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Explication linéaire 3 Marivaux, scène 3 acte III

Introduction
Le dernier stratagème dont l'outil est encore une lettre vient d'être enclenché.
Dubois et Dorante ont imaginé une lettre où ce dernier se confie à un ami qu'il veut
rejoindre pour quitter la France, la raison en étant que la femme (Araminte) qu'il
aime ne partage pas ses sentiments (voir contenu de la lettre dans la scène 8 de
l'acte III). Ils veulent se servir du désir de vengeance de Marton qui a été trompée et
à qui ils ont fait croire que Dorante était amoureux d'elle.
Arlequin (valet mis à la disposition de Dorante par Araminte est chargé de déposer
cette lettre à une adresse peu connue qui est la « rue du figuier ». Dubois souffle à
Marton l'idée d'intercepter cette lettre pour confondre Dorante. En fait Dubois
souhaite qu'Araminte découvre cette « fausse lettre » (elle n'a pas de réel
destinataire), pour l'obliger à prendre une décision, à accepter ses sentiments pour
Dorante.
Problématique : Comment Marivaux réussit-il à mettre en abyme les différents
niveaux de stratagèmes mis en œuvre dans cette scène ?

Les deux premières répliques font état d'un conflit entre Arlequin et Dubois
(Arlequin n' a pas supporté que Dubois retire le portrait d'Araminte de la chambre
de Dorante).
Les répliques sont comiques : Arlequin insulte Dubois et le traite de « mal bâti » :
critique physique à laquelle Dubois répond de façon ironique : « une belle figure ».
R3 : Intervention autoritaire de Marton avec une question directe : elle a un rôle
privilégié dans la maison d'Araminte.
R4 : le stratagème fonctionne : Arlequin ignore où se trouve la rue du figuier et
demande de l'aide à Marton.
R5 : mensonge de Marton qui veut récupérer la lettre
R6 : longue réplique comique d'Arlequin : effet de confusion avec des termes
imprécis et indéterminés : « mon camarade » (Dorante), « quelqu'un », « cette rue ».
La périphrase « cet animal-là » désigne péjorativement Dubois, elle est répétée :
Arlequin est dans la provocation. Effet à nouveau comique de la tournure imagée
empreinte de superstition populaire : « que le diable eût emporté toutes les rues ».
Il refuse l'idée de devoir quelque chose à Dubois, orgueil du personnage.
R7: double jeu de Dubois : injonction à Marton : « Prenez la lettre » puis discours
contradictoire destiné à agacer Arlequin, à le taquiner. Emploi d'une métaphore
animalisante : « qu'il galope » : effet de symétrie par rapport à « animal-là », Dubois
se venge. Le duel entre les deux valets se poursuit dans la réplique 8 (« Veux-tu te
taire ? » )
R9 : Impatience de Marton à l'égard de Dubois («Ne l'interrompez point...) et à
l'égard d'Arlequin (« Eh bien ! Veux-tu me donner ta lettre ? ») modérée par la
didascalie « négligemment » : il ne faut pas qu'Arlequin comprenne le piège qu'elle
lui tend puisqu'elle ne compte pas faire porter cette lettre. Dans la mise en scène de
Thamin elle parle doucement à Arlequin, en l'amadouant comme s'il s'agissait d'un
enfant. Elle ment délibérément : elle passe de l'état de manipulée à celui de
manipulatrice.
R10 : réponse naïve d'Arlequin qui ne perçoit pas la manigance de Marton. Il la
remercie sincèrement avec un lexique mélioratif : « bien agréable », « bonne
amitié ».
R11 : dernière réplique dynamique de Dubois qui quitte la scène : pour donner du
crédit au stratagème il flatte Marton tout en insultant Arlequin avec un adjectif
substantivé : « ce fainéant-là » : effet d'antithèse
R12 : Arlequin lui renvoie l'injure avec le même procédé : « ce malhonnête » : le
lecteur sait qu'il a raison d'une certaine manière puisque Dubois ment à tout le
monde. Allusion à l'histoire du portrait enlevé qui a retrouvé sa place dans la
chambre de Dorante : rancune d'Arlequin.
R13 : Marton essaye de calmer le jeu : une seule chose compte : obtenir la lettre.
R14 : remerciement répété d'Arlequin. Il lui est redevable. Emploi comique du verbe
« trotter » qui constitue une métaphore filée avec l'emploi du verbe « galoper »
utilisé précédemment par Dorante (champ lexical de l'allure d'un cheval). L'emploi
du mot « postillon » (conducteur d'une voiture de poste)est également comique
puisqu 'Arlequin effectue ses missions à pied !
R15 : Marton ment à nouveau : elle n'acheminera pas la lettre amenée par Arlequin :
elle perd de son crédit auprès du lecteur (ou spectateur).
R16 : contraste entre le mensonge de Marton et l'affection touchante qu'Arlequin
porte à son maître.
R17 : Marton enrage, elle hait Dorante.
R18 : hyperbole amusante d'Arlequin : « serviteur éternel »
R19 et R20 : après le congé que Marton lui a donné, Arlequin achève la scène de
manière enjouée : il ne souhaite pas que Dorante sache qu'il n'a pas accompli sa
mission et reprend le verbe « galoper » qui évoque bien la peine que devaient se
donner les domestiques pour servir leur maître.

Conclusion :
Marivaux illustre dans cette scène les conséquences de la manipulation exercée sur
Marton. Victime du stratagème de Dubois et de Dorante qui voulaient attiser la
jalousie d'Araminte, elle devient à son tour manipulatrice afin de se venger de
Dorante. Les différents stratagèmes semblent s'emboîter. Pourtant Marton est
encore manipulée puisque dérober la lettre et en délivrer le contenu va servir les
intérêts de Dorante .
Marton apparaît comme un personnage cruel vis à vis d'Arlequin, elle n'a pas de
scrupule à le tromper. C'est une façon pour Marivaux de suggérer l'ambivalence des
êtres : personne n'est réellement bon ou mauvais... La question est de savoir à quoi
servent les stratagèmes : à faire triompher l'amour ou à se venger ?

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