Vous êtes sur la page 1sur 4

Séquence 3 : Les Fausses Confidences de Marivaux, 1737, extrait de la scène 13 de l’acte II Explication linéaire

Proposition de découpage de l’extrait étudié en 3 mvts :

mvt 1 : du début de l’extrait jusqu’à « ne vous embarrassez pas » (l.6) : ……………………….

mvt 2 : de ligne 6 depuis « et écrivez... » à la ligne 18 : ……………………………..

mvt 3 : partir de la ligne 19 jusqu’à la fin de la scène : ……………..………………..


Séquence 3 : Les Fausses Confidences de Marivaux, 1737, extrait de la scène 13 de l’acte II Explication linéaire

Marivaux est un dramaturge et romancier du siècle des Lumières. Son théâtre, rempli de finesse dans l’écriture
et l’analyse des sentiments, est souvent une marche vers la vérité intérieure. Au cours de celle-ci, les personnages doivent
parfois dépasser préjugés et amour-propre pour finir par accepter leurs véritables sentiments. Mais, ce cheminement peut
prendre des chemins détournés, parfois paradoxaux : il faut parfois en passer par le mensonge pour accéder à la vérité.
C’est le cas dans Les Fausses Confidences, comédie jouée pour la première fois en 1737. Dès la scène 2 de l’acte I, nous
savons que le valet Dubois est l’organisateur d’un stratagème qui a pour but d'installer son ancien maître Dorante dans la
demeure et dans le cœur de la riche veuve Araminte. Dans l’acte II, le stratagème qui n’était d’abord que basé sur le
langage, s’est appuyé sur deux objets, deux portraits d’Araminte. Grâce à ces deux portraits, Araminte est convaincue de
l’amour que lui porte Dorante ; le spectateur est convaincu de son côté qu’elle n’y est pas insensible. Poussée par
Dubois, elle s’engage alors véritablement dans l’action, créant un « piège » pour éprouver Dorante et inventant une lettre
pour susciter sa jalousie et le forcer à déclarer son amour, en vain. L’enjeu est donc important psychologiquement pour
elle, et elle risque de se trouver dans une situation difficile s’il avoue et embarrassante s’il n’avoue pas. De son côté
Dorante ne sait pas que cette lettre au Comte est fausse : pour lui aussi, l’enjeu est capital. Si cette lettre est envoyée, tous
ses espoirs s’effondrent ; s’il avoue son amour, comme Dubois ne l’a pas prévenu, il a peur aussi de perdre Araminte. Au
début de cette scène 13, après un aparté de Dubois qui ne peut pas prévenir Dorante du piège que lui tend Araminte,
Dorante demande à Araminte une protection qu’elle lui accorde avec bonté. Cette douceur initiale n’est destinée qu’à
contraster avec le coup de théâtre, coup de tonnerre qui va ouvrir notre extrait. [Lecture orale de l’extrait.] Nous verrons
ainsi comment les rôles s’inversent dans cet extrait où Araminte apparaît comme une sorte de double de Dubois,
car c’est elle qui tire les ficelles ici en faisant subir à Dorante une épreuve dont la cruauté va crescendo pour
tenter d’obtenir qu’il lui avoue ses sentiments, en connivence avec le spectateur entre sourire et émotion. Dans cet
extrait, nous pouvons distinguer trois mouvements. D’abord, jusqu’à « ne vous embarrassez pas » (l.6) : elle lui fait une
fausse confidence qui le bouleverse. Puis, dans les lignes 6 (depuis « et écrivez... » à 18, elle lui demande en outre
d’écrire un billet au comte. Enfin, à partir de la ligne 19, elle lui dicte le contenu de ce billet, ce qui n’a pas au final
totalement l’effet escompté.

Premier mouvement (jusqu’à « ne vous embarrassez pas » (l.6) : elle lui fait une fausse confidence qui le
bouleverse, car elle lui fait croire qu’elle va épouser le comte.
La modalisation forte marque l’assurance d’Araminte qui va employer un ch lex de la certitude dans ses deux
premières répliques de l’extrait. On trouve ainsi « je suis déterminée » (l.1), adjectif que Dorante ne peut que répéter
dans sa réplique de la ligne 2 qui se réduit à cette reprise du terme et de l’apostrophe qui désigne celle qui vient de
prononcer cela : « Madame ! ». Cela le surprend tellement qu’il ne peut dire autre chose. La modalité exclamative ainsi
que la didascalie « d’un ton ému » montrent l’impact que cette annonce qu’il croie vraie a sur lui.
A la ligne 3, on retrouve le ch lex de la certitude « Oui, tout à fait résolue » dans la nouvelle réplique
d’Araminte. Elle ajoute à cela vouloir faire croire au comte que Dorante l’a aidée à prendre cette décision, afin qu’il soit
bien vu de celui qui sera son nouvel époux, pour permettre à Dorante de conserver son emploi d’intendant. Évidemment,
cela serait une situation insoutenable, insupportable pour Dorante de rester l’intendant d’Araminte alors que celle-ci
aurait épousé le comte ! Or, elle lui présente cette situation à venir comme certaine. Les verbes au futur simple :
« croira », « je le lui dirai » et « vous resterez », appuient cela. Et on retrouve encore une fois le lexique de la certitude
« je vous le garantis », « je vous le promets » dans les propos d’Araminte. En parallèle à ses paroles, un premier aparté
de celle-ci annoncé par la didascalie « à part » (l.4) nous montre qu’elle observe l’effet de ses propos sur Dorante : « Il
change de couleur ».
Face à la présentation d’une situation à venir insupportable, la réplique suivante de Dorante à la ligne 5, s ur le
mode exclamatif: « Quelle différence pour moi, Madame ! » est un cri du cœur, qui se clôt sur une nouvelle apostrophe à
celle qu’il aime. On peut considérer cette formulation comme un aveu implicite, car ainsi Dorante sous-entend bien que
ce n’est pas la place d’intendant qu’il occupe et qu’il occuperait encore suite au mariage d’Araminte et du comte qui lui
importe.
Face à ce désespoir, la réplique d’Araminte est cruelle. La didascalie « d’un air délibéré » montre qu’elle joue un
rôle ici. Elle ne prend pas en compte l’affirmation de Dorante en niant ses propos dans des formulations négatives : « Il
n’y en aura aucune, ne vous embarrassez pas », semblant ainsi lui dire que sa situation d’intendant sera toujours la
même. Elle fait ainsi semblant de ne pas comprendre ce que sous-entend Dorante.
→ Ainsi, elle l’a stupéfait par cette annonce à laquelle il ne s’attendait pas du tout, elle va ajouter de la cruauté
dans ce qu’elle va lui demander ensuite.

Second mouvement depuis « et écrivez... » (l.6) jusqu’à la ligne 18, elle pousse la cruauté jusqu’à lui demander en
plus d’écrire un billet au comte.
L’impératif : « écrivez » l. 6 la montre très directive : elle se présente dans le rôle attendu d’une femme d’une
position sociale supérieure qui emploie Dorante, comme le montre aussi le jeu des pronoms personnels : « je vais vous
dicter » : le « je » d’Araminte est sujet car c’est elle qui agit ici ; le « vous » de Dorante est objet, il subit la manigance.
Elle se montre pragmatique dans le complément du présentatif : « tout ce qu’il faut » et le Ct C de lieu : « sur cette
table ».
Au contraire, Dorante est totalement décontenancé et ne fait pas le lien entre le mariage annoncé et l’écriture de
cette lettre. Sa réplique, dont le désarroi est accentué par l’interjection: « Eh ! » se réduit à une interrogative : « pour qui,
Madame ? » sur le destinataire de la lettre à écrire, tout en continuant à interpeller celle qui le fait tant souffrir ici, pour la
3e fois, sa réplique se clôt en effet sur l’appellatif « Madame ».
Dans sa réponse à la ligne 9, non seulement Araminte nomme « le Comte » comme destinataire, mais elle y
ajoute deux sub. relatives : « qui est sorti d’ici extrêmement inquiet, et que je vais surprendre bien agréablement par le
petit mot que vous allez écrire en mon nom » qui veulent montrer à Dorante qu’elle est soucieuse de rassurer le comte
par l’antithèse entre « extrêmement inquiet » et « surprendre bien agréablement », ce qui a l’air de montrer qu’elle a des
sentiments pour celui-ci. Au contraire, quand elle s’adresse à Dorante, c’est toujours dans le cadre d’une relation
hiérarchique et sur le mode injonctif : « vous allez écrire ». Le Ct C de moyen : « par le petit mot que vous allez écrire en
mon nom » fait de Dorante le messager bien involontaire et contre son gré des soi-disant sentiments d’Araminte pour son
rival. Une didascalie détaillée interrompt la réplique d’Araminte : « Dorante reste rêveur, et par distraction ne va point
à la table ». Dans celle-ci, le Ct C de cause « par distraction » commente son absence de réaction visible dans la
négation qui accompagne le verbe de mvt : « ne va point ». Il est perdu dans ses pensées. On comprend à la suite de cette
indication de mise en scène qu’Araminte observe ses réactions car les mots mêmes employés par Araminte répètent ceux
de la didascalie après l’interrogation « Hé bien ? » qui montre qu’elle veut avoir l’air étonné: on retrouve en effet le
même verbe d’action dans une tournure négative, le même Ct de lieu « à la table » et l’adjectif « rêveur » est ici dérivé
dans la question qu’elle lui adresse : « à quoi rêvez-vous ? » (l.11)
La réplique très brève de Dorante : « Oui, Madame. » montre une réponse qui ne correspond pas à la question
posée, l’adverbe affirmatif « oui » n’étant pas une réponse correcte à une interrogative partielle. L’adjectif « distrait »
complète le ch lex de l’inattention commencé avec « rêveur » dans l’indication scénique précédente et procède par
dérivation de distraction qui y était aussi employé. Dorante est ailleurs, perdu dans ses pensées, car dans
l’incompréhension de ce qu’il croit apprendre ici et donc incapable de se concentrer et d’effectuer ce qu’Araminte lui
demande, n’ayant rien d’une tâche administrative pour lui !
Les deux répliques suivantes sont des apartés dans lesquels l'état réel des deux personnages transparaît. Araminte semble
satisfaite de son stratagème : par la formulation négative : « il ne sait ce qu’il fait », elle constate l’incapacité de Dorante
à agir normalement suite à ce qu’elle lui a appris. On comprend aussi qu’elle a envie de continuer dans cette voie pour le
pousser dans ses retranchements, comme le montre le verbe au futur simple, tout en nous faisant ses complices par
l’emploi de la première personne du pluriel : « Voyons si cela continuera ». Marivaux joue ici avec la double
énonciation, nous avons comme Araminte envie de voir comment va réagir Dorante. Pour Dorante, la didascalie
« cherche du papier » sous-entend que ce qu’il va dire n’est entendu que du public pendant qu’il s’est sans doute éloigné
d’Araminte pour accomplir cette action. D’ailleurs, celle-ci semble en contradiction avec ce qu’avait affirmé Araminte à
la ligne 7 « Il y a tout ce qu’il faut sur cette table. Dans une exclamative redoublée par l’interjection : « Ah ! Dubois m’a
trompé !», en faisant de Dubois le sujet de ce verbe d’action, il l’accuse de l’avoir trahi, de lui avoir caché quelque chose
ou de lui avoir fait croire à tort que son plan était infaillible.
De son côté, Araminte est inflexible, comme le traduit la didascalie « poursuit », et lui pose une question :
« Êtes-vous prêt à écrire ?» (l.15) pour lui rappeler ce qu’elle lui a demandé de faire.
A la ligne 16, le verbe d’action associé à une négation « Je ne trouve point de papier » montre qu’il est incapable
d’agir, qu’il perd ses moyens, n’a plus les idées en place.
Araminte se montre toujours inflexible, en reprenant ironiqt ses propos : « Vous n’en trouvez point ! » sur le
mode exclamatif. L’indice de lieu : « devant vous » qui suit le présentatif : « Voilà » le met face la réalité. Et Dorante ne
peut que le reconnaître ds la réplique affirmative suivante : « Il est vrai ». Sa maladresse peut faire sourire le spectateur.
→ Contraint d’écrire à son rival, Dorante est très mal à l’aise, comme absent, ne sait plus où il en est, et cela va
encore s’aggraver compte tenu de la teneur du message qui va lui être dicté par Araminte.

Troisième mouvement, de la ligne 19 à la fin du passage : Araminte lui dicte le prétendu message pour le comte,
mais sans obtenir véritablement ce qu’elle voulait et en finissant par souffrir elle-même de la situation.
L’impératif : « Écrivez » montre toujours l’autorité dont elle fait preuve et la suite en italique correspond au
début du message qu’elle lui dicte. L'impératif qu’elle y emploie à destination du comte « Hâtez-vous de venir » est cruel
pour Dorante, car Araminte a l'air d'y montrer son empressement à voir son rival. Elle poursuit en employant à n ouveau
le ch lex de la certitude : « sûr » qu’elle avait employé en annonçant son mariage à Dorante : le contenu même du
message redouble ainsi les propos qu’elle vient de tenir à Dorante, c’est comme un second coup de poignard qu’il reçoit.
La question pressante par laquelle Araminte clôt sa réplique « Avez-vous écrit ? » montre qu’elle interrompt sa dictée,
car elle se rend compte qu’il ne parvient pas à écrire ce qu’elle lui demande. En effet, la dictée d’Araminte lui est
insupportable à entendre, puisqu’il est contraint d’écrire à son rival pour lui annoncer sa victoire !
La réplique de Dorante le confirme : la question qu’il pose : « Comment, Madame ? » montre qu’il est dans un
état émotionnel extrême : il répond à son interrogation par une autre interrogation qui vise à faire répéter Araminte,
comme pour combattre la résolution de celle-ci.
La question par laquelle Araminte reprend la parole : « Vous ne m’écoutez donc pas ? » sous-entend une
tentative pour le faire parler, pour qu’il exprime ce qui lui déplaît dans cette lettre. Sans réponse de Dorante, elle reprend
sa dictée, mais en ne manquant pas de répéter le fait le plus cruel : « Votre mariage est sûr ». La suite n’en est pas moins
cruelle car Araminte y fait d’elle-même le sujet d’un verbe de volonté « Madame veut » et Dorante y apparaît à ses
ordres dans la subordonnée complétive « que je vous l’écrive ». Cette dictée est interrompue par l’aparté d’Araminte :
« Il souffre mais il ne dit mot. Est-ce qu’il ne parlera pas ? » Ainsi Araminte ne cesse d’observer les réactions de
Dorante. La conjonction de coordination à valeur d’opposition « mais » montre qu’elle ne parvient pas à obtenir ce
qu’elle veut : elle voit le malaise de Dorante mais il n’avoue pas qu’il l’aime. Et l’interro-négative traduit son propre
désarroi à elle. Elle reprend sa dictée en évoquant son procès. Mais la tournure négative de la phrase : « N’attribuez
point » exprime le fait que ce n’est pas par peur de perdre ce procès « douteux » qu’elle souhaite épouser le comte.
S’il ne veut avouer ses sentiments, Dorante trouve dans le qualificatif « douteux » quelque chose qu’il peut enfin
ouvertement contester. C’est la seule réplique où il emploie lui-même le ch lex de la certitude : « je vous ai assuré ». Puis
il reprend l’adjectif employé par Araminte pour mettre en cause celui-ci par la tournure négative : « il ne l’est point ».
A la ligne 25, elle ôte toute importance à ce qui semble être un détail et l’impératif « achevez » lui donne l’ordre
de finir d’écrire la lettre. Elle va alors formuler un argument, cruel pour Dorante, pour justifier son prétendu mariage
avec le Comte : « Je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu’elle rend à votre mérite la détermine. »
Dorante et Dubois peuvent tout combattre sauf ce « mérite » qu’Araminte attribue au Comte et qui semble marquer sa
supériorité sur Dorante dans l’esprit d’Araminte, par l’emploi de ce nom mélioratif.
Ce coup de grâce semble désespérer Dorante comme l’exprime l’exclamation suivie d’une hyperbole à la ligne
27 : « Ciel ! je suis perdu », qui expose sa douleur. Il trouve toutefois la force de contester comme le montre l’emploi de
la conjonction de coordination « mais » et la formulation négative : « vous n’aviez aucune inclination pour lui ». En
même temps, le fait que Dorante emploie l’imparfait montre qu’il pense que les sentiments d’Araminte à l’égard du
comte ont dorénavant changé.
Araminte ne répond pas à la remarque de Dorante mais lui adresse une nouvelle injonction en répétant le même
verbe à l’impératif qu’à la ligne 25, appuyé par une formule autoritaire à la première personne du singulier : « Vous dis-
je ». Elle se montre dure en répétant la fin de son message et en particulier le mot mélioratif « mérite » qui semble
valoriser le Comte à ses yeux et être la raison de son choix. Elle se permet alors de faire ses remarques sur l’état de
Dorante à voix haute et non plus dans un aparté. Elle utilise ainsi des expressions du ch lex du malaise : « la main vous
tremble », « changé ». Et elle les fait suivre de deux interrogatives : « Qu’est-ce que cela signifie ? Vous trouverez-vous
mal ? » par lesquelles elle tente de le faire parler.
Dorante rebondit sur la deuxième question et le dialogue avance par reprise de termes ( procédé fréquent chez
Marivaux). Dorante qui ne veut pas avouer ses sentiments ne répond donc pas à la 1ère question sur la cause de son état
et se contente de transformer en affirmation la 2 e question d’Araminte. Toutefois, la forme négative qu’il emploie « Je
ne me trouve pas bien » constitue une litote qui suggère beaucoup plus qu’il ne dit : il se sent en fait très mal.
En apparence sans pitié, Araminte par ses exclamations et le ch lex de la bizarrerie qu’elle emploie à la ligne
31 : « subitement », « singulier », montre à Dorante le caractère étrange de son état. Puis elle revient sans transition à ses
injonctions avec deux impératifs : « Pliez la lettre et mettez ». Et elle ne lui épargne rien jusqu’à l’écriture sur
l’enveloppe du destinataire : « Monsieur le comte Dorimont ». Toutefois, son aparté, renforcé par la modalité
exclamative : « Le cœur me bat » (l.32) montre qu’elle souffre de la souffrance qu’elle impose à Dorante. Pourtant, elle
s’adresse une dernière fois à Dorante en employant des expressions péjoratives : « tout de travers » et « presque pas
lisible » (l.32-33) pour lui faire remarquer que son malaise lui permet à peine d’écrire, du moins correctement. Le
dernier aparté d’Araminte montre que le piège qu’elle a tendu à Dorante n’a pas atteint son but. C’est évidemment un
échec. Araminte voulait par cette mise à l’épreuve faire avouer Dorante. Elle-même le constate dans une tournure
négative : « Il n’y a pas encore là de quoi le convaincre [de parler]. » Ils sont mal à l’aise tous les deux.
Dans la dernière réplique de la scène qui est un aparté de Dorante, celui-ci se demande tardivement si Araminte
a voulu le mettre à l’épreuve : « Ne serait-ce point aussi pour m’éprouver ? ». Cette interro-négative est en effet une
question rhétorique. Son trouble a été tel qu’il n’était plus en état de réfléchir. (l’emploi de ce verbe est significatif, la
notion d’épreuve étant importante dans le marivaudage). Le fait qu’Araminte envisage de faire porter cette lettre par
Dubois, alors qu’Arlequin est préposé à ce genre de tâche, peut lui sembler anormal et il a peut-être pu se rendre compte
à la fin de cette scène qu’elle n’était pas bien non plus.
→ Ainsi Dorante a été mis cruellement à l’épreuve par Araminte mais celle-ci n’est pas parvenue à ses fins, au
contraire elle finit par souffrir de cette situation et en être la victime, car Dorante a tenu bon.

Ainsi, la cruauté d’Araminte va crescendo dans cette épreuve qu’elle fait subir à Dorante : elle lui fait croire
qu’elle va épouser le comte, lui annonce qu’il va devoir écrire un billet à celui-ci pour le lui annoncer et va jusqu’à lui
dicter cette lettre pour son rival. Mais elle ne parvient pas à son but : faire avouer Dorante, soi-disant pour lui donner un
prétexte de le renvoyer comme elle l’avait dit avec beaucoup de mauvaise foi à Dubois dans la scène précédente. Malgré
son intransigeance apparente, elle se rend bien compte qu’elle fait beaucoup souffrir Dorante ici et en souffre également.
Et Dorante, très mal à l’aise, a seulement à la toute fin de la scène l’idée que cela puisse être un stratagème de la part
d’Araminte. Cette scène, au registre pathétique, peut paraître dérangeante pour le spectateur, complice d’Araminte, par la
souffrance psychologique que Dorante endure ici. Mais le spectateur sait qu’Araminte joue la comédie et donc que le
billet sera sans effet. De plus, on peut y voir aussi un juste retour des choses à cause du stratagème que Dubois a mis en
place pour que son ancien maître puisse épouser la femme qu’il aime. Enfin, il ne faut pas oublier que le spectateur en
sait plus qu’Araminte elle-même et s’amuse ici de la voir prise à son propre piège. Cette scène, entre émotion et sourire,
est typique du théâtre de Marivaux. Par ailleurs, les personnages ne sont pas encore au bout de leurs épreuves. En effet,
Dorante sera contraint d’avouer deux scènes plus tard à la fin de cet acte, quand il aura évoqué le portrait qu'il a peint de
celle qu’il aime, et qu’Araminte lui mettra sous les yeux le petit portrait d’elle peint par lui-même qu’elle avait conservé.
Mais Marton poussera alors un cri en voyant Dorante aux genoux d’Araminte et cette dernière lui dira « vous m’êtes
insupportable », pas encore prête à reconnaître son amour pour lui devant autrui. Il faudra encore l’acte III pour qu’elle
dépasse sa mauvaise foi, induite par ses préjugés et son amour propre et fasse passer son amour avant tout.

Vous aimerez peut-être aussi