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Analyse linéaire de l’extrait de l’AI sc 14 qui va de « DUBOIS : - Lui,

votre intendant »... à « je l’ai rencontrée ? »

Introduction :

Les Fausses Confidences, jouées pour la première fois le 16 mars 1737, est la dernière
comédie en trois actes de Marivaux, qui s'est remis au roman peu de temps
auparavant. Elle est jouée par les Comédiens-Italiens mais par une troupe
vieillissante, qui mise moins sur des lazzi éblouissants que sur une intrigue
complexe. Dorante est éperdument amoureux de la riche Araminte mais il est sans
le sou. Il s'en remet à son valet Dubois pour construire un stratagème qui rendra
possible leur union.

- Situation de l’extrait : Dorante, qui est amoureux d'Araminte, s'est fait engager comme
intendant chez cette dernière grâce à l'aide de son oncle, monsieur Remy. C'est la
première étape d'un stratagème conçu par son ancien valet, Dubois. les deux hommes
ont fait mine de se reconnaître par hasard à la scène précédente de manière à préparer
les « fausses confidences » de Dubois à Araminte.

- Problématique : Quel est l'effet produit par les « fausses confidences » de Dorante? OU
Comment le récit dans le dialogue contribue-t-il à la stratégie mise en place par Dubois
?

• De « Dubois. - lui, votre intendant » à « c’ est un homme incomparable. » : la folie de


Dorante

• De « Araminte, un peu boudant. - Oh bien! il fera ce qu'il voudra» à « Moi, dis-tu! » : la
révélation de l' objet de la passion de Dorante

• De« Dubois. - Il vous adore » à « de quoi s'avise-t-il? » ou« à je l'ai rencontrée» : le


récit de Dubois et l'émotion d'Araminte qui se sait aimée

Idée Procédé Citation Analyse


secondaire
1. De« Dubois. - lui, votre intendant>> à« c'est un homme incomparable.» : la folie
de Dorante
Une stratégie Exclamations , « Lui, votre • Le début de cet extrait est marqué
imparable : interjection intendant ! Et par les exclamations de Dubois. Son
faire naître la phrases c'est Monsieur but est de créer chez Araminte la
curiosité. courtes, Remy qui vous surprise . Il feint ainsi l'étonnement
hyperboles l'envoie: hélas ! comme s' il voulait en donner l'idée
le bon homme,
à Araminte : il donne littéralement
il ne sait pas qui
il le ton de la scène. Ces exclamations
)
vous donne ; ponctuent ainsi des phrases courtes,
c'est un démon cinglantes, dont il faut noter la
que ce garçon- dramatisation avec l’interjection «
là. » Hélas! » reposant sur la montée d'un
suspense qui culmine avec le mot «
démon ».
• La réplique d'Araminte souligne
Phrases d'ailleurs toutes ces caractéristiques :
interrogatives,
les interrogations et l'impératif
impératif
«explique-toi » témoignent de l'
efficacité de la stratégie de Dubois sur
sa victime. Il a piqué la curiosité d'
Araminte.
« DUBOIS. − Si je le Il continue à intriguer son
connais, Madame ! interlocutrice en reprenant ses mots
répétition si je le connais ! Ah au lieu de lui répondre, dans d'autres
du verbe vraiment oui ; et il exclamations encore, ce qui a pour but
« connaître » me connaît bien de fortifier l'inquiétude d'Araminte.
trois fois dans aussi. N’avez-vous Dubois rappelle le jeu de scène qui a
la réplique pas vu comme il se eu lieu dans la scène précédente et
détournait de peur que mentionnait une didascalie (« il se
que je ne le détournait de peur que je ne le
visse ? » visse»).
« Il est vrai ; et tu • La réplique suivante d' Araminte
me surprends à montre à quel point la tactique de
mon tour. » Dubois est efficace : il a bien
contaminé Araminte par sa (fausse)
Ironie surprise. C'est ce trouble, cette
dramatique fragilisation de la jeune femme que
Dubois veut obtenir. Marivaux suggère
ce trouble par l'ironie dramatique :
Araminte dit « il est vrai » alors que ce
qu'elle qualifie de vrai est précisément
un mouvement feint de Dorante.
(L'ironie dramatique est le procédé
d'écriture dramatique qui consiste à
faire dire à un personnage quelque
chose qu'il ne peut pas comprendre
dans tout son sens, ou qu'il interprète
mal, faute du savoir nécessaire,
contrairement à d'autres
Interrogation personnages ou aux spectateurs.)
totale, « Est-ce que ce
référence à n’est pas un Il faut s'arrêter sur l' expression
l’honnête honnête d'« honnête homme» qu'emploie
homme Araminte, s'inquiétant de ce que lui
«  DUBOIS - Quelle • Le récit de Dubois commence
preuve ? Il y a six et fait rire le spectateur par ses
mois qu'il est exagérations. Le parallélisme de
Champ tombé fou ; il y a construction : « Il y a six mois... / il
lexical de six mois qu'il y a six mois » associé au champ
extravague d'amour ,
la folie, lexical de la folie : « fou»,
qu'il en a la
comparaison « extravague » + complément
cervelle brûlée,
et « d'amour » révèle le stratagème
qu'il en est comme
Une métaphores un perdu je dois de Dubois : révéler la puissance de
confidence + hyperboles bien le savoir, car l'amour de Dorante. Les deux
comique et j'étais à lui, je le images hyperboliques qui suivent
parallélismes servais; et c'est ce « cervelle brûlée »+ « comme un
de qui m’a obligé de le perdu » accentuent l'intensité des
construction quitter, et c'est ce sentiments. Le valet justifie ses
qui me force de dires par le fait qu'il ait travaillé
Conj de m'en aller encore.
pour lui.
coordination Ôtez cela, c'est un
Enfin il termine le portrait de D
« car » homme
incomparable. avec l'adjectif hyperbolique
« incomparable » qui clôt ce
Adjectif portrait paradoxal sur une note
hyperbolique élogieuse.
→Ainsi, le récit de Dubois n'est pas
mensonger, il est exagéré et
manipulateur. La folie d'amour est
un topos, ou motif, romanesque
dont la fonction est d'arracher
Araminte à ses repères quotidiens
et prosaïques pour la faire
basculer dans l'univers de la fiction
dans lequel Ie caractère
extraordinaire du jeune homme,
sur lequel insiste Dubois(« c'est un
homme incomparable  ») est
parfaitement vraisemblable .
Il. La révélation de l'objet de la passion de Dorante
L'émotion • La didascalie « un peu
d'Araminte « ARAMINTE, un
boudant » traduit l'émotion
La didascalie, peu boudant . - Oh
d'Araminte lorsqu'elle apprend
L' expression bien ! il fera ce qu' il
simultanément que Dorante est
du dépit voudra ; mais je ne
le garderai pas : on un homme exceptionnel et qu'il
a bien affaire d'un est fou amoureux.
esprit renversé ; et Dubois ajoute à la stratégie un
peut-être encore, je élément clé de la psychologie
gage, pour quelque amoureuse : il pique Araminte
objet qui n'en vaut et suscite chez elle un début de
pas la peine ; car les dépit. Elle ne soupçonne pas,
hommes ont des
en effet, qu' elle est l'objet de
fantaisies... »
Litotes+ cet amour et c'est déjà la
futur : « je ne jalousie qui s'éveille chez elle.
le garderai Elle cherche aussi à minimiser,
pas» voire à mépriser la folie de D :
elle ne reprend pas le mot de
folie mais parle seulement d'«
esprit renversé » et de «
Un
manipulateur fantaisies » et décide de
habile renvoyer son intendant. Mais
la curiosité la pousse à
demander plus d'informations
sur cette personne tant aimée.

• Dubois retarde le plus possible la


révélation du nom de la femme
« DUBOIS. - Ah !
aimée par Dorante. On observe
vous m' excuserez ;
deux niveaux de langue différents,
pour ce qui est de
ce qui révèle qu'il manie très bien
l'objet, il n'y a rien
le langage et sait exactement quel
à dire. Malepeste !
effet il veut produire.
sa folie est de bon
• D'une part, il emploie des
goût.
ARAMINTE. - jurons (« Malpeste! »): cela
Différents suggère qu'il parle familièrement,
N'import e, je veux
niveaux de
le congédier. Est-ce spontanément , sans réfléchir, et
langue = que tu la connais, que donc ses paroles ne peuvent
juron + cette personne ? être mises en doute.
tournure DUBOIS. - J'ai • D' autre part, il recourt à une
emphatique
l'honneur de la voir tournure emphatique (« J'ai
tous les jours ; c'est
l'honneur de la voir tous les jours;
vous, Madame. »
c'est vous, Madame») qui le pose
en valet respectueux de sa
maîtresse, qui met en évidence la
révélation tant retardée, et qui
trahit un homme qui manie
habilement l'art de la parole. Il en
profite pour flatter.
• Araminte se montre surprise quand
Interrogation elle apprend que c'est elle qu'aime
totale
Dorante: cela se manifeste dans
rhétorique
l'exclamative et dans la question
rhétorique « Moi, dis-tu ? ».
→Nous sommes alors au cœur de la
fausse confidence, fausse parce que
le but n'est pas l'éclaircissement de
l'interlocutrice mais sa manipulation.
Là encore, Dubois s'avère un maître
dans l'art du dévoilement, préparant
le coup de théâtre. Il ne lâche pas «
C'est vous, Madame » tout de suite.
Ici, le coup de théâtre est réservé à
Araminte : c'est la deuxième surprise
de la scène, comme l'indique le fait
qu'elle s'étonne et s'exclame.
Il. De« Dubois. - Il vous adore >> à « je l ' ai rencontrée » Le récit de Dubois et l'émotion
d'Araminte qui se sait aimée
Le roman de Champ lexical « DUBOIS. − Il vous • Dubois reprend le récit entamé dans
adore ; il y a six
Dubois de la passion, mois qu’il n’en vit le premier mouvement, interrompu
hyperboles, point, qu’il par les questions d' Araminte sur
antithèse donnerait sa vie l'identité de l'aimée. Cette fois-ci, il
pour avoir le plaisir ne
de vous
contempler un met pas l'accent sur la folie mais sur la
instant. Vous avez durée et la profondeur de l'amour
dû voir qu’il a l’air
enchanté, quand il éprouvé: il emploie une image
vous parle. hyperbolique et une antithèse(« sa
ARAMINTE. − Il y a vie » vs. « un instant »).
bien en effet
quelque petite • Par la dernière remarque, il cherche
chose qui m’a paru à connaître les sentiments d' Araminte
extraordinaire. Eh ! (« Vous avez dû voir... »).
juste ciel ! le
pauvre garçon, de
quoi s’avise-t-il ? » • Araminte tombe dans le piège que
lui tend Dubois: elle avoue qu'elle a
observé son intendant et qu'elle
s'intéresse à lui. Son stratagème
fonctionne puisqu'Araminte ne peut
dissimuler son intérêt comme
l'indiquent les exclamations et
interrogations : « Eh ! ! juste ciel ! Le
pauvre garçon, de quoi s'avise-t-il ? »
De plus, on remarque qu'elle ne parle
plus du tout de le renvoyer. Mais son
bon sens lutte contre cette
métamorphose : « Le pauvre garçon,
de quoi s'avise-t-il ? » rappelle qu'elle
est raisonnable.

Dubois= un Hyperbole + • Dubois renchérit alors sur la


fin stratège « DUBOIS. -
perso. description emphatique de l'amour
Vous ne croiriez
Substantif « fou(« démence »), de l' amour à en
pas jusqu'où va sa
démence» mourir(« lui coupe la gorge»), ce qui
démence; elle le
ruine, elle lui est également un trait fort habile
coupe la gorge. » puisqu'il s'agit de flatter Araminte à
travers la passion qu'elle inspire.
→Là encore, elle se retrouve par le
récit de Dubois plongée dans l' univers
romanesque de l' amour extrême,
elle quitte la trivialité du quotidien
(« extraordinaire », « vous ne

Très longue croiriez pas ») et devient une


« Il est bien fait,
héroïne.
phrase d'une figure
complexe: 8 passable, bien
Phrase suivante= Portrait flatteur qui
prop = 2 ind. élevé et de bonne
énumère les qualités de D mais
+ 1 principale famille ;
mais il n'est pas portrait réaliste souligné par
et l'opposition MAIS qui annonce par la
riche ; et vous
5 sub.
saurez qu'il n'a litote « il n’est pas riche » la situation
Enumération, tenu qu'à lui financière de D.
d' épouser des Les sub. accumulées suggèrent un
conj de
femmes qui pers. désintéressé. Qualités physiques
coordination l' étaient, et de
et morales sont associées : D. = héros
«mais»+ fort aimables, ma
de roman
litote « il foi, qui offraient
A. compte de nombreuses rivales,
n'est pas de lui faire sa
fortune et qui hauts placées dans la hiérarchie
riche>>
auraient mérité sociale
qu'on la leur fit à →Dubois utilise deux autres
Négation stratégies argumentatives
elles mêmes : il y sournoises, d'une part le portrait de
exceptive
en a une qui n' en Dorante qui correspond parfaitement
saurait revenir, à celui du héros de roman, méritant
mais pauvre, et qui flatte encore
l'imaginaire d'Araminte, d'autre part
la jalousie de la jeune femme qu'il
éveille en inventant des rivales que
Dubois dépeint comme d'excellents
partis à tout point de vue
et qui le pour magnifier le •renoncement de
poursuit encore Dorante, indiqué par Je conditionnel
tous les jours ; je passé {« auraient mérité »). Dubois
le sais, car je l'ai cherche à attiser le désir d'Araminte
rencontrée. »
en lui montrant combien Dorante est
désirable puisque désiré par d'autres
femmes qu'elle, qui la valent, qui sont
dans la même situation qu'elle, plus
riches que Je jeune homme et en
quête de bonheur. Araminte est ainsi
comme autorisée à suivre ces
exemples, et à se laisser aller à ses
sentiments.

Conclusion

Dubois montre ici qu'il maîtrise parfaitement l'art de l'éloquence et qu'il possède le
caractère stratège du valet. Dans un récit vivant et persuasif, il livre un portrait
touchant de Dorante, qui ne peut que toucher Araminte. En laissant apparaître des
rivales potentielles il donne le beau rôle à la jeune femme qui devrait se laisser séduire
facilement, d'autant plus que cette scène se fait sous le sceau de la confidence.

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