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jacques.fierens@unamur.be
Notes de cours
***
2
I. Sigle-Code : Intitule de l’unité d’enseignement : Cours de
UE 3 spécialisation : Droit fondamental, civil,
international privé
1. Obligatoire :
2. Scientifique :
- Connaissances élémentaires en philosophie
III. Objectifs
3
2. En termes de compétences acquises :
V. Contenu indicatif
4
5° Les questions philosophiques sous jacentes à certaines
problématiques juridiques (notamment le respect, la protection et la
promotion des droits humains) ;
5
INTRODUCTION
LES MATÉRIAUX D’UNE RÉFLEXION
6
Mais outre que les réflexions de ces auteurs comportent une forme
de pessimisme en pointant l’impuissance du droit et que les limites
de l’efficacité des droits de l’homme sont encore un constat
quotidien, beaucoup de penseurs se prévalent du droit naturel pour
aboutir à des conclusions pour le moins inquiétantes. Platon propose
le contrôle étatique des naissances et l’exposition des enfants mal
formés. Aristote estime que les femmes sont par nature inférieures à
l’homme et que certains êtres humains sont destinés à être esclaves
des autres. Grotius, croyant et théologien, prétend apprendre aux
chrétiens à se passer de Dieu. Surtout, Hitler et les nazis commettront
au nom du droit naturel les crimes les plus inimaginables, que nous
ne finirons jamais de penser parce qu’ils sont sans doute
impensables.
***
7
l’invocation des dieux ou de Dieu, la référence à la « nature »
constitue la légitimation la plus habituelle des systèmes juridiques
qui se sont formés partout dans le monde, ou de ceux qui ont été
prônés par les penseurs.
***
8
d’écrire. La littérature dite « secondaire », c’est-à-dire les articles et
ouvrages de commentaires, est immense et il n’y est fait allusion que
pour souligner certains aspects marquants de la pensée des
philosophes et des juristes évoqués1.
***
1
Signalons toutefois L. STRAUSS, Droit naturel et histoire, tr. fr. M. NATHAN et
E. de DAMPIERRE, Paris, Plon, 1954, et la remarquable synthèse de S. GOYARD-
FABRE, Les embarras philosophiques du droit naturel, Paris, Vrin, 2002.
9
CHAPITRE I – DROIT NATUREL, PHILOSOPHIE ET
DROIT
(…)
2
Tel quel, dans Œuvres, II, Paris, Gallimard [Bibl. de la Pléiade], 1960, p. 767.
10
Section 4. La place du droit naturel dans la question de
la validité du droit
§ 1. Les conditions de validité du droit
Légalité
Légitimité Effectivité
11
§ 2. Légalité et positivisme
3
H. KELSEN, Théorie pure du droit, tr. fr. Ch. EISENMANN, Paris, Dalloz, 1962,
p. 64. On qualifie aussi souvent la théorie de Kelsen de « normativisme ». Hans
Kelsen (1881-1973) est né à Prague, le 11 octobre 1881, dans une famille juive de
langue allemande. En 1895, ses parents s’installent à Vienne où il termine ses
études secondaires et étudie le droit. Il suit les cours du juriste Georg J. Jellinek
(1851-1911) et du sociologue Max Weber (1864-1920). En 1918, il se lie aux
dirigeants du parti social-démocrate autrichien qui accède au pouvoir. En 1920, la
rédaction du projet de Constitution de la République autrichienne lui est confiée.
Il est nommé membre à vie de la Cour constitutionnelle dont il avait prévu
l’existence dans la Constitution. En 1929, il quitte l’Autriche pour enseigner à
Cologne. En 1933, il se réfugie à Genève où il enseigne à l’Institut des Hautes
Études internationales. Il enseigne de 1936 à 1938 à Prague, puis de nouveau à
Genève jusqu’en 1940, année au cours de laquelle il émigre aux États-Unis. Il y
12
Pour Kelsen, une loi « naturelle » est celle dans laquelle les éléments
sont reliés les uns aux autres par la causalité, ce qui ne pourrait être
le cas dans l’ordre juridique4.
Une caractéristique de la doctrine du droit naturel est d’ignorer cette
différence entre la nature et le droit, ou plus exactement entre les
lois causales formulées par les sciences de la nature et les
propositions normatives formulées par la science du droit5.
8
Voy. notamment les réflexions de R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, Les grands
systèmes de droit contemporains, Paris, Dalloz, 11e éd., 2002, n° 77.
9
Voy. D. LOCHAK, « La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme »,
dans Les usages sociaux du droit, Paris, CURAPP-PUF, 1989, p. 252.
14
faire prévaloir les solutions juridiques que l’on préconise. Le
iusnaturaliste est plutôt là pour découvrir et faire découvrir les
présupposés du discours juridique, et les interroger. En somme, ce
que Socrate faisait déjà… Aux politiciens d’en tirer les
conséquences dans l’exercice du pouvoir.
§ 3. Effectivité et expérience
15
Depuis Platon10, suivi notamment par Cicéron et saint Augustin11, la
philosophie pose par exemple la question de savoir quelle est la
différence de nature entre les règles qui régissent la société civile et
celles qui régissent un groupe de brigands. Cette différence n’est pas
d’abord formelle, elle est axiologique12.
(…)
10
La République, 351a et ss.
11
La Cité de Dieu, IV, 4.
12
Voy. A. SCHÜTZ, « Saint Augustin, l’État et la bande de brigands », Droits, 1993,
n° 16, pp. 71-82.
16
Section 6. Vue panoramique du parcours proposé
§ 1. Un parcours historique
Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants (nanos
gigantium humeris insidentes) qui ont vécu avant nous. Nous
voyons plus loin qu’eux non parce que notre vue est plus aiguë, mais
seulement parce qu’ils nous élèvent de toute leur hauteur
gigantesque13.
14
Voy. surtout, en ce qui concerne saint Augustin, Les Confessions.
15
Martin Heidegger disait, paraît-il, en guise de biographie des auteurs qu’il
évoquait : « Il est né, il a travaillé, et il est mort. »
18
se donnent des règles de droit et surtout s’ils l’ont fait avec ou contre
la « nature ».
19
Le chapitre VIII tente de se fonder sur le tournant fondamental que
la culture occidentale a amorcé à la Renaissance. Machiavel, dans
son style particulier, en est un annonciateur. Les XVIIe et XVIIIe
siècles, avec Hobbes, Grotius, Descartes, Locke, Rousseau,
Montesquieu, Kant installeront l’individu au centre des
représentations du monde, en feront un être de pouvoir. Le droit
naturel deviendra le droit subjectif dont la forme la plus aboutie sera
la consécration des « droits de l’homme ». Nous dépendons encore
aujourd’hui très étroitement des penseurs de cette époque, sans doute
pour longtemps encore. Leurs conceptions du droit ont préparé ou
accompagné les bouleversements juridiques et philosophiques de
1789, dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est
l’éminent témoin, et forgé l’État démocratique moderne qui repose
sur l’idéologie libérale encore si vivace de nos jours.
20
Conclusions de ce chapitre
Le pouvoir qui énonce la norme doit toujours convaincre les
destinataires de celle-ci de sa légitimité. Depuis longtemps et encore
aujourd’hui, certains prétendent la trouver dans la « nature », qui
s’oppose alors généralement à la « culture ». La spontanéité le
dispute à l’apprentissage, comme explication des comportements.
21
22
CHAPITRE II - LE DROIT SANS LA PHILOSOPHIE
(…)
Conclusions de ce chapitre
L’apparition du droit est concomitante à celle du langage humain,
capable d’exprimer le sens ou la recherche de sens. La parole est la
condition de la norme sociale, l’existence sociale permet la parole.
23
CHAPITRE III - LE DROIT DANS LA TRADITION
SUMÉRIENNE ET SÉMITIQUE
(…)
Section 2. Hammourapi
(…)
§ 3. Le Code d’Hammourapi
25
sur un trône, elle porte une tiare composée de plusieurs rangées de
cornes. Si le dieu dicte lui-même aux rois les lois équitables,
Hammourapi dit en même temps qu’elles ont été établies par lui, le
« bon berger » (cette image sera reprise par l’Ancien Testament et
par le christianisme). Ainsi se manifeste déjà la question de l’origine
divine ou humaine de la loi. La légitimation du droit est cependant
clairement religieuse.
Je suis le roi qui gouverne parmi les rois des cités. Ma parole est
tenue en haute estime ; il n’y a pas de sagesse qui se compare à la
mienne. Par l’autorité de Shamash, le grand juge du Ciel et de la
Terre, que la Justice se répande sur le pays ; par le commandement
de Marduk, mon seigneur, qu’aucune destruction ne s’abatte sur
mon monument. Dans E-Sagil, que j’aime, que mon nom soit répété
à tout jamais ; que les opprimés ayant une affaire en litige se
présentent devant cette image de moi comme roi de Justice ; qu’ils
lisent les inscriptions et comprennent mes précieux mots : les
inscriptions leur expliqueront leur cas ; ils découvriront ce qui est
juste, et leur cœur sera content. Ils diront alors : « Hammourapi est
un souverain qui est comme un père pour ses sujets, qui vénère la
parole de Marduk, qui a conquis le nord et le sud au nom de Marduk,
qui fait plaisir au cœur de Marduk, son seigneur, qui a accordé pour
l’éternité ses faveurs à ses sujets, et qui a établi l’ordre en son pays ».
26
Lorsqu’ils liront ce document, qu’ils prient de tout leur cœur
Marduk, mon seigneur, et Zarpanit, ma maîtresse ; et alors, les
divinités et dieux protecteurs qui fréquentent E-Sagil, satisferont
miséricordieusement les désirs présentés devant Marduk, mon
seigneur, et Zarpanit, ma maîtresse.
Dans les temps futurs, à travers toutes les générations à venir, que
le roi qui sera en place observe la parole de Justice que j’ai écrite
sur mon monument ; qu’il n’altère pas la loi du pays que j’ai
instituée, les édits que j’ai proclamés ; qu’il ne gâche pas mon
monument. Si un tel souverain est sage et en mesure de maintenir
l’ordre en son pays, il observera les paroles que j’ai écrites sur cette
inscription ; les règlements, statuts et lois du pays que j’ai légués ;
cette inscription lui montrera les décisions que j’ai prises ; qu’il
gouverne ses sujets conformément à ces dernières, qu’il fasse
preuve de justice envers eux, qu’il prenne des décisions justes, qu’il
extirpe les mécréants et criminels de ce pays et accorde la prospérité
à ses sujets17.
17
Prologue du Code d’Hammourapi, tr. fr. L. W. KING.
27
Quant à son contenu, qui nous intéresse moins ici que la légitimation,
la « législation » retrouvée comporte deux éléments essentiels : la
fixation des rémunérations et des loyers, et la reconnaissance de la
responsabilité professionnelle. Les honoraires des médecins ou des
vétérinaires varient selon que les soins donnés s’adressent à un
homme libre, à un esclave ou à des animaux. La loi tarifie
officiellement la journée de travail. Les rémunérations sont payables
en nature ou en espèces et dépendent du travail effectué. En ce qui
concerne la responsabilité professionnelle, sont personnellement
responsables le médecin qui cause la mort de son malade ou le rend
invalide, l’architecte qui a construit une maison qui s’écroule en
provoquant la mort du propriétaire, le batelier qui, par sa faute, cause
le naufrage du vaisseau dont il a la charge, enfin l’homme qui, ayant
pris en location un animal de travail, le fait ou le laisse mourir. La
peine de mort est prévue pour une trentaine de crimes différents.
Section 3. Moïse
(…)
§ 2. La Tora
18
P.-M. BOGAERT, « Signification et rôle de la Loi dans l’Ancien Testament »,
dans La loi dans l’éthique chrétienne, Bruxelles, Publications des Facultés
universitaires Saint-Louis, 1981, pp. 111-138.
28
Tora revêt en réalité une signification plus large que nomos en grec
ou « loi » en français, car le mot inclut le sens d’« enseignement ».
Les cinq livres sont désignés aussi par la tradition juive comme les
« cinq cinquièmes de la Loi » ou « les cinq livres de Moïse ». La Loi
est constituée de 613 prescriptions (mitsvot) relatives au
comportement, incluses dans des récits et des traditions narratives.
L’insertion de la règle de droit dans la narration constitue une des
principales caractéristiques de la loi mosaïque.
29
Le Pentateuque n’a pas été écrit par Moïse, comme on l’a longtemps
pensé, mais probablement rédigé, dans son état final, au Ve siècle
avant J.-C. Le Deutéronome est, au plus tôt, de la fin du VIIIe siècle
et la masse des textes législatifs, dits « textes sacerdotaux », lui sont
postérieurs.
19
Ex, 24, 12 ; voy. aussi Ex 24, 4, Dt 31, 9-24. Sur l’importance de l’écrit qui
demeure « pour toujours », voy. aussi Jb 19, 23-24 ou Is 30, 8.
30
L’un et l’autre code sont présentés comme étant d’origine divine.
L’alliance entre Yahvé et Israël a donc pour centre un code législatif
(Dt 12-26), fondé sur la libération d’Égypte.
31
Selon la tradition juive, dans la Tora, 248 commandements positifs
correspondent à chacun des membres du corps humain et
365 commandements négatifs correspondent au nombre de jours
d’une année solaire.
20
Voy. la similitude de la règle avec le § 125 du Code d’Hammourapi.
32
Et Dieu prononça toutes ces paroles :
« C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays
d’Égypte, de la maison de servitude :
Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi.
Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve
au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre.
Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas,
car c’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, un Dieu jaloux, poursuivant
la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations – s’ils
me haïssent – mais prouvant sa fidélité à des milliers de générations
– si elles m’aiment et gardent mes commandements.
Tu ne prononceras pas à tort le nom du SEIGNEUR, ton Dieu, car
le SEIGNEUR n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort.
Que du jour du sabbat on fasse un mémorial en le tenant pour sacré.
Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage, mais le septième
jour, c’est le sabbat du SEIGNEUR, ton Dieu. Tu ne feras aucun
ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta
servante, tes bêtes ou l’émigré que tu as dans tes villes. Car en six
jours, le SEIGNEUR a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils
contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le
SEIGNEUR a béni le jour du sabbat et l’a consacré.
Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la
terre que te donne le SEIGNEUR, ton Dieu.
Tu ne commettras pas de meurtre.
Tu ne commettras pas d’adultère.
Tu ne commettras pas de rapt.
Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain.
Tu n’auras pas de visées sur la maison de ton prochain. Tu n’auras
de visées ni sur la femme de ton prochain, ni sur son serviteur, sa
servante, son bœuf ou son âne, ni sur rien qui appartienne à ton
prochain21.
21
Ex 20, 1-17.
33
Tu ne prononceras pas à tort le nom du SEIGNEUR ton Dieu, car le
SEIGNEUR n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort.
Qu’on garde le jour du sabbat en le tenant pour sacré comme le
SEIGNEUR ton Dieu te l’a ordonné. Tu travailleras six jours,
faisant tout ton ouvrage, mais le septième jour, c’est le sabbat du
SEIGNEUR ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils,
ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni
aucune de tes bêtes, ni l’émigré que tu as dans tes villes, afin que
ton serviteur et ta servante se reposent comme toi. Tu te souviendras
qu’au pays d’Égypte tu étais esclave, et que le SEIGNEUR ton Dieu
t’a fait sortir de là d’une main forte et le bras étendu ; c’est pourquoi
le SEIGNEUR ton Dieu t’a ordonné de pratiquer le jour du sabbat.
Honore ton père et ta mère, comme le SEIGNEUR ton Dieu te l’a
ordonné, afin que tes jours se prolongent et que tu sois heureux sur
la terre que te donne le SEIGNEUR ton Dieu.
Tu ne commettras pas de meurtre.
Tu ne commettras pas d’adultère.
Tu ne commettras pas de rapt.
Tu ne témoigneras pas à tort contre ton prochain.
Tu n’auras pas de visées sur la femme de ton prochain. Tu ne
convoiteras ni la maison de ton prochain, ni ses champs, son
serviteur, sa servante, son bœuf ou son âne, ni rien qui appartienne
à ton prochain22.
22
Dt 5, 7-21.
34
Les dix commandements sont parfois considérés comme le
fondement de tous les systèmes juridiques. C’est là sans doute une
vision trop centrée sur le droit judéo-chrétien23.
23
Voy. Ph. MALAURIE, Anthologie de la pensée juridique, Paris, Cujas, 2e éd.,
2001, p. 6 : « Les dix commandements constituent le fondement de tous (ou
presque) les systèmes juridiques de la destinée humaine et de sa condition. »
24
Ex 23, 2-9. Les prescriptions commençant par « Quand » sont casuistiques.
35
La plupart des lois apodictiques sont négatives, elles s’expriment en
termes d’interdictions, plutôt qu’elles ne garantissent des « droits ».
Ainsi, le « droit à la vie », concept contemporain dépendant de
l’apparition ultérieure du « droit subjectif », n’existe pas dans la Tora
qui toutefois interdit le meurtre. Sous certains aspects, une loi
négative, une interdiction, ménage davantage la liberté en
n’imposant pas un comportement précis. Tu ne tueras pas, mais pour
le reste, invente la vie… Tu ne commettras pas d’adultère, mais
invente la fidélité…
(…)
§ 5. La loi d’amour
Il ne faut pas attendre le Christ pour que cette loi soit affirmée. Elle
figure déjà dans le Pentateuque. Elle vise d’abord plus
particulièrement l’étranger.
Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est UN. Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta
force26.
Quand un émigré viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous
ne l’exploiterez pas ; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez
comme un indigène, comme l’un de vous ; tu l’aimeras comme toi-
même ; car vous-même avez été des émigrés dans le pays
d’Égypte27.
25
Agapè en grec, traduit souvent par « charité », se distingue d’éros, amour-désir,
alors que le français a tendance à confondre les deux. Voy. D. de ROUGEMONT,
L’Amour et l’Occident (1938, 1954), Paris, Plon [10/18], 1979.
26
Dt 6, 4-5.
27
Lv 19, 34.
36
La loi marque ici une exigence particulièrement haute parce que le
dédain ou la haine des étrangers étaient déjà un des fléaux du monde
antique. Il ne suffit pas de ne pas mépriser l’étranger et de ne pas
l’exploiter, comme en Ex 22,20 ; 23,9. La référence spécifique à
l’étranger est abandonnée par le Nouveau Testament.
Il lui demanda : « Quel est le premier de tous les
commandements ? » Jésus répondit « le premier c’est ’Écoute, Israël
! Le seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ; tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta pensée et de toute ta
force.’ Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-
même.28 »
28
Mc 12, 28-31 ; voy. aussi Mt 22, 36-38, Lc 10, 25-27.
29
La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, adoptée en juillet 1990
lors de la 26e Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Organisation
de l’unité africaine (OUA), exprime dans son préambule que « l’enfant devrait
grandir dans un milieu familial, dans une atmosphère de bonheur, d’amour et de
compréhension », mais aucune disposition normative du traité ne tente d’imposer
cet environnement d’amour.
37
religieux. Au contraire, il porte la trace d’un refus constant de la
démarche exclusivement rationnelle, qui apparaît spécialement dans
le Livre de Job30. Non pas que la raison et la confiance en Dieu
seraient incompatibles – le thomisme plus que toute autre
philosophie s’efforcera de concilier foi et rationalité – mais cette
dernière est radicalement insuffisante pour accéder à Dieu – ce sera
l’insistance de saint Augustin.
Où est-ce que tu étais quand j’ai fondé la terre ? Dis-le moi, puisque
tu es si savant32.
30
Voy. Ph. NEMO, Job et l’excès du mal, Paris, Grasset, 1978, spécialement pp. 217
et ss. Voy. aussi A. NÉHER, « Philosophie hébraïque et juive », dans Histoire de la
philosophie, t. I, Paris, NRF [Bibl. de la Pléiade], 1969, pp. 55-59.
31
Jb 13, 5 ; 13, 12, 17, 10b.
32
Jb 38, 4.
38
Conclusions de ce chapitre
L’idée d’un droit naturel est totalement étrangère à la tradition
sumérienne et sémitique. C’est une illusion rétrospective que de
prétendre en retrouver la trace. Le Code d’Hammourapi ou la loi
transmise par Moïse ne mentionnent d’ailleurs jamais la nature.
39
CHAPITRE IV - LA CITÉ GRECQUE
(…)
Il est bien des merveilles en ce monde, il n’en est pas de plus grande
que l’homme.
40
Il est l’être qui sait traverser les flots gris, à l’heure où soufflent les
vents du Sud et ses orages, et qui va son chemin au creux des hautes
vagues qui lui couvrent l’abîme.
Il est l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre, la
Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont sans répit la
sillonnant chaque année, celui qui la fait labourer par les produits de
ses cavales.
Oiseaux étourdis, animaux sauvages, poissons peuplant les mers, tous
il les enserre et les prend dans les mailles de ses filets, l’homme à
l’esprit ingénieux.
Par ses engins il est le maître des bêtes indomptées qui courent par les
monts, et, le moment venu, il ploiera sous son joug enveloppant leur
col et le cheval à l’épaisse crinière et l’infatigable taureau des
montagnes.
Parole, pensée prompte comme le vent, aspirations d’où naissent les
cités, tout cela, il se l’est enseigné à lui-même, aussi bien qu’il a su,
en se faisant un gîte, échapper aux traits du gel, de la pluie, cruels à
ceux qui n’ont d’autre toit que le ciel. Bien armé contre tout, il n’est
désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l’avenir. Contre la mort
seul il n’aura jamais de charme lui permettant de lui échapper, bien
qu’il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres, imaginer plus
d’un remède.
Mais, ainsi maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources
dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal tout
comme du bien.
Qu’il fasse donc, dans ce savoir, une part aux lois de sa
ville, et à la justice des dieux à laquelle il a juré foi ; il montera
alors très haut dans sa cité ; tandis qu’il s’exclut de cette
cité, du jour où il laisse le crime le contaminer, par
bravade33.
33
SOPHOCLE, Antigone, tr. fr. P. MAZON, Paris, Les Belles Lettres, 1950, pp. 87-
88.
41
Polynice, frère de celle-ci. Antigone oppose aux lois de la Cité
(nomoi) la légitimité des « lois non écrites » (agrafoi nomoi).
34
SOPHOCLE, Antigone, tr. fr. J. GROSJEAN, Tragiques grecs. Eschyle Sophocle,
Paris, NRF-Gallimard [Bibl. de la Pléiade], 1967, pp. 583-584. On sait que la
figure d’Antigone n’a cessé de fasciner et sera maintes fois reprise en littérature :
que l’on songe à Jean Anouilh, Jean Cocteau, Henry Bauchau rien qu’en littérature
française, ou plus récemment François Ost (F. OST, Antigone voilée, Bruxelles,
Larcier, 1999).
42
À ce stade, comme en Mésopotamie, comme dans la Bible, la
justification du droit demeure purement religieuse. Le rappel de cette
légitimité permet de mieux mesurer la distance qui la sépare de la
justification rationnelle des lois, qui émerge à son époque dans la
civilisation grecque. À certains égards, on peut se demander si
l’épisode mis en scène par Sophocle n’est pas l’expression d’une
résistance à la laïcisation du droit.
(…)
35
« Outoi sunechtein, alla sumphilein éphun ». Plus littéralement : « Je suis faite
(éphun, de phuein, est de même racine que physis) pour aider l’amour et non la
haine » (tr. fr. J. GROSJEAN, op. cit., p. 587).
43
Section 5. Platon
§ 1. L’homme et l’œuvre
44
ci réussisse à regagner Athènes où il meurt en 348, à plus de quatre-
vingts ans.
§ 2. Socrate, le maître
C’est surtout à travers Platon que nous connaissons Socrate qui, lui-
même, n’a rien écrit36. Son disciple a construit un Socrate qui ne
correspond peut-être pas au personnage historique, mais qui
représente le philosophe par excellence. Socrate n’a pas d’activité
professionnelle et accomplit scrupuleusement ses devoirs de citoyen,
tout en refusant de faire de la politique. Un jour, l’oracle, sollicité
par un de ses amis, le désigne comme le plus sage des Grecs. Il s’en
dit fort surpris, et il prétend mener une enquête visant à vérifier les
dires du dieu. Interrogeant les poètes, les hommes politiques, les
gens de métier, il s’aperçoit qu’il a sur ceux-ci au moins un
avantage : il sait, lui, qu’il ne sait rien, alors que les autres s’installent
dans une fausse certitude. Dès lors, quels que soient les risques, il
entreprend de dénoncer les incohérences et les sottises qui
constituent l’opinion commune. Il provoque ceux qui se posent
comme titulaires de la pensée, afin de leur montrer que lorsqu’ils
essaient de mettre au jour leurs idées, ils disent surtout des bêtises.
36
Voy. J.-J. DUHOT, Socrate ou l’éveil de la conscience, Paris, Bayard, 1999.
45
C’est « l’ironie socratique », destinée à faire « accoucher les esprits »
(la maïeutique). L’injonction de Socrate est aussi le fameux « Gnôti
séauton », « Connais-toi toi-même ».
37
Infra, § 8.
46
confiance dans les lois de la cité, parce que, précisément, elles ont
permis la mise à mort de son maître. Il cherchera dès lors à reconstruire
une cité et des lois idéales.
Voici comment Socrate parle à Criton qui lui propose de s’évader (ce
passage est connu sous le nom de « Prosopopée des lois » ; la
prosopopée est une figure rhétorique par laquelle on fait parler et agir
une chose personnifiée) :
Suppose que, au moment où nous nous proposons de nous enfuir
clandestinement d’ici (peu importe le nom qu’il faille donner à cela),
viennent se dresser devant nous les Lois et la République d’Athènes,
qu’elles nous demandent : « Dis-nous, Socrate, qu’as-tu en tête de
faire ? L’œuvre à laquelle tu te mets comporte-t-elle de ta part un autre
dessein que, pour ce qui est de toi, de nous ruiner, nous les Lois, et,
avec nous, l’État tout entier ? Ou bien te semble-t-il qu’il soit possible
à cet État de continuer à exister et de n’être pas de fond en comble
renversé, si les jugements qui y sont rendus sont sans aucune force, et
que, au contraire, par la volonté de simples particuliers, ils perdent
toute autorité et soient ruinés ? » À cela, et à d’autres propos du même
genre, que répondrons-nous, Criton ? Il y aurait, vois-tu, bien des
choses qu’on pourrait dire (et surtout un orateur) pour plaider contre
la ruine de cette loi qui prescrit que la chose jugée, le jugement rendu,
aient une autorité souveraine ! Leur répondrons-nous plutôt : « C’est
un fait que la Cité a commis envers nous une injustice et que la
décision de justice est contraire au bon droit »38 ?
Par ailleurs, dans l’épisode rapporté ici, Socrate affirme avec force
le caractère conventionnel de la loi, se plaçant sur le terrain des
sophistes eux-mêmes. Mais si les lois sont relatives, la nécessité de
les respecter ne l’est pas. Platon défendra surtout l’idée de lois – à
établir – qui participent de l’idée du Juste et du Bien et, en cela, ne
sont pas relatives. Après Socrate, il distinguera d’ailleurs les lois
terrestres, vues déjà comme une convention, et les « sœurs » de celle-
ci, les lois de l’Hadès. Il faut respecter les premières parce qu’elles
sont la condition d’existence de la Cité, et les secondes en vertu de
leur origine.
38
Criton, 50a.
47
Sur ce, elles nous diraient : « Dans ces conditions, fais-tu autre chose
que de transgresser tes engagements envers nous personnellement
et nos accords mutuels ? accords que tu n’as pas conclus de force,
ni non plus trompé, ni forcé d’en délibérer en peu de temps, mais au
cours de ces soixante-dix années pendant lesquelles il t’était permis
de t’en aller, si nous ne te plaisions pas et que la légitimité de nos
accords n’eût pas été évidente à tes yeux ?39 »
39
Ibidem, 52e.
48
façon le même que les « lits » sensibles, sans quoi il ne serait pas
l’idée de ces lits.
40
La République, 596e-597b.
49
Illustration non signée sur http://www.grece-antique.fr/
50
SOCRATE. - Ils nous ressemblent. Et d’abord penses-tu que dans
cette situation ils aient vu d’eux-mêmes et de leurs voisins autre
chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne
qui leur fait face ?
GLAUCON - Peut-il en être autrement s’ils sont contraints toute
leur vie de rester la tête immobile?
SOCRATE. - Et des objets qui défilent, n’en est-il pas de même ?
GLAUCON - Sans contredit.
SOCRATE. - Dès lors, s’ils pouvaient s’entretenir entre eux, ne
penses-tu pas qu’ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes,
en nommant les ombres qu’ils verraient ?
GLAUCON - Nécessairement.
SOCRATE. - Et s’il y avait aussi un écho qui renvoyât les sons du
fond de la prison, toutes les fois qu’un des passants viendrait à
parler, ne crois-tu qu’ils ne prendraient pas sa voix pour celle de
l’ombre qui défilerait ?
GLAUCON - Si, par Zeus.
SOCRATE. - Il est indubitable qu’aux yeux de ces gens-là la réalité
ne saurait être autre chose que les ombres des objets confectionnés.
GLAUCON - C’est de toute nécessité.
SOCRATE. - Examine maintenant comment ils réagiraient, si on les
délivrait de leurs chaînes et qu’on les guérît de leur ignorance, et si
les choses se passaient naturellement comme il suit. Qu’on détache
un de ces prisonniers, qu’on le force à se dresser soudain, à tourner
le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière, tous ces
mouvements le feront souffrir, et l’éblouissement l’empêchera de
regarder les objets dont il voyait les ombres tout à l’heure. Je te
demande ce qu’il pourra répondre, si on lui dit que tout à l’heure il
ne voyait que des riens sans consistance, mais que maintenant plus
près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste;
si enfin, lui faisant voir chacun des objets qui défilent devant lui, on
l’oblige à force de questions à dire ce que c’est ? Ne crois-tu pas
qu’il sera embarrassé et que les objets qu’il voyait tout à l’heure lui
paraîtront plus véritables que ceux qu’on lui montre à présent ?
GLAUCON - Beaucoup plus véritables.
SOCRATE. - Et si on le forçait à regarder la lumière même, ne crois-
tu pas que les yeux lui feraient mal et qu’il se déroberait et
retournerait aux choses qu’il peut regarder, et qu’il les croirait
réellement plus distinctes que celles qu’on lui montre ?
GLAUCON - Je le crois.
SOCRATE. - Et si on le tirait de là par force, qu’on lui fît gravir la
montée rude et escarpée, et qu’on ne le lâchât pas avant de l’avoir
51
traîné dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu’il souffrirait
et se révolterait d’être ainsi traîné, et qu’une fois arrivé à la lumière,
il aurait les yeux éblouis de son éclat, et ne pourrait voir aucun des
objets que nous appelons à présent véritables ?
GLAUCON - Il ne le pourrait pas, du moins tout d’abord.
SOCRATE. - Il devrait en effet s’y habituer, s’il voulait voir le
monde supérieur. Tout d’abord ce qu’il regarderait le plus
facilement, ce sont les ombres, puis les images des hommes et des
autres objets reflétés dans les eaux, puis les objets eux-mêmes; puis
élevant ses regards vers la lumière des astres et de la lune, il
contemplerait pendant la nuit les constellations et le firmament lui-
même plus facilement qu’il ne contemplerait pendant le jour le soleil
et l’éclat du soleil.
GLAUCON - Sans doute.
SOCRATE. - À la fin, je pense, ce serait le soleil, non dans les eaux,
ni ses images reflétées sur quelque autre point, mais le soleil lui-
même dans son propre séjour qu’il pourrait regarder et contempler
tel qu’il est.
GLAUCON - Nécessairement.
SOCRATE. - Après cela, il en viendrait à conclure au sujet du soleil,
que c’est lui qui produit les saisons et les années, qu’il gouverne tout
dans le monde visible et qu’il est en quelque manière la cause de
toutes ces choses que lui et ses compagnons voyaient dans la
caverne.
GLAUCON - Il est évident que c’est là qu’il en viendrait après ces
diverses expériences.
SOCRATE. - Si ensuite il venait à penser à sa première demeure et
à la science qu’on y possède, et aux compagnons de sa captivité, ne
crois-tu pas qu’il se féliciterait du changement et qu’il les prendrait
en pitié?
GLAUCON - Certes si.
[...] GLAUCON - Je suis de ton avis. Il préférerait tout souffrir
plutôt que de revivre cette vie-là.
SOCRATE. - Imagine encore ceci; si notre homme redescendait et
reprenait son ancienne place, n’aurait-il pas les yeux offusqués par
les ténèbres, en venant brusquement du soleil ?
GLAUCON - Assurément si.
SOCRATE. - Et s’il lui fallait de nouveau juger de ces ombres et
concourir avec les prisonniers qui n’ont jamais quitté leurs chaînes,
pendant que sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se
soient remis et accoutumés à l’obscurité, ce qui demanderait un
temps assez long, ne prêterait-il pas à rire et ne diraient-ils pas de
52
lui que, pour être monté là-haut, il en est revenu les yeux gâtés, que
ce n’est même pas la peine de tenter l’ascension; et, si quelqu’un
essayait de les délier et de les conduire en haut, et qu’ils pussent le
tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueraient-ils pas ?
GLAUCON - Ils le tueraient certainement.
SOCRATE. - Maintenant, il faut, mon cher Glaucon, appliquer
exactement cette image à ce que nous avons dit plus haut. Il faut
assimiler le monde visible au séjour de la prison, et la lumière du
feu dont elle est éclairée à l’effet du soleil ; quant à la montée dans
le monde supérieur et à la contemplation de ses merveilles, vois-y
la montée de l’âme dans le monde intelligible, et tu ne te tromperas
pas sur ma pensée, puisque tu désires la connaître. Dieu sait si elle
est vraie; en tout cas, c’est mon opinion, qu’aux dernières limites du
monde intelligible est l’idée du bien, qu’on aperçoit avec peine,
mais qu’on ne peut apercevoir sans conclure qu’elle est la cause
universelle de tout ce qu’il y a de bien et de beau ; que dans le monde
visible, c’est elle qui a créé la lumière et le dispensateur de la
lumière; et que dans le monde intelligible, c’est elle qui dispense et
procure la vérité et l’intelligence, et qu’il faut la voir pour se
conduire avec sagesse soit dans la vie privée, soit dans la vie
publique41.
S’il existe un droit naturel chez Platon, c’est en ce sens que les idées,
au sens platonicien, sont liées à la physis. Le principe de toutes
choses ne peut se situer hors de la nature : un art, c’est-à-dire une
production humaine, qui ne s’enracinerait pas dans la nature ne serait
qu’artifice. Un ordre qui ne s’appuierait pas sur la nature serait vide.
Selon Platon, les sophistes n’ont pu opposer la loi à la nature que
parce qu’ils empruntaient aux physiologues une vision partielle, et
par là fausse, de cette dernière. La vraie nature ne s’oppose ni à l’art
véritable, ni à la loi vraie, mais les fonde et les justifie. Cette nature
n’a pas besoin de normes qui lui soient extérieures, puisqu’elle a un
caractère immédiatement normatif. Platon ne cessera donc d’opposer
à la fausse nature empirique, dominée par le hasard et dont il ne peut,
41
Ibidem, 514a et ss.
53
selon le Timée, y avoir de science, la « vraie nature » qu’est le monde
des idées.
§ 5. L’état de nature
42
Voy., pour ce paragraphe et les suivants, H. JOLY, Le renversement platonicien.
Logos, épistémè, polis, Paris, Vrin, 1974, spécialement IVe partie, « Polis et
nomos », pp. 273 et ss.
43
Voy. supra, ch. III, section 3, § 3, lorsque Hammourapi se compare lui-même à
un berger parce qu’il est privilégié des dieux.
54
Aussi n’y avait-il point d’animaux sauvages, ni d’animaux se
servant les uns aux autres de nourriture ; point de guerre entre eux,
absolument point non plus de dissension. Au contraire, ce seraient
des milliers et des milliers de biens qu’on devrait énumérer, pour
dire tous ceux qui résultent d’une pareille organisation des choses.
Mais maintenant pour ce qui, dans la légende, concerne les hommes,
voici à peu près ce qu’on rapporte au sujet des conditions spontanées
de leur existence. C’était la Divinité en personne qui était leur
pasteur et qui présidait à leur vie, ainsi que les hommes à présent,
en tant qu’ils se distinguent par le caractère plus divin de leur
espèce, sont les pasteurs des autres espèces animales, qui sont
inférieures à la leur ; or, puisque celle-ci était leur pasteur, il n’y
avait point besoin de constitution politique ; ils ne possédaient point
une femme et des enfants : au sortir de la terre, ils revenaient tous à
la vie, sans avoir gardé aucun souvenir des conditions antérieures
de leur existence. Mais, tandis qu’était absent de leur état tout ce
qu’il y a de cette sorte, en revanche les arbres, sans parler
d’innombrables taillis, leur fournissaient des fruits à profusion, et
lesquels ne réclamaient point d’être produits par la culture, étant au
contraire une contribution spontanée de la terre. D’autre part, ils
vivaient nus, dormant au pâturage, le plus souvent sans lit, à la belle
étoile : c’est que, par la façon dont les saisons étaient tempérées, ils
étaient préservés d’avoir à en souffrir ; c’est aussi que molle était
leur couche, étant faite du gazon qui à profusion poussait sur la terre.
[…] Sache donc que, une fois les hommes sevrés des soins
providentiels de la Divinité dont nous étions la propriété et qui nous
paissait, comme d’autre part toutes celles des bêtes, en grand
nombre, dont le naturel n’était point commode, revenaient à l’état
sauvage et que, en revanche, les hommes s’étaient affaiblis et qu’ils
n’étaient plus protégés, ils étaient par elles mis en pièces. En outre,
dans les premiers temps, ils étaient encore dépourvus de moyens et
sans industrie, du fait que leur faisait défaut l’alimentation
spontanée, et que, faute pour eux d’avoir en rien connu
antérieurement la pression contraignante du besoin, ils ignoraient
jusqu’alors la possibilité de se la procurer autrement 44.
44
Le Politique, 271e-272b, 274b-c.
55
On verra à quel point Rousseau pourra trouver son inspiration dans
ce mythe très ancien, qui n’est pas sans rapport avec celui du paradis
terrestre du Moyen-Orient. L’autre mythe suppose que, selon l’état
de nature, les hommes sont dès l’origine faibles et menacés
d’extermination, ce qui les pousse à créer des cités au sein desquelles
règne la justice. Nous l’avons évoqué à propos de Protagoras et du
(pseudo-)Calliclès.
(…)
56
s’oppose plus à la nature comme dans le discours sophistique ; elle
l’accomplit.
(…)
45
Pour la théologie chrétienne (voy. notamment THOMAS D’AQUIN, Somme
théologique, Ia IIae, Q. 61), les quatre vertus cardinales sont la prudence,
assimilable à la sagesse, la force, assimilable au courage, la tempérance et la
justice. On voit l’influence platonicienne.
57
fasse d’après les aptitudes naturelles de chacun, et la Cité sera
juste46.
46
435d.
47
Gorgias, 337d.
48
La République, 558c et ss.
49
Les lois, 757b.
50
Ibidem.
51
La République, 433a.
58
La principale difficulté de l’approche en termes d’égalité
proportionnelle, à laquelle on se heurtera aussi dans la théorie
d’Aristote qui, sur ce point, rejoint son maître, ne réside pas dans le
fait qu’il convient de comparer des personnes se trouvant dans des
situations différentes pour leur accorder plus ou moins d’avantages
ou de droits proportionnels, mais de savoir sur quel critère doivent
se comparer les personnes : la vertu ? La richesse ? L’utilité sociale ?
La race ?
L’âme humaine étant composée des mêmes parties que la Cité, nous
devons y trouver, pareillement distribuées, les mêmes vertus. Dès
lors, si la justice dans l’État consiste à ce que chaque classe remplisse
uniquement la fonction qui convient à sa nature, elle consistera dans
59
l’individu à ce que chaque élément de l’âme se cantonne dans son
rôle, autrement dit à ce que ni l’élément appétitif, ni le courageux ne
se substituent au raisonnable pour le gouvernement de l’âme et la
conduite de la vie52. L’injustice provient de cette substitution.
(…)
52
444a.
60
description n’a toutefois pas de prétention historique, elle est
délibérément normative. Les critères des prédécesseurs de Platon
étaient avant tout le nombre de gouvernants. Platon insistera d’abord
sur la vertu, ou l’absence de vertu, de ceux-ci. D’ailleurs, à chaque
type politique correspond un type humain : on peut soi-même être
timocratique, oligarchique, démocratique, tyrannique.
- Il est certain, reprit-il, que j’ai bien envie, pour ma part, d’entendre
quels sont ces quatre régimes politiques dont tu parlais.
- Tu l’entendras sans peine, répliquai-je. Les régimes dont je parle
sont précisément ceux qu’on connaît par leur nom : celui qui est loué
par le plus grand nombre de gens, le régime crétois et lacédémonien,
cher à ton cœur ; le second, à la seconde place aussi dans la louange,
est celui qu’on appelle l’oligarchie, régime plein de maux sans fin ;
ensuite vient un régime adverse du précédent, la démocratie ; enfin,
voici la noble tyrannie, qui se distingue entre tous ces régimes,
quatrième et dernière maladie d’un État !
[…]
Mais, repris-je, sais-tu bien que nécessairement il existe juste autant
d’espèces de tempéraments d’hommes qu’il en existe aussi de
régimes politiques53 ?
53
La République, 544b et ss.
61
ou non armer les pauvres ? Ne se retourneront-ils pas contre les
riches ?
62
Pour tout le monde, il n’y a manifestement pas d’État plus
malheureux que celui qui est régi tyranniquement, ni d’État plus
heureux que celui qui possède un régime royal 54.
Section 6 Aristote
§ 1. L’homme et l’œuvre
54
576e.
63
À Athènes, Aristote est un métèque, c’est-à-dire un étranger venant
d’une autre ville de Grèce (méta-oikos, littéralement « celui qui a
changé de maison »). Il ne peut donc participer concrètement à la vie
politique, mais l’observe constamment. Il devient précepteur du
futur Alexandre le Grand. Sa proximité avec celui-ci l’obligera à
quitter Athènes où son maître fait figure d’ennemi. Il est menacé
d’un procès en impiété. On lui reproche officiellement d’avoir
« immortalisé » un mortel, Hermias, en lui dédiant un hymne.
Aristote préfère quitter Athènes que d’encourir le sort de Socrate : il
ne veut pas, aurait-il dit, donner aux Athéniens l’occasion de
« commettre un nouveau crime contre la philosophie ». Il meurt en
323 ou 322.
64
Métaphysique et la Politique s’étendent en effet sur presque toute la
carrière d’Aristote.
(…)
65
Raphaël, L’École d’Athènes,~1509 (détail).
66
sensible, elles comportent la même infirmité que lui et sont à
nouveau inconnaissables. On connaît le célèbre argument du
« troisième homme » : si un homme est un homme parce qu’il
participe à l’idée de l’homme, comme le soutient Platon, une
troisième idée d’homme serait nécessaire pour expliquer comment
l’homme et l’idée de l’homme sont tous deux des hommes, et ainsi
de suite ad infinitum55.
A. L’essence
55
Voy. Métaphysique, Livre A, 9 et Livre Z, 7. Toutes les traductions citées de la
Métaphysique sont celles de J. TRICOT, Paris, Vrin, 1953, t. 1, p. 176.
56
Métaphysique, livre , 2, 1003a 33 (entre autres). Sur l’ontologie
aristotélicienne, voy. spécialement P. AUBENQUE, Le problème de l’être chez
Aristote. Essai sur la problématique aristotélicienne, Paris, PUF, 1962.
67
Les significations multiples de l’être, bien qu’elles soient
irréductibles les unes aux autres, n’en comportent pas moins une
certaine unité, dans la mesure où elles « se disent par rapport à un
principe unique », qui est l’essence (ousia, traduit aussi par
« substance »). Celle-ci renvoie à ce qu’un étant est vraiment au plus
intime de lui, à sa nature profonde, sa substance, ce qui le constitue
comme tel et, en même temps, le maintient un à travers ses
variations. L’essence est aussi ce qui dans l’étant est universel. Dès
lors, la science de l’être peut être dite « une », dans la mesure où « la
question qui est un objet passé, présent et éternel d’embarras et de
recherche, « qu’est-ce que l’être ? » se laisse ramener à « qu’est-ce
que l’essence ? »
Telles choses, en effet, sont dites des êtres parce qu’elles sont des
substances, d’autres parce qu’elles sont des déterminations de la
substance, telles autres parce qu’elles sont un acheminement vers la
substance, ou au contraire, des corruptions de la substance, ou parce
qu’elles sont des privations, ou des qualités de la substance, ou bien
parce qu’elles sont des causes efficientes ou génératrices, soit d’une
substance, soit de ce qui est nommé relativement à une substance,
ou enfin parce qu’elles sont des négations de quelqu’une des
qualités d’une substance, ou des négations de la substance même 57.
(…)
57
Métaphysique, Livre , 2, 1003b, 5-10.
68
qui débordent la vie quotidienne. La communauté de plusieurs
villages est la cité. Pour le Stagirite, la cité accomplie est avant tout
autarcique, indépendante.
58
Politique, I, 2, 1253a, 10-12. La célèbre définition aristotélicienne selon
laquelle l’homme est « doué de logos » se retrouvera, assez curieusement, dans
l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre
1948 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils
sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans
un esprit de fraternité. »
59
Cette définition de l’être humain comme logikon et politokon a été reprise par
des auteurs aussi différents que Thomas d’Aquin ou Proudhon. Ce dernier n’hésite
pas à dire « qu’elle vaut mieux que toutes celles qui ont été données depuis. » (P.-
J. PROUDHON, Qu’est-ce que la propriété ?, 1840, Paris, Librairie générale
française, [Le Livre de poche. Les classiques de la philosophie, n° 31348], 2009,
p. 367.
70
vraiment une main. L’homme ne peut accéder à l’humanité véritable
que dans le cadre de la polis.
60
Politique, I, 2, 1253 a, 29-32.
61
Éthique à Nicomaque, 1094a et ss. Toutes les traductions citées de l’Éthique à
Nicomaque sont celles J. Tricot, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1979.
71
Le Stagirite avait posé le principe selon lequel toute personne
recherche le bonheur et que celui-ci est atteint par la vertu. La vertu
elle-même est une « médiété », c’est-à-dire une juste mesure entre
des extrêmes (bien que certaines actions ou affections n’admettent
pas de médiété parce qu’elles sont mauvaises en elles-mêmes,
comme l’adultère, le vol, l’homicide, l’envie)62.
On peut dire qu’en un certain sens, toutes les vertus sont incluses
dans la justice générale ou universelle qui rend l’homme apte à
respecter les lois, tend à produire et à conserver le bonheur, et à
traiter aussi bien ses propres affaires que les affaires d’autrui.
62
Ce paragraphe résume le Livre V de l’Éthique à Nicomaque, consacré à la
justice, qui constitue un des principaux textes fondateurs de la philosophie du droit
et du droit naturel. Aristote traite également de la justice distributive dans La
Politique (III, 9, 1208a et III, 12, 1282b).
72
dépendent des mérites, A/B= Γ / Δ, où A représente une personne, B
une autre, Γ la part de A et Δ celle de B. Il s’agit d’une proportion
que les mathématiciens appellent « géométrique » par opposition à
la première, « arithmétique ». La théorie d’Aristote n’est pas
différente, mais plus formalisée, que l’approche de Platon qui
discutait de la valeur de la maxime : « Le juste est d’attribuer à
chacun son dû63. »
63
Voy. supra, section 5, § 7.
73
une proportion continue, car il ne peut y avoir un terme
numériquement un pour une personne et pour une chose 64.
64
Éthique à Nicomaque, 1131a, 20 et ss. Isocrate (436-338), dans son Discours
aréopagitique (VII, 21-22) se référait aussi à « deux égalités [...] dont l’une
distribue la même part à tous et l’autre à chacun ce qui lui convient ». Cicéron
reprendra la notion, suivi par les Pères de l’Église. La justice attribue à chacun ce
qui lui revient, dit saint Ambroise lorsqu’il reprend Cicéron dans son traité Des
offices des ministres (I, 24, 115). Saint Augustin a des formules analogues dans le
De libero arbitrio (Du libre arbitre, 1, 13, 27) et dans la Cité de Dieu (XIX, 21);
Commentaires sur le Psaume LXXXIII (11 et ss.).
74
sorte d’égalité. « Aller devant le juge c’est aller devant la justice car
le juge tend à être une justice vivante65. »
65
Éthique à Nicomaque, 1132a.
66
Dans Théorie de la justice, paru en 1971, ce dernier propose deux principes de
justice : « 1. Chaque personne a un droit égal au système le plus étendu de libertés
de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres.
2. Les inégalités sociales et économiques sont autorisées à condition : a) qu’elles
soient au plus grand avantage du plus mal loti ; b) qu’elles soient attachées à des
positions et à des fonctions ouvertes à tous, dans des conditions d’égalité équitable
des chances. » (§§ 11 et ss.) Rawls utilise le mot « égalité » ou « inégalité » au
sens arithmétique. Voy. J. RAWLS, Théorie de la justice, tr. fr. C. AUDARD, Paris,
Seuil, 1987.
75
On l’a dit à propos de Platon, la difficulté engendrée par une
approche trop formelle de l’égalité proportionnelle vient toutefois de
la difficulté de déterminer le critère selon lequel les personnes
doivent être mises en relation. Le rapport A/B est-il celui de la vertu,
de la richesse, de l’utilité, de la nationalité, de la race67 ?
(…)
67
Bien plus tard, le célèbre arrêt Plessy v. Ferguson rendu par la Cour suprême
des États-Unis le 18 mai 1896 (163 U.S. 537) à propos d’une loi imposant aux
compagnies de chemin de fer de transporter des passagers dans des voitures ou des
compartiments différents, dira que l’objet du XIVe amendement de la Constitution
« est sans aucun doute d’imposer une totale égalité des deux races devant la loi.
Mais de par la nature des choses, il ne peut avoir voulu abolir les distinctions
fondées sur la couleur, imposer une égalité sociale par opposition à politique, ni le
mélange (comingling) des deux races selon des termes qui ne seraient satisfaisants
pour aucune. » Le schéma aristotélicien de la justice distributive peut parfaitement
s’appliquer à ce raisonnement : égalité n’est pas identité, et il est normal que des
différences de traitement s’appliquent à des différences de situation, en
l’occurrence appartenir à la « race » blanche ou à la « race » noire. Pourtant, le
choix du critère de différenciation ne laissait pas de poser question et constituait
même l’enjeu principal du débat.
76
Conclusions de ce chapitre
L’idée d’une nature engendrante, la physis, s’enracine au plus
profond de la philosophie grecque. Elle ne remplace pas la
justification de la norme par la transcendance et le sacré, elle
l’accompagne et la concurrence progressivement. Antigone invoque
l’ordre divin ; le dieu d’Aristote, immobile et impersonnel, ne sera
pas créateur de lois.
78
CHAPITRE V - ROME ET LA PHILOSOPHIE DU
DROIT
(…)
79
CHAPITRE VI - LA PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE
ET LE DROIT NATUREL
(…)
Conclusions de ce chapitre
Pendant environ 1.500 ans, le droit, en Europe et plus tard dans le
Nouveau Monde, a entendu se conformer au christianisme tel que le
pouvoir religieux l’a interprété et construit. Certains, aujourd’hui,
tiennent cette influence pour dépassée et dès lors sans intérêt. Notre
culture du XXIe siècle en est pourtant encore tout imprégnée. Les
militants chrétiens se battent d’ailleurs pour la maintenir, tandis que
les militants laïcs ou athées s’efforcent de la combattre, ce qui
prouve son actualité.
80
héritiers de la pensée grecque seront, pendant des siècles, des
chrétiens et ceux-ci, spécialement les Pères de l’Église, penseront
sous l’influence évidente des auteurs grecs et latins. On oublie aussi
trop souvent à quel point la loi mosaïque et la loi paulinienne
constitueront un soubassement plus ou moins explicite de leur
pensée. L’idée que la loi permet de vivre, d’échapper à la mort, non
seulement au sens de la préservation de sa vie le plus longtemps
possible, mais au sens radical de ne pas mourir, sera présente à divers
degrés. L’affirmation selon laquelle l’obéissance à la loi doit être
intériorisée par le sujet de droit renforcera des notions juridiques
contemporaines comme celle de « respect » ou de « dignité ».
Il n’est pas étonnant, dès lors, qu’au fil des siècles qu’égrène le
Moyen Âge se soit progressivement formée une synthèse entre la
tradition sémitique et la tradition grecque, déjà nettement perceptible
chez saint Augustin, plutôt platonicien, et génialement accomplie
près d’un millénaire plus tard par saint Thomas, ouvertement
aristotélicien. Selon eux, la nature contient un ordre juridique que la
raison est capable de découvrir à travers un long chemin rationnel. Il
correspond à la volonté d’un Dieu qui parle immédiatement au
croyant et lui offre ainsi un accès au droit naturel plus immédiat.
81
CHAPITRE VII – LE DROIT NATUREL ET L’ISLAM
(…)
Conclusions de ce chapitre
La pensée islamique en général et la conception du droit qu’elle
inclut perpétuent à l’évidence, jusqu’à ce jour, la tradition sémitique.
Il ne saurait y être question de « droit naturel ». Averroès a certes
cherché à montrer l’adéquation entre le Coran et la Sounna, d’une
part, la pensée grecque et spécialement celle du Stagirite, d’autre
part. Il a échoué à imposer sa synthèse. À la même époque, saint
Thomas réussissait dans le monde chrétien à convaincre de la
convergence de la Révélation et de la raison.
83
CHAPITRE VIII - LE DROIT NATUREL
ET LA FORMATION DE L’ÉTAT MODERNE
Section 1 Le contexte
§ 1. L’humanisme de la Renaissance
68
Sur les fondements philosophiques de la dignité humaine, voy. F. RIGAUX, « Les
sources philosophiques de l’intangibilité de la dignité humaine », Bulletin de la
classe des lettres de l’Académie royale de Belgique, 6e série, tome XII, 7-12/2001,
pp. 561-598 ; J. FIERENS, « La dignité humaine comme concept juridique », cité.
84
changer par la raison et la volonté, et comporte des connotations
politiques évidentes69.
69
Sur l’utopisme, voy. G. HOTTOIS, De la Renaissance à la postmodernité. Une
histoire de la philosophie moderne et contemporaine, Bruxelles, De Boeck
Université, 3e éd. 2002, pp. 62 et ss.
70
Seize leçons de philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1969, p. 60.
71
De docta ignorantia, II, 14, tr. fr. L. MOULINIER et A. REY, Paris, Alcan, 1930.
85
de protestants. La liberté de pensée et de religion devient un objectif
fondamental. Le 13 avril 1598, Henri IV proclame l’Édit de Nantes
de tolérance religieuse, mais on sait que cet édit sera révoqué par
Louis XIV le 18 octobre 1685.
72
Le Vindiciae, propagé sous le pseudonyme de Junius Brutus, est attribué à
Philippe Duplessis-Mornay (1549-1623) et Hubert Languet (1518-1581).
86
l’Angleterre. La perception de la violence des hommes et de la
pauvreté influencera Machiavel ou, plus tard, Hobbes.
73
Voy. la tr. fr. de J. PEYROUX, Paris, éd. A. Blanchard, 1987.
87
Ce que nous appelons aujourd’hui « science » n’existe pas en tant
que tel avant les XVIe-XVIIe siècle. La connaissance était rarement
expérimentale. Depuis l’Antiquité, les sciences dites « de la nature »
étaient ce qu’on appelle parfois des « philosophies naturelles », où
la connaissance de la nature comme donnée à l’observation était
toujours étroitement liée à des préoccupations métaphysiques. La
Renaissance inaugure la scission entre science et religion, qui
triomphe aujourd’hui. Une séparation rigoureuse s’impose entre ce
qui est en fait et ce qu’il faut en droit.
74
Voy. F. BACON, Novum Organum (1620), tr. fr. J.-M. POUSSEUR et
M. MALHERBE, Paris, PUF [Épiméthée], 1986.
75
Pour tenter de se faire une idée du contexte de l’époque, on recommandera la
lecture du roman parfaitement documenté et remarquablement écrit de Marguerite
Yourcenar, L’œuvre au noir, Paris, Gallimard, 1968.
88
la privera du respect dont les Anciens lui témoignaient. On aboutira
à terme à tous les problèmes que pose aujourd’hui sa préservation.
En droit, le positivisme est dès lors rendu possible : la loi sera ce que
décide l’instance compétente par sa volonté et sa maîtrise,
indépendamment, le cas échéant, d’un souci de justice. Le droit est
la règle empiriquement constatée. Tel est, jusqu’à nos jours, le trait
distinctif du pouvoir politique : il est celui qui fait les lois, non plus
nécessairement celui qui rend à chacun son dû, et la science juridique
consiste d’abord à connaître et à maîtriser la production normative
sans y attacher de jugements de valeur.
89
La boussole, apparue en Chine dès le Xe siècle, et l’astrolabe qui
rend possible le calcul de la position en pleine mer à toute époque de
l’année permettent aux navires de s’éloigner des côtes et
d’entreprendre des voyages au très long cours.
Section 2. Machiavel
§ 1. L’homme et l’œuvre
§ 2. Le Prince
91
quelques sophistes, nous l’avons vu)76. Le droit, selon notre auteur,
sert les intérêts des puissants, il n’est pas là pour protéger les faibles.
En d’autres mots, s’il y a de la « nature » dans le droit, il s’agit d’une
nature agressive, domination des forts sur les faibles… à moins que
le moment machiavélien soit aussi une rupture avec l’idée de nature
dans le droit, et un autre pas important vers le positivisme77.
A. Politique et religion
76
Voy. C. LEFORT, Le travail de l’œuvre. Machiavel, Paris, Gallimard, 1972.
77
Grotius prétendra cependant plus tard, au début de son ouvrage Le droit de la
guerre et de la paix, que l’idée selon laquelle « rien n’est injuste de ce qui est utile
aux rois et aux États souverains » existe depuis l’Antiquité (tr.fr. P. PRADIER-
FODERE, Paris, PUF [Léviathan], 1999, p. 8).
92
politique, de ce fait, n’est pas le règne des bons sentiments ou des
belles idées, mais au contraire toujours un rapport de forces.
Tous les écrivains qui se sont occupés de politique (et l’histoire est
remplie d’exemples qui les appuient) s’accordent à dire que
quiconque veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer
d’avance les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur
méchanceté toutes les fois qu’ils en trouveront l’occasion. Si ce
penchant demeure caché pour un temps, il faut l’attribuer à quelque
raison qu’on ne connaît point, et croire qu’il n’a pas eu l’occasion
de se montrer ; mais le temps qui, comme on dit, est le père de toute
vérité, le met ensuite au grand jour.
Après l’expulsion des Tarquins, la plus grande union paraissait
régner entre le sénat et le peuple. Les nobles semblaient avoir
déposé tout leur orgueil et pris des manières populaires, qui les
rendaient supportables même aux derniers des citoyens. Ils jouèrent
ce rôle et on n’en devina pas le motif tant que vécurent les Tarquins.
La noblesse, qui redoutait ceux-ci, et qui craignait également que le
peuple maltraité ne se rangeât de leur parti, se comportait envers lui
avec humanité. Mais quand la mort des Tarquins les eut délivrés de
cette crainte, ils gardèrent d’autant moins de mesure avec le peuple
qu’ils s’étaient plus longtemps contenus, et ils ne laissèrent
échapper aucune occasion de le frapper. C’est une preuve de ce que
nous avons avancé : que les hommes ne font le bien que forcément ;
mais que dès qu’ils ont le choix et la liberté de commettre le mal
avec impunité, ils ne manquent de porter partout la turbulence et le
désordre78.
78
Discours sur la première décade de Tite-Live, livre I, ch. III, tr. fr. T. GUIRAUDET,
Paris, Garnier Flammarion, 1985, p. 43.
79
Le Prince, tr. fr. Y. LÉVY, Paris, Garnier Flammarion, 1980, p. 161.
93
Le mot « État », dans son acception contemporaine, date du
XVIe siècle. Chez Machiavel, le vocabulaire politique reste encore
assez imprécis, ne différenciant pas nettement nazione de provincia.
C’est en 1547 que, Giovanni della Cosa (1503-1556), ecclésiastique
mondain de Venise, poète et prosateur, utilisera pour la première fois
l’expression « raison d’État ».
Sur cela, il est à observer que celui qui usurpe un État doit
déterminer et exécuter tout d’un coup toutes les cruautés qu’il doit
commettre, pour qu’il n’ait pas à y revenir tous les jours, et qu’il
94
puisse, en évitant de les renouveler, rassurer les esprits et les gagner
par des bienfaits80.
C. Virtù et fortuna
80
Ibidem, p. 178.
81
Ibidem, pp. 191-192.
95
La virtù est en effet capable d’imposer sa loi envers et contre la
fortuna. L’exercice d’une liberté peut infléchir le cours des
événements. La politique est l’art de calculer des moments en
sachant qu’ils sont instables, précaires, rapidement changeants,
parce qu’ils ne renvoient à rien d’autre qu’au caprice de la fortuna.
Elle permet d’intégrer après coup les événements dans un tout. Ainsi,
Moïse devait à la fortuna d’être né en Égypte quand les Hébreux
étaient réduits en esclavage. Il a su s’imposer comme chef grâce à sa
virtù. Le pouvoir marque la rencontre, pour un temps nécessairement
limité, d’une façon toujours précaire et inévitablement polémique,
entre la virtù d’un prince et une occasion donnée par fortuna.
D. Conseils au prince
82
Discours sur la première décade de Tite-Live, livre II, ch. XXIX, tr. fr.
T. GUIRAUDET, op. cit., p. 232.
96
Un prince, donc, ne doit avoir autre objet ni autre pensée, ni prendre
aucune chose pour son art, hormis la guerre et les institutions et
science de la guerre83.
Nous avons dit plus haut qu’il est nécessaire au prince que ses
fondements soient bons, autrement il est inévitable qu’il tombe. Les
principaux fondements qu’aient tous les États, tant nouveaux
qu’anciens ou mixtes, sont les bonnes lois et les bonnes armes ; et
comme il ne peut y avoir de bonnes lois là où il n’y a point de bonnes
armes, et que là où il y a de bonnes armes, il y a nécessairement de
bonnes lois, je m’abstiendrai de traiter des lois et parlerai des
armes84.
83
Le Prince, tr. fr. Y. LÉVY, op. cit., p. 145.
84
Ibidem, p. 135.
85
Ibidem, p. 149.
97
qu’on peut faire pour avoir de l’argent. Ce qui commencera à le
rendre odieux aux sujets, et à le faire peu estimé d’un chacun,
puisqu’il devient pauvre86.
De là naît une dispute : s’il est meilleur d’être aimé que craint, ou
l’inverse. On répond qu’on voudrait être l’un et l’autre ; mais
comme il est difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus
sûr d’être craint qu’aimé, quand on doit manquer de l’un des deux.
Des hommes, en effet, on peut dire généralement ceci : qu’ils sont
ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, ennemis des
dangers, avides de guerre ; et tant que tu leur fais du bien, ils sont
tout à toi, t’offrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfants,
comme j’ai dit plus haut, quand le besoin est lointain ; mais quand
ils s’approchent de toi, ils se dérobent.
[…] Le prince, cependant, doit se faire craindre en sorte que s’il
n’acquiert pas l’amour, il évite la haine, car être craint et n’être pas
haï peuvent très bien se trouver ensemble ; et cela arrivera toujours
pourvu qu’ils s’abstiennent des biens de ses concitoyens et de ses
sujets, et de leurs femmes87.
Il faut donc qu’un prince ait grand soin qu’il ne lui sorte jamais de
la bouche chose la moindre parole qui ne soit pleine des cinq
86
Ibidem, p. 151.
87
Ibidem, p. 156.
98
qualités susdites ; et qu’il paraisse, à le voir et à l’entendre, toute
miséricorde, toute bonne foi, toute droiture, toute humanité, toute
religion. Il n’y a chose plus nécessaire à paraître avoir que cette
dernière qualité. Les hommes en général jugent plus par les yeux
que par les mains ; car il échoit à chacun de voir, à peu de gens de
percevoir. Chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es ;
et ce petit nombre ne se hasarde pas à s’opposer à l’opinion d’une
foule qui a la majesté de l’État qui la défend ; et dans les actions de
tous les hommes, et surtout des princes où il n’y a pas de tribunal à
qui recourir, on considère la fin88.
Section 3 La Réforme
La Réforme est un événement historique et culturel qui a bouleversé
l’Europe et préparé à sa manière une nouvelle fondation du droit
dans la « nature », la référence au Dieu des chrétiens ayant en
quelque sorte éclaté. La remise en question de l’autorité de l’Église
et du pape prépare également l’avènement d’une liberté
fondamentale, celle de penser et de s’exprimer selon ses propres
convictions.
88
Ibidem, p. 161.
99
(…)
Section 4. Grotius
§ 1. L’homme et l’œuvre
101
Ce n’est pas un hasard si l’« École du droit naturel », mal nommée car
il s’agit surtout d’une nouvelle période de réflexion sur le droit naturel
utilisant une certaine acception de la « raison », est née en pays
protestant. La Réforme a sapé l’unité doctrinale chrétienne. Il faut
trouver d’autres fondements de la vérité que le message évangélique.
89
Le droit de la guerre et de la paix, Prolégomènes, XXXIX (voy. aussi LVI), tr.fr.
par P. PRADIER-FODERE, Paris, PUF [Léviathan], 1999, p. 22.
102
À la suite de Platon et anticipant Rousseau, il considère que dans un
état originaire, chaque homme pouvait s’emparer, pour ses besoins, de
ce qu’il voulait. La communauté des biens existait parfois, soit en
raison d’une « simplicité de mœurs extrême », soit parce qu’elle
naissait de la charité.
90
Ibidem, livre II, ch. II, II, 1, p. 179. L’idée d’un « état de nature » originel et
bienveillant est une très vieille idée, commune à plusieurs civilisations. On la retrouve
dans le mythe du Paradis terrestre, dans « l’âge d’or » d’Hésiode, dans le mythe de
Protagoras. Voy. aussi, en ce qui concerne les Indiens d’Amérique du Sud, les
nombreux mythes des origines, rapportés par C. Lévi-Strauss dans Mythologiques,
t. I, Le Cru et le Cuit, Paris, Plon, 1964.
103
Ce qui empêcha que les fruits ne fussent mis en commun, ce fut
d’abord la distance des lieux où les hommes allèrent s’établir ; puis
l’absence de justice et d’amour, qui faisait que ni dans le travail, ni
dans la consommation des fruits, on n’observait, comme on l’aurait
dû, l’égalité. […] Nous apprenons en même temps comment les
choses sont devenues des propriétés. […] Ce fut le résultat d’une
convention soit expresse : au moyen d’un partage, par exemple ; soit
tacite : au moyen, par exemple d’une occupation91.
§ 4. Le droit en général
91
Ibidem, livre II, ch. II, II, 4-5, p. 182.
92
Ibidem, livre II, ch. XII, VIII, p. 335.
104
Car le mot droit ne signifie autre chose ici que ce qui est juste, et
cela dans un sens plutôt négatif qu’affirmatif, de sorte que le droit
est ce qui n’est pas injuste. Or ce qui est injuste, c’est ce qui répugne
à la nature de la société des êtres doués de raison.
[…]
Il y a une signification du droit différente de la précédente, mais qui
en découle, et qui se rapporte à la personne. Pris dans ce sens, le
droit est une qualité morale attachée à l’individu pour posséder ou
faire justement quelque chose.
[…]
Les jurisconsultes désignent la faculté par l’expression de sien ; pour
nous, nous l’appellerons désormais droit proprement ou strictement
dit, qui embrasse la puissance publique tant sur soi-même – qu’on
appelle liberté – que sur les autres, telles que la puissance paternelle,
la puissance dominicale ; le domaine plein et entier, ou le domaine
moins parfait, comme l’usufruit, le droit de gage ; le droit de créance
auquel correspond l’obligation.
[…]
Il y a une troisième signification du mot droit, suivant laquelle ce
terme synonyme du mot loi, pris dans le sens le plus étendu, et qui
veut dire une règle des actions morales obligeant à ce qui est
honnête. Nous demandons qu’il y ait obligation, car le conseil et
tous autres préceptes ayant pour objet l’honnête, mais n’imposant
aucune obligation, ne sont pas compris sous le nom de loi ou de
droit93.
93
Ibidem, livre I, ch. I, III, 1, IV, V et IX, 1, pp. 34-35, 37-38.
94
Michel Villey a voulu montrer cependant que l’individualisme moderne, qui
aboutit à l’émergence du « droit subjectif » qu’il critique alors que la notion rend
bien compte de ce qu’est un droit personnel aujourd’hui, trouve déjà ses
fondements implicites dans le nominalisme. Celui-ci est une des réponses à la
« querelle des universaux » qui a agité le Moyen Âge. Les genres, les espèces, les
concepts n’ont, aux yeux des nominalistes, aucune réalité (ce sont des flatus vocis,
simples « souffles dans la voix »). Seuls existent les étants individuels. Le
représentant le plus typique du nominalisme est Guillaume d’Ockham (~1290-
105
§ 5. Le droit naturel et le droit volontaire
A. Le droit naturel
« Le droit naturel est une règle que nous suggère la droite raison, qui
nous fait connaître qu’une action, suivant qu’elle est ou non
conforme à la nature raisonnable, est entachée de difformité morale,
ou qu’elle est moralement nécessaire et que, conséquemment, Dieu,
l’auteur de la nature, l’interdit ou l’ordonne95. » Les règles du droit
naturel se fondent donc essentiellement sur des principes moraux,
proches de ceux des théologiens (rappelons que Grotius en fut
également un). Contrairement à ceux-ci, Grotius recherche la source
des normes du droit naturel dans la raison uniquement. La volonté
de Dieu, en effet, n’est pour lui qu’une manifestation indirecte dans
la production normative, celle-ci émanant avant tout de la nature
humaine et de son caractère sociable. Le droit naturel est donc,
comme cette nature elle-même, immuable, commun à toutes les
époques et à toutes les régions. Il régit la conduite des individus et
celle des États, ces derniers étant liés par des obligations internes,
dont la violation entraîne un droit de résistance à l’oppression en
faveur de ses sujets, ainsi que par des obligations internationales,
celles du droit des gens. La loi positive applique le droit, qui, par
conséquent, est distinct d’elle, étant antérieur et supérieur. Certes,
cette théorie n’est pas nouvelle, mais elle rompt surtout avec la
tradition directement théologique du Moyen Âge. C’est la célèbre
formule des Prolégomènes du Droit de la guerre et de la paix,
« l’hypothèse impie » : « etiamsi daremus, quod sine summo scelere
dari nequit, non esse Deum », « quand même nous accorderions, ce
(…)
§ 1. L’homme et l’œuvre
96
Prolégomènes, XI, tr. fr. P. PRADIER-FODERE, op. cit., p. 12.
107
admirable » et énonce le célèbre « Je pense, donc je suis ». Ses
songes prophétiques, son vœu d’un pèlerinage à Notre-Dame-de-
Lorette et son adhésion à la société de la Rose-Croix témoignent
d’une crise mystique, prélude à une véritable révolution
intellectuelle.
108
Descartes a entretenu une importante correspondance, qui a été
publiée. On connaît par ailleurs surtout le Discours de la méthode
pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences,
les Méditations métaphysiques et les Règles pour la direction de
l’esprit.
§ 2. La philosophie
109
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des
revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre97.
97
Discours de la méthode, dans Œuvres et lettres, Paris, NRF-Gallimard [Bibl. de
la Pléiade], 1953, pp. 137-138.
98
Ibidem, pp. 147-148.
110
ce qui est extérieur au sujet. La raison est plus que jamais maîtrise,
de la nature spécialement.
Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des
connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette
philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut
trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions
du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres
corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous
connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions
employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres,
et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature99.
Bien que formé au droit, Descartes n’a pas traité cette matière.
Prétendant reconstruire toute la philosophie, il s’est contenté de dire
à son sujet qu’il fallait conserver le droit de la même façon que,
lorsqu’on reconstruit un palais, on y conserve une ou deux pièces à
titre provisoire pour s’y loger pendant le travail. Descartes lui-même,
en attendant d’avoir rebâti la pensée, observera provisoirement la
morale et le droit établis.
99
Ibidem, p. 168.
100
Ibidem, pp. 140-141.
111
Section 6. Thomas Hobbes
§ 1. L’homme et l’œuvre
(…)
112
§ 3. L’état de nature
Hobbes réfléchit à son tour à partir d’un état de nature supposé, non
pas comme un fait historique, mais au titre d’une fiction
méthodologique.
101
Léviathan, XXX, tr. fr. F. TRICAUD, Paris, Sirey, 1971, pp. 358-359.
102
Titre du ch. XLVI qui retrace l’histoire de la philosophie, ibidem, tr. fr.
F. TRICAUD, op. cit., p. 678.
103
Ibidem, tr. fr. F. TRICAUD, op. cit., p. 125.
104
Ibidem, p. 126.
113
Selon Hobbes, dans cet état de nature règne une sorte d’égalité
parfaite entre les hommes. Cette hypothèse sera nécessaire pour
fonder une conception contractuelle valide de la société.
Tous luttent pour la vie, pour les possessions. Il n’y a pas d’autres
lois que celles de la force ou de la ruse. Si certains sont plus forts,
les plus faibles peuvent être plus rusés, et ils peuvent aussi se
rassembler pour détruire les puissants. Le meurtre n’est pas une
infraction. Cette égalité mène à la guerre, conforme à un calcul
correct de la raison.
105
Ibidem, p. 121.
106
Ibidem, p. 124.
114
C’est dans la préface du De cive que l’on trouve la fameuse
affirmation selon laquelle « l’homme est un loup pour l’homme »,
homo homini lupus. L’état de nature est dès lors celui de l’instabilité,
de l’insécurité et de la misère. Il ne comporte ni société, ni
agriculture, ni industrie, ni justice, ni injustice, ni lettres, ni arts, ni
sciences d’aucune sorte. Chacun, en proie à une crainte continuelle
et au risque de la mort violente, vit une vie solitaire, misérable,
bestiale et brève107.
107
Hobbes, on l’a dit, avait traduit l’historien grec Thucydide (V e siècle avant J.-
C.) qui avait déjà décrit le règne de la force dans une sorte d’état de nature.
108
Léviathan, XIII, tr. fr. F. TRICAUD, op. cit., p. 122.
115
de se conserver, ne cesse de risquer sa vie. Le désir se trouve pris à
son propre piège, car la mort est son terme. Le « droit naturel », plus
imaginaire que réel, isole chacun en sa singularité, exige de
rechercher la paix en autorisant la guerre, et « requiert l’union qu’il
interdit ».
109
On retrouvera l’idée de ce conatus, avec d’autres accents, chez Baruch Spinoza
(1632-1677), contemporain de Hobbes.
110
Léviathan, XIV, tr. fr. F. TRICAUD, op. cit., p. 129.
116
valeur fondatrice de la cité. Pour les Grecs, le contrat était
simplement constaté, il était lui-même naturel, il n’était pas
condition de l’existence de la société, dépendant des volontés
interindividuelles.
§ 5. Le Léviathan
111
Ibidem, p. 132, souligné par Hobbes.
112
Ibidem, p. 177.
113
Ibidem, p. 166.
114
Voy. Ps 74, 14 ; Ps 104, 26 ; Es 27, 1 ; Béhémot en Job 40, 15 et ss., selon
certaines traductions.
117
revient à dire désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer
leur personnalité ; et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme
l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait faire, quant aux choses qui
concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé
leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et
son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette
assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde ; il s’agit
d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité
réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle
sorte que c’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet
homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me
gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton
droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière.
Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée
une RÉPUBLIQUE, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce
grand LÉVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence,
de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre
paix et notre protection. Car en vertu de cette autorité qu’il a reçue
de chaque individu de la République, l’emploi lui est conféré d’un
tel pouvoir et d’une telle force, que l’effroi qu’ils inspirent lui
permet de modeler les volontés de tous, en vue de la paix à
l’intérieur et de l’aide mutuelle contre les ennemis de l’extérieur. En
lui réside l’essence de la République, qui se définit : une personne
unique telle qu’une grande multitude d’hommes se sont faits,
chacun d’entre eux, par des conventions mutuelles qu’ils ont
passées l’un avec l’autre, l’auteur de ses actions, afin qu’elle use de
la force et des ressources de tous, comme elle le jugera expédient,
en vue de leur paix et de leur commune défense115.
115
Léviathan, XVII, tr. fr. F. TRICAUD, op. cit., pp. 177-178. C’est Hobbes qui
souligne.
118
fondements du droit. L’homme-individu et la manière dont on peut
le décrire y suffisent. Hobbes, plus nettement encore que Grotius qui
restait prudent, rompt avec toute la problématique cosmologique et
théologique qui le précède, n’hésitant pas d’ailleurs à
s’autoproclamer fondateur de la science politique116. Il n’y arrivera
pas encore définitivement. Il continue à penser que les lois naturelles
fondamentales, vouloir la paix et se dessaisir par contrat du pouvoir
que l’on a sur toute chose, sont d’origine divine.
Le contrat est passé entre les citoyens, pas avec le tiers souverain. Le
pouvoir de celui-ci est « souverain » au sens où « on ne peut
concevoir que les hommes en érigent un plus grand »117, il est la
somme de tous les pouvoirs individuels. Hobbes montre ainsi que
seule l’omnipotence du souverain, le caractère absolu de son
pouvoir, rendent possible l’accomplissement rationnel de sa
fonction, c’est-à-dire le maintien d’un ordre pacifique et sûr dans
l’État. Cette idée que seul un pouvoir fort peut empêcher les
massacres et la guerre est, au demeurant, encore courante…
116
Voy. De corpore, épître dédicatoire.
117
Léviathan, XX, tr. fr. F. TRICAUD, op. cit., p. 219.
119
Chacun, à cause du contrat, est auteur de tous les actes du souverain
institué. Il ne saurait être question de porter un jugement de valeur
sur ce que décide le Souverain, encore moins de lui désobéir. Dans
cette même logique, le souverain ne peut être châtié. Ainsi se trouve
justifiée l’idée contemporaine d’immunité de l’État.
Quant à la liberté des sujets, elle « ne réside que dans les choses
qu’en réglementant leurs actions le souverain a passées sous
silence »119. Toutefois, si un citoyen est menacé dans sa vie par le
fonctionnement de l’État, il a le droit de se défendre et de résister par
tous les moyens, puisque la raison d’être du pouvoir est la
préservation de la vie. Ce droit à la vie est « inaliénable » et
imprescriptible. C’est, ici, la première expression de la doctrine des
droits inaliénables de l’homme. L’idée que le droit à la vie est un
118
De Cive ou les fondements de la politique, XII, tr. fr. S. SORBIÈRE, Paris,
Publications de la Sorbonne, Série document n° 32, 1981, pp. 221 et 224. La notion
de souveraineté avait surtout été approfondie par Jean Bodin (1529-1596),
protestant lui aussi : « La souveraineté est la Puissance absolue et perpétuelle d’une
République. » De nos jours, la souveraineté se définit comme la caractéristique de
n’être soumis à aucun pouvoir de même nature.
119
Léviathan, tr. fr. F. TRICAUD, op. cit., p. 224.
120
droit fondamental se retrouvera clairement dans les déclarations et
conventions futures relatives aux droits de l’homme, qui le
consacrent souvent en premier.
121
Section 7. John Locke
§ 1. L’homme et l’œuvre
John Locke naît en 1632 dans une riche famille anglaise. Son
enfance, comme celle de Hobbes, est également marquée par la
guerre civile qui se termine en 1649 par l’exécution de Charles 1er.
Il suit des études de médecine et s’intéresse surtout aux sciences
naturelles. Il devient en 1667 le secrétaire du futur comte de
Shaftesbury. Il ne vient à la philosophie qu’à partir de 1671. En 1675,
le comte est accusé de républicanisme et contraint à l’exil. Locke le
suit en France, puis en Hollande. Il regagne l’Angleterre en 1689,
après la seconde révolution anglaise, dite « Glorieuse révolution »,
menée contre Jacques II. Le nouveau roi d’Angleterre, Guillaume III
d’Orange, lui propose un poste d’ambassadeur qu’il doit refuser pour
des raisons de santé. Il devient alors commissaire royal au
commerce. Il meurt en 1704.
§ 2. Le droit naturel
122
exigence morale. Même si l’homme y est fondamentalement seul et
individualiste, l’état de nature était déjà un état social, un état de
paix, de bonne volonté, d’assistance mutuelle et de conservation. Il
comportait pour les hommes des obligations et des droits découlant
de la loi naturelle.
120
Pour une discussion sur un prétendu droit de propriété de son propre corps, voy.
J. FIERENS, « Critique de l’idée de propriété du corps humain ou Le miroir de
l’infâme belle-mère de Blancheneige », Revue interdisciplinaire d’études juridiques,
juin 2000, n° 44, pp. 157-177 ; Actes du Forum international des juristes
francophones. Les Cahiers de droit [Université Laval, Québec], vol. 42, n° 3,
septembre 2001, pp. 647-665. Ajoutons, pour indiquer que l’influence de Locke
demeure, que par arrêt du 23 avril 2012, la Cour suprême de l’ État de Colombie-
Britannique (Canada) a considéré que 13 paillettes de sperme achetées
(purchased) par un couple de lesbiennes dans une banque de sperme, constituait
une « propriété » partageable selon les accords intervenus dans le cadre de leur
séparation.
123
comme ils le jugent à propos, pourvu qu’ils se tiennent dans les
bornes de la loi de la Nature.
Cet état est aussi un état d’égalité ; en sorte que tout pouvoir et toute
juridiction est réciproque, un homme n’en ayant pas plus qu’un
autre121.
121
Traité du gouvernement civil, ch. 2, § 4, tr. fr. D. MAZEL, Paris, GF-Flammarion
[n° 408], p. 143. C’est Locke qui souligne.
124
mais fort négligents et fort froids, lorsqu’il s’agit de ce qui concerne
les autres : ce qui est la source d’une infinité d’injustices et de
désordres.
En troisième lieu, dans l’état de nature, il manque ordinairement un
pouvoir qui soit capable d’appuyer et de soutenir une sentence
donnée, et de l’exécuter. Ceux qui ont commis quelque crime
emploient d’abord, lorsqu’ils peuvent, la force pour soutenir leur
injustice; et la résistance qu’ils font rend quelquefois la punition
dangereuse, et mortelle même à ceux qui entreprennent de la faire.
Ainsi, les hommes, nonobstant tous les privilèges de l’état de
nature, ne laissant pas d’être dans une fort fâcheuse condition tandis
qu’ils demeurent dans cet état-là, sont vivement poussés à vivre en
société122.
122
Ibidem, ch. 9, §§ 124-127, pp. 237-238.
125
des travailleurs. On retrouvera l’importance du travail chez
Rousseau.
Avant les lois politiques et civiles, qui sont le propre des sociétés
humaines, dit Montesquieu, il y a les lois naturelles. Elles existaient
avant la formation des sociétés. L’auteur cède aussi à l’hypothèse
mythique d’hommes primitivement seuls, avant la formation d’un
lien social. Les lois naturelles ont pour fonction essentielle de
rappeler les lois de Dieu ou, ce qui n’est pas différent à ses yeux, les
exigences de la morale.
Avant toutes ces lois, sont celles de la nature, ainsi nommées, parce
qu’elles dérivent uniquement de la constitution de notre être. Pour
les connaître bien, il faut considérer un homme avant
l’établissement des sociétés. Les lois de la nature seront celles qu’il
recevrait dans un état pareil123.
123
De l’Esprit des lois, Livre l, chapitre II, éd. établie par L. Versini, Paris,
Gallimard [Folio essais, n° 275], 1995, p. 91.
127
L’homme fait des lois rendues nécessaires par le fait que toutes les
sociétés éprouvent leur force en faisant la guerre et que chaque
individu tente aussi d’utiliser sa propre force en sa faveur. L’objet
des lois est de tempérer les effets de la violence (c’est une vieille
tradition. Augustin d’Hippone liait déjà le droit et la paix, avant
Thomas d’Aquin, Hobbes, Locke, Rousseau…).
(…)
§ 4. La modération du pouvoir
124
Ibidem, p. 95.
129
ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres
auraient tout de même ce pouvoir »125.
125
Voy. spécialement De l’Esprit des lois, Livre XII. Cette idée d’une liberté par
l’obéissance aux lois se trouve déjà chez Cicéron : « Nous sommes tous soumis
aux lois pour pouvoir être libres »). Bossuet, dans l’Histoire universelle (III, 6),
attribuait l’idée aux Grecs et aux Romains.
126
De l’Esprit des lois, livre XI, ch. IV, op. cit., p. 326.
130
ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de
magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance
exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que
le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques,
pour les exécuter tyranniquement.
Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas
séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était
jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des
citoyens serait arbitraire; car le juge serait législateur. Si elle était
jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un
oppresseur.
Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des
principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois
pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions
publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des
particuliers127.
127
Ibidem, pp. 327-328.
131
qui lui permet d’étudier128. À presque quarante ans, il n’a encore rien
écrit. Le Discours sur les Sciences et les Arts est couronné par
l’Académie de Dijon en 1750. Il suscite une vive polémique, car en
plein siècle des Lumières, l’idée de progrès que conteste Rousseau
était ancrée dans tous les esprits en France. En 1755, il publie à
Amsterdam le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité,
qui constitue un nouveau scandale. En 1762, paraît à Amsterdam Du
contrat social, aussitôt interdit en France (une première version non
publiée avait été rédigée en 1758, que l’on cite comme le Manuscrit
de Genève). Publié la même année, Émile, ou De l’éducation prend
place entre La Nouvelle Héloïse (1761), le Projet de constitution
pour la Corse (1763) et différentes Lettres. Émile présente un enfant
naturellement bon et les principes de son éducation. Il est de coutume
d’attribuer la paternité de ce traité de pédagogie au sentiment de
culpabilité provoqué par l’abandon des cinq enfants que Jean-
Jacques Rousseau eut avec Thérèse Levasseur. L’ouvrage sera
condamné en France, à Genève, puis en Hollande et à Berne.
Rousseau est un émotif, un révolté ; il a mauvais caractère. Il se
sentira toujours « étranger parmi les hommes ». Il méprise l’argent
avec lequel, comme beaucoup, il a cependant une relation ambiguë.
Ses relations avec sa protectrice sont chaotiques. Il se disputera aussi
avec les Encyclopédistes, Diderot et d’Alembert. Il sera chassé de
France pour ses idées et vivra à Genève, puis à Neuchâtel en Suisse.
Il revient à Paris en 1770 pour déjouer le complot dont il se croyait
victime. Il meurt à Ermenonville en 1778 après avoir rédigé Les
rêveries d’un promeneur solitaire, qui s’ouvrent par ces mots : « Me
voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami,
de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des
humains en a été proscrit par un accord unanime. »
128
Pour plus de détails, on lira Les Confessions de J.-J. Rousseau, achevées en
1770. L’édition des Œuvres complètes, t. I, dans la Bibliothèque de la Pléiade
(Paris, NRF, 1959) comporte aussi une chronologie détaillée.
132
§ 2. L’état de nature
133
échapper à la course, les hommes se forment un tempérament
robuste et presque inaltérable. Les enfants, apportant au monde
l’excellente constitution de leurs pères, et la fortifiant par les mêmes
exercices qui l’ont produite, acquièrent ainsi toute la vigueur dont
l’espèce humaine est capable. […]
Concluons qu’errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans
domicile, sans guerre, et sans liaisons, sans nul besoin de ses
semblables, comme sans nul désir de leur nuire, peut-être même
sans jamais en reconnaître aucun individuellement, l’homme
sauvage sujet à peu de passions, et se suffisant à lui-même, n’avait
que les sentiments et les lumières propres à cet état, qu’il ne sentait
que ses vrais besoins, ne regardait que ce qu’il croyait avoir intérêt
de voir, et que son intelligence ne faisait pas plus de progrès que sa
vanité. Si par hasard il faisait quelque découverte, il pouvait d’autant
moins la communiquer qu’il ne reconnaissait pas même ses enfants.
L’art périssait avec l’inventeur ; il n’y avait ni éducation ni progrès,
les générations se multipliaient inutilement ; et chacune partant
toujours du même point, les siècles s’écoulaient dans toute la
grossièreté des premiers âges, l’espèce était déjà vieille, et l’homme
restait toujours enfant129.
129
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, 1re partie, dans Œuvres
complètes, t. III, Du contrat social. Écrits politiques, Paris, NRF-Gallimard [Bibl.
de la Pléiade], 1964, pp. 159-160. Orthographe modernisée. Ce passage fait bien
sûr songer à certaines pages de La Politique de Platon, à propos de l’état de nature,
cité supra. En 1553, dans les Isles fortunées, le poète Ronsard avait imaginé des
territoires où il n’y a ni État, ni propriété, ni « Sénat rude », ni « prince inhumain ».
134
à ses semblables: « Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes
perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est
à personne ! » Mais il y a grande apparence qu’alors les choses en
étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles
étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées
antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas
tout d’un coup dans l’esprit humain : il fallut faire bien des progrès,
acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les
augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de
l’état de nature130.
Mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre;
dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions
pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail
devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des
campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et
dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et
croître avec les moissons131.
130
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes,
2e partie, op. cit., p. 164. Orthographe modernisée.
131
Ibidem, p. 171. Orthographe modernisée.
135
§ 3. Le contrat social
132
Du contrat social, Livre I, ch. 3, dans Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 354.
136
formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout
tacitement admises et reconnues ; jusqu’à ce que, le pacte social
étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne
sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour
laquelle il y renonça.
Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir
l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la
communauté. […]
Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on
trouvera qu’il se réduit aux termes suivants: Chacun de nous met en
commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction
de la volonté générale; et nous recevons en corps chaque membre
comme partie indivisible du tout133.
§ 4. La volonté générale
133
Ibidem, p. 360. Orthographe modernisée.
134
Voy. Manuscrit de Genève, dans Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 329.
137
La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle
ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté
générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou
elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont
donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses
commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement 135.
La société selon Rousseau est égalitaire : tous les droits doivent être
les mêmes pour tous, parce que chacun a aliéné tous ses droits, s’est
engagé dans les mêmes conditions. Si les hommes sont
naturellement inégaux physiquement et intellectuellement dans
l’état de nature, ils se retrouveront égaux en droits.
135
Du contrat social, dans Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 429. Orthographe
modernisée.
136
Ibidem, p. 371. Orthographe modernisée.
138
Par quelque côté qu’on remonte au principe, on arrive toujours à la
même conclusion ; savoir, que le pacte social établit entre les
citoyens une telle égalité qu’ils s’engagent tous sous les mêmes
conditions, et doivent jouir tous des mêmes droits. Ainsi par la
nature du pacte, tout acte de souveraineté, c’est-à-dire tout acte
authentique de la volonté générale, oblige ou favorise également
tous les citoyens, en sorte que le souverain connaît seulement le
corps de la nation et ne distingue aucun de ceux qui la composent 137.
137
Ibidem, p. 374. Orthographe modernisée.
Émile ou De l’éducation, éd. établie par M. Launay, Paris, Garnier-Flammarion,
138
1966, p. 253.
139
L’égalité en droits, chez Rousseau, n’est donc pas identité, mais
égalité proportionnelle, comme chez Platon et Aristote. Le critère de
distinction n’est cependant pas la vertu, mais l’utilité sociale. On
retrouvera ces nuances dans l’article 1er de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen.
§ 6. Le gouvernement
139
Du contrat social, livre III, ch. 1, dans Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 396.
Orthographe modernisée. [[également Emile, 5e partie
140
Ibidem, p. 406. Orthographe modernisée.
140
La monarchie ou le gouvernement royal correspondent à une
concentration de pouvoir dans les mains d’un corps ou d’un
magistrat unique. Son avantage est l’efficacité. Mais la force de
l’administration tourne alors au préjudice de l’État. Le danger
perpétuel est que la volonté exprimée soit la volonté particulière du
gouvernement et non la volonté générale.
Des États s’étaient formés dans la colonie, et huit d’entre eux s’étaient
dotés de constitutions (notons d’ailleurs que celles-ci n’attribuaient le
droit de vote qu’aux propriétaires…). Seul un État (Rhode Island) avait
en outre osé prévoir l’émancipation des Noirs.
141
Toutes les colonies, à l’exception du Connecticut et du Rhode Island,
révisent leurs constitutions, en tête desquelles huit d’entre elles
placent des « déclarations » de droits. Toutes rappellent le droit à la
liberté individuelle, qui résulte en Angleterre de la Magna Carta
(1215) considérée comme le minimum de la liberté civile. Toutes
mentionnent la liberté religieuse, à la seule condition de ne pas
troubler la paix publique ou l’exercice, par autrui, de sa religion.
Cette liberté forme cette fois « le maximum » de la liberté civile.
Entre les deux extrêmes, la liberté individuelle et la liberté religieuse,
les autres droits, de la propriété à la liberté de réunion, prennent
place, avec plus ou moins de développement.
141
Voy. E. BOUTMY, « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et
M. Jellinek », Annales de l’École libre des Sciences politiques, 1902, t. XVII,
pp. 415 et suiv. ; D. KLIPPEL, « La polémique entre Jellinek et Boutmy : une
controverse scientifique ou un conflit de nationalismes ? », Revue française
d’histoire des idées politiques, 1995/1, pp. 167-178. Selon Simone Goyard-Fabre,
« la querelle entre Jellinek et Boutmy est manifestement partisane. Si l’on résume
la teneur des propos des deux protagonistes, il apparaît que Jellinek, s’interrogeant
sur les sources de la Déclaration française, a la volonté constante de récuser toute
influence de Rousseau sur les Constituants et de considérer que tous les droits de
l’homme procèdent de la liberté de conscience dont, selon lui, la Réforme, si
influente dans la jeune Amérique, a eu la profonde intuition. Avec la même
énergie, Boutmy entreprend une critique de fond de cette interprétation et, par ses
objections, entend montrer que l’influence américaine est beaucoup moins
importante que ne le déclare le juriste allemand. » (Les embarras philosophiques
du droit naturel, op. cit., p. 324.)
142
DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE AMÉRICAINE (EXTRAITS)
143
En conséquence, nous, les représentants des États-Unis
d’Amérique, assemblés en Congrès général, prenant à témoin le
Juge suprême de l’univers de la droiture de nos intentions, publions
et déclarons solennellement au nom et par l’autorité du bon peuple
de ces Colonies, que ces Colonies unies sont et ont le droit d’être
des États libres et indépendants; qu’elles sont dégagées de toute
obéissance envers la Couronne de la Grande-Bretagne; que tout lien
politique entre elles et l’État de la Grande-Bretagne est et doit être
entièrement dissous; que, comme les États libres et indépendants,
elles ont pleine autorité de faire la guerre, de conclure la paix, de
contracter des alliances, de réglementer le commerce et de faire tous
autres actes ou choses que les États indépendants ont droit de faire;
et pleins d’une ferme confiance dans la protection de la divine
Providence, nous engageons mutuellement au soutien de cette
Déclaration, nos vies, nos fortunes et notre bien le plus sacré,
l’honneur142.
142
La traduction en français est de Thomas Jefferson lui-même.
143
Voy. M. GAUCHET, La Révolution des droits de l’homme, Paris, NRF-Gallimard,
1989 ; S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette
144
l’organisation politique des pouvoirs publics, d’établir un texte sur la
« connaissance des droits que la justice naturelle accorde à tous les
individus ».
[Pluriel], 1988 ; Ch. FAURÉ, Les déclarations des droits de l’homme de 1789, Paris,
Payot, 1988.
144
Cette distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs, imaginée par Sieyès
et intégrée dans la Constitution française de 1791 (Voy. S. RIALS, La Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, op. cit., p. 600), sera reprise par Kant et
avalisée bien plus tard par la Cour de cassation belge qui cherchera à déterminer
la place des droits sociaux dans la Constitution. Voy. Cass., 21 décembre 1956,
Pas., 1957, I, p. 430 et conclusions conf. W. GANSHOF VAN DER MEERSCH, alors
avocat général.
145
DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN
146
Article V - La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à
la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être
empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne
pas.
Article VII - Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que
dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a
prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font
exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis; mais tout citoyen
appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant; il se rend
coupable par la résistance.
147
l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels
elle est confiée.
Article XVI - Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est
pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a pas de
Constitution.
145
Voy. notamment B. GROETHUYSEN, Philosophie de la Révolution française,
Paris, Gallimard [Bibliothèque des idées], 1956.
148
Les commentaires donnés ici ne sont évidemment pas exhaustifs. On
peut, en simplifiant à outrance, mentionner quelques caractéristiques
générales : les déclarations sont idéalistes et iusnaturalistes. Les
droits, « reconnus » plutôt qu’instaurés, préexisteraient à toute
organisation politique, à la manière des idées de Platon. Les droits
sont en tout cas « naturels ». Ils s’ancrent explicitement en Dieu dans
la Déclaration d’indépendance américaine ; cette référence est
perdue (ou plutôt évitée) dans la Déclaration française qui n’échappe
cependant pas à la légitimation par un « Être suprême ». Cette
invocation résulte d’un compromis. Ceux qui le voulaient pouvaient
lire « Dieu », les autres « la Raison »146. Les droits y sont dits
« sacrés », c’est-à-dire que l’attribut divin leur est transféré. Les
droits sont présentés comme « évidents », ou comme des principes
« simples et incontestables », ce qui renvoie à l’épistémologie des
mathématiques et à la pensée de Hobbes, de Grotius, de Descartes
entre autres. Dans les deux déclarations, le bonheur est promis147.
Enfin, la légitimité de la représentation du peuple est clairement
affirmée.
146
Voy. S. RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, op. cit.,
p. 220.
147
Voy. spécialement, à propos du bonheur promis, H. ARENDT, De la révolution,
chapitre III, « La quête du bonheur », tr. fr. M. BERRANE, dans L’humaine
condition, Paris, Gallimard, 2012, pp. 426-449.
149
C. Plus spécialement à propos de la Déclaration française
148
La devise républicaine, après la Révolution française, « Liberté, égalité,
fraternité », a failli devenir « Liberté, égalité, propriété », ce qui aurait pleinement
résumé la philosophie de Locke… C’est lors de la fête de la loi, célébrée le
3 juin 1793, en l’honneur de Simoneau, maire d’Étampes, que le remplacement de
mot eut lieu. Mais le mot « fraternité » fut maintenu. Robespierre avait au
demeurant été le premier à avoir formulé cette devise dans son Discours sur
l’organisation des gardes nationales, de 1790.
149
Voy. sur ce dernier point, J. FIERENS, Droit et pauvreté. Droits de l’homme,
sécurité sociale, aide sociale, Bruxelles, Bruylant, 1992, nos 128 et ss.
150
Bien que de manière diffuse, le Code civil de 1804 sera également
très marqué par le iusnaturalisme révolutionnaire, héritier lui-même
d’une longue histoire. Les travaux préparatoires révèlent que les
rédacteurs avaient voulu inscrire en tête du code la déclaration
suivante, qui fait notamment penser à Cicéron : « Il existe un droit
universel, immuable, source de toutes les lois positives ; il n’est que
la raison naturelle en tant qu’elle gouverne tous les
hommes. » Finalement, cette mention ne fut pas insérée dans le Code
civil, car on la considéra comme inutile, mais non comme erronée.
150
J. M. E. PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet de Code civil,
1er pluviôse an IX, réédition, Centre de philosophie politique et juridique de
l’Université de Caen, 1989-1992.
151
Conclusions de ce chapitre
La Renaissance est la période au cours de laquelle, sur le plan
philosophique, l’homme apparaît en même temps comme une
personne dont la dignité doit être préservée et comme un individu
capable de maîtriser autrui, les étants et la nature elle-même.
152
L’affirmation de l’antériorité de l’individu sur la société, de la
puissance de la raison et du langage, de la liberté comme choix de
mener sa conduite où on le décide, du contrat comme lien social et
politique, de l’éloignement de la nature est déclinée de manière
différente par les penseurs, comme des musiciens jouant d’un
instrument différent reprennent chacun à leur manière les thèmes
musicaux proposés, mais constitue manifestement le dénominateur
commun entre les « contractualistes » des XVIIe et XVIIIe siècles.
Ces philosophes influenceront nettement et parfois directement,
comme c’est le cas pour Rousseau, la consécration des droits de
l’homme et du citoyen en 1789. Les droits de l’homme et le droit en
général sont « naturels », mais cette fois au sens où ils se déduisent
de la nature de l’homme, telle que la pensée moderne l’a forgée.
153
CHAPITRE IX - LE DROIT NATUREL ET LA
PENSÉE EUROPÉENNE CONTEMPORAINE
(…)
§ 1. Karl Marx
A. L’homme et l’œuvre
154
une thèse intitulée Differenz der demokritischen und epikureischen
Naturphilosophie (Différence de la philosophie de la nature chez
Démocrite et Épicure). Il subit notamment l’influence de Hegel,
ainsi que celle de Feuerbach qui critique la religion (« L’homme a
fait Dieu à son image et à sa ressemblance »)151. Expulsé de Prusse,
il rencontre Proudhon à Paris, où se sont élaborées les premières
théories « socialistes ». Proudhon est l’auteur de la célèbre maxime
« La propriété, c’est le vol », et conteste la légitimité de l’État. Après
sa rupture avec ce dernier, Karl Marx est expulsé de France et vit en
Belgique. Il y rencontre Engels qu’il connaissait déjà. Il meurt à
Londres où il s’était réfugié, le 14 mars 1883.
B. L’« aliénation »
151
À propos de Feuerbach, l’idée d’un Dieu anthropomorphe, c’est-à-dire résultant
d’une projection humaine illusoire, est pour le moins ancienne. Xénophane de
Colophon (vers 570 avant J.-C.), le maître de Parménide, disait déjà : « Les
hommes ont créé les dieux à leur image. Ils croient que les dieux sont nés avec un
corps et des vêtements et qu’ils parlent comme nous. Les Éthiopiens disent que
leurs dieux sont camus et noirs, les Thraces que les leurs ont les yeux bleus et les
cheveux roux. Si les taureaux, les chevaux et les lions avaient su peindre, ils
auraient représenté les dieux en bœufs, en chevaux et en lions. »
155
Le fait historique de base est le mode de production appliqué à la
nature, l’infrastructure. Celle-ci comprend les conditions de
production, qui concernent l’état des ressources naturelles, les
moyens de production que sont les outils dont disposent les hommes
au sein d’une société donnée, et les rapports de production qui visent
l’organisation du travail ou l’état des relations entre travailleurs et
possédant. Ce fondement « matériel » de la philosophie de Marx,
inscrit dans l’histoire, en fera le matérialisme historique.
156
s’accompagne d’un bouleversement plus ou moins rapide dans tout
cet énorme édifice152.
152
Critique de l’économie politique, avant-propos, tr. fr. M. RUBEL et L. EVRARD,
dans Œuvres, I, Économie I, Paris, Gallimard [Bibl. de la Pléiade], 1963, pp. 272-
273.
157
parce que l’être humain ne possède pas de réalité vraie. La lutte
contre la religion est donc médiatement la lutte contre ce monde
dont la religion est l’arôme spirituel.
La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle
et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de
la créature tourmentée, l’âme d’un monde sans cœur, de même
qu’elle est l’esprit de situations dépourvues d’esprit. Elle est
l’opium du peuple.
L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple,
c’est l’exigence de son bonheur véritable. Exiger de renoncer aux
illusions relatives à son état, c’est exiger de renoncer à une situation
qui a besoin de l’illusion. La critique de la religion est donc dans
son germe la critique de la vallée de larmes dont l’auréole est la
religion153.
(…)
D. Le matérialisme dialectique
153
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, tr. fr. M. SIMON,
Paris, Aubier Montaigne [éd. bilingue], 1971, pp. 51-53. C’est Marx qui souligne.
154
Voy. spécialement G.W. HEGEL, Phénoménologie de l’esprit, 1807.
158
bourgeoise elle-même a été une classe civilisatrice. Mais elle devient
déclinante. Marx est le témoin de la décomposition de la bourgeoisie
libérale et de la grande misère de la classe ouvrière. Les capitalistes
ne parviennent pas à consommer toutes les richesses qu’ils
produisent, alors que le prolétariat vit dans la misère. Les rapports
de production démontrent la mauvaise répartition au sein du système
capitaliste. La preuve en est que les crises économiques se succèdent
(quelle actualité !...). Une autre révolution se prépare : celle où le
prolétariat se rendra maître des moyens de production, pour
surmonter la contradiction entre les forces de production et les
rapports de production. La révolution est dialectique au sens de
Hegel. Elle s’oppose à l’exploitation capitaliste (thèse) par la
dictature du prolétariat (antithèse). La révolution prolétarienne sera
la dernière parce qu’elle supprimera l’exploitation et les classes
disparaîtront (synthèse).
155
Voy. infra, section 2.
159
dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la
communauté. […]
Ainsi, la liberté est le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.
Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans préjudice
pour autrui sont fixées par la loi, comme les limites de deux champs
le sont par le piquet d’une clôture. Il s’agit de la liberté de l’homme
comme monade isolée et repliée sur elle-même. […]
F. L’État
156
À propos de la question juive, tr. fr. L. EVRARD, dans Œuvres, III, Philosophie,
Paris, Gallimard [Bibl. de la Pléiade], 1982, pp. 366-368.
160
(…)
161
défaite de 1918 par le développement du bolchevisme et développe
ses thèses racistes.
162
Le péché contre le sang et la race est le péché originel de ce monde
et marque la fin d’une humanité qui s’y adonne157.
157
Mon combat, tr. fr. J. GAUDEFROY-DEMOMBYNES et A. CALMETTES, Paris,
Nouvelles Éditions latines, 1934, réimpr. 1982, avec un avertissement publié en
exécution d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 juillet 1979, p. 247.
158
Voy. Ch. DELACAMPAGNE, Une histoire du racisme, Paris, Librairie générale
française [Le Livre de poche, Références, n° 575], 2000.
163
caractéristique, spécialement depuis la Renaissance et les grandes
« découvertes », est de chercher à dominer tous les peuples de la
terre. Le mot « race » apparaît au XVe siècle au sens d’hérédité ou
d’ascendance. Il est dérivé du latin ratio, qui signifie ici « ordre
chronologique », allusion au lien qui relie ascendants et descendants.
Dans la langue française, le mot signifiera la différenciation des
espèces, mais a visé d’abord celle des classes sociales ou des grandes
familles. Ainsi, chaque dynastie royale constituait-elle en elle-même
une « race ».
Le mot change de sens avec les naturalistes Carl von Linné (1707-
1778) et Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788), au
XVIIIe siècle. Ces savants établissent la nomenclature zoologique
qui désigne l’ensemble des règles permet d’élaborer la taxinomie,
c’est-à-dire d’attribuer les « taxons » aux animaux et aux plantes. La
race devient une division de l’espèce, elle-même division du genre,
lui-même division de la classe (en amont viennent encore
l’embranchement, le règne, le domaine).
[…] Pour faire un système, un arrangement, en un mot une méthode
générale, il faut que tout y soit compris ; il faut diviser ce tout en
différentes classes, partager ces classes en genres, sous-diviser ces
genres en espèces, et tout cela suivant un ordre dans lequel il entre
nécessairement de l’arbitraire159.
159
G. L. LECLERC de BUFFON, Histoire naturelle des animaux, 1744, t. I , 1, p. 6.
Orthographe modernisée.
164
forme de la tête, proportion des groupes sanguins, etc.) représentant
des variations au sein de l’espèce.
Pour Buffon, la variété des races humaines s’explique par le fait qu’à
partir de la race blanche originelle, les types humains se sont trouvés
diversifiés et modifiés suivant les climats. Peu à peu, certains
caractères particulièrement visibles, telles la couleur de la peau, la
forme du cheveu, la forme crânienne et celle du visage, notamment
du nez, ont amené les hommes de science à vouloir y trouver des
critères pertinents pour la distinction raciale.
165
La bride mongolique (ou pli épicanthique) est un prolongement
interne du repli orbito-palpébral supérieur, liée à l’adiposité de la
paupière supérieure et à l’obliquité de la fente palpébrale. On la
remarque notamment chez les personnes d’origine asiatique et
américaine précolombienne. Ici encore il ne s’agit pas d’un caractère
racial strict car il n’est pas constant chez les Jaunes. On a invoqué
son utilité passée en la rattachant à un « masque de froid », à une
adaptation au vent froid des steppes asiatiques ou au reflet de la
lumière sur la neige.
166
Certains tentent d’établir une différence entre le racisme, qui serait
un comportement, et le racialisme, qui serait la justification
intellectuelle de la hiérarchie des prétendues races. Le racialisme
trouverait son origine chez Buffon160.
Si Aristote n’admet pas que les Noirs et les Blancs divergent selon
une caractéristique essentielle, mais seulement selon une différence
accidentelle161, il croit par contre, comme on l’a vu, que les femmes
et les esclaves sont par nature des êtres inférieurs162. C’est pourquoi
certains auteurs ont considéré qu’Aristote est un des premiers
penseurs racistes. Augustin d’Hippone affirmait au contraire que les
hommes les plus étranges vivant dans les contrées les plus lointaines
n’en appartiennent pas moins, de plein droit, à l’espèce humaine163.
160
Voy. T. TODOROV, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité
humaine, Paris, Seuil, 1989.
161
Métaphysique, L. Ι, ch. 9, 1058a-b.
162
Sur les femmes : De la génération des animaux, IV, 3, 767a ; Histoire des
animaux, I, 7, II, 3, III, 19 et VII, 2 ; sur les esclaves, surtout Politique, I, 1254b.
163
La Cité de Dieu, XVI, 8.
167
Les raisons de cet antisémitisme ne sont pas claires. Il est probable
qu’il faille l’attribuer au dogme monothéiste, révolutionnaire en son
temps. Lors de la formation de la religion juive, le peuple en
formation était entouré de cultures polythéistes. Hécatée d’Abdère
(fin du IVe siècle av. J.-C.), Diodore de Sicile, Cicéron, Sénèque,
Tacite, Dion Cassius (155-235), évoqueront ce peuple de « lépreux »
expulsés d’Égypte, sa prétention à ne reconnaître qu’une seule
divinité sans effigie, ses pratiques « irrationnelles » comme la
circoncision et le respect du sabbat, parfois inventées comme la
prétendue adoration d’un âne ou le meurtre rituel.
168
confinant les Juifs dans un quartier clos de murs. Sept cents Juifs
sont installés sur un îlot urbanisé au siècle précédent appelé geto
novo (« Nouvelle fonderie »), d’où provient l’expression « ghetto ».
Partout en Europe, de tels quartiers réservés sont créés. Les lois
imposent la fermeture des portes du ghetto, la nuit, de l’extérieur et
de l’intérieur. Les Juifs ne peuvent le quitter après l’Ave Maria, ni
les dimanches et les jours de fêtes chrétiennes. L’encyclique Cum
nimis absurdum de Paul IV (1555) est complétée par diverses
instructions pontificales. Elles établissent que le ghetto n’aurait
qu’une entrée et une sortie. Une seule synagogue peut y être érigée.
Les Juifs ne peuvent y posséder d’immeubles. Ils devront porter un
chapeau jaune et la rouelle cousue sur leur vêtement. Ils ne peuvent
accueillir des Juifs venus d’ailleurs. La bulle Sancta Mater Ecclesia
(1584) institue des sermons obligatoires, les predica coattiva,
auxquels 150 à 300 Juifs sont contraints d’assister. Le Saint-Siège
légalise la pratique consistant à placer les enfants juifs dans des
couvents où, loin de leurs parents, ils sont élevés dans le
catholicisme. La confrérie de Saint-Joseph s’occupe spécialement de
convertir les adultes. Les convertis vivent dans des « maisons de
catéchumènes », dont l’entretien est assuré par une taxe perçue sur
les Juifs eux-mêmes (bulle Pastoris aeterni vices de Jules III, 1554).
En 1623, Urbain VIII décrète que, lors des audiences accordées aux
représentants de la communauté juive, ceux-ci ne baiseraient plus
son pied, mais le plancher sous son pied. Chaque année, au moment
du carnaval, les Juifs doivent aussi présenter leurs hommages au
sénat romain dont le conservateur pose le pied sur la nuque d’un
rabbin et congédie la délégation. Des ordonnances restreignent aussi
leur activité économique. C’est ainsi qu’en 1724, Innocent XIII ne
permet aux Juifs que le commerce des vieux vêtements, des chiffons,
de la ferraille.
169
4) Le racisme à l’égard des cagots
Du XIVe siècle au XVIe siècle, les « cagots » (du bas latin cacare,
devenu en occitan cagar, « déféquer », avec une connotation
vulgaire), considérés comme porteurs de la lèpre sans en avoir
l’apparence, seront aussi l’objet d’exclusions sociales et juridiques
continues sur la base de prétendues constatations scientifiques. On
sait pourtant qu’il n’existe pas de lèpre non symptomatique.
170
Le racisme à l’égard des cagots indique toute la distance qui peut
exister entre de prétendues différences raciales et les constatations
scientifiques. Il indique aussi que le racisme à l’égard de certaines
catégories de population peut apparaître et disparaître selon les
époques, quitte à se refixer sur d’autres groupes humains.
Les fils de Noé qui sortirent de l’arche étaient Sem, Cham et Japhet :
Cham est le père de Canaan. Ces trois-là étaient les fils de Noé et, à
partir d’eux, se fit le peuplement de toute la Terre. Noé, le premier
cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut
enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan,
vit la nudité de son père et avertit ses frères au-dehors. Mais Sem et
Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leurs épaules et,
marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages
étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père.
Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait
son fils le plus jeune. Et il dit : « Maudit soit Canaan ! Qu’il soit
pour ses frères le dernier des esclaves ! » Il dit aussi : « Béni soit
Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! Que Dieu
mette Japhet au large, qu’il habite dans les tentes de Sem, et que
Canaan soit son esclave !164 »
164
Gn 10, 18-27. Indépendamment des dérives racistes auxquelles le texte a donné
lieu, le passage ne va pas sans soulever des difficultés d’interprétation. On
n’aperçoit en effet pas clairement la faute de Cham. D’autres interprétations de ce
passage, aussi fausses qu’idéologiques, sont possibles : le Moyen Âge a aussi
reconnu en Cham l’ancêtre des serfs, en Sem celui des clercs, en Japhet celui des
seigneurs. Il s’agit toujours de confondre la différence des apparences avec la
délimitation des statuts et des droits de chacun.
171
Selon une interprétation tendancieuse, l’Écriture attribuerait aux
trois fils du patriarche l’origine des Européens (Japhet), des
Asiatiques (Sem, d’où l’appellation de « sémites ») et des Africains
(Cham, d’où l’appellation de Chamites). Elle aurait instauré une
hiérarchie entre les trois ancêtres qui peuplèrent les continents, et la
malédiction qui pèse sur les fils de Canaan les désignerait comme
esclaves de tous les autres. Rien dans le texte n’indique cependant
qu’une couleur de peau particulière doive s’attacher à la
descendance de chacun des fils de Noé, ni aucune particularité
objective. Dès le début du christianisme pourtant, et peut-être plus
tôt, la tradition s’instaure de considérer la « race » noire comme
descendant de Cham. L’esclavage sera alors présenté comme une
conséquence naturelle de la malédiction de Noé.
172
respectent la loi naturelle et sont, conformément au droit naturel,
propriétaires de leurs biens et politiquement souverains. Le
théologien dominicain justifie même l’idolâtrie et les sacrifices
humains dans la mesure où ils sont raisonnables pour la raison privée
des lumières de la foi. La controverse se termine par une victoire de
Las Casas, en présence de l’Empereur Charles Quint et de quatorze
théologiens, mais n’aboutit à aucune décision officielle. Les idées de
Las Casas inspireront cependant la législation postérieure, souvent
mal appliquée.
Paul III avait pourtant condamné l’esclavage des Indiens par la Bulle
Sublimis Deus du 9 juin 1537 : « Les Indiens sont de vrais hommes
[...] et ils sont non seulement capables de comprendre la foi
catholique, mais aussi, d’après nos informations, désireux de la
recevoir. » Le Saint-Siège ne parlera pas à l’époque de la traite des
Noirs.
Nous pensons cependant que tous les jours les Portugais causent de
grands dommages en capturant des esclaves, et poussent les noirs à
se capturer entre eux par cupidité et à se vendre les uns les autres, et
ce dommage et ces offenses qui sont faites à Dieu ne seront pas
facilement rachetables165.
165
Histoire des Indes, 1,27, p. 254, cité par L. MORA-RODRIGUEZ, Bartolomé de
Las Casas. Conquête, domination, souveraineté, Paris, PUF, 2012, p. 113.
173
7) La théorie de la suprématie de la race blanche
174
qu’il croit que les hommes sauvages, dont les Noirs, appartiennent à
une autre race que les Blancs.
Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les Blancs, les Nègres,
les Albinos, les Hottentots, les Lappons, les Chinois, les Américains
soient des races entièrement différentes.
[…]
Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs
oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même
de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces
d’hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu’ils
ne doivent point cette différence à leur climat, c’est que des nègres
et des négresses transportés dans les pays les plus froids y
produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres
ne sont qu’une race bâtarde d’un noir et d’une blanche, ou d’un
blanc et d’une noire166.
166
Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, troisième partie, Paris, Didot, 1805,
t. 1, pp. 6-8.
167
Voy. E. KANT, Des différentes races humaines, dans La philosophie de l’histoire
(Opuscules), Paris, Montaigne, 1947, pp. 35-56.
175
Les prises de position de Hegel au sujet des Africains (infra), à
l’aube d’un XIXe siècle particulièrement raciste, sont
confondantes168.
168
Voy. infra, ch. X, section 2.
169
On a déjà mentionné le courant raciste et antisémite qui s’étend dans toute
l’Europe, au XIXe siècle, à propos de La question juive de Karl Marx, réaction à
un écrit de Bruno Bauer. Voy. supra, section 1, § 1.
176
1) Charles Darwin et Thomas Malthus
170
Voy. Ch. DARWIN, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou
la lutte pour l’existence dans la nature (Origin of Species), 1880, reproduit en fac-
similé, Paris, La Découverte, 1985.
171
Voy. T. R. MALTHUS, « An essay on the principle of population », 1798, in
Population, Evolution, and Birth Control: a Collage of Controversial Ideas,
Freeman, San Francisco, 1964.
177
selon les circonstances. Dans un milieu qui se modifie, les besoins
de l’animal ne sont plus les mêmes. Si les nouveaux besoins
deviennent constants ou très durables, les animaux prennent de
nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les
ont fait naître. Lamarck admettait que les transformations acquises
par les individus sont transmises à leurs descendants, et qu’ainsi, de
génération en génération, la lignée évolue. Aujourd’hui, la
« survivance préférentielle des plus féconds » est plus volontiers
retenue. Des théories récentes accordent aussi au hasard une très
large part dans la conservation des nouvelles structures.
2) Arthur de Gobineau
172
Ch. DARWIN, L’origine des espèces, op. cit., § 533.
178
À l’origine du monde, celles-ci, d’ailleurs inégalement douées,
étaient pures, mais le mélange des sangs a ravalé les meilleures au
rang des pires. Loin de croire que l’humanité soit perfectible à
l’infini, Gobineau pense que l’avenir la verra s’abrutir de plus en
plus dans la déchéance des métissages. Les « Arians » primitifs, la
plus noble des races, partis de l’Asie centrale, se sont mélangés au
cours de leurs migrations avec les impures races noire et jaune173
(francisé en « arian » ou « aryen », le terme sanscrit arya signifie
« excellent, honorable, noble »).
173
L’hypothèse d’un peuple originaire, appelé « indo-européen », ou parfois
« aryen », dont seraient issus les populations de l’Inde et de l’Europe, est
confirmée par les travaux des linguistes. Ceux-ci ont mis en évidence des
similitudes de grammaire et de vocabulaire qui ne peuvent s’expliquer que par une
origine commune.
174
A. de GOBINEAU, Essai sur l’inégalité des races humaines dans Œuvres, t. I,
Paris, NRF-Gallimard [Bibl. de la Pléiade], Paris, 1983, p. 162. Voy. aussi
J. BUENZOD, La formation de la pensée de Gobineau, Paris, Nivet, 1967.
179
Le Haïtien Anténor Firmin, au début du mouvement panafricaniste,
entreprendra de réfuter Gobineau en écrivant L’Égalité des races
humaines en 1885.
3) Ernest Renan
Les hommes ne sont pas égaux, les races ne sont pas égales. Le
nègre, par exemple, est fait pour servir aux grandes choses voulues
et conçues par le Blanc176.
Essai sur l’inégalité des races humaines, op. cit., pp. 315-339.
175
176
E. RENAN, Dialogues et fragments philosophiques, Paris, Calmann-Lévy,
1876, préface.
180
Ce discours est en substance repris aujourd’hui par les racistes
d’extrême droite177.
177
« Dans ce monde où il existe des races différentes, des ethnies différentes, des
cultures différentes, je prends acte de cette diversité et de cette variété mais
j’établis bien sûr une distinction à la fois entre les êtres et entre les peuples et les
nations. […] S’il est exact que les hommes ont droit au même respect, il est évident
qu’il existe des hiérarchies, des préférences et des affinités qui vont de soi » (J.-
M. LE PEN, Les Français d’abord, Paris, Carrère-Michel Laffon, 1984, p. 171.)
178
C’est l’anatomiste suédois Anders Retzius (1796-1860) qui semble avoir
introduit le premier l’« indice céphalique » pour la détermination de
l’appartenance à une race humaine.
181
brachycéphales ont lentement conquis le pouvoir. Ils sont
destructeurs de la nation et de l’individu. Le volume de leur cerveau
a augmenté parce qu’ils sont dociles et qu’ils s’adaptent à la
civilisation.
182
moins impures. Selon lui, les races sont en compétition. La meilleure
est la race aryenne germanique sur laquelle repose le destin de
l’humanité (Tacite voyait déjà dans les Germains une nation
« particulière, pure de tout mélange »). Il invoque Aristote pour
soutenir que quelques hommes sont libres par nature, tandis que
d’autres sont esclaves par nature. La valeur d’une nation se mesure
à la proportion de sang germanique dans la population considérée.
Défenseur du luthéranisme, il estime que le catholicisme incarne
l’intolérance et défend le chaos ethnique contre le germanisme. Il
pense cependant que les races peuvent être améliorées. Il envisage
un Juif « complètement humanisé ». Une autre position
l’embarrasserait parce qu’il est chrétien et que Jésus était juif. On
peut s’améliorer en vivant au sein d’un peuple largement germanisé.
Chamberlain a lui-même épousé une Allemande et, comme on l’a
dit, a acquis la nationalité allemande.
6) Carl Schmitt
179
Théologie politique, tr. fr. J.-L. SCHLEGEL, Paris, Gallimard, 1988. En 1970,
Schmitt écrira Théologie politique II.
183
Il désapprouve l’arrivée de Hitler à la Chancellerie en 1933, mais
approuve par contre tout aussitôt la loi du 24 mars 1933 « édictée en
vue de remédier à la détresse du peuple et du Reich »180 qui donne à
Hitler le droit de gouverner par décrets. Schmitt rejoint le parti nazi
et devient président de l’Union des juristes nationaux-socialistes. Il
considère ses théories comme le fondement idéologique de la
dictature nazie et défend le Führerprinzip, la théorie du « guide
suprême » : la loi est la volonté du Führer.
7) Georges Sauser-Hall
§ 3. Mein Kampf
182
Voy. entre autres le très court texte de E. LEVINAS, Quelques réflexions sur la
philosophie de l’hitlérisme, suivi d’un essai de M. Abensour, Paris, Rivages Poche,
1997. Écrit en 1934, Levinas dit qu’à ses yeux le nazisme n’est pas un accident de
la raison, mais une possibilité essentielle du « mal élémental ».
185
La nature, selon Hitler, ne s’attache pas tant à la conservation de
l’être qu’à la croissance de sa descendance, support de l’espèce. La
nature elle-même prend soin, aux époques de disette ou de
mauvaises conditions climatiques, ou dans les régions à sol pauvre,
de limiter l’accroissement de la population pour certains pays ou
certaines races. Elle ne fait toutefois pas obstacle à la faculté
procréatrice proprement dite, mais seulement à la subsistance de
l’individu procréé, soumettant celui-ci à des épreuves et des
privations si dures que tout ce qui est moins fort, moins sain,
périra183. Ceux à qui elle permet toutefois de surmonter les rigueurs
de l’existence sont à toute épreuve, rudes et aptes à engendrer à leur
tour, afin que la même sélection fondamentale puisse recommencer.
La nature, en procédant brutalement à l’égard de l’individu, et en le
rappelant à elle instantanément s’il n’est pas de taille à affronter la
tourmente de la vie, maintient fortes la race et l’espèce et atteint aux
plus hautes réalisations.
183
Plus tard, dans les camps d’extermination, le tri des prisonniers entre ceux qui
partaient vers les chambres de la mort et les autres s’appelaient la « sélection »
(voy. notamment certaines scènes du film La liste de Schindler de Steven
Spielberg, 1993).
184
Mon combat, tr. fr. J. GAUDEFROY-DEMOMBYNES et A. CALMETTES, op. cit.,
p. 182.
186
La nature interdit par ailleurs que les espèces et les races se croisent
dans la reproduction. Si l’être humain, par sa volonté, oublie cette
prétendue loi de la nature, il dégénère, devient un être de moindre
valeur. Toutefois, la nature, selon la pensée raciste, corrigera cette
erreur en obligeant l’être affaibli à se soumettre au fort.
185
Ibidem, pp. 283-284.
186
Ibidem, pp. 398-399.
187
À l’interprétation matérialiste de l’histoire par l’antagonisme des
classes, invention marxiste, donc juive selon lui, Hitler oppose la
vérité idéaliste aryenne, qu’il faut inlassablement inculquer par
l’éducation aux jeunes générations. La nature a réservé à la race
aryenne le rôle de civiliser le monde et de le dominer. Encore faut-il
que le sang aryen se conserve pur : le métissage est le péché suprême
contre la nature qui, insultée, se venge. La perte de la pureté du sang
détruit l’unité de l’âme d’un peuple et disloque son être même.
Le jeune Juif aux cheveux noirs épie, pendant des heures, le visage
illuminé d’une joie satanique, la jeune fille inconsciente du danger
qu’il souille de son sang et ravit ainsi au peuple dont elle sort. Par
tous les moyens il cherche à ruiner les bases sur lesquelles repose la
race du peuple qu’il veut subjuguer. De même qu’il corrompt
systématiquement les femmes et les jeunes filles, il ne craint pas
d’abattre dans de grandes proportions les barrières que le sang met
entre les autres peuples. Ce furent et ce sont encore des Juifs qui ont
amené le nègre sur le Rhin, toujours avec la même pensée secrète et
le but évident : détruire, par l’abâtardissement résultant du
métissage, cette race blanche qu’ils haïssent, la faire choir du haut
niveau de civilisation et d’organisation politique auquel elle s’est
élevée et devenir ses maîtres187.
187
Ibidem, p. 245.
188
de conservation triomphera seul, instinct sous lequel fond, comme
neige au soleil de mars, cette prétendue humanité qui n’est que
l’expression d’un mélange de stupidité, de lâcheté et de pédantisme
suffisant. L’humanité a grandi dans la lutte perpétuelle, la paix
éternelle la conduirait au tombeau188.
188
Ibidem, pp. 137-138.
189
Ibidem, p. 215.
189
explicitement aux thèses hitlériennes le droit naturel antique et le
droit naturel chrétien, en proposant une véritable théorie générale de
la loi humaine :
190
moins implicites, en faveur de la race aryenne et contre les Juifs. En
pratique, Montandon s’engage politiquement et prétend au début des
années 1940 contribuer à la solution « scientifique » des problèmes
éthiques et politiques de l’époque. Il prônera l’« extirpation » de la
communauté juive, et en ce qui concerne les femmes juives, un
traitement particulier. Le 3 août 1944, Montandon est abattu par un
groupe de résistants à son domicile.
§ 4. La Volksgemeinschaft
190
G. MONTANDON, cité par Marc KNOBEL, « L’ethnologue à la dérive, George
Montandon et l’ethnoracisme », Ethnologie française, XVIII, 1988, 2, p. 108. Voy.
aussi C. COHEN, L’homme des origines. Savoirs et fictions en préhistoire, Paris,
Seuil [Sciences ouvertes], Paris, 1999. On peut encore citer cet ouvrage de Frank
H. Hankins, préfacé par Montandon, et dont un exemplaire a été trouvé par l’auteur
du présent ouvrage chez un marchand de rue à… Lubumbashi en juillet 2004 : La
race dans la civilisation nordique. Une critique de la doctrine nordiste, Paris,
Payot, 1935. En voici un extrait parmi des dizaines de références à des études
scientifiques et des allusions à de multiples « professeurs » : « On ne saurait donc
attribuer l’état général arriéré du Nègre au manque d’occasions sociales. S’il avait
été suffisamment bien doué, il aurait fait son chemin dans le milieu culturel où il
se trouve placé. La cause en est plus profonde et doit être recherchée dans les
différences de structure corporelle et cérébrale. […] Nous en arrivons donc à la
considération de la structure et des dimensions du cerveau, car c’est là que se
trouve la différence la plus importante par rapport aux aptitudes culturelles »
(pp. 250-251).
191
germanique, unité raciale reposant sur la communauté du sang, et
conquérir au bénéfice de ce peuple allemand sans espace les
territoires nécessaires à sa vie et à sa domination. Il agit sous la
direction d’un Führer, sans élections et en dehors de toute idée de
représentation. Il y va d’un pouvoir personnel originel. On naît
Führer. Celui-ci n’est soumis à aucune autorité. Il exerce son
pouvoir à travers l’État et le parti.
192
§ 5. La mobilisation du droit dans l’entreprise totalitaire
Pour Hitler, le droit est « ce qui est bon pour le peuple allemand ».
Son « droit » et son « devoir » sont de s’assurer un « espace vital »
(Lebensraum), autrement dit de conquérir d’autres territoires au
détriment d’autres nations. D’autre part, la suprématie du peuple
souverain (Herenvolk) doit être assurée en éliminant tous ceux qui
peuvent lui nuire : les « races inférieures » et les « sous-hommes ».
Le 14 juillet 1933, les nazis font voter une première loi prescrivant
la stérilisation des malades mentaux et des grands criminels. Quatre
cent mille personnes (dont 50 % de femmes) subiront ce traitement.
C’est sur elles que sont testées pour la première fois les chambres à
gaz. Dès 1934, les nazis enferment également les personnes jugées
« asociales » tels que les homosexuels, les Témoins de Jéhovah ou
les détenus de droit commun.
193
corvée, aura protesté, crié, provoqué ou tenu des discours
tout en marchant ou sur les lieux de travail 191.
191
Règlement du premier camp de concentration à Dachau, 1er novembre 1933.
192
Voy. aussi F. RIGAUX, « Mariage et filiation sous le IIIe Reich », dans Liber
Amicorum Roger Dillemans, 1re partie, Familierecht en familiaal vermogensrecht ,
Anvers, Story-Scientia, 1997, pp. 235-250.
194
aveu de l’impossibilité pour les nazis de parvenir à une définition
raciale des Juifs.
195
explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des
poèmes193. » Etty Hillesum, juive hollandaise déportée lui avait
toutefois répondu, sans savoir, avant de disparaître : « Il faut bien
qu’il y ait un poète dans un camp, pour vivre en poète cette vie-là
(oui, même cette vie-là !) et pour la chanter194. » Robert Antelme,
rescapé de Buchenwald, de Gandersheim et de Dachau, raconte
comment un récital de chants et de poésie avait été organisé par les
détenus épuisés et mourant de faim195.
193
Th. ADORNO, Prismes. Critique de la culture et société, tr. fr. G. et
R. ROCHLITZ, Paris, Payot, 1986, p. 23.
194
E. HILLESUM, Une vie bouleversée, tr. fr. Ph. NOBLE, Paris, Seuil [Points P,
n° 59], 1995, p. 237. Il est vrai que Hillesum parlait du camp de transit de
Westerbork, dans l’ignorance de ce qui se passait dans les camps d’extermination.
195
R. ANTELME, L’espèce humaine, Paris, Gallimard [Tel, n° 26], 1957, pp. 212-
215.
196
sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la
naissance ou toute autre situation.
(…)
197
Conclusions de ce chapitre
198
élaborée. Il nous prépare à entendre quelques échos des
représentations du monde venues d’ailleurs, du Sud de la planète.
199
CHAPITRE X - LA NATURE ET LE DROIT
TRADITIONNEL AFRICAIN
Section 1. La problématique
A. Les rapports de domination
196
Voy. spécialement, Ch. NTAMPAKA, Introduction aux systèmes juridiques
africains, Namur, Presses universitaires de Namur, 2004, spécialement pp. 20-39,
la section intitulée « Rapports entre le droit et la philosophie de vie ». Cette section
se justifie aussi par les expériences d’enseignement de l’auteur du présent ouvrage
au Rwanda, au Burundi et en République démocratique du Congo, qui lui ont
permis, à travers les relations avec les étudiants, de prendre conscience des
immenses richesses de la culture d’Afrique centrale.
200
telle que l’a élaborée l’Europe, puis l’Occident en général. La
réponse n’est pas facile, d’autant que l’Afrique n’est pas un
continent parfaitement homogène, pas plus d’ailleurs que ne le sont
l’Europe ou l’Amérique, même si l’on ne considère que l’Afrique
subsaharienne. Il peut y avoir autant de différence de tempérament
entre un Africain de l’Ouest et un Africain des Grands Lacs qu’entre
un Danois et un Portugais.
197
Voy. D. VAN REYBROUCK, Congo. Une histoire, tr. fr. I. ROSSELIN, Arles, Actes
Sud, 2012.
201
B. L’absence d’écrits
202
homogène que l’empire mésopotamien, par exemple. Nous ne
possédons aucun document juridique écrit d’Afrique noire.
G.W.F. HEGEL, La Raison dans l’Histoire, tr. fr. K. PAPAIOANNOU, Paris, 10/18,
198
1965.
204
On ne compte pas beaucoup d’ouvrages s’intéressant à la
« philosophie africaine » avant la Seconde Guerre mondiale et très
peu avant les années soixante, époque des indépendances. À ce
moment, les publications se multiplient. Elles sont soit le fait
d’Occidentaux, soit celui d’Africains fort occidentalisés. Elles sont
souvent centrées sur l’ethnologie et la sociologie au sens de la
description comparative des modes de vie et des coutumes.
205
accepte un irrationnel inconciliable avec la philosophie199 ? Des
auteurs comme le sociologue Dominique Desjeux ont tenté de
montrer que la croyance à la sorcellerie étaye le pouvoir politique en
rendant les inégalités et la domination explicables par des forces
injustes mais invisibles. Éric de Rosny évoque le rôle du même
système de croyance dans la dynamique des conflits familiaux. La
croyance en la sorcellerie expliquerait l’aléa tout en justifiant
l’infortune et l’inégalité. Elle opère comme un mécanisme
régulateur : la crainte d’être soit ensorcelé, soit accusé de sorcellerie
amène les individus à se soumettre aux obligations de redistribution
à l’intérieur de leur groupe social. Les palabres qu’entraîne
l’accusation éventuelle sont également l’occasion pour chacun
d’exprimer les rancœurs vis-à-vis des autres.
199
Voy. J. FIERENS, « La sorcellerie dans le droit religieux et le droit moderne.
Burundi, République démocratique du Congo, Rwanda », dans Convictions
philosophiques et religieuses et droits positifs. Textes présentés au Colloque
international de Moncton (24-27 août 2008), Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 421-
454.
206
les données de la vie culturelle des Bantous autour de quatre thèmes
classiques : l’ontologie, l’épistémologie, l’anthropologie ou la
psychologie et l’éthique. Il tente de montrer que le monde bantou a
élaboré un système raisonné de l’univers fondé sur quelques
principes essentiels200. Avec le recul et le souvenir de ce qui s’est
ensuite passé au Rwanda, où l’affrontement ethnique a été
politiquement renforcé avec les conséquences que l’on sait, où
l’Église a pris position pour l’une ou l’autre ethnie, on peut se
demander si l’insistance de Tempels sur la philosophie « bantoue »
n’a pas contribué au dramatique clivage.
B. L’ontologie
Or, pour le Bantou, la force n’est pas un accident, c’est bien plus
qu’un accident nécessaire, c’est l’essence même de l’être en soi.
[…] L’être est force, la force est être. Notre notion d’être c’est « ce
qui EST », la leur « la force qui est ». Là où nous pensons le concept
« être », eux se servent du concept « force ». Là où nous voyons des
êtres concrets, eux voient des forces concrètes 201.
Tout être peut donc devenir plus fort ou plus faible, l’existence étant
en quelque sorte d’intensité variable. Une force peut renforcer ou
200
Voy. G. BIYOGO, Histoire de la philosophie africaine, t. 2, La philosophie
moderne et contemporaine, Paris, L’Harlattan, 2006, spécialement pp. 255 et ss.
201
La philosophie bantoue, tr. fr. A. RUBBENS, Paris, Présence africaine, 1949,
pp. 35-36.
207
déforcer une autre force. L’observation de l’interaction de ces forces
dans ses applications spécifiques et concrètes constitue en quelque
sorte la science naturelle bantoue.
Les êtres sont répartis par espèces et classes suivant leur puissance
et leur préséance vitale. Au-dessus de toute force est Dieu, Esprit
créateur. Dieu a la force ou la puissance par lui-même. Il donne
l’existence, la subsistance et l’accroissement aux autres forces.
Après lui, la hiérarchie s’élabore autour d’une primogéniture qui
règle aussi l’ordre social. Viennent ainsi après Dieu les premiers
pères des hommes, les fondateurs des divers clans, les
« archipatriarches », à qui il a communiqué sa force vitale. Après ces
premiers parents, viennent les défunts de la tribu, suivant leur degré
de primogéniture. Les vivants sur terre viennent après les défunts. Ils
sont à leur tour hiérarchisés, non simplement suivant un statut
juridique, mais d’après leur être même, selon la primogéniture et le
degré organique de la vie, c’est-à-dire selon la puissance vitale.
L’aîné d’un groupement ou d’un clan est le chaînon de renforcement
de vie, reliant les ancêtres à leur descendance.
C. L’épistémologie
202
Ibidem, p. 41.
208
interne », c’est-à-dire l’expérience de la nature et des phénomènes
vitaux. Une forte part de mystère subsiste cependant, qui rend tout
savoir particulier approximatif et perfectible par initiation.
Perméables à la science expérimentale et non dépourvus de sagesse
critique, les Bantous croient cependant à la magie dans la mesure où,
dans les interactions des forces, beaucoup sont inconnues.
Ils distinguent ce qui est perçu par les sens et la chose en elle-même.
Par la chose en elle-même, ils désignent sa nature intime, propre,
l’être même de la chose, ou plus précisément la force par laquelle la
chose est ce qu’elle est.
D. L’anthropologie
209
Les défunts peuvent renforcer la force vitale de ceux qui vivent sur
la terre. Les forces inférieures comme les animaux, les plantes, les
minéraux, n’existent, selon la volonté de Dieu, que dans le but
d’augmenter la force vitale des hommes.
E. L’éthique et le droit
210
éventuellement être très éloigné de la solution que suggérerait un
raisonnement purement juridique203.
Tempels sera critiqué par ceux qui l’ont considéré comme un gardien
de l’ordre colonial. L’œuvre affiche une conception assez
dévalorisante du Noir, même s’il tente de le réhabiliter. Le but de
Tempels reste explicitement d’« ouvrir des horizons prometteurs aux
éducateurs et de faciliter la mission civilisatrice de l’Occident ». Il
convient toutefois de ne pas perdre de vue qu’au moment où Tempels
observe, médite et écrit, son message est d’une grande modernité.
On s’est aussi demandé s’il y avait vraiment coïncidence entre la
vision du monde que Tempels prête aux Bantous et la vision bantoue
du monde.
B. L’expression de l’être
Kagame note cependant que ce qui intéresse les Bantous, c’est moins
l’être que l’exister. Comparé à Aristote et à sa pensée abstraite, les
Bantous-Rwandais lui apparaissent comme des « philosophes
intuitifs », à la pensée plutôt concrète et englobante.
Kagame a lui aussi été critiqué pour avoir présenté une philosophie
matériellement bantoue mais formellement aristotélicienne.
212
Conclusions de ce chapitre
Il existe sans aucun doute une pensée africaine dont la richesse est
méconnue. Cette pensée ne s’exprime pas spontanément sur le mode
philosophique, dans une recherche de sens prétendant s’appuyer
exclusivement sur la raison. Du moins, si elle existe, la philosophie
africaine n’est que balbutiante. Beaucoup reste à faire pour qu’elle
puisse s’affranchir de plusieurs siècles d’influence européenne et
s’élaborer dans toute son originalité. Une amorce lui a été donnée
par l’ethnophilosophie, mais celle-ci reste manifestement
dépendante d’une vision aristotélicienne de l’être et des étants. Les
combats politiques de libération et d’émancipation ont nourri une
pensée politique forte mais rarement spécifique.
213
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
L’auteur de cet ouvrage croit que la nature existe, mais qu’il n’existe
pas de droit naturel lisible. Chaque lecteur se forgera son opinion.
Seuls peuvent être qualifiés de « naturels » quelques comportements
déterminés par nos gènes, notre histoire ou notre environnement, qui
s’imposent à nous. Mais en cela, ces comportements imposés ne
relèvent pas du droit et ne différencient pas l’homme de l’animal,
voire de la plante. C’est justement quand l’homme se révèle capable
de choisir comment vivre, comment agir, que le droit commence. La
liberté est toujours présupposée par la norme et le droit ne peut
qu’occuper les espaces de liberté.
Dans tous les cas, le droit n’en devient pas naturel, au sens de lisible
dans une essence finalisée, dans une transcendance ou dans un
ensemble normatif qui s’imposerait aux sociétés humaines. Le droit
est, de bout en bout, culturel, parce qu’issu de la capacité de parole.
215
Vacher de la Pouge et consorts, Hitler évoque la nécessaire brutalité
et la supériorité de la race aryenne, il met effectivement en place les
conditions du droit odieux qu’il entend instaurer ; le droit nazi était
aussi rationnel que celui que défendaient Aristote ou Rousseau, ce
qui a largement contribué à la fascination qu’il a exercée … Quand
Tempels ou Kagame tentent de dire quelles conceptions sous-tendent
le droit traditionnel bantou, ils cherchent à en montrer les strates
cachées dans une culture particulière et un rapport particulier à la
nature.
216
Ensuite, la nature a ceci de particulier, quel que soit le sens qui lui
est donné, qu’elle fonctionne selon des lois que la volonté humaine,
fut-elle celle du souverain ou celle de la convention, ne maîtrise pas,
ne peut créer, ne peut changer. Il s’agit de soustraire le droit, au
moins en partie, à la volonté humaine et d’ancrer sa légitimité, sinon
dans l’immuable, du moins dans la permanence.
217
d’écoute ou de contemplation fondamentale, tantôt de vouloir
maîtriser les points de vue, les concepts, de prendre possession du
monde par la technique, ou de soi-même par l’anatomie ou la
psychanalyse, d’imposer sa volonté individuelle à celle de l’autre,
tantôt de minimiser la frontière entre le monde visible et le monde
invisible, entre les vivants et les ancêtres, ou encore de rappeler sans
cesse, contre les droits subjectifs individuels, l’importance des
devoirs envers le groupe social.
218
Dans son interrogation et dans les réponses qu’il tentera de formuler,
chacun fera intervenir une part de foi, de croyance dans la puissance
rationnelle de telle ou telle norme. Ce n’est pas contradictoire. La foi
(avec un petit « f », cela suffit) et l’intelligence se complètent au sein
du cercle herméneutique : croire pour comprendre et comprendre
pour croire.
***
219
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Abraham ......................................................................................... 29
Académie ........................................... 44, 63, 84, 132, 211, 228, 234
Accident ....................................................................... 185, 207, 212
Adorno, Theodor .......................................................................... 195
Afrique20, 37, 165, 173, 197, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207,
210, 224, 235
âge d'or ............................................................................. 54, 63, 103
Agriculture ........................................................................... 115, 134
Alètheia .................................................................................. 48, 110
Al-Farabi ........................................................................................ 19
Al-Kindi ......................................................................................... 19
Alliance .............................................................................. 30, 31, 32
Ambroise (saint) ............................................................................. 74
âme ............................... 49, 53, 59, 71, 119, 158, 172, 188, 192, 221
Amitié............................................................................................. 37
Amour .......................................... 36, 37, 43, 98, 104, 133, 204, 225
Ancien testament .............................................................. 26, 37, 233
André-Salvini, Béatrice .......................................................... 24, 220
Andronicos de Rhodes ................................................................... 64
Animalité........................................................................................ 54
Animaux28, 41, 50, 55, 69, 70, 102, 115, 133, 164, 167, 178, 181,
187, 207, 209, 210, 212, 214, 229
Anouilh, Jean ................................................................................. 42
Antelme, Robert ................................................................... 196, 220
Anthropologie ................................................................ 15, 207, 227
Antigone ................................................... 40, 41, 42, 43, 46, 48, 235
Antiochus IV Épiphane ................................................................ 167
237
Arendt, Hannah ...................................................... 20, 149, 193, 220
Aristocratie ........................................................... 121, 130, 140, 158
Aristote18, 19, 43, 58, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 72, 75, 87, 89, 107,
108, 115, 128, 167, 183, 210, 212, 214, 215, 220
Arminius....................................................................................... 100
Aryen, aryanisme ......................... 180, 181, 182, 183, 188, 191, 216
Aryens, arianisme................................................. 179, 180, 181, 192
Asie .............................................................................. 165, 166, 179
Athènes....................................................... 44, 45, 46, 47, 63, 64, 65
Augustin (saint) .................................... 16, 18, 19, 74, 128, 167, 235
Auschwitz..................................................................................... 195
Averroès ......................................................................................... 19
Avicenne......................................................................................... 19
Avocat .................................................................................. 154, 232
Bacon, Francis ........................................................................ 88, 221
Baillet, Adrien .............................................................................. 108
Bailly, André ................................................................................ 221
Bantous......................................................................... 207, 211, 212
Barbares ....................................................................................... 185
Bâtons d’Ishango.......................................................................... 202
Bauchau, Henri............................................................................... 42
Bible ................................. 28, 29, 32, 36, 43, 84, 171, 172, 221, 235
BIYOGO, Grégoire ......................................................................... 207
Bodin, Jean ........................................................................... 120, 128
Bogaert, Pierre-Maurice ......................................................... 28, 221
Boutmy, Emile ............................................................. 142, 221, 229
Buber, martin................................................................................ 221
Buchenwald .................................................................................. 196
Burundi................................................................................. 206, 225
Cagots........................................................................................... 170
238
Calliclès .......................................................................................... 56
Cambacéres, Jean-Jacques-Régis ................................................. 151
Cassin, Barbara ............................................................................ 221
Catégories........................................................... 15, 67, 75, 166, 212
Cazelles, Henri ............................................................................. 221
Chamberlain, Houston Stewart ............................................ 176, 182
Charles Ier .................................................................................... 112
Charles Quint ....................................................................... 172, 173
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ................ 197
Chine .............................................................................................. 90
Christ .............................................................................. 36, 167, 168
Christianisme ................................................... 19, 36, 172, 173, 174
Cicéron ....................................................... 16, 64, 74, 130, 151, 168
Cicéron, Marcus Tullius ........................................... 16, 19, 217, 232
Cité ..................................................................................... 26, 41, 44
Cité idéale ................................................................................ 46, 56
Civilisation ........................................................................... 103, 178
Closset-Marchal, Gilberte ............................................................ 222
Cocteau, Jean ................................................................................. 42
Code civil ....................................................................... 37, 151, 232
Code noir ...................................................................................... 172
Cogito ................................................................................... 110, 154
Colomb, Christophe ....................................................................... 89
Colonisation ......................................................... 180, 201, 204, 205
Common law .................................................................................. 27
Concept .................................. 15, 18, 36, 67, 84, 104, 166, 192, 224
Conférence de Wannsee ............................................................... 195
Connaissance10, 12, 48, 49, 56, 59, 63, 71, 88, 90, 109, 202, 203,
209
Constitution ...................................................... 55, 65, 127, 129, 134
239
Contrat social ... 85, 86, 116, 124, 125, 135, 136, 137, 138, 139, 150
Contre-remontrants ...................................................................... 100
Controverse de Valladolid ............................................................ 172
Convention ............................................. 47, 103, 104, 116, 118, 217
Copernic, Nicolas ........................................................................... 87
Corps social ............................................................................ 86, 146
Cour constitutionnelle ........................................................ 12, 13, 75
Cour européenne des droits de l’homme........................................ 75
Coutume ............................................................................... 111, 205
Cromwell, Oliver ......................................................................... 112
Culture18, 20, 27, 41, 55, 56, 163, 168, 174, 180, 181, 200, 204, 215,
216, 217
d’Orange-Nasseau, Maurice......................................................... 100
Dante, Alighieri ............................................................................ 182
Dapper, Olfert .............................................................................. 203
Darwin, Charles ........................................................... 177, 178, 222
David (Roi) .................................................................................... 30
David, René ............................................................................ 14, 222
de Chartres, Bernard .............................................................. 17, 228
de Las Casas, Bartholomé .................................................... 173, 231
de Médicis, Laurent.................................................................. 90, 91
de Pury, Albert.............................................................................. 233
de Romilly, Jacqueline ................................................................. 234
de Rosny, Eric .............................................................................. 206
de Rougemont, Denis ............................................................. 36, 234
de Salisbury, Jean ........................................................................... 17
de Vinci, Léonard ........................................................................... 87
de Walhens, Alphonse .................................................................. 236
Décalogue........................................................................... 32, 34, 35
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen . 141, 142, 144, 221
240
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen20, 85, 141, 144,
148, 234
della Cosa, Giovanni ...................................................................... 94
Delmas-Marty, Mireille ................................................................ 223
Démocratie ....................................................... 61, 62, 130, 140, 226
Démocrite ..................................................................................... 155
Descartes, René ........ 20, 88, 107, 108, 109, 110, 126, 149, 182, 215
Desjeux, Dominique..................................................................... 206
Déterminisme ....................................................................... 128, 179
Deutéronome ...................................................................... 28, 29, 30
Dialectique ........................................................... 155, 158, 159, 233
Diels, Hermann ............................................................................ 223
Dieu16, 25, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 53, 74, 84, 85, 86,
94, 106, 107, 110, 111, 118, 126, 127, 143, 149, 155, 167, 171,
173, 174, 175, 178, 190, 203, 207, 208, 209, 210, 212, 215, 218
Dieux .................................... 25, 26, 27, 33, 41, 42, 48, 64, 140, 155
Digneffe, Françoise ...................................................................... 223
Dignité .......................................................................................... 217
Dignité humaine ............................................................. 84, 224, 234
Dijon, Xavier ........................................................................ 132, 223
Dikè ................................................................................................ 42
Diodore de Sicile .......................................................................... 168
Dion Cassius ................................................................................ 168
d'Ockham, Guillaume .................................................................. 105
Doctrine .............. 13, 14, 86, 108, 120, 121, 177, 191, 193, 226, 230
Dosse, François ............................................................................ 223
Droit à la vie ........................................................................... 36, 120
Droit international .......................................... 14, 101, 196, 217, 229
Droit subjectif .......................................................... 20, 36, 104, 105
241
Droits de l'homme20, 35, 42, 85, 121, 126, 141, 146, 147, 148, 150,
157, 159, 181, 196, 197
Droits fondamentaux .............................. 14, 149, 201, 210, 215, 217
Duhot, Jean-Joël ............................................................................. 45
Dumont, J.-P. ................................................................................ 223
Duplessis-Mornay, Philippe ........................................................... 86
Ecologie ......................................................................................... 89
écriture ....................................................................... 18, 24, 30, 202
éducation ........................ 44, 46, 50, 56, 57, 134, 136, 139, 188, 234
Effectivité ................................................................................. 11, 15
égalité13, 58, 62, 73, 74, 75, 85, 103, 104, 114, 117, 121, 123, 125,
126, 135, 136, 139, 140, 145, 150, 210, 215, 217
Église ................................................................ 74, 85, 168, 207, 222
Égypte ................................ 29, 31, 33, 35, 36, 44, 96, 167, 202, 203
Eichmann, Adolf .......................................................................... 195
Empirisme .................................................................................... 121
Enfants ............................................................. 55, 98, 134, 169, 204
Épicure ......................................................................................... 155
épistémologie ......................................................... 12, 149, 207, 208
Épopée de Gilgamesh................................................................... 224
Érasme .................................................................................... 99, 101
Érastotène ....................................................................................... 89
Eschyle ............................................................................. 42, 54, 235
Esclavage28, 58, 96, 128, 134, 135, 145, 167, 171, 172, 173, 183,
201, 204, 205, 215
Espèce55, 133, 134, 164, 165, 167, 174, 175, 179, 186, 187, 196,
214, 220
Essence ................................. 65, 67, 68, 69, 118, 137, 203, 214, 232
242
État16, 20, 37, 45, 47, 57, 59, 61, 86, 91, 93, 94, 97, 99, 118, 119,
120, 130, 134, 136, 139, 141, 144, 155, 157, 160, 162, 190, 191,
192, 235
Ethnie ................................................................................... 181, 206
Ethnologie .................................................................... 128, 190, 205
Euripide .......................................................................................... 62
Europe .............................. 13, 85, 169, 174, 179, 182, 195, 201, 235
Eusèbe de Césarée ........................................................................ 168
Facultés de droit ............................................................................. 14
Famille ................................. 12, 63, 69, 70, 154, 161, 174, 204, 223
Farias, Victor ................................................................................ 224
Femme .............. 17, 33, 55, 58, 95, 98, 167, 188, 191, 204, 215, 218
Feu ...................................................................... 50, 51, 53, 111, 170
Fichte, Johann .............................................................................. 192
Fierens, Jacques ............................. 84, 123, 150, 206, 223, 224, 225
Finet, André ............................................................................ 24, 225
Foi ................................................ 19, 38, 41, 99, 109, 173, 190, 219
Force vitale ................................................................... 207, 208, 210
Fortuna ..................................................................................... 95, 96
Founding Fathers.................................................................. 101, 141
François Ier .................................................................................... 86
Freud, Sigmund ...................................................................... 20, 154
Führer ................................................................................... 161, 192
Gacaca .......................................................................................... 223
Galilée, Galileo .............................................................. 87, 108, 225
Ganshof van der Meersch ............................................................ 145
Génétique ..................................................................................... 166
Génome ........................................................................................ 166
Géométrie ..................................................................................... 108
Gérard, Philippe ........................................................................... 226
243
Ghetto ........................................................................... 167, 169, 195
Gobineau, Joseph Arthur (de) ...... 176, 178, 179, 180, 182, 221, 226
Gomaristes ................................................................................... 100
Goyard-fabre, Simone .................................................................. 226
Goyard-Fabre, Simone ............................................................. 9, 226
Grand Soir ...................................................................................... 45
Grèce .................................................................. 64, 89, 92, 210, 231
Grégoire de Nysse ........................................................................ 168
Grotius .................................................................................. 116, 118
Grotius, Hugo20, 92, 100, 101, 102, 104, 105, 106, 107, 108, 113,
115, 119, 149, 215
Guerre13, 55, 61, 69, 86, 92, 94, 96, 97, 98, 106, 114, 116, 119, 121,
122, 128, 130, 134, 135, 144, 161, 162, 173, 205, 226
Gutenberg, Johannes ...................................................................... 87
Gymnastique .................................................................................. 44
Hammourapi....................................... 19, 24, 25, 26, 27, 28, 31, 225
Hécatée d'Abdère ......................................................................... 168
Hegel, Georg Wilhelm ................. 155, 158, 159, 176, 203, 204, 226
Heidegger ....................................................................................... 18
Heidegger, Martin ................................................................ 216, 231
Henri IV ....................................................................................... 100
Héraclite ....................................................................................... 110
Herenvolk ..................................................................................... 193
Hésiode........................................................................... 54, 103, 205
Heydrich, Reinhard ...................................................................... 195
Hillesum, Etty ...................................................................... 196, 227
Histoire ........................................................................................... 17
Hitler, Adolf161, 162, 163, 176, 186, 188, 189, 190, 191, 192, 193,
195, 216
244
Hobbes, Thomas20, 87, 88, 92, 108, 112, 113, 115, 116, 117, 118,
119, 121, 122, 123, 128, 135, 136, 149, 215
Homère ........................................................................................... 69
Homo sapiens ............................................................................... 165
Homosexuels ................................................................................ 193
Hotman, François ........................................................................... 86
Humanisme ................................................................ 84, 85, 99, 225
Humanité54, 71, 93, 99, 135, 143, 163, 166, 171, 179, 180, 181, 183,
186, 188, 189, 193, 229
Hylémorphisme .............................................................................. 65
Idéologie............................................................................. 12, 14, 20
Ijtihād ............................................................................................. 82
Immunité de l'État ........................................................................ 120
Impôt .............................................................................................. 61
Imprimerie ...................................................................................... 87
Inde............................................................................................... 179
Infrastructure ................................................................................ 156
Innocent XIII ................................................................................ 169
Intérêt ......................... 62, 75, 91, 102, 116, 124, 134, 138, 157, 203
Intuition ................................................................ 110, 140, 142, 203
Irak ................................................................................................. 25
Isaac ............................................................................................... 29
Islam ................................................................................. 19, 82, 202
Isocrate ........................................................................................... 74
Israël ..................................................................... 29, 31, 36, 37, 235
Jacob....................................................................... 29, 227, 233, 234
Jaeger, Werner .............................................................................. 227
Jaspers, Karl ................................................................... 20, 220, 227
Jauffret-Spinosi, Camille ....................................................... 14, 222
Jean Chrysostome ........................................................................ 168
245
Jean III.......................................................................................... 172
Jeauneau, Edouard ................................................................. 17, 228
Jellinek, Georg J. .................................................... 12, 142, 221, 229
Jésus ....................................................................... 37, 167, 183, 229
Job .................................................................................. 38, 117, 232
Joseph ............................................................................................. 29
Juge .............. 26, 27, 74, 75, 120, 124, 126, 130, 131, 144, 168, 210
Jugements ........................................... 12, 47, 89, 109, 111, 121, 190
Jurisprudence ........................................................................... 32, 75
Justice commutative ................................................................. 72, 74
Justice distributive.............................................................. 72, 73, 74
Kagame, Alexis .................................................... 211, 212, 216, 228
Kant, Immanuel ................................ 20, 48, 175, 225, 226, 228, 233
Kelsen, Hans .................................................... 12, 13, 183, 228, 235
Kepler, Johannes ............................................................................ 87
Kranz, Walther ............................................................................. 223
Kuntze, Otto ................................................................................. 182
Kupper, Jean-Robert .................................................................... 229
L. Strauss, Léo ......................................................................... 9, 235
Lamarck, Jean-Baptiste ........................................................ 177, 178
Langage ............................................ 18, 32, 66, 69, 70, 94, 180, 214
Languet, Robert .............................................................................. 86
Las Casas, Bartholomé ................................................................. 172
Lebensraum .................................................................................. 193
Leclerc de Buffon, Georges-Louis ............................... 164, 165, 229
Légalité............................................................................... 11, 12, 14
Législation .................................................... 11, 25, 28, 30, 173, 197
Légitimité ........... 11, 14, 15, 24, 27, 42, 48, 149, 155, 172, 216, 217
Lestel, Daniel ............................................................................... 229
Lévi, Primo................................................................................... 230
246
Lévi-Strauss, Claude ...................................... 20, 174, 217, 222, 227
Liberté36, 62, 85, 86, 93, 96, 115, 117, 120, 121, 123, 125, 129, 130,
131, 136, 137, 138, 141, 142, 143, 145, 146, 147, 150, 172, 214
Lochak, Danièle ..................................................................... 14, 230
Locke, John ............ 20, 122, 123, 125, 128, 135, 136, 149, 150, 215
Logos .......................................................................... 10, 18, 54, 216
Loi Le Chapelier .......................................................................... 145
Lois apodictiques ............................................................... 32, 35, 36
Lois de Nuremberg....................................................................... 194
Louis (saint) ................................................................................. 233
Louis XIV ...................................................................... 86, 121, 172
Lycée ........................................................................................ 63, 64
Lysias ............................................................................................. 44
Machiavel, Niccolo20, 87, 90, 91, 92, 94, 95, 96, 98, 99, 102, 162,
229
Maîtres du soupçon ................................................................ 20, 154
Maîtrise .............................................................. 40, 89, 90, 111, 217
Mal (question du -)35, 38, 41, 51, 70, 75, 93, 161, 173, 178, 185,
210, 232
Malaurie, Philippe .................................................................. 35, 231
Malthus, Thomas .................................................................. 177, 231
Mariages ............................................................................... 168, 194
Marx, Karl .............................................. 20, 154, 155, 156, 158, 159
Mathématique................. 56, 74, 87, 88, 90, 107, 109, 110, 112, 149
Mauss, Marcel ...................................................................... 230, 231
Méchant, méchanceté ............................................................... 54, 92
Méchants, méchanceté ................................................................... 93
Médecin .............................................................................. 28, 63, 64
Médiété..................................................................................... 71, 72
Mésopotamie .............................................................. 25, 27, 43, 229
247
Métaphysique ................................................. 67, 110, 207, 209, 231
Meurtre ............................................................... 32, 33, 36, 114, 168
Minéraux .............................................................................. 207, 210
Mishna............................................................................................ 29
Moïse.................... 19, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 34, 35, 70, 80, 96, 221
Monarchie .................................... 112, 121, 127, 128, 130, 141, 167
Monarchomaques ........................................................................... 86
Montandon, Georges ............................................ 190, 191, 226, 229
Montesquieu, Charles-Louis (de) ... 20, 126, 127, 128, 129, 130, 178
Morale .... 46, 72, 91, 92, 96, 105, 106, 111, 123, 127, 157, 204, 210
More, Thomas .............................................................. 45, 84, 86, 99
Mort18, 23, 28, 40, 41, 46, 47, 63, 81, 87, 89, 93, 115, 116, 186, 191
Mossé, Claude .............................................................................. 231
Moyen Âge ........................................................................... 168, 171
Musique.......................................................................................... 56
Mythe de la caverne ....................................................................... 49
Mythos ........................................................................................... 54
Neher, André ................................................................................ 232
Néher, André .......................................................................... 38, 232
Nemo, Philippe....................................................................... 38, 232
Nietzsche, Fridriech ..................................................................... 181
Nietzsche, Friedrich ............................................... 20, 154, 215, 232
Noé ....................................................................................... 171, 172
Nominalisme ................................................................................ 105
Nouveau testament ....................................................................... 122
Occident ..................................... 36, 89, 91, 163, 171, 201, 211, 234
Oligarchie ....................................................................................... 61
Optique ......................................................................................... 108
Ost, François .......................................................... 42, 226, 232, 233
Pacte social ........................................................................... 137, 139
248
Pactum societatis ............................................................................ 48
Pactum subjectionis........................................................................ 48
Parenté .......................................................................................... 230
Parménide..................................................................................... 155
Parole ..... 10, 18, 26, 27, 30, 31, 41, 69, 70, 116, 134, 202, 214, 218
Participation ................................................................................... 48
Pascal, Blaise ............................................................................... 108
Passions .................................................................. 92, 133, 134, 203
Paul IV ......................................................................................... 169
Pauvre, pauvreté ........... 35, 61, 62, 63, 87, 94, 97, 98, 134, 139, 170
Peine de mort ................................................................................. 46
Pentateuque ............................................................ 28, 30, 31, 32, 36
Philia .............................................................................................. 37
Physiologues .................................................................................. 53
Physis ......................................................... 43, 53, 58, 216, 217, 227
Pie XI ........................................................................................... 189
Pirot, Louis ................................................................................... 221
Plantes .......................................................................... 164, 207, 210
Platon16, 19, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 53, 54, 56, 57, 58, 60, 61, 62,
63, 64, 65, 66, 73, 96, 103, 128, 133, 134, 149, 203, 210, 215, 220,
233
Portalis, Jean-Etienne ........................................................... 151, 233
Positivisme ..................................................... 12, 13, 14, 89, 92, 230
Poudre à canon ............................................................................... 90
Présocratiques .......................................................... 19, 43, 163, 205
Proche-Orient ......................................................................... 24, 225
Propriété55, 91, 98, 101, 103, 120, 121, 123, 125, 133, 134, 135,
139, 142, 146, 148, 150, 155, 156, 224
Prosopopée des lois ........................................................................ 47
Protagoras......................................................................... 54, 56, 103
249
PROUDHON, P.-J. ............................................................. 70, 155, 233
Psychologie ............................................................................ 15, 207
Ptolémée ......................................................................................... 89
Pythagore ................................................................................. 74, 89
Querelle des universaux ............................................................... 105
Race, racisme59, 76, 128, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 170,
171, 172, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 185,
186, 187, 188, 189, 190, 191, 196, 197, 216, 223, 226
Raison10, 18, 19, 37, 38, 42, 59, 69, 85, 88, 89, 90, 93, 102, 103,
106, 107, 109, 111, 114, 116, 118, 119, 121, 126, 127, 128, 129,
138, 148, 151, 173, 175, 185, 197, 204, 215, 216, 217, 218, 233
Rapports de production ........................................ 154, 156, 159, 160
Ratio ....................................................................................... 10, 164
Rawls, John .................................................................................... 75
Réforme .................................................................................. 99, 102
Réhabilitation ............................................................................... 225
Relativité ................................................................................ 31, 127
Religion10, 18, 24, 43, 85, 86, 88, 92, 96, 99, 109, 111, 129, 142,
155, 157, 158, 167, 168, 174, 190, 196, 197, 203
Remontrants ................................................................................. 100
Renaissance .............. 18, 20, 45, 74, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 164, 227
Représentation politique .............................................................. 117
Res cogitans ................................................................................. 110
Res extensa................................................................................... 110
Respect ........................................... 81, 114, 143, 181, 204, 209, 217
Responsabilité ........................................................ 28, 168, 210, 224
Retzius, Anders ............................................................................ 181
Rhétorique ...................................................................................... 47
Riche, richesse44, 59, 61, 62, 63, 72, 76, 94, 125, 129, 134, 139, 159,
200
250
Ricœur, Paul ................................................................. 223, 225, 234
Rigaux, François ............................................................ 84, 194, 234
Robin, Léon .................................................................................. 233
Ronsard, Pierre ............................................................................. 134
Rouland, Norbert .................................................................. 211, 234
Rousseau, Jean-Jacques20, 56, 103, 128, 131, 132, 133, 136, 137,
138, 140, 141, 203, 215, 216
Royauté .......................................................................................... 25
Sacré ............................................................................... 33, 144, 148
Salomon ......................................................................................... 30
Sauser-Hall, Georges.................................................................... 185
Savonarole ...................................................................................... 90
Schiller, Friedrich ......................................................................... 192
Schmitt, Carl ................................................................................ 183
Science ..................................................................................... 10, 88
Scolastique ..................................................................................... 84
Sécularisation ............................................................................... 118
Sénèque ........................................................................................ 168
Séparation des pouvoirs ......................................... 27, 130, 148, 150
Sépulture ........................................................................................ 42
Sepúlveda, Juan Ginés ................................................................. 172
Sexe .............................................................................. 177, 196, 197
Shakespeare, William ................................................................... 182
Shoah .................................................................................... 193, 195
Sinaï ....................................................................................... 29, 233
Ska, Jean-Louis ............................................................................ 235
Société11, 15, 16, 48, 61, 85, 102, 115, 117, 123, 125, 127, 128, 130,
132, 133, 134, 135, 136, 138, 139, 146, 147, 148, 150, 156, 157,
158, 160, 194, 205, 210, 215, 218
Sociologie............................................................................... 15, 205
251
Socrate .......... 15, 44, 45, 46, 47, 48, 56, 57, 62, 64, 67, 96, 121, 215
Solon .............................................................................................. 44
Sophistes .......................................................... 19, 47, 53, 62, 70, 92
Sophocle ......................................................... 40, 41, 42, 43, 62, 235
Sparte ................................................................................. 45, 61, 70
Spinoza, Baruch ........................................................................... 116
Stoïciens ......................................................................................... 19
Superstructure ...................................................... 156, 157, 159, 160
Tacite .................................................................................... 168, 183
Talmud ........................................................................................... 29
Témoins de Jéhovah ..................................................................... 193
Tempels, Placide .......................... 205, 206, 207, 210, 211, 212, 216
Tertullien ...................................................................................... 168
Thalès de Milet............................................................................... 89
Thémis .......................................................................................... 223
Théodore de Bèze........................................................................... 86
Théologie ......................................................................... 57, 90, 227
Thomas d’Aquin ...................................................... 19, 57, 128, 215
Tiers État ...................................................................................... 144
Tora ........................................................................ 28, 29, 30, 32, 35
Traités ........................................................................................... 122
Travail28, 57, 92, 104, 111, 115, 123, 125, 126, 135, 139, 156, 194,
229
Tribunal .................................................................................... 46, 99
Tyran .............................................................................................. 44
Universalisme................................................................................. 20
Universalité .................................................................... 24, 203, 217
Urbain VIII ................................................................................... 169
Utilité sociale ................................................................................. 59
Valeurs .................................... 12, 14, 15, 63, 70, 168, 174, 190, 200
252
Validité du droit .............................................................................. 11
van de Kerchove, Michel ....................................... 13, 226, 233, 235
Van Reybrouck, D. ............................................................... 201, 235
Végétaux ...................................................................................... 212
Vengeance .................................................................................... 124
Vésale, André ................................................................................. 87
Villey, Michel ................................................................. 85, 106, 236
Virtù ......................................................................................... 95, 96
Volksgemeinschaft ............................................................... 191, 192
von Herder, Johann ...................................................................... 192
von Hindenburg, Paul .................................................................. 162
von Linné, Carl .................................................................... 164, 165
von Savigny, Friedrich-Karl ......................................................... 192
Wagner, Richard ........................................................................... 182
Weber, Max .................................................................................... 12
Whitehead, Alfred North .............................................................. 236
Wolf, Eric ..................................................................................... 236
Xénophon ....................................................................................... 46
YHWH, Yahvé ......................................................... 31, 32, 171, 217
Yourcenar, Marguerite ............................................................ 88, 236
253
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION .......................................................................... 6
254
CHAPITRE III - LE DROIT DANS LA TRADITION
SUMÉRIENNE ET SÉMITIQUE .............................................. 24
Section 3. Moïse................................................................................................. 28
§ 2. La Tora .................................................................................................... 28
§ 3. Une loi écrite, révélée par Dieu............................................................... 30
§ 4. Aperçu du droit substantiel mosaïque ..................................................... 31
A. Les lois apodictiques ............................................................................ 31
§ 5. La loi d’amour......................................................................................... 36
§ 7. Une méfiance à l’égard de la démarche rationnelle ................................ 37
255
§ 8. La Cité idéale et les trois classes ............................................................. 56
§ 9. La justice et l’homme juste ..................................................................... 57
§ 11. Les diverses formes de gouvernement .................................................. 60
256
ET LA FORMATION DE L’ÉTAT MODERNE ....................... 84
257
Section 6. Thomas Hobbes ............................................................................. 112
§ 1. L’homme et l’œuvre .............................................................................. 112
§ 3. L’état de nature ...................................................................................... 113
§ 4. La formation de la société civile ........................................................... 115
§ 5. Le Léviathan ......................................................................................... 117
259
3) Ernest Renan .................................................................................. 180
4) Georges Vacher de la Pouge ........................................................... 181
5) Houston Stewart Chamberlain ....................................................... 182
6) Carl Schmitt ................................................................................... 183
7) Georges Sauser-Hall ....................................................................... 185
§ 3. Mein Kampf........................................................................................... 185
§ 4. La Volksgemeinschaft ............................................................................ 191
§ 5. La mobilisation du droit dans l’entreprise totalitaire ............................ 193
§ 6. La « race » et le droit contemporain ...................................................... 196
260
Section 4. Alexis Kagame ............................................................................... 211
A. L’intention ............................................................................................... 211
B. L’expression de l’être .............................................................................. 212
261