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Extrait de l’Acte II, scène 13

L’écriture de la lettre d’Araminte au Comte

INTRODUCTION :
- petit point rapide sur l’intrigue
- Passage : presque à la fin de l’Acte II (sc 13 sur 17)
Araminte commence à croire que Dorante est amoureux d’elle, bien que leur différence de condition ne
permette pas d’envisager une union entre eux. Dubois lui a d’abord fait la confidence de cette passion (à
travers de vraies fausses confidences), et les deux portraits d’elle détenus par Dorante ont encore renforcé ses
doutes.
Mais pour être bien certaine des sentiments du jeune homme, Araminte est déterminée à provoquer son aveu …
afin, dit-elle à Dubois, d’avoir un prétexte pour le renvoyer.
Elle le met à l’épreuve et lui tend alors un piège : exploitant sa position de dominante, elle lui dicte une lettre
dans laquelle elle fait part au Comte Dorimont de son intention de l’épouser.
Cette « fausse confidence » lui permet d’observer les réactions de Dorante.

Problématiques possibles :
Sur quoi repose l’efficacité comique d’un renversement de situation ?
Comment Marivaux exploite-t-il les ressorts de la théâtralité pour mettre en scène un aveu extorqué par la
ruse ?
En quoi une telle scène permet-elle de montrer toute la complexité du comique à l’œuvre chez Marivaux ?
Quelles sont les tonalités mises en œuvre dans cette scène ?

Conseils pour la lecture :


Ton froid et autoritaire pour Araminte
Passage entre « … » comme une dictée
Agitation de Dorante avec des hésitations, des exclamations, ton tour à tour vif et éteint
Pensez que les 2 personnages déguisent leurs véritables émotions. D’où l’intérêt de varier le ton pour les
apartés pour souligner la connivence avec le public

1 à 10 : La mise en place du piège

1-2 : réponse à une question précédente où Dorante demande à qui il va devoir écrire. Araminte semble
clairement prendre le parti du Comte : elle a noté son inquiétude, l’amplifie (extrêmement) et cherche à y
remédier à la hauteur de son inquiétude (bien agréablement). Elle ne cache pas l’effet inattendu de cette
démarche pour le Comte (je vais le surprendre). Dorante et le Comte se trouvent donc dans le même état de
surprise. Le cadre est posé.
2-3 : l’effet produit sur Dorante est immédiat et souligné dans la didascalie : rêveur, distrait « seulement », car
il ne sait pas encore ce qui l’attend vraiment, mais il est inefficace car il n’exécute pas l’ordre, comme à la ligne
4 : il répond mais ne fait pas.
Le trouble est perceptible à travers le « non-enchainement » des répliques : A quoi rêvez-vous ? / Oui, madame
(idem plus loin avec Avez-vous écrit ? / Comment, Mme ?)
Troublé, Dorante ne trouve pas le papier, ou fait semblant de ne pas le voir pour ralentir l’avancée de l’action.
La communication est rompue entre les 2 personnages.

L’usage de l’aparté rend le spectateur complice et confident des personnages, ce qui stimule l’écoute active :
aparté l.5Araminte semble prendre un malin plaisir à le tromper et à l’observer.
aparté l.6 : Dorante commence à souffrir et à se croire trahi par Dubois en qui il a toujours eu confiance.

Araminte adopte un ton directif : elle affirme son autorité comme le prouvent les indices suivants :
- interjection Eh ! (l.3)
- exclamations qui expriment un reproche : vous n’allez pas à la table ! (l.3), vous n’en trouvez point ! (l.9)
- tournures interrogatives : êtes vous prêt à écrire ? ( l.7)Avez-vous écrit ? (l.11)Vous ne m’écoutez donc pas
(l.13)
- Impératif : écrivez
Elle feint un ton autoritaire, directif et impatient, feignant l’agacement, elle va elle-même chercher le papier.
11 à 26 : La rédaction de la lettre et ses effets sur les deux perso

La lettre est dictée en plusieurs fois pour pouvoir prolonger le plaisir d’Araminte qui mesure son effet sur
Dorante au fur et à mesure .

Le ton directif est renforcé par l’impression d’urgence (hâtez-vous (l.11))


Elle donne une information très explicite : « votre mariage est sûr » (l.11). Sous prétexte de dicter et de
s’assurer que Dorante a noté (et bien compris) elle répète cette tournure l.13.

Araminte pousse la perversité à faire écrire Dorante en son propre nom à lui (« madame veut que je vous
l’écrive » l. 13) puis « je suis chargé de sa part de vous assurer que » l.17) et ne se contente pas de lui dicter
une lettre qu’elle signerait elle-même.

Araminte commente, pour elle-même et pour le public, les émotions de Dorante grâce à l’aparté l. 14 : « il
souffre » et exprime son étonnement via la conjonction « mais » et la tournure interrogative : « Est-ce qu’il ne
parlera pas ? »

Elle anticipe une crainte du Comte qui pourrait croire que la crainte de perdre le procès est la raison qui motive
Araminte, elle se met à la place de son destinataire (d’où le conditionnel l 15 : que Madame pourrait avoir »)
tout en cherchant à faire réagir Dorante , il reprend l’adjectif : « douteux » l.16, peut-être un ton agacé ou
désespéré mais Araminte ne lui laisse pas la parole et l’interrompt « n’importe achevez » l. 17.
Elle insiste sur l’intérêt qu’elle porte au comte à travers le terme : « votre mérité » l. 18.

19 : contraste entre ce qui est dit bas / à haute voix : il oscille entre désespoir et étonnement .
Dorante souligne le comportement contradictoire d’Araminte avec la conjonction qui marque l’opposition :
« mais » et la négation totale « aucune inclination ». Mais sa remarque est ignorée, une nouvelle fois.

20-21 : Araminte veut mettre Dorante mal à l’aise en insistant sur ses troubles :tremblement, changement
visible. Elle insiste, l’interroge (2 interrogatives). Dorante confirme sans chercher à dissimuler qu’il ne domine
plus ses émotions. Elle feint de s’étonner (exclamations l.23) mais revient très vite aux ordres avec les
impératifs « pliez, mettez »et le futur catégorique « vous direz »

Mais enfin, Araminte montre aussi des signes d’émotions aussi en aparté « le cœur me bat » l. 24. Elle avoue et
constate l’échec de sa comédie via la négation : « il n’ y a pas encore là de quoi le convaincre ». Son trouble est
sans doute un peu perceptible par Dorante, ce qui expliquerait sa dernière réplique.
Dorante a réussi à donner le change, à garder son calme (peut-être pas aux yeux du public mais en tout cas aux
yeux d’Araminte), se ressaisit et garde sa capacité à raisonner et à analyser sa dernière réplique sous forme
d’interro-négative sonne comme une question rhétorique et implique une réponse positive : il a compris qu’
Araminte cherchait à le tester. On bascule de nouveau du côté de la comédie

CONCLUSION :
Le piège tendu par Araminte a-t-il atteint son but ? oui et non
Moment savoureux pour le spectateur qui voit, en connivence avec Araminte, Dorante malmené par les ruses de
l’amour.
A la fois empathie car on voit Dorante souffrir mais aussi rires car, comme souvent chez Marivaux, les
spectateurs sont dotés d’une plus grande clairvoyance et sont toujours en avance sur les personnages. Le
spectateur sait qu’Araminte joue la comédie et que la lettre qu’elle dicte sera sans effet.
Le spectateur devient une sorte de complice du meneur de jeu : il en sait plus que Dorante, abusé sous ses yeux
par Araminte mais il en sait aussi plus qu’Araminte elle-même et s’amuse du retournement de situation :
Araminte est finalement la victime du piège qu’elle a tendu à Dorante.

Principe cher à Marivaux : retracer le chemin tortueux du sentiment amoureux + jouer avec les attentes du
public en retardant l’aveu d’amour réciproque que l’on sait pourtant inévitable

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