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Explication linéaire – scène du bal – La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette (1678)

Présentation générale de l’œuvre


- Premier roman d’analyse psychologique de l’histoire littéraire
- écrit par Mme de Lafayette en 1678
- s’inscrit dans le courant du classicisme
- Raconte la passion amoureuse impossible entre une jeune femme mariée et
vertueuse, Mme de Clèves, et le Duc de Nemours.

Présentation du passage
- Raconte leur rencontre à l’occasion d’un bal organisé pour les fiançailles de la fille
du roi (Claude de France avec le duc de Lorraine).
- De son côté, Mme de Clèves a épousé le Prince de Clèves quelques jours
auparavant.

Enjeu du texte
- Nous verrons en quoi cette rencontre, derrière des apparences idylliques, fait déjà
apparaître les failles d’un amour impossible.

Les mouvements (ne pas les annoncer dans l’introduction mais au fil de l’explication)
1/ 1er paragraphe : Une rencontre soigneusement préparée
2/ 2ème paragraphe : La fusion des deux personnages
3/ dialogue et 3ème paragraphe : Une rencontre orchestrée par la Cour

1er mouvement (l. 1-11)


Une rencontre soigneusement préparée
a/ un effet d’attente créé par la mise en place d’un cadre exceptionnel
- Le soin avec lequel la princesse de Clèves, suggéré par l’hyperbole « tout le jour »,
indique l’importance de la soirée à venir. Le cadre prestigieux de cette soirée est en
effet souligné ensuite par la précision apportée à l’évocation de l’événement avec les
compléments de lieu « au festin royal » et « au Louvre » (=palais royal) et les
« fiançailles », celle de la fille du roi.
- Au caractère exceptionnel de l’événement, succède celui de la princesse elle-même
dont tout le monde admire « la beauté et la parure ». Le passage à une focalisation
semi-omnisciente de cette foule de courtisans (pronoms indéfinis « on »), associé à
la polyptote « se parer » / « parure » évoque, plus généralement, l’importance des
regards (® « admire ») dans une société de Cour où règnent les apparences.

b/ un effet d’attente prolongé par l’apparition à la fois théâtrale et vague du duc de


Nemours
- La phrase qui suit plonge directement le lecteur dans l’action du bal mais en
maintenant le suspense quant à la rencontre tant attendue. Tout d’abord, la danse
de Mme de Clèves avec M. de Guise, posée en second plan avec l’imparfait
« dansait », met en valeur l’entrée fracassante du Duc de Nemours qui, avec le passé
simple « il se fit un assez grand bruit », occupe le premier plan. Cette arrivée sonore,
accompagnée de la réaction révérencieuse de la foule (« à qui on faisait place »)
montre que le nouvel arrivant est un personnage puissant.
- L’effet d’attente est prolongé par le flou qui entoure l’identité de cet homme avec, tout
d’abord, le caractère approximatif du bruit, « assez grand ». Puis les périphrases
vagues pour le désigner retardent encore son identification : « quelqu’un qui entrait »,
« celui qui arrivait ».

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c/ une rencontre inévitable
- Alors que le suspense est à son comble, la rencontre se produit enfin, d’une manière
d’autant plus inévitable et frappante qu’elle est provoquée par l’autorité suprême elle-
même, le roi, qui « cria » à la princesse « de prendre celui qui arrivait ». Le verbe
« crier » souligne le ton impératif et autoritaire du roi qui s’avère donc jouer un
véritable rôle d’entremetteur dans cette rencontre.
- L’identité de Nemours est enfin dévoilée à travers le point de vue de Mme de Clèves,
un point de vue énoncé de manière très ambigu : la reconnaissance par la princesse
du duc est présentée comme étant à la fois incertaine, marquée par le doute (« elle
crut ») et immédiate, ce qu’indique la négation restrictive « ne pouvoir être que M.
Nemours. On peut interpréter cette ambiguïté comme l’annonce du conflit intérieur
dans lequel cette rencontre va la plonger, entre l’impossibilité d’oublier sa passion et
le constant souci de la dissimuler.
- De nouveau, Nemours ne manque pas de se faire remarquer en passant « par-
dessus quelques sièges ». Ce déplacement direct qui ne s’encombre pas des détours
et des conventions fait apparaitre un personnage désinvolte, qui domine la Cour (et
les femmes).
- Ce paragraphe se termine par un éloge hyperbolique des deux personnages : ils sont
présentés comme des êtres parfaits, exceptionnels comme le montre le champ
lexical de la beauté (se parer, air brillant) et de l’admiration (surprise, étonnement),
deux champs lexicaux déjà présents au début du texte à propos de la princesse.
- Au-delà de leur perfection, c’est la symétrie de cette perfection qui est soulignée. Les
nombreux parallélismes de lexique mettent en effet en évidence le même soin
apporté à leur parure (« passa tout le jour […] à se parer » / « le soin qu’il avait pris
de se parer »), leur égale beauté (« sa beauté »/ « l’air brillant ») mais aussi la
réciprocité de leur admiration l’un par rapport à l’autre avec la répétition de la tournure
« il était difficile de ne pas être surprise de le voir »/ « il était difficile aussi de voir
Mme de Clèves […] sans avoir un grand étonnement ». Remarquons qu’ici la
conjonction « mais » n’exprime l’opposition mais, bien au contraire, la
complémentarité.

Bilan du 1er mouvement : Perfection et symétrie des protagonistes, effet d’attente


longuement maintenu, intervention quasi divine qui provoque la rencontre (Louis XIV était
considéré comme le médiateur entre Dieu et ses sujets) sont autant d’éléments qui
préparent soigneusement l’intensité et l’évidence du coup de foudre.

2ème mouvement (l. 12-18)


La fusion des personnages

- La première phrase du deuxième paragraphe annonce le rapprochement des corps


« lorsqu’il fut proche d’elle » et le début de cette danse tant attendue entre Mme de
Clèves et M. de Nemours. Ce rapprochement physique est par ailleurs illustré par un
chiasme : « il fut proche d’elle » / « elle lui fit la révérence ».
- Le passage à une focalisation interne de M. de Nemours nous donne accès à son
état de choc amoureux avec l’éloge hyperbolique de la princesse « tellement surpris
de sa beauté ». Sa stupéfaction est telle qu’il en oublie les convenances et que son
corps le trahit, ce que suggère le fait qu’« il ne put s’empêcher de donner des
marques de son admiration ». Le pluriel « des marques » vient d’ailleurs renforcer
l’intensité de son admiration.
- La danse est ensuite évoquée à travers le point de vue de la foule. A son tour, elle
admire, non plus chacun des personnages mais le couple qu’ils forment ensemble.

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La tournure impersonnelle « il s’éleva un murmure de louanges » associé à la
métonymie « un murmure » pour désigner les « louanges » montre le caractère
unanime de cet éloge. Se construit alors une véritable scène théâtrale avec deux
acteurs et un public qui, en l’admirant, valide et soutient cette rencontre transgressive.
- L’oubli par le roi et les reines que ces deux personnages « ne s’étaient jamais vus »,
comme le suggère le fait qu’ils « s’en souvinrent » ensuite, renforce cette harmonie
parfaite et évoque, explicitement, le coup de foudre. L’oxymore avec l’association
des termes « ensemble / sans (se connaitre) » souligne le caractère paradoxal de
cette situation (évidente/première fois) qui ne manque pas de susciter, après l’oubli,
la surprise (« quelque chose de singulier »).
- L’alchimie parfaite entre la princesse et le duc est encore soulignée dans les deux
dernières phrases avec la succession de nombreux pronoms (sujets ou
compléments) qui les incluent l’un et l’autre : « ils ne s’étaient », « les voir », « se
connaitre », « les appelèrent », « ils eurent » (l.19), « leur donner », « leur
demandèrent, « ils n’avaient », « ils étaient », « ils ne s’en doutaient » : ils ne font
qu’un (=qu’un seul mot). A ces pronoms s’ajoutent l’adverbe « ensemble ».
- Ces phrases rappellent en même temps le rôle actif des membres de la famille royale
dans cette rencontre, à travers leur demande au discours indirect « s’ils n’avaient pas
bien envie de savoir qui ils étaient ». Les termes exprimant la négation « sans » et
« personne » (« sans leur donner le loisir de parler à personne ») soulignent le
caractère autoritaire et contraignant de leur intervention.

Bilan du 2ème mouvement : Le lecteur assiste donc à un coup de foudre idyllique qui
semble tout droit sorti d’un conte de fées. Or, la Cour n’en est pas simplement spectatrice.
Le troisième mouvement montre que la Cour joue un rôle particulièrement actif voire même
malsain et cruel dans l’émergence de cet amour transgressif.

3ème mouvement (l.19-30)


Une rencontre orchestrée par la Cour

- Le dernier mouvement du texte s’ouvre sur un dialogue qui, tout en rendant la scène
vivante, fait apparaitre le jeu cruel auquel va se livrer la reine dauphine vis-à-vis d’une
princesse connue pour sa vertu.
- Nemours est le premier à prendre la parole en faisant un hommage indirect à la
beauté de Mme de Clèves : « comme Mme de Clèves n’a pas les mêmes raisons
(…) que celles que j’ai pour la reconnaître ». Par cette litote, il réussit à flatter la
princesse tout en sous-entendant habilement son humilité (il reconnait l’infériorité de
sa renommée par rapport à la sienne ® amour courtois). Il prend aussi soin de
remettre la reine Dauphine au centre de la discussion : c’est à elle qu’il demande de
« lui apprendre mon nom ». Apparait ici sa maîtrise de l’art de la séduction, de la
galanterie et plus généralement celle des codes de la Cour.
- La dauphine poursuit le piège galant tendu par « le roi et les reines » à la fin du
paragraphe précédent en corrigeant le propos du Duc (son infériorité) de sorte à
affirmer, avec le comparatif d’égalité « aussi bien que », que Mme de Clèves sait qui
il est. Cette remarque est loin d’être innocente et quelque peu cruelle puisqu’elle
connait très bien la pudeur, la réserve de Mme de Clèves.
- Prise au piège, celle-ci se retrouve, par pudeur et souci de la bienséance, dans
l’obligation de nier qu’elle l’a reconnu : « je ne devine pas ». L’emploi du verbe
« assurer » (« je vous assure ») sous-entend une faute de laquelle elle chercherait à
se dédouaner. Et pourtant, son corps la trahit : elle parait « un peu embarrassée ».
Dans un monde de faux-semblants où il est impératif de cultiver l’art de la maîtrise

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de soi, la jeune princesse, incarnation de la transparence et de la sincérité, ne sait
pas se contrôler elle-même.
- La dauphine continue de se divertir de son embarras en insistant et en s’adressant à
elle sur le ton du reproche (« vous devinez fort bien ») et en sous-entendant qu’elle
a commis une faute : « à ne vouloir pas avouer ».
- Le retour au récit avec le dernier paragraphe marque de nouveau ce contrôle que la
famille royale exerce sur cette rencontre : « la reine les interrompit » : les deux
protagonistes ne peuvent pas se parler ni librement ni directement.
- Par un dernier changement de focalisation (passage du point de vue des rois et des
reines au point de vue interne du Duc), le texte se termine sur un nouvel éloge
hyperbolique de la princesse. La comparaison implicite, avec l’adversatif « mais »,
entre la dauphine « d’une parfaite beauté » et Mme de Clèves, ne fait que rehausser
la beauté de cette dernière. La négation restrictive « ne put admirer que » insiste sur
l’exclusivité de l’amour du duc de Nemours, pourtant bien connu pour ses
nombreuses conquêtes : la princesse éclipse toutes ses concurrentes et devient
l’unique objet de ses désirs.

CONCLUSION
Il s’agit donc d’une scène particulièrement ambiguë car derrière des apparences idylliques,
ce coup de foudre se révèle être un véritable spectacle orchestré par la cour pour satisfaire
sa soif d’intrigues et d’union transgressives.

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