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La Peau de chagrin, Balzac : découverte du talisman

chez l’antiquaire
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La découverte de la Peau de chagrin, introduction


La Peau de Chagrin, publié pour la première fois en 1831, occupe une place particulière
dans l’œuvre réaliste d’Honoré de Balzac, plus connu pour ses Études de Mœurs.

Ce roman réaliste et fantastique constitue le premier tome des Études philosophiques.


(Voir la fiche de lecture de La Peau de chagrin pour le bac de français)

Après un échec aux jeux, le personnage principal Raphaël de Valentin erre dans Paris,
tenté par le suicide. Il entre dans un magasin d’antiquités, véritable cabinet de curiosités
hors du temps.

Le vieux marchand lui en fait découvrir les étages et les œuvres. Soudain, face à un portrait
du Christ, Raphaël découvre une peau de chagrin qui va bouleverser sa vie.

Problématique

Comment la peau de chagrin, élément perturbateur du roman, est-elle mise en scène dans
ce passage ?

Plan linéaire

La première partie de cet extrait met en scène une phase de découverte intrigante de la
peau de chagrin.

Dans un deuxième temps, naît un dialogue entre deux connaisseurs aux caractères
opposés, Raphaël de Valentin et l’antiquaire.

Enfin, dans un troisième temps, les signes mystérieux de la peau sont lus et traduits.

I – La découverte intrigante de la peau de chagrin

de « “Retournez-vous » à « les secrets de son jouet nouveau” »

A – La peau de chagrin : un objet rayonnant

(jusqu’à « s’en moqua par une phrase mentale »)

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L’extrait s’ouvre par la prise de parole du vieux marchand.

Le rythme s’accélère avec l’utilisation de l’impératif présent («“Retournez-vous”»), du


gérondif («en saisissant»), de la locution adverbiale («tout à coup») et de l’expression «“le
jeune homme se leva brusquement”».

Le marchand fait découvrir l’objet de façon théâtrale avec un jeu de lumière.

Lorsqu’il s’adresse à Raphaël («“Regardez cette PEAU DE CHAGRIN”»), c’est la première


fois que le titre du roman apparaît.

La typographie différente, en lettres capitales, met l’accent sur la découverte d’un objet et
sa place centrale dans le roman.

Nombreuses sont les discussions au sujet de l’expression: le chagrin étant déjà une peau
tannée, Balzac a-t-il commis une erreur de vocabulaire ? Qu’il s’agisse d’une matière (le
cuir) ou d’une émotion (la tristesse), le choix de l’expression «peau de chagrin» est
emplie de mystère et annonciatrice des enjeux du roman.

Après un effet de surprise, le personnage tente de décrire la place et la taille d’un objet
banal par des expansions du nom (épithète + proposition subordonnée relative) : «“un
morceau de chagrin accroché sur le mur, et dont la dimension n’excédait pas celle d’une
peau de renard”».

Mais l’accent est aussitôt mis sur une aura mystérieuse, de l’ordre de l’irrationnel(«“par un
phénomène inexplicable au premier abord”»). La raison de Raphaël échoue donc pour
expliquer le rayonnement de la peau.

La mise en scène est théâtrale, par les jeux de clair-obsur et par les jeux sur des
sonorités envoûtantes avec l’assonance en « o » et l’allitération en « p » («“cette peau
projetait au sein de la profonde obscurité”»).

La proposition circonstancielle de conséquence avec la conjonction de subordination


« si…que » et le conditionnel passé « eussiez dit » («“des rayons si lumineux que vous
eussiez dit d’une petite comète”») souligne le pouvoir étrange de la peau et fait passer le
lecteur d’un magasin d’antiquités à un univers extraordinaire.

Auparavant «“jeune homme”», Raphaël est désigné par «“jeune incrédule”»: il s’agit d’une
marque de jugement du narrateur sur son personnage.

Ce dernier est en effet méfiant, comme le confirme la phrase: « “ce prétendu talisman qui
devait le préserver du malheur”». L’adjectif « prétendu » souligne la distance ironique que
prend Raphaël face à l’objet.

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À ce moment du texte, Raphaël est attiré, happé par la peau de chagrin. Mais sa réaction
est moqueuse. Il veut surtout trouver une explication rationnelle au phénomène lumineux.

B – La recherche d’une explication scientifique

(De «cependant, animé d’une curiosité » à «réfléchissaient vivement la


lumière»)
L’objectif de Raphaël est d’expliquer rationnellement la lumière qui émane de la peau.

Il devient un observateur minutieux, presque scientifique: «“curiosité», «regarder


alternativement», «sous toutes les faces”».

À la « “singulière lucidité” » de la peau, Raphaël oppose une « “cause naturelle”« ,


permettant d’expliquer rationnellement ce rayonnement.

En effet, le rayonnement de la peau serait selon lui le résultat des caractéristiques de cette
dernière (grains noirs, rayures propres…) comme l’indique la proposition subordonnée de
conséquence qui vise à établir un lien logique entre les particularités physiques de l’objet
et sa luminosité : « “si…si…si…si…que que les aspérités de ce cuir oriental formaient autant
de petits foyers”« .

La description de la peau est très précise : la vue des couleurs et des contours (« grains
noirs », « brunis », « propres et nettes »), le toucher de la matière (« polis », « aspérités »,
« rayures » ) sont évoqués.

Mais malgré une observation scientifique, la peau reste difficile à saisir comme en
témoignent les 4 adverbes intensifs «si» qui restituent l’intensité extraordinaire de la
peau.

La comparaison «“pareilles à des facettes de grenat”» montre que la peau échappe au réel,
et se rapproche davantage d’un joyau scintillant, d’un objet merveilleux : « “autant de petits
foyers qui réfléchissaient vivement la lumière.”»

C – Une rivalité entre le marchand et Raphaël

(de «Il démontra» à «jouet nouveau»)


Néanmoins, Raphaël de Valentin cherche à percer l’origine lumineuse de la peau de façon
rationnelle, comme le montre la phrase «“il démontra mathématiquement la raison de ce
phénomène” ».

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Le long adverbe « mathématiquement » et le terme « phénomène » soulignent l’approche
logique et scientifique du jeune homme face à la peau.

Mais le vieillard «“sourit avec malice”». A ce stade, le terme «malice» est ambivalent pour
le lecteur: à la fois synonyme d’ingéniosité et étymologiquement proche du radical
du«mal»…

Une joute silencieuse se noue entre les deux personnages(«“sourire de supériorité»,


«dupe”»). Ils appartiennent à deux générations différentes, et ont deux façons différentes
de concevoir le réel (« “jeune savant», «charlatanisme”»).

À la fin de ce passage, Raphaël ne s’avoue pas vaincu, comme le souligne la métaphore


annonciatrice «“Il ne voulut pas emporter une énigme de plus dans la tombe”». Avec la
comparaison «“comme un enfant pressé de connaître les secrets de son jouet nouveau”»,
son caractère naïf et impatient apparaît.

II – Un dialogue de connaisseurs aux caractères opposés

De «Ah! ah! s’écria-t-il» à «peut-être lirez-vous cette sentence»?

Le choix des verbes de parole («s’écria» pour le jeune homme» et «demanda» et «reprit»
pour le vieillard) oppose d’emblée l’exaltation de Raphaël et la mesure du marchand.

Le jeune homme montre l’étendue de ses connaissances en reconnaissant et en expliquant


l’origine du sceau, aussi appelé «“cachet de Salomon”».

Il connaît donc cet anneau magique qui confère la puissance absolue à son possesseur, ce
qui surprend le marchand toujours maître de ses propos.

La réaction de Raphaël est vive et moqueuse: l’interrogation et le démonstratif à


connotation péjorative «cette chimère» montre qu’il prend ses distances avec les
histoires traditionnellement rapportées.

Face au vieillard, il est même «“piqué d’entendre ce rire muet et plein d’amères dérisions”».
La râpeuse allitération en « r » restitue la raillerie du jeune homme face à l’antiquaire.

La position de Raphaël est claire: il met à distance «“les superstitions de l’Orient», «la
forme mystique», «les caractères mensongers de cet emblème», «la puissance fabuleuse”».
Ce champ lexical de l’invention est mis au même rang que les Sphinx et Griffons.

La dernière question du vieillard résonne comme un défi intellectuel avec l’expression de la


cause («“puisque vous êtes un orientaliste”») et sa conséquence («“peut-être lirez-vous
cette sentence?”»).

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III – Lecture et traduction de signes mystérieux

(de «Il apporta la lampe» à «Soit!»)


Par un nouvel éclairage, la simple peau devient «talisman». De toute évidence, le vieillard
en sait plus car il montre «“des caractères incrustés dans le tissu cellulaire”».

L’adjectif épithète «merveilleuse» confère à la Peau plusieurs sens : à la fois digne


d’admiration, belle mais aussi magique…

Au moment où Raphaël avoue les limites de ses connaissances, il cherche un outil et montre
aussitôt sa soif de compréhension et de maîtrise «“afin de voir si les lettres y sont
empreintes ou incrustées”». Malgré l’utilisation du stylet, la tentative mécanique de grattage
s’avère infructueuse: les lettres réapparaissent.

Raphaël accepte sa défaite, comme le montre la phrase au présent de vérité générale:


«“L’industrie du Levant a des secrets qui lui sont réellement particuliers”».

Malgré tout, Raphaël semble inquiet alors que le vieillard répond par une sorte de maxime
exclamative, elle aussi énoncée au présent de vérité générale “il vaut mieux s’en prendre
aux hommes qu’à Dieu!”» Cette réponse fonctionne comme une mise en garde.

Les lettres sont rapportées dans leur langue originelle (dont on découvrira après l’extrait
qu’il s’agit de sanscrit), en 10 lignes esthétiques. Sous la plume de Balzac, le lecteur a
l’impression d’une réelle découverte archéologique, retranscrite avec la plus grande
fidélité.

La traduction française suit, en petites majuscules sous forme de pyramide inversée.

Cette traduction s’adresse directement à Raphaël par le tutoiement, l’impératif et


l’interrogation. Il s’agit d’un pacte fatal qui scelle l’avenir de Raphaël, comme le montrent
tous les verbes au futur (“«tu posséderas», «ta vie m’appartiendra», «tes désirs seront
accomplis», «je décroîtrai»…”).

La nature de ce pacte est surnaturelle et maléfique: la possession de la peau permet


d’exaucer les désirs de son possesseur mais elle en abrège la vie.

Le prix de l’accomplissement immédiat des désirs est clair: cette peau se rétracte et
symbolise la vie du possesseur qui s’étiole.

La disposition finale de la traduction, sous forme de pyramide inversée, («Me veux-tu?


Prends. Dieu t’exaucera. Soit!») fait disparaître les mots et mime la mort à venir du
personnage.

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La découverte de la peau de chagrin chez l’antiquaire, conclusion
La découverte de la Peau de Chagrin dans la boutique du vieillard constitue l’élément
perturbateur du roman au point que la première partie est intitulée «Le Talisman».

Il ne s’agit pas d’un simple cuir décoratif mais d’un objet magique dont les propriétés
dépassent la logique humaine: il rayonne sans que Raphaël ne puisse trouver d’explication
rationnelle, ses caractères ne s’effacent pas, son écriture orientale intrigue, ses signes
proposent un pacte maléfique: le plaisir éphémère au prix de la vie.

Le lecteur plonge alors dans un univers fantastique. C’est d’ailleurs la dimension


fantastique qui triomphe dans ce roman. Ainsi, dans la troisième partie, les scientifiques
échoueront également à trouver une explication rationnelle au rétrécissement de la peau et
Valentin décèdera, ne pouvant rompre le pacte fatal qui le lie à la peau.

6/6

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