de l’autre, des sciences au rabais (qui aux yeux
de certains n’ont de science que le nom), soit
une série disparate de pratiques discutées, de
méthodes douteuses et de résultats largement
débattus.

73
La physique, unanimement considérée comme
la reine des sciences empiriques, est presque
toujours érigée en paradigme des sciences
dures. Psychologie, sociologie et économie
sont, du point de vue dominant, les « plus
dures » des sciences molles.

74
En dépit des différences d’appréciation qui
subsistent quand on rentre dans les détails, on
s’accorde en général à reconnaître que les
sciences « molles » ne peuvent prétendre ni au
même degré de rigueur, de formalisation et
d’axiomatisation,

75
ni au même niveau d’efficacité prédictive que
les sciences dures. Ces dernières ont en outre
des retombées techniques et pratiques plus
tangibles et maîtrisées.

76
77
1.3 Épistémologie : mise en rapport avec
d’autres disciplines

L’épistémologie entretient des rapports plus ou


moins étroits avec un grand nombre de
disciplines connexes :

78
- soit en les utilisant comme outils
méthodologiques ou en exploitant leurs
résultats,
- soit en abordant le même objet (les sciences)
dans une perspective à certains égards
différente.

79
1.3.1 L’épistémologie comme science
empirique

Certains philosophes ont proposé de voir


l’épistémologie comme une science empirique
dont l’objet d’étude serait les théories
scientifiques.

80
Le philosophe et logicien américain Willard
Van Orman Quine (1908-2000) défendit cette
thèse dans un article daté de 1951 et introduisit
le terme naturalized epistemology (traduit en
français par épistémologie naturalisée ou
naturelle) en 1969.

81
Épistémologie naturalisée ou naturelle

Dans cette perspective, l’épistémologie doit


s’assigner l’objectif plus modeste mais aussi
plus réalisable de « découvrir comment la
science se développe et s’apprend en réalité ».

82
Elle doit plus précisément : d’une part, décrire le
processus par lequel se constituent effectivement
les connaissances acquises ; d’autre part,
approfondir la signification des discours que les
théories en vigueur tiennent sur le monde.

83
Épistémologie évolutionnaire

L’épistémologie évolutionnaire est en général


considérée comme un genre particulier
d’épistémologie naturalisée, et désigne une
famille de théories de la connaissance qui,
toutes, s’appuient sur une théorie biologique
évolutionniste pour penser le progrès de la
connaissance. 84
L’évolutionnisme

Le paradigme biologique évolutionniste émerge


au cours du XIXe siècle et reste attaché au nom
de DARWIN (1809-1882) à travers son livre «
L’origine des espèces».

85
Il s’oppose alors au fixisme, c’est-à-dire à la
thèse d’un ensemble d’espèces vivantes
immuables et absolument indépendantes les
unes des autres, créées telles quelles et une fois
pour toutes.

86
Il se développe en effet autour de cette idée
centrale : les espèces vivantes dérivent les unes
des autres, les formes animales les plus récentes
étant les descendantes d’autres formes plus
anciennes éventuellement très différentes.

87
Aujourd’hui, l’adjectif « évolutionniste »
qualifie non seulement les théories biologiques
structurées autour de cette idée, mais aussi
l’ensemble de plus en plus large des comptes
rendus qui, bien que traitant d’un objet différent
de celui de la biologie,

88
recourent à un mode d’explication apparenté à
celui de Darwin. Le recours au schéma
explicatif de type darwinien est en effet devenu
monnaie courante dans des domaines fort divers
de pensée.

89
Concepts clés et schéma explicatif général
des théories biologiques évolutionnistes

Quatre concepts clés structurent le compte rendu


biologique évolutionniste : variations (ou
mutations), lutte pour la survie, adaptation,
sélection naturelle.

90
Soit une espèce vivante quelconque. Les divers
membres de cette espèce produits au cours du
temps ne sont pas tous exactement identiques :
des variations surviennent en général.

91
Ces variations sont susceptibles de se
transmettre aux descendants, par un mécanisme
à spécifier (du temps de Darwin, on parle sans
plus de précision d’hérédité des caractères
acquis ).

92
Résultat : un descendant n’est plus exactement
(voire plus du tout) semblable à ses ascendants ,
et devient au bout d’un certain temps incapable
de reproduction avec les formes antérieures. On
considère alors le descendant et l’ascendant
comme des représentants de deux espèces
différentes.
93
À un moment donné, différentes espèces
vivantes se côtoient dans un environnement
donné (écosystème). Une lutte pour la vie
s’engage alors entre elles, car les ressources du
milieu naturel ne sont pas illimitées.

94
L’issue de cette compétition dépend et des
caractéristiques particulières du milieu naturel,
et des atouts spécifiques dont dispose chaque
espèce par rapport à ce milieu et aux formes
vivantes concurrentes.

95
Au bout d’un temps suffisamment long, les
espèces les plus aptes, c’est-à-dire les mieux
armées (qu’il s’agisse de caractéristiques
morphologiques ou de capacités cognitives),
survivent au détriment des autres.

96
Le résultat brut de la concurrence vitale entre
espèces, étant donné un environnement, est
nommé sélection naturelle.

L’épistémologie évolutionnaire applique le


paradigme biologique précédent au
développement de la connaissance. Cette
application est soit littérale, soit analogique.
97
Dans sa version littérale, l’épistémologie
évolutionnaire soutient que les facultés
cognitives spécifiquement humaines sont le
produit d’un processus biologique de variation
et de sélection naturelle.

98
Les lois de la logique, les règles du
raisonnement valide, le pouvoir de juger et de
délibérer efficacement (mais aussi l’aptitude à
mémoriser, à reconnaître, etc.) sont ainsi vus
comme autant de réponses adaptatives viables
propres à l’animal humain.

99
L’épistémologie évolutionnaire version littérale
est en fait une extension de la théorie
biologique évolutionniste aux facultés
intellectuelles (par rapport à la survie, on ne
considère plus seulement les transformations
morphologiques, mais aussi tout ce qui a trait
aux processus cognitifs).
100
Dans sa version analogique, l’épistémologie
évolutionnaire opère, par rapport à la théorie
darwinienne, un changement d’objet : elle traite
non plus de l’évolution des espèces animales,
mais de celle des théories scientifiques.

101
À cet objet, elle applique un mode d’explication
analogue à celui des théories biologiques
évolutionnistes.

Elle convoque en effet :

102
Un processus de variation (non plus des
membres d’une espèce animale, mais des
contenus d’une même théorie : variations
épistémiques donc).

103
Une lutte pour la vie (non plus entre espèces
animales concurrentes, mais entre hypothèses ou
théories rivales).

104
Une sélection des variétés les plus aptes (survie
des hypothèses et des théories les plus adaptées
au monde -les plus efficaces en termes de
prédictions-, disparitions des autres).

105
1.3.2 Épistémologie et philosophie des
sciences

La philosophie des sciences est une branche de


la philosophie qui étudie les fondements, les
systèmes et les implications de la science.

106
Il est possible de distinguer épistémologie et
philosophie des sciences sur la base du fait que
la première considère l’étude des sciences
comme une fin en soi (caractériser les concepts
et les méthodes propres aux sciences)

107
tandis que la seconde ne la considère que
comme un moyen (en vue par exemple de
trouver un fondement philosophique à toute
connaissance, ou encore de trancher une
question philosophique comme celle du
déterminisme).
108
Si le terme épistémologie est de création
récente, la philosophie des sciences existe
depuis l’antiquité, puisque la science est prise
comme objet de réflexion par Platon (428-346
av. J.-C.) et Aristote (384-322 av. J.-C.).

109
Mais c’est en fait seulement avec le philosophe
Emmanuel Kant (1724-1804) que se constitue
le projet spécifique de la philosophie des
sciences proprement dite : considérer la science
comme un objet bien distinct de la philosophie
dont la philosophie se doit de déterminer les
conditions de possibilité, la valeur et les
limites. 110
Il paraît toutefois difficile de soutenir que
l’épistémologie peut être coupée de toute
philosophie. L’épistémologie reste un discours
réflexif et critique sur les sciences (deux
attributs caractéristiques de la philosophie).

111
De par sa nature, l’épistémologie appartient au
champ de la philosophie, et ne peut pas être
considérée comme complètement étrangère à la
philosophie des sciences. Elle en fait même
partie.

112
1.3.3 Épistémologie et histoire des sciences

La science a une histoire : les concepts, les


théories, les méthodes et l’objet de chaque
science évoluent indéniablement.
L’épistémologie peut ou non prendre en compte
cette histoire.

113
Dans le premier cas, elle adopte une méthode
diachronique, c’est-à-dire étudie les conditions
de la genèse et du développement des
connaissances scientifiques.

114
Dans le second cas, elle opte en revanche pour
une méthode synchronique : elle considère la
science actuelle déjà constituée, et, mettant
complètement entre parenthèses les étapes
historiques de sa production,

115
se livre à une analyse directe de ses concepts, de
ses énoncés et de sa structure, explicite ses
principes fondamentaux, discute ses méthodes,
délimite son objet…

116
L’histoire des sciences est susceptible
d’instruire l’épistémologie à divers niveaux.
Elle permet, entre autres :

- de mieux comprendre l’état présent de la


science ;

- d’analyser la nature de l’évolution


scientifique ;
117
- d’apporter des éléments sur la nature des
déterminants de l’évolution scientifique ;

- d’éclairer la question de ce qui, dans la


science, est a posteriori (c’est-à-dire trouve sa
source dans l’expérience, est imposé par la
nature de l’objet d’étude)
118
et a priori (c’est-à-dire provient du sujet
connaissant, est rajouté par l’homme aux
données empiriques) ;

119
- de distinguer, dans les méta-discours sur la
science, entre ce qui relève du mythe, c’est-à-
dire ne procède que de la représentation
fantasmatique, idéalisée, de la science,

120
- et ce qui peut prétendre être une
description authentique des pratiques
effectives correspondant aux disciplines
réelles que l’on dit scientifiques.

121
1.3.4 Épistémologie et sociologie des sciences

L’épistémologie se tourne également vers la


sociologie des sciences pour y puiser des
renseignements sur les interactions entre la
science (ou une science) et la société, et ceci
afin de répondre aux trois questions suivantes :

122
(1). En quoi une science (ou la science) a-t-
elle influé sur l’organisation politique,
économique et sociale d’une société (ou d’un
sous-groupe identifié), ou encore sur
l’évolution de la pensée philosophique et
religieuse, de la littérature, …?

123
(2). Quelles ont été ou sont les contraintes
sociologiques exercées par la société (ou un
sous-groupe) sur le développement d’une
science ou d’une théorie scientifique ?

124
(3) Les opinions philosophiques, religieuses et
politiques des chercheurs ont-elles une
influence sur le développement et le contenu
des théories scientifiques, et si oui laquelle ?

125
2. La question du progrès scientifique

« Nous sommes comme des nains juchés sur des


épaules de géants. Nous voyons ainsi davantage et
plus loin qu’eux, non parce que notre vue est plus
aiguë ou notre taille plus haute, mais parce qu’ils
nous portent en l’air et nous élèvent de toute leur
hauteur gigantesque. »

126
Ces propos attribués à Bernard de Chartes, un des
maîtres de la scolastique au XIIème siècle, exprime la
continuité de l’activité intellectuelle et donne une
vision cumulative de l’évolution du savoir.

127
Cette même image est reprise des siècles plus tard par
Isaac Newton dans une lettre à Robert Hooke datant
de1676 : « si j’ai pu voir aussi loin, c’est parce que
j’étais juché sur les épaules de géants. »

128
L’idée de « progrès de la science », ou plutôt celle
qu’il existe un progrès scientifique continu depuis
plusieurs siècles est généralement associée à
l’évolution technologique, particulièrement frappante
depuis la seconde moitié du XXème siècle.

129
Les théories et les modèles ont considérablement
évolué et de très nombreuses nouvelles disciplines
sont apparues. Cette évolution des sciences
empiriques (mais les sciences formelles ont elles aussi
connu des développements spectaculaires) appelle de
nombreuses questions dont les trois suivantes :

130
(1). Y a-t-il progrès scientifique, au sens où les
sciences modernes sont supérieures (et en quoi ?) à
celles des siècles passés ?
Quel est donc le sens exact du terme progrès lorsqu’il
s’agit des sciences ?

131
(2). Comment les sciences évoluent-elles ?
De manière continue, ou au contraire subissent-elles
de grandes ruptures, des révolutions scientifiques ?

132
(3). Quels sont les facteurs qui déterminent cette
évolution ?
Le développement scientifique est-il influencé par des
facteurs extérieurs à la science, comme des
contraintes sociales ou sociologiques, économiques,
religieuses, politiques ou philosophiques ?

133
Les facteurs du progrès scientifique

Une évolution partiellement subjective ?


Internalisme et externalisme

L’internalisme et l’externalisme sont d’abord des


méthodes de description appartenant à l’histoire des
sciences : l’internalisme vise à décrire l’évolution des
sciences en mettant l’accent sur les facteurs internes
au champ scientifique,
134
alors que l’externalisme consiste à faire porter
l’analyse sur les facteurs externes au champ
scientifique.

Pour les défenseurs de l’internalisme, ce sont les


facteurs internes qui guident l’évolution des sciences.
Les facteurs extra scientifiques (économiques,
sociologiques, religieux, …) n’ont alors pas
d’importance ou n’ont qu’un rôle très mineur.
135
Les partisans de l’externalisme, quant à eux, donnent
une importance réelle aux facteurs externes. Dans sa
version la plus extrême, l’externalisme fait de la
science le simple produit des contraintes économiques,
sociales, religieuses et politiques.

136
Entre les deux extrêmes (internalisme pur et
externalisme radical) se situe la thèse aujourd’hui la
plus répandue, dite thèse faible, selon laquelle c’est la
somme des contraintes externes et internes qui fait
avancer les sciences

137
Elle est dite faible, car elle soutient que les facteurs
externes ne sont que des contraintes conditionnantes,
et donc que le contenu des théories scientifiques n’est
pas réductible aux facteurs sociaux.

Cette thèse faible a été défendue, entre autres, par


Alexandre Koyré, Thomas Kuhn et Gaston Bachelard

138
3. Présentation historique des classifications

La liste des classifications présentée ici n’a


nullement l’objectif d’être exhaustive.
Elle a pour but de montrer l’évolution à travers les
âges de la manière dont la science a été conçue.

139
Classification proposée par Aristote

Une des premières classifications connues est celle


proposée par Aristote (384-322 av.J.-C.), qui
distingue :

(1) Les sciences théoriques ou de pure


connaissance : mathématiques, physique,
métaphysique.
140
(2) Les sciences pratiques ou de l’action : morale,
économie, politique.

(3) Les sciences poétiques ou de la création :


rhétorique, dialectique, poétique.

Comme on peut le voir, la conception des sciences


d’Aristote déborde très largement la définition
acceptée de nos jours.
141
Elle couvre en effet l’ensemble des domaines de
l’activité intellectuelle du monde à son époque, et
serait de nos jours considérée comme plus proche
d’une théorie générale de la connaissance.

142
Classification proposée par Bacon

Le philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626) a


proposé la classification suivante :

(1) Les sciences de la mémoire : histoire naturelle,


histoire civile; l’histoire est ou naturelle ou civile ,
selon qu’elle a pour objet les faits du monde extérieur
ou ceux de la vie humaine.
143
(2) Les sciences de l’imagination : poésie.

3) Les sciences de la raison : philosophie, conçue


(

comme l’étude de Dieu, de la nature et de l’homme.

Cette classification est fondée sur les « facultés de


l’âme » (mémoire, imagination, raison) telles qu’elles
étaient imaginées par Bacon
144
On remarque que, dans ce cas également, le champ
des disciplines scientifiques est plus étendu que celui
reconnu aujourd’hui.

145
Classification proposée par Ampère

Gustave Ampère (1775-1836) a établi une


classification hiérarchique basée sur le principe de
dichotomie : chaque classe se divise en deux,
chacune des nouvelles classes se divisant à son tour
en deux, et ainsi de suite.

146
Le premier niveau de division est :

(1) Les sciences cosmologiques, qui ont pour objet


le monde matériel;

(2) Les sciences noologiques, qui ont pour objet


l’esprit.

147
Il divise les premières en cosmologiques
proprement dites, ou sciences de la matière
inorganique, et physiologiques, ou sciences de la
matière organisée et vivante. De même il divise les
secondes en noologiques proprement dites et
sociales.

148
De subdivisions en subdivisions, il arrive à cent
vingt-huit (128) sciences, qui embrassent toutes les
connaissances humaines.

Le mérite de cette classification est d'être fondée sur


la considération des objets des sciences; mais elle est
singulièrement compliquée et dissimule entièrement
le rapport entre les différentes sciences.

149
Classification proposée par Comte

Pour établir sa classification, Comte (1798-1857)


opère une séparation entre les sciences théoriques et
les techniques qu’elles fondent, puis il sépare les
sciences abstraites et générales des sciences
concrètes, particulières et descriptives.

150
Sa première classification pour les sciences
théoriques/abstraites et générales est :
1. Mathématiques 2. Astronomie. 3. Physique. 4.
Chimie. 5. Biologie. 6. Sociologie.
Cette classification suit un double critère logique et
chronologique.

151
Le critère logique est un ordre de généralité
décroissante et de complexité croissante des
phénomènes étudiés.

152
On va des phénomènes les plus simples et les plus
généraux aux phénomènes les plus complexes et les
plus particuliers. Les plus complexes dépendent des
moins complexes tandis que les plus simples sont
indépendants des moins simples.

153
Le critère chronologique est celui de la naissance de
chaque discipline scientifique.
On détermine souvent la « date de naissance » en
repérant, dans l’histoire des idées, le moment où
apparaissent des résultats fondateurs ou encore des
méthodes de travail jugées fondatrices pour les
développements futurs.

154
Classification proposée par Spencer
Le philosophe et sociologue anglais Herbert
Spencer (1820-1903) a mis au point une
classification plus proche de la conception moderne
de la science :

(1) Les sciences abstraites, qui ont pour objet les


formes générales des phénomènes : logique,
mathématiques. 155
(2) Les sciences abstraites-concrètes, qui étudient
les phénomènes dans leurs éléments fondamentaux :
mécanique, physique, chimie.

(3) Les sciences concrètes, qui traitent des


phénomènes dans leur ensemble : astronomie,
géologie, biologie, psychologie, sociologie.

156
Comme on peut le voir, toutes les sciences retenues
par Spencer vérifient les critères de scientificité
retenus de nos jours.

157

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