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Les langues dans l’enseignement superieur :

Quels contenus pour les filières non linguistiques ?


Avec le soutien de xxxx.

Illustrations de la couverture : xxxx.

ISBN : 978-2-36013-106-8
© Riveneuve éditions, 2012
75, rue de Gergovie
75014 Paris
Les langues dans
l’enseignement supérieur
Quels contenus pour les
filières non linguistiques ?

Sous la direction de
Mariella Causa, Martine Derivry
et Brigitte Lutrand-Pezant
Sommaire

Introduction

Mariella Causa, Martine Derivry, Brigitte Lutrand Pezant


Les langues dans l’enseignement superieur.
Quels contenus pour les filières non linguistiques ?. . . . . . . . . . . . . . 9

I - LANGUES ET CONTENUS :
approches intégratives et modélisation
de dispositifs didactiques

Mariella Causa, Maître de conférences, Université de la Sorbonne


nouvelle, Paris 3
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD :
les différentes formes d’« intégration » . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Jean-Paul Narcy-Combes, Professeur des universités (7e section),


UFR DFLE, Université de la Sorbonne nouvelle, Paris 3, Directeur du
DILTEC, EA 2288, Sorbonne Nouvelle, Paris 3 - UPMC, Paris 6
Propositions pour intégrer contenu et langue(s) : Allier l’approche
par tâches en langue et une pédagogie disciplinaire de projet
ou de résolution de problèmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

II - ANALYSE DIDACTIQUE DE CAS PRATIQUES

Pascaline Faure, Maître de conférences, UPMC, Paris 6


Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en faculté de médecine ?
L’enseignant de langue doit-il et peut-il avoir la double compétence ?. . . 103

Brigitte Lutrand Pezant, Maître de conférences, UPMC, Paris 6


Les articles scientifiques en langue anglaise. Utilisation et appropriation
du contenu par les étudiants de quatrième année d’orthophonie. . . . . 119
Les langues dans l’enseignement superieur

Catherine Frantz, Maître de conférences, Université de la Sorbonne


nouvelle, Paris 3
Lecture de textes linguistiques en anglais. Un cours de L2 en semi-présentiel.
Cours à contenu ou cours de contenu ?. . . . . . . . . . . . . . . . . 135

Faouzia Benderdouche, Maître de conférences, UPMC, Paris 6


Cédric Brudermann, ATER, UPMC, Paris 6
Christine Demaison, Maître de conférences en allemand, UPMC, Paris 6
Contenu et enseignement des langues étrangères : regards croisés
sur des pratiques menées auprès de publics d’élèves-ingénieurs. . . . . . 149

Françoise Barbé-Petit, Maître de conférences, UPMC, Paris 6


Le cinéma comme dispositif pédagogique pour faciliter l’acquisition
en anglais : L’étude de la citation filmique dans L.A. Confidential . . . 169

Dominique Macaire, Professeur des universités, Université de Nancy


L’étude de films en cours de langue : vers un projet pluridimensionnel. . 185

En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

Index. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
Introduction
Les langues dans l’enseignement superieur.
Quels contenus pour les filières
non linguistiques ?

L’axe « Tâches et dispositifs » du DILTEC, EA 2288, Paris 3 – Paris


6 a proposé lors de sa journée d’étude annuelle en 2009 d’aborder
la dimension « contenu » pour les formations du secteur LANSAD
(LANgues pour Spécialistes d’Autres Disciplines)1. La variété des
contributions et la richesse des discussions nous ont amené à solliciter
les intervenants pour continuer la réflexion sous forme de l’écrit.
Selon des appellations différentes, cours en immersion, CLIL
(Content and Language Integrated Learning) et en France EMILE
(Enseignement d’une Matière par l’Intégration d’une Langue
Etrangère), l’acquisition d’une L2 par le biais d’un travail essentiel-
lement disciplinaire autre que la langue, a fait l’objet d’études et de
pratiques avec des résultats divers.
Cette perspective d’enseignement des langues est soutenue et vi-
vement encouragée par les instances européennes2, et cinq projets
CLIL sont actuellement en cours au Centre européen des langues
vivantes de Graz en Autriche. De plus, le processus de Bologne pour
l’enseignement supérieur visant à promouvoir la mobilité étudiante
et enseignante par le développement de diplômes délivrés conjoin-
tement ou par la reconnaissance d’équivalences entre universités

1. Les journées d’études sont présentées avec les communications sur le site du
Diltec de Paris 6 : http://www.diltec.upmc.fr/
2. Tous les documents actuels de la Division des politiques linguistiques du
Conseil de l’Europe concernent la promotion d’une éducation plurilingue et in-
terculturelle et d’enseignements intégrés langues et disciplines.

–9–
Les langues dans l’enseignement superieur

européennes favorise également ce type d’approches3. Or cette pers-


pective d’éducation européenne pose tout un ensemble de questions
non résolues pour la recherche en didactique :

- Quelle part donner au spécialiste de L2 ?


- Quel niveau de compétence en langues doit avoir l’enseignant
de contenu disciplinaire puisque tout enseignement passe
au moins par une langue ?
- Est-il impératif que ce dernier soit un locuteur natif ?
- Comment évaluer les résultats de ces enseignements, tant
au niveau des contenus que des langues ?
- Quels sont les gains didactiques qu’apportent ces approches
intégrées ? en termes d’acquisition langagière et de contenus ?
Comment les mesurer ?
- Quelles sont les limites tant institutionnelles que contex-
tuelles de ces approches et peuvent-elles se substituer aux
approches monolingues ?

Les communications reprennent en partie la forme caractéristi-


que des journées d’étude à savoir, la mise en perspective d’articles
d’enseignants-chercheurs sur leurs pratiques et leurs interrogations,
et des articles inscrivant une problématique théorique ou répondant
directement à ces pratiques par des enseignants-chercheurs spécialis-
tes en didactique des langues. La logique des débats peut s’articuler
selon deux parties :

- La première partie concerne les contenus et les langues,


la place essentielle de ces derniers pour l’enseignement
des langues et notamment pour le secteur LANSAD, car
peut-on imaginer un cours de langue ou même parler une
langue sans contenu ? Le contenu tout comme la langue
étant insérés dans des cultures, cela pose la question de

3. Il existe actuellement une offre de cursus universitaires en anglais dans de nom-


breuses universités de l’Union européenne et l’on peut se demander si à ce choix
de l’anglais s’ajouteront des cursus bi/plurilingues.
Truchot, C., 2002, L’anglais en Europe : Repères, Division des politiques linguisti-
ques, Conseil de l’Europe.
Truchot, C., 2010, « L’enseignement supérieur en anglais véhiculaire : la qualité
en question » : http://www.diploweb.com/spip.php?article686

– 10 –
Introduction

la circulation des savoirs et de leurs re-compositions


discursives selon les rapports culturels en présence4. Cette
partie théorique est présentée par l’article de Mariella Causa
qui s’appuyant sur les recherches et travaux de tradition
francophone sur l’enseignement bi/plurilingue du niveau
secondaire tisse les nombreux ponts conceptuels avec le
secteur LANSAD universitaire, tant pour les apprenants,
que pour les enseignants et les contenus/langues. L’article de
Jean-Paul Narcy-Combes propose ensuite une modélisation
des dispositifs par tâches du fait de leur degré de complexité
de plus en plus élevée. En effet, prenant en compte une
multitude de paramètres, cette synthèse conceptuelle
aboutit à une architecture de dispositifs hybrides où les
constructions et les co-constructions de macro et de
micro-tâches sont articulées aux TIC (Technologies de
l’Information et de la Communication) : il propose ainsi,
à partir de leurs élaborations et de leurs fonctionnements
une modélisation pratique pour un enseignant-chercheur
en langue(s) ou en contenu(s) intervenant dans le secteur
LANSAD.

- La seconde partie concerne les dispositifs didactiques


à partir de cas pratiques. La notion d’intégration des
enseignements et des langues ainsi que la complexité de la
mise en place de dispositifs hybrides selon cette perspective,
se trouve illustrée par l’ensemble des terrains présentés  :
celui de Pascaline Faure concerne les étudiants en médecine,
celui de Brigitte Lutrand Pezant s’intéresse aux étudiants
en orthophonie et celui de Catherine Franz est relatif à
des étudiants de sciences du langage. L’article de Faouzia
Benderdouche, Cédric Brudermann et Christine Demaison
propose en regard croisé sur des cours de littérature post-
coloniale et d’histoire britannique en anglais et sur un cours
de civilisation allemande en allemand. Enfin l’article de
Françoise Barbé-Petit présente un dispositif de production

4. Zarate G., Liddicoat T., (coord.), 2009. « La circulation internationale des idées
en didactique des langues », Le Français dans le monde. Recherches et applications,
Paris, CLE-International.

– 11 –
Les langues dans l’enseignement superieur

langagière à partir de l’analyse filmique en anglais, d’un


cours sur le cinéma au moyen de l’anglais, pratique à
laquelle l’article de Dominique Macaire fait écho, au regard
de l’utilisation du film en classe de langue, d’un cours de
langue sur le cinéma.

Ces deux parties, qui reflètent la logique de la réflexion de cette


journée d’études, entre articles théoriques, articles présentant et
analysant des pratiques et un article de «  réponse  » spécifique, se
lisent également de façon transversale car ils interrogent tous, les
contenus, les dispositifs et la didactique en langues dans le secteur
LANSAD. Le débat général, sur la relation langues et contenus et sur
la position des enseignants de langues, engagé par cet ouvrage, devrait
permettre aux lecteurs, enseignants de langues ou enseignants d’une
autre discipline, étudiants et décideurs du secteur de l’enseignement
supérieur, du public comme du privé, de mieux comprendre la
complexité de ce secteur, de mieux situer les cursus, les curricula,
les pratiques et leurs enjeux au sein du domaine universitaire
LANSAD.

La préparation de cet ouvrage a été particulièrement captivante


en raison de la variété des niveaux d’analyse, entre l’exposition
«  micro  » d’une pratique singulière de la langue et d’un contenu
dans un contexte particulier à la réflexion «  macro  », mettant
en relation pratiques de classes et pratiques de langues (anglais,
allemand et français) à l’architecture de dispositifs et de tâches et, à
la mise en perspective historique d’enseignements intégrant langues
et contenus. Cette multiplicité des positions contribue à enrichir
le regard posé et questionné sur les contenus et les langues dans le
secteur LANSAD.
Nous remercions les auteurs d’avoir eu la patience d’être
soumis à deux arbitrages (celui de la communication orale, puis
celui de la présentation d’un article), d’avoir quelquefois dû
opérer de nombreuses retouches et améliorations – et parfois de
compressions – de leurs textes.

Mariella Causa, Martine Derivry, Brigitte Lutrand Pezant

– 12 –
I - LANGUES
ET CONTENUS :
approches intégratives et
modélisation de dispositifs
didactiques
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur
LANSAD : les différentes formes d’« intégration »

«  Le concept est impossible sans


le mot, la pensée conceptuelle est
impossible sans la pensée verbale »
(Vygotski, 1997 : 207)

Abstract
The purpose of this paper is to compare bi-/plurilingual education
within the LANSAD sector (teaching languages to non-specialist
university students). I will start with a wide range of definitions about
what bi-/plurilingual education entails. I will then expand on the notion
of integrative teaching for language teachers as well as for teachers of
other subjects. This comparative approach will finally allow me to draw
on a few recommendations in terms of pre-service and in-service training
for language teachers.

L’enseignement d’une L2 pour des spécialistes d’autres disciplines


(LANSAD) pose un certain nombre de questions qui ont été soule-
vées – et qui restent posées – depuis les années 1970, dans le domaine
de l’enseignement bilingue. Cependant, les situations et les enjeux
de ces deux types d’enseignements (LANSAD et bi-/plurilingue) ne
sont pas les mêmes. Le premier s’adresse, en effet, à un public non
spécialiste en langues se destinant à un domaine précis (étudiants en
médecine1, en orthophonie2, en droit, etc.) ayant par conséquent des
besoins précis : l’objectif de cet enseignement est professionnel. Le
second s’adresse à un public d’âge scolaire – qui peut varier de la ma-
ternelle au lycée – et concerne plus particulièrement l’enseignement

1. Voir Faure, ici-même.


2. Voir Lutrand Pezant, ici-même.

– 15 –
Les langues dans l’enseignement superieur

d’une ou plusieurs disciplines non linguistiques (DNL) en langue


étrangère (dans ce cas la L2) parallèlement à l’enseignement d’autres
disciplines non linguistiques en langue de scolarisation (qui sera ap-
pelée ici L1 et qui peut être ou non la langue maternelle des élèves)
et à l’enseignement d’une (ou plusieurs) langue(s) étrangère(s) (LE).
L’un des objectifs de ce type d’enseignement – mais pas le seul –
est l’apprentissage renforcé d’une ou plusieurs langues étrangères,
donc l’amélioration des compétences linguistiques et culturelles des
élèves3. Cela étant posé, les réflexions menées dans le domaine de
l’enseignement bilingue nous permettent de voir par un « effet de
loupe » en quoi et pourquoi langue et contenu sont étroitement liés
et que l’une ne subsiste pas sans l’autre. Elles peuvent ainsi fournir
une base fiable pour répondre à la question centrale posée par cette
journée d’études  : Quels contenus pour les formations du secteur
LANSAD ?
Après avoir donné une définition détaillée d’enseignement bi-
/plurilingue (EBP)4, nous développerons la notion d’« intégration »
qui constitue un point essentiel de la problématique abordée. Nous
expliciterons les différents sens de cette notion en didactique des
langues étrangères (DLE) : « intégration » dans l’enseignement des
LE, des LE et des DNL et, enfin, la formation des formateurs. Dans
cette partie, nous tenterons de mettre essentiellement l’accent sur
le gain – et par conséquent, sur les différentes formes d’économie –
en termes d’acquisition langagière et de construction de nouveaux
concepts que la « didactique intégrée » apporte à l’enseignement des
langues, en général, et à l’enseignement bilingue, en particulier. Nous
montrerons également que sa mise en place nécessite, en amont, une
formation intégrative et intégrée (Causa, 2007b). Nous terminerons
avec une comparaison entre l’enseignement bilingue et le secteur
LANSAD afin de dégager les points communs et les différences
de ces deux types d’enseignement visant – tant l’un que l’autre –
à la transmission conjointe de la langue et de contenus autres que
linguistiques.
3. Selon, par exemple, la Charte des sections européennes, publiée en janvier 2002
par l’Académie de Versailles.
4. Rappelons que chaque dispositif d’enseignement bilingue est de fait « plurilin-
gue » étant donné qu’à l’enseignement en L1 et L2 se greffe ensuite l’enseignement
d’une (ou plusieurs) langue(s) étrangère(s) comme matière(s). Nous préférons par-
ler d’enseignement bi-/plurilingue, soit EBP.

– 16 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

1. L’enseignement « bilingue »

Pour définir l’enseignement bilingue, nous nous appuierons tout


au long de ce chapitre sur la définition, très connue, de Hamers et
Blanc dans leur ouvrage de référence (1983) et celle de Siguán et
Mackey (1986) :

Définition 1

« Par éducation bilingue nous entendons tout système d’en-


seignement dans lequel, à un moment variable et pendant
un temps et dans des proportions variables, simultanément
ou consécutivement, l’instruction est donnée dans au moins
deux langues dont l’une est normalement la première langue
de l’élève. Une telle définition met l’accent sur l’utilisation de
deux langues comme moyens ou instruments de l’apprentis-
sage et de l’enseignement, même si l’élève acquiert en même
temps une compétence dans la seconde langue. » (Hamers et
Blanc, 1983 : 301)

Définition 2

« Nous appelons éducation bilingue un système éducatif où


l’enseignement est dispensé en deux langues dont l’une est
normalement, mais pas toujours, la première langue des élè-
ves. » (Siguán et Mackey, 1986 : 42)

Ces auteurs excluent ainsi de leurs définitions un certain nombre


de dispositifs qualifiés à tort d’« enseignement bilingue », à savoir :

« Cette définition exclut donc l’enseignement d’une seconde


langue ou d’une langue étrangère en tant que matière scolaire.
[…] nous excluons également les situations où les élèves étu-
dient uniquement dans une langue qui n’est pas leur langue
maternelle. » (Hamers et Blanc, ibid.)
« Quand le système éducatif utilise une seule langue, différente
de la première langue des élèves, il ne correspond pas à la défi-

– 17 –
Les langues dans l’enseignement superieur

nition antérieure et nous ne pouvons pas le considérer comme


un système d’éducation bilingue. » (Siguán et Mackey, ibid.)

C’est-à-dire que l’on ne peut parler d’« enseignement bilingue »


dans les cas où la L2 est matière et non pas moyen d’apprentissages
non linguistiques, ni dans les cas d’« enseignement renforcé » d’une
langue étrangère, ni, enfin, dans les cas dans lesquels la L2 a le statut
de «  langue seconde  » (dans le sens de langue de scolarisation à
part entière)5. De ce fait, sont exclus d’emblée de ces définitions les
programmes d’immersion totale dans lesquels l’enseignement se fait
uniquement dans la L2, de même que les programmes de mise à niveau
linguistique en L2 (ce que l’on appelle dans certains pays l’« année
zéro  »  et qui précède l’entrée dans un dispositif d’enseignement
bilingue). En résumant, les conditions nécessaires pour que l’on
puisse parler d’enseignement bilingue sont la présence simultanée ou
consécutive de (au moins) deux langues véhiculaires (L1 + L2) dans
le curriculum scolaire et l’adaptation des programmes officiels.
N’oublions pas, en effet, que l’élève qui suit cet enseignement doit
avoir acquis, en fin de parcours scolaire, les mêmes contenus qu’un
élève suivant un enseignement traditionnel « monolingue ». À partir
de ces deux conditions de base, les différents types d’enseignement
bi-/plurilingue se construisent autour de trois variables :
1. le début de cet apprentissage (à quel moment se situe-t-il
dans le parcours scolaire ?),
2. la durée de cet enseignement (pour combien de temps  ?
combien d’heures par semaine ? etc.),
3. les proportions attribuées aux langues en question (est-ce le
même nombre d’heures pour chaque langue ? dans quelle
proportion les deux langues sont-elles utilisées à l’école ?
sont-elles utilisées de manière « paritaire » ? etc.).
Il faut enfin distinguer deux contextes différents : d’une part, les
dispositifs bi-/plurilingues mis en place dans des pays ou régions
historiquement/officiellement bilingues ou plurilingues (comme le
Québec et le Luxembourg, ou le Trentin – Haut Adige et le Val

5. Il ne faut donc pas confondre le sigle L2 = Langue 2 (c’est-à-dire la première


langue étrangère qui s’ajoute à la langue maternelle = L1) avec le sigle LS – comme
pour le cas du FLS (Français Langue Seconde) – dans lequel on se réfère à la lan-
gue de scolarisation.

– 18 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

d’Aoste en Italie) et, d’autre part, les dispositifs bi-/plurilingues mis


en place dans des pays officiellement monolingues (avec des objectifs
divers et variés  : sauvegarde/maintien d’une langue minoritaire
comme pour le breton ou le basque en France, apprentissage
« utilitaire » d’une langue à large diffusion comme c’est le cas pour
l’anglais ou encore pour le chinois dans les sections européennes et
orientales en France, etc.). Dans le premier cas, il s’agit en effet d’un
enseignement qui reprend les caractéristiques linguistiques de la
communauté, il se situe au niveau – dirons-nous – social (malgré le
fait que tous les locuteurs de cette communauté peuvent ne pas être
bilingues, comme dans le cas de la Belgique), dans le second cas, il
s’agit plutôt d’un enseignement qui reflète un choix personnel (voire
familial), il se situe ainsi au niveau individuel.

1.1. Enseignement bi-/plurilingue et langues en présence

En prenant plus particulièrement en compte l’aspect linguistique de


l’EBP, c’est-à-dire la présence de (au moins) deux langues véhiculaires
dans le curriculum scolaire, il est clair que l’un des objectifs de ce type
d’enseignement est de mettre en place des stratégies (linguistiques,
communicatives et discursives) bilingues exploitant les langues dont
on se sert en classe (et, dans certaines situations, également en dehors
de la classe), autrement dit, de construire un « espace d’interlocution
bilingue  » en reformulant une notion utilisée par Lüdi (1993)6.

6. La notion d’« espace d’interlocution potentiellement bilingue », qui a été pro-


posée pour la première fois par (Giacobbe, 1992), a été ensuite reprise par (Lüdi,
1993–1994) et adaptée à la situation d’apprentissage d’une langue étrangère. En
analysant les marques transcodiques des apprenants, l’auteur affirme que tant celles
qui sont analysées comme des traces d’un manque de maîtrise dans la langue cible
que celles qui, au contraire, témoignent d’une compétence de locuteur bilingue
en construction, doivent être interprétées comme des phénomènes caractérisant
une situation de communication de contact entre deux (ou plusieurs) langues.
L’auteur soutient cette thèse en soulignant que l’acquisition d’une langue peut
être interprétée comme une forme de bilinguisme naissant. Par ailleurs, il ne faut
pas oublier que même les bilingues compétents ne maîtrisent pas les deux (ou plu-
sieurs) langues de la même façon : le recours à l’autre langue peut être également
une trace de la mise en œuvre d’une stratégie compensatoire. C’est la raison pour
laquelle, étant donné qu’il est ici question de dispositifs officiellement bilingues,
cette notion peut également être utilisée dans le contexte que nous décrivons, mais
en supprimant l’adverbe « potentiellement ».

– 19 –
Les langues dans l’enseignement superieur

D’autre part, à travers l’enseignement de contenus disciplinaires par


le biais de la LE dans des approches de type CLIL, l’enseignement
bi-/plurilingue devrait solliciter la construction d’une compétence
discursive en L1-L27, ce qui constitue, à notre avis, un autre objectif
prioritaire dans ce type d’enseignement.
Si nous insistons sur ces deux points, c’est que, dans certains
contextes et certains dispositifs d’enseignement dits « bilingues » on
dissocie encore8 :
- l’emploi des deux langues en présence en empêchant, par-
là, la mise en place des stratégies bilingues,
- les objectifs de l’apprentissage de la DNL des objectifs
d’apprentissage de la L2 en éludant, entre autres, la mise
en place d’une compétence discursive complexe.
Ces attitudes vis-à-vis de l’EBP constituent deux véritables
paradoxes.
Le fait de séparer la L1 de la L2 ne permet pas la construction
d’une compétence spécifique chez l’apprenant, mais celle de deux
monolinguismes qui s’additionnent sans s’accorder, voire une sor-
te de diglossie (linguistique et disciplinaire), qui dissocie les deux
langues qui – pourtant – circulent dans la classe (et dans certains
cas, également hors classe). Par ailleurs, dissocier les deux langues
montre encore une fois une vision absolument monolingue du bi-
linguisme qui va à l’encontre des principes sous-tendant la mise en
place d’un EBP et, plus largement, d’une « didactique intégrée des
langues ». Ce point de vue limité et limitant, qui s’oppose aux prin-
cipes prônés par les politiques linguistiques éducatives européennes,
devrait être révolu :

« L’enseignement bilingue n’est pas réductible à la somme de


deux enseignements monolingues, qui ferait perdre une gran-
de partie des bénéfices linguistiques et la totalité des bénéfices
culturels et cognitifs disciplinaires. L’enseignement est vérita-
blement bilingue s’il est abordé en deux langues pour tous les
sujets et a priori à tout moment. » (Duverger, 2009 : 26)

7. (Causa, 2009).
8. Nous nous fondons sur les observations de classes bilingues effectuées par les
étudiants de M1 et M2 de Paris 3 (DIFLE) et par nous-mêmes.

– 20 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

D’autre part, si l’un des objectifs est de favoriser chez l’apprenant


la construction de nouveaux concepts (non linguistiques) en LE, ce
type d’enseignement devrait le rendre capable de « parler mathéma-
tiques, histoire, biologie, etc. » avec les moyens linguistiques dont
il dispose. En d’autres termes, il devrait mettre en place une com-
pétence discursive/cognitive qui lui permette de produire un texte
(que ce soit à l’oral ou à l’écrit) conforme aux principes/contrain-
tes du discours des mathématiques, de l’histoire, de la biologie, etc.
En ce sens, le fait de dissocier langue et contenus, va également à
l’encontre des principes de la psychologie cognitive/constructiviste :
« […] la signification d’un mot est à la fois un phénomène verbal
et un phénomène intellectuel », les deux phénomènes ne peuvent,
par conséquent, être dissociés (Vygotski, trad. fr., 1997 : 418). Nous
reviendrons plus longuement sur ce point.

1.2. Trois générations d’enseignement bi-/plurilingue

L’EBP a connu un essor important à partir des années 1970


grâce à la réhabilitation9 du bilinguisme comme phénomène général
de contact des langues. Gajo (2001) distingue trois générations
d’enseignement bilingue10 qu’il est important de rappeler même si la
première génération ne correspond pas à notre propos précisément. La
première génération renvoie principalement au modèle d’immersion
canadienne dont l’objectif était d’améliorer l’apprentissage de L2 et
dont l’orientation didactique était par conséquent avant tout d’ordre
linguistique  : développer chez les apprenants une «  compétence
stratégique  » qui rend la communication «  efficace  » en L2. La
question la plus pressante  concernait, à l’époque, les éventuelles
pertes en L1 à cause d’une scolarisation massive en L2. Ainsi, les
résultats des recherches, notamment ceux de Lambert (1974) sur
les enfants ayant suivi l’enseignement immersif à Montréal au
Canada11, ont montré que l’enseignement en deux langues – loin
d’être néfaste au développement de la L1 et au développement
9. Nous empruntons ce terme à Gardner-Chloros, 1983.
10. Nous procédons ici à une synthèse des propos de Gajo à partir de son ouvrage
de 2001. L’auteur a, plus récemment dans un article de 2006, repris cette typolo-
gie mais en choisissant comme entrée la notion de « problématicité » dans l’emploi
de la L2 dans le processus d’apprentissage.
11. Sur un échantillon de 364 enfants bilingues âgés de 10 ans.

– 21 –
Les langues dans l’enseignement superieur

cognitif de l’enfant – «  n’occasionnait pas de pertes collatérales  »


(Gajo, idem : 10).
La seconde génération – celle qui a été marquée à partir des an-
nées 1990 par les programmes de type CLIL (Content and Language
Integrated Learning) – se caractérise par une intégration langue/
matière – mais, selon l’auteur, la priorité de l’enseignement reste
linguistique : enseigner une DNL en L2 afin d’améliorer l’appren-
tissage de cette langue. Malgré cette orientation didactique encore
centrée sur la langue, on assiste cependant à un changement de pers-
pective important. En effet, on ne s’interroge plus sur les éventuelles
pertes en L1, mais plutôt sur le gain pour la L2 dans ce type d’en-
seignement.
Enfin, avec la troisième génération – représentée par les program-
mes de type EMILE (Enseignement d’une Matière par l’Intégration
d’une Langue Etrangère) – la perspective devient plus clairement
« intégrative » :

« Le passage à la 3e génération marque un intérêt croisé pour la


DNL et les langues (L2 mais aussi L1), leurs liens sont analysés
et les problèmes linguistiques mis sous la loupe au profit de la
discipline d’abord. La notion d’apprentissage intégré, déjà pré-
sent dans la 2e génération, fait du chemin. » (Gajo, 2006b : 6)

C’est la raison pour laquelle EMILE, pour Gajo, doit être


considéré non seulement comme le sigle francophone équivalent de
CLIL, mais avant tout comme un développement ultérieur de ce
dernier.
Dans le tableau ci-dessous, dans lequel nous avons intégré les
commentaires donnés par l’auteur, les caractéristiques de ces trois
générations sont synthétisées (id. : 10-11) :

Désignation Orientation Compétence de Tendance


possible didactique communication méthodologique
1re génération Immersion, Langue Stratégique => se Expérimentale
enseignement débrouiller en L2 => évaluation
bilingue des produits de
l’apprentissage

– 22 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

2e génération Content and Langue Morphosyntaxique Expérimentale


language => aller => évaluation
Integrated au-delà du seuil de des produits de
Learning « débrouillardise » l’apprentissage
(CLIL)
3e génération Enseignement Discipline Discursive Ethnographique
d’une => maîtriser => description
Matière par certains types des processus
l’Intégration de discours et (plutôt
d’une Langue l’organisation qu’évaluation
Etrangère discursive en L2 des produits)
(EMILE)

À travers les trois générations d’enseignement bilingue analysées


par Gajo, on voit apparaître de manière graduelle une forme de plus
en plus complexe d’intégration  : intégration entre les différentes
langues en présence et les DNL.
C’est surtout la distinction qu’il opère entre CLIL et EMILE qui
semble utile sur le plan théorique car elle montre le développement
et l’application/exploitation graduels de la notion d’intégration dans
l’enseignement. Cependant, sur le plan terminologique, on remarque
que, dans les travaux de recherche européens, le sigle CLIL est
majoritairement utilisé pour désigner tout modèle d’enseignement
bilingue intégrant langues et disciplines12. Ainsi, pour désigner cette
approche méthodologique intégrée, nous utiliserons désormais
l’acronyme CLIL comme une sorte d’hyperonyme sans entrer plus
en détails dans des questions d’ordre terminologique.

1.3. L’approche CLIL

Il s’agit d’une approche méthodologique qui intègre deux différents


champs disciplinaires  : langue et autre matière. Cette approche
se fixe ainsi deux objectifs  : apprendre la L2 et les disciplines. En
conséquence, CLIL ne se limite pas à utiliser la langue 2 comme
12. Ainsi que le souligne Coonan (2002, 2006) – par rapport aux nombreux
autres termes utilisés pour désigner les différents programmes bilingues (language
medium teaching, content-based language instruction, content-based bilingual edu-
cation, etc.) – le sigle CLIL a l’avantage, d’une part, de mettre l’accent sur l’ap-
prentissage plus que sur l’enseignement et, d’autre part, sur le lien entre langue et
contenu (p. 73-75).

– 23 –
Les langues dans l’enseignement superieur

instrument de transmission de contenus disciplinaires comme


l’indique le schéma proposé par (Coonan in Serragiotto, 2003, XVI-
XVII) :

D’après ce premier schéma :


- la L2 remplace la L1 comme moyen pour l’enseignement
de contenus non linguistiques,
- les contenus non linguistiques sont un moyen d’atteindre
des objectifs linguistiques précis.
Ainsi, les deux disciplines (la discipline linguistique et la discipline
non linguistique) restent, de fait, séparées.
Quant à l’approche CLIL, elle est bien plus élaborée comme le
montre ce second schéma (ibid.) :

Ce deuxième schéma complexifie le schéma 1 et souligne le


fait que, pour que l’on puisse parler de CLIL, la DNL n’est pas un
prétexte pour apprendre une L2 mais que la L2 est un moyen réel
(un outil de communication effectif ) pour apprendre des contenus
non linguistiques. L’enseignement de la langue doit alors se fixer
des objectifs (concepts, compétences et habilités) propres à la DNL

– 24 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

(ibid.). Le « focus » se déplace de la forme aux contenus que véhicule


cette langue ; ce qui prime ce n’est plus la forme correcte, mais le fait
que le contenu (input) devienne compréhensible malgré un niveau
moyen en L2 (Serragiotto, 2003 : 5). C’est là un principe qui nous
semble essentiel.
Apprendre la biologie, les mathématiques, les sciences de la vie et
de la terre etc. par le biais de la L2 favorise ainsi la mise en place du
principe du « learning by doing », c’est-à-dire « apprendre en faisant ».
Coonan (2002, 2006 : 95) souligne que CLIL actualise une forme
d’intégration entre « apprendre à utiliser la langue » et « utiliser la
langue pour apprendre ». Dans ce type d’approche, la L2 se trouve
davantage contextualisée (à condition toujours que l’input reste
compréhensible) : apprendre une DNL en L2 rend cette langue
immédiatement «  instrumentale  », fonctionnelle, opérationnelle13.
On se sert, en effet, de cette langue dans des situations authentiques de
communication contrairement à ce qui se passe trop souvent dans la
classe de langue dans laquelle la langue étrangère est majoritairement
utilisée dans des échanges/discours semi-authentiques ou fictifs14.
Bien entendu, nous parlons ici de situations de communication liées
à la discipline étudiée et donc plus complexes cognitivement (par
rapport à des situations de communication courantes, c’est-à-dire
celles que l’on traite en classe de langue étrangère tout au moins dans
les premiers niveaux d’apprentissage) et qui se rapprochent de ce que
Cummins (1984, 2003, 2008) qualifie de CALP15.
Les définitions de l’enseignement bi-/plurilingue et de l’approche
CLIL montrent de quelle manière la notion d’« intégration »16 est
centrale dans ce type de dispositif. Il est alors nécessaire de développer/
d’expliciter cette notion et ses différents niveaux d’application dans
le domaine qui est le nôtre.

13. À ce sujet, voir Duverger, 2005a, 2007 et Narcy-Combes, ici-même.


14. « […] il n’est plus à démontrer qu’on apprend mieux une langue quand on
s’en sert – dès le départ – pour apprendre autre chose que cette langue elle-même
[…] » Duverger, 2007 : 86.
15. Rappelons que (Cummins, 1984, 2003, 2008) parle de deux niveaux de com-
pétences : BICS (Basic Interpersonal Comunicative Skills) et CALP (Cognitive Aca-
demic Language Proficiency). Pour une synthèse voir Dabène, 1994 : 134-136, et,
plus récemment, Coonan, 2002, 2006 : 79-90.
16. Le verbe « intégrer » est pris ici dans le sens de « Faire entrer dans un ensemble
en tant que partie intégrante » (Le Petit Robert).

– 25 –
Les langues dans l’enseignement superieur

2. L’« intégration » en didactique des langues étrangères


(DLE) : une notion à expliciter

Le terme « intégration » (avec ses déclinaisons possibles) revient


de plus en plus fréquemment dans les recherches et études menées
dans le domaine de la didactique des langues étrangères en France
et à l’étranger17. En effet, cette expression semble bien illustrer la
complexification du domaine depuis une dizaine d’années, c’est-
à-dire à partir du moment où l’on a porté un nouveau regard
sur l’enseignement/apprentissage des langues. Ce changement
coïncide avec la publication du CECR (2001) et, de manière plus
générale, avec les directives sollicitées par les politiques linguistiques
éducatives européennes, notamment la diffusion des concepts de
« plurilinguisme », de « pluriculturalisme », de « compétence plurielle
et partielle » et de « mobilité ». L’intérêt du terme « intégration »18
réside dans le fait qu’il peut s’appliquer/s’adapter à différents niveaux/
moments/situations du processus d’enseignement/d’apprentissage/
de formation d’une langue étrangère. On peut ainsi parler de :
- didactique intégrée des langues (DIL),
- didactique intégrée des langues et des disciplines non lin-
guistiques (par exemple, les approches CLIL et EMILE),
- formation initiale (et continue) intégrative et intégrée19.
Les trois domaines sont bien évidemment imbriqués. Cependant,
nous pouvons en délimiter quelques spécificités. Ainsi, certains
auteurs utilisent majoritairement cette notion dans le domaine de
l’enseignement des langues étrangères (Roulet, 1980, Cavalli, 2005,
Wokusch, 2005 et 2008, Beacco & Byram, 2007, Coste et alii, 2007,
de Pietro,  2005 etc.), d’autres, essentiellement pour expliciter la
spécificité et les objectifs de l’enseignement bi-/plurilingue (Cavalli,

17. Nous nous appuierons plus particulièrement sur les recherches/expériences


menées en Italie, en France et en Suisse.
18. D’autres termes sont utilisés pour exprimer le même concept. Par exemple,
Candelier, 2005, parle de « synergie » entre les apprentissages linguistiques (2005 :
426) ou encore Beacco & Byram emploient le terme de « convergence » (2007 :
115).
19. Pour la formation initiale à un enseignement intégré en langues et DNL,
Serragiotto parle ainsi de CILT (Content and Langage Integrated Teaching) calqué
sur CLIL (2003 :63).

– 26 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

id.; Coste, 2005 et 2006, Duverger, 2004, Gajo, 2001 et 2006, etc.),


d’autres enfin l’emploient plus particulièrement dans le domaine de
la formation initiale et continue des enseignants de langues (Beacco
& Byram, 2007, Causa, 2007a/b et 2010, Duverger, 2005 et 2007,
Serragiotto, 2003, Coonan, 2002, etc.).
Le dénominateur commun entre les différentes formes d’intégration
est l’idée que – toujours dans une perspective plurilingue – il n’est
plus possible de penser aux langues (et également aux dimensions
langagières des disciplines non linguistiques) comme à des ensembles
isolés. On pourrait même dire que la notion d’« intégration » devient,
en quelque sorte, la clé de voûte de la mise en place d’une véritable
éducation au(x) plurilinguisme(s) à l’école20.
Dans les trois sous parties qui suivent, nous essaierons de détailler
les trois formes d’intégration évoquées : l’intégration entre les
langues (L1 et L2, L3,…), l’intégration langue/contenu et, enfin,
l’intégration dans la formation des enseignants.

2.1. Intégration et enseignement des langues

La didactique intégrée des langues21 (désormais DIL) n’est pas


un concept nouveau. Ainsi que le souligne Wokush (2005),
l’enseignement traditionnel des langues s’appuyait sur une description
grammaticale empruntée à l’enseignement des langues mortes, ce qui
peut déjà être interprété comme une forme de didactique intégrée
«  malgré des problèmes évidents dus aux différences structurelles
entre langues anciennes et modernes  » (idem  : 14). Selon elle, ce
sont les approches méthodologiques des années 1950 d’inspiration
béhavioriste (notamment la méthode audio-orale) qui ont favorisé
un enseignement cloisonné des langues et ont ainsi exclus la LM de
l’enseignement des LE. Cette position semble être partagée :
« La notion de synergie entre les apprentissages linguistiques
est à l’antipode même du principe de l’isolement de chacune
des langues en cours d’apprentissage qui a constitué un
fonds permanent dans la doxa pédagogique en matière de

20. Sur ce sujet, voir par exemple Coste et alii, 2007 et Beacco & Byram, 2007.
21. En entendant par là non seulement la langue maternelle et les langues étran-
gères enseignées/apprises à l’école, mais également la langue (les langues) de sco-
larisation.

– 27 –
Les langues dans l’enseignement superieur

langues pendant les trois quarts du siècle dernier, qu’elle


se soit présentée sous les habits de la méthode directe (qui
bannissait la traduction) ou du behaviourisme (qui ne voyait
dans les transferts de langue à langue que des interférences
perturbatrices » (Candelier, 2005 : 426)

Rappelons que l’objectif de l’analyse contrastive sur laquelle se


basaient les méthodologies d’origine béhavioriste était d’éviter
toute interférence entre langue maternelle et langue étrangère. En
conséquence :
« […] apprendre une nouvelle langue, c’est d’abord se libérer
de la première (ou plus généralement de toutes celles qui ont
été apprises préalablement).
Parler de libération, c’est bien sûr porter un jugement néga-
tif sur toute forme de réutilisation des habitudes de la langue
source dans l’apprentissage de la langue cible » (Py, 1984 : 33)

D’autre part, déjà dans les années 1930, si Vygotski distinguait le


processus d’assimilation de la langue maternelle de celui de la langue
étrangère, il insistait également sur les points communs entre ces
deux formes d’apprentissage22 :
«  [une langue étrangère] est assimilée dans un tout autre
système de conditions internes et externes, ce processus
d’assimilation d’une langue étrangère présente des traits qui
différent très profondément de ceux qui se manifestent au cours
de l’assimilation de la langue maternelle. Des développements
qui s’effectuent selon des voies différentes, dans des conditions
différentes, ne peuvent aboutir à des résultats parfaitement
identiques. […] Mais ces différences, si profondes soient-
elles, ne doivent pas nous masquer que ces deux processus
d’assimilation de la langue maternelle et de la langue étrangère
ont entre eux tant de points communs qu’ils appartiennent
au fond à une classe unique de processus de développement
verbal […] » (Vygotski, 1997 : 294)

Le rôle que joue la langue maternelle dans l’apprentissage de la


langue étrangère est également souligné :

22. Ces principes ont été dernièrement repris et commentés par Bange (2005).

– 28 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

«  L’assimilation d’une langue étrangère est aussi […] un


processus original, car elle utilise tout l’aspect sémantique de la
langue maternelle, qui est le résultat d’un long développement.
L’apprentissage d’une langue étrangère s’appuie donc sur la
connaissance de la langue maternelle. » (id. : 295)

En ce qui concerne les politiques linguistiques éducatives euro-


péennes, le Conseil de l’Europe, dès 1972, lors d’un symposium or-
ganisé à Turku, en Finlande, a vivement recommandé l’intégration
de l’enseignement de la langue maternelle et des langues étrangè-
res23. Les principes exposés dans ce symposium seront repris quel-
ques années plus tard par Roulet dans l’ouvrage Langue maternelle
et langues secondes  : vers une pédagogie intégrée24. Voici comment
l’auteur introduit ce thème :
«  Cet ouvrage apparaît, paradoxalement, aussi inutile qu’in-
dispensable. Inutile, parce que la thèse qu’il développe, la
nécessité d’intégrer les pédagogies de langue maternelle et de
langues secondes, n’est pas nouvelle et n’est généralement plus
contestée, au point que certaines de nos affirmations paraî-
tront banales. Indispensable, parce que cette thèse, aussi évi-
dente soit-elle en théorie, ne cesse d’être démentie par les pra-
tiques des autorités en matière d’éducation, d’enseignement,
voire des linguistes appliqués, et que cette situation constitue
un obstacle sérieux à un renouvellement efficace de la pédago-
gie des langues. » (1980 :7)

Roulet met l’accent sur trois points essentiels :


- le paradoxe de travailler la langue maternelle et les langues
étrangères comme des ensembles isolés et, par conséquent,
sans travail d’équipe entre les enseignants. Selon lui, ce
manque de collaboration entre les deux enseignements
peut être « dangereux » pédagogiquement parlant et, qui
plus est, le fait que l’on aborde des notions semblables sans
aucune cohérence, peut dérouter l’apprenant, alors qu’un
travail de concertation entre les deux (ou plusieurs) péda-
gogies pourrait permettre – là où cela s’avère possible – une

23. Voir à ce propos Roulet (1980 : 8) et Cavalli (2005 : 194 et sqq.).


24. L’auteur utilise « langue seconde » dans le sens de « langue étrangère ».

– 29 –
Les langues dans l’enseignement superieur

intégration au niveau de la terminologie, des types de défi-


nitions, des explications, du métalangage, etc. (p. 17).
- la relation entre la connaissance de la LM et l’apprentissage
d’une LE en soulignant le fait que la connaissance du sys-
tème et du fonctionnement de la LM facilite l’apprentissage
de la langue étrangère chez l’enfant. Il propose ainsi de faire
intervenir dans l’étude de la langue étrangère les instru-
ments/outils que l’élève a déjà découverts/acquis en LM :

«  Ce qui importe, pour nous, c’est que l’étude de la langue


maternelle devienne le lieu privilégié de la découverte des
principes qui commandent le système et le fonctionnement
de toute langue et de l’acquisition des instruments propres
à favoriser cette découverte, ouvrant ainsi la voie à la
compréhension et à la maîtrise, non seulement de la langue
maternelle, mais aussi des langues secondes. » (p. 117)

- l’interdiction – courante – de références à la langue


maternelle en classe de langue étrangère, interdiction que
l’auteur commente comme suit :

« Conception curieuse et pour le moins répressive de l’appren-


tissage, qui soulève deux questions : 1. l’enseignement a-t-il
effectivement les moyens d’imposer à l’apprenant des straté-
gies d’apprentissage contraires à celles que celui-ci met en œu-
vre spontanément ? 2. et si, comme on peut le penser, l’ensei-
gnant s’illusionne en s’attribuant un tel pouvoir, ne devrait-il
pas, faute d’être capable de bloquer les stratégies spontanées
de l’apprenant, s’appuyer sur celles-ci ? » (p. 23)

Les remarques avancées par Roulet sont toujours d’actualité


trente ans plus tard. Ce manque d’évolution – déjà évoqué par
l’auteur et que nous observons encore aujourd’hui – concerne avant
tout l’application dans l’enseignement des langues de notions/
méthodologies qui ont fait leurs preuves depuis bientôt une vingtaine
d’années et qui ont montré de quelle manière une approche plus

– 30 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

décloisonnée dans l’enseignement des langues est faisable25. Par


exemple, Coste souligne que :
«  Lorsque des projets de convergence existent, ils prennent
avant tout la forme de tentatives de pédagogie intégrée, vi-
sant soit à une relative harmonisation des métalangages, soit
à une sorte de coordination des progressions, soit, de manière
plus ambitieuse, à la mise en place d’instruments heuristiques
d’analyse et de réflexion qui puissent valoir quelle que soit
la langue. Il est en revanche exceptionnel que l’apprentissage,
disons, d’une seconde langue étrangère se réfère ou s’articule
en quelque façon, différentiellement ou non, à celui de la pre-
mière. » (Coste, 2005 : 411)

De même, les pratiques de classe relatives à une didactique


intégrée des langues n’ont pas vraiment évolué contrairement à
ce que la recherche prône depuis une vingtaine d’années. Pour ce
dernier point, mentionnons plus particulièrement les nombreuses
recherches menées en France à partir des années 1990 sur l’emploi
de l’« alternance codique » en classe de langue étrangère26, recherches
qui ont (dé)montré les avantages didactiques et cognitifs relatifs aux
passages «  didactisés  » d’une langue à l’autre en classe de langue
étrangère et qui ont permis de parler de l’alternance codique comme
une stratégie d’enseignement/apprentissage à part entière27. Or, force
est de constater que, de nos jours encore, la plupart des enseignants
et aussi des formateurs restent fortement opposés à cette pratique.
Cependant, malgré ces critiques, les travaux menés au sein du Conseil
de l’Europe28 (notamment la Division des Politiques linguistiques de
Strasbourg et le Centre Européen des Langues Vivantes de Graz)
25. Nous pensons notamment aux programmes d’éveil aux langues Evlang et Ja-
nua Linguarum soutenus par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe (www.
coe.int; www.ecml.at) ou encore aux programmes d’intercompréhension des lan-
gues, notamment en France les programmes Galatea et EuRom4. Ces program-
mes, qui ont vu le jour dans les années 1990, mettent déjà en pratique l’idée de
« compétence partielle et plurielle » développée dans le CECR.
26. Par exemple : Simon, 1992 et 1997, Dabène, 1994, Moore, 1996, Castellotti
et Moore, 1997, Castellotti, 2001, Causa, 1997, 1998 et 2002.
27. Causa, 1998 et 2002.
28. Le CECR, mais aussi dans le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques
éducatives en Europe, Beacco & Byram, 2007 et Un document européen de référence
pour les langues de l’éducation ? Coste et alii, 2007.

– 31 –
Les langues dans l’enseignement superieur

diffusent la notion de « plurilinguisme » et celle de « compétence


partielle et plurielle ». De ce fait, on peut observer que les principes
d’une « didactique intégrée des langues » sont davantage discutés dans
les colloques et journées d’étude. Cela n’empêche pas la persistance
d’une contradiction :
« La reconnaissance des processus d’internationalisation et de
mondialisation conduit à mettre l’accent, dans les systèmes
éducatifs et la formation permanente, sur l’importance de
l’apprentissage des langues […].

D’un autre côté, l’enseignement des langues étrangères durant


la scolarité obligatoire suit encore très largement des politiques
traditionnelles :
- les langues sont traitées comme les autres matières en
termes d’horaires, d’organisation de l’emploi du temps,
de contrôle et de certification, comme si elles étaient des
disciplines comme les autres
- les langues entrent en compétition avec les autres matières
pour l’emploi du temps et l’attention de l’apprenant
- les langues différentes sont traitées comme des matières
séparées et entrent en concurrence dans les horaires et les
programmes
- les langues étrangères entrent en concurrence avec les
langues régionales et minoritaires
- jusqu’à récemment, les langues ont été exclues des
programmes de l’enseignement primaire à cause de leur
coût, mais aussi par crainte que leur apprentissage n’interfère
avec l’acquisition de la (ou des) langue(s) nationale(s).  »
(Beacco & Byram, 2007 : 15)

Nous reportons ci-dessous deux définitions récentes qui donnent


un éclaircissement sur ce qu’on entend aujourd’hui par DIL. Pour
Candelier, la DIL – avec l’approche interculturelle, l’intercompré-
hension des langues parentes et l’éveil aux langues – contribue à la
mise en œuvre/diffusion des principes de «  plurilinguisme  » et de
« pluriculturalisme » :
«  Par didactique intégrée des langues apprises, on entend
généralement l’établissement de liens entre un nombre limité

– 32 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

de langues (et de cultures), celles dont on vise l’apprentissage


[…] dans un cursus scolaire. Le but est alors de prendre appui
sur la langue maternelle (ou la langue de l’école) pour faciliter
l’accès à une première langue étrangère, puis sur ces deux
langues pour faciliter l’accès à une seconde langue étrangère,
etc. (et vice-versa) » (Candelier, 2005 : 428)

Plus récemment, un document publié par le Conseil de l’Europe


définit la «  didactique intégrée des langues  » de manière très
détaillée :
« […] la didactique intégrée des langues (DIL) permet d’assurer
l’élaboration et la réalisation d’un curriculum linguistique
unitaire, pensé et projeté comme un tout. Elle se fonde sur un
juste équilibre entre la prise en compte des différences existant
entre les processus d’acquisition d’une L1, d’une L2 ou d’une
LE et la conscience que ces processus présentent de grandes
affinités du point de vue psycho–linguistique.

La DIL se donne deux finalités […] évoquée ci-dessous :


- faciliter les apprentissages des différents systèmes linguis-
tiques dans une optique de renforcement réciproque en
exploitant pédagogiquement leurs fondements communs
(système opérationnel commun et/ou compétence com-
mune sous-jacente) ;
- favoriser, anticiper dans le temps, conscientiser, rendre sys-
tématiques et automatiser, par un étayage pédagogique ef-
ficace, des processus mentaux « interlangues » qui peuvent
avoir (ou ne pas avoir lieu), spontanément et de manière
inconsciente, dans l’esprit des apprenants. 
[…] Loin de représenter une homogénéisation linguisti-
que, la DIL s’appuie, en effet, sur un juste équilibre de
réflexion et de travail sur les analogies et sur les différences
interlinguistiques, l’«  intégration  » devant s’accompagner
d’une « différenciation concertée ».
Il serait limitatif de cantonner la DIL à la réflexion
métalinguistique et à une analyse contrastive qui ne
toucherait que les aspects grammaticaux ou orthographiques,
alors qu’elle peut profitablement investir tous les aspects de

– 33 –
Les langues dans l’enseignement superieur

l’acquisition langagière, y compris et surtout les processus


de haut niveau qui exploitent le système opérationnel
commun et la compétence commune sous-jacente (CALP).
Les enjeux les plus porteurs de la DIL se situent sans doute
là où résident les processus cognitifs (analyse, synthèse,
évaluation) et les compétences langagières de plus haut
niveau (signification sémantique et fonctionnelle) qui
représentent les dimensions transversales majeures des
langues et qui sont à la base du développement cognitif et
langagier plus avancé. » (Coste et alii, 2007 : 70-71)

Cette définition met non seulement en évidence le lien étroit


entre méthodologie, curriculum et formation, mais elle se rapproche
des 6 principes de base de la DIL évoqués par (Wokusch, 2008 :
12-14)29 :
1. Curriculum diversifié et coordonné.
2. Développement de compétences fonctionnelles efficaces
dans chaque langue enseignée.
3. Cohérence et continuité des démarches proposées aux élè-
ves.
4. éveil au langage et ouverture aux langues (EOLE), diversité
linguistique et culturelle, questions d’identité culturelle.
5. Exploitation du potentiel de transfert des savoir-faire lan-
gagiers généraux et des processus de haut niveau.
6. Développement de stratégies de communication et d’ap-
prentissage efficaces chez les élèves.

À ces six principes, on peut ajouter l’impact que la DIL peut


avoir dans l’évolution/modification/relativisation des représentations
concernant le(s) statut(s) des langues (Cavalli et Matthey, 2009) et
cela tant du côté des enseignants que du côté des apprenants.
À partir de ces principes, la DIL met en place une économie
cognitive et une économie didactique de par le processus de
complexification qu’elle sous-tend.

29. En Suisse romande, la DIL est appliquée dans l’enseignement obligatoire. Pour
plus de détails voir la Déclaration de la CIIP relative à la politique de l’enseignement
des langues en Suisse romande, du 30 janvier 2003 (www.ciip.ch).

– 34 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

2.2. Intégration et enseignement bi-/plurilingue

La seconde forme d’intégration est plus complexe que la première.


Il s’agit en effet d’intégrer deux ordres de savoirs  : les savoirs
linguistiques et les savoirs disciplinaires. Pour comprendre cette
forme d’intégration, il faut expliciter le lien qui existe entre le mot
et la formation des concepts. Séparer/isoler la langue du contenu
est quelque chose de complètement artificiel étant donné que les
contenus ne peuvent exister sans passer par la parole et la parole
serait vide sans les contenus, ce qu’a développé (Vygotski, op. cit.)
en expliquant le processus développemental complexe qui articule
le mot au concept (scientifique) et le concept au mot, processus
qui a été ensuite analysé par de nombreux auteurs pour expliquer
l’acquisition d’une langue étrangère30.
Notre propos n’est pas ici de faire une synthèse complète
des chapitres traitant de cette problématique, nous voudrions
juste rappeler un principe de base touchant l’articulation langue/
contenu, principe qui peut être utile pour préciser quelques aspects
caractérisant l’enseignement d’une DNL par le biais d’une L2.
Selon Vygotski, le mot a un rôle capital dans la formation et
l’apparition de concepts31 :
« […] l’utilisation fonctionnelle du mot ou d’un autre signe
comme moyen de diriger activement l’attention, de différen-
cier et de dégager les traits caractéristiques, de les abstraire et
d’en faire une synthèse est une partie fondamentale et indis-
pensable du processus de formation des concepts dans leur
ensemble. » (Vygotski, trad. fr. 1997 : 206)

L’auteur montre ensuite la relation étroite qui s’établit entre


l’apprentissage d’une LE, la connaissance approfondie de la langue
maternelle et la capacité d’abstraction :

30. Voir, par exemple, Matthey, 1996, Cavalli, 2005, Gaonac’h, 1987–2004,
2006, ou encore plus récemment Bange, 2005.
31. Voir plus particulièrement les chapitres 5 et 6. Rappelons que pour l’auteur le
mot est au début une généralisation élémentaire et le concept est un acte de généra-
lisation élevé. Plus précisément, c’est le mot qui devient graduellement une géné-
ralisation plus élevée jusqu’à arriver à formation de « véritables concepts » p. 276.

– 35 –
Les langues dans l’enseignement superieur

«  […] la langue étrangère exerce en retour une influence


sur la langue maternelle de l’enfant. Goethe l’avait fort bien
compris, lui qui disait que qui ne connaît aucune langue
étrangère ne connaît pas vraiment la sienne. Les recherches
confirment entièrement cette idée de Goethe, car elles
montrent que la maîtrise d’une langue étrangère élève aussi
la langue maternelle à un niveau supérieur en ce sens que
l’enfant prend conscience des formes linguistiques, qu’il
généralise les phénomènes verbaux, utilise plus consciemment
et plus volontairement le mot en tant qu’instrument de la
pensée et expression du concept. […] On a toutes les raisons
de supposer que des rapports analogues existent entre le
développement des concepts quotidiens et celui des concepts
scientifiques. » (p. 295-296)

Ces deux citations précisent le lien entre le mot et le concept,


mais également entre la LM et la LE et les opérations de «  haut
niveau  » et constituent la base conceptuelle à partir de laquelle
des objectifs propres à l’enseignement bi-/plurilingue et à celui du
secteur LANSAD devraient être construits. Le cadre serait celui de
l’intégration langue/contenu caractéristique des approches CLIL
et EMILE et, plus particulièrement, de la troisième génération
de l’enseignement bi-/plurilingue qui – rappelons-le – réalise une
« didactique articulée ou transversale. » (Gajo, 2001 : 11).
Pour expliciter de quelle manière peut se mettre en place cette
seconde forme d’intégration, nous nous fonderons sur l’expérience
de l’enseignement bilingue du Val d’Aoste que l’on peut considérer
comme l’un des modèles les plus « performants » d’enseignement
bi-/plurilingue. Rappelons que ce modèle trouve l’une de ses assises
théoriques dans le domaine de la psychologie constructiviste,
notamment dans les théories de Vygotski32. Il faut toutefois
brièvement rappeler le contexte linguistique scolaire spécifique du
Val d’Aoste33. Dans l’enseignement bilingue valdôtain, les deux
langues officielles – l’italien et le français – sont idéalement utilisées

�����������������
. Cavalli, 2005.
33. Cavalli, (id.).

– 36 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

de manière paritaire et non cloisonnée34. Plus particulièrement à


l’école primaire et à l’école moyenne (l’équivalent du collège en
France) l’une des pratiques les plus diffuses est l’emploi de l’alternance
codique « programmée » en classe dans un même cours35. Cependant
si l’emploi de l’alternance codique est spontané en classe, c’est qu’il
reflète ce qui se passe aussi en-dehors de la classe grâce au répertoire
souvent plurilingue des locuteurs valdôtains36. Son utilisation
est alors naturelle et s’actualise selon deux formes d’alternance
codiques : la macro-alternance, c’est-à-dire les passages programmés
d’une langue à l’autre et la micro-alternance où les passages d’une
langue à l’autre sont ponctuels et non programmés :
« Par alternance nous référons aux passages d’une langue à l’autre
(L1 vs L2), qui peuvent se réaliser soit sur la forme de macro
alternances, lorsqu’on a affaire à des alternances programmées,
par exemple pour réaliser différentes phases d’une séquence
didactique bilingue, soit sous forme de micro alternances,
lorsque le changement de langue se situe à l’intérieur d’un
même discours ou entre les discours des partenaires de la
communication. » (Gajo et Serra,1997-1998 : 7)

Ainsi, notre point de vue est qu’un enseignement qui se veut


bilingue doit s’appuyer sur l’emploi de ces formes d’alternance
car elles participent au développement de stratégies bilingues
chez l’enseignant et chez l’apprenant. À partir de ces deux types
d’alternances présentes dans l’enseignement au Val d’Aoste, dans

34. Bien que la présence des deux langues à l’école de manière paritaire et pour
l’enseignement de disciplines autres que linguistiques remonte à la Constitution de
1946, les années 1970 marquent le passage « officiel » de l’enseignement du français
à l’enseignement en français. Par ailleurs, les programmes ne fournissent aucune
suggestion méthodologique concernant l’emploi des deux langues en classe.
35. Pour une explication détaillée des différentes phases de l’adaptation et de l’ap-
plication d’un enseignement bilingue au Val d’Aoste ainsi que des recherches–ac-
tions successives, nous renvoyons à l’article de (Decime, 2000) et aux ouvrages de
(Cavalli, 1998 et 2005).
36. Le Val d’Aoste est de fait un pays plurilingue (italien, français, franco–proven-
çal, walser et piémontais , langue de l’immigration passée et plus récente). Tous
les habitants de la région ne parlent pas quatre langues, mais aucun n’est mono-
lingue. Ainsi, malgré le fait que l’italien soit la langue dominante, les habitants
du Val d’Aoste sont habitués à passer d’une langue à l’autre dans des situations de
communication ordinaires.

– 37 –
Les langues dans l’enseignement superieur

un contexte non officiellement bilingue qui propose des dispositifs


d’enseignement bi-/plurilingue, il est nécessaire d’ajouter une
troisième forme d’alternance. Nous avons ainsi proposé une
distinction entre :
- la macro-alternance, c’est-à-dire le fait de choisir des DNL
dans une langue et des DNL dans l’autre. Ces alternances
sont alors programmées par l’établissement en fonction par
exemple de la demande et des ressources disponibles,
- l’alternance séquentielle, c’est-à-dire l’emploi des deux
langues dans un même cours pour des activités/supports
différents (qui équivaut à la macro-alternance au Val
d’Aoste). Cette alternance est programmée sur le plan
didactique.
- la micro-alternance (le second emploi cité pour le Val
d’Aoste) (Causa, 2007a et Duverger, 2009).

Quels que soient les différentes formes des passages d’une


langue à l’autre en classe selon les contextes sociolinguistiques,
nous voudrions insister sur le fait que l’emploi articulé et didactisé
des deux langues en classe (L1 et L2) demande un investissement
cognitif important de la part des apprenants qui doivent construire
les concepts disciplinaires avec les deux langues, et de la part des
enseignants de disciplines linguistiques (DL) et non linguistiques
(DNL) qui doivent, eux, créer des passerelles « didactiques » entre les
contenus, la L1 et la L2. Mais si le travail intégratif est considérable
en amont et l’effort cognitif est important en aval, il est possible de
parler d’économie cognitive et d’économie didactique.

2.2.1. Intégration et « économie cognitive »


Traiter et construire des savoirs en deux langues demande la
construction de passerelles entre L1 et L2 et de concepts dans les
deux langues, c’est-à-dire – comme il l’a été souligné plus haut –
l’actualisation d’une didactique intégrée des disciplines linguistiques
et des disciplines non linguistiques. L’enseignement d’une DNL
par le biais d’une L2 doit, de ce fait, encourager la mise en place
de stratégies de transfert de savoirs et de savoir-faire d’ordre à la
fois linguistique et disciplinaire. Ces transferts, qui se font dans
l’interaction enseignant-apprenants par le biais de la langue, sont

– 38 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

initialement «  sollicités, guidés, assistés  » (Cavalli, 2003  : 36) par


l’enseignant et vont progressivement donner lieu à des transferts
« automatisés, spontanés, autonomes » (ibid.) chez les apprenants37.
Plus particulièrement, l’emploi réfléchi et programmé de
l’alternance codique – que l’on peut aussi appeler d’après (Jakobson,
trad. fr., 1963 : 79) « reformulation interlinguale » – agit sur trois
plans :
- le plan de la conceptualisation, la reformulation des
concepts dans les deux langues aide à l’abstraction et enri-
chit la construction des nouveaux savoirs disciplinaires (cf.
supra),
- le plan linguistique, la reformulation mène à une réflexion
métalinguistique et translinguistique opératoire  entre les
langues en présence et, également, entre les langues com-
posant les répertoires linguistiques, cette réflexion «  com-
posite  » participant au développement d’une conscience
(méta)-linguistique,
- le plan disciplinaire, la reformulation induit une réflexion
plus pointue sur les typologies linguistico-discursives pro-
pres à chaque discipline, mais également sur les spécificités
de chaque discipline (Cavalli, 2005, Causa, 2009b).

De plus, sur le plan de la motivation, la mise en place d’une


démarche comparative L1/L2 peut servir de levier en ce sens que
les deux langues sont convoquées de manière régulière et spontanée
dans la construction des différents types de savoirs (Hanse, 2000 :
155).
L’expérience valdôtaine a ainsi mis l’accent sur un certain nombre
de phénomènes très intéressants : la « défamiliarisation », l’« éclairage
réciproque  » et l’«  enrichissement conceptuel  » (Cavalli, 2003a,
2003b, 2005).
Défamiliarisation : la L2 permet de créer une distance entre le lan-
gage quotidien et le langage propre aux disciplines, donc au langage
de spécialité, et aussi une attention majeure sur la construction de
nouveaux concepts. La formulation de nouveaux concepts en langue

37. Ce processus menant à l’autonomisation de l’apprenant renvoie clairement


à la notion d’«  interaction de tutelle  » chez Bruner, 1983, ainsi qu’à la notion
de « zone proximale de développement » chez Vygotski, trad. française 1997.

– 39 –
Les langues dans l’enseignement superieur

maternelle peut souvent donner une « illusoire impression de com-


préhension aisée de par sa familiarité » (Cavalli, 2003b : 9): aborder
de nouveaux concepts en L2 aide en revanche à créer une distance
entre le langage quotidien et le langage de spécialité, distance qui
favorise chez l’apprenant une attention/concentration renforcée.
Éclairage réciproque  : lorsque – malgré la proximité des deux
langues comme dans ce cas précis – un mot/une expression restent
obscurs, passer d’une langue à l’autre (de la L1 à la L2 et vice versa)
peut avoir un effet explicatif comme dans les exemples ci-dessous
dans lesquels la difficulté sémantique d’un terme peut être dépassée
grâce au recours à l’autre langue :

italien1 français
- Il guidrigildo Le prix du sang
- La faida Le droit de vengeance
- Lo spazzacamino Le ramoneur
- Il lungomare Le quai
1. Les trois premiers exemples sont tirés de (Cavalli, 2003a).

Par exemple, pour le mot « spazzacamino » (3) et son équivalent


en français « ramoneur », le terme le plus opaque est celui en français
(L2). Le terme en italien aide ainsi à la compréhension car, si l’on
décompose, il traduit le concept de manière littérale : « spazzare »
(balayer) plus «  camino  » (cheminée). Ainsi, les passages d’une
langue à l’autre évitent certes des explications complexes, mais
elles permettent également un travail étymologique/culturel sur la
différente origine des mots.

- Enrichissement conceptuel  : la comparaison simultanée


des deux langues peut apporter au nouveau concept des
nuances, une complexité que l’emploi d’une seule langue
ne consentirait pas :

italien2 français
(1) Secca/piena Crue/décrue
(état) (phénomènes dynamiques)
(2) Cresta dell’onda Creux de la vague
(partie supérieure de la vague) (partie inférieure de la vague)

– 40 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

(3) Servizio assistenza (littéralement : Service après-vente


service assistance) (l’accent est mis sur la suite logique
des actions : la vente, puis l’après-
vente)
(4) Oggetti smarriti Objets retrouvés
(littéralement : objets perdus, (l’accent est mis sur ce qui s’est passé
l’accent est mis sur ce qui s’est en aval)
passé en amont)
(5) Partigiano Maquisard

2. Le premier exemple est tiré de Cavalli, 2003a, et le cinquième de Gajo, 2006b.

Ici, le mot italien « partigiano » et son équivalent en français


« maquisard » ont des origines complètement différentes.
En italien « partigiano » renvoie à quelqu’un de partial, qui
prend parti en faveur de/soutient un courant politique.
Son origine vient du mot «  parte  » (part/partie) plus le
suffixe –igiano qui souligne l’appartenance à une catégorie
professionnelle (sur le modèle de « artigiano » = « artisan »).
En français, au contraire, le mot « maquisard » indique le
lieu dans lequel les résistants se cachaient ; plus exactement :
« lieu peu accessible où se regroupent les résistants »38.
À travers ces quelques exemples, on remarque que disposer des deux
termes équivalents pour le même mot, apporte un plus sur le plan de
la compréhension et sur le plan de la construction des concepts. Le
fait de pouvoir s’appuyer sur les deux langues rend ainsi la construc-
tion du concept plus aisée et sa compréhension plus élargie.

Les trois phénomènes que nous venons de présenter permettent de


comprendre en quoi consiste l’économie cognitive : l’emploi parallèle
des deux langues sollicite la construction des concepts disciplinaires
simultanément sans passer par des procédés plus coûteux comme
la répétition successive L1/L2, il évite aussi le danger de créer des
cloisonnements entre les langues et de mettre en place une sorte
de diglossie entre les DNL (par exemple, parler mathématiques en
français et non en italien et parler biologie en italien mais non en
français, etc.).

38. Selon le dictionnaire Le Petit Robert.

– 41 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Dernier point – et non le moindre – le fait de mettre en parallèle


les deux langues de manière didactisée fait prendre conscience aux
apprenants, ainsi qu’aux enseignants, que chaque langue véhicule un
certain type de contenus et que chaque langue organise/expose les
contenus selon une logique qui lui est propre.

2.2.2. Intégration et « économie didactique/pédagogique »


Nous n’explorerons pas davantage l’économie didactique/
pédagogique relevant de l’intégration des langues et des DNL
dans l’enseignement bi-/plurilingue telle qu’elle a été décrite par
les chercheurs sur l’approche CLIL, en général et sur le modèle
valdôtain, en particulier. En effet, les principes de ce type d’économie
apparaissent déjà clairement dans les principes que nous avons
évoqués en 2.1 concernant plus précisément la DIL. Cependant,
il est important de remarquer que cette forme d’économie est
plus complexe dans l’EBP que dans un enseignement de type
« traditionnel » étant donné qu’elle doit prendre en compte, dans ce
contexte précis, à la fois les disciplines linguistiques et les disciplines
non linguistiques. Pour se réaliser, cette économie demande alors un
travail d’équipe plus important, il s’agit en effet d’une « pédagogie
intégrée » sur trois niveaux :
- entre disciplines linguistiques (DL),
- entre DNL,
- entre DNL et DL.
Dans le document déjà cité de Coste et alii. (2007), les différents
niveaux d’intégration entre les disciplines linguistiques, les disciplines
non linguistiques et entre DL/DNL sont visualisés comme suit :

– 42 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

Plus précisément, pour ce qui est de la transversalité linguistico-


cognitive :

« La rationalisation dans cette aire présuppose une collabora-


tion interdisciplinaire – étroite et réfléchie – entre les ensei-
gnants de DNL et leurs collègues de DL en vue de l’intégra-
tion entre langues et contenus disciplinaires et pour définir
leurs rôles respectifs sur un certain nombre de questions : les
apports de connaissances langagières, la réflexion et la concep-
tualisation métalinguistique, le rapport à la norme et la ges-
tion des erreurs …. » (Coste et alii, 2007 : 72)

Elle devient ainsi le lieu d’une véritable « pédagogie du projet »,


c’est-à-dire de l’élaboration de projets pédagogiques interdiscipli-
naires.
Ce travail collaboratif entre enseignants permet à terme d’éviter les
redondances et de miser davantage sur les transferts de connaissances/
compétences  linguistiques et disciplinaires39, il encourage aussi la
mise en place d’un travail complexe sur différents types de savoirs :
- les savoirs (linguistiques et disciplinaires),
- les savoir-faire,
- les savoir-être,
- les savoir-apprendre,
- et aussi – à notre avis – le « savoir-enseigner ».

Cependant la réalisation d’une telle forme d’intégration demande


beaucoup d’investissement professionnel et personnel :

« Rappelons que toute collaboration interdisciplinaire requiert


un changement profond chez les enseignants et le passage
d’une vison individualiste à une conception professionnelle
de l’enseignement comme travail coopératif d’équipe. À ce
premier changement qui touche essentiellement les représen-
tations, il faut ajouter le travail considérable qu’une optique
inter- et transdisciplinaire implique à ses débuts.  » (Cavalli,
2003b : 9)

39. Ainsi que le soulignait Roulet déjà en 1980 (voir supra).

– 43 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Enfin, la pédagogie intégrée DL/DNL favorise une économie de


l’évaluation. Cette co-évaluation entre les disciplines linguistiques
et les disciplines non linguistiques, qui nécessite des modalités plus
complexes40, répond(rait) sans doute de manière plus satisfaisante
aux exigences évaluatives propres à ce contexte d’enseignement/
apprentissage particulier.

2.3. Intégration et formation initiale (et continue)

Dans le rapport, De la diversité linguistique à l’éducation plurilin-


gue : Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en
Europe un certain nombre de profils d’enseignants plus conformes
aux principes de l’éducation plurilingue sont répertoriés. ���������
Par exem-
ple, des enseignants formés à deux ou plusieurs variétés linguistiques
« étrangères », à la/une variété nationale et une variété étrangère, à
une langue et une discipline (humaine, scientifique ou technique),
etc. (Beacco & Byram, 2007 : 92). À travers cette énumération de
possibles, se dessine (pourrait-on dire se redessine), un profil d’en-
seignant « bivalent » (voire «  trivalent ») dans deux (ou plusieurs)
matières linguistiques et/ou non linguistiques, ce qui pourrait être
qualifié de profil « traditionnel » d’une langue étrangère/d’une ma-
tière semble désormais être dépassé41. Cela signifie que la formation
initiale et la formation continue des enseignants de LE devront se
penser de plus en plus comme des formations à un enseignement in-
tégré des langues (langues maternelles, langue de scolarisation, langue
étrangère 1, langue étrangère 2, etc.) et, encore plus amplement –
surtout dans les situations d’enseignement bi-/plurilingues – à un
enseignement intégré des disciplines linguistiques et des disciplines non
linguistiques. En effet : «  Une gestion intégrée des enseignements
linguistiques peut aussi se concevoir dans des relations de ceux-ci
avec d’autres disciplines scolaires » (Beacco & Byram, 2007 : 96). Il

40. L’évaluation dans l’enseignement bi-/plurilingue a été la thématique du sé-


minaire bilingue organisé au CIEP de Sèvres en avril 2010 (http://www.ciep.fr/
conferences/seminaire-bilingue-international-evaluation/index.php).
41. Il est par ailleurs significatif de remarquer que les départements et UFR (Uni-
tés d’Enseignement et de Recherche) de didactique du français langue étrangère
en France deviennent de plus en plus des UFR de Didactique des langues et des
cultures étrangères dénomination qui montre une ouverture et un passage impor-
tant vers des problématiques didactiques ainsi que vers des formes d’intégration.

– 44 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

s’ensuit que le « nouvel » enseignant de langues se destine à moyen


terme à remplir plusieurs rôles et fonctions. Par exemple :
- Être formé à l’enseignement de deux/plusieurs langues (y
compris sa LM), avoir donc un profil « bivalent » en lan-
gues42.
- Être formé à l’enseignement d’une DNL en LE avec une
compétence plus ou moins développée dans cette langue
dont il n’est pas « expert » et dont il a une formation com-
plémentaire43.
- Être formé à la fois à l’enseignement de la DNL et à l’ensei-
gnement de la langue 2 (qui peut être ou pas sa LM), autre-
ment dit être « expert » en deux matières (« bivalence ») :
l’une linguistique et l’autre non linguistique44.
- Être formé à l’enseignement d’une DNL dans deux lan-
gues (dont la LM) ce qui rend possible soit l’enseignement
d’une DNL en langue maternelle ou en langue étrangère,
soit l’enseignement d’une DNL en ayant recours aux deux
langues (alternance codique). C’est le cas le moins fréquent
et qui équivaudrait à ce que nous avons qualifié plus haut
de « profil trivalent ».

Les quatre cas évoqués constituent des exemples de ce que nous


qualifions de formation intégrée45. En reprenant et en développant ce
que Duverger (2005) souligne pour l’EBP – et qui selon nous peut
également s’appliquer aux nouveaux profils d’enseignants que nous
venons de mentionner – la formation des enseignants devrait ainsi
se développer autour de trois axes principaux :
1. Une amélioration des compétences linguistiques  : la forma-
tion doit fournir aux enseignants un « seuil de sécurité » linguistique

42. Profil encore rare, mais qui est proposé dans certaines formations universitai-
res (cf. 3) et non universitaires (IUFM) en France.
43. C’est le cas le plus fréquent dans l’enseignement bilingue en France. Rappelons
cependant que, à partir de 2004, les enseignants appelés à enseigner dans les « sec-
tions européennes  » passent un concours spécial (certification complémentaire)
dont les épreuves favorisent la prise en compte des compétences acquises dans la
langue étrangère au cours de leur scolarité. L’IUFM leur propose en deuxième an-
née de stage une formation professionnelle adaptée à l’exercice en classe bilingue.
44. Ce qui est le cas en Autriche et en Allemagne.
45. Causa, 2007.

– 45 –
Les langues dans l’enseignement superieur

(Gajo, 2005) et pédagogique leur permettant d’être à l’aise dans la


langue dans laquelle ils enseignent et, dans les cas le plus complexes,
dans la langue dans laquelle les contenus disciplinaires sont trans-
mis et cela quel que soit le statut sociolinguistique de l’enseignant
(natif ou non natif de cette langue). Cette « sécurité » linguistique
et pédagogique46 devrait, entre autres, rendre « naturel » l’emploi de
l’alternance codique dans les activités de classe en tant que stratégie
d’enseignement à part entière et dans les interactions enseignant/
apprenants en tant que stratégie de communication/médiation. Elle
contribuerait également à relativiser les représentations concernant
la « maîtrise » en L2, représentations renvoyant au « regard monolin-
gue » qu’ont encore souvent les enseignants de LE.
2. Une amélioration des compétences disciplinaires : la formation
ne doit pas se limiter aux savoirs sur la discipline linguistique et/
ou non linguistique de manière cloisonnée, mais elle doit prendre
en compte la « transversalité » entre les disciplines proches (linguis-
tiques et non linguistiques) et, plus particulièrement pour l’ensei-
gnement des DNL, les particularités linguistico-discursives propres
à la matière enseignée et à la langue dans laquelle la discipline est
enseignée (ce qui montre à nouveau le lien étroit entre contenus et
langue(s) !).
3. Une amélioration des compétences didactiques et méthodo-
logiques. Cela est rendu possible par la «  prise de conscience des
différences entre les orientations épistémologiques des disciplines »
dans les deux langues/cultures, différences qui «  se reflètent dans
les méthodologies et les stratégies d’enseignement comme dans la
conception des manuels scolaires. » (Cavalli et Matthey, 2009 : 104).
Autrement dit, il s’agirait d’une formation à la (aux) didactique(s) et
(aux) méthodologie(s) spécifiques du plurilinguisme.
Mises à part des compétences linguistiques, disciplinaires et mé-
thodologiques, la formation (initiale ou continue) doit fournir les
outils pour rendre les enseignants capables de coordonner les appren-
tissages linguistiques, culturels et disciplinaires : elle doit viser des
compétences plus amples et des découpages différents (Beacco &

46. N’oublions pas que la mise en place de cette « sécurité » linguistique et péda-
gogique est étroitement liée au dépassement de certaines représentations diffuses
(et monolingues !) selon lesquelles l’enseignant de langue doit être « natif » (Causa,
2007, 2008, 2009a et 2010 ; Cavalli et Matthey, 2009 ; Derivry, 2008).

– 46 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

Byram, 2007) et – surtout – fondés sur l’interdisciplinarité. En som-


me, le « nouvel » enseignant de langues doit se positionner comme
« spécialiste du transversal » (Gajo, 2005 : 1). Cette formation re-
nouvelée pourrait de ce fait mieux répondre à l’évolution des besoins
et des objectifs auxquels les enseignants de langues doivent répondre
et à la variété des publics et des situations auxquels ils sont confron-
tés. Elle toucherait la notion d’adaptabilité professionnelle47, ce qui
constitue un autre aspect essentiel de la formation initiale :

« En effet, être plus ouverts à l’interdisciplinarité/transversa-


lité disciplinaires ainsi qu’à la variété des approches méthodo-
logiques et, enfin, aux différentes habitudes d’enseignement/
apprentissage signifie savoir s’adapter davantage aux différents
contextes, aux différents publics, aux différents curricula.  »
(Causa, 2010 : 48).

3. L’enseignement bilingue et le secteur LANSAD : points


communs et différences

Il s’agit ici de proposer une comparaison entre les deux types


d’enseignements : l’enseignement bi-/plurilingue et l’enseignement
des langues à des spécialistes d’autres disciplines. Si nous avons mis
en introduction l’accent sur les objectifs et les publics propres à
chaque enseignement, nous pensons qu’il existe des passerelles.

3.1. Différences

Elles résident essentiellement dans le public auquel ces deux en-


seignements s’adressent et, par conséquent, dans les objectifs visés.
Dans l’EBP, il s’agit d’un public en âge scolaire, suivant un pro-
gramme officiel. Les objectifs de cet enseignement sont assez variés
et changent en fonction des paramètres. Nous pouvons cependant
dégager deux objectifs «  linguistiques  » prioritaires  qui coïncident
47. « L’adaptabilité professionnelle – entendue comme un ensemble de savoirs et
savoir–faire pluriels et adaptables – serait alors le fait de réfléchir sur ses propres
pratiques dans un contexte donné, d’être capable d’examiner d’un œil critique les
différents paramètres de la classe de langue de LE et leurs modifications possibles
dans d’autres situations d’enseignement/apprentissage afin d’envisager des alterna-
tives pédagogiques contextualisées. » Causa, 2010 : 43.

– 47 –
Les langues dans l’enseignement superieur

avec la durée de cet enseignement : la construction d’une forme


« équilibrée » de bilinguisme, dans les cas où cet enseignement est
dispensé tout au long de la scolarisation (de la maternelle au lycée),
ou bien, l’amélioration des compétences linguistiques en LE, dans
des cas comme les « sections bilingues » en France (deux ans au ly-
cée). Ces deux cas de figure constituent, d’une certaine manière, les
deux extrémités d’un continuum au sein duquel un éventail très lar-
ge de situations peut se présenter. Quant aux savoirs disciplinaires,
l’objectif de l’EBP est de donner à l’élève en fin de parcours scolaire
les mêmes connaissances/compétences que possède un élève ayant
poursuivi une scolarité dite « traditionnelle », d’où l’adaptation des
programmes officiels. Dans des situations du type LANSAD, en re-
vanche, l’enseignement s’adresse à un public universitaire, soit un
public adulte, spécialiste dans certaines disciplines. Si l’objectif lin-
guistique reste premier : améliorer la compétence en LE, le choix des
contenus a une visée plus pragmatique : rendre les étudiants auto-
nomes et capables de travailler dans leurs disciplines, dans une ou
d’autres langue(s). L’enjeu n’est pas le même : plus scolaire/éducatif
dans le premier cas, plus fonctionnel/professionnel dans le second.

3.2. Points communs

Si de prime abord les différences entre ces deux types d’enseigne-


ment peuvent sembler les plus nombreuses, la comparaison permet
de souligner les multiples points communs entre l’EBP et le sec-
teur LANSAD. Points communs avant tout sur le plan des compé-
tences à mettre en place dans ces enseignements, compétences qui
renvoient à la notion d’intégration et à l’idée de transversalité entre
les disciplines linguistiques et les disciplines non linguistiques. Mal-
gré des objectifs différents, l’un des objectifs communs aux deux
situations d’enseignement/apprentissage est la mise en place d’une
« compétence discursive » dans la matière enseignée. En effet, ap-
prendre des contenus disciplinaires en LE ne veut pas uniquement
dire avoir à sa disposition un lexique de spécialité riche48, mais être

48. Comme le soulignaient Peytard et Moirand pour les difficultés de la didac-


tique concernant la lecture des textes de spécialité en LE « […] si les difficultés
n’avaient été que lexicales, un dictionnaire bilingue spécialisé aurait suffi : les diffi-
cultés étaient donc d’un autre ordre, l’ordre du discours. » (1992 : 43).

– 48 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

capable de parler/produire/faire des mathématiques, de la médecine,


de l’histoire, de l’orthophonie et ainsi de suite, donc être capable de
produire des textes/discours (à l’écrit comme à l’oral) appropriés à
la discipline concernée. Cela signifie (re)connaître les paramètres de
la situation de production/communication et également maîtriser
les règles/contraintes de la mise en texte du genre textuel/discursif
produit49.
Un autre point commun est le statut « hybride » de l’enseignant
qui est à la fois enseignant de la discipline (en LE/L2) et enseignant
de la langue (et/ou vice versa).
Dans l’EBP, le cas de figure le plus fréquent est d’avoir un ensei-
gnant de DNL peu (ou pas) formé à l’enseignement de la langue à
travers laquelle se fait son enseignement. Le fait d’être natif de la lan-
gue ne facilite pas pour autant les choses. En effet, en ce qui concerne
l’enseignement bilingue, trop souvent, les enseignants se destinant à
l’enseignement d’une DNL en LE croient que le fait d’enseigner
dans ces dispositifs est exclusivement un fait de maîtrise linguisti-
que. Or, comme nous l’avons souligné ailleurs, si une connaissance
suffisante en LE est nécessaire, cette connaissance est une condition
nécessaire mais pas suffisante pour enseigner une DNL en LE, c’est la
raison pour laquelle le statut sociolinguistique de l’enseignant (na-
tif vs non natif ) revêt – à notre avis – une importance très limitée
(Causa, 2009a, Derivry, 2003). Le problème est que les enseignants
d’une discipline non linguistique ne reçoivent aucune formation sur
les particularités discursives qui caractérisent leur discipline ni une
sensibilisation pédagogique aux difficultés que le langage propre à
cette discipline peut constituer pour les apprenants. L’enseignant de
DNL en LE se trouve alors confronté dans la majorité des cas à
une double difficulté : celle liée à la langue de spécialité propre à la
matière enseignée et celle liée à la langue (la langue étrangère ou à la
langue maternelle enseignée comme L2/LE) dans laquelle la matière
est transmise.
Dans l’enseignement LANSAD le problème est le même, mais
dans le sens inverse. C’est-à-dire que l’enseignant LANSAD – comme
le sigle l’indique – est avant tout un enseignant de langue : il enseigne
la langue dans le contexte d’une matière dont il n’est pas spécialiste50.

49. Causa, 2009b.


50. Voir Faure, ici-même.

– 49 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Il se situe ainsi en quelque sorte en tant que « troisième homme »51


dans ce sens qu’il devient le trait d’union entre la LE, le spécialiste
en la matière et son public – tout au moins sur le plan linguistique.
Le « troisième homme » est censé représenter la “médiation” entre
ces trois entités. Les difficultés sont de ce fait similaires à celles qu’a
l’enseignant travaillant dans les dispositifs bi-/plurilingues, surtout
en ce qui concerne le manque de formation aux caractéristiques
linguistico-discursives propres à la matière enseignée en LE. Dans
les deux situations, on sollicite à la fois la langue et les contenus.
Troisième point commun, les problèmes d’évaluation que
pose ce « double » enseignement, ou enseignement intégré. Parler
d’intégration langue/contenus et chercher à mettre en place une telle
forme d’intégration requiert – ainsi que nous l’avons souligné plus
haut – une forme d’évaluation différente. Dans la réalité, on constate
que la priorité est souvent donnée en fonction de la formation des
enseignants  : évaluation de la matière ou évaluation de la langue,
l’évaluation restant ainsi, à son tour, dissociée. Une évaluation
complète et pertinente demanderait en effet – tout au moins jusqu’à
ce que des profils d’enseignants plus complexes ne voient le jour –
une collaboration étroite entre enseignants de langues et enseignants
de la matière enseignée, collaboration qui reste à construire.

3.3. Pistes de réflexion

Les points évoqués nous mettent face à la variété des situations


d’enseignement des langues étrangères de nos jours et nous renvoient
à la nécessité de rendre les profils d’enseignants de LE plus adaptables,
diversifiés et spécialisés. Cela étant, des propositions peuvent être
avancées, propositions qui constituent – pour nous formateurs –
avant tout des pistes de réflexion.
L’une des propositions envisageables pour pallier les difficultés
auxquelles sont confrontés actuellement les enseignants serait de
prévoir un enseignement en « tandem » (enseignants de langue plus
enseignant de la DNL) comme celui prévu au collège au Val d’Aoste,
ou souhaité par les enseignants de langues du secteur LANSAD52.
Le « tandem » est sans aucun doute un dispositif intéressant en ce

51. Nous empruntons cette définition à Authier–Revuz, 1982.


52. Voir Faure, ici-même.

– 50 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

sens que chaque enseignant – expert dans sa discipline – intervient


selon les objectifs visés mais aussi selon les besoins immédiats du
cours. Il s’agit cependant d’un dispositif très coûteux : cela signifie
concrètement mobiliser deux enseignants dans un même cours et en
même temps. Une solution du « juste milieu » pourrait alors être celle
adoptée dans certains dispositifs bilingues en Espagne dans lesquels
l’enseignant de la DNL est « épaulé » par un assistant de langue natif,
généralement un étudiant qui fait son stage de Master à l’étranger
et qui possède, à la base, une formation dans l’enseignement des
LE. Les points faibles de ce type de collaboration sont d’une part
que l’assistant a, dans la plupart des cas, une formation généraliste
et de ce fait inadaptée à ce type d’enseignement, d’autre part, que
les contrats ont généralement une durée d’an an (tout au moins
dans le système français), il n’y a donc aucune continuité dans la
collaboration entre l’enseignant de DNL et l’assistant de LE.
Une autre proposition serait la mise en place d’une formation
se basant sur un véritable projet de recherche-action tel qu’il a
été expérimenté au Val d’Aoste depuis les années 199053 pour la
formation continue mais qui pourrait également être envisagé dans
les dispositifs de formation initiale54. La formation par la recherche-
action – qui aurait par ailleurs l’avantage de former en même
temps les formateurs de formateurs – demande une volonté et un
investissement importants non seulement de la part des enseignants
concernés (qui voient leur emploi du temps se charger en heures
de présence dans l’établissement), mais également de la part des
organismes intervenant dans les formations afin que cette décision
ne soit pas laissée à la seule initiative personnelle des quelques
enseignants les plus motivés.
La troisième proposition – celle qui nous semble la plus
opérationnelle – est, bien entendu, la mise en place graduelle
de dispositifs menant à une formation initiale intégrée. Cette
formation devrait permettre à moyen terme la construction de profils
d’enseignants de LE plus diversifiés. À ce sujet, il faut souligner que
des programmes visant la mise en place dans la formation initiale

53. Cavalli et Matthey, 2009.


54. Il s’agirait concrètement de développer/modifier les « formats » des stages dans
les formations initiales.

– 51 –
Les langues dans l’enseignement superieur

universitaire55 de profils d’enseignants plus complexes existent. C’est


le cas des Parcours qui ont été créés depuis l’entrée dans le système
universitaire européen (LMD  : Licence, Master, Doctorat) et qui
donnent aux étudiants la possibilité de suivre un double cursus : le
cursus principal plus un cursus parallèle, l’objectif étant de donner une
formation bivalente. Plus particulièrement, le Parcours « Didactique
du français langue étrangère et seconde  », proposé par l’UFR56
DFLE (Didactique du Français Langue Etrangère) de l’université
Sorbonne nouvelle, Paris 3, vise à donner aux étudiants une double
compétence en langues et en didactique. Il s’adresse par conséquent
à des étudiants se destinant au métier d’enseignant de langues
étrangères ou de Lettres, en entendant par-là l’enseignement d’une
langue étrangère et l’enseignement du français (langue maternelle
pour la plupart de nos étudiants) en tant que langue maternelle
(FLM) ou en tant que langue étrangère/seconde (FLES). De ce fait,
ce parcours doit être vu comme une réponse aux nouvelles exigences
des politiques linguistiques européennes en matière de formation
initiale et d’éducation au(x) plurilinguisme(s).
La mise en place de ces nouveaux dispositifs de formation initiale
nous confronte cependant à un problème de taille  : la formation
des formateurs qui forment les futurs enseignants de LE. Comment
former aux nouveaux enjeux, valeurs, méthodologies, sans concevoir
une formation continue des formateurs ? Et comment ces formations
peuvent-elles se mettre en place dans les départements/UFR de
didactique compte tenu des difficultés auxquelles elles doivent faire
face (travail supplémentaire, non rémunéré, contraintes budgétaires,
etc.) ? Ce dernier point montre, par ailleurs, la relation étroite qui
existe entre la formation initiale et la formation continue.

Les points que nous avons abordés dans cette contribution nous
ont permis de voir de quelle manière la notion d’intégration s’avère
centrale pour répondre, tout au moins en partie, aux nombreuses
interrogations posées dans cet ouvrage. Ils nous montrent plus par-
ticulièrement qu’une didactique intégrée entre enseignements lin-

55. En tant qu’enseignant-chercheur universitaire nous nous limiterons à la for-


mation initiale universitaire. Cela étant, rappelons qu’en France quelques IUFM
proposent déjà des formations bilingues.
56. Unité de Formation et de Recherche.

– 52 –
De l’enseignement bi-/plurilingue au secteur LANSAD

guistiques et enseignements non linguistiques – et par conséquent


un travail collaboratif entre les enseignants – s’avère essentielle non
seulement dans les dispositifs d’EBP ou dans des apprentissages
plus ciblés du secteur LANSAD, mais également – et d’une fa-
çon plus générale – dans l’enseignement/apprentissage des langues
étrangères. Ainsi, pour que l’enseignement/apprentissage des lan-
gues étrangères évolue et pour que la formation des enseignants se
donne les moyens appropriés pour créer de « nouveaux profils », il
est indispensable de changer de regard et de penser davantage en
termes de transdisciplinarité et d’interdisciplinarité. Cela constitue,
à notre sens, l’entrée à travers laquelle la recherche en DLE devrait
aborder les interrogations liées aux changements sociaux et éduca-
tifs auxquels nous assistons à l’heure actuelle. Ce serait également
une façon de dépasser les représentations diffuses sur l’enseigne-
ment/apprentissage des langues étrangères et de favoriser une ré-
flexion plus « ouverte » sur la diversité et l’apprentissage intégrée
langues/contenus.

Mariella Causa

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– 58 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s) :
Allier l’approche par tâches en langue
et une pédagogie disciplinaire de projet
ou de résolution de problèmes

Abstract
Any attempt to combine task-based language learning and project-
based or problem-solving pedagogy in any discipline means turning
to the concept of transductive relationship which Simondon postulates
between «  man, technology and society  » and assuming another
similar relationship between « language, culture and knowledge ». The
aim of this chapter is to show the implication of the knowledge of a
disciplinary content on the acquisition of L2 in order to define more
effective learning and teaching practices. A review of current state of
the art research on plurilingualism and on the requirements of CLIL in
the field of education will come first. The theoretical part will conclude
on a parallel between task-based language learning and project-based
or problem-solving approaches in the various disciplines. A general
description of task-based approaches will be followed by applications for
blended or distance environments. This chapter is primarily concerned
with language learning for university students and adults in a LSP
context, but its content may well be transferred to high school or even
junior school contexts.

Ce chapitre ne saurait être abordé sans un retour vers la notion


de relation transductive que Simondon (1989) voit entre « homme1,
outils ou technologie, et société ». La transductivité dans une relation
implique qu’aucun des éléments ne saurait exister sans les autres.

1. Le mot « homme », terme générique, sera gardé ici, car c’est celui qu’emploie
Simondon.

– 59 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Simondon, comme Auroux (1998), considèrent que le langage est


une technologie. À la suite de cette première relation, on pourrait
également postuler une relation transductive entre langage, culture
et savoir(s). En effet, la production langagière ne se fait pas pour
elle-même, l’objectif des interactants est bien de négocier du sens sur
un sujet donné dans un domaine précis et l’hypothèse faite dans cet
ouvrage collectif est qu’il serait bon que cela soit toujours le cas, même
dans des tâches d’apprentissage de L2, au moins a priori. Il reste à
comprendre, dans cette optique, l’incidence de la connaissance du
contenu (disciplinaire) de l’apprenant quand il travaille en L2, afin de
déterminer des pratiques d’enseignement-apprentissage. C’est ce qui
va être proposé dans les pages qui suivent. D’autres points théoriques
concernant une approche plurilingue, les enseignements de contenu
en L2 et la formation des enseignants seront abordés. Le cadre
théorique s’inscrit selon une approche par tâches en langues qui sera
mise en parallèle avec les didactiques disciplinaires de même ordre. Il
sera alors possible de décrire l’approche par tâches en général et une
application spécifique plus spécialement conçue pour des dispositifs
hybrides ou à distance. Mise en place de formations, principes
d’organisation, conceptions de tâches et feedback suivront et seront
abordés prioritairement pour un contexte LANSAD (LANgues
pour Spécialistes d’Autres Disciplines). Des applications adaptées de
ces propositions peuvent se concevoir en formation continue mais
également pour un public de lycéens, voire de collégiens.

1. Cadre théorique
1.1. Incidence du contenu sur l’apprentissage de L2
Eisele-Hendersen (2000) décrit deux seuils, un seuil de spécificité
contextuelle (authenticité de la situation avec un seuil de cohérence)
et un seuil de développement de l’interlangue (proficiency gap). Il en
découle que des exigences élevées au niveau du contenu entraînent
des baisses qualitatives de la forme et qu’une compétence linguistique
peu avancée conduit à construire des énoncés qui juxtaposent les
concepts disciplinaires comme des étiquettes sans souci des formes
de L2. L’ostensif-référentiel, c’est-à-dire la capacité de pointer et de
référer (Sperber et Wilson, 1989), est en place mais pas le code,
ce qui rend l’interaction difficile pour le co-énonciateur qui doit

– 60 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

reconstruire la cohésion en s’appuyant sur sa connaissance du


domaine. Cummins (1994) nous rappelle que les capacités scolaires
ne sont pas affectées par le changement de langue et peuvent ainsi
compenser des difficultés langagières. Une personne avancée dans
un domaine peut paraître plus avancée dans ce même domaine en
L2 qu’un spécialiste de L2 ignorant du domaine, ce qui n’autorise
pas à dire que l’on peut remplacer l’un par l’autre. Toute évaluation
de L2 dans des domaines spécifiques devra mesurer les effets de la
connaissance du domaine sur les résultats pour ne pas généraliser une
compétence qui ne serait que spécifique. Les compétences cognitives
d’un individu influencent davantage son discours que sa compétence
grammaticale, en particulier à l’oral, il y aura donc davantage de
cohérence que de cohésion dans ce qu’il énonce. Il convient alors de
relativiser les attentes au niveau qualitatif.
Les réseaux sémantiques, frames et scripts ne fonctionnent bien
que dans un domaine défini2. Dans le Diplôme de Compétence
en Langues (DCL), par exemple, les scénarios peuvent changer
de domaine et il serait nécessaire de pouvoir mesurer les effets du
changement de domaine sur la performance (Isani, 2003).  Ceci
s’applique également au Certificat en Langues de l’Enseignement
Supérieur (CLES). On peut se demander si la mesure des
performances des apprenants uniquement dans leurs domaines
spécifiques permettrait de généraliser les résultats. En conséquence,
toute évaluation qui s’appuie sur le contenu valorise les candidats
avancés dans cette discipline, ce qui peut donner des résultats biaisés
sur la performance en L2 dans d’autres domaines :
- Une bonne maîtrise du contenu conduit à une meilleure
maîtrise des structures rhétoriques des réponses dans des
domaines où ces structures ne sont pas trop modifiées par
les différences culturelles.
- Si l’on admet que l’automaticité et la fluidité de la production
en L2 dépendent davantage d’un fonctionnement par
blocs que d’un fonctionnement par unités lexicales ou
morphosyntaxiques distinctes, on comprend que la
familiarité avec le contenu joue autant sur la performance :
elle facilite ce type de fonctionnement (Bygate et alii,
2001).

2. Pacteau « Penser : de la logique à l’expérience » in Dortier, 1999.

– 61 –
Les langues dans l’enseignement superieur

- Enfin, la familiarité avec le contenu accroît, en général,


la fluidité de la performance, mais ni sa correction, ni sa
complexité (Bygate et alii, 2001).
Il conviendra de bien distinguer les performances en contenu
(disciplines scientifiques ou autres domaines  pour la littérature,
l’art, les passe-temps…) en intertexte, en pragmatique et en système
linguistique, pour attribuer une évaluation certificatrice modulée
et modulable en fonction des attentes de l’institution et des
environnements professionnels visés par les étudiants. Les exigences
ne seront pas les mêmes si l’on doit évaluer un spécialiste du domaine
de niveau international, un interprète ou un candidat à un poste
d’enseignant de langue. Les exigences porteront plus :
- sur le contenu pour le premier : un niveau d’opérationnalité
peu élevé étant acceptable si le traitement du contenu est
élevé car il a intégré les procédés rhétoriques et l’organisation
du discours qui rendent son manque d’opérationnalité plus
acceptable que ce ne serait le cas pour un profane,
- sur l’intertexte et le pragmatique pour le second  : le
traitement du contenu doit être aussi complet que possible
mais, si l’intertexte et le pragmatique sont respectés, un
spécialiste du domaine locuteur de L2 s’y retrouvera,
- sur l’ensemble pour le troisième.

1.2. Les formations où le contenu est enseigné en L2 3

Abordons-les en paraphrasant Gajo (2006) et en y intégrant nos


réactions : l’enseignement bilingue a pris diverses orientations depuis
quelques années et se résume en général dans le fait d’enseigner une
discipline non linguistique (DNL) en L2. Cette description ne
permet pas de percevoir les multiples enjeux du croisement entre les
paradigmes disciplinaires et les paradigmes linguistiques. À la suite
de Gajo (2006), nous redéfinirons l’enseignement bilingue comme
suit : utilisation, totale ou partielle, d’une ou de plusieurs DNL pour
acquérir la L2. Cette définition insiste non seulement sur l’espace
laissé à la langue, mais aussi sur le bénéfice qu’elle tire de la DNL.
À ce stade, comme le mentionne l’auteur, on occulte toutefois le
possible bénéfice de la DNL en situation d’enseignement bilingue,

3. Voir Causa, ici-même.

– 62 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

qui, selon ce qui précède, gagne davantage que la L2 elle-même.


Il donne alors la définition suivante, moins directement focalisée
sur la langue : enseignement, total ou partiel, d’une ou de plusieurs
DNL par la L2, ce qui semble implicitement supposer que, d’une
manière ou d’une autre, la L2 est en place ou que les problèmes
que pose l’acquisition de la L2 sont traités à part. En revenant sur
ces deux définitions, Gajo en conçoit une nouvelle, qu’il estime
spécifiquement applicable à la troisième génération d’enseignement
bilingue4 : travail, localement intégré, sur des paradigmes disciplinaires
et linguistiques par le recours total ou partiel à une L2 dans le cadre
d’une ou de plusieurs DNL. Dans ce cadre, l’introduction d’une L2
comme langue d’enseignement ne saurait déboucher sur des enjeux
seulement utilitaires. L’utilisation de la L2 sera très vite ressentie
comme problématique et la notion de problématicité devra alors
figurer au centre du processus d’apprentissage selon la nouvelle
équation suivante : communication en L2 = problématicité =
ressource générale d’apprentissage. Problématiser dans le sens de
transformer un obstacle en problème à résoudre correspond à nos
options épistémologiques (Narcy-Combes, 2005) et l’appel aux
ressources générales correspond à nos options théoriques (Bertin et
alii, 2010), en particulier à celles de Piaget (1970), pour lequel le
cerveau est une unité de traitement non modulaire. Si, selon Gajo,
l’idée de problème et de problématicité est sous-jacente à la mise
en place de la plupart des modèles d’enseignement immersif ou
bilingue, mais de manière variable et souvent implicite, nous nous
proposons ici d’expliciter une façon de gérer cette problématicité en
fonction d’un positionnement théorique défini.

1.3. Un bilan des enseignements bilingues

L’étude des classes en immersion, des écoles bilingues et des


enseignements CLIL5 (Dalton-Puffer, 2007) montre que les résultats
de l’introduction du contenu ne sont pas toujours convaincants quand
celui-ci est enseigné dans une L2 avec l’objectif de faire apprendre
cette L2  : la compréhension de l’oral comme de l’écrit atteint un

4. Pour les 3 générations d’enseignement bilingue, voir la synthèse de Causa, ici-


même.
5. Content and Language Integrated Learning. Nous garderons ce sigle.

– 63 –
Les langues dans l’enseignement superieur

niveau de compétence élevé, mais, au niveau de la production, le


résultat peut être un pidgin de classe (Dalton-Puffer, 2007). De
tels programmes ont été mis en place parce que l’enseignement des
langues dans un cadre scolaire donnait des résultats souvent peu
satisfaisants, en particulier au niveau des compétences liées à l’oral.
L’objectif était alors, et est toujours, de transformer des parties de la
vie de la classe en environnement « naturel » afin que les points faibles
de l’enseignement scolaire des langues soient compensés par le fait
que la langue, au lieu d’être à la fois le sujet et le contenu, devient
le médium au travers duquel sont enseignés d’autres contenus (par
exemple, la géographie, l’histoire, le monde de l’entreprise, etc.). Les
classes CLIL sont perçues comme des environnements qui permettent
une acquisition implicite de la L2 et non un enseignement explicite
de celle-ci. Les objectifs de CLIL au niveau de la langue sont, en
général, à peine spécifiés (seuls le sont les objectifs disciplinaires),
on ne va pas plus loin que «  l’enrichissement du lexique  » et
« l’aisance orale accrue » (Dalton-Puffer, 2007). Comme auparavant
le médium d’enseignement était la L1, la relation entre langue et
contenu n’a pas beaucoup été étudiée. On sait peu de choses sur la
façon dont se construit le contenu disciplinaire au travers d’activités,
principalement orales, dans les conceptions traditionnelles de
l’enseignement, qui sont dominantes en milieu universitaire. Un lien
avec les didactiques des diverses disciplines s’impose donc car elles
proposent des formes d’apprentissage parfois très proches des nôtres
(voir 1.6.). Les résultats de l’enseignement bilingue ne sont pas sans
ambiguïté. On perçoit des tensions plus ou moins conflictuelles
sur la primauté d’un aspect sur l’autre (Dalton-Puffer, 2007). Les
enseignants6 ont exprimé deux craintes :
- la L2 ralentit les processus au point que moins de contenu
sera appris,
- une compétence langagière limitée réduit la complexité
cognitive de la discipline.
Ces craintes ne sont pas dénuées de fondement (voir plus haut).
De ce fait, de nouvelles recherches sont nécessaires pour valider
l’hypothèse que des formations CLIL augmentent la compétence de

6. Enseignant est pour nous un terme générique (Narcy-Combes, 2005), une éti-
quette sociale qui se décline en plusieurs rôles : tuteur, concepteur, organisateur,
etc.

– 64 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

communication de l’étudiant dans la langue cible, en particulier sur


des critères pour définir quel output compréhensible augmenterait le
développement langagier en L2. Il serait utile de savoir comment :
- éviter les faiblesses perçues dans certains contextes (pidgin
de classe, même si le niveau de compréhension orale est
élevé),
- s’assurer que des formations CLIL augmentent les
compétences en L2 des apprenants dans le contexte donné.
Il faudrait préciser l’input et l’output en fonction des
contextes.
Le développement et le succès des classes en immersion au Canada
et des dispositifs bilingues dans d’autres lieux bien particuliers comme
dans le Val d’Aoste (Gajo, 2001 et Causa, ici-même) ont contribué
au développement de CLIL dans d’autres contextes, mais, dans la
mesure où les contextes initiaux étaient très spécifiques, il importe
de mesurer l’influence des variables contextuelles. Il n’est pas aisé
de définir ce que sont des conditions « naturelles » d’emploi de la
langue étrangère et de s’assurer si elles peuvent produire la meilleure
situation d’emploi et d’apprentissage de L2 pour des adolescents
ou des adultes. Néanmoins, le contenu doit être pris en charge (ne
serait-ce qu’en raison du concept de relation transductive) et ce qui
précède évoque une approche double en tandem (le contenu est
d’abord introduit en L1 par un spécialiste mais complété par des
tâches qui s’appuient sur des textes disciplinaires en L2 avec un tuteur
spécialiste de L2). Une pédagogie, moins centrée sur l’enseignant,
permettant une construction individuelle ou collaborative du
savoir disciplinaire, peut être conçue en s’appuyant sur l’approche
par tâches. Il y a sans doute là un moyen de compenser certaines
faiblesses des approches de l’enseignement commun du contenu
et des langues. On parle alors d’adjunct CLIL plutôt que de CLIL
complet : il y a un travail spécifique sur la langue en parallèle au
travail disciplinaire (Dalton-Puffer, 2007 ou Liebenberg, 2008). Il
reste à résoudre le problème de l’enseignement afin de déterminer
si un seul enseignant peut mener de front le travail dans la DNL et
le travail en L2 (voire un travail bilingue).

– 65 –
Les langues dans l’enseignement superieur

1.4. Approche plurilingue


1.4.1. Fondements psycholinguistiques

Cette réflexion résulte des réponses que la recherche apporte à


deux questions clés :
- le traitement langagier résulte-t-il d’un module spécialisé ?
- la compétence communicative/linguistique correspond-
elle à l’addition de plusieurs compétences monolingues ?
Nombreux sont les chercheurs qui postulent un système global
de gestion cognitive comme Piaget (1970) qui a déjà été mentionné
en 1.2. Comme pour toute acquisition, l’acquisition d’une ou de
plusieurs autres langues commence par une assimilation suivie d’une
accommodation (Piaget, 1970). La notion de nativisation (Andersen,
1983) correspond à l’assimilation piagétienne selon laquelle tout
individu traite les données qui lui sont nouvelles selon des critères
internes et le travail de dénativisation permet d’accommoder le savoir
aux critères externes du nouveau savoir. Selon Randall (2007), il est
difficile de déterminer des zones différentes pour le traitement de
la L1 et de la L2, sauf pour le lexique, mais les langues ne peuvent
pas être totalement désactivées, ce qui est le signe qu’il existe une
interconnectivité.
Le passage des théories symbolistes à des théories fonctionnelles
et à des théories comme la théorie des systèmes dynamiques ou
l’émergentisme modifient la conception de l’apprentissage et de la
production langagière en les décrivant, comme la mise en place et
la stabilisation de processus en fonction de contextes biologiques
et sociaux (Herdina et Jessner, 2002 et Randall, 2007). La
plasticité cérébrale  permet un changement qualitatif du système
psycholinguistique au fur et à mesure qu’un individu avance dans
l’acquisition d’une ou de plusieurs langues.

1.4.2. Points forts de la compétence plurilingue


Dans la mesure où le monde est constitué d’un nombre plus
important de plurilingues que de monolingues (Jessner, 2006), la
norme devrait logiquement être celle du locuteur plurilingue. Les
spécificités d’un locuteur plurilingue peuvent se définir comme
suit :

– 66 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

- gestion spécifique des codes disponibles à l’aide d’une for-


me de monitoring,
- meilleure perception des différences interlinguales en
liaison avec une sensibilité plus contrastive,
- sensibilité épi- et/ou métalinguistique plus développées,
- intentionnalité pouvant justifier le choix du code ou de
l’alternance codique,
- existence d’un lien entre automaticité et intentionnalité,
- relation entre contextes sociaux  et emploi de l’alternance
codique.
La compétence plurilingue se met en place dans des contextes
spécifiques. On ne peut donc pas s’attendre à ce que d’autres contextes
ou des contextes traditionnellement monolingues puissent basculer
dans des pratiques plurilingues efficaces sans résistances plus ou
moins conscientes. Ce changement doit, par conséquent, bénéficier
d’un accompagnement pédagogique.

1.4.3. Conséquences didactiques


Ce qui précède modifie sensiblement les conceptions pédagogiques
les plus courantes :
- une forme de conscientisation métalinguistique et d’analy-
se contrastive jouent un rôle positif et peuvent être incluses
dans des tâches qui vont être décrites dans le chapitre 2,
- le concept de « transfert » pourrait se comprendre comme
l’activation partielle d’une autre langue que la langue at-
tendue (s’il y a une compétence langagière unique) avec
adaptation au fonctionnement de la langue cible,
- la mise en place du monitor pour faciliter la gestion lan-
gagière et le recours aux stratégies de compensation pour-
raient faire l’objet d’un travail explicite favorisé par des
micro tâches,
- la coordination de syllabus plurilingues en collaboration
avec des étudiants locuteurs natifs favoriserait l’interaction
et permettrait de prendre conscience des besoins indivi-
duels de travail en micro tâches,
- les enseignants de langues devraient avoir une compétence
bi-/plurilingue validée et certifiée,

– 67 –
Les langues dans l’enseignement superieur

- les équipes d’enseignants gagneraient à être plurilingues et


pluridisciplinaires,
- le statut respectif des langues devrait être pris en compte en
veillant à n’en dévaloriser aucune et en montrant l’apport
du plurilinguisme.
On peut s’attendre à des résistances parfaitement rationnalisées
tant au niveau disciplinaire qu’au niveau des enseignants de langues.
La recherche montre aussi bien les avantages des enseignements
bilingues que leurs points faibles (voir 1.3.) et, en particulier, que
l’improvisation risque d’être contre-productive.

1.5. L’enseignant : un exemple de profil pour un historien/


enseignant de langue qui ferait de l’histoire en L2

À titre d’exemple, nous allons ici nous tourner vers un travail


réalisé par Beacco, 2009. Nous verrons au travers des listes que nous
avons simplifiées pour les reproduire ici qu’un enseignement CLIL
ne saurait s’improviser. On peut décliner ainsi les finalités principales
pour l’enseignement de l’histoire en L2 :
- occuper une place essentielle pour la formation d’un ci-
toyen responsable et actif et pour le développement du res-
pect de toutes sortes de différences, respect fondé sur une
compréhension de l’identité nationale et des principes de
tolérance,
- être un facteur décisif de réconciliation, de reconnaissance,
de compréhension et de confiance mutuelle entre les peu-
ples,
- jouer un rôle essentiel dans la promotion de valeurs fon-
damentales telles que la tolérance, la compréhension mu-
tuelle, les droits de l’homme et de la démocratie,
- constituer l’un des éléments fondamentaux d’une construc-
tion européenne librement consentie, basée sur un patri-
moine historique et culturel commun, enrichi de ses diver-
sités, même dans ses aspects conflictuels et parfois dramati-
ques,
- s’inscrire dans une politique éducative qui participe étroi-
tement au développement et à l’évolution des jeunes, dans
la perspective de construire avec eux l’Europe de demain,

– 68 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

ainsi qu’au développement pacifique des sociétés humaines


dans une perspective planétaire, dans un esprit de compré-
hension et de confiance mutuelles,
- permettre de développer chez les élèves la capacité intellec-
tuelle d’analyser et d’interpréter l’information de manière
critique et responsable à travers le dialogue, la recherche
des faits historiques et grâce à un débat ouvert fondé sur
une vision plurielle, en particulier sur les questions contro-
versées et sensibles,
- permettre au citoyen européen de mettre en valeur son
identité individuelle et collective par une connaissance du
patrimoine historique et culturel commun dans ses dimen-
sions locale, régionale, nationale, européenne et mondiale,
- être un instrument de la prévention des crimes contre l’hu-
manité.
Selon ces finalités, pour mettre en place un cours d’histoire en
L2, les points suivants doivent être pris en compte :
- les situations sociales de communication dans lesquelles
l’histoire est présente,
- les situations scolaires de communication relatives à
l’enseignement de l’histoire,
- les compétences historiennes/cognitives, le savoir parler de
et le savoir apprendre,
- les compétences disciplinaires, le savoir en histoire,
- les compétences langagières et sémiotiques spécifiques en
L1 et en L2, nécessaires à l’enseignement de l’histoire,
- les seuils de connaissances et de compétences linguistiques
relatives aux genres de discours historiques que les élèves
doivent posséder.
L’ensemble de ces données révèle qu’un enseignement CLIL,
même dans des disciplines qui, selon les représentations communes,
semblent poser peu de problèmes comme l’histoire, requiert un travail
de formation spécifique à un enseignant de langues qui souhaiterait
enseigner une autre discipline dans la langue qui est sa spécialité.
Nous savons qu’il est difficile de s’improviser enseignant de langues :
le recours à des locuteurs natifs non formés l’a régulièrement
démontré.

– 69 –
Les langues dans l’enseignement superieur

1.6. Positionnement

Pour synthétiser, le contenu facilite plus volontiers l’acquisition


en L2 que la L2 n’aide à l’acquisition du contenu en contexte non
bilingue. C’est donc vers des propositions d’appui sur le contenu
pour développer L2 que nous allons nous orienter. Il est nécessaire
d’engager  une réflexion sur le lien entre les contextes nationaux,
culturels et éducatifs et les formations CLIL pour comprendre les
pratiques bilingues et de prendre en compte les facteurs de variabilité.
Quand les conditions ne sont pas favorables, on peut concevoir
un travail complémentaire en équipe avec supports multimédias
accompagné par des pratiques d’étayage, de co-apprentissage ou
de co-enseignement (Causa, ici-même). Or le travail en équipe est
source de résistance en France et ailleurs (Narcy-Combes, 2005 et
Cavalli, 2003). Le curriculum auquel se réfèrent les cours CLIL est
conçu par les spécialistes de la discipline enseignée. Il semble difficile
de concevoir que de tels cours puissent préparer de façon directe les
apprenants à communiquer dans d’autres contextes que celui de ces
enseignements disciplinaires. L’interaction avec des locuteurs natifs
ou non-natifs développe la connaissance du sujet et l’interaction
dans un discours éducatif augmente la capacité de l’apprenant à
comprendre le code linguistique. Mais parallèlement au programme
disciplinaire, les interactions dans le cours devraient permettre
de mettre en place un programme en L2 spécifique à chacun des
apprenants selon le schéma ci-contre :
Au niveau de la discipline, il existe des approches pédagogiques
qui s’éloignent de l’oralité directive du cours magistral telles que
la «  pédagogie du projet  » (Perrenoud, 1997) ou la résolution de
problème (Sweller, 1988). Elles s’appuient sur un travail collaboratif,
peuvent se combiner avec des approches qui émergent en didactique
des langues et apporter des solutions nouvelles en exploitant, sous des
modalités diverses, des documents sociaux disponibles sur support
numérique. Ces approches ne seront pas décrites ici, nous nous
limiterons à leur équivalent en langues. On conçoit que le travail
disciplinaire puisse se faire en binôme, en petit groupe, en tandem
(voir ci-dessous), en collaboration avec des locuteurs natifs ou non-
natifs. Il met en relief les problèmes disciplinaires et/ou langagiers

– 70 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

Source : Narcy-Combes (2005)

qui seront résolus par de nouveaux échanges sous forme de macro


tâches ou par des micro tâches spécifiques. Les deux concepts de
nativisation et de dénativisation (voir 1.4.1.) jouent un rôle clé dans
l’acquisition d’une L2 et ce rôle se complexifie dans une approche
plurilingue (Jessner, 2006) où plusieurs codes linguistiques entrent
en jeu selon des niveaux de compétence divers, actualisés dans des
contextes sociaux et culturels eux-mêmes variés. L’inclusion du

– 71 –
Les langues dans l’enseignement superieur

contenu resituera la L2 dans le monde «  réel  » au lieu d’en faire


un simple objet d’apprentissage. Cela imposera des contraintes
aux concepteurs de formation qui ne sont pas des spécialistes
d’autres disciplines, tout comme les phénomènes liés à un travail
bi-/ou plurilingue (Narcy-Combes, 2005) pourront surprendre les
spécialistes disciplinaires. En ce qui concerne la didactique, une telle
proposition se situe dans ce qui est maintenant appelé l’approche
par tâches.

2. Une approche par tâches pour les langues

En raison des problèmes que posent les exigences cognitives


auxquelles la complexité des activités d’apprentissage soumet
l’apprenant, les chercheurs ont essayé de réduire cette charge
cognitive. Ces problèmes sont liés à la difficulté linguistique mais
également aux schèmes culturels et à la familiarité avec la tâche.
L’apprenant peut rencontrer des difficultés à utiliser ses ressources
cognitives pour repérer les écarts inter et intra linguaux. Pour cela,
la familiarité avec le contenu ou avec la tâche réduira la charge
cognitive et, de même, effectuer une tâche motivante au niveau du
contenu renforcera l’implication de l’apprenant. Il y a transfert du
potentiel académique (Cummins, 1994), comme nous l’avons vu
en 1.1. L’approche par tâches est passée d’une focalisation sur la
négociation du sens à une réflexion sur un certain nombre de points
liés à l’enseignement centré sur la forme (Form-Focused Instruction :
FFI) tel que Randall (2007)  le résume, avec un passage vers une
posture plus cognitive. L’approche actionnelle préconisée par le
CECR et l’approche dite socioculturelle (Lamy et Hampel, 2007)
ne vont pas aussi loin dans la réflexion cognitive.

2.1. Les tâches

L’approche par tâches, Task-Based Learning (TBL désormais),


s’appuie sur des actions faisant sens et suit un programme procédural,
c’est-à-dire, un ensemble de tâches fondées sur des situations réalistes
socialement (Nunan, 1989). Les objectifs de cette approche sont
l’emploi d’une langue authentique et l’achèvement approprié de la
tâche. L’évaluation se concentre sur ces deux aspects et non sur la

– 72 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

correction des formes (les niveaux de compétence du CECR). De ce


fait, une tâche :
- implique un traitement langagier réaliste et faisant sens :
appel au contenu,
- peut faire intervenir n’importe quelle compétence, voire
toutes,
- a un produit clairement défini : contenu,
- déclenche des processus cognitifs,
- implique l’apprenant personnellement (résultat indivi-
duel).
Les tâches ont une dimension socioculturelle indéniable (Ellis,
2003), qu’il ne faudrait pas négliger, et elles s’inscrivent avec les
pédagogies de projet ou de résolution de problèmes.

2.2. Avantages de la mise en place de tâches

Les programmes linguistiques ne favorisent pas l’acquisition car


ils ne correspondent pas aux processus d’acquisition alors que le TBL
correspond à ce que nous comprenons de la production langagière.
Peu de données empiriques confirment néanmoins leur validité
(Ellis, 2003) et une pratique réflexive sous forme de recherche-action
serait nécessaire pour la mesurer. Les expériences langagières des
apprenants créent un contexte réaliste qui leur paraît personnalisé et
adapté : l’apprentissage émerge alors de leurs besoins. Cependant, le
TBL peut renforcer des représentations du type « ce qui compte c’est
de faire la tâche » qui peuvent conduire à des formes de fossilisation
(Fanou, 2009).

2.3. Des approches complémentaires


2.3.1. L’approche actionnelle

L’approche par tâches est liée à l’approche actionnelle que décrit


le CECR. Selon cette perspective, l’emploi du langage n’est pas
dissocié des actions entreprises par l’individu qui est à la fois un
locuteur et un acteur social. Ce principe s’applique à des activités
pratiques comme à des activités très conceptuelles. La compétence
linguistique sera sollicitée plus ou moins complètement en fonction
des exigences de la tâche. Si, avec l’approche communicative (AC), on

– 73 –
Les langues dans l’enseignement superieur

attend des apprenants qu’ils participent à des échanges authentiques


ou simulés en classe, pour l’approche actionnelle (AA), l’objectif est
de s’impliquer dans des actions collectives tant dans la classe que dans
le monde réel, ce qui correspond aux préoccupations des pédagogies
disciplinaires suscitées (projet ou résolution de problèmes). Le
tableau suivant compare les différences entre les deux approches.

Approche communicative Approche actionnelle


(AC) (AA)
1 Interaction Co-action
2 Objectifs communicatifs Objectifs sociaux
Pas de distinction entre l’emploi et Distinction entre l’emploi et
3
l’apprentissage de la L2 l’apprentissage de la L2

Alors que dans l’approche communicative, l’objectif était


d’interagir, il est maintenant d’agir avec les autres pour obtenir un
résultat commun. L’apprenant devient un acteur social qui participe
à des tâches collectives. Les tâches de l’approche actionnelle ne sont
pas simplement linguistiques, leur évaluation relève de la pragmatique
et concerne également les processus. La compétence disciplinaire
et interculturelle résulte d’une co-construction (Puren, 2004) afin
de permettre à des citoyens d’horizons culturels différents de vivre
et de travailler dans la même société. La distinction entre emploi
et apprentissage, selon le CECR, signifie qu’en tant qu’utilisateur
de la langue, l’individu accomplit des activités différentes de celles
qu’accomplit un apprenant. En effet, l’apprentissage de la langue
peut résulter de tâches intermédiaires alors que son utilisation
implique des actions collectives. L’opposition entre macro et micro
tâches reprendra cette distinction : les macro tâches sont des tâches
d’emploi et les micro tâches des tâches d’apprentissage.

2.3.2. L’approche TBL


Elle évolue de plus en plus vers un apprentissage centré sur
la forme  : FFI (Ellis, 2003) qui propose plusieurs solutions pour
résoudre le problème que pose la création de tâches centrées sur le
sens tout en conduisant l’apprenant à se focaliser sur la forme :

– 74 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

- des tâches d’interprétation qui amèneront l’apprenant à


faire attention à des formes spécifiques tout en traitant un
input oral ou écrit pour en comprendre le sens,
- des tâches de conscientisation qui amèneront l’apprenant
à réfléchir sur la langue et à communiquer : un point de
langue devient alors le sujet de l’échange,
- une approche intégrée, tels que des cours de contenus dans
lesquels les apprenants apprennent la langue tout en appre-
nant le sujet disciplinaire,
Une approche modulaire, où le programme comprend deux
modules totalement séparés (un module «  communicatif  » et un
module « grammatical »).
Toutes ces solutions peuvent être intégrées dans une même
approche. La mise en place d’un programme TBL comprend trois
étapes7 :
- le choix du contenu de ces tâches (pour nous le programme
disciplinaire),
- le classement des tâches à partir d’une typologie et des ob-
jectifs des apprenants,
- la séquence des tâches en fonction de critères explicites de
classement (valeurs relatives de chaque tâche).
De plus, chaque séquence comprend trois phases (Willis and
Willis, 2007) dépendantes les unes des autres :
- phase pré tâche,
- phase de la tâche,
- phase post tâche.
Toutefois, les limites inhérentes à l’apprentissage en classe (Narcy,
1997) ont conduit des enseignants et des chercheurs à proposer une
alternative dans des approches auto-dirigées et hybrides pour obtenir
une souplesse organisationnelle et pour donner plus de contrôle à
l’apprenant au moyen d’une conception didactique articulée entre
macro et micro tâches.

3. Classification des tâches

Le dispositif conceptuel est un ensemble de deux cycles, un par type


de tâches, qui fonctionnent simultanément ou séquentiellement :

7. Pour une description de ces étapes, voir Ellis, 2003.

– 75 –
Les langues dans l’enseignement superieur

- Les macro tâches (Narcy-Combes, 2005 et Guichon,


2007) résultent d’hypothèses interactionnistes et/ou socio-
constructivistes et/ou culturelles et sont des tâches « réalis-
tes ». Les TIC et la communication médiée par ordinateur
(CMO) proposent de telles tâches.
- Les micro tâches répondent à des hypothèses cognitivistes
ou constructivistes qui présupposent que le résultat d’un
entraînement est transférable à des emplois «  réalistes  ».
Benoit (2004) et Arthaud (2007) décrivent la complexité
progressive des micro tâches et les façons dont elles peuvent
être intégrées dans des dispositifs d’apprentissage.
En quelque sorte les macro tâches correspondent à la tâche centrale
de TBL. On verra que les macro tâches de type A, sans production
mais avec réception en L2, peuvent démarrer un cours ou une
séquence pour mettre en relief des obstacles d’une façon peut-être
plus réaliste que ne le ferait une série pré-organisée d’activités (phase
pré tâche). En fonction de ce qu’ils auront fait dans une telle tâche,
les apprenants, après échange avec leur tuteur, pourront déterminer
s’ils ont besoin d’une série de micro tâches pour se préparer à la
macro tâche suivante. Les macro tâches de type B (avec production
en L2) peuvent jouer un rôle semblable, mais en particulier dans des
cours pré-organisés, elles peuvent amener les apprenants à produire
de l’output avant que leur saisie (uptake) n’ait été efficace. Dans le
tableau ci-contre et page suivante, les macro tâches sont abordées
sous l’aspect de l’apprentissage de L2.
Les micro tâches permettent d’accomplir le travail qui se fait dans
les phases pré et post tâche de TBL.
Les micro tâches comprennent des activités d’interprétation et
de sensibilisation méta du type décrit dans le TBL aussi bien que
des activités d’entraînement que cette approche ne propose pas
nécessairement.

3.2. Taxonomie des tâches

La sélection des types de tâches se fera en fonction des objectifs


disciplinaires et/ou linguistiques assignés à chacune d’entre elles
(traitement implicite ou explicite, approche, minutage, focalisation,
matériaux, degré de réalisme, etc.). Une combinaison de ces

– 76 –
Objectifs Caractéristiques des tâches Organisation du travail Média
Macro tâches
Type A - sensibilisation aux obstacles - tâches « réalistes » individuel ou en - support multimédia
- pas d’output en L2 - sensibilisation aux écarts - résultat concret binôme - support Internet
- mesure des besoins inter et intralinguaux - tâches fermées - …
d’apprentissage - création de besoins - tâches heuristiques + consignes et suivi
d’apprentissage - tâches de résolution de
problèmes
Type B - activités faisant sens - open tasks de préférence en - micromondes
- output en L2 - produit « réaliste » - tâches ouvertes binôme ou en groupe - moos
- interaction socialement - contenu non prévisible - résolution de
- mesure du processus - production implicite de L2 - (information, opinion problèmes
d’apprentissage et - mesure du repérage, ou connaissance) - Webquest
du produit - mesure du/des processus - feedback par pair (cyberquête)
- mesure des besoins - mesure du produit ou tuteur dans la - travail en tandem
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

d’apprentissage - mesure des besoins tâche (interaction - tâches


- mesure de la complexité « réaliste ») - …
et de son influence sur + consignes parfois très
précision et aisance précises

– 77 –
Organisation du
Micro Tâches Objectifs Caractéristiques des tâches Média
travail
Type A - (re)mise en place - tâches fermées conduisant individuel suivi et feedback intégrés
(travail pré ou post d’une connaissance à l’implication du savoir :
tâche) Sensibilisation explicite adéquate : charge cognitive limitée
Les langues dans l’enseignement superieur

ou rappel - phonologie, - pas de production en L2


- morpho-syntaxe, - contenu prévisible pour
- lexique/ instances, pouvoir percevoir les écarts
- concepts,
- culture, etc.
- précision
Type B - (Ré)entraînement (a) sens imposé, travail individuel - écoute et production
(pré ou post une macro de la production (b) créatives : ou en binôme orale
tâche) contrôlée automatique - tâches fermées - lecture et écriture
pratique contrôlée - précision - (entraînement) - supports TIC (audio,
- aisance - contenu prévisible (charge vidéo, images,
cognitive réduite) enregistrement, etc.)
- choix pertinent et - suivi et feedback
automatique des points intégrés (agent
problématiques de L2 pédagogique), etc.

– 78 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

caractéristiques permettra à l’apprenant d’atteindre ses objectifs. Ces


caractéristiques comprennent :
- type d’écart requis (opinion, information ou connaissance),
- écart à sens unique ou double sens,
- fermeture ou ouverture du produit,
- produit linguistique ou non,
- tâche heuristique ou non,
- résolution de problème,
- degré de familiarité de la tâche,
- sujet humain/éthique,
- type de discours (narrative, descriptif, expositif, argumen-
tatif ),
- travail hors contexte, impliquant des données détaillées.

3.3. Micro tâches et macro tâches de Type A (écoute et lecture)

Ces tâches ont pour but d’activer des besoins d’apprentissage


tant au niveau du contenu que de la langue (phonologie, lexique,
syntaxe, etc.). Toutes ces tâches sont envisageables avec un contenu
disciplinaire :
- tâches de listage,
- tâches de classement et de tri,
- tâches d’appariement,
- mise en ordre,
- tâches impliquant des comparaisons et des contrastes :
trouver les points communs et les différences,
- résolution de problèmes et d’énigmes,
- identification de points de langue pour une focalisation sur
la forme.
De telles tâches n’exigeant pas de production langagière peuvent
se faire à des niveaux de conceptualisation élevés. La différence
entre des micro et des macro tâches de type A, se fera en fonction
de l’amplitude, du temps, des ressources, et du degré de réalisme,
puisqu’elles n’ont pas du tout le même objectif.

– 79 –
Les langues dans l’enseignement superieur

3.4. Macro tâches de Type B et (quelques) micro tâches de Type B

Ces tâches sont complexes, elles font généralement appel à une


production langagière et souvent à un travail collaboratif. Toutes ces
tâches peuvent être proposées pour un contenu disciplinaire :
- projets et tâches créatives,
- expériences personnelles/comptes rendus,
- discussion,
- tâches de prédiction,
- séquences de tâches comprenant des jigsaw task sequences
(séquences de tâche en puzzle/ emboîtées),
- jeux s’appuyant sur des ensembles,
- supports visuels, tables, tableaux, mind-maps (schémas
heuristiques selon Buzan, 1995, etc.),
- trames chronologiques ou événementielles,
- lecture et écriture intégrées.
La plupart de ces tâches peuvent être mises en place par les
apprenants eux-mêmes. Il importe de bien décrire ce qui est attendu
et en particulier de formuler des consignes, concernant les matériaux
à collecter et la façon de les traiter. Par exemple :

Chercher un article/document chacun sur un sujet de votre choix/


choisi par votre tuteur, puis en rendre compte à votre partenaire qui ne
connaîtra pas vos sources. Détecter les écarts d’opinion, d’information ou
de savoir, écrire un rapport et rendre compte à votre tuteur. Confronter
les résultats dans une session post tâche.

Il est préférable qu’une langue commune puisse être employée


pour les consignes, en particulier si le niveau de L2 des apprenants
rend la compréhension de celles-ci difficiles. Les consignes imposent
des passages langagiers obligés.
Le but des micro tâches de Type B est de proposer un entraîne-
ment qui conduise à un traitement automatisé (écoute, production
orale ou écriture). Il peut y avoir une forme d’entraînement très ré-
pétitive (drilling), mais avec des décisions rapides à prendre au niveau
du sens pour s’entraîner à gérer les écarts. Par exemple, répondre à des

– 80 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

questions en fonction d’images animées qui amènent à choisir une


préposition (in, into, or, to) en fonction du contexte créé par l’image.
Nous sommes bien loin des exercices structuraux. Les outils de la
recherche-action permettront de mesurer l’efficacité et le niveau de
la réception de ce travail par les apprenants. On peut concevoir que
de telles tâches répondront aux problèmes grammaticaux, lexicaux,
phonologiques, conceptuels ou culturels de chaque apprenant. Leur
création et leur développement requièrent une expertise spécifique
(Arthaud, 2009). D’autres formes d’entraînement de ce type peuvent
être proposées. Il importe de faire attention au minutage, à la répéti-
tion et à la longueur afin d’assurer l’entraînement attendu. Certains
apprenants apprécient cette activité, alors que d’autres se montrent
plus réticents (Arthaud, 20098). Toutefois, l’efficacité de ce travail
n’est pas encore totalement prouvée. Par exemple, trop d’entraîne-
ment sur la phonologie peut se faire au détriment de la grammaire
(Khreim, 2008). Il est donc important de négocier un équilibrage en-
tre les différents types de tâches d’entraînement avec les apprenants.

3.5. Tâches spécifiques

Travailler sur un contenu disciplinaire peut amener à proposer


des tâches universitaires ou professionnelles parmi lesquelles  : la
prise de notes, les comptes rendus et les rapports, les résumés et les
exposés scientifiques ou techniques, etc. Il n’y a aucune raison pour
ne pas en faire des tâches d’apprentissage si on focalise l’attention
initiale sur les processus plutôt que sur le produit. Des consignes
spécifiques seront données pour que l’ensemble des tâches couvre le
programme disciplinaire.

3.6. Environnements de Communication Médiée par Ordinateur


(CMO)

La CMO pour les langues favorise les tâches socio-collaboratives


(Lamy et Hampel, 2007) et ouvre des possibilités de débats, de
résolution de controverses ou de construction de consensus. On peut
ainsi créer d’authentiques communautés d’apprentissage, y-compris

8. Arthaud montre l’existence d’un fort degré de variation entre les apprenants
sur ce point.

– 81 –
Les langues dans l’enseignement superieur

dans les dispositifs hybrides : des échanges de ce type sensibilisent


les apprenants sur les liens entre sens et forme. Ces mêmes outils
permettent de mettre en place des macro tâches de type B, mais
d’autres disciplines les utilisent également selon des modalités qui
peuvent être maintenues, adaptées ou complétées. L’ensemble de ces
outils est souvent employé en mode bi-/plurilingue.

Outils, systèmes Apports (affordances) et problèmes


ou tâches
Clavardages Ils offrent une communication synchrone sous forme
de discours écrit qui peut paraître semblable à celle du
discours oral.
Ce dispositif est partiellement validé : la production écrite
résulte de processus différents de ceux de la production
orale.
Le mode écrit conduit à une nativisation phonologique
en ce qui concerne les mots rencontrés de cette façon
(Grosbois, 2006).
Ce phénomène s’applique également aux échanges sur
forums.
Des tâches permettent de compenser les effets de
nativisation.
Des consignes préalables imposent une négociation du
sens ce qui réduit les évitements de thèmes ou de formes.
Cyberquêtes Pour Catroux (2004) la cyberquête est une recherche
(webquests) d’informations sur des sites Internet présélectionnés par
l’enseignant, organisée autour de la résolution d’une
tâche impliquant la participation active des apprenants et
reposant sur un travail collaboratif et autonome.
Il y a appel aux moteurs de recherche et à l’hypertextualité,
ce qui conduit à repérer, traiter, choisir et organiser de
l’information.
La cyberquête permet l’interaction (dans la collaboration,
ou si on cherche les données en interrogeant des
personnes), le traitement du sens et le repérage.
Forums Ils offrent une communication asynchrone. Les échanges
peuvent donc être préparés et travaillés. Les discussions
peuvent être intégrées dans le programme avec des
consignes spécifiques. Les réserves concernant le clavardage
se retrouvent ici.
Moos L’organisation de ces mondes virtuels multi-objets est
complexe mais ils offrent des possibilités spatiales et
graphiques intéressantes. La recherche (Aimard, 2005)
montre que l’acquisition est limitée sauf si des consignes
précises sont données sur les rôles et les actions. Une
interaction orale est bénéfique. Au niveau disciplinaire,
leur apport est complexe.

– 82 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

Travail en tandem Il s’agit d’activités qui combinent des caractéristiques du


clavardage, de la webquest, de la résolution de problèmes
ou autres mais entre locuteur de langues différentes avec
éventuellement une pratique bi-/plurilingue alternée.
Mondes virtuels Ils ont des points communs avec les Moos (Chanier, 2002).
Leur apport à un enseignement disciplinaire n’est pas
évident sauf si des mondes virtuels spécifiques sont créés.
Visioconférences Elles offrent de nombreuses potentialités pédagogiques en
dépit des problèmes d’organisation qu’elles engendrent.
Leur organisation peut être incluse dans un programme
disciplinaire et permettre des échanges avec des locuteurs
natifs ou non-natifs de L2 qui travaillent des points
de contenu identiques. Les consignes concernant les
thèmes, les matériaux et les activités doivent être prévues
soigneusement en fonction du programme. Les reprises et
le feedback devront être évités pendant la conférence mais
les échanges peuvent être enregistrés et un travail post
tâche peut être proposé.
Blogs Les apprenants ont besoin d’une formation spécifique et ce
travail doit être intégré aux autres activités. Ils permettent
une construction collaborative du savoir, leur rôle peut
donc être pertinent pour la créativité et la réflexion dans
un enseignement disciplinaire. Des consignes ponctuelles
peuvent renforcer l’efficacité de l’acquisition.
Wikis Dans la mesure où il s’agit de sites collaboratifs, ils jouent
un rôle positif en matière de contenu puisque tout le
monde peut y contribuer et l’enrichir. Blogs et wikis
donnent à l’apprenant un rôle plus créatif et dans le même
temps, le rôle du tuteur ou enseignant n’en est que plus
complexe.
Outils mobiles L’emploi des outils mobiles n’est pas récent (par exemple :
le baladeur, Narcy-Combes, 2005) mais les versions
électroniques apportent plus de potentiel et de souplesse.
L’acquisition peut être élevée mais les effets de la
nativisation restent à gérer. Des sessions pré et post tâches
permettent une utilisation plus efficace et mieux adaptée à
chacun.

En termes d’apprentissages disciplinaires, linguistiques, langagiers


et culturels, les apports (affordances) de la CMO sont indéniables
même s’ils impliquent un travail initial important pour élaborer
des consignes précises ainsi que l’organisation d’un suivi structuré
en équipe entre les enseignants de la discipline et les enseignants de
L2.

– 83 –
Les langues dans l’enseignement superieur

3.7. Synthèse

La proposition d’organiser le travail en deux cycles parallèles


permet de concevoir une pédagogie par tâches adaptée à des cours
CLIL puisqu’elle reprend des principes didactiques appliqués dans
d’autres disciplines. Ces deux cycles correspondent à un module
de tâches interactives et un module centré sur tous les aspects du
code. Néanmoins, le travail de l’apprenant est un élément crucial
qui dépend de la façon dont seront intégrés le suivi, le feedback et
l’évaluation. Un tel dispositif crée des « circonstances organisatrices »
(Spear and Mocker, 1984). Le choix des micro tâches se fait en
fonction des besoins et des exigences du programme de L2. Quand
il s’agit de n’enseigner que des langues, le choix des macro tâches
et des micro tâches est plus souple et moins contraint que lorsqu’il
s’adosse à un contenu disciplinaire. Un dispositif qui combine des
macro tâches collectives et des micro tâches disponibles dans un
centre de ressources virtuel a été créé (Arthaud, 2009). Par ailleurs,
de très nombreuses tâches sont disponibles en ligne9, réunies dans
des sites spécifiques ou inclus dans les outils d’une plateforme avec
des consignes d’emploi et des hyper-liens. Procéder de la sorte est
moins coûteux en temps et en argent que de développer soi-même
toutes les tâches de son centre de ressources. Les liens doivent
être vérifiés régulièrement car les sites ferment ou changent et il
convient également de vérifier la validité théorique des micro tâches
proposées. La souplesse et le recours aux circonstances organisatrices
proposées semblent être un compromis entre une organisation
traditionnelle et l’approche écologique que décrit van Lier (1996).
Ainsi, Benoit (2004) décrit des séquences de tâches qui rappellent les
trois phases de TBL. Arthaud (2009) propose un emploi de micro
tâches déterminées d’après les besoins que l’on peut relever à partir
des tâches de Type B essentiellement collectives mais pour de petits
groupes. Narcy-Combes et Narcy-Combes (2007) ont mis en place
des formations hybrides souples non-intensives et de courte durée :
elles s’appuient sur des tâches académiques avec un recours limité
aux micro tâches compte tenu du peu de temps dont disposent les
apprenants. D’autres combinaisons peuvent être envisagées avec

9. Par exemple : http://cedricbrudermann.googlepages.com/home.

– 84 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

un rôle plus ou moins développé du tutorat (Brudermann, 2010).


L’enseignement disciplinaire y trouvera sa place en fonction des
caractéristiques des formations. Il faut toutefois garder à l’esprit que
des approches trop radicalement innovantes peuvent engendrer des
résistances dans certains contextes institutionnels ou culturels.

4. Comment organiser une formation


4.1. Principes généraux des approches par tâches
Quelle que soit la souplesse de ces dispositifs, les concepteurs
facilitent le travail des apprenants, ce qui implique un certain nombre
de points repris dans le tableau ci-dessous :

Points à résoudre Suggestions


Intégration contenu, Cette intégration est plus facile dans les macro tâches.
langue et culture Si l’expertise disciplinaire des tuteurs et des enseignants
n’est pas suffisante, il faudra mettre en place un travail
en équipe.
Niveau de difficulté Des critères spécifiques à chaque formation devront
de la tâche être élaborés, en particulier quand les apprenants
choisissent les documents et créent les tâches (types de
documents, types de sources, longueur, contenu, etc.).
Progression Des objectifs clairement définis sont fixés pour
séquentielle des chaque séquence si le cours suit un ordre pré-établi ou
tâches, organisation pour l’ensemble du cours dans le cas contraire, avec
séquentielle de la vérification constante pour mesurer quels ajustements
formation sont nécessaires pour maintenir le lien avec le
programme.
Implication des Les apprenants sont encouragés à jouer un rôle actif et
apprenants à prendre des risques. Les tâches seront conçues pour
favoriser le travail en binôme ou en petits groupes.
Consignes liées au Des consignes spécifiques sont données en fonction
contenu, à la culture du programme, des besoins d’apprentissage et du
ou à la langue contexte de travail. Elles se focalisent sur le sens
et doivent permettre également de s’intéresser à la
forme. Par exemple : le choix de trois documents
sur un événement passé et la rédaction d’un compte
rendu classant les différents points de vue conduit les
apprenants à se référer au passé, à la comparaison et à
employer les formes voulues. Les consignes doivent être
élaborées de façon claire et cohérente tout en laissant
une certaine créativité aux apprenants. Leur élaboration
nécessite parfois un travail d’équipe.
Guidage Un guidage est nécessaire pour amener les apprenants à
évaluer leur travail et leur progression.

– 85 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Rôle des tuteurs Les tuteurs s’assurent que les apprenants perçoivent
les aspects positifs des tâches proposées afin qu’ils
restent motivés. Cela revient à mesurer si l’organisation
est adaptée, si le jeu entre macro et micro tâches est
approprié et si l’accès au centre de ressources (virtuel
ou non) ne pose pas problème. Un dispositif de soutien
peut être mis en place pour proposer des activités
supplémentaires.

Suivre ces principes permet d’assurer la cohérence du dispositif.


L’équipe enseignante bi- ou plurilingue/disciplinaire doit avoir la
formation requise et une recherche-action peut vérifier le déroulement
du travail et apporter les ajustements nécessaires. En retour, notre
connaissance des effets de ces formations en sera améliorée.

4.2. Du curriculum au programme : mise en place de formation(s)

Le fait que ces formations et ces dispositifs soient souples et


centrés sur les apprenants n’empêche pas qu’ils soient précédés par
un travail préalable de même ordre.

Problèmes Suggestions
Contenu Le contenu disciplinaire, social, culturel,
professionnel et linguistique est défini en référence
aux programmes dans la/les discipline(s) et dans la
L2).
Les niveaux attendus dans chacune des compétences
le sont également en fonction du CECR.
Matériaux La définition du contenu de la formation et du
dispositif guide le recueil des matériaux si les
enseignants en sont chargés. Une description
claire des matériaux est fournie aux apprenants
s’ils doivent les recueillir eux-mêmes. Dans une
formation où le contenu est disciplinaire, la
focalisation se fait sur des tâches de références de
cette discipline.
Lien avec le programme On vérifie que les matériaux collectés couvrent bien
l’ensemble du programme quand la formation ou le
dispositif sont pré-organisés. Dans le cas contraire,
on met en place des consignes pour s’assurer que les
documents recueillis par les apprenants vont le faire.

– 86 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

Apprendre à apprendre On propose des tâches spécifiques pour entraîner


les apprenants à faire face à un contenu inattendu
ou totalement nouveau afin qu’ils ne s’appuient
pas trop sur des stratégies d’évitement (choix de
documents familiers). Un débat est mis en place avec
les apprenants sur ce point.

Ce travail préalable d’explicitation du dispositif est nécessaire


notamment pour obtenir l’adhésion des apprenants et maintenir
leur motivation.

4.2. Contenus et documents

On peut considérer les matériaux comme des plans de travail


(White, 2003). Une fois les matériaux recueillis, les tâches sont alors
conçues comme le compromis entre le potentiel d’apprentissage
(fourni par les matériaux, le programme et le niveau de compétence
des apprenants) et les principes de la discipline. Le contexte de
présentation – context of delivery – (Laurillard in White, 2003) est
un élément important. Dans le cadre d’une classe, l’enseignant est
en charge de la présentation et il assure les ajustements nécessaires.
Dans un travail hybride, l’interaction sociale, le travail cognitif et
le suivi sont pris en compte dans les tâches proposées en fonction
des matériaux, ou, s’ils en sont responsables, les apprenants sont en
position de le faire.

4.3. Contenu linguistique

Le contenu linguistique est déterminé par les attentes du


programme, les objectifs pédagogiques du cours et les problèmes
spécifiques que la L2 pose aux apprenants en fonction des langues
qu’ils ont déjà abordées. Dans le cas de l’anglais, dans un contexte
à dominance francophone, on peut anticiper un certain nombre de
problèmes quels que soient les objectifs du cours (Arthaud, 2009,
Brudermann, 2010).

Domaines Problèmes spécifiques pour un francophone


apprenant l’anglais
Phonologie Filtre phonologique et entraînement oral.
Graphie/phonie. Accentuation et intonation.
Mémoire de travail et langue rythmique.

– 87 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Points de langue spécifiques Aspect et référence temporelle, détermination :


emploi des articles, thème et rhème, quantité, et
aspects syntaxiques, etc. Mais aussi traitement
langagier qui s’appuie sur des repères syntaxiques
et non pragmatiques comme en français (Bertin,
Gravé et Narcy-Combes, 2010).
Facteurs Sensibilisation aux problèmes sociolinguistiques
sociolinguistiques liés au rôle global de l’anglais et aux potentialités
venant des similitudes entre le français et l’anglais
et à la notion de variété de langues.
Interculturalité et Sensibilisation aux contenus, aux méthodologies
interdisciplinarité et aux découpages selon les contextes scolaires,
universitaires et professionnels.

Ce tableau peut être complété et adapté à d’autres langues et


d’autres contextes.

4.4. L’apprenant comme concepteur de ses tâches

Le fait de laisser les apprenants concevoir leurs tâches a été mis


en avant dans le processus d’apprentissage. Ce travail est facilité avec
des outils d’accompagnement, comme on peut le voir dans l’exemple
ci-dessous10.

Cours Formation hybride de la Sorbonne nouvelle, Paris 3


Etudiants Licence ou Master 1 de sciences du langage ou
didactique du FLE et des langues. Pas de niveaux, les
étudiants ont des spécialisations différentes.
Tâches Abstracts/résumés d’articles de revues (sciences du
langage) recueillis par les étudiants et autres tâches
universitaires pour lesquelles les étudiants choisissent le
thème et les documents (exposés oraux, rapports, etc.).
Outils Dispositif en ligne conçu spécifiquement (Henelle-
d’accompagnement Beving, 2009) pour permettre aux apprenants de
télécharger un article/document dans une colonne sur
l’écran et de créer leur condense dans une colonne à
côté (copier-coller ou texte original) Des liens sont
disponibles vers diverses aides. Quand le résumé est
prêt, il est envoyé directement au tuteur.
Aides Liens vers des dictionnaires, des sites grammaticaux, etc.
Feedback Commentaires sur le résumé (orientés sur les processus :
commentaires sur les techniques). Suggestions de micro
tâches à faire sur le centre de ressources virtuel pour les
problèmes récurrents.

10. Voir Frantz, ici-même.

– 88 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

Sessions post tâches Des conseils y sont donnés pour aider les étudiants à
adapter leurs techniques à leur niveau, et à suggérer
d’éventuelles micro tâches.
Micro tâches Micro tâches disponibles sur un centre de ressources
virtuel.

D’autres recherches sont en cours pour améliorer ce dispositif


et pour suivre les techniques des apprenants (celles de lecture, de
rédaction du résumé mais aussi de préparation d’un exposé). En
effet, les apprenants ne les maîtrisent pas toujours ce qui peut les
gêner dans leur apprentissage. Un suivi électronique peut réduire ces
problèmes en systématisant les différentes étapes de réalisation de
tâches en fonction des problèmes rencontrés. On peut aussi imaginer
des macro tâches plus complexes et plus interactives pour renforcer
ce dispositif d’apprentissage.

4.5. Séquence de tâches dans des formations

L’organisation séquentielle des tâches est relativement compliquée


car il faut trouver une logique entre la discipline et la langue. Sur le
plan disciplinaire, des critères de complexité conceptuelle doivent
être déterminés. En ce qui concerne la langue, la production ne peut
être sollicitée avant que l’apprenant n’ait assimilé l’input dans des
situations d’interaction relativement intensives.

Caractéristiques Facteurs Procédures


des tâches personnels méthodologiques
requises par la tâche
Complexité Nature de l’input, Niveaux de Certaines tâches sont
conditions de la compétence plus complexes que
tâche, procédure, et styles d’autres ou requièrent
etc. d’apprentissage une production
qui paraît encore
prématurée (faire
précéder des tâches de
type B, par des tâches
de type A dès que cela
paraît nécessaire)
Ordre Suivre l’ordre de
chronologique la vie courante

– 89 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Difficulté Suivre l’ordre


conceptuelle requis par les
contraintes
professionnelles
(langue de
spécialité),
la logique
disciplinaire
(CLIL) ou
les attentes
universitaires.

Quelle que soit l’attention que l’on porte à l’ordre de présentation


des tâches, le recours à des documents authentiques peut présenter
des difficultés chez certains apprenants. Les tâches de Type A
permettent de s’en apercevoir. L’alternance codique est un moyen
de gagner du temps comme donner des consignes dans une langue
connue des apprenants.

5. Typologie des tâches


5.1. Vers un affinement de la classification des tâches
Une classification des tâches s’avérera utile pour construire un
programme ou pour mettre en place une séquence de tâches ou enfin
pour s’assurer que toutes les tâches faites par l’apprenant satisfont
aux attentes du programme. Au-delà de la classification proposée en
3, Ellis (2003) propose deux façons de le faire, soit selon :
- le type d’activité que les tâches requièrent de l’apprenant
(cf.  3),
- les compétences langagières sur lesquelles elles se focalisent
(cf. 3),
- le type de discours qu’elles exigent,
- les sources d’input sur lesquelles elles s’appuient (cf. 3),
ou selon :
- une classification pédagogique qui s’appuie sur les
compétences ou procédures attendues des apprenants,
- une classification rhétorique basée sur les différents
domaines discursifs ou les différents genres couverts,
- une classification cognitive qui se fonde sur les opérations
cognitives que les différentes tâches impliquent (cf. 3),

– 90 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

- une classification psycholinguistique à partir des catégories


interactionnelles qui pourraient affecter chez les apprenants
leurs possibilités de compréhension de l’input, d’obtention
de feedback et de modification de leur output (cf. 3).
Pour y parvenir, les enseignants analyseront le programme en
termes d’activités attendues, compétences, discours, opérations
cognitives, contenu disciplinaire, linguistique et pragmatique.

5.2. Conception des tâches

Nous avons vu que les théoriciens de TBL s’arrêtent sur les formes
sans compromettre la nature communicative de la tâche. Les tâches
de type B peuvent prendre leurs suggestions en compte :
- les points de langue peuvent être le sujet, ou des sujets de la
tâche (Fotos et Ellis, 1991),
- des consignes non contraignantes peuvent rendre impossible
l’évitement de certains points de langue (Loschky et Bley-
Vroman, 1993, et Samuda, Gass et Rounds, 1996),
- des tâches collaboratives d’écriture, voire de production
orale peuvent conduire à une réflexion sur la forme (Swain,
1998) ou (Rees, 2003) pour l’oral.
Des tâches interactives serviront de catalyseurs pour le
développement de l’interlangue en raison de la négociation de sens
qu’elles imposent (clarification, confirmation) : une conception, ou
des consignes, efficaces augmenteront les chances de négociation du
sens dans les tâches. Une forme de suivi (enregistrement,…) sera mise
en place pour permettre au tuteur de donner un feedback adéquat
car la focalisation exclusive sur le sens peut se faire au détriment de
l’acquisition des formes attestées de L2 (Aimard, 2005 et Grosbois,
2007).
Richards et Rogers (2001) et (Lamy et Hampel, 2007) décrivent
un modèle de création de tâches en trois niveaux qui inclut approche,
conception et procédures :
- l’approche résulte des choix théoriques,
- la conception requiert l’analyse, en fonction de l’approche,
des objectifs, les types d’activités, les rôles respectifs
des apprenants et des enseignants, et la fonction des
matériaux,

– 91 –
Les langues dans l’enseignement superieur

- les procédures, en accord avec les choix théoriques et la


conception, comprendront les techniques au quotidien,
les pratiques, les comportements et la façon dont sont
conduites les phases de présentation, de pratique et de
suivi.
On peut également appliquer ce qui précède aux micro tâches.
Ces dernières sont néanmoins de nature différente et, en particulier,
les apprenants peuvent moins facilement les concevoir, et il n’est
pas dit que cela soit opportun. La conception de micro tâches peut
être prévue pour des centres physiques ou virtuels (Arthaud, 2007)
en portant une grande attention à la réception (delivery), au suivi
et au feedback quand on sera dans le virtuel. Néanmoins les TIC
peuvent apporter un très grand soutien et permettre des économies
d’échelle remarquables à ce niveau, tout en accompagnant un travail
rigoureux et suivi.

5.3. Caractéristiques des tâches

Les caractéristiques des tâches seront mesurées au moment de


la conception des tâches et à celui de l’interprétation des résultats.
Skehan (1998) a défini des indicateurs de complexité pour les tâches.
Ils comprennent :
- complexité du code (complexité linguistique et variante,
poids lexical et richesse),
- complexité cognitive (familiarité cognitive, familiarité avec
le sujet, le genre et la tâche),
- traitement cognitif (organisation de l’information, degré
de réflexion exigé, clarté et adéquation de l’information),
- tension communicative (contraintes de temps, échelle,
nombre de participants, longueur des documents utilisés),
- modalités de travail,
- enjeux de la tâche,
- disponibilité du contrôle,
- disponibilité des aides.
On sait que trois dimensions ont été liées à la performance en
TBL : aisance, précision et complexité. Leurs relations ont été décrites
dans Skehan (1998) ou Skehan et Foster (in Robinson, 2001) et elles
sont liées aux capacités réduites de traitement de l’information de la

– 92 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

mémoire de travail. Plus une tâche est complexe, plus le traitement


sera lent et les énoncés seront moins complexes. Les performances
individuelles dépendent également des caractéristiques individuelles
des apprenants. La complexité de la tâche a un premier effet de base
qui nous intéresse : plus les apprenants doivent faire attention au
contenu, moins ils le feront à la langue : le sens sera leur priorité,
pas la langue, ce qui se fera au détriment de la langue. C’est ce
phénomène qui explique que TBL se soit progressivement de plus
en plus intéressé à la forme. Néanmoins l’acquisition de L2 est
qualifiée d’incomplète (Schachter, 1990) et il est bon de se rappeler
que la performance des apprenants dans les diverses tâches ne peut
développer que certains aspects de l’acquisition de L2, pas tous à la
fois…

6. Le feedback
6.1. Principes généraux
Le feedback devra être pris en compte dès l’élaboration des tâches
et la mise en place du dispositif. Il tiendra compte du programme,
des objectifs et caractéristiques de la tâche, ainsi que du niveau de
compétence de l’apprenant et de ses caractéristiques individuelles.
Il s’agit d’une forme de médiation réactive. La médiation pro-active
se retrouve quant à elle dans le dispositif (y-compris dans le soutien)
dans les tâches et dans les consignes. Une médiation sous forme
d’étayage peut être fournie par les pairs et cela peut être prévu dans
la phase pro-active. Toutefois, le feedback est d’autant plus efficace
qu’il a lieu le plus rapidement possible. Si les tâches sont interactives,
les réactions des divers participants peuvent constituer un feedback
médié par le tuteur. Dans la mesure où la communication peut
fonctionner même quand la phonologie, les formes, voire la
pragmatique sont partiellement défaillantes, le suivi des échanges
peut conduire à la proposition de tâches complémentaires. Rees
(2003) montre l’efficacité du feedback apporté par les pairs alors
qu’Aimard (2005) et Grosbois (2006) en soulignent les limites.
Par exemple, la nativisation phonologique qui résulte d’un input
essentiellement écrit (Grosbois, 2006), peut donner lieu à des
tâches d’entraînement phonologique (outils du genre text-to-
speech, des dictionnaires sonores en ligne ou des corpus oraux) pour

– 93 –
Les langues dans l’enseignement superieur

sensibiliser les apprenants à ce phénomène. Dans certains contextes,


la correction des erreurs, qu’il est préférable d’appeler révision, a la
réputation d’être très efficace (Narcy-Combes, 2009). Des techniques
informatiques peuvent faciliter ce travail tout en veillant à ne pas
multiplier le feedback pour ne pas décourager les apprenants. La
recherche montre quelles techniques peuvent fournir un feedback
efficace : traitement automatique et prise en compte de l’individu
ne sont pas nécessairement antinomiques (Narcy-Combes, 2005).
Il reste à valider ces résultats dans d’autres contextes. Mesurer le
produit va au-delà de la révision des points non-conformes aux
normes de L2 car dans la plupart des cas, conseiller des micro
tâches adaptées et/ou de nouvelles macro tâches sera plus efficace
que de donner une longue liste détaillée de problèmes. Ce processus
impliquant l’apprenant est plus motivant.

6.2. Le suivi (monitoring)

Les objectifs doivent être clairement définis et de façon


pragmatique (White, 2003, Bertin et Narcy-Combes, 2007). Ils
posent les questions suivantes :
- Qu’en attend-on ?
- Quels concepts théoriques sont impliqués ?
- Comment mesurer l’interaction et la réussite de la tâche ?
- Comment suivre de grands groupes et obtenir des données
individuelles ?
- Quels indicateurs définir ?
- Comment transformer les données observées en
commentaires utiles pour l’apprenant ?
Pour Lamy et Hampel (2007) les caractéristiques socioculturelles
telles que l’apprentissage verbal, le langage intérieur, l’accès à la
ZPD11 (Vygotski, trad. fr. 1997) doivent être prises en compte, ce qui
impose de définir des indicateurs particuliers. Un suivi plus informel
viendra de l’étayage, des échanges collaboratifs et pédagogiques
(Bertin et Narcy-Combes, 2007).

Une relation transductive entre la langue, le contenu et la culture


justifie pleinement que la langue et le contenu soient enseignés

11. Zone Proximale de Développement.

– 94 –
Propositions pour intégrer contenu et langue(s)

conjointement. La réflexion plurilingue modifie largement nos


conceptions sur l’apprentissage et les interactions. La complexité des
tâches respectives des enseignants disciplinaires et des enseignants
de langues justifie un travail en équipe (Causa, ici-même) où chacun
complète l’autre afin de prendre en compte les problèmes disciplinaires
et langagiers des apprenants. Nos propositions concernent plutôt le
contexte français ou des contextes similaires. En mettant en avant
l’approche par tâches, pouvant être suivies dans d’autres disciplines,
nous en avons proposé une adaptation par des dispositifs souples,
hybrides ou à distance. Les TIC et la CMO permettent de concevoir
des développements prometteurs. On peut ainsi mettre en place
des formations dites adjunct CLIL dans lesquelles les disciplines et
les langues sont travaillées en parallèle. Toute équipe qui souhaite
travailler dans cette optique doit pouvoir développer des outils
de recherche-action ou de pratique réflexive (Dörnyei, 2007). La
créativité des apprenants sera développée, l’enseignement sera fluide
et un suivi rigoureux sera mis en place. La mesure de ce travail
d’équipe s’impose entre enseignant(s) disciplinaire(s) et enseignant(s)
de langues. Les expériences pédagogiques qui nous ont permis de
proposer cette conceptualisation entre micro et macro tâches (Bertin
et alii, 2010) ont confirmé qu’apprenants et enseignants avaient
tout à gagner à travailler de cette façon une fois passé l’étape de
déstabilisation qui accompagne tout changement assez radical.

Jean-Paul Narcy-Combes

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– 100 –
II - ANALYSE DIDACTIQUE
DE CAS PRATIQUES
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue
en Faculté de Médecine ? L’enseignant de langue
doit-il et peut-il avoir la double compétence ?

Abstract
A survey conducted by the ANEMF (Association Nationale des
Etudiants en Médecine de France) in October 2008 shows that due to the
considerable volume of medical knowledge they have to acquire, French
medical students demand that the content of their course in English be
directly related to their medical curriculum. Yet, very few teachers can
claim to be experts in medicine. Most teachers are sent to university
hospitals without prior training and are trained on the job, which is far
from being satisfactory. Therefore, I will present the pedagogical strategies
that I have implemented in Pierre et Marie Curie School of Medicine
so as to optimize medical English classes, and I will raise the issue of
teacher training specifically in English for medical purposes and suggest
some solutions to help teachers acquire the medical knowledge sufficient
to design relevant and efficient course contents.

L’enquête menée par l’ANEMF (Association Nationale des Etu-


diants en Médecine de France) en octobre 2008 et qui visait à faire
un état des lieux de l’enseignement de l’anglais dans les Facultés de
Médecine françaises révèle que les étudiants en médecine souhaitent
que le contenu du cours de langue soit directement lié à leur pro-
gramme médical. Elle souligne également que, plus l’enseignant de
langue possède des bases solides en médecine, plus ses étudiants sont
rassurés et attentifs. Comment réussir une articulation harmonieuse
et efficace  entre connaissances médicales et linguistiques  ? Quelle
part doit-on accorder au contenu médical dans un cours de langue ?
Cette part peut-elle et doit-elle évoluer en fonction du niveau et du

– 103 –
Les langues dans l’enseignement superieur

profil des apprenants ? Quelles sont les connaissances médicales re-


quises pour préparer un cours de langue en médecine ? Jusqu’à quel
point l’enseignant de langue doit-il et peut-il avoir la double compé-
tence ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre
en apportant des solutions concrètes à partir de notre expérience en
didactique de l’anglais et du français médical.

1. La place de la L21 dans les études de médecine en France

Les étudiants en médecine, qu’ils préparent leur diplôme en


France ou dans un autre pays de l’Union européenne, suivent en
moyenne 40 heures de cours par semaine. Leur cursus s’étale sur
une bonne dizaine d’années. Les cours commencent en septembre
et se terminent par des examens en juin. Leurs vacances se résu-
ment à deux semaines en décembre et trois semaines en été. Dès la
troisième année (DCEM12), ils sont en stage à l’hôpital le matin et
ont cours l’après-midi. À partir de la sixième année (DCEM4), ils
préparent leur ENC (Examen National Classant), ce qui leur per-
mettra en fonction de leur rang de choisir leur spécialité et le lieu
de leur Internat (de 3 à 5 ans) durant lequel ils apprendront leur
métier et prépareront leur thèse. Depuis les disciplines fondamenta-
les telles que la biochimie ou la génétique en passant par les Ensei-
gnements Intégrés par Appareil (EIA de neuropsychiatrie ou loco-
moteur par exemple) jusqu’aux ateliers de sémiologie, les matières
enseignées sont nombreuses et le programme extrêmement lourd.
La somme des connaissances à acquérir est énorme et le temps à
consacrer au travail chez soi est réduit. Les langues, matières mi-
neures mais obligatoires (arrêté du 18 mars 1992), viennent donc
alourdir un cursus déjà difficile et sont souvent perçues comme une
perte de temps. En France, comme dans la plupart des pays euro-
péens non anglophones, la L2 est presque exclusivement l’anglais,
qui est généralement enseigné à partir de la deuxième année3 et ce
jusqu’en quatrième année. Il s’agit, dans la plupart des Facultés de
Médecine, d’une matière obligatoire à faible coefficient. Le nombre

1. L2 correspond ici à l’anglais.


2. Deuxième Cycle des Études Médicales.
3. Seule la Faculté de Médecine de Dijon met l’anglais au concours de première
année.

– 104 –
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en Faculté de Médecine ?

d’heures varie d’une université à l’autre, oscillant entre 20 et 60


heures annuelles. Outre le nombre d’heures insuffisant pour espérer
amener les apprenants faibles à une véritable maîtrise de la langue,
se pose également le problème de la charge de travail de l’étudiant
en médecine. Comment en effet insérer un apprentissage efficace
de la langue dans un programme aussi dense ? Comment motiver
des étudiants qui ont, par ailleurs, une telle charge de travail ? Car
même si la plupart d’entre eux sont conscients de l’importance de
maîtriser une deuxième voire une troisième langue étrangère, ils
hésitent à empiéter sur leur temps de travail, dévolu en priorité aux
matières médicales.
L’enquête de l’ANEMF a permis de proposer quelques pistes de
réflexion. Dans les résultats de cette enquête, l’UPMC (Université
Pierre et Marie Curie) est citée en exemple à plusieurs reprises.
Nous tentons en effet depuis plusieurs années de trouver des
solutions concrètes aux problèmes de temps et parfois de manque de
motivation des quelques 2000 étudiants en médecine issus des deux
CHU (Centre Hospitalo-Universitaire) Pitié-Salpêtrière et Saint-
Antoine faisant partie de l’UPMC. Ces propositions valent bien
entendu pour d’autres disciplines.

2. Du linguistique au médical et du médical au linguistique :


la mise en place de dispositifs

Dans la plupart des universités européennes, les cours de langues


vivantes étrangères sont construits sur le modèle des «  langues de
spécialité  ». Ce choix, qui conduit une institution universitaire à
décider de rattacher les cours de langue à la spécialité étudiée, repose
sur plusieurs constats :
- la forte probabilité que l’étudiant ait recours à la langue
étrangère dans sa future activité professionnelle mais aussi
pendant ses études puisque, en médecine par exemple, dès
la troisième année il doit lire des articles de recherche en
anglais,
- la nécessité de motiver l’étudiant, parfois en situation
d’échec par rapport à l’enseignement scolaire qu’il a reçu en
langues dans le secondaire, en lui proposant une formation
dont le contenu est lié à sa discipline,

– 105 –
Les langues dans l’enseignement superieur

- la volonté d’optimiser le peu de temps qu’il a à consacrer


aux langues et lui permettre en L2 de faire « d’une pierre
deux coups ». Il s’agit alors de dispenser un enseignement
qui lui semble efficace et le plus adapté possible à son propre
cas dans la mesure où il cherche une rentabilité (Challe,
2002).
Partant de ces constats, nous réfléchissons depuis plusieurs
années à un certain nombre de dispositifs concrets dont nous testons
l’efficacité auprès des étudiants en médecine de deuxième, troisième
et quatrième années.

2.1. Du sens pratique et beaucoup d’imagination

Le premier dispositif consiste à prendre connaissance du


programme médical au début de chaque année afin d’en extraire les
thèmes qui pourront nous servir de base en cours d’anglais. Pour
exemple, parmi les thèmes au programme des étudiants de troisième
année, nous avons opté pour la neurologie, l’ophtalmologie, l’ORL,
et les maladies infectieuses. Il ne s’agit bien entendu pas de faire un
cours d’ophtalmologie en anglais mais d’utiliser cette thématique
pour apprendre l’anglais, même s’il est vrai que les diaporamas et les
différents cas cliniques sur lesquels nous nous appuyons permettent
aux étudiants de réviser ou souvent même d’apprendre de nouvelles
notions dans la spécialité. C’est probablement ce qui fait notre force
car les étudiants ont l’impression que le cours d’anglais consolide et
enrichit leurs connaissances en médecine. Cette approche intégrée
est particulièrement efficace puisqu’elle leur propose d’apprendre
à la fois la langue et le contenu (Ellis, 2003). Un polycopié est
édité chaque année et comprend le vocabulaire de base (anatomie
et pathologies principales), des phrases de l’interrogatoire/examen
clinique, des petits cas cliniques, des cours et exercices de grammaire.
Le cours est construit à partir de tâches faisant sens fondées sur des
situations réalistes et pertinentes afin de motiver l’étudiant et de
susciter l’utilisation d’une langue aussi authentique que possible
(Nunan, 1989). Les évaluations portent en revanche uniquement
sur les connaissances linguistiques. L’objectif n’est pas, bien entendu,
de poser des questions purement médicales. Malgré tout, certains
étudiants nous font ce reproche car certains exercices de définition

– 106 –
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en Faculté de Médecine ?

requièrent, selon eux, des connaissances médicales. La conception


des sujets nécessite donc beaucoup d’attention.

Le deuxième dispositif consiste à faire intervenir des collègues


médecins dans nos cours. Chaque année, nous leur demandons de
faire une petite conférence en anglais sur un des thèmes médicaux
au programme (en général un cours qu’ils font habituellement en
français), ce qu’ils font généralement de bon cœur. Les étudiants
posent alors des questions et commentent la présentation. À la fin
de la séance, nous reprenons les erreurs linguistiques qui ont été
faites à la fois par l’orateur et les étudiants. Ce dispositif permet aux
étudiants de prendre conscience de l’importance de l’anglais et de les
désinhiber par rapport à la langue dans la mesure où l’occasion leur
est donnée de voir l’un de leurs maîtres francophones faire l’effort
de s’exprimer dans un anglais plus ou moins correct. Le médecin
sert à la fois de modèle et de faire-valoir. Enfin, il permet aux étu-
diants d’écouter de nouveau un cours auquel ils ont déjà assisté en
amphithéâtre en français et de réviser ainsi l’examen, ce qui est leur
objectif principal. Cette approche en tandem qui associe le médecin
spécialiste de la discipline et l’enseignant spécialiste de L2 dont la
mission va être de concevoir des tâches langagières à partir du conte-
nu médical est ce qu’on appelle l’adjunct CLIL4. Ce dispositif en est
pour l’instant à une phase de démarrage et devrait se développer à
mesure qu’un travail collaboratif entre les enseignants spécialistes et
les enseignants de langues se construit.

Un troisième dispositif consiste à aider les étudiants à s’approprier


la langue avec leurs propres outils de formalisation et leur mode
de raisonnement. Nous nous servons des modèles d’apprentissage
« par cas cliniques » et « par problèmes », et nous nous appuyons
sur la démarche hypothético-déductive qui a cours dans le domaine
médical. En effet, un étudiant en médecine apprend, dès l’obtention
du concours à la fin du PCEM15, à définir et à analyser un problème
à partir d’un cas clinique donné, à formuler des objectifs de travail,
à se remémorer les différentes pathologies afférentes, à poser un
diagnostic et à envisager un traitement. L’étudiant est amené à

4. Voir Narcy-Combes et Causa, ici-même.


5. Premier Cycle des Études Médicales.

– 107 –
Les langues dans l’enseignement superieur

réactiver ses connaissances et à les appliquer dans un contexte de


résolution de problème. Il lui est également demandé de justifier
ses choix et de les confronter à ceux des autres acteurs. C’est ce que
les médecins appellent un diagnostic différentiel. Il nous a semblé
extrêmement intéressant d’appliquer cette approche dans nos cours
de langues dans la mesure où les étudiants ont déjà l’habitude de
cette démarche pédagogique dans leur discipline. Ainsi, au niveau des
thématiques, à l’instar des enseignants de médecine, nous procédons
par dossier clinique. Dans le dossier «  cardiologie  » par exemple,
les étudiants doivent d’abord apprendre les termes anatomiques,
puis les pathologies les plus courantes pour ensuite se concentrer sur
des cas concrets qui donnent lieu à des jeux de rôles sous forme de
consultations ou de rédaction d’observations (anamnèse, diagnostic,
traitement et suivi). En partant d’un cas clinique ou d’un cliché
qui pose problème, l’étudiant est amené à faire des suppositions en
réutilisant et donc en réactivant le vocabulaire et les structures acquis
dans la L2. Nous utilisons également cette approche hypothético-
déductive en grammaire en soumettant à l’analyse de nos apprenants
un énoncé présentant une structure-clef plutôt qu’en leur donnant
des listes plus ou moins exhaustives de règles et de leurs innombrables
exceptions. Charge à eux d’en comprendre la raison et d’en déduire
leur propre règle. Cette approche permet aussi de susciter le besoin
chez l’apprenant si l’on ambitionne un apprentissage véritable et
pérenne (Perrin, 1995). C’est ici notre propos. Nous choisissons de
nous appuyer sur la curiosité des étudiants qui sont avant tout des
scientifiques et parfois de futurs chercheurs à partir de tâches de
conscientisation qui les amènent à réfléchir sur la langue (Ellis, 2003).
Telles des symptômes, les structures sont décortiquées et analysées.
La structure grammaticale erronée devient alors pathologique et doit
être traitée pour revenir à la norme. La grammaire est explicitée à partir
de métaphores biomédicales, plus parlantes et plus adaptées que la
terminologie linguistique : les modaux sont comparés aux hormones,
DO à l’ADN, la complexification devient «  polymérisation  »,
l’opposition TO/-ING est explicitée à la lumière des concepts de
dextrogyrie et de lévogyrie, etc. (Faure, 1999). La théorie linguistique
à partir de laquelle nous avons construit notre dispositif grammatical
est celle des Opérations (Adamczewski, 1983). Issue de la théorie
énonciative culiolienne, la grammaire des Opérations est fondée sur

– 108 –
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en Faculté de Médecine ?

la conviction que les morphèmes grammaticaux ou « opérateurs »


sont les traces visibles des opérations internes qui précèdent toute
production d’énoncés oraux et écrits. Ainsi, les morphèmes tels
que DO, BE + ING, THE, A, ANY, SOME, À, DE etc. sont la
matérialisation en surface de ces opérations formelles inconscientes
auxquelles ils nous permettent d’avoir accès. La théorie est basée sur
un principe de cyclicité itératif commun à toutes les grammaires
humaines selon lequel toute une série de morphèmes grammaticaux-
clefs se présentent par paires révélant ainsi un schéma binaire que
l’on peut représenter sous la forme d’un double clavier construit à
partir de l’opposition rhématique/thématique (Adamczewski, 1999).
Par conséquent, les éléments saisis rhématiquement le sont lorsque
le paradigme des choix est encore ouvert (ex : un verre à vin) alors
que leurs homologues thématiques sont utilisés lorsqu’au contraire,
il n’existe plus de choix possibles (ex  : un verre de vin). Nous
avons choisi ce modèle parce qu’il nous a semblé que son caractère
résolument scientifique, sa puissance explicative, sa systématicité et
son élasticité en faisaient la base de travail idéale lorsqu’il s’agissait
d’enseigner la grammaire anglaise aux étudiants en médecine et aux
professionnels de santé.

Un quatrième dispositif consiste, en plus des 24 heures de cours


en présentiel, à offrir aux étudiants les plus faibles un parcours en
ligne (50 heures) accessible sur la plateforme de l’université. Pour
l’instant, il s’agit d’activités d’anglais dans un contexte scientifique
large avec des modules de grammaire et des activités de compréhen-
sion de l’écrit et de l’oral, en attendant de pouvoir leur proposer un
parcours plus spécifique d’activités ciblées sur l’anglais médical. Des
séminaires de grammaire et des ateliers d’initiation à l’apprentissage
à la lecture critique d’articles (LCA) ou à la consultation leur sont
également proposés en plus de leur formation obligatoire de base.
Cette approche modulaire permet de répondre à leurs besoins spéci-
fiques et se développe.

Enfin, pour l’ensemble de ces dispositifs, nous travaillons à


partir de documents authentiques et particulièrement motivants
que sont les séries télévisées américaines telles que House M.D.
(Docteur House), Grey’s anatomy, ou encore Nurse Jackie. Il peut s’agir

– 109 –
Les langues dans l’enseignement superieur

d’exercices à trous conçus à partir des sous-titres anglais dont nous


effaçons certains termes-clefs ou encore de diagnostics différentiels.
Le potentiel de ces supports est illimité et leur efficacité indéniable.

2.2. Réflexion sur ces dispositifs

Même s’ils se révèlent efficaces, variés et appréciés, l’ensemble de


ces dispositifs soulève néanmoins un certain nombre de questions :
- Que cherche-t-on à faire acquérir et à évaluer ?
- Quelle langue va-t-on enseigner ? S’agira-t-il d’une simple
coloration thématique ou d’une entrée directe dans les
différents discours médicaux, en fonction des situations de
communication ?
- Peut-on introduire la langue de spécialité alors que le niveau
de langue « usuelle » n’est pas encore acquis ?
- Jusqu’où va-t-on dans la part accordée au contenu  ? Ne
risque-t-on pas d’arriver à un enseignement disciplinaire
dans la langue étrangère, un cours de médecine en anglais
par exemple, et par conséquent de privilégier le traitement
des contenus plutôt que celui de la langue ?
- Comment emboîter les macro tâches et les micro tâches
(Narcy-Combes, 2005)  de façon cohérente en fonction
des niveaux de langue des étudiants et en relation avec les
enseignants de médecine ?
- Si le public est homogène par la spécialité étudiée, il ne l’est
pas en anglais. Comment concevoir et adapter un cours à
fort contenu médical aux différents niveaux de compétences
langagières ?
- Quel va être le degré de technicité du contenu ?
- Et, par voie de conséquence, comment l’enseignant de
langue, qui ne possède pas forcément les connaissances
suffisantes en médecine, va-t-il concevoir son cours ?
Nous avons déjà répondu à la première question. Même s’il
est parfois difficile de ne pas confondre contenu et langue, il est
nécessaire d’être très vigilant et de n’évaluer que la langue et non
les connaissances médicales. Au niveau de l’université, la langue
enseignée reste une « langue de spécialité » (Mangiante et Parpette,
2004). L’enseignant va se concentrer sur l’apprentissage du lexique

– 110 –
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en Faculté de Médecine ?

et de la grammaire. Il ne s’agira pas de mettre l’accent sur l’analyse


des différents discours de la médecine que façonnent les nombreuses
situations de communication dans ce domaine. On pourra au
mieux introduire la notion de communication médecin/patient
qui requiert un travail sur le lexique et sur le discours. Mais, entrer
dans le détail des différents discours professionnels serait une perte
de temps, l’objectif étant, à ce stade, de permettre à l’étudiant de
décrypter un document écrit ou oral dans sa spécialité et de discuter
avec un autre étudiant, sachant que ce ne sont pas les termes les plus
techniques qui posent problème mais bien la langue générale. Ce
sont donc les mots spécialisés qui vont servir de clefs pour entrer dans
la langue commune. Il semble nécessaire d’introduire la « langue de
spécialité  » dès le premier niveau, sans attendre un hypothétique
niveau de langue usuelle correct, et ce pour trois raisons : parce que
le temps manque, parce que l’étudiant est déjà entré peu ou prou
dans son domaine disciplinaire, et parce que la langue de spécialité
est déjà sa langue et favorise de ce fait certains transferts en L2, lui
rendant l’appropriation de l’anglais plus facile6. L’enseignement
de L2 s’appuie sur les disciplines médicales et s’organise selon des
objectifs pédagogiques clairement définis et selon des évaluations
conçues dans ce sens. Reste que le contenu sert la langue et la langue
le contenu. Le cours s’inscrit selon ce rapport fondamental. D’un
groupe à l’autre, le contenu disciplinaire reste le même. Ce sont
les contenus linguistiques qui diffèrent en fonction du niveau de
langue des apprenants. En revanche, plus l’étudiant est avancé dans
ses études, plus il est exigeant dans ses attentes. Il est donc nécessaire
de proposer une professionnalisation graduelle de la langue via un
enseignement des discours médicaux de plus en plus pointu au fur
et à mesure des années. Ainsi, en PCEM2 et DCEM1, la langue de
spécialité est introduite pour ensuite, en DCEM2, aborder, par le
décodage des articles de recherche et la rédaction de cas cliniques, le
discours spécialisé et la langue à visée professionnelle.
Compte tenu de l’ensemble des dispositifs présentés, se pose
alors la question de l’enseignant de langue intervenant en contexte
médical. Quel est son profil ? Quelle formation a-t-il reçu ? Est-il
locuteur natif ? Qu’attendent de lui les étudiants ? Quelles sont les
connaissances médicales requises pour préparer un cours de langue à

6. Voir Narcy-Combes, ici-même.

– 111 –
Les langues dans l’enseignement superieur

l’attention d’un public constitué d’étudiants en médecine ? Et surtout,


jusqu’à quel point doit-il et peut-il avoir la double compétence7 ?

3. De l’enseignant de langue médicale au médecin


enseignant la langue

Il y a quelques années, suite à des coupes budgétaires importantes


et mû par la conviction que les langues s’apprenaient comme n’im-
porte quelle autre matière médicale (par cœur et par contact direct),
le Doyen de la Faculté de Médecine de Saint-Antoine avait pris la
décision de confier l’enseignement de l’anglais aux médecins de l’hô-
pital. En effet, les praticiens hospitaliers perçoivent un deuxième
salaire, émanant de l’Education Nationale, et doivent à la Faculté de
Médecine 192 heures annuelles d’enseignement. Durant une année,
les étudiants de médecine ont donc suivi des cours de médecine en
anglais, les médecins n’étant en aucun cas formés à la didactique des
langues étrangères. Cette expérience s’est soldée par un échec. Les
étudiants, conscients qu’ils n’avaient pas progressé dans leur maîtrise
de la langue et, pour les faibles, qu’ils avaient été bloqués dans leur
compréhension du contenu, ont fini par boycotter les cours et les
examens. Sous la pression estudiantine, le Doyen a fait de nouveau
appel aux professionnels de la langue l’année suivante. Il y a deux
ans, manquant cruellement de vacataires, des groupes d’étudiants
ont dû être confiés à deux infirmières anglophones. Les évaluations
ont été tout autant catastrophiques. Incapables d’exploiter un docu-
ment et d’animer le cours, et ignorant tout d’un objectif pédagogi-
que en langue et des moyens pour l’atteindre, mélangeant contenus
linguistiques et disciplinaires, les infirmières ont dû être remerciées
à la fin de l’année.
Ces deux expériences négatives confortent l’idée, s’il en est besoin,
que l’enseignement d’une langue, même de spécialité, ne peut être
assuré efficacement que par un enseignant de langue.
À l’inverse, lorsque nous sommes arrivée à l’UPMC en septem-
bre 2000, les cours d’anglais en médecine étaient assurés par des en-
seignants agrégés, souvent littéraires, qui proposaient aux étudiants
de lire Shakespeare dans le texte, de discuter de la monarchie bri-
tannique ou d’analyser les raisons du conflit irlandais. Le Doyen de

7. Voir Causa, ici-même.

– 112 –
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en Faculté de Médecine ?

la Faculté de Médecine, las des récriminations des étudiants, qui se


plaignaient de perdre leur temps et d’avoir l’impression de retourner
au lycée, souhaitait que l’anglais soit purement et simplement retiré
du cursus.
Ces exemples soulignent l’importance et la nécessité de confier les
cours de langues à des enseignants de langues mais à des enseignants
qui ont suivi une formation didactique leur permettant d’imaginer
des scénarii et des dispositifs langagiers adaptés au contexte et au
public donné. Cette formation en didactique devrait d’ailleurs être
couplée à une formation présentant le domaine médical dans toutes
ces composantes générales et essentielles. Il était donc urgent de
repenser et de réorganiser cet enseignement  sous peine de le voir
disparaître. Mais, il fallait déterminer un programme solide et surtout
trouver des enseignants disposés à s’intéresser à la médecine en tant
que discipline et à en maîtriser le langage. Si on lit souvent que le
formateur possède mieux la langue que l’étudiant qui, quant à lui,
connaît mieux le domaine de spécialité, et que l’enseignement de la
langue de spécialité est un échange entre experts, il n’en demeure pas
moins que, pour réussir à mettre en place les différents dispositifs
présentés, il est impératif que l’enseignant de langues médicales
se familiarise (en français comme en anglais) avec le langage, la
terminologie et aussi avec les différents types de discours. En effet,
la langue médicale, si elle est ancrée dans la langue générale, ne
se réduit pas à une terminologie spécialisée (Resche, 2001). Il est
également nécessaire que l’enseignant acquière le savoir de base afin
de maîtriser le minimum nécessaire en anatomie, en physiologie et en
sémiologie pour être à même de comprendre, de choisir et d’exploiter
ses supports, et qu’il s’imprègne de la culture (communication
médecin/patient, systèmes de santé, etc.). Il doit également prendre
conscience des modes d’apprentissage de son public afin de pouvoir
s’y appuyer dans son enseignement. Enfin, il doit se tenir au courant
des différentes nouveautés thérapeutiques et mettre régulièrement
à jour ses connaissances afin de choisir des supports pertinents.
La médecine étant une science aux avancées rapides, les supports
et connaissances peuvent vite devenir obsolètes. Il est primordial
de suivre l’actualité médicale d’autant plus qu’on constate que les
étudiants en médecine ne se tiennent pas suffisamment informés car
ils n’ont guère le temps de lire d’autres supports que leurs polycopiés

– 113 –
Les langues dans l’enseignement superieur

de cours. Le cours de langues n’en sera que plus motivant. L’enquête


de l’ANEMF a également montré que plus l’enseignant de langue
possède des connaissances solides en médecine, plus les étudiants
sont rassurés sur ses compétences de pédagogue et attentifs à
l’enseignement qu’il leur dispense.

4. Quelles formations proposer aux enseignants de langue


intervenant en contexte médical ?

Au sortir du CAPES ou de l’Agrégation, quel enseignant peut


se targuer de posséder de solides connaissances en médecine  ? La
formation d’un enseignant ne saurait comprendre l’apprentissage
de la médecine ou d’une discipline autre que la langue. En outre,
s’il enseigne l’anglais médical en France, se former à la médecine
en anglais devient encore plus problématique. Cependant, même
si l’enseignant de langue ne pourra jamais prétendre posséder les
mêmes connaissances qu’un médecin – et ce n’est pas le but – des
solutions existent pour l’aider à acquérir une maîtrise suffisante du
contenu disciplinaire (Mourlhon-Dallies, 2003).
Nous avons réfléchi aux diverses possibilités de formation à l’an-
glais médical8. L’université d’Edimbourg proposait déjà des stages
linguistiques pour les étudiants en médecine. Nous avons demandé
au responsable de ces stages de monter avec nous un projet de for-
mation à destination de nos enseignants. Notre équipe a donc suivi
un stage d’une semaine qui visait à leur donner des outils pour en-
seigner l’anglais en médecine. Initiation aux différents discours de la
médecine, analyse et exploitation de documents authentiques médi-
caux, acquisition du vocabulaire spécifique, remédiation aux diffi-
cultés phonétiques et phonologiques, travail sur les racines latines et
grecques, suivi de conférences, et visites d’hôpitaux, le programme
leur a permis de mieux appréhender cet enseignement très spécifique
et pour lequel on ne peut improviser (Beacco et Lehmann, 1990).
Cette formation s’est révélée tout à fait efficace parce que rassurante
et a été suivie cette année par une nouvelle équipe.

8. On retrouvera ces mêmes interrogations de formation concernant le français


médical pour étrangers (Mourlhon-Dallies, 2003).

– 114 –
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en Faculté de Médecine ?

En France, à l’université de Paris 49, il existe au sein du Master


Professionnel LFA (Langue Française Appliquée), une formation
spécifique à la langue médicale. Ce type de projets devrait pouvoir
se développer et notamment dans le cadre d’un partenariat avec un
CHU. En Allemagne, il existe déjà des possibilités de stages offertes
aux enseignants d’anglais qui sont ou seront amenés à enseigner dans
une Faculté de Médecine allemande. Ces enseignants rejoignent sur
quelques mois à une année des parcours de médecine dans certaines
universités britanniques pour s’approprier la langue médicale et un
contenu disciplinaire qui leur permettra de concevoir et d’animer
des formations d’anglais médical à leur retour (Kautenburger,
2007). Toutefois, ces stages intensifs d’une semaine (stages proposés
par l’UPMC à Edimbourg) à quelques semaines (stages proposés
par l’Allemagne) ne sauraient remplacer une véritable formation à
l’enseignement de L2 en contexte médical.
L’idéal reste malgré tout d’insérer au sein même de la formation
des enseignants des unités d’enseignement de « langues de spécialité »
car, même si connaître la médecine par exemple n’est pas impératif
et, de toutes les façons, peu envisageable, maîtriser la langue de
la médecine est indispensable. Cependant, il est assez rare que
le jeune enseignant sache à ce stade dans quelle(s) spécialité(s) il
souhaitera ou pourra intervenir. D’ailleurs, il est encore plus rare que
l’enseignant de langue n’intervienne que dans une seule spécialité.
Nous pourrions imaginer que la formation post-concours intègre
une initiation aux différentes « langues de spécialité » via des stages
intensifs et des séminaires dans le cadre d’une formation continue,
ou que des formations ad hoc puissent être mises en place en fonction
des besoins en recrutement des institutions. Même si l’enseignant
va au fur et à mesure des années et de ses lectures et observations
acquérir de plus en plus de connaissances médicales, et par là même,
se spécialiser, une formation de base reste incontournable. Un
certain nombre de réseaux tels que le GERAS (Groupe d’Etude et de
Recherche en Anglais de Spécialité) ou le GERES (Groupe d’Etude
et de Recherche en Espagnol de Spécialité) constitués d’enseignants
de langues de spécialité mettent à la disposition de leurs collègues
débutants de nombreux supports et exemples de programmes. Il
serait judicieux de faire appel à ces experts pour des formations.

9. À l’initiative du Professeur Olivier Soutet.

– 115 –
Les langues dans l’enseignement superieur

5. Vers une double compétence

Naviguant entre langue de spécialité, langue professionnelle, et


enseignement de la médecine dans la langue cible, nos dispositifs
sont variés et requièrent, de fait, beaucoup de réflexion dans le choix
et l’organisation des tâches compte tenu du faible nombre d’heures
de cours dont nous disposons. Il est par conséquent primordial de
développer une certaine maîtrise des contenus disciplinaires afin
d’améliorer le choix et l’exploitation des supports pédagogiques et
d’accroître la motivation des étudiants mais nous ne devons pas
perdre de vue que le public reste expert en sa matière et que notre
rôle, en tant qu’enseignant de langue, est d’abord de mettre les
outils linguistiques et culturels à sa portée. Une certaine expertise
disciplinaire est nécessaire pour la mise en place de dispositifs
pédagogiques pertinents liés au domaine et aux objectifs des
étudiants. Seule une formation qui intègrerait la didactique de la L2
et le contexte disciplinaire permettrait d’éviter l’écueil du médecin
propulsé « professeur de langue » et du professeur « shakespearien »
catapulté en contexte médical.

Pascaline Faure

Bibliographie

Adamczewski, H., 1983, Grammaire linguistique de l’anglais, Paris, Armand


Colin.
Adamczewski, H., 1999, Clefs pour Babel ou la passion des langues, Saint-
Leu d’Esserent, EMA.
Beacco, J.-C., et Lehmann, D., 1990, Publics spécifiques et communication
spécialisée, Paris, Hachette.
Challe, O., 2002, Enseigner le français de spécialité, Paris, Economica.
Ellis, R., S., 2003, Task-based Language Learning and Teaching, Oxford,
OUP.
Faure, P., 1999, «  Pour une grammaire métaphorique de l’anglais de
spécialité », in ASp n° 19/22.
Faure, P., 2003, «  Formation des enseignants en langues de spécialité  :

– 116 –
Quel(s) contenu(s) enseigner en cours de langue en Faculté de Médecine ?

exemple pour l’anglais médical », in Les Cahiers de l’APLIUT, Volume


XXII, n° 2.
Kautenburger, M., 2007, « Y a-t-il nécessité d’une formation en médecine
pour enseigner le français médical ? », in Revue Points Communs n° 32,
Paris, CCIP.
Mangiante J.-M. et Parpette, C., 2004, Le français sur objectif spécifique : de
l’analyse des besoins à l’élaboration d’un cours, Paris, Hachette.
Mourlhon-Dallies, F., 2003, « Former à enseigner le français de spécialité :
l’exemple du français médical », in Les Cahiers de l’ASDIFLE, vol. 14.
Narcy-Combes, J.-P., 2005, Didactique des langues et TIC  : vers une
recherche-action responsable, Paris, Ophrys.
Resche, C., 2001, «  Réflexions sur la frontière entre langue générale et
langue spécialisée  », in Mémet, M., et Petit, M., (dir.), L’anglais de
spécialité en France, Bordeaux, GERAS (éd.).

Sites recommandés

Pour le français médical

www.umvf.prd.fr
www.canal-u.tv
www.aphp.fr 
www.medecine-et-sante.com
www.mediamed.org
www.doctissimo.fr
www.quotimed.com
www.vidal.fr

Pour l’anglais médical

www.thelancet.com
www.nejm.org
www.bmj.com
www.cnn.com
www.bbc.co.uk
www.cbs.com
www.pbs.com
www.voanews.co

– 117 –
Les articles scientifiques en langue anglaise :
utilisation et appropriation par les étudiants
en orthophonie

Abstract
The purpose of this paper is to show how an “English for Specific
Purposes” course may be set up taking the example of my experience with
speech-therapy students in their fourth and last year at university. In the
context of scientific and more especially medical English, the aim is to
help them, first to become more proficient readers and second to be able
to write the abstract of the study they carry out during their last academic
year. I will begin with a study of the students’ background, of their needs
in correlation with the aims of the course and of the specificity of the
type of English they have to deal with, and will then describe the steps
of my approach, which combines traditional classroom teaching with
technology-supported teaching on the SAKAI platform.

Cet article apporte un témoignage sur les pratiques de plus en


plus complexes auxquelles les enseignants intervenant dans le sec-
teur LANSAD des universités se trouvent confrontés. Les difficultés
qui en découlent, se situent à plusieurs niveaux  : les contraintes
institutionnelles imposent souvent une marge de manœuvre limi-
tée en matière d’organisation de l’enseignement car il faut tenir
compte d’un cadre imposé (volume horaire, fréquence des cours,
choix des dates et nombre d’étudiants), des objectifs souhaités par
la filière concernée, du type de langue de spécialité et des attentes
diversifiées du public en fonction de leur niveau linguistique. Tou-
tes ces données, le plus souvent en contradiction les unes avec les
autres, soulignent la complexité croissante du métier d’enseignant

– 119 –
Les langues dans l’enseignement superieur

de langues dans ce secteur où il se doit d’imaginer et de proposer


un modus operandi à la prise en compte de tout un ensemble de
variables pour l’élaboration d’un dispositif d’enseignement (Narcy-
Combes, 2005). Cette problématique sera illustrée par un exemple
de module d’enseignement de l’anglais sur objectifs spécifiques mis
en place auprès des étudiants inscrits en quatrième année d’ortho-
phonie à l’UPMC (Université Pierre et Marie Curie) sur le site de
la Pitié-Salpêtrière.

Il s’agit ici de mettre en évidence l’impossibilité de faire l’éco-


nomie d’une véritable réflexion concernant l’environnement du
cours. Pour cela, il faut tenir compte de l’organisation générale de
la formation suivie par ces étudiants et de son contenu (en France,
et ailleurs en Europe), s’intéresser au public accueilli, à son par-
cours scolaire et/ou professionnel antérieur, à ses projets profession-
nels et, bien sûr, à la spécificité de la langue enseignée. À partir de
cet état des lieux préalable, nous montrerons de quelle manière un
projet ayant pour objectif d’être le plus efficace possible pour les
étudiants comme pour l’enseignant a été mis en place. Nous nous
poserons enfin la question de savoir si les enseignants de langues
intervenant dans l’enseignement supérieur sont, de fait, compétents
pour intervenir dans les secteurs LANSAD ou s’il est plus réaliste
d’envisager l’existence d’enseignants de langues spécialistes d’un ou
de plusieurs domaines spécifiques1. La réflexion proposée dans cet
article correspond à celle qui a été menée pour construire le module
d’enseignement.

1. Contexte général

L’enseignement de l’anglais a été introduit dans les études


d’orthophonie en 2005 en troisième année et en 2006 en quatrième
et dernière année. Il reste inexistant lors des deux premières années.
Cet intérêt pour l’anglais est lié à un effort de normalisation nationale
dans le cadre du LMD2 et au fait que le diplôme bénéficie depuis
2006 d’une reconnaissance au niveau européen.

1. Voir Faure, ici-même.


2. LMD : Licence-Master-Doctorat.

– 120 –
Les articles scientifiques en langue anglaise

En France, les études couvrent quatre années universitaires mais


ne permettent d’acquérir que 180 ECTS3. Elles conduisent à l’ob-
tention d’un « Certificat de Capacité d’Orthophoniste » homologué
seulement au niveau Licence4, ce qui correspond à 180 ECTS. Ce
diplôme permet, en théorie, d’exercer la profession d’orthophoniste
dans tous les pays de l’Union européenne, mais, en pratique, les
orthophonistes formés en France ne peuvent travailler que dans les
pays francophones5. Avec le LMD, les orthophonistes français peu-
vent également poursuivre des études en France ou dans un autre
pays de l’Union européenne en Master puis en Doctorat dans une
optique de recherche.
Si les institutions européennes ont souhaité harmoniser le parcours
universitaire conduisant à la profession d’orthophoniste, il n’en reste
pas moins que, d’un pays à l’autre, des disparités persistent. En
effet, pour devenir orthophoniste, il suffit dans certains autres pays
européens de trois années d’études avec 180 ECTS pour obtenir une
Licence alors qu’en France, il est demandé quatre années d’études
avec toujours 180 ECTS mais pour seulement un niveau Licence.
Pour d’autres pays, cinq années d’études avec 300 ECTS sont
requises pour l’obtention d’un Master.
En France, l’anglais est une matière obligatoire, mais ce n’est
pas le cas dans les autres pays européens. Pour ce qui est des
possibilités de poursuite d’études en France, on citera UMPC
qui leur permet d’intégrer la première année du Master RIM
«  Rééducation et Ingénierie Médicale  »6 ouvert depuis septembre
2008 aux diplômés en orthophonie, en orthoptie, en kinésithérapie
et en psychomotricité. L’université de Paris 10 leur propose, quant
à elle, un Master «  Dysfonctionnements langagiers et illettrisme  »
mais d’autres formations de niveau Master dans les départements
de linguistique leur sont également accessibles, notamment à
l’université Sorbonne nouvelle, Paris 3. Il n’en reste pas moins que
la poursuite d’études après l’obtention du Certificat de Capacité

3. ECTS : European Credit Transfer and Accumulation System.


4. La licence est habituellement délivrée après 3 années d’étude dans l’enseigne-
ment supérieur.
5. En dehors des pays francophones, quelques-uns occupent des emplois où ils
interviennent auprès d’une clientèle francophone.
6. Ce Master ne comportait que trois orthophonistes parmi les 31 inscrits en
2008-2009.

– 121 –
Les langues dans l’enseignement superieur

d’Orthophoniste ne concerne qu’une partie infime des étudiants,


certainement parce que le taux de chômage dans cette profession est
extrêmement faible – voisin de 1 % – et que les étudiants trouvent
un emploi immédiatement à la fin de leurs études et parfois même
avant. Environ 80 % d’entre eux vont exercer en libéral et les autres
dans des structures hospitalières7 ou médicales traitant les handicaps.
L’âge des diplômés est également un frein à la poursuite d’études
car un certain nombre d’étudiants ne font pas le choix de devenir
orthophonistes immédiatement après le bac.

2. Profil des étudiants de l’UPMC

Le numerus clausus en orthophonie est de 130 étudiants par an8.


Il s’agit d’un public très largement féminin (un ou deux garçons par
promotion). Afin de mieux connaître ce public, nous avons effectué
une enquête9 auprès des étudiants inscrits en quatrième année en
2008-2009. Nous avons observé de grandes disparités sur le plan
de l’âge et de l’origine scolaire des étudiants. Leur niveau d’anglais
pouvait être supposé hétérogène en raison de la diversité de leurs
parcours, cela s’est confirmé lors d’un rapide échange oral pratiqué
en début d’année. Les âges vont de 21 à un peu plus de 50 ans.
Sachant que si un étudiant a obtenu son baccalauréat à 18 ans,
prépare le concours d’entrée pendant un an et le réussit, il arrive
en quatrième année à 22 ans. La majorité des étudiants ont entre
22 et 24 ans, un nombre important d’entre eux ont entre 26 et 30
ans et un nombre non négligeable sont âgés de 31 à plus de 50
ans. Nous avons ici une illustration de l’expression « formation tout
au long de la vie  » qui amène vers l’université une population de
plus en plus hétérogène sur le plan de l’âge et donc de l’expérience

7. S’ils occupent un emploi de fonctionnaire, il s’agit seulement d’un poste de


catégorie B ce qui correspond à des titulaires d’un diplôme de niveau bac à bac+2,
bac+3 ou équivalent qui assurent des fonctions d’application et de rédaction Dans
la fonction publique hospitalière nous trouvons à ce niveau : infirmier des services
de soins, diététicien, ergothérapeute, masseur-kinésithérapeute, orthophoniste, or-
thoptiste, pédicure-podologue, psychomotricien, manipulateur d’électroradiologie
médicale, préparateur en pharmacie hospitalière et technicien de laboratoire.
8. L’accès en première année se fait sur concours. En 2010, pour 130 places (nu-
merus clausus), 3 000 étudiants sont inscrits au concours de l’UPMC.
9. Enquête réalisée en ligne sur le site http://www.surveymonkey.com/.

– 122 –
Les articles scientifiques en langue anglaise

et des attentes compte tenu d’une plus grande variété de parcours


universitaires et professionnels. Sur le plan du financement des
études, il convient de préciser que les étudiants qui étaient en
recherche d’emploi lorsqu’ils ont fait le choix d’entamer ce cursus
de quatre années, ont pu bénéficier d’allocations pendant toute la
durée de leurs études. Certains soulignent, par ailleurs, le fait qu’ils
auront une rémunération inférieure à ces allocations en débutant
leur nouvelle carrière.
Parmi les étudiants ayant répondu à l’enquête (21 sur 130), un
tiers a déjà été inscrit en première année de cycle universitaire dans
les domaines suivants : médecine, dentaire, droit, lettres modernes,
MIAS (Mathématiques, Informatique et Applications aux Sciences),
psychologie et sociologie. Un autre tiers possède déjà un ou
plusieurs diplôme(s) de l’enseignement supérieur et ce jusqu’à un
niveau correspondant à cinq années d’études après le bac ! Les
diplômes mentionnés sont les suivants : BTS audiovisuel option son,
Maîtrise d’espagnol, Maîtrise de droit privé et diplôme supérieur de
l’Institut National des Techniques Documentaires, DEA d’allemand,
DEA de littérature et civilisation française, DESS information-
communication10. La discussion avec les étudiants déjà diplômés
permet, par ailleurs, de mettre en évidence le fait qu’une proportion
non négligeable d’entre eux ont déjà travaillé grâce aux diplômes
obtenus mais que certains n’en ont pas tiré la satisfaction qu’ils en
attendaient et que d’autres n’en acceptaient pas les contraintes ou
bien ont été licenciés.
Cette formation, très encadrée et permettant d’accéder à un métier,
s’avère être une alternative pour les étudiants qui n’ont pu trouver de
débouché professionnel satisfaisant avec leur diplôme universitaire sur
un marché de l’emploi de plus en plus difficile d’accès. Le Certificat de
Capacité d’Orthophoniste, diplôme professionnalisant avec numerus
clausus, permet un reclassement, ou plus exactement un accès réel
à l’emploi, même s’il passe pour certains par un déclassement dans
la mesure où la rémunération risque d’être plus faible pour certains.
Leur future profession d’orthophoniste est, à leurs yeux, synonyme
d’indépendance vis-à-vis de la pression hiérarchique qui existe dans

10. Une étudiante possède deux diplômes (licence d’arts du spectacle et licence
de philosophie) et une autre en possède même quatre (licence d’anglais, licence
d’espagnol, maîtrise de lettres modernes et maîtrise de science politique).

– 123 –
Les langues dans l’enseignement superieur

les entreprises mais, par-dessus tout, ils l’associent à la possibilité


d’avoir une vie familiale plus harmonieuse. Cette grande variété de
parcours scolaires et professionnels se traduit par une très grande
hétérogénéité des niveaux en anglais de ce public. La plupart n’ont
plus fait d’anglais depuis quatre à dix ans et quelques-uns depuis
plus de quinze ans !

3. Caractéristiques du module

Avec un volume annuel de 8 heures par étudiant le terme « cours »


s’avère assez peu approprié, aussi parlerons-nous de «  module  ».
L’objectif général est d’améliorer la compétence de lecture d’articles
spécialisés (30 à 40 en moyenne) et de rédiger l’abstract du mémoire
professionnel. Cet abstract fait suite au résumé du mémoire en
français, il doit contenir les mêmes éléments que celui-ci mais ne
peut pas en être une traduction mot-à-mot. Il s’agit d’un paragraphe
unique de cinq à six lignes exposant la problématique de la recherche,
la méthodologie employée, les résultats et offrant une perspective
pour de futures recherches. Ce module d’anglais ne s’appuie sur
aucun programme officiel, ne conduit pas à l’obtention d’ECTS
ni d’UE11 et n’est pas évalué de façon académique sous la forme
d’une note. Il est néanmoins évalué de manière formative dans la
mesure où l’enseignant va lire, relire et corriger cet abstract avant
qu’il ne soit publié en quatrième de couverture du mémoire puis
sur le site de l’UNADREO12 où il sera accessible dans le monde
entier par l’intermédiaire des bibliothèques universitaires. Enfin,
dernière contrainte organisationnelle, et non négligeable, l’effectif est
réparti en quatre groupes d’une trentaine d’étudiants suivant l’ordre
alphabétique. L’hétérogénéité qui découle de ce découpage arbitraire
s’avère, en fin de compte, être un réel atout pour la dynamique de
groupe : les étudiants les plus avancés aident les moins avancés et
participent ainsi à l’action pédagogique.

11. Unité d’Enseignement.


12. UNADREO : Union Nationale pour le Développement de la Recherche et
de l’Evaluation en Orthophonie (Organisme en charge notamment de la gestion
d’une banque de données bibliographiques européenne qui référence plus de
14000 articles ayant rapport à l’orthophonie).

– 124 –
Les articles scientifiques en langue anglaise

4. Identification des difficultés

L’élaboration du module de quatrième année s’est faite en étroite


collaboration avec les étudiants auxquels il a été demandé d’exprimer
leurs difficultés et leurs besoins en fonction de l’objectif visé. En
ce qui concerne la lecture d’articles, ils évoquent des difficultés de
compréhension13 liées à la concentration de la langue, notamment
dans les syntagmes nominaux, à la longueur des phrases et à la
complexité syntaxique qui en découle (Banks, 2007), avec, dans le cas
des complétives en that, le problème supplémentaire que représente
l’absence du marqueur introductif that dans ces mêmes propositions
et la nécessité qu’il y a de reconstruire la relation syntaxique – qui
paraît évidente lorsque le marqueur est présent (Pezant, 2007).
Il est difficile pour les étudiants de repérer et de comprendre les
marqueurs nécessaires à la lecture efficace d’un article scientifique
et cette étude linguistique s’avère donc essentielle (Garcia Negroni
et Humbley, 2004). Ils n’ont pas toujours de « bonnes » habitudes
de lecture ; les moins bons lecteurs sont ceux qui traduisent le plus
et sont le plus déroutés par les difficultés syntaxiques (Malcom,
2009). Ils se concentrent presque uniquement sur les mots et ne
prennent pas suffisamment en compte le co-texte14, ce qui pose
d’autant plus problème pour cerner la logique discursive des articles
scientifiques qui ne sont pas toujours « neutres » aussi bien au niveau
de la problématique adoptée que de la construction méthodologique
et de la présentation des résultats, d’où la compréhension parfois
incomplète du texte lu. Les auteurs présentent leurs résultats sous
un jour qui justifie l’intérêt de leur recherche et le regard critique
du lecteur doit sans cesse questionner le texte en fonction de sa
propre perspective d’analyse du problème étudié. La difficulté de
compréhension est, par conséquent, quasiment insurmontable pour
les étudiants dont le niveau d’anglais est faible (A1 du CECR)15.
Pour ce qui est de la rédaction de l’abstract, le problème qui se
pose est de passer d’un résumé en français – parfois peu clair à la
13. Les étudiants ayant le plus de difficultés passent un temps beaucoup trop long
en déchiffrage, ils disent que cette activité les « épuise » et admettent qu’ils se don-
nent parfois « beaucoup de mal pour rien »…
14. Voir Frantz, ici-même.
15. CECR : Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues.

– 125 –
Les langues dans l’enseignement superieur

base et contenant, de plus, des expressions difficilement traduisibles


– à un abstract en anglais qui «  sonne  » anglais. Voici quelques
exemples de notions que les étudiants ne sont absolument pas
parvenus à transposer en anglais, accompagnés d’une suggestion de
traduction donnée par l’enseignant en fonction de ce que l’on peut
trouver dans la littérature scientifique :
- né à 28 semaines d’aménorrhée : born after only 28 weeks in
the womb
- avoir du retard : lag one’s peer group
- enfants à problèmes : children with special needs
- bébés avec un faible (petit) poids de naissance  : low-
birthweight infants
On remarquera ici que les difficultés correspondent non pas
à des concepts relevant strictement du registre médical mais à
des expressions langagières données, voire figées. L’enseignant va
également faire prendre conscience à l’étudiant de la différence
structurelle qui existe entre les deux langues16 : nombre de mots plus
important et phrases plus longues en français, davantage de formes
passives en anglais,… pour véhiculer le même message lors de la
rédaction de résumés et d’abstracts dans un domaine scientifique
(Van Bonn et Swales, 2003 : 101-10217).

5. Conception du projet pédagogique

Un certain nombre de lignes directrices du projet d’enseignement


se dégagent à partir de cette contrainte forte de 8 heures pour
travailler les compétences écrites. Dans ce contexte, l’anglais se situe
au carrefour du domaine académique et du domaine professionnel
et, par conséquent, le contenu n’est pas seulement un support
pour l’apprentissage de la langue puisque la compréhension fine
des articles scientifiques en langue anglaise est une réelle nécessité.
L’étude de certains points de langue va aider les étudiants à accéder
plus rapidement au contenu, ils en prennent conscience et cela
renforce leur motivation. Les documents utilisés tiennent compte
des différents domaines abordés par l’orthophonie. Ces derniers sont

16. Vinay et Darbelnet, 1977.


17. Les auteurs comparent le résumé et l’abstract d’un article de Catherine Resche
(université de Paris 2) pour montrer les spécificités des deux versions.

– 126 –
Les articles scientifiques en langue anglaise

devenus de plus en plus nombreux au cours de ces dernières années


du fait que le champ d’action de la profession s’est considérablement
élargi. Les compétences des orthophonistes sont aujourd’hui utilisées
dans toutes sortes de pathologies : troubles du langage, dysphasie,
aphasie, acalculie, apraxie, surdité, bégaiement, chirurgie du cerveau
sur patient éveillé, stimulation du réflexe de succion chez les
prématurés, maladies dégénératives comme Alzheimer, Parkinson,
neurologie, handicaps… Une même affection touchant la plupart
du temps plus d’un des domaines cités, l’enseignant va pouvoir
sélectionner les supports intégrant plusieurs thèmes.
L’étude de la langue est, nous l’avons vu, également une vraie
nécessité car la compréhension du contenu passe par la maîtrise
de la syntaxe, de la grammaire et du lexique tout autant que de la
rhétorique de l’article en anglais, de sa construction discursive et
du contexte. L’enseignant en charge de ce module va rechercher
l’efficacité pour aborder l’ensemble de ces domaines. Pour faciliter le
travail de lecture d’articles et aider les étudiants à recueillir les seuls
éléments pertinents pour l’élaboration de leur mémoire, un travail
sur la compétence de lecture est proposé en premier. À partir de la
lecture des articles dans leur totalité, deux stratégies de lecture 18 sont
présentées et travaillées :
- le skimming 19 («  écrémage  ») permet de leur épargner la
lecture fastidieuse de l’ensemble d’un article qui ne contient
peut-être rien d’intéressant pour leur recherche,
- le scanning 20 permet de sélectionner uniquement les
éléments pertinents.
À cela s’ajoutent des tâches sur la structure de la langue à partir
de courts extraits d’articles ou d’abstracts afin d’enclencher un travail
d’observation langagier sur les aspects syntaxiques, lexicaux et
sémantiques. Ces deux approches, celle de la compétence de lecture
pour acquérir du contenu dans la spécialité et celle du language
awareness pour mieux s’approprier les formes linguistiques semblent

�����������������
. Grellet, 1981.
����
. “Skimming: quickly running one’s eyes over a text to get the gist from it.” (Grellet,
1981 : 4). « Skimming : parcourir rapidement un texte du regard afin d’en saisir
l’essentiel. » (ma traduction).
����
. “Scanning: quickly going through a text to find a particular piece of information.”
(Grellet, 1981 : 4). « Scanning : lire rapidement un texte à la recherche d’une in-
formation précise. » (ma traduction).

– 127 –
Les langues dans l’enseignement superieur

non seulement nécessaires dans ce cadre mais aussi complémentaires.


De toute évidence, les tâches liées à la traduction ont aussi leur
place dans ce module. La version pour améliorer leur compétence
de lecteur mais aussi le thème puisque les étudiants vont s’inspirer
de leur résumé en français pour rédiger un abstract en anglais (le
format exige de respecter les mêmes principes textuels dans les
deux langues). Il s’agit de phrases de thème d’imitation les amenant
à réinvestir des modèles qui ont été identifiés lors des activités de
lecture et de repérage en L2 et qui pourront être réutilisés et adaptés
dans leur abstract. L’objectif est bien de manipuler des expressions
et structures dans un but d’appropriation. Dans le contexte de ce
module, la technique enseignée est celle qui a semblé la plus rapide
à acquérir pour arriver à rédiger un bon abstract – celle du «  pick
and choose » ou, autrement dit, du « copier-coller créatif ». Il s’agit
de l’application de l’approche préconisée par Montgomery et qui
peut se résumer à l’aide de la phrase suivante : « The main thrust is
to identify models of effective writing, study them and then find ways to
emulate them. »21 (Montgomery, 2003 : 28).

6. Description du dispositif mis en place

Le schéma d’organisation des huit heures d’anglais par étudiant


est constitué de quatre volets :
1. En septembre/octobre : deux séances de deux heures dans la
même journée en présentiel.
- Objectif : Améliorer la compétence de lecture de textes
scientifiques en évitant la lecture intégrale.
- Supports : huit longs abstracts et un article entier couvrant
une pluralité de domaines en rapport avec l’activité d’or-
thophoniste, étudiés en classe. Une grille de mots croisés.
- Tâches proposées :
• anticipation à partir du titre, « écrémage » sélectif pour
vérifier ses hypothèses (skimming),
• repérage des mots/informations clés (scanning), repérage
des mots de liaison qui organisent le texte,
• résumé de l’article proposé, traduction de phrases

21. «  Il s’agit principalement d’identifier des modèles d’écriture efficace, de les


étudier et d’arriver ensuite à les imiter. » (ma traduction).

– 128 –
Les articles scientifiques en langue anglaise

complexes tirées des documents vers le français,


• auto-évaluation du vocabulaire spécialisé acquis à l’aide
de la grille de mots croisés (donner l’équivalent anglais
d’un terme en français).
2. En mars : une séance de deux heures en présentiel.
- Objectif : Apprendre à rédiger un abstract par la technique
de l’imitation en utilisant la méthode du copier-coller
(copy-paste) créatif.
- Supports : quatre abstracts et deux articles longs publiés par
des anglophones ainsi que l’abstract et le résumé d’un article
publié par une équipe québécoise bilingue (voir annexe).
- Les tâches proposées vont souvent permettre un réinves-
tissement et une complexification des techniques utilisées
dans le premier TD :
• observation fine de la construction des quatre abstracts,
du vocabulaire utilisé, de leur grammaire et syntaxe (temps
des verbes, chronologie et logique, concentration des in-
formations…),
• observation comparative d’un résumé et de l’abstract cor-
respondant,
• association titres-paragraphes (matching),
• réorganisation des paragraphes d’un article pour retrouver
son ordre logique (jumbled paragraphs),
• relevé par chaque étudiant de tout ce qui lui paraît
transférable à son propre abstract,
• traduction de phrases extraites d’abstracts en français vers
l’anglais.
3. Un suivi personnalisé de chaque étudiant équivalent à deux heu-
res est proposé en ligne tout au long de l’année. Il propose :
- une assistance à la lecture d’articles,
- une assistance à la rédaction des abstracts,
- la relecture et correction des abstracts avant publication
(entre mai et septembre, en raison de l’existence de deux
sessions d’examen) : envoi de l’abstract à l’enseignant, rendu
avec commentaires, révision en fonction des commentaires,
deuxième envoi pour ultime relecture de l’enseignant et
retour aux étudiants pour intégration à la quatrième de
couverture de leur mémoire.

– 129 –
Les langues dans l’enseignement superieur

4. Un lexique bilingue collaboratif de termes spécialisés a été mis


en place dès 2005 sur la plateforme d’enseignement SAKAI.
Il s’enrichit au fil des promotions et s’appuie sur des termes
relevés lors de la lecture d’articles scientifiques. Les entrées
sont en français puisque ce lexique va servir d’outil d’aide à la
rédaction de l’abstract mais il est toujours possible d’effectuer
une recherche sur n’importe quel terme dans les deux langues
avec la fonction « rechercher » du tableur Excel.

Les contenus décrits tiennent compte des objectifs professionnels


des étudiants (lire et écrire en anglais) et font partie des documents
(articles scientifiques et abstracts) d’un même niveau de complexité
que ceux qu’ils utilisent dans le cadre de leurs études. Ces contenus
sont motivants et correspondent à leurs préoccupations et vont
leur permettre de travailler la compétence linguistique en contexte
grâce à la lecture ciblée des documents et à la rédaction de l’abstract.
Les résultats obtenus par les étudiants sont encourageants car dans
le cadre de leurs lectures en vue de recueillir des données pour
leur article, ils font des demandes ciblées et qui correspondent à
une réelle difficulté. En ce qui concerne la rédaction de l’abstract,
ils réinvestissent de manière appropriée des expressions tirées de
modèles. Ces observations montrent que ce module d’anglais
remplit pleinement sa fonction et arrive à atteindre ses objectifs.
Le module d’anglais ainsi organisé (lecture, réflexion, traduction,
rédaction) correspond aux attentes des étudiants dans ce contexte
bien particulier et les prépare à une éventuelle poursuite d’études
dans une perspective de recherche. L’enseignant d’anglais amené
à intervenir dans le domaine de la rééducation des troubles du
langage, mais aussi plus largement dans les domaines scientifiques,
doit pouvoir acquérir puis actualiser ses connaissances en matière
de contenu car la recherche scientifique est un domaine qui évolue
rapidement et qui est aussi sensible aux phénomènes de mode22, sans
devenir pour autant un spécialiste de contenu23. La conception de
ces dispositifs, comme le montre bien celle du module d’anglais pour
l’orthophonie, est extrêmement compliquée en raison des contraintes

22. Actuellement les neurosciences et la nutrition exercent un fort pouvoir d’at-


traction pour les étudiants.
23. Voir Faure, ici-même.

– 130 –
Les articles scientifiques en langue anglaise

et des exigences requises. En effet, ce module est l’aboutissement


d’une réflexion de type recherche-action au niveau de la répartition
des huit heures sur l’année, du choix de programmation des activités
écrites de réception puis de production étayées par des tâches de type
language awareness et de la création d’un lexique bilingue collaboratif
sur une plateforme d’enseignement. Il illustre assurément un
dispositif efficace pour l’utilisation optimale des ressources selon
des contraintes contextuelles et situationnelles fortes. La tâche de
l’enseignant d’anglais dans ce contexte est, par conséquent, d’une
grande complexité : il doit être capable d’analyser les contraintes et
les exigences afin de proposer un dispositif ciblé.

Deux points nécessiteraient une analyse plus approfondie  : il


s’agit de la conception des dispositifs en adéquation avec le CECR
et de la formation des enseignants.
La question de la correspondance de ce type de module avec les
objectifs du CECR se pose aujourd’hui nécessairement à l’enseignant
de langue(s). On voit bien que de nombreuses perspectives de
recherche restent à explorer dans le domaine des «  objectifs
spécifiques  » pour une mise en relation avec les grilles de niveau
du CECR car chaque domaine particulier demande une adaptation
et une contextualisation24. Toutefois, dans le cadre de ce module,
l’hétérogénéité du public en anglais (de A1 à C1), les effectifs (trente
étudiants par groupe) et le volume horaire restreint (huit heures) ne
permettent pas d’envisager réellement cette question.
Concernant la formation continue pour les enseignants de
langues du secteur LANSAD, il s’avère primordial de multiplier
les stages25 en relation avec les langues de spécialité et l’approche
des contextes culturels en favorisant, par exemple, les partenariats
avec les enseignants non-linguistes de la spécialité en France et à
l’étranger26, mais surtout en encourageant la recherche en didactique
afin de concevoir des dispositifs alliant « langues », « cultures » et
« partenariats ». L’enseignant de langues dans le secteur LANSAD n’est
24. La dimension culturelle n’est d’ailleurs pas prise en compte faute de temps et
de moyens si ce n’est en comparant l’anglais et le français sur le plan micro-lin-
guistique et stylistique.
25. J’ai personnellement pu bénéficier en 2008 d’un stage d’anglais médical à
l’université d’Edimbourg dans le cadre de la formation continue.
26. Voir Causa, ici-même.

– 131 –
Les langues dans l’enseignement superieur

pas seulement un spécialiste de la langue qu’il enseigne, il est aussi un


didacticien capable d’analyser un problème, un environnement, une
situation à l’aide d’enquêtes (recherche documentaire sur le domaine
de spécialité selon des contextes culturels différents, questionnaires
et/ou entretiens etc.) pour mieux connaître son public et pour
générer des propositions réalistes et appropriées. De tels modules
d’enseignement sont amenés à évoluer en fonction de la réflexion sur
l’expérience et à l’aide de nouvelles enquêtes destinées à les parfaire
ou à les reconstruire si les paramètres de base changent. La formation
initiale et continue en langues de spécialité, en contextes culturels
où ces langues s’expriment, ainsi qu’en recherche didactique, sont
les dimensions nécessaires que réclament les enseignants de langues
dans le secteur LANSAD pour accomplir leur tâche.

Brigitte Lutrand Pezant

Bibliographie

Banks, D., 2007, «  L’évolution de la phrase en anglais scientifique  », in


La coordination et la subordination dans le texte de spécialité, Paris  :
L’Harmattan.
Grellet, F., 1981, Developing Reading Skills, Cambridge, CUP.
Malcolm, D., 2009. «  Reading strategy awareness of Arabic-speaking
medical students studying in English », in System, 37.
Montgomery, S., 2003, The Chicago Guide to Communicating Science,
London, The University of Chicago Press.
Narcy-Combes, J.-P., 2005, Didactique des langues et TIC  : vers une
recherche-action responsable, Paris, Ophrys.
Negroni, M., et Humbley, J., 2004, « Termes techniques et marqueurs
d’argumentation  : pour débusquer l’argumentation cachée dans les
articles de recherche », in ASp, Bordeaux.
Pezant, B., 2007, «  Les propositions complétives en that dans le texte
de spécialité  », in La coordination et la subordination dans le texte de
spécialité, Paris, L’Harmattan.
Van Bonn, S., Swales, J., 2003, « English and French journal abstracts in
the language sciences: Three exploratory studies », in Journal of English
for Academic Purposes, 6, Elsevier.

– 132 –
Les articles scientifiques en langue anglaise

Vinay, J.-P., Darbelnet, J., 1977, Stylistique comparée du français et de


l’anglais, Paris, Didier.

Annexe

Modèle d’abstract et de résumé en anglais et en français présenté


dans : Thordardottir, E, Keheyia, E., Lessard, N., Sutton, A., Trudeau,
N., 2010, “Typical Performance on Tests of Language Knowledge
and Language Processing of French-Speaking 5-Year-Olds.”, in
Canadian Journal of Speech-Language Pathology and Audiology, vol.
34, n° 1, p. 5-16.

Titre original :
“Typical Performance on Tests of Language Knowledge and Language
Processing of French-Speaking 5-Year-Olds.”

Abstract27:
The evaluation of the language skills of francophone children for
clinical and research purposes is complicated by a lack of appropriate
norm-referenced assessment tools. The purpose of this study was the
collection of normative data for measures assessing major areas of
language for 5-year-old monolingual speakers of Quebec French.
Children in three age-groups (4;6, 5;0 and 5;6 years, n=78) were
administered tests of language knowledge and linguistic processing,
addressing vocabulary, morphosyntax, syntax, narrative structure,
nonword repetition, sentence imitation, rapid automatized naming,
following directions, and short term memory. The assessment
measures were drawn from existing tools and from tools developed
for this study, and included formal tests as well as spontaneous
language measures. Normative data are presented for the three age
groups. Results showed a systematic increase with age for most of
the measures. Correlational analysis revealed relationships of varying
strength between the measures, indicating some overlap between
the measures, but also suggesting that the measures differ in the
linguistic skills they tap into. The normative data presented will
facilitate the language assessment of French-speaking 5-year-olds,
permitting their performance to be compared to the normal range
of typically developing monolingual French-speaking children and

27. 8 phrases, 205 mots.

– 133 –
Les langues dans l’enseignement superieur

allowing the documentation of children’s profiles of relative strengths


and weaknesses within language.

Titre traduit en français par les auteurs :


«  Performance type lors d’examens de connaissances et de
traitement du langage chez les enfants francophones de cinq ans. »

Résumé28 :
L’évaluation des capacités langagières des enfants francophones à
des fins clinique et de recherche est compliquée en raison du manque
d’outils d’évaluation normalisés adéquats. Le but de cette étude
était de recueillir des données normatives pour différentes mesures
qui évaluent les principaux aspects du langage chez les enfants de
cinq ans unilingues francophones québécois. Des enfants de trois
groupes d’âge (4;6, 5;0 et 5;6, n=78) ont passé des examens sur les
connaissances et le traitement du langage concernant : le vocabulaire,
la morphosyntaxe, la syntaxe, la structure narrative, la répétition de
non-mots, l’imitation de phrase, la dénomination rapide automatisée,
l’application de consignes et la mémoire à court terme. Les mesures
d’évaluation ont été élaborées à partir d’outils existants et d’outils
créés pour la présente étude. Elles étaient composées de tâches
formelles ainsi que de mesures du langage spontané. Les données
normatives sont présentées pour les trois groupes d’âge. Les résultats
de la plupart des mesures ont montré une amélioration systématique
avec l’âge. L’analyse corrélationnelle a révélé des relations de forces
variées entre les mesures, indiquant un certain chevauchement entre
certaines d’entre elles, mais suggérant aussi que les mesures varient
en fonction des capacités langagières mises à profit. Les données
normatives présentées faciliteront l’évaluation du langage chez les
enfants francophones de cinq ans. Elles permettront de comparer
leur performance à celles des enfants unilingues francophones dont
le développement est dans la norme et de documenter le profil des
enfants quant à leurs forces et faiblesses relatives au langage.

28. 10 phrases, 247 mots.

– 134 –
Lecture de textes linguistiques en anglais.
Cours à contenu ou cours de contenu ?

Abstract
A specialized language class or a content course taught in a second
language? Reading being a solitary act, the most efficient way to help
students majoring in language science to improve their capacity to
understand what they read in English is to offer them face-to-face courses
coupled with on-line follow-up: this will give them more time to practice
on their own with specific guidelines (a series of tasks accompanies the
students in their reading). A hybrid course has thus been experimented
for several years at the ILPGA – Institute for Applied and General
Phonetics and Linguistics. This course is both a specialized language
class and as a content class using the second language as a medium.
The texts are chosen for their relevance in terms of content rather than
language. Content is then a means and an objective to attain.

Il sera ici question d’un cours de « lecture de textes linguistiques


en anglais » qui est proposé en semi-présentiel, depuis 2005, à des
étudiants en sciences du langage. Après avoir décrit l’origine et
l’organisation du cours, nous nous interrogerons sur la place que le
contenu et l’étude de la langue étrangère y occupent.

1. La genèse du cours

Le cours a été créé à la demande de l’ILPGA (Institut de


Linguistique et Phonétique Générales et Appliquées), une UFR1
de l’université Sorbonne nouvelle, Paris  3 dédiée à l’étude des

1. Les UFR sont maintenant des départements.

– 135 –
Les langues dans l’enseignement superieur

sciences du langage. Il répond à la double nécessité d’offrir des


cours de langues dans tous les cursus de Licence (troisième année
de l’université) et de fournir aux étudiants des clés pour aborder les
textes de spécialité en version originale. Le contenu est donc le réel
objectif du cours, même si, comme nous le verrons, il sert également
de moyen d’apprentissage de l’anglais.
En tant qu’enseignante en Formation Continue2, j’ai eu l’occasion
de développer une pratique pédagogique fondée sur une approche
globale des textes ancrée sur l’étude du fonctionnement de la langue
(Frantz, 1993, 1995). Or, dans le même temps, ma lecture des travaux
de Jean-Paul Narcy-Combes sur le semi-présentiel m’a permis de
résoudre une difficile équation : comment faire lire aux étudiants de
longs textes de spécialité lorsque l’on dispose d’un temps de cours
très limité  ? La création d’un dispositif hybride d’enseignement/
apprentissage permet de dégager du temps de travail en autonomie
pour l’étudiant et implique un déplacement de l’attention didactique
de l’enseignant vers les étudiants (on reconnaît que l’essentiel du
travail doit être fait par l’étudiant plutôt que par le professeur ex
cathedra).

2. Cadre théorique

Sur le plan linguistique  : l’approche métaopérationnelle du


fonctionnement de la langue (Adamczewski, 1992) va fournir à
l’apprenant les données linguistiques indispensables à une lecture
autonome du texte. Selon cette approche, lorsque le sens global du
texte échappe au lecteur, une micro-compréhension des passages en
question devient alors nécessaire : en plus de l’apport sémantique
on propose ainsi à l’apprenant un certain nombre de clés qui vont
lui permettre de saisir l’organisation syntaxique des énoncés. En
ce qui concerne l’architecture interne de la langue, ces clés aident
à percevoir les différentes catégories de mots constitutifs d’un
énoncé, à distinguer leur sens et leur fonction et également à
repérer la nature des relations. Ces outils grammaticaux permettent
à l’apprenant d’organiser, de systématiser et de rationaliser son
approche du texte.

2. Frantz, Bénéjean et Dewar, 1983, Read Xerox Manuel d’autoformation à l’an-


glais technique et informatique. Paris, Ed. Rank Xerox.

– 136 –
Lecture de textes linguistiques en anglais

Sur le plan didactique, il s’agit de fournir à l’apprenant « les moyens


d’être responsable de son apprentissage pour qu’il puisse exercer le
pouvoir de se diriger et de ne pas être soumis au pouvoir d’autrui »
(Narcy-Combes, 2005 : 24). La lecture étant essentiellement un acte
individuel, les étudiants ont besoin d’être guidés pour devenir des
lecteurs autonomes dans la langue cible et dans le dispositif proposé3,
ils se trouvent effectivement dans un « environnement d’autonomie
guidée  » (Taillefer, 2004). Pour cela, un dispositif par tâches est
envisagé. Nous entendons par tâche :
« une activité cohérente et organisée (afin d’assurer un repérage
efficace), […] où il y a gestion du sens, lien avec le monde
réel, objectif précis, et où le résultat pragmatique prime sur la
performance langagière. Cette activité assure le déclenchement
des processus d’apprentissage, et permet une évaluation ou
une information critique personnalisée.  » (Narcy-Combes,
2005 : 167).

3. Un dispositif hybride
3.1. Le public
Les étudiants inscrits à ce cours sont en formation initiale et
suivent un cursus en sciences du langage. Leur niveau en anglais est
hétérogène, attendu que certains ont étudié l’anglais en première
langue tout au long de leur scolarité, tandis que d’autres n’ont abordé
cette langue qu’à partir de la troisième année de collège, voire dans
certains cas n’ont pas du tout étudié l’anglais de façon formelle.

3.2. Organisation du cours

L’organisation du cours est contrainte par les conditions impo-


sées par les parcours de Licence à l’ILPGA. Il se déroule sur un se-
mestre4, soit 13 semaines pour un volume horaire global de 19h30.
Les deux premières années (2005-2006 et 2006-2007), le cours
était placé au second semestre de la première année de Licence. Le
bilan de ces deux années a très rapidement fait apparaître la né-
cessité de le déplacer plus loin dans le cursus étant donné que les

3. Voir Lutrand Pezant, ici-même.


4. Annexe 1.

– 137 –
Les langues dans l’enseignement superieur

textes spécialisés en anglais confrontaient les étudiants à une double


difficulté : comprendre la langue et en déchiffrer le contenu. Pour
des raisons d’organisation interne, le cours a été déplacé au second
semestre de la deuxième année de Licence à partir de 2007-2008.
Depuis 2009-2010, un deuxième niveau est proposé en troisième
année de Licence.
Le dispositif en semi-présentiel s’organise de la façon suivante :
- La semaine 1, les enseignants expliquent le fonctionnement
du cours, donnent des indications méthodologiques,
font remplir une fiche sur laquelle les étudiants notent
leurs habitudes de lecture en anglais et leur distribuent la
première tâche. La tâche est constituée d’un texte et d’un
questionnaire. Le texte est un article ou un extrait d’ouvrage
de linguistique d’une dizaine de pages, qui, dans la plupart
des cas, figure dans la bibliographie du cursus suivi par les
étudiants. Le questionnaire accompagne le lecteur et le
guide vers les éléments saillants à repérer dans le texte.
- La semaine 2 a pour objectif de montrer aux étudiants que la
tâche proposée est réalisable. Pour cela, on travaille en classe
sur un texte court de difficulté équivalente au premier texte
afin qu’ils prennent conscience qu’ils peuvent appréhender
de la même manière un texte long. Ils réalisent également
que la compréhension d’un texte de spécialité en anglais va
prendre plus de temps que dans leur langue maternelle.
- La semaine 3, la tâche réalisée (texte + questionnaire)
est remise par les étudiants aux enseignants qui vont la
corriger. D’autre part, les étudiants, se procurent un texte
de linguistique de leur choix, le lisent et l’apportent en
cours la semaine suivante pour en faire un compte rendu
oral (tâche 2).
- La semaine 4, les enseignants rendent la tâche 1 corrigée,
répondent aux questions des étudiants en fonction des
difficultés que la tâche a fait apparaître. Les étudiants
rendent compte à leur tour de leurs lectures.
Ce processus est répété durant tout le semestre (annexe 1). Ce
dispositif hybride est constitué de 9 heures en présentiel et 10,5 heures
en autonomie guidée pour la lecture auxquelles s’ajoute le temps de
travail en autonomie à la maison. Le temps ainsi dégagé pour le

– 138 –
Lecture de textes linguistiques en anglais

travail individuel permet à chacun de travailler non seulement à son


rythme mais aussi en fonction de son niveau et de sa motivation. En
effet, il ne faut pas oublier que, dans le secteur LANSAD, la langue
étrangère n’est pas toujours perçue comme une priorité.

3.3. Le contenu des tâches

Les tâches proposées doivent accompagner l’étudiant et l’aider


dans sa lecture. Dans l’acte de lecture, la compréhension va du global
au détail. Le lecteur « saisit » le texte dans son ensemble, puis il entre
dans une compréhension plus détaillée. Moins le lecteur est familier
avec la langue du texte, plus sa capacité à l’appréhender globalement
est limitée par son inquiétude de ne pas le comprendre. Il aura
ainsi tendance à passer cette étape pour entrer au plus vite dans la
compréhension détaillée du texte et se rassurer qu’il comprend bel
et bien… ou, malheureusement le plus souvent, constater qu’il ne
comprend pas. La tâche va l’obliger à respecter les étapes de lecture
en le guidant pas à pas. Il sera progressivement amené à prendre
connaissance de l’ensemble du texte, à repérer son organisation
interne et à en dégager les idées principales.

3.3.1. Le choix des textes


Les textes sont choisis en collaboration avec les enseignants de
l’ILPGA et correspondent à des lectures et à des thèmes que les
étudiants abordent dans les autres cours de leur cursus en sciences
du langage (psycholinguistique, sociolinguistique, acquisition d’une
langue seconde et de la langue maternelle, etc.). Dans le choix
des textes, nous essayons d’aller du plus simple au plus complexe,
quoique dans ce domaine la complexité n’est pas toujours seulement
due à la langue mais surtout au contenu, et dépend des connaissances
préalables de l’étudiant dans le domaine.

3.3.2. Typologie des consignes pour la réalisation des tâches


Différents types de questions guident l’étudiant dans sa lecture :
- Pour repérer l’articulation logique du texte :
• On divise le texte en plusieurs parties et on donne un titre
(en français et en anglais) à chacune de ces parties. L’étudiant
les remet dans l’ordre en précisant la page et les lignes.

– 139 –
Les langues dans l’enseignement superieur

• On propose un court résumé en anglais de chaque partie.


L’étudiant doit remettre ces résumés dans l’ordre du texte.
• On insère une partie ou un titre fictif supplémentaire
pour limiter les choix aléatoires.
- Pour dégager les idées-clés :
• Trouver dans le texte la phrase qui indique… ? (noter la
phrase complète et préciser le numéro de la page et de la
ligne).
• Repérer les phrases-clés de chaque partie du texte.
• Répondre à des questions en anglais. Le texte doit être
cité pour justifier la réponse.
• Faire la liste, en français, des idées-clés que l’auteur
développe dans le texte.
- Pour améliorer la compréhension fine et détaillée d’un
passage présélectionné du texte :
• Repérer la structure syntaxique d’une phrase  (verbe
conjugué, sujet dans une phrase complexe).
• Préciser le rôle de tel ou tel opérateur (modal, connecteur
logique, etc.).
• Reconnaître le type de forme verbale et/ou de temps/
aspect utilisés dans un passage.
• Elucider le sens des abréviations éventuelles.
- Pour assurer l’appropriation des contenus acquis grâce à la
lecture il est demandé à l’étudiant de :
• Résumer le texte en français dans un premier temps puis,
à la fin du semestre, le résumer en anglais, en réutilisant
les phrases-clés du texte et en les reliant avec des outils
d’articulation logique.
• Écrire ce qu’il a retenu du texte et/ou de la théorie de
l’auteur.
• Préciser le lien entre les idées développées dans les textes
lorsque cela est possible.
- Pour se constituer un lexique de termes spécialisés l’étudiant
dresse une liste des termes spécifiques rencontrés dans le
texte et en propose une traduction française.

– 140 –
Lecture de textes linguistiques en anglais

3.3.3. L’évaluation des étudiants


Comment évalue-t-on un tel travail tout en maintenant la
motivation de l’étudiant (Frantz, 2008) ? Et surtout qu’évalue-t-
on ? L’acquisition d’un contenu ? La compréhension de l’anglais ? La
progression de la compréhension en langue étrangère et en langue
maternelle ?
L’investissement et la régularité dans le travail sont privilégiés
(respect des consignes, réalisation de toutes les tâches (et remise
en temps voulu). On estime que si l’étudiant respecte la procédure
du dispositif il fera nécessairement des progrès5. Chaque tâche est
évaluée en pourcentage de réponses correctes. L’étudiant n’a donc pas
de note sur 20 mais un pourcentage sur 100. Cela permet de lui faire
comprendre que, s’il n’obtient que 50 % de la note, il comprend un
texte à 50 %, ce qui est insuffisant dans son domaine de spécialité.
Ainsi, dans le cadre de ce cours, pour encourager les étudiants à
améliorer leurs performances, la moyenne est fixée aux alentours
de 70 % en fonction des résultats de l’ensemble des étudiants. Ce
faisant, on met clairement l’accent sur le contenu. Il ne s’agit plus
d’être juste capable de faire les exercices demandés, mais de prouver
par l’accomplissement des tâches demandées que le texte a été lu
avec attention et précision pour en comprendre le contenu. On ne
juge néanmoins pas l’étudiant uniquement sur la connaissance du
contenu – il n’y a pas de consignes portant directement sur l’implicite
du texte, sur le sens des concepts, ni sur la théorie développée.
Les consignes restent factuelles mais on suppose qu’au moins une
partie des étudiants en sciences du langage sont familiarisés avec ces
concepts. On demande alors à l’étudiant de reformuler à la fois en
langue étrangère et en langue maternelle, en partant de l’a priori
que si la formulation en français est claire et correcte, c’est qu’il a
compris le concept.

5. Nous avons observé chez des étudiants fortement motivés mais avec un niveau
de départ très moyen une progression réelle des compétences en lecture l’année
suivante.

– 141 –
Les langues dans l’enseignement superieur

4. Satisfaction des étudiants par rapport au dispositif


4.1. En fin de cours de 1e année de Licence
Il n’a pas été fait de mesure de l’évolution de la compétence en
lecture des étudiants concernés. On estime que dans ce laps de temps
on ne peut s’attendre qu’à un changement dans le comportement
de lecteur  : une plus grande aisance, moins de craintes vis-à-vis
de longs textes en anglais, une prise de conscience des difficultés à
résoudre, une acquisition du vocabulaire de spécialité, une meilleure
connaissance des structures de la langue. Des questionnaires évaluant
la satisfaction des étudiants ont été distribués et les réponses obtenues
expriment un début de modification de comportement chez certains
étudiants. Ces questionnaires ont donné un taux de satisfaction
globale de 3,5 sur 56.
- Satisfaction générale et effort demandé :
Les étudiants soulignent l’intérêt de travailler sur des textes
linguistiques en anglais («  c’est une bonne idée  »), mais
estiment que les tâches proposées sont longues. Selon une
étudiante  : «  Au début du cours, j’ai cru que ça allait se
passer sans problème et ça allait être facile de réussir mais
en fait ce cours demande quand même qu’on travaille pour
faire des progrès. »
- Représentations sur leur progression :
Les étudiants ont en général du mal à admettre qu’ils ont
effectivement progressé sans avoir eu de «  vrais cours  ».
Les témoignages recueillis montrent que les cours en
semi-présentiel guidés peuvent entrer en conflit avec les
représentations traditionnelles que les étudiants ont d’un
cours de langues.
« J’ai beaucoup aimé travailler sur les textes en les trouvant
très intéressants. Mais je pense que pour faire de vrais
progrès, il faudrait avoir des cours réguliers. Merci. ».
«  Ce cours ne permet pas de progresser en anglais, étant
donné qu’il n’y a pas de cours réellement. ».
« Sans cours d’anglais, il est difficile de progresser sur des
devoirs. ».

6. Voir questionnaire en annexe 2.

– 142 –
Lecture de textes linguistiques en anglais

Ces réactions d’étudiants de 1e année montrent également


qu’ils ne sont pas autonomes dans leurs apprentissages,
même si ce type de travail peut les aider à le devenir.
- Commentaires sur les tâches :
Les étudiants jugent le dispositif par tâches comme un
«  principe du cours intéressant.  » Ils considèrent que les
« questions sont bien posées, qu’elles favorisent la compré-
hension du texte », que « l’étude de textes linguistiques leur
permet de progresser en lecture et en vocabulaire.  » Une
étudiante, de niveau faible, note : « j’ai appris que c’était
possible de comprendre un minimum. ». Une autre décla-
re : « Je ne suis pas sûre que ce système de devoirs permette
réellement de progresser, mais il permet de découvrir cer-
tains textes que je n’aurais sûrement pas lus toute seule. ».
Ils admettent avoir « moins d’appréhension face à des tex-
tes longs en anglais ».
À travers ces témoignages, on observe, par ailleurs, que la notion
de « tâche» ne fait pas encore partie de leur vocabulaire. Ils parlent de
« questions », « étude », « vocabulaire » et de « devoirs ».

4.2. En début de cours en deuxième et troisième année de Licence

Lorsque le cours a été étendu aux étudiants de deuxième puis à


ceux de troisième année de Licence, nous leur avons posé la question
suivante en début de semestre : «  Êtes-vous a priori satisfaits de
l’organisation du cours en semi-présentiel et du type de travail
proposé ? ». Les réponses ont été très majoritairement positives.
Les raisons les plus fréquemment avancées sont :
- « cela nous donne plus d’autonomie, tout en étant enca-
drés »,
- « cela nous permet de travailler à notre rythme »,
- « on est plus impliqué dans notre travail »,
- « cela me laisse le temps, sans me presser, de suivre mon
rythme pour améliorer ma capacité en anglais ».
Certains étudiants ont pris conscience que «  plus de travail  »
leur sera nécessaire et aimeraient même que cette méthode soit
étendue à d’autres cours. En troisième année, ils sont tous unanimes
pour trouver que l’organisation du cours en semi-présentiel est un

– 143 –
Les langues dans l’enseignement superieur

avantage pour eux : plus de temps pour lire, pour travailler sur les
textes et pour s’améliorer.
- « Pour ma part, je trouve que la formule semi-présentielle
est une bonne chose, car nous disposons de plus de temps
pour nos devoirs et nous avons plus de temps pour com-
prendre le cours. ».
- « Je suis satisfaite des cours en semi-présentiel et du travail
qui est proposé. Les tâches nous obligent à travailler régu-
lièrement. ».
Les quelques critiques viennent de ceux pour lesquels un cours
d’anglais doit nécessairement être un cours où « on parle l’anglais »
et on retrouve à nouveau les représentations d’un cours de langue
dans lequel toutes les compétences seraient travaillées exclusivement
en anglais. Il est d’ailleurs très significatif que ces remarques soient
formulées directement en anglais par les étudiants.
- « I think it’s an advantage for us to have regular tasks in English
because it will train us to read in English without fear. »,
- « Yes, it’s very well about « semi-présentiel », but I find it’s a
shame that we speak so much French in the lesson. In fact, it’s
not really an English lesson… It’s about English text for French
students. ».
Il s’agit donc là, non pas d’une critique du cours en lui-même
mais du choix qui a été fait de proposer un cours de lecture de textes
en anglais comme l’exprime cette étudiante : « I like the organisation
of the lessons but I am not really sure that we can progress like that. ».
D’autres critiques concernent le niveau attendu par les étudiants
pour réaliser ces tâches :
- « Je trouve le niveau trop élevé »,
- «  Les textes proposés trop difficiles sachant que certaines
personnes n’ont pas pratiqué depuis un certain temps »,
- « De plus le travail est trop lourd, les textes trop longs ainsi
que les questions  Impossible à faire pour quelqu’un qui
n’a pas fait d’anglais depuis longtemps. ».
Selon ces témoignages, on observe que ce dispositif ne permet
pas toujours de prendre en compte l’hétérogénéité du public ni leurs
besoins différenciés – sauf à considérer que le besoin est l’objectif
du cours, à savoir lire les textes du programme en anglais. C’est la
raison pour laquelle, plus on avance dans le cursus, plus ce cours est

– 144 –
Lecture de textes linguistiques en anglais

efficace, car les étudiants se rendent compte qu’ils sont plus à l’aise
avec les textes et qu’ils se sentent par conséquent plus motivés.

5. Le contenu : moyen et objectif

La question est posée : « le contenu est-il un moyen pour améliorer


la compréhension de l’anglais écrit ou bien est-il l’objectif premier ? »
et ces deux aspects sont-ils complémentaires ? Le texte est un moyen
d’apprentissage en langue étrangère car il permet l’acquisition d’un
lexique spécialisé et de structures syntaxiques ainsi que l’amélioration
de la compréhension. Mais le texte est aussi un objectif en soi. Il
est choisi pour son contenu en sciences du langage et non pour
les difficultés langagières qu’il présente. Il fait partie intégrante des
connaissances que s’approprient les étudiants en lien direct avec leur
cursus. Il n’est donc pas un prétexte pour travailler exclusivement la
langue. Peut-on, dès lors, séparer langue et contenu ? Connaître la
langue n’implique pas nécessairement de comprendre le contenu mais
la connaissance des structures facilite la compréhension. Ce cours de
lecture de textes linguistiques en langue étrangère permet d’éviter la
dichotomie entre contenu et structure : le texte est travaillé à la fois
pour son contenu et pour sa forme. Les tâches proposées visent à guider
l’étudiant pour l’aider à repérer ce qui dans la langue est nécessaire
pour une bonne compréhension du texte. Nous nous situons ainsi
à la frontière du cours de contenu et du cours de langue. Certes, ce
module permet de mettre en place un dispositif original pour des
étudiants qui ont encore une représentation très figée du cours de
langue mais il devrait les aider à développer plus d’autonomie dans
leurs apprentissages langagiers. Il permet également l’émergence d’un
travail commun entre les enseignants de langues et les enseignants
en sciences du langage sur le choix des textes. Cette tentative pour
intégrer les langues et le contenu selon le principe déjà mentionné
« d’environnement d’autonomie guidée » est néanmoins partielle :
une seule compétence langagière y est abordée. Cet objectif partiel
permet-il à des étudiants d’être opérationnels en anglais dans leur
domaine de spécialité ? La question reste ouverte.

Catherine Frantz

– 145 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Bibliographie

Adamczewski, H., Gabilan, J.-P., 1992, Les clés de la grammaire anglaise.


Paris : Armand Colin.
Frantz, C., 1993, «  Lire l’anglais  ». La Revue Internationale des Langues
Vivantes n° 14.
Frantz, C., 1995, «  Lire l’anglais – pour une compétence minimum  ».
Langage, Langues et Linguistique, revue des Amis du Crelingua, n° 2.
Frantz, C., 2008, «  De l’influence de l’évaluation sur la motivation, un
regard vers d’autres publics  », Communication, journée d’études du
DILTEC, 1er février 2008.
Narcy-Combes, J.-P., 2005, Didactique des langues et TIC  : vers une
recherche-action responsable, Paris, Ophrys.
Taillefer, G., 2004, « Lire en anglais à l’université : étude de cas d’étudiants
en Maîtrise de Sciences économiques confrontés à l’article scientifique »
Les Cahiers de l’APLIUT – Vol. XXIII N° 3 – Octobre 2004.

– 146 –
Lecture de textes linguistiques en anglais

ANNEXE 1 :
EXEMPLE DE CALENDRIER sur un semestre de 13 semaines
Semaine du 15 janvier SEANCE N° 1 : présentation du cours, fiches, mise en
place de la méthode de travail, modalités du contrôle
continu. Distribution de la tâche n° 1
Semaine du 22 janvier SEANCE N° 2 : travail sur texte court, réponses aux
questions sur tâche n° 1
Semaine du 29 janvier Remise de la tâche n° 1.
Lecture individuelle.
Semaine du 5 février SEANCE N° 3 :
Corrigé tâche n° 1,
Apport théorique et méthodologique,
Réponses aux questions
Partage en anglais des lectures individuelles
Distribution de la tâche n° 2
Semaine du 12 février Travail à la maison
Semaine du 19 février Remise de la tâche n° 2.
Lecture individuelle
Semaine du 26 février SEANCE N° 4 :
Corrigé tâche n° 2,
Apport théorique et méthodologique,
Réponses aux questions
Partage en anglais des lectures individuelles
Distribution de la tâche n° 3
Semaine du 5 mars Travail à la maison
Semaine du 12 mars Remise de la tâche n° 3.
Lecture individuelle.
Semaine du 19 mars SEANCE N° 5 :
Corrigé tâche n° 3,
Apport théorique et méthodologique,
réponses aux questions
Partage en anglais des lectures individuelles
Distribution de la tâche n° 41
Semaine du 26 mars Travail à la maison
Semaine du 2 avril Remise de la tâche n° 4.
Lecture individuelle.
Semaine du 23 avril SEANCE N° 6 :
Corrigé tâche n° 4
Partage en anglais des lectures individuelles
DEVOIR SUR TABLE

1. En troisième année de Licence, le choix du texte pour la tâche n° 4 est libre –


seule restriction cela doit être un texte scientifique dans le domaine des sciences
du langage.

– 147 –
Les langues dans l’enseignement superieur

ANNEXE 2 :
Lecture de textes linguistiques en anglais
ILPGA
Satisfaction des étudiants en fin de semestre
(première année de Licence)

Afin d’ajuster ce qui pourrait l’être, nous aurions besoin que vous
disiez dans quelle mesure vous appréciez les points suivants, en les
notant de 0 à 5 :

Présentation du travail 

Accessibilité de votre enseignant 

Ouverture de votre enseignant 

Type de travail 

Soutien pédagogique 

Charge de travail (O = lourde, 5 = légère) 

Efficacité pour vos progrès 

La façon dont vous êtes évalué(e) 

Satisfaction globale 

Ce cours a-t-il atteint l’objectif annoncé – vous permettre de lire


des textes en anglais avec plus d’aisance ? A-t-il changé votre rapport
aux textes anglais ? Si oui, en quoi ?

– 148 –
Contenu et enseignement des langues étrangères :
regards croisés sur des pratiques interculturelles
menées auprès de publics d’élèves-ingénieurs

Abstract
This paper will deal with the concept of content in a broad sense
and propose some insights into how some teaching and learning
aspects should be designed, so as to enhance the learners’ intercultural
competence with regards to objectives and field parameters. In this
respect, three intercultural-based English and German foreign language
courses for ESP students (engineers) will be presented. We will show
that despite apparently common objectives and student profiles, we have
implemented teaching practices based on subjects such as literature,
history or civilization.

Si l’enseignement/apprentissage des langues et des cultures étran-


gères (L2)1 induit une réflexion sur l’agencement de la relation trans-
ductive culture/contenu /langue (Simondon, 1989, cité par Narcy-
Combes, 2005 : 27), la question de la mise en place d’un environ-
nement pédagogique favorisant un travail sur le contenu implique
une réflexion sur la synergie didactique découlant de ces trois pôles.
Pour ce faire, il convient d’établir comment  le pôle contenu peut
être ajusté au public cible et aux paramètres de terrain et d’étudier
selon quelle(s) condition(s) il peut potentiellement favoriser l’ensei-
gnement/apprentissage des L2. À partir de regards croisés sur des
pratiques enseignantes en allemand et en anglais « langues étrangè-
res » ancrées dans un même contexte institutionnel (établissements

1. Dans le secteur LANSAD, L2 fait généralement référence à la première langue


étrangère apprise. Dans cet article, l’anglais et l’allemand.

– 149 –
Les langues dans l’enseignement superieur

du supérieur), destinées à un même public (LANSAD ingénieurs)


et visant les mêmes objectifs en langues avec notamment celui de
contribuer au développement d’une compétence interculturelle, cet
article souhaite illustrer la mise en place de trois dispositifs didac-
tiques prenant chacun appui sur des contenus disciplinaires aussi
différents que la civilisation2, la littérature et l’histoire.

1. Contextes, pratiques pédagogiques et optimisation

Chaque contexte d’enseignement/apprentissage est unique


et repose sur des paramètres particuliers. Ces derniers obéissent à
une logique propre selon les objectifs, les publics, la rentabilité, les
résultats, l’investissement ou encore les coûts, et sont aussi nombreux
qu’il y a de contextes. La synergie de ces paramètres influe sur la
situation d’enseignement/apprentissage et dessine les contours du
cadre dans lequel une pratique pédagogique va s’ancrer. De même,
une pratique pédagogique ne correspond pas à un modèle figé de
conduite sociale, tant du point de vue de l’enseignant que de celui
des apprenants. Elle peut, en effet, revêtir une multitude de formes
(des regroupements en présentiel à de l’enseignement à distance) et
de modalités diverses (depuis l’enseignement guidé jusqu’à l’auto-
apprentissage) qui représentent autant de logiques différentes de
transmission/acquisition de savoirs et de savoir-faire.
Afin de favoriser l’émergence de parcours d’enseignement/
apprentissage rendant possible la gestion de l’hétérogénéité des
apprenants, des choix doivent être réalisés en fonction des paramètres
couverts par les pôles «  contexte pédagogique  » et «  pratique
pédagogique ». Le point de rencontre entre ces deux pôles implique
une analyse qui permettra d’optimiser le dispositif à mettre en place.
La notion d’optimisation est un concept emprunté au domaine de
l’économie. Elle invite initialement à la réflexion sur la mise en place
de procédures et de stratégies ayant, par exemple, trait aux politiques
économiques, en vue de maximiser une fonction d’utilité sociale.
Chacun des paramètres impliqués dans une situation donnée doit, en
effet, être pris en compte pour aboutir à une moyenne acceptable en
jouant à la fois sur les instruments mis à disposition et les objectifs à

2. Nous entendons par là, tout ce qui a trait à des réalités culturelles, matérielles,
économiques, historiques et sociales d’une société.

– 150 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

atteindre. L’optimisation découle donc d’un « arbitrage » entre les pôles


« contexte » et « pratique » et s’actualise à partir de l’identification de
l’ensemble des solutions possibles. Un homme d’affaires ayant besoin
de négocier en japonais dans le cadre de ses activités professionnelles
pourra préférer une méthode d’auto-apprentissage de langue à des
cours en formation continue, par exemple, non par faute de moyens
mais par faute de temps. Ce professionnel pourra ainsi utiliser
de manière efficace son temps de trajet quotidien pour étudier
la langue. Dans ce cas particulier, l’optimisation entre le besoin
urgent d’acquérir une compétence donnée et le manque de temps
conditionnent le choix de la méthode qui va, à son tour, induire des
conduites précises. En ce qui concerne le choix d’un dispositif en L2
et quelle que soit l’issue de l’« arbitrage » entre les pôles « contexte »
et «  pratique  », les activités d’enseignement/apprentissage auront
pour but d’accompagner l’apprenant dans un processus construit et
actif l’engageant à établir des liens entre les nouvelles informations et
ses connaissances antérieures et à réorganiser ces dernières (Collette
et Chiappetta, 1996 ; Tardif, 1997).
La figure 1 montre que l’apprentissage des L2 se caractérise par
l’activité cognitive mobilisée par un apprenant pour assimiler et/ou
accommoder à sa structure biologique (Piaget, 1970) des éléments
de la relation transductive culture/contenu/langue, dans un contexte
et une pratique pédagogique donnés.

2. Analyse du contexte et objectifs linguistiques et culturels

Nous rendons compte ici de pratiques mises en place dans deux


institutions : Mines ParisTech et Polytech Paris-UPMC3.
Mines ParisTech est une institution visant à former en trois ans
des ingénieurs du cycle civil. Il s’agit d’étudiants de troisième année
pour le cours de civilisation allemande et de deuxième année pour le
module intitulé English Speaking Around The World. Polytech est un
réseau national d’écoles d’ingénieurs polytechniques des universités.
Polytech-UPMC est constituée de filières d’ingénieurs en formation
initiale, continue, en alternance et en apprentissage. Le cycle d’études
dont il est question correspond à un parcours en deux ans suivi par des

3. Université Pierre et Marie Curie, Paris 6.

– 151 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Figure 1 - De la relation d’apprentissage/optimisation en L2.

étudiants de niveau baccalauréat4, leur permettant, en cas de réussite,


d’intégrer sans concours une des cinquante spécialités des écoles du
réseau Polytech. Par conséquent, la plupart de ces étudiants :
- sont engagés dans des parcours universitaires dont les
spécialités ne sont pas directement liées aux L2, mais ils
doivent valider un certain nombre de crédits ECTS5 en
langue étrangère pour obtenir leur diplôme,
- disposent de connaissances antérieures de la L2, notamment
celles acquises dans le secondaire,
- perçoivent le cours de L2 de deux façons : tantôt comme
une contrainte quand il s’agit de devoir valider un niveau
pour l’obtention d’un diplôme6, ou, à l’inverse, comme
une « ouverture » par rapport aux autres cours,
- ont des besoins langagiers spécifiques.

4. Provenant de filières générales et technologiques.


5. European Credit Transfer System.
6. Un minimum de 750 points doit être obtenu au TOEIC pour l’obtention du
diplôme d’ingénieur.

– 152 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

Selon qu’il s’agit d’étudiants de deuxième ou de troisième année,


les exigences linguistiques ne sont pas les mêmes. A Mines ParisTech,
comme dans les autres Grandes Ecoles d’ingénieurs, l’objectif visé
en fin de parcours en L2 (anglais obligatoire) est le niveau C1 du
Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECR)
mais, selon les Recommandations et Orientations de la CTI7 de
février 2009, le niveau B2 est considéré comme un minimum requis.
A Polytech Paris, le niveau attendu est B2 en fin de deuxième année
du parcours intégré et C1 en fin de cinquième année.
Les écoles d’ingénieurs mettent en avant l’objectif interculturel
dans leur programme. Le Livre Blanc « Vivre ensemble dans la dignité »
du Conseil de l’Europe (2008) souligne un paradoxe : les services de
communication, comme Internet, marquent une interdépendance
croissante entre les nations, et pourtant, la mondialisation peut
signifier qu’aujourd’hui nous vivons dans des sociétés qui s’excluent
mutuellement. La crise actuelle peut conduire les sociétés à essayer
d’obtenir des avantages politiques et économiques aux dépens des
autres. Aussi «  le dialogue interculturel  » est-il plus que jamais
indispensable pour favoriser les relations internationales et relativiser
les stéréotypes. Dans ce contexte, l’apprentissage des langues joue
un rôle essentiel. Apprendre une langue étrangère est une expérience
de la différence. Les systèmes éducatifs d’aujourd’hui se distinguent
fortement par la variété des publics ainsi que par la coexistence
d’identités différentes. Cette complexité que l’on retrouve parmi
les élèves-ingénieurs doit être conjuguée avec la diversification des
pratiques pédagogiques. Il s’agirait, comme le soulignent Byram,
Bella Gribkova et Starkey (2002 : 9-10), que l’apprenant devienne
«  un médiateur interculturel capable de s’engager dans un cadre
complexe et un contexte d’identités multiples…». Or, pour le
CECR, si la langue a bien été intégrée à la culture, si l’évaluation et
si la définition des niveaux de compétence culturelle sont largement
abordées, elles ne sont pas définies par des descripteurs ce qui rend
problématique leur mise en pratique.

7. Commission des Titres d’Ingénieur.

– 153 –
Les langues dans l’enseignement superieur

3. Approches pédagogiques et contenus

La question de l’organisation d’un dispositif de formation


implique la prise en compte des paramètres institutionnels qui
encadrent le terrain pédagogique d’exercice. La Figure 2 illustre
que, dans le cadre de l’élaboration d’un dispositif, des paramètres
avec des logiques différentes (juridiques, éducatifs, pratiques, etc.)
fonctionnent en relation étroite, qu’ils s’influencent mutuellement
et qu’ils exercent une action réciproque les uns sur les autres.

Figure 2 - Contexte pédagogique de l’UPMC - Mines ParisTech

Parmi eux figurent :


- l’institution, qui fixe les objectifs à atteindre, en termes de
contenus (par exemple, l’acquisition d’une compétence
interculturelle) et/ou en termes de compétences langagières
(notamment par le biais des descripteurs du CECR) et qui
fournit les salles et le matériel ; le professeur-tuteur doit lui
remettre les notes des étudiants en fin de semestre ;
- l’accompagnant pédagogique qui peut être « libre » quant
aux contenus à transmettre aux étudiants, élaborer ces der-
niers en équipe, ou encore être chargé d’appliquer un pro-
gramme élaboré ou arrêté en interne par une institution ;

– 154 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

- les étudiants, usagers du dispositif de formation mis en pla-


ce par le concepteur pédagogique (qui peut être la même
personne que le professeur – tuteur) ;
- le dispositif de formation, qui correspond à ce qui est effec-
tivement mis en place sur le terrain par le concepteur péda-
gogique pour permettre aux usagers d’être potentiellement
en mesure de valider les objectifs assignés par l’institution.
Comme l’illustre la Figure 2, la marge de manœuvre allouée au
concepteur pédagogique pour la mise en place d’un dispositif est
fortement conditionnée en amont, avant même que ne soit abordée
la question des contenus.
En ce qui concerne ces derniers, ils peuvent être présentés
selon différentes approches :
- une approche « magistrale », (Dalton-Puffer, 2007) selon
laquelle la L2 sert de medium au contenu et dans laquelle
l’enseignant transmet uniquement des savoirs,
- une approche communicative pour laquelle le but de
l’apprentissage est la capacité à utiliser la langue en situation
(Widdowson, 1978),
- une approche actionnelle par tâches selon laquelle le but
de l’apprentissage est la manipulation d’un contenu et de
la forme (Puren, 2006),
Parmi les approches à retenir pour ce public d’élèves-ingénieurs,
une réflexion s’impose puisque dans l’approche dite « magistrale »,
l’enseignant est seul maître du savoir d’où une utilisation unilatérale
de la L2 qui ne permettra pas à l’apprenant de la manipuler, nous
avons opté pour une approche communicative8 et par tâches. Enfin,
en ce qui concerne la « nature » des contenus, deux options sont
envisageables. D’une part, les contenus « factuels » tels qu’ils peuvent
être proposés dans des filières universitaires par le biais de modules
spécialisés sur des aspects de la littérature ou de la « civilisation »
et, d’autre part, les contenus «  ouverts  » aux contours moins
précis et qui débouchent sur des activités permettant à chacun de
communiquer et d’agir dans la langue. L’approche pédagogique
retenue nous amène à travailler sur des contenus que nous pouvons
qualifier d’ouverts.

8. L’interaction est centrale et permet de maximiser le temps de parole par appre-


nant (Anderson, 1983).

– 155 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Le schéma suivant caractérise le dispositif d’ensemble :

Figure 3 - Potentiel d’un dispositif pédagogique pour favoriser l’expression des


apprenants.

Le choix d’un dispositif dépend de la prise en compte des


paramètres de terrain. L’arbitrage qui découle de l’optimisation de
ces derniers permet de libérer l’expression des apprenants.

4. Exemples de pratiques

Nous nous proposons maintenant de croiser des regards sur trois


parcours de formation à orientation interculturelle, en anglais et en
allemand langues étrangères.

4.1. Cours de culture et de civilisation allemandes : s’ouvrir à


l’interculturel par le culturel

Mines ParisTech forme des ingénieurs généralistes pour lesquels,


au-delà des compétences scientifiques et techniques, les savoir-faire et
savoir-être abordés dans les cours de langues jouent un rôle essentiel

– 156 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

dans l’avenir de ces futurs managers de haut niveau9. L’objectif de ce


cours est ainsi une sensibilisation à une approche interculturelle pour
une meilleure efficacité professionnelle. Le développement d’une
compétence interculturelle est de fait une priorité qui s’actualise
selon un « cours à thèmes ».
L’organisation du cours est fondée sur des thèmes proposés par
l’enseignant dans les domaines historiques, littéraires et culturels
en début de semestre et d’autres choisis par les étudiants pour être
ensuite travaillés sous forme d’exposés. L’enseignant fournit quelques
documents ainsi que des outils méthodologiques pour chaque
thème et fixe également les modalités d’évaluation. En choisissant
des thèmes en rapport avec l’actualité ou leurs goûts personnels
les étudiants s’impliquent, d’où une plus grande efficacité dans la
réalisation de la tâche. L’objectif est que l’étudiant se fasse médiateur
entre le thème choisi et sa présentation au groupe à l’aide d’activités
orales et écrites (questionnaires, quizz, lecture, etc.). Les productions
écrites facilitent, quant à elles, le réinvestissement du vocabulaire
et l’appropriation des contenus. Chaque thème10 est présenté sous
forme d’une production orale individuelle suivie d’une discussion en
groupe gérée par l’étudiant qui occupe ainsi une place centrale et d’un
feedback de l’enseignant qui, en tant d’expert et personne-ressource
en langue et culture allemandes peut susciter des prises de conscience
interculturelles transférables dans le monde professionnel.
Pour répondre à cet objectif interculturel, ces étudiants de
dernière année d’Ecole d’Ingénieurs vont être amenés à manipuler
la L2 principalement à l’oral. Les tâches à effectuer sont donc
essentiellement des présentations individuelles, suivies d’une
discussion en groupe. Les présentations orales sont conçues comme
des micro-projets, prise en charge d’un thème, organisation de la
production orale, choix des moyens, choix des tâches, ou encore
distribution de la parole. Quelle que soit la forme du cours, ce
dernier doit être interactif. À cela deux raisons : maintenir l’intérêt

9. Le développement personnel de l’élève-ingénieur fait l’objet d’une réelle atten-


tion : « la capacité de contact avec autrui, la capacité à percevoir et à comprendre
ses propres enjeux et attitudes dans une situation sociale, la capacité à imaginer des
solutions créatives seront essentielles pour la vie professionnelle d’un ingénieur »
(Michelot, 2008 : 25).
10. Exemples de thèmes : Terrorisme et formes actuelles de l’engagement, Art et
industrie (Bauhaus), Art et Nature (Hundertwasser).

– 157 –
Les langues dans l’enseignement superieur

de l’auditoire et gérer un public participatif. En fait, l’acquisition


de la compétence interculturelle se fait par une mise en situation
interculturelle : l’étudiant se fait médiateur de la culture dans laquelle
s’inscrit la langue-cible.
L’étude de la culture et de la civilisation11 est nécessairement
transversale. Dans ce cours d’allemand, elle est toujours abordée
dans le contexte européen, ce qui favorise un regard contrastif, une
mise en perspective nécessaire aux futurs ingénieurs qui travailleront
dans des équipes internationales. Le choix de la littérature enfantine
nous a semblé être une entrée pertinente en ce sens qu’elle peut
aider à mieux comprendre certaines des références culturelles du
futur partenaire allemand. En effet, les lectures effectuées pendant
l’enfance tout comme l’éducation reçue, participent de l’identité et
des identités12. La littérature enfantine, comme ressource, engage
une réflexion sur la dimension historique et psychanalytique. On
va, par exemple, s’intéresser à l’évolution des valeurs : on passe des
contes du 19e siècle avec leurs vertus éducatives, du Bien et du Mal et
de l’autorité, aux écrits du 20e siècle, où l’enfant prend son destin en
main13, et où s’exprime la conception libérale actuelle de l’éducation
de l’enfant allemand (Selbstverwirklichung)14. L’effectif réduit (entre
cinq et dix étudiants par groupe) et les tâches proposées encouragent
la production orale. Cependant le faible nombre d’heures allouées
(12 heures sur l’année) ne favorise pas une pratique suffisante de la
L2 et par là l’appropriation des contenus (Baddeley, 1995).
L’observation des activités proposées laisse apparaître que les
contenus pour les spécialistes d’autres disciplines doivent être
transversaux. On remarque, en effet, que la connaissance d’une époque
est essentielle pour la prise de parole et que certains thèmes retenus
dans le programme sont peu propices à la discussion. Par exemple, le
travail de réflexion mené à partir du film réalisé par Michael Haneke
Le Ruban blanc sur le thème de l’autorité liée au protestantisme n’a
pu aboutir parce qu’il nécessitait de connaître l’œuvre de Max Weber
(L’esprit du capitalisme et l’éthique du protestantisme).
11. En allemand : Landeskunde/Kultur.
12. L’identité allemande a été fracturée et a dû se recomposer, voir l’ouvrage de
Jana Hensel, Zonenkinder (2004) où la perte des repères des jeunes allemands de
l’ex-RDA est particulièrement bien évoquée.
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. Kästner (1994) Emil und die Detektive.
14. Réalisation de soi.

– 158 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

Le fonctionnement de ce cours tourne autour de la conception de


tâches par les étudiants. Ce faisant, ces derniers ont plus de latitude
pour évoluer dans un contexte plus « libre », ce qui, non seulement
engage l’équipe enseignante à se mettre davantage en retrait, pour
ne pas « faire écran », mais aussi pousse les étudiants à davantage se
concerter et à aller plus loin dans leurs démarches intellectuelles. Se-
lon cette approche, l’enseignant représente « une personne ressource »
(Rogers, 1969), dont les rôles oscillent sur un continuum variant sans
cesse entre des fonctions aussi différentes qu’animateur, tuteur, édu-
cateur, enseignant, ou encore sociolinguiste et qui exigent de lui recul
et empathie, savoir didactique, expérience pédagogique, capacité de
médiation et responsabilisation déontologique (Arthaud, 2007).

En tant que figure d’expert en L2, l’enseignant fournit un feed-


back15 aux apprenants. En effet si ce dernier est positif, il engendre
des effets bénéfiques sur l’apprentissage (Fenouillet, Lahanier, Caron,
Kostrezwa et Ostenne, 2001), d’où l’intérêt de poursuivre cette pra-
tique. Le sentiment d’auto-efficacité qui en découle pour l’apprenant
et que Bandura (1986) définit en tant que « jugement que porte un
individu sur l’utilisation qu’il pense pouvoir faire de ses connaissances
dans une situation précise » est à entretenir, notamment parce qu’il
prédit la quantité et la qualité des apprentissages (Nagels et Pourrière,
2006). L’enseignant, dans ce contexte LANSAD, se doit d’autant plus
d’initier une impulsion pour l’appropriation langagière et la sensibi-
lité interculturelle. Cette dernière pourra s’actualiser ultérieurement,
lors d’interventions de l’apprenant au sein de groupes de travail inter-
nationaux comportant des germanophones. Ainsi, pouvoir plaisanter
avec un interlocuteur natif et avoir des références de culture enfantine
similaires (personnage de contes, par exemple) ajoutent un plus à la
complicité purement professionnelle16.

15. Voir Narcy-Combes, ici-même.


16. Pouvoir, alors qu’on négocie à Francfort un contrat, parler à son interlocuteur
de la maison Hundertwasser qui se trouve à Bad Soden, à quelques kilomètres de
la capitale financière de l’Allemagne, n’est-ce pas aller à la rencontre de l’autre ?
Evoquer, lors de séminaires de management, l’organisation de cellules de crise et
comprendre, comme des élèves du Corps des Mines ayant suivi le cours de civilisa-
tion allemande, les allusions faites à la gestion du terrorisme par le gouvernement
de Helmut Schmidt dans les années soixante-dix. Cela participe des compétences
interculturelles au service de la professionnalisation.

– 159 –
Les langues dans l’enseignement superieur

4.2. Le monde anglophone

Le cours intitulé « The English-Speaking World » a pour objectif


le développement personnel et professionnel de l’étudiant par la
découverte de la culture des pays du Commonwealth à partir de
textes littéraires postcoloniaux, d’extraits de films et d’interviews
filmées ou radiophoniques. Il s’adresse à un public d’ingénieurs en
deuxième année à Mines ParisTech qui seront amenés à travailler
dans un contexte international.

4.2.1. Littérature et interculturalité


La littérature trouve traditionnellement sa place dans
l’enseignement/apprentissage des L2, elle représente une ouverture
sur d’autres pays, d’autres cultures, d’autres époques. Comme le
souligne Paul Aron : «  le littéraire est un lieu d’apprentissage de
comportements socialement utiles  » (2004  : 46-47). Il ne s’agit
pas dans ce cours de développer exclusivement des techniques
d’analyse littéraire même si elles constituent une entrée valide pour
exploiter la littérature comme action sociale. Le roman s’avère
également un excellent outil d’analyse, car il peut incorporer une
multitude de langages sociaux et offre une pluralité de lectures et
de questionnements. Il s’agit de comprendre comment la langue
anglaise s’est développée en tant que langue internationale en lien
avec l’Empire britannique. Afin de mieux comprendre ce qui se
joue dans les contextes économiques et sociaux postcoloniaux
contemporains, une présentation d’une histoire de la colonisation
et de son impact peut être proposée. Les littératures postcoloniales
servent alors de ressource à une réflexion interculturelle ainsi qu’au
questionnement des identités. D’autre part, les tâches à réaliser par
les étudiants cherchent à favoriser une décentration par rapport à
leurs propres pratiques culturelles. Confronter sa vision du monde
à d’autres systèmes de perception suscite l’échange d’opinions,
l’expression de sentiments et développe en même temps la
communication orale en langue étrangère. La notion « The Empire
writes back »17 qui caractérise le ton des littératures postcoloniales

17. Cette expression est empruntée au titre de l’ouvrage d’Ashcroft, Griffiths &
Tiffi, 1989.

– 160 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

amorce une réflexion sur le style et l’éloignement de l’anglais


standard dans certaines œuvres. Les stratégies littéraires de ces
auteurs expriment leur volonté de se distinguer du « centre ». Des
tâches sont proposées afin de réfléchir sur la langue et d’appréhender
cette notion. Si Puren (2006) explique à quel point il est difficile
d’exploiter la littérature dans le cadre d’actions sociales, il souligne
néanmoins que l’analyse des textes constitue une entrée valide pour
ce faire. La tâche de sélection de passages et de transposition telle
qu’elle est décrite plus bas peut constituer une ressource importante
pour relever les différences culturelles des œuvres écrites par les
auteurs postcoloniaux, soucieux de souligner leurs différences.
À titre d’exemple, l’auteur nigérien Chinua Achebe a réécrit en
anglais standard un extrait de son roman Arrow of God (1966 : 20)
afin d’attirer l’attention sur les stratégies d’écriture qui lui permettent
de véhiculer sa propre vision du monde, malgré l’utilisation
d’une langue empruntée. Ainsi, l’extrait suivant est présenté aux
apprenants :

“I want one of my sons to join these people and be my eyes there. If


there is nothing in it you will come back. But if there is something
there you will bring home my share. The world is like a mask,
dancing. If you want to see it well you do not stand in one place.
My spirit tells me that those who do not befriend the white man
today will be saying had we known tomorrow.” 18

Après discussion sur le choix du lexique employé, des propositions


de transposition en langue standard sont émises et le passage
ci-dessous, réécrit par l’auteur lui-même, est alors soumis aux
étudiants :

“I am sending you as my representative among these people - just


to be on the safe side in case the new religion develops. One has
to move with the times or else one is left behind. I have a hunch
18. « Je veux qu’un de mes fils rejoigne ces gens-là pour être mes yeux là-bas et me
rapporter ce qui s’y passe. Si tu n’y trouves rien, tu reviendras. Mais si tu y trouves
quelque chose, tu me ramèneras ma part. Le monde danse, comme un masque. Si
tu veux le voir en entier, tu ne restes pas au même endroit. Mon esprit me dit que
ceux qui ne se lient pas d’amitié avec l’homme blanc aujourd’hui, diront demain
« ah, si j’avais su ». (notre traduction).

– 161 –
Les langues dans l’enseignement superieur

that those who fail to come to terms with the white man may well
regret their lack of foresight.” 19.

Puis, suivant un principe de paraphrase, d’analyse et


d’interprétation, les étudiants sont invités à sélectionner les passages
qui leur semblent les plus marqués par des aspects culturels africains
dans le roman Things Fall Apart (1958) du même auteur, pour
ensuite essayer de les transposer en anglais standard. La réflexion
sur les dimensions culturelles du texte s’accompagne d’un travail sur
la forme. Les proverbes africains, par exemple, seront traduits par
des équivalents en langue anglaise. Cet exercice de transposition a
pour but de montrer que l’adoption d’une langue autre que la leur
n’est plus source d’aliénation pour les auteurs postcoloniaux. Au
contraire, le développement d’une tolérance plus large à l’égard de
la langue peut favoriser l’expression d’une autre vision du monde. Il
est possible d’étendre ce type d’activité fondé sur la comparaison et
le contraste à des œuvres intégrales comme ici avec l’étude de deux
romans : Jane Eyre de Charlotte Brontë et Wide Sargasoe Sea de Jean
Rhys20. Le travail comparatif entre ces deux ouvrages rend possible
une prise de conscience des différents points de vue culturels et vise
à faire réfléchir sur cette notion de centre (la Grande-Bretagne) et de
périphérie (les sociétés postcoloniales).
Puis les questions de l’internationalisation du travail sont
abordées par l’étude d’un extrait de Some Of My Best Friends Are
White (2007), du Sud-Africain Ndumiso Ngcobo. Cette histoire,
qui se classerait dans ce que Michel Petit (1999) appelle une fiction
à substrat professionnel, offre un exemple éloquent de l’interaction
culturelle, telle qu’elle peut avoir lieu dans le monde de l’entreprise.
Ndumiso Ngcobo s’interroge parfois avec humour et souvent avec
19. « Je t’envoie parmi ce peuple pour me représenter, afin de m’assurer que nous
sommes du bon côté au cas où cette nouvelle religion prend de l’ampleur. Il faut
suivre son temps pour ne pas être dépassé. J’ai le pressentiment que ceux qui
n’arrivent pas à accepter l’homme blanc viendraient à regretter leur manque de
prévoyance. » (notre traduction).
20. Ecrivaine dominicaine qui s’insurge contre la représentation des femmes ca-
ribéennes dans le roman de Brontë. Par un procédé de réécriture, Jean Rhys se
propose de prendre comme héroïne celle que les critiques ont définie comme «The
Mad Woman in the Attic «, en lui redonnant une voix et une identité. La femme
que Rochester a épousée aux Caraïbes et que l’on ne rencontre dans Jane Eyre qu’à
travers des cris bestiaux devient la narratrice dans Wide Sargasso Sea.

– 162 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

beaucoup d’ironie sur les mœurs étranges de ses compatriotes


blancs qui pensent qu’il est nécessaire de risquer sa vie en sautant à
l’élastique pour souder l’esprit d’équipe dans l’entreprise et améliorer
la communication entre collègues. Qu’en pensent les étudiants qui
partent en week-end d’intégration et font des stages en France et
à l’étranger  ? La discussion s’engage par rapport à une expérience
partagée.
Les étudiants apprécient ce module car il leur propose des
perspectives autres que celles de l’apprentissage linguistique malgré
le fait qu’ils ont une connaissance limitée du contexte social, culturel
et politique des pays anglophones, ce qui réduit le recours aux
références lors des discussions21. De plus, leur niveau d’anglais peut
parfois imposer une orientation linguistique aux dépens du contenu
culturel. Enfin, si la contrainte de temps impose l’utilisation d’extraits
plutôt que d’œuvres intégrales, la littérature constitue néanmoins
une ressource pédagogique pertinente pour la production orale à
travers le partage d’opinions et de points de vue : une nécessité pour
les futurs cadres que sont les élèves-ingénieurs22.

4.3. Histoire et interculturalité

À Polytech–Paris, un programme axé sur les grandes étapes de


l’histoire des Iles Britanniques vise à transmettre des connaissances
culturelles et à travailler la langue afin qu’au moyen de l’anglais, les
étudiants puissent mieux appréhender les débats actuels de la société
britannique et des pays du Commonwealth. Contenu historique
et langue sont liés. L’histoire des groupes et des sociétés mais
aussi l’histoire personnelle mettent en évidence des dynamiques
structurelles et culturelles23.
Ce module, comme celui des Mines ParisTech repose sur une
démarche «  active  » dans le sens où les étudiants contribuent à
son élaboration par des exposés ou des recherches documentaires.

21. Par exemple, aucun étudiant n’avait lu Jane Eyre et encore moins Wide Sargasso
Sea.
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. Pour l’écrivain Ndusimo Ngcobo (2007  : 52), «Let there be some climbing
through the hole of the Great Wall, just to take a look and see what it’s like. Can we do
that, please ?” (Creusons un trou dans la grande muraille et essayons de voir ce qui
se passe de l’autre côté. Faisons-le, je vous en prie), notre traduction.
23. History vs his story.

– 163 –
Les langues dans l’enseignement superieur

L’objectif est d’engager la réflexion en classe et d’élaborer une trace


écrite du cours qui servira éventuellement de support à l’évaluation.
Les thèmes du programme (les Romains, les Plantagenets, la période
Victorienne et le multiculturalisme au Royaume-Uni) sont établis
chaque année par les coordinateurs de filière pour huit groupes de
quinze étudiants classés par niveau de langue et pour une durée
de cours de 24 semaines à raison de deux heures hebdomadaires.
La prise en charge pédagogique des exposés se fait dans le cadre
d’un dispositif hybride dans lequel l’enseignant intervient sur des
aspects de contenu et de langue. Le suivi semi-guidé permet des
présentations orales où la prise de parole est plus assurée et où les
éléments de contenu sont exposés de façon plus «  didactique  » et
plus synthétique, facilitant ainsi la compréhension du public.
Cette approche s’effectue selon des tâches communicatives dans
lesquelles les étudiants mobilisent leurs compétences et négocient
en langue étrangère, pour parvenir à l’objectif fixé. Si la culture est
un ensemble de discours, selon Habermas (2003), chacun aurait
quelque chose à dire sur sa culture. Les processus d’apprentissage à
l’œuvre au cours d’un débat en L2 mobilisent, dès lors, les étudiants
pour « confronter leurs points de vue dans la pratique quotidienne
du langage, à élever des prises de position autonomes  » (Pebalay,
2007). Echanger en L2 contribue, par ailleurs, à atténuer les
inhibitions en L2, à développer la collaboration et l’interaction entre
les pairs selon les principes de la psychologie socio-constructiviste
(Vygotski, 1997 ; Bruner, 1983). Une séquence sur le Darwinisme
pourra, par exemple, solliciter un débat sur le darwinisme social,
l’eugénisme et le créationnisme. Parfois, les étudiants travaillent en
petits groupes sur des documents proposant différents éclairages sur
le thème abordé pour en faire un compte rendu oral et enrichir le
débat. Ce travail repose sur le principe du déficit d’information  :
les étudiants demandent des précisions, s’assurent qu’ils ont bien
compris, émettent des hypothèses et établissent des liens entre le
contenu des divers documents. Le débat peut alors avoir lieu sur le
thème proposé.
L’histoire du Royaume-Uni en anglais permet ainsi le traitement
de quatre objectifs  : connaissances sur l’histoire, utilisation de la
langue, sensibilisation interculturelle et développement personnel.
Les activités demandées préparent, en effet, de manière effective à la

– 164 –
Contenu et enseignement des langues étrangères

recherche de documents, au tri des informations, à la prise de parole


en public en continu en langue étrangère, au travail en équipe, à la
discussion avec prise en compte des points de vue et comportements
des autres, à la prise de notes, à la rédaction de rapports synthétiques.
Ces activités participent toutes au développement des savoir, des
savoir-faire et des savoir-être de la vie professionnelle.

Considérations pédagogiques

Plusieurs entrées sont possibles pour explorer la dimension inter-


culturelle. C’est ce que nous avons essayé d’illustrer dans les cours
présentés au sein du secteur LANSAD-Ingénieurs. Si la mise en
place d’un environnement pédagogique favorisant un travail sur la
compétence interculturelle implique une réflexion autour des trois
pôles de la relation transductive culture / contenu  / langue (Nar-
cy-Combes, 2005), cet article a montré qu’en dépit d’objectifs et
d’apprenants a priori communs, les trois parcours de formation à
orientation interculturelle que nous avons présentés ont abouti à
des pratiques pédagogiques prenant appui sur des contenus discipli-
naires aussi différents que la civilisation, la littérature, ou l’histoire
avec des résultats positifs dans chaque cas24. Les dispositifs élaborés
représentent en quelque sorte un « arbitrage optimal » entre les pôles
« contextes » et « pratiques pédagogiques ». Toutefois, la question de
l’enseignement/apprentissage de la compétence interculturelle reste
posée : peut-on délivrer des formats types de comportement inter-
culturel alors que la communication est par essence irréductible et
que les interlocuteurs aux multiples facettes (sexe, milieu sociocultu-
rel et économique, origine, etc.) expriment toujours beaucoup plus
qu’une ou des cultures ? De plus, comment peut-on évaluer le déve-
loppement personnel et la compétence interculturelle car, ainsi que
le souligne Porcher (2004), l’Autre et sa culture ne peuvent pas faire
l’objet de savoirs à acquérir, comme on pourrait avoir accès à « une
chose » ? Enfin, si l’on parle beaucoup de dialogue interculturel25, les
moyens pédagogiques existants sont-ils vraiment adaptés ?
24. Les résultats obtenus suite à la distribution de questionnaires de satisfaction
aux étudiants observés ont en effet montré que la satisfaction globale des étu-
diants pour le type d’environnement pédagogique proposé était plutôt satisfai-
sante (3,76/5).
25. Livre blanc sur le dialogue interculturel, 2008.

– 165 –
Les langues dans l’enseignement superieur

La question des contenus (la civilisation, la littérature et


l’histoire), leur choix, leur découpage, leur transposition ainsi que
celle de l’approche à adopter auprès d’un public de scientifiques ou
d’ingénieurs représentent un vrai défi. Les dispositifs à contenus
culturels associés à des activités langagières participent de l’éducation
interculturelle de l’étudiant et contribuent à cette prise de conscience
indispensable à la formation du futur manager car il est vrai :

« …qu’il n’existe pas qu’une seule vérité, qu’il y en a plusieurs


et que pour essayer de comprendre les événements, mais aussi
les hommes, il est nécessaire de prendre en compte les vérités
de chacun et d’analyser comment nous nous construisons les
nôtres (…) pour développer la conscience de l’arbitraire de
tout système fondateur local. » (De Carlo, 1998 : 63).

Les dispositifs pédagogiques qui intègreraient tout à la fois,


langue(s), contenu(s), dimensions interculturelles et leur évaluation
et qui seraient réellement appropriés à ce public spécifique restent
toutefois encore à imaginer.

Faouzia Benderdouche, Cédric Brudermann


et Christine Demaison

Ressources pédagogiques

Achebe, C., 1966, Arrow of God, Londres, Heinemann.


Achebe, C., 1958, Things Fall Apart, Londres, Heinemann.
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Theory and Practice in Post-Colonial Literatures, Londres, Routledge.
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Kästner, E., 1994, Emil und die Detektive, Berlin, C. Dressler Verlag.
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Contenu et enseignement des langues étrangères

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soi-même et évoluer ­ complexité des rencontres interculturelles  », in
Actes du 3e Congrès UPLEGESS (Union des Professeurs de Langues des
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(éds.), Les valeurs dans/de la littérature, Namur, Presses universitaires de
Namur.
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support numérique pour l’apprentissage d’une L2 : quelles compétences
pour l’enseignant ? Thèse de doctorat, Université Sorbonne nouvelle,
Paris 3.
Bruner, J., 1983, 2004, Le développement de l’enfant : Savoir-faire, savoir
dire, PUF.
Byram, M., Bella Gribkova, B., et Starkey, H., 2002, Développer la
dimension interculturelle de l’enseignement des langues - Une introduction
pratique à l’usage des enseignants, Strasbourg, Division des politiques
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Collette, A., T., et Chiappetta, E., L., 1994, Science instruction in the middle
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Conseil de l’Europe, Livre blanc sur le dialogue interculturel, http://www.
coe.int/t/dg4/intercultural/Source/White%20Paper_final_revised_
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Paris, Grasset.
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Centrale de Paris  », in Actes du 36e Congrès UPLEGESS (Union des
Professeurs de Langues des Grandes Ecoles).
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recherche-action responsable, Paris, Ophrys.

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Les langues dans l’enseignement superieur

Narcy-Combes, M.-F., 2006, La communication interculturelle en anglais


des affaires à l’usage des étudiants francophones, Rennes, PUR.
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Oxford University Press.

– 168 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais :
L’étude de la citation filmique
dans L.A. Confidential

Abstract
The film L.A Confidential by Curtis Hanson includes many filmic
quotations, The Bad and the Beautiful by Vincente Minelli  among
others which give the spectators the opportunity to experience different
mismatches, first between the movie itself and the alien segment
introduced voluntarily by the film director and secondly between
expectation (actual or anticipated) and experience. Since according to
Joanna Swann and John Pratt1 in Educational Research in Practice
(2003: 205) learning is “no more but an attempt to resolve mismatches
through awareness”, understanding and interpretation this movie has
undoubtedly been a facilitator in second language acquisition according
to the learners’ surveys.

Si l’on considère que l’on produit de la parole en mémorisant


des instances d’utilisation, sortes de modèles tout faits en lien avec
leurs contextes d’emploi, l’étude filmique est propice à l’acquisition
langagière (Chini, 2008) puisqu’elle fournit en permanence des
exemples, en contexte (exemplar-based systems) (Ellis, 1999).
Convaincue par cette assertion, nous avons beaucoup œuvré sur le
contenu cinématographique. Le travail proposé sur L.A. Confidential
de Curtis Hanson, inspiré du roman de James Ellroy, s’inscrit dans
une continuité.
L’année précédente, un parcours didactique avait été effectué
autour du « film noir » avec un groupe de doctorants cinéphiles (18)
d’un niveau B2/C1. En effet, chaque année, en juin, des sessions

1. Swann Joanna is a Popperian philosopher of education.

– 169 –
Les langues dans l’enseignement superieur

intensives d’une durée de 30/35 heures sont proposés par les écoles
doctorales2 de l’UPMC à des chercheurs travaillant autour de quatre
pôles, ingénierie, vie et santé, énergie, terre vivante et environne-
ment. Les chercheurs sélectionnés ont tous obtenu au minimum un
CLES 23.

1. Elaboration d’un dispositif

Afin de mieux décrire le déroulement de cette session, quelques


précisions sont nécessaires.

1.1. Travail en amont

Quelques semaines auparavant, un certain nombre de tâches


doivent avoir été accomplies par l’enseignant. Tout d’abord, les films
à étudier, après avoir été transformés dans un format spécial (DivX
(AVI)), sont mis en ligne sur un site privé afin d’être accessibles à
tous. Un logiciel Handbrake nécessaire au séquençage des films est
également fourni. Afin de respecter la législation, ces outils sont ensuite
supprimés dès la fin de la session. De plus, des droits d’auteur ont
été acquittés, des permissions obtenues auprès du service juridique
de l’université. De la même façon que l’enseignant doit faire un
travail en amont, une découverte puis un premier décryptage sont
attendus des doctorants. Ils sont censés s’être imprégnés des œuvres
à étudier. Jusqu’à ce jour, ils ont joué le jeu et arrivaient en cours
avec une connaissance acceptable du programme. La réunion de ces
conditions constitue un préalable incontournable au travail effectué
pendant les séances. En conséquence, dix heures de travail individuel
en amont sont à prévoir pour les doctorants. Dans ce cas précis, ils
devaient avoir vu le film principal plus les trois films enchâssés au
moins une fois.

2. Les écoles doctorales, au nombre de 20, rassemblent les équipes de recherche


de l’UPMC, pour la plupart mixtes, avec le CNRS, l’INSERM, l’INRA, l’INRIA,
l’IRD.
3. CLES : Certificat de Compétences en Langues de l’Enseignement Supérieur. Le
CLES 2 (qui correspond au niveau B2 du Cadre Commun) atteste de la capacité
de l’étudiant à restituer, présenter et exposer son point de vue sur des thématiques
générales et académiques transversales.

– 170 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais

1.2. Le contenu

Cette année, avec les mêmes doctorants et quelques nouveaux


d’un niveau équivalent, le cours précédent a été complété par
l’analyse des citations filmiques dans le cadre de l’intertextualité au
cinéma. Cela est l’occasion de révisions et de progressions puisque
le film d’Hanson est aussi un hommage aux films noirs. Ainsi, par le
biais de la citation, le réalisateur intègre dans son propre film d’autres
films et d’autres images que l’on peut reconnaître et identifier.
L.A. Confidential devient un dialogue à distance, dans le temps et
l’espace, avec des prédécesseurs. Les images ressurgies du passé, se
réactualisent et revivent autrement grâce à un nouveau support.
Si au sujet d’une œuvre cinématographique, on parle de corps
filmique, la citation doit être considérée comme une véritable greffe
du passé sur le présent de la pellicule. Notre objectif étant d’obtenir
des apprenants une négociation sur le sens des œuvres par le biais de
la L2, la greffe que constitue la citation fait immédiatement débat
et provoque un questionnement culturel et historique. Plusieurs
questions se posent  immédiatement : pour L.A. Confidential,
qu’apporte la référence au film de Vincente Minelli The Bad and
the Beautiful ? Pourquoi Hanson l’a-t-il choisie ? Que suggère-t-elle
du passé ? En quoi modifie-t-elle le sens du film principal? Peut-on
la supprimer aisément? Enfin, ce film, en évoquant ce qui n’est plus,
par le biais de réminiscences, oblige à un détachement du présent et
facilite ainsi la distance épistémique tant recherchée en didactique.
Dans un cours sur le cinéma, il est absolument nécessaire que les
étudiants se déprennent de la séduction immédiate de l’histoire puis
des images, le risque serait qu’ils en demeurent captifs. Autrement
dit, considérant qu’il ne faut surtout pas que l’écran fasse « écran »,
L.A. Confidential répondait à notre attente. Dans la mesure où
notre cours se veut à la fois un travail sur la culture et sur le sens, la
citation, en imposant un recul puis un décodage attentif des images,
oblige à reconsidérer notre regard sur l’histoire, sur la création et sur
la construction d’un film.

– 171 –
Les langues dans l’enseignement superieur

1.3. Le dispositif pédagogique associant contenu et L2

Le canevas est le suivant : tout d’abord, le premier jour, quatre


heures sont consacrées le matin, à une analyse du contenu filmique,
avec fourniture d’outils cinématographiques concernant le cadrage,
le montage et les effets spéciaux avec illustration à l’appui. Nous
expliquons, par exemple, ce qu’est un medium shot ou un high angle
shot. Puis, l’après-midi, quatre heures sont nécessaires pour opérer
dans L.A. Confidential, un recensement des citations filmiques. Le
travail est long, car les apprenants doivent revoir le film plusieurs
fois afin de prélever les citations qui ne sont pas immédiatement
perceptibles. L.A. Confidential présente un intérêt didactique
majeur : obliger les apprenants à dépasser l’immédiateté pour entrer
dans une démarche de recherche. À travers cette tâche, (prélever les
citations) une imprégnation a lieu. La L2 est entendue et intégrée
progressivement. Ensuite, par le biais d’internet, un travail de
recherche est attendu. Par exemple, il est important de s’interroger
sur l’œuvre de Minelli et sur le film The bad and the beautiful afin
d’en faire une analyse permettant de comprendre les raisons pour
lesquelles Hanson y fait allusion de façon appuyée. Un début
d’interprétation peut alors se dégager. Puisqu’il y a trois citations
filmiques, chaque équipe de six étudiants prend en charge une
référence filmique et la présente aux deux autres équipes. La nature
de chacune des citations est ensuite mise en évidence (citation sous
forme d’hommage à un réalisateur, procédé technique de mise en
abyme). Dans la mesure où les premières tâches ont été accomplies
de façon collective, les doctorants ont des bases puis un cadre de
référence leur permettant de commenter un film nouveau qui fera
écho aux données étudiées.
Le lendemain, ils auront ainsi à analyser In Bruges, (Bons Baisers de
Bruges) le tout premier film de Martin McDonagh, avec Colin Farell.
McDonagh considère en effet, qu’In Bruges déploie de nombreuses
citations filmiques afin de s’inscrire dans l’histoire du cinéma. Le
film est à nouveau analysé de façon collective par les étudiants dans
sa globalité (trois heures de travail). Puis cinq heures sont consacrées,
en autonomie et en groupes, à la compréhension des inclusions
filmiques  : une construction individuelle et/ou collaborative

– 172 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais

du savoir disciplinaire se met en place. Le travail sur le film doit


toutefois s’effectuer selon un parcours imposé faisant référence à
la première matinée de travail où des notions cinématographiques
avaient été données aux apprenants. Chez eux, ils étaient censés
retravailler l’ensemble des données théoriques. Il est ainsi demandé
aux doctorants de sélectionner des séquences particulièrement
évocatrices exhibant de façon manifeste l’intervention appuyée
du cinéaste. Des cadrages singuliers sont à rechercher, avec effets
spéciaux originaux et exemples de caméra subjective.
Le médiateur peut ainsi vérifier, à la séance suivante, à travers cet
output, s’il y a eu intégration de l’input et éventuellement apporter
des correctifs. Les sélections effectuées sont ensuite commentées et
justifiées à l’aide d’une présentation Powerpoint™ gravée sur un
DVD. Une présentation individuelle des activités a lieu devant le
groupe. Comme tous les participants ont travaillé sur In Bruges,
une interaction entre doctorants se met en place de façon naturelle
par rapport au contenu et aux formes filmiques. Certains étudiants
peuvent, par exemple, contester la sélection d’une ou de plusieurs
images en précisant qu’elles ne correspondent pas à la définition
technique d’un terme. Il est possible d’entendre que, contrairement
à ce que prétendait le commentateur, le panoramique n’en est pas
un. Puisque la production langagière ne se fait jamais pour elle-
même et qu’elle a besoin d’un prétexte, le découpage/montage puis
sa justification deviennent vraiment déclencheurs de sens, de paroles
variées et de reprises.

Si mon hypothèse est qu’il y a, au-delà du plaisir cinéphile, des


activités d’appropriation langagière, il reste à démontrer en quoi elles
peuvent être favorisées par un travail collectif puis personnel sur un
film sélectionné. En d’autres termes, comment le fait d’enseigner
une discipline non linguistique (DNL) peut permettre d’acquérir la
L2 ? En reprenant Gajo (2006), Narcy-Combes (ici-même) fait la
remarque suivante sur l’enseignement bilingue :

«  […] enseignement, total ou partiel, d’une ou de plusieurs


DNL par la L2, ce qui semble implicitement supposer que, d’une
manière ou une autre, la L2 est en place ou que les problèmes que
pose l’acquisition de la L2 sont traités à part. »

– 173 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Pour nos doctorants, en effet, la L2 est bien en place. De plus, ils


possèdent de bonnes compétences au niveau cinématographique. Par
conséquent, nous n’avons jamais pensé que la L2 serait un obstacle
ou même qu’elle ferait obstacle à l’intégration du contenu. Il est
vrai qu’une compétence langagière insuffisante aurait pu fortement
réduire la complexité cognitive de ce qui était l’objet du cours, à
savoir l’intertextualité au cinéma. Nous n’avons pas ressenti les peurs
exprimées par les enseignants telles qu’elles sont décrites par Dalton-
Puffer (2007) à savoir que la langue ou le contenu pourraient être
appauvris. Dès lors, la question des priorités ­faut-il favoriser l’anglais
ou faut-il favoriser le cinéma ? ne s’est jamais posée. Nous n’excluons
pas toutefois le fait que ce problème puisse advenir un jour.
Un cours sur le cinéma utilisant l’anglais a effectivement eu lieu. Le
contexte particulier des écoles doctorales permettant plus facilement
des cours « d’ouverture » tels que celui proposé sur l’analyse filmique
en anglais, s’apparente en quelque sorte à celui d’une classe CLIL
(Content and Language Integrated Learning) dans laquelle il y a  « 
une acquisition implicite de la L2 et non un enseignement explicite
de celle-ci  » (Narcy-Combes, ici-même). Cela dit, même si nous
n’avions pas eu à choisir explicitement entre L2 et contenu, entre
un cours d’anglais sur le cinéma ou un cours de cinéma en anglais,
plusieurs questions nous ont toutefois accompagnées dans le cadre
de cette session dispensée aux doctorants.

2. L’acquisition en L2

En quoi le cinéma peut-il favoriser l’acquisition langagière,


comment permet-il de la déclencher, de la promouvoir puis de
l’accompagner ? Nous verrons que le film de Curtis Hanson, L.A.
Confidential est particulièrement propice à ces activités d’acquisition.
Un premier élément de réponse tient au fait qu’il met en jeu la triade
suivante L2/Culture/Identité dont nous analyserons les éléments
séparément.

2.1. La langue

Comme Simondon (1989), nous postulons, en effet, qu’il


existe une relation transductive entre langage, culture et savoirs car

– 174 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais

aucun de ces éléments ne saurait se concevoir sans les autres. Pour


répondre à la question concernant l’acquisition langagière, il va de
soi que la L2 est particulièrement sollicitée dans une analyse du
cinéma anglo-saxon ou américain. En effet, le cinéma, dans le cadre
d’un décryptage filmique, est propice au travail de la L2 puisque
les quatre compétences sont mises en œuvre : la compréhension et
l’expression orales tout d’abord mais la compréhension et expression
écrites peuvent également être mobilisées lors de l’analyse du script.
La lecture de ce dernier permet d’effectuer à la fois des relevés
d’occurrences thématiques mais aussi des repérages de fréquence
de constructions. Des écarts de traduction peuvent être notés et
commentés, la traduction française de The Bad and the Beautiful par
Les Ensorcelés demande des éclaircissements. D’une certaine façon,
l’appel à la traduction en exhibant des écarts voire des glissements
entre langues, pourrait conduire à un travail à la fois de type
linguistique et méta-culturel plus orienté vers l’apprentissage des
langues. Les commentaires sur les titres font par tradition appel aux
connotations intrinsèques à une culture, à une période donnée. Mais
ce travail serait différent de celui qui est essentiellement le nôtre
puisqu’il est orienté davantage vers l’acquisition selon l’opposition
de Krashen (1981) entre l’apprentissage et l’acquisition. En effet,
l’apprentissage, parce qu’il met l’accent sur la correction de la langue
et la création de formes, se caractérise par son aspect conscient et
délibéré, tandis que l’acquisition se définit comme un phénomène
inconscient et non intentionnel, fondé sur la création de sens. En
résumé, dans le cadre qui nous concerne et qui est celui d’un cours
à contenu, la L2 n’est utilisée que comme outil ou comme moyen
mais jamais comme système dont on exhiberait la grammaticalité.

2.2. La culture 

Un des intérêts majeurs du cinéma est qu’il nous apporte de


façon immédiate et visible la dimension sociale et culturelle de la
L2. Avec un film, nous sommes mis en présence de communautés
linguistiques dont nous pouvons repérer les représentations, les
valeurs, les attentes et surtout les structures de pouvoir. Dans L.A.
Confidential, des Mexicains interceptés par la police américaine, sont
ensuite violemment frappés par cette dernière. Le conflit entre les

– 175 –
Les langues dans l’enseignement superieur

deux groupes est l’occasion d’une mise en images des différences de


perception par rapport à des situations données. Parler une langue
c’est, en effet, devenir membre d’une communauté linguistique dont
on ne peut pas ignorer le contexte culturel, l’histoire contrastée de
ses différents membres et les connotations de certaines expressions et
images. Parler une langue, c’est entrer dans une culture intégrant des
micro-cultures ayant des rapports différenciés à la mémoire.

2.3. L’identité en mouvement

L’autre élément rendu visible par le film touche à la question des


identités. La langue contribue aux marquages des identités qu’elles
soient nationales, régionales, sociales ou sexuelles. Toute identité
dans le cadre d’un film et en particulier dans L.A. Confidential
apparaît comme construite, négociable, toujours à renégocier et
surtout toujours en devenir. Cela est particulièrement criant dans
ce film puisque les prostituées sont sommées de jouer le jeu de la
représentation féminine de la façon la plus vraisemblable possible,
en faisant revivre des gloires du cinéma hollywoodien comme Lana
Turner ou Rita Hayworth. Cette thématique est particulièrement
sensible dans le cadre d’un travail d’appropriation langagière puisque
cette dernière s’accompagne de recompositions de soi dans un autre
univers culturel et linguistique (Zarate, 2008). Le fait de générer
des interactions entre L2/Culture/Identité nous permet d’opérer
un déplacement. Les étudiants ne sont plus, de fait, perçus en tant
qu’apprenants mais, avec le cinéma est introduite une nouvelle
perspective. Selon les termes du Cadre Européen Commun de
Référence pour les Langues (2001, 15), l’apprenant se transforme en
locuteur-acteur social :

«  La perspective privilégiée ici est (…) de type actionnel en ce


qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue
comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui
ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un
environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action
particulier ».

– 176 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais

En sa qualité d’acteur social, le locuteur s’approprie un film avec


ses moyens langagiers et culturels tout en développant alors ses
capacités intellectuelles et sensibles (Damasio, 1995).

3. De l’apprenant au locuteur-acteur social

Avant la mise en place de la notion de locuteur-acteur social, la


notion «  d’apprenant  » avait l’avantage de présenter une stabilité
conceptuelle. Elle signalait un parcours. De fait, ce dernier devait
idéalement franchir des étapes progressives : il passait du stade de
débutant à celui de locuteur natif, état final perçu comme étant la
norme à laquelle il fallait aboutir. Or ce que donne à comprendre le
film, ce qu’il modélise, ce qu’il met en images c’est qu’il ne s’agit plus
seulement de parler « comme autrui » mais d’agir sur autrui, de l’in-
fluencer, de le séduire, de le manipuler… Même si leurs perspectives
sont différentes, il en reste non moins vrai que pour Austin (1970)
ou pour Bourdieu (1982), dire a un impact car « dire c’est faire ».
Bourdieu rappelle, en effet, que le dire et son impact dépendent de
la situation et de la position sociale de celui qui dit. L’acte réalisé
par le fait même de parler, modifie ou précise la situation respective
des interlocuteurs (parler c’est : accuser, affirmer, autoriser, avertir,
conseiller, critiquer, interroger, menacer, ordonner, promettre…).
En bref, même si l’acquisition d’une L2 était parfaite grammaticale-
ment, elle s’avèrerait indigente tant que la complète insertion dans
les deux univers linguistiques et culturels ne serait pas réalisée. Le
cinéma, (même s’il n’est pas le seul medium à le faire, le théâtre
étant aussi un bon exemple), facilite la compréhension des stratégies
de maîtrise sociale, invite, puis aide l’apprenant à devenir acteur so-
cial. L’étudiant comprend que pour être effective, sa parole exige une
mise en scène qui rendra possible la rencontre avec autrui. Mais de
façon beaucoup plus fondamentale encore, il nous semble en effet
possible, par le biais d’une pellicule, de rendre palpable le rapport à
l’alter ego et à l’effet qu’il produit en moi par le biais des visages.

3.1. Le cinéma comme présentation des visages

Inspirons-nous de la pensée de Lévinas (1961) sur le concept


de visage. Le visage  est cette partie de chair où autrui apparaît

– 177 –
Les langues dans l’enseignement superieur

particulièrement vulnérable et exposé à la violence. Du visage,


il ne s’agit ni d’en considérer les attraits éventuels ni même les
particularités car cela s’appellerait un dévisagement, mais en
revanche, il est nécessaire de le saisir dans sa nudité essentielle, celle
à même d’exprimer la souffrance.  Donnons de cela un exemple,
nous avions, dans le cadre d’une analyse des films noirs, avec ce
même groupe, travaillé sur une œuvre d’Hitchcock intitulée I
confess dans lequel, le meurtrier, Keller, pour commettre son dessein
macabre, revêt une soutane. Un prêtre est accusé puis jugé à sa place.
La femme de Keller, Alma, bien que consciente de la gravité des
faits, soutient son mari pendant toute la durée du procès. Mais au
moment où elle voit Father Logan, bafoué, subissant les outrages et
les outrances de la foule choquée par ce religieux indigne, son visage
vacille et se crispe. Alors que le corps du prêtre va être agressé et que
son visage exprime la peur, Alma se désolidarise de son conjoint et
crie : “He is innocent”. Cette femme s’est sentie prise en otage malgré
elle par la vulnérabilité de cet homme accablé et en est responsable.
L’expérience du visage est essentielle dans le dialogue avec autrui,
puis dans l’avènement de la vérité. Les grands cinéastes ont compris
cela fort bien et le cinéma en rappelle constamment l’évidence. À ce
titre, ce détour par le visage peut préparer les doctorants à des tâches
portant sur le genre, les constructions d’identités masculines ou
féminines et le rapport à autrui. Il leur devient plus facile de décrire
les représentations données de la masculinité ou de la féminité dans
L.A. Confidential.

3.2. Le cinéma comme présentation des voix

De fait, la parole doit être prise coûte que coûte car toute
prise de parole permet une prise de pouvoir, au moins celle de
l’affirmation de soi. La parole devient alors cet instrument d’action,
comme l’a rappelé tout au long de sa vie, le sociologue Bourdieu
particulièrement dans Les héritiers, les étudiants et la culture mais
surtout dans Ce que parler veut dire. Il existe un deuxième aspect
qu’il faut signaler. Pour un locuteur-acteur social, comme pour un
acteur, il n’y a pas de hiérarchie entre les énoncés, contrairement
à ce qui se passe avec un manuel scolaire et tous sont à prendre
en compte. De fait, il n’y a pas d’un côté des énoncés qui seraient

– 178 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais

nobles et significatifs et sur lesquels il faudrait travailler et d’un autre,


des énoncés qu’il faudrait délaisser au prétexte qu’ils seraient dénués
de signification et n’appartiendraient pas à un registre de langue
souhaitable. La diversité des registres de langue, populaire, affecté,
langage de banlieue entendue dans un film devient une invitation à
pratiquer un niveau de langue particulier et à l’incarner. Dans L.A.
Confidential, il y avait 3 policiers, un intellectuel, un cogneur et un
acteur. Cela a permis à chaque doctorant de choisir un rôle dans une
courte scène (d’une durée de 3 à 5 minutes) et de le jouer à la façon
de : Kevin Spacey, Russell Crowe ou Guy Pierce.

4. Le cinéma comme vecteur dans l’apprentissage


de l’anglais

En paraphrasant un titre qui a fait l’actualité cinématographique


puis pédagogique – nous faisons référence à Entre les murs de Laurent
Cantet – l’enseignement a longtemps été confiné à l’intérieur des
murs, or l’utilisation du cinéma permet de les abolir et par là-même
d’abolir la séparation dedans/dehors. Avec le cinéma, il n’y a plus un
dedans qui serait l’intérieur des salles de classes, où l’on apprendrait
uniquement la grammaire, les énoncés significatifs, et le culturel et
un dehors, où la rencontre avec la vie, dans ce qu’elle a d’hors-norme
et d’asociale serait enfin possible. En d’autres termes, si la maîtrise
de la grammaire est essentielle pour structurer l’expression, elle n’est
pas suffisante. Une bonne connaissance de la grammaire ne va pas
toujours de pair avec une réussite communicative : « L’acceptabilité
sociale ne se réduit pas à la seule grammaticalité » (Bourdieu, 1982,
p. 239). Autrement dit, la L2 avec le cinéma n’est plus seulement
conçue comme un système autonome et fixe, mais comme une
ressource sémiotique dynamique que l’individu combine avec
d’autres ressources pour agir dans le monde social.

4.1. L’intérêt didactique multi-dimensionnel de L.A. Confidential

Le choix de L.A. Confidential, réalisé en 1997 se justifie à plusieurs


niveaux. Tout d’abord, ce film permet de maintenir une continuité
avec les cours précédents en les complétant. Curtis Hanson, lors de
différents entretiens, s’est présenté comme étant l’héritier du « film

– 179 –
Les langues dans l’enseignement superieur

noir », genre fondateur s’il en est, puisque selon lui, l’effroi est ce qui,
véritablement, inaugure le cinéma. Un film doit avant tout produire
un effet sur le spectateur et provoquer en lui émotion, frayeur,
angoisse… Jouant avec le paradoxe cinématographique selon lequel
un film dénie la réalité tout en étant sommé de produire des effets
de réel, Hanson, en digne continuateur de ses pairs, utilise à l’envie
les techniques de manipulation.

4.2. Le paradoxe cinématographique dans Double Indemnity

Dans cet esprit, il est utile de revoir les trois premières secondes
du film de Billy Wilder intitulé Double Indemnity, inspiré d’une
nouvelle de James M. Cain et adapté par Raymond Chandler.
Dès la première image, les spectateurs voient arriver vers eux une
ombre masculine sur béquilles dont le déhanchement inquiétant
sera interrompu par le défilement du générique du film, la tête de
l’homme viendra alors se poser entre les deux jambes de la lettre
M, de Double IndeMnity, lettre qui pourrait évoquer la forme de
l’échafaud. Sans vouloir abuser de l’intertextualité, il est toutefois
difficile de ne pas penser à deux films célèbres par leur noirceur et
qui font apparaître dans leur titre, le Fameux M, suggérant le mot
Meurtre : M. Le Maudit réalisé par Fritz Lang en 1931 et Dial M
for Murder d’Hitchcock terminé en 1954. À l’instar de ces deux
films où le signifiant M prend toute sa valeur, puisque le M renvoie
à une liste de mots balisant la thématique du film noir  (Murder,
Malediction, Misfortune, Manipulation), Double Indemnity devient
une référence absolue pour Hanson qui déploie à la fois tous les
clichés possibles de ce genre filmique mais aussi toutes les techniques
envisageables conduisant à la sidération des spectateurs. De façon
didactique, une exploitation possible de ces thèmes peut être faite
en cours. Les étudiants peuvent débattre sur toutes ces notions
commençant par M, ils peuvent les illustrer, les commenter puis
les hiérarchiser. Qu’est-ce qui fait qu’un film est dit noir ? Est-ce le
meurtre, la malédiction, la manipulation ou la malchance ? Quel est
l’ingrédient essentiel ? Quelle différence y-a-t-il entre un thriller, un
film de gangster et un film noir ? Selon leurs réactions, différentes
tâches sont concevables. Ils peuvent, à l’aide d’une présentation avec
l’outil Powerpoint, démontrer ce qu’ils pensent être l’essence d’un

– 180 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais

film noir, avec extraits, images, scripts. La banque de données sur


Youtube Video est d’une grande utilité.

4.3. Le rapport entre Double Indemnity/L.A. Confidential

L.A. Confidential s’inscrit indéniablement dans la continuité de


Double Indemnity. Le véritable sujet de ce film, au-delà de l’anecdote
policière, est bien sûr la célébration du cinéma dans sa diachronie,
de sa production à son exploitation. Hanson, en tant que célébrateur
du monde hollywoodien nous présente un historique de ce qui est
nécessaire à la production d’un film du début à sa fin. Les citations
filmiques sont là pour nous le rappeler. La référence au film de
Vincente Minelli The Bad and the Beautiful est sans équivoque à ce
sujet. Notre travail, durant ce cours, consistera à montrer l’aspect
spéculaire de ce film, dans lequel la représentation de la fabrication
de l’illusion filmique est sans cesse commentée, analysée puis mise
en abyme. Cette pellicule est l’occasion d’une véritable réflexion sur
le cinéma et sur l’éducation du regard pris dans le filet captateur des
séductions en tout genre. De façon didactique, la compréhension,
l’expression et l’interaction en anglais sont sollicitées de façon non
factuelle et en appellent à des niveaux cognitifs expressifs élevés.
Ainsi, l’enseignant est amené à travailler sur la notion «  d’avant-
garde ». D’une certaine façon L.A. Confidential rencontre la définition
que donne Robert Stam sur le cinéma d’avant-garde. Comme il le
rappelle dans Reflexivity in film and Literature, le cinéma d’avant-
garde a pour caractéristique d’interroger les conventions filmiques
afin d’en exhiber l’aspect factice et construit. Contrairement à
un film traditionnel qui se donne purement comme récit narrant
une belle histoire pourvoyeuse d’enchantement, L.A. Confidential
apparaît comme un pur discours. Derrière la transparence de l’image,
existe bien en effet, la présence d’un énonciateur dont les intentions
consistent à montrer une certaine réalité tout en dissimulant une
autre afin d’avoir un impact sur le public. Dans la mesure où les
doctorants doivent à terme écrire une thèse, un travail critique axé
sur la réflexion et sur le langage ne peut que les aider. L’analyse
d’un contenu filmique prétexte à une réflexion philosophique
sur la manipulation, l’identité, le pouvoir est une éducation à la
culture puis à la langue. En milieu universitaire, une L2 ne peut

– 181 –
Les langues dans l’enseignement superieur

être purement instrumentale, car les doctorants doivent apprendre,


en outre, à réfléchir à des problèmes complexes en anglais, pour
pouvoir intégrer des équipes internationales. Les scientifiques n’ont
pas uniquement besoin de traduire leurs travaux dans des revues ou
lors de conférences. De plus, ils expriment tous le besoin de parler
d’autres choses que de science dans les colloques de haut niveau. Dès
lors, un module de ce type a toute sa place au sein d’une université
scientifique

4.4. Quelles sont les exigences requises pour commenter L.A.


Confidential ?

De fait, L.A. Confidential répond bien aux critères énoncés


par Robert Stam, puisque le film dénonce l’illusion filmique, en
multipliant les diégèses, en mélangeant sans cesse conséquence
et consécution, en jouant soit avec la distanciation soit avec
l’identification spectatorielle. Par ces procédés, le film oblige
l’observateur déstabilisé à prendre du recul et à rendre raison des
différents dispositifs exhibés. Désormais, les objectifs sont clairs :
il s’agit de débusquer les marques de l’énonciation en procédant à
un dévoilement des dispositifs cinématographiques. Figure réflexive
pure, L.A. Confidential nous montre d’autres films en cours de
projection. Le contenu du film entier et sa thématique la plus
profonde sont inséparables de sa construction réfléchissante.

Ce module à contenu cinématographique, destiné à un public


d’étudiants d’un bon niveau en L2, illustre les relations transductives
existant d’une part entre langage, culture et savoir, puis entre homme,
outils/technologie et société. En effet, les films ont été l’occasion d’un
rappel du passé, d’une évocation de la mythologie hollywoodienne,
par le biais d’une L2 utilisée à des fins réflexives. Le cinéma est une
illustration de la seconde triade : il s’agit d’un médium qui nécessite
l’utilisation des TIC pour séquencer des passages afin de mettre en
évidence des effets spéciaux au service des affects et des idées.
Sur le plan didactique, ce module a participé à la construction
d’un savoir sur le film noir en L2, construction tout à la fois collective
et individuelle, selon le paradoxe mis en lumière par De Vecchi et
Carmona-Magnaldi (1996, 251) :

– 182 –
Le cinéma pour faciliter l’acquisition en anglais

« La construction d’un savoir est un processus hautement socialisé et


pourtant c’est chacun qui se construit sa propre connaissance. […]
En effet, on a besoin des autres pour s’approprier individuellement
des savoirs, en suivant son propre cheminement. »

De fait, les situations d’apprentissage avaient toutes une


dimension collective (par exemple, recherches effectuées par groupe
de trois sur un cinéaste, sur un film enchâssé, puis présentation avec
formulation d’hypothèses à l’ensemble du groupe). Nous avons
davantage fait appel à un travail collaboratif que coopératif. Les
participants se devaient d’exécuter la totalité et non un fragment
de la tâche collective. Ce cours a été l’occasion de partager une
intention commune et un effort mutuel autour d’un contenu : le
film noir par le biais de l’anglais et ce travail collaboratif a également
favorisé un travail individuel car les apprenants disposaient d’outils
en ligne. Du point de vue du contenu et de la langue, il y a eu
des processus d’appropriation. En effet, à la fin du module, les
étudiants étaient capables à la fois de différencier un film noir d’un
thriller et d’expliquer en anglais la nécessité de certains ingrédients
incontournables pour les distinguer. Si, pour nous, le bilan est
davantage d’ordre filmique et cinématographique, il n’en reste pas
moins que la dimension didactique associant activités filmiques et
langagières a, selon leurs propres termes, motivé les étudiants à voir
et à revoir des films noirs en version originale.

Françoise Barbé-Petit

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Les langues dans l’enseignement superieur

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et applications.

– 184 –
Le film en cours de langue :
un support pluridimensionnel

Abstract
Increasing numbers of university students in France, while
majoring in other disciplines, are studying foreign languages often
in the form of Content and Language Integrated Learning (CLIL).
In this context, language learning may include the use of content-
based films in order to develop technical, cultural, linguistic and
communicative skills. This contribution provides a case-study based
on L.A. Confidential, where the learners have to solve cognitive-
driven or emotion-driven micro tasks. Observation suggests that
such a use of content-based films enhances motivation and offers
potential for learning both language and culture. This experience
highlights the importance of integrating the social use of films into
pedagogical practice so that the teacher reaches a triple competence
to achieve a kind of pedagogical economy.

La problématique posée par l’acquisition linguistique à travers


l’étude de films s’inscrit dans une perspective contributive du secteur
LANSAD en lien avec les approches CLIL/EMILE, c’est-à-dire en
regard d’une approche centrée sur les contenus (content-based language
learning). L’acquisition d’une langue (L2, L3, etc.) par le biais d’un
travail disciplinaire sur le film suggère que l’objet même d’étude, le
film et sa spécificité, est en mesure de guider l’appropriation de la
langue cible. Cette dernière change de statut didactique : elle n’est
plus l’objet d’étude mais un outil de médiation. La conscience et la
manipulation de la citation filmique, d’une part, et, plus largement,
le recours à un langage cinématographique, d’autre part, s’avèrent être
des pré-requis pour une telle approche. On peut alors se demander

– 185 –
Les langues dans l’enseignement superieur

si l’enseignant doit être un spécialiste des contenus qu’il enseigne et


quelles relations il tisse entre savoirs savants et savoirs à enseigner
dans ce contexte précis pour établir ses choix didactiques. De ces
propos liminaires découle une série de questions pour la didactique
des langues qui s’articulent autour de deux aspects principaux, le
film en tant que « contenu » et l’analyse filmique et les apprentissages
en langues en secteur LANSAD. Nous nous appuierons sur
l’exploitation pratique d’un film, L.A. Confidential (Barbé-Petit, ici-
même) comme fil conducteur de la réflexion.

1. Le film en tant que « contenu » (content )

L’utilisation de films se développe dans l’enseignement des langues


depuis les années 1980 et plus particulièrement dans l’enseignement
supérieur, y compris pour les non spécialistes d’une langue, en
secteur LANSAD. La flexibilité des apprentissages représente un
potentiel intéressant pour un pilotage par les contenus, d’autant que
les niveaux des apprenants y seraient (ou devraient y être) supérieurs
à ceux du secondaire, c’est-à-dire au moins le niveau B2 du Cadre
Européen Commun de Référence pour les Langues (CECR,
2001). Wallet (1997) constate que «  c’est la pratique sociale des
enseignants qui est à l’origine du développement de ces usages ». Et
nous souhaitons préciser qu’il s’agit également de choix didactiques
opérés. Le recours à des films comme contenus d’enseignement à
l’université provient des usages sociaux de certains enseignants et de
leur goût pour le 7e Art, deux aspects favorables à des apprentissages
de langue. On s’accorde à considérer qu’il existe deux positions par
rapport au média filmique, en fonction du statut accordé au film
dans les apprentissages (Glickman, 1997) :
- Le film considéré comme outil et technique, pour lui-
même : il est alors objet.
- Le film considéré comme facilitateur de stratégies collabo-
ratives et autonomisantes : il est alors moyen.
Si les outils ont été importants dans les années 1980, puis les
instruments (instrumentalisation de l’outil et genèses instrumentales
diverses) dans les années 1990 (Baron et Bruillard, 1996), on assiste
dans les années 2000 au développement des ressources médiées dans
le contexte de scénarii pédagogiques stimulant des activités autour de

– 186 –
Le film en cours de langue

tâches et sollicitant des stratégies régulées d’enseignement/apprentis-


sage. De ce fait, nous pouvons considérer l’utilisation de films, non
plus selon le statut du support mais plutôt selon les dominantes di-
dactiques qui l’accompagne. Verreman (2000) classe les exploitations
de la vidéo à partir de livrets d’exploitations pédagogiques selon cinq
dominantes décrites dans le tableau ci-dessous :

Tableau des dominantes dans l’exploitation de la vidéo en cours de langue selon


Verreman (2000)
Dominante - artistique : le film est une œuvre d’art étudiée dans le
culturelle contexte de l’histoire de l’art,
- littéraire : l’étude de films qui ont pour point de
départ un texte écrit de grand auteur peut se centrer
sur le texte et devenir une étude de roman qui
prend plus ou moins en compte la mise en scène
cinématographique,
- civilisationnelle : le document cinématographique
intéresse parce qu’il montre (parfois de manière
symbolique) la vie dans le pays cible sous les aspects
les plus divers,
- communicationnelle l’art de communiquer dans
la langue étrangère devient l’aspect focalisateur de
l’étude, et l’on s’intéresse tout particulièrement à la
communication non verbale.
Dominante filmique - compréhension de la diégèse (sens général du film) :
sans tenir compte du langage cinématographique, les
apprenants tentent de comprendre la diégèse, c’est-à-
dire l’histoire racontée. On en reste à l’histoire, sans
chercher à l’analyser,
- les techniques et leurs effets : c’est la situation qui
contraste avec la précédente, c’est-à-dire que la classe
analyse les signifiants cinématographiques pour mieux
comprendre les informations qu’ils transportent
et que n’ont pas perçus ceux qui en restent à la
diégèse. Par exemple au travers d’activités comme :
réfléchir au sens que donnent les symboles (que les
élèves doivent d’abord déchiffrer et comprendre) et
permettent de trouver une autre histoire dans le film,
une interprétation psychanalytique en l’occurrence,
- l’analyse analogique du film (ou d’un texte) : avec ou
sans prise en compte des symboles qu’a introduit le
cinéaste,
- le film dans l’histoire du cinéma (genre Cahiers du
cinéma) : dimension historique reliée à des courants
cinématographiques.

– 187 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Dominante - compréhension orale : l’étude consiste à comprendre


linguistique ce que disent les personnages ou la voix off. Dans ce
cas, on propose plutôt un exercice de discrimination
auditive sur un thème étudié. Il est utilisé pour la
révision, le rappel de vocabulaire, l’entraînement, la
consolidation ou même le contrôle des connaissances,
- compréhension lexicale : l’attention est portée sur
le vocabulaire ; les activités consistent surtout à
comprendre et réemployer ce vocabulaire,
- compréhension grammaticale : le document est
retenu pour l’introduction d’éléments grammaticaux
sur lesquels porte ensuite l’entraînement,
- expression (déclencheur de parole) : c’est la forme qui
semble la plus fréquemment utilisée, en particulier
dans le post-baccalauréat. Un débat s’installe après la
projection du document.
Dominante de type - multiréférence didactique : le document est choisi
psychopédagogique principalement parce qu’il permet une étude de la
langue à plusieurs niveaux et de manière différenciée,
- motivation (effet incitateur, gratification ou ludique)
: la présentation du document permet de relancer
la motivation des élèves pour l’apprentissage de la
langue, ou bien, il s’agit d’un document facile qui
a pour fonction de récompenser la classe qui a bien
travaillé, tout en lui présentant des dialogues en
langue étrangère. Mais il pourrait s’agir aussi d’un
jeu dans la langue étrangère dans lequel les élèves
sont mis en concurrence pour trouver des indices
dans les images, les paroles ou les bruitages, relever
des détails, etc.
- dimension interculturelle : l’étude d’un film peut
donner lieu à une approche interculturelle, tout
spécialement en travaillant sur les symboles,
- formation aux techniques d’apprentissage : l’étude
d’un document vidéo se prête aussi à la présentation
et l’entraînement aux techniques d’apprentissage
des langues. En effet, le contexte filmique donne
l’environnement du lexique et des tournures
grammaticales.

– 188 –
Le film en cours de langue

Dominante de - formation à l’image : c’est ce qui est relevé dans la


formation générale plupart des exploitations pédagogiques de films.
Certains cependant donnent une importance
primordiale à l’étude de photos extraites du film. Dans
le cas, le langage cinématographique est largement
ignoré, mais cet ‘arrêt sur image’ permet de mieux
observer le décor et la construction du plan, donc de
percevoir l’origine technique de certains effets,
- formation à l’analyse de document : certains
enseignants assimilent l’étude d’un film à celle d’une
œuvre littéraire et privilégient donc l’analyse du
document selon des techniques littéraires, comme la
narratologie, jouant ainsi sur l’analogie avec la réalité,
- formation au repérage d’informations par le canal
audiovisuel (éléments linguistiques ou civilisationnels/
communicationnels ou relevant de la technique
du cinéma, etc.). Cet aspect est souvent passé sous
silence, mais devient important dans le contexte
de l’information par l’image qui remplace parfois le
document écrit. On le voit dans certains magasins
de bricolage, mais c’est aussi le cas en sciences de la
nature, en histoire ou en géographie. Cette dominante
se retrouve principalement dans les documents qui
proposent de travailler sur les informations ou sur des
films informatifs.

2. L’entrée par la dominante filmique

Le document de référence, à savoir le film, amène l’enseignant à


faire un choix didactique en privilégiant l’une ou l’autre des entrées
ci-dessus référencées, voire à les combiner. Le modèle de la dominante
filmique correspond

« à celui de l’étude littéraire par les textes d’auteur, dans lequel
les activités sont toutes centrées sur le document. De plus, les
activités sont les mêmes que dans une classe (…) qui étudie
un film : étude narrative, étude du style, des figures de style,
des effets sur le lecteur, etc. On peut ramener cette procédure
à l’approche communicative. En effet, nous sommes dans
une situation de communication authentique dans la langue
étrangère. » (Verreman, ibid.)

– 189 –
Les langues dans l’enseignement superieur

2.1. Analyse filmique et différents niveaux du réel

Pour Barbé-Petit (ici-même), dans son usage de la citation


filmique dans L.A. Confidential de Curtis Hanson, le 7e art est, pour
l’enseignante, l’un des modes d’expression privilégiés des XXe et
XXIe  siècles et tout film reflète l’expression d’un réel inédit en ce
sens que le réel projette sur le champ de l’expérience une dimension
critique ou distanciée par le langage filmique choisi par le réalisateur
du film. Pour le film de Curtis Hanson, on peut présenter les deux
facettes du réel de la manière suivante :

Réel expérientiel Réel distancié et inédit


Les années 1950 aux USA (vision La contribution de Curtis Hanson
sociologique). dans L.A. Confidential.
La grande ville (ex. : Los Angeles). La citation filmique.
La relation de pouvoir (ex. : la police,
l’ascension sociale, la corruption, etc.).
L’image de l’homme et de la femme.

Il en résulte que ces deux réalités doivent être mises en relation


pour rendre compte de l’intention du cinéaste et du contexte
particulier qui le situe. Pour comprendre le réel, l’étudiant est amené
à comparer la nature des deux champs du réel, pour mesurer l’écart
entre eux. Il devra donc faire appel à des connaissances, acquises ou
non, et les mettre en relation avec le regard du réalisateur. Le film est
alors un moyen de connaissance et de mise à l’épreuve du réel et c’est
bien le contenu qui pilote la langue. Les formes cinématographiques
les plus connues d’une prise en compte du réel expérientiel sont le
reportage, le documentaire, le film scientifique, dans un continuum
de proximité, et le film de science-fiction, dans un continuum de
distance. En revanche, le roman porté à l’écran penche du côté d’une
distanciation vis-à-vis du réel. Ainsi, par différence avec le pilotage
par la langue (language-based teaching), le pilotage par les contenus
(content-based teaching) dans l’analyse filmique se rapproche du réel
par les interrogations qu’elle pose, à la fois sur le contenu et sur
les notions constitutives de l’identité des différents spectateurs. Le
pilotage par les contenus est impliquant pour les étudiants, à la fois
en tant que spectateurs et en tant qu’apprenants.

– 190 –
Le film en cours de langue

2.2. Analyse filmique et rôle du spectateur

Dans l’analyse filmique entre en jeu le spectateur au travers du


filtre de sa propre relation au réel. Le travail d’analyse filmique
éclaire, entre autres, le psychisme humain. Le spectateur se dévoile
notamment dans sa relation avec l’espace-temps, sa relation avec
l’autre, etc. Les effets du film sur la psychologie du spectateur sont
intéressants et porteurs dans une perspective didactique. Dans le
film de Curtis Hanson, deux personnages clés incarnent deux visions
du pouvoir, Edmund Exley, personnage masculin et Lynn Bracken,
personnage féminin.

Maîtrise de la réalité Maîtrise de la réalité


selon Edmund Exley selon Lynn Bracken
Contrôle de son entourage. Apparence de passivité.
Contrôle des événements. Calme.
Manière active et combative. Féminité.
Ambition professionnelle. Résignation.
… …

À partir de ces deux conceptions du contrôle, se construisent les


représentations du réel et de la manière dont les personnages et le
spectateur le perçoivent. Ceci peut renvoyer autant à une discussion
sur les rôles sociaux courants (distribution des rapports de force
entre les hommes et les femmes) qu’à une réflexion sur ses propres
choix. Dans ce film, la dichotomie entre les rôles attribués aux deux
personnages est fortement marquée, ce qui est favorable à la mise en
place d’activités permettant la réflexion sur les processus identitaires
et le débat constructif au sein du groupe d’apprenants.

2.3. Analyse filmique et langage

Le langage filmique provoque ou stimule les émotions. Selon


les cinéastes, l’émotion de l’image, du son et de l’allusion filmique
est plus ou moins présente. L’émotion ressentie par les spectateurs
reflète en partie l’écriture propre à chaque cinéaste. Avec Curtis
Hanson, il s’agit en quelque sorte d’une lecture de roman policier
que l’on pourrait qualifier de lecture intellectuelle et qui permet de

– 191 –
Les langues dans l’enseignement superieur

développer, elle aussi, les divers aspects du réel pour les spectateurs
et les apprenants. Au réel expérientiel s’ajoutent le réel distancié que
propose le cinéaste et la perception du réel. Cette perception peut se
synthétiser de la façon suivante :

- Les émotions du spectateur (dimension affective du vécu).


- Le point de vue du spectateur (dimension socio-cognitive).
- Le point de vue distancié de l’apprenant.
- La construction d’une représentation singulière, conscienti-
sée, puis négociée dans le groupe d’apprentissage (échange).

Le champ didactique croise les trois formes de réel à des fins de


construction d’une relation aux contenus du film qui soit conscientisée
et porteuse d’apprentissages. Les choix du cinéaste permettent le
repérage de l’explicite (la connotation) afin de dégager l’implicite
(la dénotation) et font surgir les besoins langagiers en situation. Il
s’agit là d’une analyse plus poussée de séquences sélectionnées par
l’enseignant pour leur intérêt propre et leur aspect significatif dans
l’accès au sens. On encouragera volontiers une approche par la mise
en relation des niveaux d’information et de traitement du réel par le
cinéaste comme le propose le tableau ci-dessous.

Connotation Dénotation
Repérage : Commentaires sur le plan filmique.
- chronologie, Interprétation sur le plan thématique.
- personnages clés, Hypothèses sur le plan du sens.
- notions,
- etc.

Les contenus filmiques constituent des ponts entre le réel


objectif, le réel perçu et le réel interprété. Ce sont des occasions
multidimensionnelles d’apprentissage et des espaces potentiellement
vivants et intégrés de la langue et de la culture. L’analyse filmique
permet en effet des apprentissages langagiers mais dans le même
temps des apprentissages tout aussi significatifs sur la culture
filmique, sur la société, sur la connaissance de soi, sur la pratique de
la discussion, sur l’apprendre à apprendre, etc.

– 192 –
Le film en cours de langue

Le temps disponible à l’université pour les langues est différent de


celui du second degré. Il n’est pas seulement constitué des temps dits
« de cours ». Le temps consacré aux activités en dehors de la séance de
cours est investi d’un statut notable et évalué positivement. Regarder
un film ou aller au cinéma sont des activités sociales qui peuvent être
courantes chez les étudiants et perçues comme agréables. L’étude
filmique se présente alors comme un prolongement de la vie sociale
ou comme une ouverture de type éducatif engendrant un travail
positif sur la dimension émotionnelle et le développement de soi.
Dans une telle optique, nous proposons ici quelques éléments de
réflexion sur les conditions favorables aux apprentissages à l’aide de
l’étude filmique.

2.4. Analyse filmique et objectifs

Pour être valide, le dispositif didactique retenu par l’enseignant


doit être connu, décrit, conscientisé et clairement explicité en termes
d’objectifs communiqués aux apprenants, faute de quoi les champs
du réel ne seront pas investis. L’un des constats, issu des diverses
expériences menées sur l’étude filmique en cours de langues, est
la nécessité d’insister et de préciser largement les objectifs retenus
aux apprenants, notamment si l’on en attend des effets qui seront
évalués. La question de la langue utilisée (L1 ou langue cible) doit
être posée et ce questionnement même signifie que les objectifs perçus
peuvent être bien divers et qu’une clarification est utile. L’objectif
général se présenterait de la manière suivante dans le cas étudié de
L.A. Confidential (Barbé-Petit, ici-même) : reconnaître un langage
cinématographique et le pouvoir de l’écran (c’est-à-dire le rapport
entre le réel et la manipulation) pour se constituer une culture
filmique au visionnage de films. Les objectifs spécifiques relevant de
cet objectif général se déclineraient de la manière suivante :
- Objectifs spécifiques : à définir selon les films
- Objectifs techniques (concernant les techniques et cultures
filmiques) : se familiariser avec les bases du langage cinéma-
tographique (image: plans, mouvements de caméra, son,
montage, etc.)  ; découvrir l’analyse filmique (inclusions,
rappels, citations) ; connaître le matériel cinématographi-
que (caméras, objectifs, effets spéciaux), etc.

– 193 –
Les langues dans l’enseignement superieur

- Objectifs culturels : l‘Amérique des années 1950.


- Objectifs langagiers et filmiques : la prédiction en CO pour
mobiliser le connu ; la confrontation image-son ; la prise
de notes (EE), la webquest, etc.
- Objectifs linguistiques : comme exprimer l’accord/le désac-
cord ; ou bien exprimer la surprise, l’inquiétude, la peur ;
ou encore exprimer la modalité, les moyens et buts, expri-
mer la cause/conséquence ; ou bien la comparaison, etc.
- Objectifs communicationnels  : échanges d’avis par oral,
mini-exposés, compréhension et prise de notes, etc.

Selon les choix didactiques de l’enseignant, et selon sa connaissance


de l’analyse filmique, voire selon sa culture personnelle, lorsqu’il s’agit
essentiellement de citations filmiques, les objectifs seront déclinés de
façon relative et selon une articulation différente.

3. Modèle de tâche complexe et typologie de micro tâches


spécifiques au média.

La résolution d’une tâche complexe (Narcy-Combes, ici-même)


relève de quatre phases, telles qu’on les trouve dans le domaine
de la psychologie cognitive. Ces phases sont la représentation du
but à atteindre ou de l’objet à comprendre, la prise d’indices, la
structuration des informations recueillies et la construction du sens
par le groupe d’apprentissage (Béghin et alii, 1994).
- Dans la représentation du but à atteindre ou de l’objet à
comprendre, les étudiants se projettent dans une réalité
qu’ils imaginent. Ceci se situe en amont du réel expérien-
tiel du film. Il s’agit de créer la motivation pour le travail
sur les contenus et la citation filmique par exemple. À l’is-
sue de la phase de pre-teaching, les objectifs sont fixés et
explicités, le statut du contenu est posé.
- Dans la prise d’indices, les référents utiles sont issus de la
situation donnée, c’est-à-dire ceux de la séquence filmique
retenue. Des indices sont également pris dans des contextes
extérieurs proches (de documents divers sur le thème, des
ressources Internet, des recherches livresques, etc.). D’autres
indices encore relèvent de la sphère de représentations des

– 194 –
Le film en cours de langue

apprenants eux-mêmes qui instaurent un filtre à la prise


d’indices.
- Pour la structuration des informations recueillies, les re-
lations entre les indices sont nécessaires, c’est-à-dire une
mise en abyme du sens et une structuration logique des
éléments. Cette étape permet un tri et un classement des
informations et des ressentis. Ces tâches descriptives et
analytiques peuvent être assorties de mini-tâches de syn-
thèse-structuration.
- Pour la construction de sens par le groupe, une étape de re-
formulation et d’expression de la structuration effectuée est
alors indispensable. Elle passe par la production langagière,
orale ou écrite, résultat d’un travail collectif ou individuel,
dont le résultat appartient au groupe qui le valide.
De façon générale, tout au long de la réalisation de la tâche, se
présenteront des activités d’étayage et de régulation et une gestion
du temps selon une dynamique de spirale. De ce modèle de
résolution de la tâche complexe et de la spécificité du document
cinématographique étudié dans son ensemble peuvent découler des
micro tâches et des activités à classer en fonction de leur potentiel
acquisitionnel et des constructions cognitives attendues. Ces tâches/
activités portent de façon privilégiée sur le décodage de l’image et
du son (canaux joints ou séparés), sur le jeu des acteurs, mimiques,
etc., sur une approche de l’écriture filmique (décors et accessoires,
relations entre eux, cadrage, angles de prise de vue, etc.) mais aussi
sur les symboles et les aspects socioculturels du film (allusions et
références implicites à une culture cinématographique). Ces tâches/
activités permettent de développer les repères méthodologiques
nécessaires à la construction d’un regard cinéphile. Leur variété et
leur co-organisation avec l’enseignant contribuent à leur dimension
motivante pour des apprenants étudiants et jeunes adultes.
Selon le schéma de la tâche, les activités proposées relèvent :

- de l’observation et du repérage, de la formulation d’hypo-


thèses (ex. : les raisons d’un plan), de la recherche de par-
tenaires disposant d’éléments proches ou complémentaires
(information gap), d’appariements de documents, de l’éla-
boration d’un résumé à partir d’éléments dissociés, etc. ;

– 195 –
Les langues dans l’enseignement superieur

- de la (re)construction du sens : celles-ci portent sur la syn-


thèse des éléments déconstruits et donc remis en contexte,
ainsi que sur les contenus eux-mêmes, explicités et analy-
sés, comparés avec d’autres et mis en perspective plus large,
tant au plan du type de document (le film) que des thèmes
abordés ;
- du linguistique et du métalinguistique : ces activités por-
tent sur le lexique spécifique au champ abordé : le thème, le
média filmique et son analyse. Elles concernent également
des actes de parole que le film amène à utiliser et engagent
le contexte d’usage des actes langagiers (notion de situation
communicative fournie par le cadre filmique). Elles per-
mettent enfin de prendre un média (l’image par exemple)
pour verbaliser une situation, une émotion, une intention,
etc. De plus, elles sont favorables à des réflexions métalin-
guistiques sur les paroles et actes présentés (simplification
des énoncés, intentions etc.) ainsi que sur les choix du réa-
lisateur et du scénariste. En ce qui concerne la dimension
grammaticale, on proposera des activités portant sur la re-
prise d’énoncés pour d’autres contextes, d’autres situations
d’usage etc. et pour la dimension pragmatique de la langue,
des situations à mettre en paroles à partir d’images du film,
des répliques nouvelles à inventer, des pensées à verbaliser
etc., tout cela étant favorable au réemploi et à l’ancrage
linguistique.
- de l’ancrage et de la mémorisation  : celles-ci s’appuient,
tout comme les précédentes, sur les séparations des canaux,
sur les outils filmiques, sur les situations proposés au ni-
veau du réel et de l’intention inédite du réalisateur. On
peut ainsi imaginer, en ce qui concerne l’approche lexicale,
des résumés à trous (lexique des plans), des associations de
mots-clés/énoncés types et personnages ou scènes du film,
etc.

Nous insistons ici sur le fait que ces propositions ne sont qu’un
découpage théorique simple qui n’engage nullement leur mise en
œuvre sociale. Ainsi, selon que l’enseignant choisit une approche plus
frontale ou une approche davantage centrée sur les échanges et la socio-

– 196 –
Le film en cours de langue

construction, les productions langagières, tout comme les résultats


en termes d’apprentissages (non pas tant en termes d’acquisitions
que de formes linguistiques approchées par les modalités retenues),
seront différents. Les trois niveaux présentés, le réel expérientiel,
le réel inédit et le réel perçu, peuvent être distingués au travers de
tâches impliquant le cognitif et/ou l’affectif, selon les intentions
didactiques. En ce qui concerne le développement cognitif, les
apprenants seront amenés à la formulation d’hypothèses explicatives,
à la construction du sens et à l’expression de points de vue sur leur
vision du réel. En ce qui concerne les affects, les apprenants seront
sollicités au niveau des réactions, des émotions et de l’identification/
ou non aux personnages, aux rôles, etc. La conception de micro
tâches pourrait prendre en compte l’articulation de ces trois champs
ou bien les aborder séparément selon les objectifs visés, mais, en tout
état de cause, permettre de construire le lien entre les différentes
tâches proposées. Quel que soit l’enjeu, linguistique (type d’énoncés
sollicités, lexique employé), ou culturel (aspect plus littéraire, code
du langage filmique, approche par le ressenti, intellectualisation du
vécu, etc.) c’est bien le contenu (content) qui sollicite la tâche et qui
lui donne sens par le contexte et la situation qu’il génère.
La spécificité de l’image animée, ici le film, permet des formes
de travail variées, motivantes (ou simplement implicantes) et
complémentaires, dans la mesure où celles-ci interpellent des profils
d’apprenants divers. Dans un film, la communication ne s’effectue
pas exclusivement par le biais du verbal, mais également – et très
largement – par des entrées non verbales  : gestuelle, mimique,
kinesthésique et proxémique et par l’impact du décor et des bruits
ambiants. L’image animée permet ainsi de mettre en évidence
diverses formes de communication. Celles-ci ont en retour un effet
bénéfique sur les apprentissages, pour peu que l’enseignant leur
accorde une place et les valorise. La richesse offerte par le média
filmique en cours de langue semble par conséquent inépuisable, de
par son adaptation aux différents niveaux de langue et de contenus.
Par ailleurs, le sens attribué par le spectateur prend appui sur le
contexte visuel autant que sur le contexte sonore. Ceci n’est pas
un processus nécessairement conscientisé et il gagnerait à l’être au
travers de micro tâches adaptées. Ainsi, en séparant les canaux de
perception (visuel et sonore), l’analyse filmique favorise à la fois la

– 197 –
Les langues dans l’enseignement superieur

formulation d’hypothèses et la quête d’informations manquantes ou


non-explicites (information gap) selon ces deux dimensions et suscite
l’implication affective du spectateur/apprenant.

4. Une combinatoire au service des contenus

L’évaluation finale pourrait porter sur une combinatoire, en


relation avec l’usage social et didactique du document support
(d’autant que l’on privilégie ici, non des extraits de films, en
séquences didactiques, mais l’acte social de visionnement d’un film
complet). C’est ainsi que l’évaluation de ce type de dispositif doit
pouvoir lier les contenus à la langue. Dans le Compendium CLIL,
nous pouvons lire :

«  L’évaluation de la performance EMILE d’un apprenant


devrait tenir compte de la dualité contenu-langue inhérente à
beaucoup de modèles d’EMILE. L’apprentissage pédagogique
intégré devrait être évalué à l’aide d’outils d’évaluation
intégrés. Une évaluation portant seulement sur le contenu d’un
texte d’examen ou seulement sur la langue nie la dimension
transdisciplinaire d’une approche EMILE. Il y a lieu d’élaborer
des outils d’évaluation qui permettent à des apprenants de
montrer l’étendue de leurs connaissances et de leurs capacités
par rapport aux contenus et par rapport à la langue. » (http://
www.clilcompendium.com/clilcompendium.htm)

Dans le cas de l’analyse filmique ici représentée comme content-


based teaching and learning, on pourrait, par exemple, solliciter un
regard critique sur le film, sous forme de production écrite.
Dans une pédagogie de projet, l’évaluation permet à chacun de
savoir où il en est, indépendamment du travail d’élaboration collectif
et partagé. C’est le moment où les divers plans de la dominante
reprennent sens. Dans la mesure où l’apprentissage de la langue
s’appuie sur les contenus, les résultats sont meilleurs lorsque cet
apprentissage fournit à la fois l’occasion de communiquer sur les
contenus et propose un développement intentionnel de la langue.
Il n’en reste pas moins que si les enseignants dissocient les contenus
de la langue, alors les effets sont moindres. La difficulté se situe tant

– 198 –
Le film en cours de langue

au niveau des enseignants que des étudiants qui doivent également


s’emparer de la démarche1.

5. La perspective CLIL/EMILE et le secteur LANSAD,


quelles compétences pour l’enseignant ?

Rappelons brièvement les cinq dimensions de l’approche CLIL


selon Marsh, Maljers et Hartiala (2001). Il s’agit de la dimension
culturelle (CULTIX-Culture Dimension), de la dimension environ-
nement (ENTIX-Environment Dimension), de la dimension langa-
gière (LANTIX-Language Dimension), de la dimension des contenus
(CONTIX-Content Dimension) et de la dimension des apprentissa-
ges (LEARNTIX-Learning Dimension).
Ces catégories permettent d’éclairer les dimensions d’un
enseignement CLIL/EMILE et pourraient facilement se transposer
au secteur LANSAD même si des facteurs de variabilité doivent
toujours être pris en considération pour une meilleure efficacité des
effets sur les apprentissages2. Ces facteurs que nous proposons de
relier entre eux sont développés dans le compendium CLIL (ibid.),
dans les écrits de Marsh (2002) et dans diverses études de cas.

Facteurs de variabilité
Âge des apprenants Catégories : 3 à 6 ans ; 5 à 15 ans ; 14
à adulte
Contexte sociolinguistique Contexte : monolingue, bilingue,
plurilingue
Type de communication dans Discours interactionnel (accent porté
l’environnement d’apprentissage sur la communication)
Discours transactionnel (accent mis
sur le fait de donner et de recevoir des
informations)
Echanges L1 et L2
Niveau de la matière enseignée en L2
Relations entre contenus et langue

1. Au niveau universitaire, les enseignants, spécialistes de la langue, ont, pour


certains, du mal à se placer dans le double enjeu des contenus et de la langue, alors
qu’au niveau primaire, ils sont habitués à des approches transversales.
2. Voir Causa, ici-même.

– 199 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Degré d’exposition (en durée et Degré faible, moyen ou élevé


intensité) Faible (low) : environ 5-15 % du temps
d’enseignement
Moyen (medium) : environ 15-50 % du
temps d’enseignement
Elevé (high) : plus de 50 % du temps
d’enseignement

Source : http://eacea.ec.europa.eu/ressources/eurydice/pdf/0_integral/071FR.pdf

Travailler de façon intégrée la langue et les contenus suppose alors


pour l’enseignant de passer d’une double compétence (la maîtrise de
la langue et la maîtrise didactique de son enseignement) à une triple
compétence (les deux précédentes auxquelles s’ajoute la maîtrise
d’un contenu général disciplinaire, ici l’analyse filmique), ce qui
soulève la questions suivante : quelle part accorder à chacune de ces
compétences et dans quelle relation les situer entre elles ?
L’enseignant doit maîtriser la première compétence non pas
uniquement en termes de savoirs, mais également en termes de
posture de recul réflexif, pour être capable d’analyser les incidents
critiques du cours. À cette double expertise (maîtrise de la langue et
maîtrise minimum des contenus) s’adjoint une expertise didactique
(maîtrise de la conception et de l’organisation des macro et micro
tâches en relation avec des experts disciplinaires). Cette maîtrise
didactique3 se constitue dans l’articulation des champs retenus et
de leur mise en œuvre pédagogique, c’est-à-dire autour des notions
de ponts, de liens et de relations et elle permet également de réaliser
une « économie didactique »4. La notion de triple compétence ne
peut se départir d’une question sous-jacente : À quelles articulations
internes au cours et externes (cours et dispositif de formation, cours
et environnement d’apprentissage, cours et contexte d’évaluation)
doit-on être attentif ? Le contexte dans lequel se place un dispositif
et les objectifs explicites ou implicites de l’enseignant génère
des mouvements de balancier entre ces trois compétences et des
mouvements de complémentarité, qu’il n’est pas possible d’analyser
ici. On se contentera de les évoquer, pour contribuer à une prise
de conscience distanciée des moteurs de l’action d’enseignement.
L’enseignant qui fait le choix de travailler sur l’analyse de films

3. Voir Narcy-Combes, Causa, Faure et Lutrand Pezant, ici-même.


4. Cavalli, 2005.

– 200 –
Le film en cours de langue

est en général quelqu’un qui s’intéresse au 7e art  : c’est en reliant


son intérêt et sa motivation avec les besoins de ses étudiants que
le contenu proposé prend sens dans l’apprentissage. La dimension
Content dans l’approche CLIL est, de plus, fortement centrée sur
l’usage social : aller au cinéma, se faire une opinion, se constituer
une culture cinématographique et commenter avec ses amis ce que
l’on a vu, ce qui est important pour la construction des savoirs
de l’étudiant considéré comme un acteur social. De même, les
enseignants peuvent se prendre au jeu et réaliser qu’ils apprennent
autant que leurs étudiants par ce type de démarche. Ils apprennent
de leurs choix didactiques, ils apprennent également dans l’échange
avec les étudiants, et, de plus, il y a parfois des cinéphiles parmi
les étudiants. La motivation et la dynamique d’apprentissage sont
partagées. L’enseignant devient « pair » de ses étudiants pour une part
des apprentissages et des affects engagés. Non seulement le partage
des savoirs modifie l’accès au pouvoir de la connaissance mais, de
plus, le groupe évolue grâce à cette pédagogie de projet.

Si l’analyse filmique présente un intérêt linguistique dans le secteur


LANSAD en dotant les apprenants d’un langage cinématographique,
elle contribue également à un enrichissement culturel ainsi qu’à
la formation de citoyens usant d’un esprit critique. Elle s’appuie
sur leurs usages sociaux et permet sans conteste de développer la
manipulation langagière et son acquisition. Ce type d’approche a
un impact sur l’implication affective et cognitive des apprenants, et
sur le développement d’une compétence procédurale, socle, à la fois,
de la compétence communicative, de la compétence linguistique,
de la compétence dans le domaine des contenus abordés et d’une
compétence d’interaction culturelle.
La mise en avant de « contenus » dans l’enseignement/apprentis-
sage a souvent été perçue comme relevant de « l’ancien régime di-
dactique », or elle peut s’avérer spécifique à un contexte et favorable
au développement d’attitudes positives en termes d’implication, si
elle repose sur les centres d’intérêt des apprenants (visée présente ou
future), de leurs usages sociaux et, si elle correspond à un véritable
projet didactique intégré, ayant un sens pour tout acteur social.
Se rendre au cinéma et se construire un esprit critique appuyé sur
une connaissance des moyens d’expression filmiques est une source

– 201 –
Les langues dans l’enseignement superieur

de motivation et de construction de la compétence de spectateur/


connaisseur de films. Les freins les plus fréquents avec ce type de
support relèvent d’une difficulté à imaginer des activités transver-
sales et à établir une combinaison équilibrée entre la langue et les
contenus. Toutefois, le faible impact des approches CLIL sur la for-
mation initiale des enseignants n’est guère favorable à une évolu-
tion en dépit des discours européens encourageants. Il semble bien
que l’intégration entre les contenus disciplinaires l’analyse filmique
et les enseignements linguistiques ne puisse se développer que par
la seule volonté d’enseignants ou par des expériences innovantes
ponctuelles.

Dominique Macaire

Bibliographie

Baron G.-L., Bruillard, E., 1996, L’informatique et ses usagers dans


l’éducation, Paris, Presses Universitaires de France, l’Educateur.
Béghin, E, Ducros, J., Farine, M., Maumont, A., Mevel, Y., Sullerot,
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nouvelles technologies. » in Les nouvelles technologies – Permanence ou
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European Platform for Dutch Education et Graz, Centre Européen
pour les Langues Vivantes. (http://www.ecml.at/mtp2/CLILmatrix/
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Education, The Netherlands & University of Jyväskylä, Finland.
Marsh, D., 2002, CLIL/EMILE – The European Dimension: Actions, Trends
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– 202 –
Le film en cours de langue

Verreman, A., 2000, La vidéo en classe de langue, un révélateur des modèles et


des matrices d’une discipline. Étude des livrets pédagogiques accompagnant
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Référence 0547.31278/00, Copyright A.N.R.T, Université Lille III,
2000, Lille-Thèses, ISSN 0294-1767. Extraits sur le site : www.chez.
com/alainverreman.
Wallet, J., 1997, « De quelques invariants autour de la place des images
animées à l’école.  » in Les nouvelles technologies – Permanence ou
changement ? Recherche et Formation, n 26, Paris, INRP.

– 203 –
EN GUISE DE CONCLUSION

Vous avez dit « didactique » ?

Les recompositions qui traversent le monde académique et qui


touchent plus particulièrement l’Europe, avec le processus de Bologne,
ont une incidence réelle sur la didactique des langues et des cultures
(DLC). Si la France reste un moteur dans ce domaine largement
dominé sur le plan international par la recherche anglo-américaine,
il est important de rappeler les phases de cette construction qui, au
sein même de l’espace français, s’est faite de façon singulière.
En effet, les langues comme matière scolaire ont développé leurs
propres pédagogies en fonction des découpages institutionnels des
disciplines. Pendant très longtemps, les langues vivantes enseignées
à l’école s’organisaient autour de la littérature, de la civilisation et
de la linguistique, disciplines traditionnelles par rapport auxquelles
les futurs enseignants de langue étaient évalués pour l’obtention des
concours de recrutement du CAPES et de l’Agrégation.

En même temps, les Lettres modernes et les Lettres classiques


avaient également leur concours de recrutement et l’enseignement
du français pour les étrangers, le FLE (Français Langue Etrangère)
ou le FLS (Français Langue Seconde) étaient dispensés par les
professeurs de lettres qui découvraient, dans un pays autre que la
France ou en France même, les spécificités de l’enseignement de leur
langue enseignée comme langue « non maternelle ». Les Alliances
françaises dès le 19e siècle, puis le CREDIF (Centre de Recherche
et d’Études pour la Diffusion du Français) et le BELC (Bureau
d’Enseignement pour la Langue et la Civilisation) dans les années
1960-70 ont généré des profils d’enseignants plus diversifiés du fait

– 205 –
Les langues dans l’enseignement superieur

qu’il n’existait pas de CAPES ou d’Agrégation pour le FLE/S1. La


demande pour ces enseignements croissait de par la diffusion du
français à l’époque coloniale mais aussi au moment de la période
post-coloniale2. Un champ du FLE tel que les travaux de Porcher3
l’ont décrit, indépendant de la pédagogie scolaire, s’établissait et se
formait un peu comme le champ de l’EFL (English as a Foreign
Language) qui, s’appuyant sur le British Council, les associations et
les écoles pour l’apprentissage de l’anglais pour étrangers, s’élargissait
et s’amplifiait à mesure de la diffusion internationale et maintenant
globale de l’anglais4. Un champ est toujours la résultante de rapports
de force et de leur dynamique, il est en didactique des langues en
grande partie, mais pas uniquement, tributaire du statut des langues
et de leur position hiérarchique sur le marché international. Ainsi,
si Phillipson (1992) et d’autres auteurs ont pu souligner le caractère
impérialiste de la diffusion de l’anglais, d’autres, comme Canagarajah5
ont mis en avant le caractère impérialiste de ces méthodes
d’enseignement et de ces justifications scientifiques : le champ de la
didactique de l’EFL devenant dominant, infléchissait la manière dont
d’autres langues se positionnaient et s’exprimaient. Autrement dit,
le statut des langues et leur poids symbolique agissent directement
sur la façon dont les langues se décrivent et se réfléchissent6. D’un
point de vue linguistique, on peut rappeler le cas de la grammaire
du vietnamien qui pendant très longtemps a été formalisée par des
linguistes français qui utilisaient les outils du français pour décrire
et structurer cette langue. En didactique, un exemple bien connu
est celui de l’approche communicative qui a émergé en Europe
selon une combinaison singulière, une synergie entre chercheurs et

1. Excepté sur une période très courte.


2. Pour mieux comprendre comment la notion de « civilisation » en didactique
évolue en rapport avec l’histoire de la diffusion du français, voir Argaud, E., 2006,
La civilisation et ses représentations. Étude d’une revue, Le Français dans le Monde
(1961-1976), Bern, Peter Lang.
3. Porcher, L., 1995, Le français, langue étrangère. Émergence et enseignement d’une
discipline, Paris, Hachette.
4. Phillipson, R., 1992, Linguistic Imperialism, Oxford, Oxford University Press.
5. Canagarajah A. Suresh. 1999. Resisting Linguistic Imperialism in English Teach-
ing. Oxford, Oxford University.
6. Alao, G., Argaud, E., Derivry-Plard, M., Leclercq, H. (éds.), 2008. Grandes et
petites langues, pour une didactique du plurilinguisme et du pluriculturalisme.
Bern, Peter Lang.

– 206 –
En guise de conclusion

enseignants dans le domaine de l’EFL et du FLE et une politique


linguistique dynamique du Conseil de l’Europe qui a promu ce type
de travaux et recherches. C’est ainsi qu’en Asie mais aussi dans le
monde arabophone, l’approche communicative a pu parfois être
mise en place sans adaptation ni transposition et a pu aboutir à des
impasses. Ces exemples illustrent le rapport aux savoirs, aux savoir-
faire didactique et à leur circulation internationale7 toujours partie
prenante de rapports de force entre différents champs économiques,
politiques, géopolitiques, scientifiques, sociaux, culturels etc.
C’est ainsi qu’en France, le champ du FLE a pu s’autonomiser
et se déclarer «  didactologie des langues et des cultures  » avec les
travaux de Galisson qui ont légitimé la réflexion scientifique du
fait d’apprendre/enseigner une, des langues/cultures. Au sein du
champ, se sont développés différentes branches (la grammaire et
l’apprentissage avec Besse, Porquier, Vivès, les rapports entre langue
maternelle, langue seconde, langue étrangère avec Roulet, Dabène,
Chiss, l’analyse et l’interaction textuelles avec Peytard, Moirand,
Circurel, l’acquisition et les créoles avec Véronique, la didactique du
FLE avec Besse, Porcher, Martinez, Cuq, les dimensions culturelles
et interculturelles avec Abdallah-Pretceille, Beacco, les dimensions
plurilingues avec Coste, Moore, Castelotti, les dimensions
plurilingues/pluriculturelles avec Zarate, Levy, Gohard-Radenkovic,
Kramsch…)8. Le champ du FLE en élargissant sa réflexion sur
sa didactique propre à une didactique des langues et des cultures
(DLC) puis aujourd’hui à une didactique du plurilinguisme et du
pluriculturalisme a renouvelé la réflexion didactique des différentes
langues enseignées à l’école notamment par les travaux de Puren et
de leur diffusion par l’APLV (Association des Professeurs de Langues
Vivantes). Dans la mesure où ces didactiques, profondément insérées
dans l’institution, ne se pensaient que par rapport à la langue enseignée
(didactique de l’anglais, de l’allemand, de l’espagnol…) chacune

7. Zarate G., Liddicoat A., 2009, « La circulation internationale des idées en di-
dactique des langues », le français dans le monde, R & A, n° 46.
8. Il faudrait un article beaucoup plus long pour présenter le champ du FLE en
France et cette synthèse est forcément partielle. En revanche, il est significatif dans
ce domaine renouvelé de la DLC que les derniers auteurs contributifs ne soient
pas tous affiliés à l’université et à la recherche française. Leur dernier ouvrage
collectif vient d’être publié en anglais, Zarate, G., Lévy, D., Kramsch, C., 2011,
Handbook of Multilinugalism and Multiculturalism, Paris, EAC.

– 207 –
Les langues dans l’enseignement superieur

ayant une tradition singulière. Le champ du FLE en opérant ce


changement paradigmatique et épistémologique du fait « apprendre/
enseigner des langues/cultures comme objet scientifique  » rejoint
ainsi le champ international de l’« apprendre/enseigner des langues/
cultures ».
La position de l’anglais en France est par conséquent un champ
en tensions entre, d’une part, celui de l’anglistique, des programmes
scolaires, du recrutement des enseignants par les concours enracinés
dans les disciplines «  nobles  » comme la littérature, la civilisation
et la linguistique, et, d’autre part, celui du l’EFL ou ELF (English
as a Lingua Franca) ancré dans une tradition anglo-américaine
de questionnement scientifique du fait «  apprendre/enseigner
l’anglais ». Ces tensions sont probablement encore plus visibles au
niveau universitaire entre les UFR de langues issues du pôle légitime
des disciplines traditionnelles et le secteur LANSAD qui, de par sa
transversalité en langues et ses publics très diversifiés, s’appuie sur
le pôle tout aussi légitime du fait « apprendre/enseigner les langues/
cultures  ». Les travaux du CRAPEL à Nancy (Riley, Duda), ceux
du LIDILEM à Grenoble (Dabène, Billiez), de chercheurs en
anglais comme Narcy-Combes, Tardieu, Raby et d’associations bien
structurées comme le GERAS (Groupe d’Etude et de Recherche
en Anglais de Spécialité), GERES avec des chercheurs comme
Perrin, Petit, mais aussi l’APLIUT (Association des Professeurs de
Langues des Instituts Universitaires de Technologie), voire même
l’UPLEGESS (Union des Professeurs de Langues Etrangères des
Grandes Ecoles) construisent le champ d’une didactique de l’anglais
incluse dans une didactique des langues/cultures.

Cet ouvrage illustre à des niveaux différents d’analyse, l’intérêt


fondamental d’une réflexion en didactique des langues et des
cultures insérée dans la recherche en sciences sociales. Le secteur
LANSAD qui est, de fait, un terrain de recherche multiforme et
multidimensionnel permettait justement de se centrer sur un aspect
transversal particulièrement saillant, celui de la relation intrinsèque
entre les langues et les contenus en DLC. Le lecteur avisé pourra
ainsi situer l’ancrage théorique de ces textes et des disciplines de
référence (science du langage, science de l’éducation, linguistique,
didactique des langues, littérature, « civilisation », cinématographie

– 208 –
En guise de conclusion

et analyse filmique) que ces contributions en didactique éclairent


chacune selon une réflexion « méta » ou bien selon les terrains et les
pratiques décrites.
En effet, à force de parler de langue comme outil de commu-
nication, comme vecteur ou comme véhicule de communication,
l’instrumentalisation des langues, des cultures et de «  l’intercultu-
rel », réduits à cette fonction d’outil, aboutit par un effet boule de
neige à une instrumentalisation de la DLC9, à des non-sens de type
managérial imposées dans le champ. Dans cette continuité, l’ingé-
nierie éducative en langues peut parfois s’énoncer uniquement sous
formes de catalogues, de listes, de grilles de descripteurs, de com-
pétences, de savoir-faire dénués des contextes et des situations dans
lesquels ils ont été produits et privés des perspectives relationnelles,
interactionnelles de leurs finalités sociales alors que paradoxalement,
elle peut tout autant se réclamer de l’acteur social énoncé dans le
CECR. Ces outils de communication, se substituant trop souvent
à la communication elle-même, deviennent des instruments de la
promotion du vide.
La richesse des terrains présentés, parfois de façon précise voire
pointilleuse (mais la description rigoureuse est bien la phase première
de toute attitude scientifique), les réflexions menées compte tenu
des contraintes de tous ordres qui sont multiples dans ce secteur
LANSAD, la complexité des dispositifs explorés entre éducation,
enseignement bi-/plurilingue et approches intégratives, participent,
comme une lecture « méta » de ces articles y invite, à la construction
d’une DLC désormais constitutive d’une épistémologie de la
recherche en sciences sociales.

Martine Derivry-Plard

9. Les réformes actuelles de l’enseignement des langues avec la mastérisation en


France pour les futurs enseignants de langues ont particulièrement instrumenta-
lisées la DLC.

– 209 –
Les auteurs

Françoise Barbé-Petit est maître de conférences en anglais à


l’UPMC, Sorbonne-Universités. Elle est l’auteur d’une thèse
intitulée : Connaissance et Écriture chez David Hume. Son domaine
de recherche concerne les rapports de la littérature, du cinéma et
de la philosophie. Elle est membre de l’équipe de recherche en
Didactique des Langues, des Textes et des Cultures (DILTEC,
EA 2288).
françoise.barbe-petit@upmc.fr

Faouzia Benderdouche est maître de conférences en anglais à


l’UPMC. Ses travaux portent sur la littérature comparée et sur les
dispositifs relatifs à la mise ne place de la certification et d’un test
de positionnement en LSP (Language for Specific Purposes). Elle
est membre de l’équipe de recherche en Didactique des Langues,
des Textes et des Cultures (DILTEC, EA 2288).
faouzia.benderdouche@upmc.fr

Cédric Brudermann est docteur en didactique des langues et des


cultures et ATER en anglais à l’UPMC. Ses travaux de recherche
portent plus particulièrement sur les dispositifs hybrides,
l’ingénierie pédagogique, les processus d’acquisition des langues
étrangères et le public LANSAD. Il est membre de l’équipe
de recherche en Didactique des Langues, des Textes et des
Cultures (DILTEC, EA 2288). 
cedric.brudermann@upmc.fr

Mariella Causa est maître de conférences à l’université Sorbonne


nouvelle, Paris 3 (département de Didactique du Français Langue
Etrangère, DFLE) depuis 2001, après avoir été enseignant de

– 211 –
Les langues dans l’enseignement superieur

français et d’italien langues étrangères en France et en Italie. Elle


a longtemps travaillé dans le domaine des interactions en classe de
langue étrangère. Ces dernières années, ses travaux de recherche
se sont plus particulièrement attachés aux problématiques liées
à la formation initiale des enseignants de langues étrangères et à
l’éducation au(x) plurilinguisme(s). Elle est membre de l’équipe
de recherche en Didactique des Langues, des Textes et des Cultures
(DILTEC, EA 2288) et coordonne le groupe FICEL (Formation
Initiale et Continue des Enseignants de Langues) en contexte.
mariella.causa@univ-paris3.fr

Christine Demaison est agrégée d’allemand et docteur en civilisation


des pays de langue germanique, maître de conférences à l’UPMC
et responsable du Département des Langues à Mines-Paristech
où elle assure, entre autres, les cours de civilisation allemande
en troisième année du cursus Ingénieurs civils. Ses travaux de
recherche portent plus particulièrement sur la civilisation
allemande, l’évaluation et la certification en langues par le CLES.
Elle est responsable du pôle CLES Paris et sa région. Elle est
membre de l’équipe de recherche Didactique des Langues, des
Textes et des Cultures (DILTEC, EA 2288).
christine.demaison@upmc.fr

Martine Derivry-Plard est maître de conférences en anglais et


didactique des langues à l’UPMC, Paris  6 depuis 2005. Elle
intervient également à l’université du Luxembourg comme
chargée de cours (méthodologie du questionnaire). Ses travaux
de recherche portent sur les représentations et les idéologies
concernant les langues et les cultures, mais aussi sur les
enseignants de langues, leurs profils et la question de « natif/non-
natif ». Ces problématiques sont également liées à la formation au
plurilinguisme/pluriculturalisme des enseignants de langues. Elle
est membre de l’équipe de recherche en Didactique des Langues,
des Textes et des Cultures (DILTEC, EA 2288) dont elle est
secrétaire pour l’Axe « Tâches et Dispositifs ». Elle est membre
associé de PLIDAM (EA 4514), INALCO.
martine.derivry@upmc.fr

– 212 –
Les auteurss

Pascaline Faure est maître de conférences et responsable du


Département d’anglais médical de la Faculté de Médecine
Pierre et Marie Curie – Paris  6. Elle s’intéresse principalement
à la linguistique (diachronique et comparative) des langues
de la médecine et aux applications qui peuvent en être faites
en didactique. Ses recherches les plus récentes portent sur la
formation des futurs enseignants de langues appelés à intervenir
dans les milieux de la santé. Elle est membre de l’équipe de
recherche en Didactique des Langues, des Textes et des Cultures
(DILTEC, EA 2288).
pascaline.faure@upmc.fr

Catherine Frantz est maître de conférences à l’université Sorbonne


nouvelle, Paris 3 (Formation Continue) depuis 1990. Spécialiste
de la didactique de l’anglais aux adultes, elle s’est particulièrement
intéressée à la problématique de la compréhension de l’anglais écrit
pour des professionnels (elle a notamment participé à l’élaboration
d’un manuel d’auto-formation pour des ingénieurs). Ces dernières
années, son terrain de recherche s’est plus particulièrement orienté
vers les besoins des étudiants du secteur LANSAD (Langue pour
Spécialistes d’Autres Disciplines). Elle est membre de l’équipe de
recherche en Didactique des Langues, des Textes et des Cultures
(DILTEC, EA 2288).
catherine.frantz@univ-paris3.fr

Brigitte Lutrand Pezant est docteur en linguistique anglaise


et maître de conférences à l’UPMC, Paris 6 depuis 2005. Elle
enseigne l’anglais notamment à des étudiants en biologie et en
orthophonie et a créé un cours en ligne suivi plus spécialement
par des médecins spécialistes approfondissant leurs connaissances
dans les domaines de l’immunobiologie et la microbiologie.
Ses recherches portent sur l’enseignement de l’anglais dans le
domaine LANSAD et à l’utilisation des TIC. Elle est membre de
l’équipe de recherche en Didactique des Langues, des Textes et
des Cultures (DILTEC, EA 2288).
brigitte.lutrand_pezant@upmc.fr

– 213 –
Les langues dans l’enseignement superieur

Dominique Macaire est professeure des universités à l’UHP-IUFM


de Lorraine. Elle est en charge du parcours « Langues et approche
interculturelle  » dans le Master Métiers de l’Enseignement, de
l’Éducation et de la Formation. Elle est expert indépendant
près de l’Agence Européenne pour la Culture, l’Éducation et
l’Audiovisuel, à la Commission européenne de Bruxelles. Depuis
2007, elle préside l’Association des Chercheurs et Enseignants
Didacticiens des Langues Étrangères (Acedle). Ses travaux portent
sur l’innovation et le changement en didactique des langues et des
plurilinguismes, en particulier dans les contextes institutionnels
d’éducation aux langues/cultures chez les enfants et en termes de
formation des enseignants. Elle s’intéresse également au secteur
LANSAD et aux usages des TIC. Après avoir coordonné le
dispositif français du programme européen EVLANG, elle a co-
piloté le projet TELE-TANDEM de l’OFAJ/DFJW qui a obtenu
le Label Européen pour les Langues en Allemagne. Elle est auteure
de plusieurs méthodes, d’ouvrages para-scolaires et de ressources
multimédia de formation de formateurs pour l’allemand, l’anglais,
le FLE/FLS et les approches d’éducation aux langues/cultures.
Depuis 2011, elle est responsable de l’équipe CRAPEL au sein de
l’UMR 7118, ATILF-CNRS à Nancy (France).
dominique.macaire@univ-nancy2.fr

Jean-Paul Narcy-Combes est professeur à l’UFR DFLE (Didactique


du Français Langue Etrangère et des Langues) de l’université
Sorbonne nouvelle, Paris 3, où il est directeur du DILTEC, EA
2288 (Didactique des Langues, des Textes et des Cultures). Il
s’intéresse tout particulièrement aux problèmes que soulève le lien
entre la théorie et la pratique dans l’enseignement/apprentissage
des langues. Cette réflexion correspond à son activité de
directeur de recherche, qui se focalise plus particulièrement sur
l’épistémologie et la méthodologie de recherches en didactique
des langues, comme en témoigne un ouvrage paru chez Ophrys
en 2005, bien que sa contribution à un ouvrage publié avec
J.-C. Bertin et P. Gravé aux éditions IGI Global aux Etats-Unis
(2010) témoigne d’un retour vers les tâches et les dispositifs.
jean-paul.narcy-combes@wanadoo.fr

– 214 –
Index

A CMO 76, 81, 83, 95


acteur social 73, 74, 177, 178, compétence interculturelle 150,
201, 209 154, 157, 158, 165
alternance codique 31, 37, 39, 45, compétence langagière 64, 67,
46, 54, 67, 90, 96 145, 174
analyse filmique 12, 174, 186, compétence linguistique 60, 73,
190, 191, 192, 193, 194, 130, 201
197, 198, 200, 201, 202, culturel 40, 68, 69, 86, 156, 163,
209 171, 175, 176, 179, 197,
anglais médical 109, 114, 115, 201
117, 131, 213
approche actionnelle 72, 73, 74, D
155 DCL 61
approche par tâches 59, 60, 65, DLC 205, 207, 208, 209
72, 73, 95, 96 DNL 16, 20, 22, 23, 24, 25, 26,
auto-apprentissage 150, 151 35, 38, 41, 42, 43, 44, 45,
autonomie guidée 137, 138, 145 46, 49, 50, 51, 54, 62, 63,
65, 173
C
CECR 26, 31, 72, 73, 74, 86, E
125, 131, 153, 154, 186, EBP 16, 19, 20, 21, 42, 45, 47,
209 48, 49, 53
CLES 61, 170, 212 EMILE 9, 22, 23, 26, 36, 185,
CLIL 9, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 198, 199, 202
36, 42, 59, 63, 64, 65, 68, enseignant de langues 45, 47, 52,
69, 70, 84, 90, 95, 97, 107, 69, 113, 119, 131
167, 174, 184, 185, 198, evaluation 44, 97, 133
199, 201, 202

– 215 –
Les langues dans l’enseignement superieur

F 106, 107, 108, 111, 115,


feedback 60, 77, 78, 83, 84, 91, 116, 128, 149, 151, 152,
92, 93, 94, 157, 159 153, 155, 157, 158, 159,
formation continue 44, 51, 52, 160, 164, 167, 171, 172,
60, 115, 131, 151 173, 174, 175, 176, 177,
formation initiale 26, 27, 44, 47, 179, 181, 182, 185, 199
51, 52, 56, 132, 137, 151, langue de spécialité 49, 90, 110,
202, 212 111, 113, 116, 119
langue étrangère 16, 17, 18, 19,
G 25, 26, 28, 29, 30, 31, 33,
Guidage 85 35, 36, 44, 45, 49, 52, 53,
54, 56, 57, 65, 96, 97, 98,
H 105, 110, 135, 139, 141,
histoire 11, 21, 49, 64, 68, 69, 96, 145, 149, 152, 153, 160,
150, 160, 162, 163, 164, 164, 165, 187, 188, 189,
165, 166, 171, 172, 176, 206, 207, 212
181, 187, 189, 206 LANSAD 5, 9, 10, 11, 12, 15, 16,
hybride 49, 87, 88, 136, 137, 17, 19, 21, 23, 25, 27, 29,
138, 164 31, 33, 35, 36, 37, 39, 41,
43, 45, 47, 48, 49, 50, 51,
I 53, 55, 57, 60, 119, 120,
interaction 38, 39, 57, 58, 60, 67, 131, 132, 139, 149, 150,
70, 77, 82, 87, 89, 94, 97, 159, 165, 185, 186, 199,
155, 162, 164, 173, 181, 201, 208, 209, 211, 213,
201, 207 214
interculturel 153, 156, 157, 165, LE 16, 20, 21, 27, 30, 33, 35, 36,
167, 168, 209 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50,
51, 52, 54, 96
L littérature 11, 62, 123, 126, 150,
L1 16, 18, 20, 21, 22, 24, 27, 33, 155, 158, 160, 161, 163,
37, 38, 39, 40, 41, 64, 65, 165, 166, 167, 205, 208,
66, 69, 193, 199 211
L2 6, 9, 10, 15, 16, 18, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 27, 33, 35, M
37, 38, 39, 40, 41, 46, 49, macro tâche 76, 78
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, médiation 46, 50, 93, 95, 159,
66, 68, 69, 70, 71, 72, 74, 185
76, 77, 78, 80, 83, 84, 86, monolingue 18, 20, 37, 46, 199
87, 91, 93, 94, 95, 98, 104,

– 216 –
Lire à l’heure de la numérisation

O S
optimisation 150, 151, 152, 156 semi-présentiel 6, 135, 136, 138,
142, 143, 144
P
plurilingue 5, 9, 11, 15, 16, 17, T
18, 19, 20, 21, 23, 25, 26, tandem 50, 65, 70, 77, 83, 98,
27, 29, 31, 33, 35, 36, 37, 107
38, 39, 41, 42, 43, 44, 45, travail collaboratif 43, 53, 70, 80,
47, 49, 51, 53, 54, 55, 57, 82, 107, 183
60, 66, 67, 71, 72, 82, 83,
86, 95, 199, 209

R
recherche-action 51, 73, 81, 86,
95, 98, 117, 131, 132, 146,
167, 184

– 217 –
Dans la même collection

978-2-36013-054-2
Discours d’enseignants sur leur action en classe
24 €

978-2-36013-041-2
Français discipline d’enseignement
24 €

978-2-914214-52-0
Plurilinguisme et enseignement
18 €

978-2-36013-049-8
Les Droites et l’économie en France au XXe siècle
26 €
978-2-36013-058-0
Théorie de l’évolution et religions
26 €

978-2-36013-064-1
L’expérience de lecture et ses médiations
Réflextions pour une didactique
24 €

978-2-36013-069-6
De l’épopée au Japon : Narration épique
et théâtralité dans le Dit des Heike
24 €

978-2-36013-092-4
Pierre Messmer. Au croisement du militaire,
du colonial et du politique
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75014 Paris

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