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194-196)
Art de Yasmina Reza est une courte pièce, une comédie grinçante créée en 1994. Récompensée de
deux Molières, elle a été traduite dans le monde entier. Serge, dermatologue, a acquis pour une très grosse
somme un tableau monochrome qui peut faire penser au « Carré blanc sur fond blanc » de Malevitch, peint en
1918 ; fier de son achat, il le présente à deux de ses amis, Marc, un ingénieur et Yvan, représentant dans une
papeterie. Un dialogue houleux s’engage alors à son sujet, prétexte à de nombreux reproches mutuels mettant
en péril leur amitié. Pour sortir de ce huis clos étouffant, Serge imagine à la fin de la pièce un stratagème.
Lecture
3) 18 à 30 : Un dénouement ambigu
- Didascalie : le nettoyage du tableau : la didascalie précise les nombreux accessoires nécessaires au
nettoyage. La précision « plus aucune trace du nettoyage » est intéressante, cela efface symboliquement tout
ce qui s’est passé. La contemplation du tableau = simple vérification qu’il n’y a plus de trace ? Ou bien
véritable regard d’esthète ?
- 19-21 : « Monologue » : semble s’adresse aux spectateurs dans une sorte d’aparté, comme s’ils étaient
vraiment des interlocuteurs. Il ne cherche pas, contrairement à un monologue traditionnel, à examiner
ses pensées ou à trouver la solution à un dilemme. Il rapporte même au discours direct un court
dialogue hors scène avec Marc (l. 21-25). En s’adressant ainsi au public, impliqué dans la scène par le «
nous » de la didascalie (« Puis se retourne et s’avance vers nous »), Serge efface apparemment pour un temps le
quatrième mur, rompant l’accord tacite entre le dramaturge et le public qui fait de l’espace scénique un
espace dramatique. Yasmina Reza prend les spectateurs à témoin et en les mettant dans la connivence,
elle les rend complices du mensonge de Serge et de son stratagème minutieusement prévu, comme le
signale notamment la rareté du produit utilisé (« un savon suisse à base de fiel de bœuf », l. 20), conçu
comme un remède acheté « sur ordonnance » puisque « prescrit par Paula » (l. 20).
- 22-25 : Le dévoilement du stratagème : Ce que l’on avait pu prendre pour un sacrifice fait au nom de
l’amitié se révèle être une manipulation. Plusieurs éléments témoignent de ce stratagème : la didascalie
précise les nombreux accessoires ; la mention de l’accessoire truqué : « Savais-tu que les feutres étaient
lavables ? » (l. 23) ; le champ lexical de la vérité et du mensonge (« savais-tu », « je le savais », « en
mentant », « aveu », « tricherie »).
- 26-30 : Le sauvetage ambigu de l’amitié : Serge a sauvé son amitié avec Marc grâce à un mensonge
et en recourant à un dispositif truqué durant une ambiguë « période d’essai » l.27. Il savait d’emblée
qu’il ne perdrait pas son tableau mais a quelques scrupules ; champ lexical de la morale « j’ai failli
répondre, moi, je le savais », l. 26 ; question rhétorique : « un aveu aussi décevant », l. 27 ; « tricherie », l.
28, dont il se débarrasse bien vite « N’exagérons rien », l. 28-29 oxymore : « vertu stupide » l.29. Il
rejette la faute sur Marc, pourtant victime de cette trahison (nouvelle question rhétorique « Pourquoi
faut-il que les relations soient aussi compliquées avec Marc ? », l. 29-30). La morale ici est finalement
assez semblable à celle, paradoxale, que formule Araminte quand elle comprend qu’elle a été la victime
d’une machination : la fin justifie les moyens en amour, comme, dans le cas de Serge, en amitié.