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- Introduction:
Marivaux mène son exposition de manière très efficace. Les personnages d'lphicrate et
d'Arlequin entrent en scène en pleine action, à savoir juste après leur naufrage. Le rythme
de la pièce s'annonce rapide: l'exposition place d’emblée le spectateur au cœur d'une
action qui paraît déjà engagée au lever de rideau. ll s'agit donc d'un début in medias res,
qui consiste à placer sans préalable le lecteur, ou le spectateur, au milieu de l'action. La
scène I présente le lieu et l'époque de l'intrigue ainsi que les deux personnages, en mettant
clairement en évidence les liens qui les unissent: la dépendance sociale se trouve alors
d'emblée au premier plan, annonçant le sujet de la pièce. Le dialogue qui suit entre
Arlequin et lphicrate apporte d’autres informations sur le lieu d'où ils viennent et surtout,
sur la spécificité de celui où ils ont échoué. On remarquera que les deux personnages
entrent très vite dans l'opposition: dès qu'Arlequin apprend le nom de l'île où ils se
trouvent, il se défait gaiement de ses liens,prend le dessus sur son maître et lui désobéit. Le
ton est donné, c'est une scène de comédie. Outre sa visée d'exposition, la scène I reflète
les enjeux de la pièce et lance la réflexion sur les rapports des maîtres et des valets à
travers la révolte d'Arlequin.
1/ Ligne 79, la didascalie «se reculant d'un air sérieux» nous indique que le jeu cesse alors.
Cet «air sérieux» est en rupture avec l'emploi traditionnel d'Arlequin, valet comique voire
bouffon de la commedia dell'arte. Le personnage sort de son rôle type. La comédie est
contaminée par une nouvelle tonalité: la situation devient sérieuse et grave.
2/ Si l’on observe les valeurs des temps des lignes 79-83. on constate qu’Arlequin
commence-par faire référence au passé. ll n'hésite pas à donner une image explicitement
négative de son existence, par le recours à une comparaison («comme un pauvre animal»),
qui explicite la déshumanisation subie. L’adjectif «pauvre» exprime sa propre compassion à
l’égard de l’esclave qu'il était, et invite le lecteur ou le spectateur à la partager. Par l’emploi
de l’adjectif «juste», il soulève le paradoxe d'un système qui consiste à associer la justice
avec la force (avec le superlatif «tu étais le plus fort», c'est-à-dire celui de la loi du plus fort.
ll fait ainsi écho à La Fontaine (voir «Les Animaux malades de la peste»). Enfin l'imparfait à
valeur de description dans la proposition «tu étais le plus fort» montre que cette situation
est révolue.
3/ Un nouveau temps apparaît aux lignes 83-87, le futur, exprimé de deux manières: par le
présent à valeur de futur proche, avec la périphrase composée du verbe «aller» suivi d'un
verbe à l'infinitif («tu vas trouver», «on va te faire esclave») et par le futur simple («on te
dira», «nous verrons», «tu penseras››, «tu m'en diras», «tu seras», «tu sauras»). Le futur
permet à Arlequin d'exprimer à lphicrate ce qu'il va devenir dans un futur proche sur l'île
des esclaves. Le ton sérieux et grave d'Arlequin est ici confirmé. On le devine aussi
menaçant, comme le suggère l’enchaînement des phrases, notamment certaines
expressions: en annonçant «on va te faire esclave à ton tour» (I. 84), il suggère la part de
vengeance inhérente à ce renversement de situation (au tour d’lphicrate d'être la
victime...), de même que l’affirmation «Je t'attends là» exprime autant une attente qu'une
menace. Arlequin est ironique et amer lorsqu'il demande à entendre la pensée d'lphicrate
une fois qu'il aura souffert («tu m'en diras ton sentiment, je t'attends là.»). Il indique
d'emblée que l'expérience devra ramener lphicrate à la raison en le faisant passer de sa
propre existence («tu auras souffert», I. 86) à celle des autres («faire souffrir aux autres»,
I.88). Le registre est ici pathétique, mais aussi didactique (comme il le sera dans la tirade de
Trivelin à la scène II): il s'agit de donner une leçon à lphicrate. Le jeu des pronoms en
témoigne: le «on» indéfini correspond à l'épreuve imposée au maître; le «nous» pour
l'ancien duo maître-esclave qui saura observer les conséquences de l'expérience («nous
verrons»); enfin la confrontation du «je» et du «tu» («tu m'en diras ton sentiment, je
t'attends là») pour rappeler le chemin à accomplir.
4/ Aux lignes 88-89, Arlequin parle au conditionnel présent, à valeur potentielle, un
souhait: celui que cette expérience soit généralisée à tous les maîtres (désignés par la
proposition subordonnée relative «ceux qui te ressemblent», afin de changer la société, de
rendre les hommes meilleurs (voir le comparatif de l'adverbe «bien»): «tout en irait mieux
dans le monde». Arlequin associe cette proposition principale au conditionnel à une
proposition hypothétique (ou subordonnée circonstancielle de condition) à l'imparfait: «si
ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi». Cette structure hypothétique
évoque un fait dont la réalisation est nécessaire pour qu'un autre fait se réalise: l'ancien
esclave souhaite généraliser l'expérience faite sur l’île pour changer la société.
5/ Enfin, Arlequin fait ses adieux à lphicrate en commençant sa dernière réplique par
l'interjection «Adieu». suivie de l’apostrophe «mon ami». Il se met sur un pied d'égalité
avec lphicrate en l'appelant «mon ami» et fait preuve par ce terme bienveillant d'une
humanité qui manquait à son maître. Les masques tombent enfin: Arlequin rappelle à
lphicrate sa nouvelle condition avec l'antithèse «mes camarades et tes maîtres». qui
entérine le fait que les rôles semblent définitivement inversés: chacune des deux
périphrases renvoie au même groupe, celui des anciens esclaves devenus les nouveaux
maîtres. La didascalie finale («Il s’éloigne») marque l'émancipation du valet, devenu libre
de ses mouvements, et symbolise l'affranchissement de l'esclave. La mise à distance de la
hiérarchie passée est matérialisée par cet éloignement physique.