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La Fontaine, Fables (1668), V, IX,

“Le Laboureur et ses enfants”

Travaillez, prenez de la peine :


C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l’Oût.
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.

❖ Introduction

Accroche : Au XVllème siècle, époque du classicisme, les moralistes sont considérés


comme les peintres des mœurs et de la nature humaine. Pour certains littéraires du
XVIIème siècle, il n'existe pas de modèles plus parfaits que les œuvres des Anciens.

Auteur et Oeuvre : Admirateur de l'Antiquité, La Fontaine s'inspire essentiellement des


fables d'Esope et de Phèdre, et se présente ainsi comme le continuateur des fabulistes
anciens. Les fables du fabuliste écrites principalement en vers sont des apologues, c'est-à-
dire de courts récits allégoriques à visée didactique. Ce moraliste dénonce à travers ses
histoires plaisantes et instructives les défauts humains de la société de son temps.

Extrait : La fable « Le Laboureur et ses enfants » est la gème fable du Livre V du recueil
Fables publié en 1668. Cette fable s'inscrit dans un “cycle économique” dans lequel le
fabuliste propose à ses jeunes lecteurs des leçons à la fois pratiques et morales pour gérer
leur “fortune”. Cette fable, réécriture d'une fable d'Esope du même titre, convoque des
personnages humains et l'univers du conte : la mort du patriarche et ses paroles
énigmatiques conduisent ses enfants à découvrir l'importance du travail.

Problématique : En quoi cette fable est-elle un apologue ?

Plan : Nous verrons dans un premier temps,

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❖ Étude linéaire du texte

Premier Mouvement : Vers 1 à 2 : Morale :

Vers 1 : La recommandation du fabuliste est morale et explicite et ouvre la fable. Les deux
verbes à l'impératif présent “Travaillez, prenez” placent l'auteur comme un directeur de
conscience à l'égard du lecteur. Implication du lecteur à travers l'utilisation implicite du
pronom personnel “vous”. Le verbe “Travaillez” est associé au nom commun “peine”. Le
travail est ramené à son étymologie latine “tripalium”, un instrument de torture.

Vers 2 : Forme emphatique de la phrase introduite par le présentatif « C'est ». Emploi du


présent de vérité générale afin de souligner la valeur universelle des affirmations sur le
travail. Litote signifiant que le travail que nous possédons est le bien qui craint le moins
d'être improductif. Il est payant.

Deuxième Mouvement : Vers 3 à 4 : Situation initiale

Vers 3 : Présentation du statut social du père : Le nom commun “ laboureur” fait référence à
la tâche agricole mais fait aussi entendre le terme latin “labor” qui désigne tout type de
travail faisant du père une allégorie du travail et de la persévérance. L'adjectif qualificatif
“riche” apposé au substantif “laboureur” suggère une continuité logique entre le travail et la
richesse. L'hexamètre “sentant sa mort prochaine” souligne que le père va mourir
prochainement, il utilise donc les derniers instants de sa vie pour faire part à ses enfants
d'un sujet important.

Vers 4 : Enchaînement rapide des péripéties créant un effet d'accélération et de vivacité par
l'emploi de deux verbes d'action au 1er plan conjugués au passé simple. Le père a souhaité
qu'aucun témoin n'écoute son dernier discours, il dévoile donc un secret considérable qui
pourrait susciter de la jalousie si quiconque venait à l'apprendre.

Troisième Mouvement : Vers 5 à 12 : Discours du Laboureur à ses enfants

→ Le discours moraliste du fabuliste est justifié par le personnage du Laboureur. Le fabuliste prête
une longue tirade au Laboureur pour faire l'apologie du travail. Le dynamisme du discours direct du
père est souligné par un rythme marqué par l'emploi de l'alexandrin et l'octosyllabe ainsi que
l'alternance rimes embrassées, rimes plates.

Vers 5 à 7 : Le champ lexical du secret par l'emploi de l'impératif présent « Gardez-vous » et


le participe passé « caché » met en avant la vertu de discrétion et de prudence du vieil
homme. Même si le nom commun « trésor » est employé au sens propre, derrière cet éloge
du travail, La Fontaine fait aussi l'éloge du travail littéraire et crée une métaphore assimilant
le laboureur à l'écrivain. Cet éloge de la tradition annonce la position de La Fontaine dans la
Querelle des Anciens et des Modernes qui oppose en 1687 les partisans d'une imitation des
Anciens et ceux qui souhaitaient s'en émanciper.

Vers 8 à 9 : Le travail est associé à la conquête et à la grandeur à travers les termes


suivants : le nom commun “courage” (vers 8), l'infinitif “trouver” (vers 9), la proposition “vous
en viendrez à bout” (vers 9). Le père se montre encourageant par l'emploi du futur de
l'indicatif “fera”, “viendrez” qui a pour valeur la certitude de ce qui va arriver, ce qui est
rassurant.

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Vers 10 à 11 : Emploi de 5 verbes d'action conjugués à l'impératif présent dont 3 en rythme
ternaire “Creusez, fouillez, bêchez” placés en début de vers pour amplifier l'importance du
travail et souligner cette quête du trésor. Ces verbes sont associés au vocabulaire agricole.
Le père enseigne sa méthode, son message est donc didactique. Il tente d’éveiller le sens
du travail chez ses enfants, car le travail n'est pas inné. Il requiert un effort sur soi-même
que communique le père, véritable directeur de conscience.

Vers 12 : L’Assonance en [a] et allitération en [s] produisent un effet comique de cette


recherche qui transparaît à travers ce geste répété pour rien.

→ Les propos du père sont solennels. Par son discours, il cherche à enseigner la sagesse et encourage
le sentiment le plus noble : l'amour et le travail.

Quatrième Mouvement : Vers 13 à 15 : Eléments de résolution et situation finale

Vers 13 : Ellipse créant un effet de raccourci : le récit de l'agonie du père est occulté. Sitôt
le père décédé, les enfants partent travailler dans les champs et participent à la succession
et au dynamisme des actions marqué par l'emploi du présent de narration. De plus, l'emploi
du pronom personnel “vous” donne une dimension orale et familière à la fable.

Vers 14-15 : Se place une seconde ellipse, créant également un raccourci en passant sous silence le
travail de la terre pour en arriver directement au résultat. Il y a donc une accélération du rythme. La
recherche apparaît empressée et burlesque. L'énumération des locutions « Deçà, delà, partout »
prend une valeur hyperbolique pour amplifier l'ampleur de la quête afin de se moquer de l'avidité des
fils qui en oublient leur paresse. La conjonction de subordination “si bien que” soulignant la
conséquence prouve que l'enseignement du père est efficace : les enfants se sont enrichis non pas
grâce à l'argent facile de la vente de l'héritage mais grâce à leur labeur, source inépuisable de
richesse.

Cinquième Mouvement : Vers 16 à 18 : Morale

Vers 16 : Formule brève et directe marquant le choc et le dépit des fils du laboureur qui n'ont
rien trouvé.

Vers 16 à 18 : La sagesse du Laboureur ayant accompli son rôle de père et une justification
didactique du mensonge. Le Laboureur ne lègue pas un bien matériel à ses enfants, mais
un modèle d'instruction que l'auteur transmet à ses lecteurs. Le travail est associé au nom
commun “trésor”, ce dernier est employé ici au sens figuré. La fable s'achève sur une
morale explicite, avec l’emploi du présent de vérité générale. Les vers 1 et 18 se rejoignent :
l'ardeur et le dévouement déployés pour accomplir une tâche ont plus de valeur que le fruit
du travail.

❖ Conclusion

Synthèse : L’auteur nous fait comprendre que la richesse n’est pas forcément matérielle et
qu’elle résulte du travail. C’est le fruit des efforts accomplis qui sera le trésor.

Ouverture :

❖ Vocabulaire

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Rythme ternaire : se compose de trois compositions similaires créant soit un effet
d’insistance ou d’accélération.

Didactique : qui vise à instruire.

Apologue : récit visant essentiellement à illustrer une leçon morale.

Emphatique : qui exprime ses sentiments et ses idées dans un style très appuyé et exagéré.

Présentatif : terme, locution servant à présenter, à mettre en situation une nouvelle


information.

Présent de vérité général : exprime un fait qui ne peut pas être contredit, une vérité à toutes
les époques, dans toutes les circonstances.

Substantif : mot fonctionnant comme un nom


(ex. "parler" dans "le parler de ces gens rappelle le parisien" est un substantif)

Locution : groupe de mots formant une unité de sens et ayant la même fonction qu’un mot.
(ex : locution verbale (avoir l’air, prendre garde), adverbiale (en vain, tout de suite), conjonctive (dès que, pour
que), prépositive (auprès de, jusqu’à)).

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