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Epistémologie juridique

Leçon 1 : Introduction au cours d'épistémologie juridique

Table des matières


Section 1 : Notion d'épistémologie........................................................................................................................... p. 2
Section 2 : Intérêt de l'épistémologie du droit.........................................................................................................p. 4
Section 3 : Distinctions.............................................................................................................................................. p. 5
§1. Elle n’est d’abord pas l’histoire du droit........................................................................................................................................ p. 5
§2. Elle n’est pas la sociologie du droit...............................................................................................................................................p. 5
§3. Elle n'est pas l'anthropologie ou l'ethnologie du droit................................................................................................................... p. 7
§4. Elle n'est pas la philosophie du droit............................................................................................................................................ p. 8
§5. Elle n’est qu’en partie la théorie du droit...................................................................................................................................... p. 9
§6. Elle n’est qu’en partie la méthodologie du droit............................................................................................................................ p. 9
Section 4 : Conception............................................................................................................................................. p. 11
Section 5 : Plan du cours.........................................................................................................................................p. 14

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Section 1 : Notion d'épistémologie
D’abord, partons de l’idée, assez heuristique (du grec ancien eurisko, « je trouve », se dit de ce qui est utile
pour découvrir ou de comprendre quelque chose), que la question de l’épistémologie dépasse de très loin
le monde du droit, et qu’il s’agit d’un savoir qui concerne tous les champs de la connaissance(et la
connaissance de la connaissance elle-même, c'est-à-dire la gnoséologie).

Remarque
D’ailleurs, la consultation des monographies consacrées à l’épistémologie, sans précision d’un champ
particulier, révèle la quasi-inexistence des disciplines juridiques de la réflexion générale des épistémologues.
Très peu d’ouvrages mentionnent le droit comme objet de connaissance et à peu près aucun comme science.
A l’inverse, les rares ouvrages d’épistémologie juridique ou d’épistémologie du droit (ce n’est peut-être pas
la même chose) font peu de cas des ouvrages d’épistémologie non rédigés par des juristes.

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Toutefois, pour un ouvrage d'initiation LE MOIGNE, Jean-Louis (1995), Les épistémologies constructivistes,
ème
4 éd. 2012, Que sais-je ?, PUF, n° 2969, qui évoque les droits de l’homme, p. 4.

Epistémologie vient du grec ancien epistémê « connaissance vraie, science » et lógos « discours », et permet
ainsi de désigner aussi bien
- l’étude des conditions de production des savoirs que
- l'obligation de respecter ces mêmes conditions pour une connaissance « vraie » (ou tenue pour telle dans
une communauté de « sachants »).

Remarque
Il est temps d’apporter une précision concernant la polysémie du terme "épistémologie". Epistémologie n’a
pas exactement le même sens dans le monde francophone et dans le monde anglo-saxon (epistemology) où
elle constitue l'étude de la connaissance en général.
En France, elle est surtout l'étude critique des sciences et de la connaissance scientifique. Elle déploie
une perspective de socio-histoire des savoirs en théorisant les liens qu’entretiennent les sciences avec les
communautés scientifiques et donc leurs liens avec le politique, la culture, l’économie.
Chez les anglo-saxons, l’approche est davantage analytique et pragmatique et porte principalement
sur le degré de scientificité d’un discours cognitif, un discours de connaissance. Des penseurs de
différents horizons réfléchissent depuis longtemps à la question de la connaissance, du savoir, des sciences.
Il s’agit souvent de philosophes, mais aussi, comme ici, de spécialistes d’autres champs du savoir qui
s’interrogent sur leurs propres savoirs ou méthode : historiens, sociologues, etc… ils deviennent en quelque
sorte les objets d’études les uns des autres. On peut rassembler ces réflexions sous le thème de la «
théorie de la connaissance », qui a été longtemps une spécialité française en ce qu’elle mêle les approches
philosophiques, sociologiques et historiques. C'est aussi ce que les anglosaxons nomment Epistémologie
sociale.

Selon Hervé BARREAU (1990, L’épistémologie, Que sais-je ?, PUF), l’épistémologie comme science de la
connaissance ne se sépare pas d’une construction historique qui a permis de perfectionner le savoir sur
le savoir (ce que les anglo-saxons nomment social epistemology) (cf. art. « Epistémologie sociale », in Le
dictionnaire des sciences humaines, Dir. S. Mesure et P. Sadivan, PUF, 2006, p. 382 : « La théorie sociale de
la connaissance se soucie plus spécialement du rôle que joue la socialisation des acteurs dans la possibilité
de la connaissance en général »). Mais au cœur de cette théorie de la connaissance, il existe une approche
plus spécifique qui s’attache à ne révéler que les conditions de scientificité de la connaissance.

"Epistémologie" peut donc désigner généralement à la fois :

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- la théorie de la connaissance, qui décrit les différents modes de "savoir" et cherche éventuellement la
réponse à la question: « à quel titre une croyance est-elle, en fait, dans un société donnée, une connaissance ?
»; cela soit dans une approche « théorétique » (Étude de la connaissance pure), soit pour montrer la faible
spécificité des énoncés dits "scientifiques" par rapport à n'importe quelle croyance.
- la théorie des sciences, plus étroite et analytique, qui s’interroge sur les formes, modalités et fondements
d’une connaissance vraie et théorisable. Elle se veut "normative" et les anglo-axons l'appellent normative
epistemology. Sous la forme de l'applied epistemology, elle se confond alors avec la méthodologie
scientifique.

ème
Pour M. Le Moigne (LE MOIGNE, Jean-Louis (1995), Les épistémologies constructivistes, 4 éd. 2012,
Que sais-je ?, PUF, n° 2969) l’épistémologie pose trois questions : le statut, la méthode et la valeur de la
connaissance :
• Le statut : qu’est-ce que la connaissance ? : question gnoséologique (genèse, nature et forme des
connaissances).
• La méthode : comment la connaissance est-elle constituée et engendrée.
• La valeur : validité éthique.

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Section 2 : Intérêt de l'épistémologie du
droit
Si on confond le droit comme un ensemble de règles avec le droit comme discipline qui étudie cet ensemble
de règles, alors l’épistémologie permettra tout au plus de dégager des « tropes », c’est-à-dire des schémas de
pensée récurrents, des figures de style ou de raisonnement utilisées par le discours juridique. Il s’agit d’une
première étape d’observation et de généralisation intuitive qui s’accompagne très vite d’une volonté d’imposer
de poursuivre ce qui se fait. Dans cette approche, l’étude de l’objet reflète l’objet lui-même dans un jeu de
miroirs auquel se livrent toutes les écoles de droit du monde qui glosent sur leur objet et admettent que leurs
analyses s’intègrent à l’objet lui-même (c’est l’idée de la « doctrine source du droit »). Cette épistémologie-là
porte le nom de doctrine, de glose ou de « dogmatique ».

Mais si on entend au contraire bien distinguer l’étude du droit du droit lui-même (attitude très
minoritaire parmi les études académiques), il s’agit déjà d’un choix épistémologique qui offre ainsi
l’intérêt de comprendre pourquoi et comment on peut produire un savoir sur le droit qui soit utile et
pertinent. Est-il intéressant, pour les juristes mais aussi pour d’autres sachants, ou tout simplement pour
tous, de savoir quelque chose sur le droit qui ne soit pas « du droit » ? Si c’est le cas, un discours de nature
scientifique est-il possible sur le droit ou doit-on se contenter d’une approche intuitive non théorisable, simple
discours savant relevant de l’artisanat ou de l’art ? Sur un autre plan, le droit (comme objet) est-il lui-même
le produit d’une science, comme l’affirment certains auteurs ? Est-il rationnel de prétendre que le droit est lui-
même une vision rationalisatrice du monde ?

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Section 3 : Distinctions
Il convient sans doute d’insister sur ce que l’épistémologie juridique n’est pas.

§1. Elle n’est d’abord pas l’histoire du droit


Cela paraît relativement facile à percevoir : la description d’états antérieurs des règles de droit ne saurait
tenir lieu de condition de scientificité, ou même de rigueur minimum, d’une étude du droit. Et pourtant
la confusion est possible.

C’est premièrement le cas si on adopte une conception historique du droit qui considère le droit comme
la sédimentation de choix sociaux inhérents à un peuple ou une culture donnée. Dans ce cas, l’étude du
droit, les méthodes utilisées et les concepts fondamentaux peuvent se confondre avec le droit lui-même. Le
travail des juristes (praticiens et académiciens) se résume à révéler un droit « déjà-là » et donc à n’étudier
que les déterminants historiques de ce droit. Le cadre épistémologique se calque purement et simplement sur
l’historicité du phénomène.

Dans son Histoire du droit romain (Gustav Hugo, Lehrbuch der Geschichte des Römischen Rechts, 1790),
Gustav Hugo, l’un des fondateurs allemands de cette approche du droit écrivait que « l’histoire forme la moitié
de la partie scientifique du droit, c’est-à-dire de celle qui n’est pas purement manuelle ou routinière ». Savigny
a recherché dans les institutions romaines une « grammaire universelle du droit », c’est-à-dire des concepts
communs à tous les systèmes juridiques postérieurs, qu’il conçoit comme des outils intellectuels, de nature
épistémologique autant que réels. Jhering mit fin à cette approche : selon lui « la science n’est pas condamnée
à une attitude purement réceptive vis-à-vis de la matière historique », « elle peut et elle doit exercer une fonction
productive » (JHERING R. von, 1902, Études complémentaires de l’esprit du droit romain, Tome IV :Mélanges
(traduction française : MEULENAERE), Paris, Marescq., cité par Jean-Louis Halpérin, « L'histoire du droit
constituée en discipline : consécration ou repli identitaire ? », Revue d'Histoire des Sciences Humaines 2001/1
(n° 4), p. 9-32).

Mais, deuxièmement, sans tomber dans ce travers, ce peut être, dans une moindre mesure, un réflexe de
toute recherche à visée explicative que de se reporter à la compréhension historique et de ne se donner
comme méthode que la recherche des conditions de formation historique d’un corpus juridique.

L’histoire du droit constitue ainsi une discipline à part entière, académiquement autonomisée par rapport aux
autres champs disciplinaires par le truchement d’une section spéciale du Conseil National des Universités.
L’épistémologie utilisée généralement en histoire du droit ne diffère pas vraiment des autres disciplines
historiques mais son originalité repose sur l’étude des textes d’emblée considérés comme « juridiques » en les
prenant comme tels et non comme simples témoignages d’une activité politique ou sociale. De ce point de vue,
l’histoire du droit relève plus du champ disciplinaire du droit que de celui de l’histoire car elle présuppose une «
ontologie » préalable, c’est-à-dire une conception de ce qu’est le droit. D’ailleurs, historiquement les premiers
enseignants n’étaient pas des historiens mais des civilistes et de romanistes avant que ne s’autonomise une
ème
méthode historique et, à la fin du 19 , plusieurs professeurs se sont opposés à la création d’une agrégation
spécifique à l’histoire du droit au nom de l’unité des sciences juridiques. Esmein plaidait à l’inverse pour «
ériger l’histoire du droit en « méthode » plutôt qu’en « ordre de connaissances ». (Cf. Jean-Louis Halpérin, «
L'histoire du droit constituée en discipline… », préc.). Cette solution semble attester que c’est la méthode de
travail qui fait l’objet étudié. A partir de là, la discipline s’est fortement autonomisée, et vis-à-vis du droit « positif
» et par rapport aux autres disciplines historiques (Jacques POUMAREDE, 1980, Pavane pour une histoire du
droit défunte (sur un centenaire oublié), Procès, 6, 91-102) et au détriment d’une ouverture épistémologique
vers les sciences humaines. L’histoire du droit demeure donc largement une étude du droit dans sa spécificité
de règle et non une étude des faits historiques.

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§2. Elle n’est pas la sociologie du droit
La sociologie du droit « exerce une fonction démystificatrice trahissant le mystère du droit » (André-Jean
Arnaud, « A la recherche d’un statut épistémologique propre », in Le droit trahi par la sociologie, Droit et
société, 1998, n° 4, Recherches et travaux, p. 63). L’étude des faits sociaux revient à la sociologie et plus
particulièrement à ses branches qui se reconnaissent dans la sociologie « du droit ». Ici le droit est perçu
comme un fait social et l’épistémologie revendiquée se veut en rupture avec les disciplines du droit,
tout en prenant en compte la spécificité de l’objet « normes juridiques » par rapport aux normes
sociales appréhendées comme de purs faits.

Mais dès l’origine les débats épistémologiques, qui se greffent sur ceux de la naissance de la sociologie elle-
même, suscitent des problèmes de frontières, de disciplines. Alors que les manifestes fondateurs de Durkheim
ou Weber mettent l’accent sur l’originalité de l’objet de la sociologie (excluant le droit jugé naturellement coupé
des faits), la sociologie « du » droit prétend renouer avec une prise en compte de la normativité spécifique du
droit, de son efficacité à modifier les comportements sociaux.

L’expression « Sociologie du droit » a été semble-t-il utilisée pour la première fois en 1913 par le juriste
autrichien Eugen Ehrlich.

La sociologie juridique concerne donc l'étude des phénomènes sociaux pour lesquels existe un lien avec le
monde juridique ou encore l'étude des interrelations entre droit et société, ce qui implique à la fois l'étude des
manifestations du droit et de ses influences sur la société et celle des activités se développant au sein de
la société et de leurs influences sur droit.

Le « point de vue sociologique » permet d’étudier les comportements orientés par le droit comme outil rationnel
de normalisation. Il s’agit de rendre compte de la manière dont les hommes intègrent subjectivement
les prescriptions juridiques mais aussi des modes de production et de mobilisation des normes, par
ailleurs considérées comme juridiques. Ainsi que l’écrit Margarida Garcia (« Le concept de « droits de
la personne » et son observation théorique et empirique », Droit et société, n°89, 2015, p. 171) : « Pour
l’observation sociologique qui se rend sensible au caractère polycontexturel de la réalité, la description de la
« réalité » consiste non pas tant à l’observation d’une chose ou d’un objet, mais bien en l’observation de la
manière par laquelle une « chose » ou un « objet » est observé (et donc construit) différemment par différents
observateurs ».

Au-delà de la question de l’objet et des méthodes, qui sont celles de la sociologie en général (les méthodes
quantitatives comme les statistiques et les sondages et les méthodes qualitatives comme l’observation
détaillée, description de situation, analyse de discours, enquête et entretiens), le projet même de la sociologie
du droit se trouve discuté (Cf. A.-J. Arnaud, « A la recherche d’un statut épistémologique propre », in Le droit
trahi par la sociologie. Droit et Société. Recherches et travaux, n° 4, 1998, pp. 63 et s. ; A.-J. Arnaud et M. J.
Farinas Dulce, Introduction à l'analyse sociologique des systèmes juridiques, Bruylant, 1998, 378 p.).

Il y aurait ainsi deux grands types de sociologie juridique:

• La première, souvent celle qui est pratiquée par les juristes de formation, correspond à une conception
instrumentale, technicienne, où la sociologie juridique est mise au service du droit et de son
amélioration. La sociologie devient une discipline ancillaire (« au service de ») du droit. Non pas comme
outil de connaissance du droit mais comme outil d’aide à la décision. La « sociologie législative » de
Jean Carbonnier s'inscrit dans cette tradition puisqu'elle est présentée comme un instrument d' « aide
aux législateurs ». Il s’agit d’une connaissance à finalité prescriptive, une « science de gouvernement ».
• La seconde, plutôt celle des chercheurs en sociologie générale et plus encore en sociologie politique,
étudie le droit en tant que révélateur de processus sociaux généraux, du fonctionnement et des
transformations de la société.

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Il existe aussi une sociologie des professionnels du droit eux-mêmes, qui étudie les activités et les parcours
des professionnels du droit (P. Lascoumes et E. Serverin, « Le droit comme activité sociale : pour une approche
weberienne des activités juridiques », Droit et Société, n° 9, 1988).

La sociologie juridique ne peut pas être ici seulement descriptive mais, précisément, compréhensive (c'est-
à-dire qui cherche à exposer le point de vue des agents individuels et non seulement donner des règles
générales et abstraites qui expliquent des récurrences ou des "lois sociales) et de nature plutôt qualitative, en
s'attachant à l'étude des activités sociales et non pas simplement à celle d'un droit posé comme fait social.
La sociologie du droit a donc un objet propre : le droit comme outil d’instauration de normes sociales et, sans
doute, de domination. Elle emploie la méthode générale des sciences sociales. Elle n’échappe pas alors au
phénomène de balkanisation que connaît discipline en raison de la diversité des paradigmes (selon que les
auteurs adhèrent plus ou moins au principe de l’individualisme méthodologique).

Ainsi, Durkheim pensait le droit comme un ensemble de règles contraignantes dont le respect est la condition
de l’avènement de l’individu à la société et le marqueur de l’évolution d’une solidarité mécanique à une solidarité
organique (par la division du travail E. Durkheim, De la division du travail social, PUF, 1883, rééd. 1973). Certes,
chez lui, la norme sociale, dont le droit est l'une des formes, ne se vit pas toujours comme une contrainte
extérieure subie mais aussi comme une norme souhaitée, mais sa force subversive est secondaire.

Plus radicalement, la sociologie du droit a parfois épousé les thèses fondamentales du marxisme, faisant du
droit une « superstructure », avant de passer des éléments plus fins à ce tamis (« De même que la richesse
de la société capitaliste revêt la forme d’une accumulation énorme de marchandises, la société dans son
ensemble se présente comme une chaîne ininterrompue de rapports juridiques », E.B. Pasukanis, La théorie
générale du droit et le marxisme, Paris, EDI, 1970, p. 75).

La sociologie du droit, c’est un lieu commun, a connu en France un développement assez faible par
rapport à d’autres pays comparables. A cela plusieurs facteurs : la division et l’enclosure des disciplines dans
la tradition académique française, le faible attrait idéologique du droit pour les différentes écoles françaises
de sociologie, la tradition exégétique des juristes français, la sécession de la science politique par rapport au
droit, etc…

La sociologie du droit des juristes est souvent « sans rigueur » ainsi que l’avoue le sous-titre d’une œuvre
ème
de référence due au doyen Carbonnier (Flexible droit, LGDJ, 6 éd. 1988). Mais elle peut emprunter ses
concepts aux grands noms de la sociologie, même quand ceux-ci ont peu étudié la question du droit. Ainsi
peut-on utiliser le concept de « champ » tel que proposé par Pierre Bourdieu (Le métier de sociologue :
préalables épistémologiques, avec Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, Mouton, 1973, p.
47). L’idée de champ signifie le partage d’enjeux, de manières d’être et de faire par les acteurs sociaux définis
par l’autonomie de ce champ et son identité collective. Cela permet d’étudier le champ des « juristes » entendu
comme un ensemble de professions qui partagent une forme de savoir, de culture et d’ « habitus » communs
(Laurent Willemez, « Un champ mis à l’épreuve. Structure et propriétés du champ juridique dans la France
contemporaine, Droit et société, n° 89, 2015, p. 129). « La constitution du champ juridique est inséparable de
la constitution du monopole des professionnels sur la production et la commercialisation de cette catégorie
particulière de produits que sont les services juridiques » (P. Bourdieu, « La force du droit », Actes de la
recherche en sciences sociales, 64, 1986, p. 3).

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Cf. Mauricio García Villegas, Aude Lejeune, « La sociologie du droit en France : De deux sociologies à la
création d'un projet pluridisciplinaire ? », Revue interdisciplinaire d'études juridiques 2011/1 (Volume 66), p.
1-39.

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§3. Elle n'est pas l'anthropologie ou
l'ethnologie du droit
L’anthropologie et l’ethnologie constituent des approches connexes qui tentent, du particulier vers le général,
de déterminer des éléments physiques, sociaux, culturels communs aux individus et aux sociétés. Selon
Claude Lévi-Strauss, il est possible de distinguer dans le métier d'anthropologue une phase ethnographique
qui observe et collecte les faits, une phase ethnologique qui les analyse, et enfin une phase anthropologique
qui compare, synthétise et théorise. (Cf. Andrée Lajoie, Cahiers d'Anthropologie du droit 2004, Revue Droit et
Cultures, hors série 2004/4, pp. 217-220). Il existe donc dans les méthodes, une parenté forte de l’ethnologie
avec la sociologie.

Cependant, ces disciplines se heurtent rapidement à une difficulté ontologique : ce qu’elles étudient dans
des sociétés non-occidentales (l’autorité, la décision, la punition, la répartition des tâche, la morale),
est-ce du droit, est-ce, plus exactement, déjà du droit ? Nos sociétés parlent d’elles-mêmes et de leur droit
en parlant « de droit ». Peut-on plaquer cette conception sur la réalité « exotique » ? Doit-on sinon considérer
que ces sociétés n’ont pas de droit ? La plupart des auteurs classiques évoquent une forme de « prédroit » pour
montrer que l’idée de contrainte ne se trouve pas tant dans le discours du droit que dans les liens sociaux eux-
mêmes sous forme de « faits normatifs » (G. Gurvitch, ; cf. Jacques Le Goff, Georges Gurvitch. Le pluralisme
créateur, Michalon, coll. « Le bien commun », 2012, 125 p.) Les fondateurs de ces disciplines évoquent plus
facilement le concept d’ « institution » en dépit de la pauvreté des justifications des règles et coutumes (M.
Mauss, «Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques» (1902-1903), Article
originalement publié dans l'Année Sociologique, seconde série, 1923-1924. In Sociologie et anthropologie.
Paris, PUF, 1968, Quatrième édition, 482 pages, Bibliothèque de sociologie contemporaine).

L’anthropologie ou l’ethnologie du droit permettent de penser plus aisément que d’autres disciplines
la question du pluralisme juridique, tant au sens de la diversité des conceptions du droit (N. Rouland,
ère
Anthropologie juridique, Collection droit politique et théorique, PUF, 1988, 1 édition que de la diversité des
sources sociales du droit dans les pays étatisés (N. Rouland, L’Etat français et le pluralisme, O. Jacob, 1995).

§4. Elle n'est pas la philosophie du droit


Là encore, les deux approches, épistémologique et philosophique, sont siamoises. Souvent les analyses
d’épistémologie et de méthodologie des sciences relèvent des activités à part entière de la philosophie des
sciences et de la distinction des concepts à laquelle elle se livre. Et même quand ce n’est pas le cas, la
philosophie joue son rôle dans l’établissement et le choix d’une ontologie pour le droit, préalable à la question
de la méthode et de la science.
Ainsi, les approches épistémologiques aujourd’hui connues dépendent largement des systèmes
ou analyse de la philosophie du droit. Plus encore, une forme de correspondance existe entre les
épistémologies et la cartographie des courants philosophiques : les méthodes déductives et conceptuelles
découlent des conceptions idéalistes ou formalistes du droit, quand les méthodes et théories inductives ou
expérimentales servent l’empirisme, etc…
On peut donc toujours retrouver les sources philosophiques chez les auteurs qui s’en réclament plus ou
moins explicitement ou essayer de révéler de tels présupposés chez des auteurs qui, consciemment ou non,
s’inscrivent dans un courant d’idées.

Ils sont ainsi nombreux ceux qui ont montré les liens qui existent entre la Théorie pure de Kelsen et la
philosophie de la connaissance de Kant car, pour saisir l’objet « droit », le normativisme a recours une ontologie
idéaliste héritée de Kant (la norme et son imputation). Cf. Viala, Alexandre. « Le positivisme juridique : Kelsen
et l'héritage kantien », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, vol. 67, n° 2, 2011, pp. 95-117.
Il n’est, de même, pas difficile de comprendre la théorie de l’Institution de Maurice Hauriou, qui est le fruit
d’une épistémologie mêlant analyses sociologiques et métaphores scientifiques avec l’idéalisme juridique, à
l’aune de son credo « positiviste comtiste » et « catholique ». cf. Jean-Arnaud MAZERES, « La théorie de

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l’institution de Maurice Hauriou ou l’oscillation entre l’instituant et l’institué », Pouvoir et libertés, Mélanges
Jacques Mourgeon, Bruylant, 1998, p. 239.

En savoir plus : Biblio


• Troper Michel(2003), La philosophie du droit, Paris, PUF. (Coll. Que sais-je ?).
• VIALA, Alexandre (2010), Philosophie du droit, Ellipses, Cours magistral.
• VILLEY, Michel (1961 – 1966), La formation de la pensée juridique moderne, Les cours de droit.
• VILLEY, Michel (1969), Seize essais de philosophie du droit. Dalloz.

§5. Elle n’est qu’en partie la théorie du droit


Ce qu’on appelle généralement la théorie du droit, surtout après que Kelsen ait entendu la couper de tous liens
avec d’autres approches du droit pour en avoir une conception autonome et « pure », consiste en une étude du
droit de manière conceptualisée et systémique, à visée universelle. Comme l’écrit Jean-Claude Ricci (RICCI,
Jean-Claude, (2002), « Le statut épistémologique des théories juridiques : essai de définition d’une pratique
scientifique juridique »,Droit et société, 50-2002, p. 151-183), une théorie est « la résolution des problèmes
rencontrés (… par) la formulation d’énoncés universels, c’est-à-dire portant sur un cas concret, fournissant des
explications de tout ou partie du phénomène juridique. Ces énoncés constituent des théories juridiques car «
la théorie doit permettre d’expliquer les observations qui sont à l’origine du problème (Karl Popper). ».

Les différentes théories du droit tendent à donner une explication globale, cohérente, stable et commune d’un
objet « droit » (qui n’est pas forcément le même d’une théorie à l’autre). Selon le degré de complexité de ces
théories, il peut coexister une théorie générale (ontologie et méthode) puis des théories sectorielles (relatives à
l’interprétation, aux conflits de norme, au traitement des lacunes, des rapports entre système…). Epistémologie
et théorie du droit peuvent ainsi être conçues de manière consubstantielle, notamment lorsqu’il est question
de poser les conditions de connaissance de l’objet, mais pas toujours car nombre de « théories » n’affichent
pas de présupposés épistémologiques.

L’épistémologie apparaît préalable et conditionnant, explicitement ou implicitement, la théorie


générale, laquelle en est en quelque sorte l’aboutissement. Le but de la connaissance du droit est, on le
rappelle, de donner une explication, au moins une compréhension, du droit qui soit la plus rigoureuse
possible ; jusqu’à permettre une théorie la plus universelle possible.

La théorie est donc à la fois l’ambition et le résultat de la démarche épistémologique. L’évaluation des théories
du droit peut donc s’opérer à l’aune de critères purement épistémiques (neutralité, rationalité, cohérence,
valeur ajoutée...). La théorie du droit normativiste consiste d’ailleurs essentiellement en une démarche
épistémologique visant à fonder un méta-méta-discours qui garantisse la scientificité de la théorie, laquelle
crée ses propres concepts distincts de l’objet « droit » éventuellement explicable par cette théorie.

§6. Elle n’est qu’en partie la méthodologie du


droit
La méthodologie est l’étude des méthodes, c’est-à-dire sur les moyens (methodos, le chemin, le processus,
les règles à respecter…) qui permettent une certaine fin. La méthode est une sorte de plan d’action qui est
censé amener au résultat escompté. Lorsque cette fin est la production du droit ou lorsqu’elle est l’étude de
cette production ou de son résultat (la norme juridique), la méthode n’est pas la même.

La méthodologie du droit n’est une partie de l’épistémologie que lorsqu’elle est la méthode du discours
sur le droit. Il ne faut donc pas la confondre avec la méthodologie comme regard interne, c’est-à-dire les
raisonnements et pratiques des producteurs de la norme juridique (les méthodes de jugement ou la légistique

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sont des objets d’étude en soi). La méthode de la science du droit porte sur les processus à mettre en œuvre
pour décrire, expliquer et théoriser le droit. Il s’agit donc d’une méthodologie dont l’objet est autre que la
méthode du droit.

ème
CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique (2014, 2 éd. 2016), Méthodologies du droit et des sciences du droit,
Dalloz : « Ainsi conçue, la méthodologie est parfois confondue avec l’épistémologie dans la mesure où celle-
ci peut être définie comme la discipline qui « étudie de manière critique la méthode scientifique » (R. Nadeau)
» (p. 3).
Le principe est de poser un regard extérieur sur les activités cognitives mais pas sous l’aspect social,
uniquement sous l’angle des méthodes en vue de préconiser rigueur logique et linguistique.

Selon Mme. Champeil-Desplats, le mot "méthodologie" a donc plusieurs sens :


1. Au sens de dogmatique : approche concrète du droit : construire et proposer des modèles pour parfaire
des raisonnements et les décisions productrices des normes.
2. Au sens d’épistémologie : comme attitude générale de l’esprit devant un objet ou pour parvenir à une
explication ; regard abstrait qui construit un discours sur la méthode
On pourrait donc isoler quatre conceptions de la méthode :
• Niveau philosophique : ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à
atteindre des vérités.
• Niveau pratique : enchainement de ces opérations par un programme.
• Niveau explicatif : modes de mise en lien comme schémas d’explications : dialectique, fonctionnelle,
systémique, synthétique, analytique.
• Comme identité disciplinaire : renvoie aux spécificités des savoir-faire de chaque discipline (idée «
d’approches »).
Néanmoins, nombre de manuels de méthodologie du droit, qui étudient la méthodologie du droit et
sont des ouvrages « méta-méthodologiques », confondent souvent les deux plans et, dans une visée
pratique de la théorie de la méthode, ont pour objet de synthétiser les méthodes de la production des
normes qui est aussi la méthode de la production du savoir sur ces normes.

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Section 4 : Conception
Les facultés de droit présentent plusieurs points de vue. Certains considèrent qu’on ne peut pas connaître
objectivement le droit, qui est seulement formé de la volonté de quelques-uns. D’autres disent au contraire
que le droit est en lui-même scientifique en ce qu’il est l’art de la bonne législation. D’autres enfin pensent qu’il
est connaissable par une science qui le décrit.

Alexandre Viala (VIALA, Alexandre (2010), Philosophie du droit, Ellipses, Cours magistral) explique que :
• Le droit apparaît comme un ensemble de propositions linguistiques (il est lié à une forme de
communication).
• La dogmatique s’occupe du « comment », la philosophie du droit du « pourquoi » et la théorie du droit
du « quoi ».
• La théorie générale du droit cherche à clarifier le langage doctrinal en décidant du statut épistémologique
de ce langage (scientifique ou non) et en lui donnant les outils conceptuels nécessaires. La théorie du
droit naît sans doute avec Jeremy Bentham (1748-1832) mais elle s’est développée à la faveur de la
philosophie analytique (prise de conscience que le droit est intimement au langage et doit donc faire
l’objet d’une décantation par ce prisme.
Pour poser une analyse « positive » de l’épistémologie, on sera amené à la situer en surplomb de toutes
ses approches qu’elle n’est pas. Comme discours qui attribue justement à chacune de ces approches
leur place (objet, méthode, projet), l’épistémologie dresse pour chacune de ces disciplines, de ces
savoirs, dont certaines sont des sciences, les conditions de production des connaissances et donc de
recevabilité des conclusions, théories, explications…

En savoir plus : Biblio


Cf. Dominique Lecourt, Pour une critique de l'épistémologie (Bachelard, Canguilhem, Foucault), 136 pp. Paris,
Maspero, 1974.

R. Nadeau, Vocabulaire analytique et technique de l’épistémologie, PUF, 1999, p.209 : « l’épistémologie


étudie de manière critique la méthode scientifique, les formes logiques et modes d’inférence utilisés en
science, de même que les principes, concepts fondamentaux, théories et résultats des diverses sciences,
afin de déterminer leur origine logique, leur valeur et leur valeur objective ».
L’épistémologie repose sur des valeurs épistémiques qui sont autant de critères pour évaluer une méthode,
des concepts, des théories… La recherche de la clarté, de la précision, de la simplicité de la pertinence,
de la cohérence et de la « vérité » en forment le soubassement. Il faut mettre en avant ici le concept de
justification : l’épistémologie fait le travail d’évaluer la portée justificative d’une théorie. Elle commence alors
par appréhender, pour les mettre de côté, le contexte et les motivations de la volonté de connaître.

L’épistémologie, au sens analytique, présente une forte dimension normative puisqu’elle va qualifier une
théorie, une méthode, des concepts, de valides ou non valides pour rendre compte de l’objet que la méthode
ou la théorie s’est donné ou de la pertinence même de cet objet.
L’épistémologie est donc un discours spécifique sur le savoir. Une approche qui relie la méthodologie à l’objet
que se donne une communauté de chercheurs ou de sachants. A ce titre, l’épistémologie juridique ne renvoie
qu’à une partie de cet ensemble, l’étude des conditions de production des discours savants sur l’objet « droit ».
L’épistémologie, rapportée au droit, se donne pour projet de différencier le droit et les discours qui se donnent le
droit pour objet et de caractériser ces derniers, de les spécifier en fixant leurs conditions propres de production
pour ne pas les confondre.
On pourrait ainsi distinguer l’épistémologie du droit, comme discours relatif aux conditions de production de
différents discours savants sur le droit, et l’épistémologie juridique, qui serait l’ensemble des savoirs relatifs aux
méthodes et tropes utilisées par les juristes dans leur ensemble, praticiens et non-praticiens. Cette précaution
de langage aurait le mérite de sécuriser le propos.

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La distinction entre praticiens et non-praticiens poursuit le même objectif de clarté. Trop souvent
l’opposition entre « praticiens » et « théoriciens », la plus courante, obscurcit les débats. Tantôt, en effet,
elle sépare ceux qui produisent des règles de droit (législateur, professions judiciaires et administratives) de
ceux qui l’étudient et l’enseignent (les facultés de droit ou académies). Tantôt, très différemment, elle oppose,
au sein de ceux qui étudient, ceux qui glosent et commentent (la dogmatique) de ceux qui construisent des
concepts généraux distincts des notions juridiques elles-mêmes. Souvent même, le qualificatif de « théoricien
» renvoie indifféremment à tous les « intellectuels » du droit, c’est-à-dire tous ceux qui ne décident pas et
ne sont qu’observateurs ou tout simplement ont, ou auraient, le temps de réfléchir… De telles confusions
terminologiques chez les juristes font sourire lorsque l’on songe que pour les non-juristes, les chercheurs en
sciences de la matière ou les sociologues par exemple, le droit n’est qu’un discours très « théorique ».

L’épistémologie du droit n’est donc pas une approche théorique ou méthodologique du droit parmi
tant d’autres mais la cartographie de ces approches du droit et une approche normative. Elle répond
à la question « dans quelle mesure peut-on dire des choses « vraies » sur le droit ? » au regard de normes
épistémiques (vérité, cohérence, simplicité, pertinence explicative, etc.) Cela soulève immédiatement une autre
question : « qu’est-ce que le droit ? ». En effet, l’épistémologie du droit entend parler du « droit » et devrait donc
disposer d’une définition du droit pour se le donner, non comme objet, mais comme champ. L’épistémologie n’a
pas pour objet de définir ce qu’est le droit mais de s’interroger sur la possibilité et les limites de la connaissance
de cet objet.
Cela appelle plusieurs précisions.

D’abord, l’épistémologie du droit se contente de penser qu’une définition du droit est disponible, elle n’a pas
besoin, ni la possibilité d’en choisir ou d’en imposer une. Il revient ainsi aux approches philosophiques et
théoriques du droit de pourvoir à cette « ontologie » du droit. Dire ce que le droit « est » ou « n’est pas » relève
en effet d’une argumentation qui conduit à convaincre un auditoire de ce qu’il convient d’appeler « droit » (un
ensemble de représentations mentales, un ensemble de faits, un ensemble de règle, un ensemble de normes
structurées, un langage à portée normative, le moyen de la justice, une production divine… ?).

Ensuite, l’approche épistémologique n’est pas étrangère à la question ontologique. En effet, la


définition du droit peut être un passage obligé de l'approche épistémologique (au moins la question
de la nécessité d'une telle définition), toute comme la manière dont cet objet « existe » pour celui
qui cherche à l’étudier. Il est clair par exemple que réduire le soleil à son observation (sa course dans le
ciel, sa chaleur, sa lumière), le considérer comme un Dieu, le percevoir comme condition de la vie humaine
ou le concevoir comme une gigantesque boule de gaz incandescents affectera notre manière de l’étudier, la
possibilité de dire quelque chose et jusqu’aux théories qui expliquent ses relations avec la terre (cf. la théorie
des paradigmes hélio- ou géo-centriques). Pour le dire autrement, l’ontologie conditionne l’épistémologie.
Ainsi, penser le droit de telle ou telle manière permettra peut-être une démarche scientifique alors qu’une
autre manière de la penser ne permettra qu’un discours savant sans rigueur scientifique. Mais pour autant la
précède-t-elle nécessairement ?

De très nombreux ouvrages traitent de l’ontologie juridique et cherchent à établir, à partir de présupposés
philosophiques et politiques, ce qu’est le droit : il s’agit d’interrogations ontologiques. Or, il s’agit peut-être d’une
question posée trop tôt. L’approche épistémologique est logiquement première si on admet qu’une science
se donne son objet. D’où le débat sur l’ontologie du droit qui induit celui sur l’épistémologie. La question
ontologique est aussi vieille que le droit lui-même. Mais la question épistémologique est relativement récente :
ème
elle date vraiment du XX siècle, après que la philosophie analytique ait critiqué l’approche du droit par
les philosophies du sujet ou de la justice, dans des cadres non universels. Pour la philosophie analytique, le
rapport de la connaissance d’un phénomène à la science ne dépend pas des champs : il s’agit de constituer
un savoir scientifique unitaire. Ce mouvement, fondé par le logicien allemand Gottlob Frege (1848-1925) a
été notamment prolongé par le mathématicien Bertrand Russell (1872-1970), ou encore le philosophe Ludwig
Wittgenstein (1889-1951). Cela donne le positivisme logique du Cercle de Vienne et la théorie des actes de
langage d’Oxford, fondée sur l’empirisme de l’expérience et sur la clarification du langage des propositions
de vérité (métalangage doctrinal).

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On l’a dit, l’épistémologie n’exige pas une réponse ontologique donnée, elle les admet toutes. Chaque ontologie
du droit entraine à sa suite une épistémologie adaptée. Mais pour autant, l’épistémologie permet aussi de
penser l’étape ontologique. Comme étude des conditions de production du savoir, l’émergence de telle ou telle
ontologie se comprend aussi épistémologiquement.

Remarque
Concernant le droit, ce cours retiendra alternativement les deux approches de l’épistémologie (analytique
et théorie de la connaissance) pour une plus grande richesse de compréhension. L’épistémologie du droit
s’insèrera dans un ensemble plus vaste de considérations nourrissant la théorie de la connaissance. En
effet, les différents discours juridiques (le droit et « sur le droit ») se trouvent à ce point entremêlés dans nos
traditions qu’il serait réducteur de n’étudier que l’épistémologie au sens pragmatique sans ses déterminants
socio-historiques.

L’ontologie du droit devient donc un enjeu épistémologique au sens français du terme en étudiant les raisons
pour lesquelles on retient, ici ou là, telle ou telle définition du droit (explication par l’histoire politique, par les
confrontations entre cultures juridiques, par la structuration des facultés de droit, etc…). Mais c’est une question
autonome par rapport à l’épistémologie qui s’applique à l’objet « droit » posé par telle ou telle ontologie.

Ces considérations liminaires devraient avoir permis de poser clairement différents repères :
• L’épistémologie du droit se distingue de l’ontologie du droit et se trouve intimement liée à elle.
L’épistémologie s’entend à la fois des conditions de scientificité d’un savoir sur le droit et des
conditions sociales de production de ce savoir.
• La méthodologie devient également un objet de l’approche épistémologique sans se confondre
avec elle. Elle met en œuvre les conditions préalables de rigueur que l’épistémologie détermine en
fonction de l’objet à étudier et sécurise ainsi les modalités de la communication. Elle codétermine
des concepts communs à une même communauté de sachants et fonde ainsi l’identité propre
d’une discipline. On étudiera certains des lieux communs qui fédèrent les juristes comme la
distinction du fait et du droit.

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Section 5 : Plan du cours
Une question majeure se pose au moment de choisir un plan pour « mettre à plat » la question de
l’épistémologie du droit : l’épistémologie est-elle dépendante d’une ontologie du droit? Pour le dire
autrement, est-ce que l’approche cognitive du droit, la plus scientifique possible, n’implique-t-elle pas d’abord
de déterminer de quel concept de droit on parle ? N’est-ce pas l’objet qui commande l’attitude du sujet à son
égard ?

La réponse se trouve en partie dans le choix d’une branche de l’alternative entre positivisme et criticisme et
dans sa projection dans le temps. On prendra ici le parti de penser que c’est le sujet qui construit son
objet, car il se le donne à étudier ; le questionnement critique de ce moment est la première étape de toute
démarche épistémologique ; il faut déterminer pourquoi et comment vient cet objet.

Comme l'a montré Quine, la science n'est pas l'énoncé des faits mais leur relation abstraite avec une
théorie qui leur préexistent. « Pour parler du monde, nous devons déjà imposer sur le monde un schème
conceptuel spécifique à notre propre langage. » (Willard Van Orman QUINE, Du point de vue logique. Neuf
essais logico-philosophiques, trad. de l’anglais Sandra LAUGIER (dir.), Paris : Vrin, coll. Bibliothèque des textes
philosophiques, 2003, p. 79). Le scientifique n’a pas à se demander « à quoi la réalité ressemble réellement,
prise indépendamment des catégories humaines, car poser une telle question est aussi vide de sens que de
demander quelle est la longueur du Nil indépendamment de toute unité de mesure ». Paul GOCHET, « L’être
selon Quine », in Jean-Maurice MONNOYER, Lire Quine : logique et ontologie, Paris : Édition de l’achat, 2015.

Mais ensuite, pour l’étudier, l’objet est stabilisé sous la forme d’une définition qui en fixe l’ontologie et cette
dernière implique le choix d’une approche, car on n'étudie pas une idée comme un fait, une norme comme
un phénomène, un acte de langage comme une valeur, etc… alors la méthode doit être adaptée à l’objet
que l’on se donne.

Il apparaît donc difficile de séparer totalement épistémologie et ontologie, même si parfois on a le sentiment
que certains auteurs utilisent des épistémologies différentes pour parler du droit. C’est souvent parce qu’ils
décomposent l’objet « droit » en différents objets comme les règles d’un côté et les concepts de l’autre (cf.
(« Autour de la distinction entre règles et concepts », Frédéric Rouvière , RRJ – Droit prospectif, Cahiers
de méthodologie juridique, 2013, n° 27, p. 217 qui décrypte la pensée de Paul Amselek : « La distinction
entre interprétation et qualification résulte d’une opposition entre les règles et les concepts et elle oblige
l’épistémologie à se dédoubler », p. 2025).

Dès lors, nous verrons que l’épistémologie, en général, explique que l’objet à étudier est un construit que
le sujet connaissant se donne. Dans ce premier temps, l’épistémologie précède l’ontologie ; mais ensuite
chaque objet ainsi « fixé », comme par un révélateur chimique, peut être étudié pour ce qu’il est, un
construit dont on dispose d’une définition ontologique. Enfin, la méthode permet d’en parler en respectant
ce lien entre ontologie et épistémologie.

Remarque
Cette façon de voir les choses explique et justifie le plan finalement retenu pour ce cours d’initiation : connaître
le droit, penser le droit, parler du droit.

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