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Rééducation Orthophonique Multicanalité de la communication N° 246 - 2011

ISSN 0034-222X

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N° 246

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juin 2011
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49e Année

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Fondatrice : Suzanne BOREL-MAISONNY

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Rencontres

©ORTHO EDITION 2011

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Perspectives

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Données actuelles

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Examens et interventions

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Fédération Nationale des Or t hophonistes

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Revue éditée par la Fédération Revue créée par l’A.R.P.L.O.E.V. DERNIERS NUMÉROS PARUS
Nationale des Orthophonistes Paris
Rédaction - Administration : N° 243 : VOIX ET CANCER - Editorial : Jean-Claude Farenc, Orthophoniste, Toulouse, — Rencontre : Etre
76, rue Jean Jaurès, 62330 ISBERGUES Directeur de la publication : la Présidente de la F.N.O. : orthophoniste dans un service de cancérologie ORL : technique et relation d’aide. Réflexions personnelles,
— Tél. : 03 21 61 94 96 — (Christophe TESSIER) - Histoire d’un parcours, (Jean-Louis BRUN) — Connaissances Actuelles : Voix et
Nicole Denni-Krichel chirurgie dans le traitement des cancers des voies aéro-digestives supérieures, (Jérôme SARINI) — Examen
— Fax : 03 21 61 94 95 —
et interventions : La prise en charge orthophonique vocale des patients opérés d’une laryngectomie partielle,
e-mail : reeducation.orthophonique@wanadoo.fr (Christophe TESSIER, Alexandra SAUVIGNET-POULAIN, Grégoire VIALATTE DE PEMILLE) - La voix
oro-œsophagienne : apprentissage, avantages et limites, (Evelyne BRETAGNE) - Conséquences de la laryn-
Abonnement normal : 98 euros gectomie totale, de la radiothérapie et de la pose d’un implant phonatoire. Rôle de l’orthophoniste, (André
Membres fondateurs du comité de lecture : ALLALI) - Voix trachéo-oesophagienne, de la technique à la pratique ou la distorsion entre « le pouvoir-par-
Abonnement réduit : 75 euros
réservé aux adhérents F.N.O., ler et le vouloir-dire ». Expérience clinique de 20 ans à propos de 472 laryngectomisés totaux, (Annick
Pr ALLIERES • A. APPAIX • S. BOREL-MAISONNY LUQUET, Francis DALIPHARD) - La voix trachéo-oesophagienne avec valve automatique, (Jean-Claude
ou d’une association européenne
membre du CPLOL G. DECROIX • R. DIATKINE • H. DUCHÊNE FARENC) - Réhabilitation olfactive après laryngectomie totale, (André ALLALI) - Les traitements ortho-
Abonnement étudiant : 48 euros phoniques du trismus, (Maya BOU-HAYLA, André ALLALI) - Cancers de la sphère oro-pharyngo-laryn-
M. DUGAS • J. FAVEZ-BOUTONNIER • J. GERAUD
gée : l’intervention orthophonique en libéral, (Jean-Marc KREMER, Philippe BÉTRANCOURT) —
(joindre copie de la carte) R. GRIMAUD • L. HUSSON • Cl. KOHLER • Cl. LAUNAY Perspectives : Intérêts et limites de l’analyse acoustique dans la prise en charge orthophonique
Abonnement étudiant étranger : 58 euros des pathologies vocales d’origine cancéreuse, (Arlette OSTA) - La qualité de vie après une laryngectomie
(joindre copie de la carte d’étudiant) F. LHERMITTE • L. MICHAUX • P. PETIT
totale : trouble de la communication et perturbation des relations sociales, (Marianne BREL, Jean-Claude
Abonnement étranger : 108 euros G. PORTMANN • M. PORTMANN • B. VALLANCIEN. FARENC, Jérôme SARINI)
Vente au numéro : 33 euros
N° 244 : L’ÉMERGENCE DE LA COMMUNICATION ET DU LANGAGE - Introduction : Françoise Coquet
— Rencontre : L'émergence du langage et la métaphore de l'araignée, (Bernard GOLSE) - S'attacher pour
Comité scientifique mieux se détacher : l'impact des interactions précoces sur l'émergence du langage, (Dominique
CRUNELLE) - Quelles relations entre l'émergence du langage et le développement de la théorie de l'esprit ?
Aline d’ALBOY (Evelyne TOMMEN) - Jeu et langage en développement : entre fonction sémiotique et théorie de l'esprit (Edy
Dr Guy CORNUT VENEZIANO) - Rôle des représentations culturelles dans l'émergence du langage, (Paulette ANTHEUNIS,
Françoise ERCOLANI, Stéphanie ROY) — Données Actuelles : L’accompagnement orthophonique à l’aube
Ghislaine COUTURE de la vie : Du lien entre oralité alimentaire et oralité verbale, (Catherine THIBAULT) - Du gazouillis au pre-
Dominique CRUNELLE mier mot : rôle des compétences préverbales dans l’accès au langage, (Karine MARTEL, Marie LEROY-
COLLOMBEL) - Démarrer l’acquisition de la syntaxe (Séverine MILLOTTE, Perrine BRUSINI, Elodie
Pierre FERRAND CAUVET, Anne-Caroline FIEVET, Anne CHRISTOPHE) - Les comportements précurseurs de la communi-
cation : précurseurs pragmatiques, précurseurs formels, précurseurs sémantiques (Béatrice THÉROND) - Ce
Lya GACHES que le pointage du jeune enfant nous dit du développement cognitif et langagier (Emmanuelle MATHIOT) -
Olivier HERAL Premières découvertes à propos du monde et des objets (Françoise COQUET) - Les premiers mots du jeune
enfant français : Analyse quantitative et qualitative du vocabulaire réceptif et expressif des deux premières
Jany LAMBERT années de vie (Sophie KERN) — Examen et interventions : Le bilan multidisciplinaire des jeunes enfants :
Frédéric MARTIN quand ?, comment ?, pourquoi ? Avantages et limites (Naïma DEGGOUJ, Françoise ESTIENNE, Fabienne
VANDER LINDEN) - Comment évaluer les compétences langagières chez les jeunes enfants avec l’ECSP
Alain MENISSIER (Evaluation de la Communication Sociale Précoce), (Michèle GUIDETTI) - Observation / Evaluation du
Pr Marie-Christine MOUREN-SIMEONI développement du jeune enfant avec les Protocoles 20 et 27 mois d’EVALO BB, (Françoise COQUET) -
Conduites d’étayage maternel en situation de lecture partagée avec des enfants âgés de 24 mois, (Agnès
Bernard ROUBEAU WITKO) — Perspectives : Un nouvel outil de soutien à la parentalité pour le développement de la commu-
Anne-Marie SIMON nication et du langage (Paulette ANTHEUNIS, Françoise ERCOLANI, Stéphanie ROY)

Monique TOUZIN
N° 245 : DÉGLUTITION ET CANCER - Introduction : (Jean-Claude FARENC) — Connaissances Actuelles :
Chirurgie carcinologique des voies aéro-digestives supérieures et troubles de déglutition, (Adil
Rédacteur en chef BENLYAZID) - Traitements non chirurgicaux des cancers ORL, (Michel RIVES) - Prise en charge bucco-
dentaire et radiothérapie cervico-faciale, (Maryalis GUICHARD) - Les douleurs de la déglutition au cours
Jacques ROUSTIT des cancers, (Jacques POUYMAYOU, Philippe IZARD, Pierre ROUGÉ) — Examen et interventions :
Stimulations électriques et dysphagie oro-pharyngée, (Virginie WOIZARD) - Déglutition et canules,
Secrétariat de rédaction (Christine GOETGHELUCK) - Sonde naso-gastrique et gastrostomie ? Réflexions d’un orthophoniste…,
(Jean-Claude FARENC) - Intérêt du soutien nutritionnel dans la prise en charge des cancers des voies aéro-
Marie-Dominique LASSERRE digestives supérieures, (Muriel RICHL) - Propulsion oropharyngée (Michèle PUECH) - De l’autre côté des
lèvres … des plaisirs aux souffrances. Bouches cousues, les langues se délient, (Annick LUQUET) - Cancers
Abonnements de la face : impacts sur la relation au monde, communication, alimentation : rôle et limites de l’orthopho-
niste à travers trois cas, (Isabelle EYOUM) - La prise en charge orthophonique de la déglutition après laryn-
Sylvie TRIPENNE gectomie partielle, (Christophe TESSIER, Alexandra SAUVIGNET-POULAIN, Grégoire VIALATTE DE
PEMILLE, Virginie SIMEONE) - Troubles de la déglutition après laryngectomie totale, (André ALLALI) —
Réalisation TORI Perspectives : Addictions et prise en charge orthophonique en cancérologie, (Arlette OSTA) - Déglutition et
01 43 46 92 92 cancers de la sphère ORL : curatif et palliatif, (Philippe BÉTRANCOURT, Jean-Marc KREMER, Didier
Commission paritaire : 1110 G 82026 Impression : CIA Bourgogne
LEROND)

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Sommaire juin 2011 N° 246


Rééducation Orthophonique

Ce numéro est dirigé par Françoise Coquet, Orthophoniste

MULTICANALITÉ DE LA COMMUNICATION

Françoise Coquet, Orthophoniste, Douai 3

1. Mutation de l’identité énonciative au sein d’un jeu de langage :


étude des formes d’auto-désignations dans leurs expressions verbales,
gestuelles et extra-linguistiques, 7
Christophe Luxembourger, Docteur en psychologie,
Alain Trognon, Docteur en Psychologie, Docteur es-Lettres et Sciences Humaines, Nancy

1. Développement émotionnel du jeune enfant, 31


Myriam Suarez, Orthophoniste - DEA Langage et Parole,
Docteur en Psychologie, Toulouse
2. La communication gestuelle chez le jeune enfant :
prérequis et/ou précurseur du langage ? 45
Michèle Guidetti, Professeur de Psychologie du développement, Toulouse
3. Le co-développement du langage et des gestes
chez l’enfant âgé de trois ans et plus. Avancées récentes. 59
Jean-Marc Colletta, Professeur des Universités en Sciences du langage, Grenoble
4. Analyse multimodale de la parole, 73
Gaëlle Ferré, Maître de conférences en linguistique, Nantes
5. La prosodie au cœur du verbal, 87
Anne Lacheret, Professeur des Universités en Sciences du langage, Nanterre

1. Comportements sémiotiques et multicanalité des conduites langagières, 105


Françoise Coquet, Orthophoniste, Douai,
Agnès Witko, Orthophoniste, Docteur en Sciences du langage, Lyon

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2. Gestualité et troubles du langage, 127


Marc Monfort, Logopède, Isabelle Monfort-Juarez, Psychologue, Madrid
3. Gestes, paroles et langage : compte rendu d’une expérience clinique, 141
Pierre Ferrand, Orthophoniste, Castres
4. Utilisation d’un système signé augmentatif
de communication auprès d’enfants dysphasiques en institution, 161
Didier Roch, Orthophoniste,
Françoise Urban, Enseignante spécialisée, Champigny-sur- Marne
5. Le geste, une fenêtre sur le langage, 179
Dominique Bénichou, Orthophoniste, Présidente de France AVC 44, Nantes
6. Comportement non verbal et Bégaiement, 195
Hélène Vidal, Orthophoniste, le GNOM - Groupe Nantais
des Orthophonistes du Mercredi, Nantes
7. Les signes gestuels sont-ils non verbaux ?
Réflexions autour de la langue des signes
dans l’éducation des enfants sourds, 209
Elisabeth Manteau-Sépulchre, Orthophoniste, Professeur CAPEJS,
Docteur en Sciences du Langage, Nevers
8. Dynamique Naturelle de la Parole (DNP) et rythme de la parole, 219
Georges Fumex, Psychomotricien, Saint-Jorioz,
Christine Ferté, Orthophoniste, Corbie

1. L'usage des gestes conventionnels chez l’enfant


dont le langage est absent ou réduit. A l’interface de la théorie et de la clinique, 235
Fabienne Bigouret, Orthophoniste, Doctorante en psychologie,
Monique Plaza, Docteur en psychologie, Paris
2. Signes d’amour et amour de signes (témoignage), 247
Virginie Minniti, Maman de deux enfants entendants,
Codeuse en Langue française Parlée Complétée (LPC)

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Multicanalité de la communication

Françoise Coquet
Orthophoniste
163 rue Saint Albin
59500 Douai
Courriel : francoise.coquet@wanadoo.fr

Beaucoup de travaux s’intéressent actuellement à la multimodalité du lan-


gage, aux liens qui existent entre la gestualité, la parole (dans ses aspects pho-
nologiques et prosodiques) et le langage (dans ses aspects sémantico et syn-
taxico-pragmatiques).
La communication non verbale a d’abord été étudiée isolément. Selon
Corraze (1980), « on applique le terme de communication non verbale à des
gestes, à des postures, à des orientations du corps, à des singularités somatiques,
naturelles ou artificielles, voire à des organisations d’objets, à des rapports de
distance entre les individus grâce auxquels une information est émise ». On dis-
tingue parmi les signes non linguistiques possédant une valeur communicative :
- les expressions faciales : elles transmettent les états émotionnels ;
- le regard : il renseigne sur les dispositions affectives de l’autre et permet
de réguler l’échange ;
- les gestes : ils ont une valeur référentielle, expressive ou régulatrice ;
- les postures : elles rendent compte des intentions d’accueil ou de rejet de
l’autre ;
- la proxémique définie d’après les rapports spatiaux et les distances entre les
interlocuteurs.
Elle est maintenant envisagée de façon intégrée. Le langage est considéré
comme un système communicationnel multimodal. Les énoncés sont multica-
naux, « ils sont un mélange à proportions variables de verbal et de non-verbal,
ce dernier comprenant à la fois le vocal et le mimogestuel » (Cosnier, 1997).
Les caractéristiques de l’énoncé peuvent être schématisées comme suit
(Coquet, 2003, d’après Heddesheimer et Roussel, 1986) :

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Schématisation de l’énoncé multicanal


Ce numéro thématique de la revue consacré à la multicanalité de la com-
munication est articulé autour de trois axes :
- le premier concerne le développement de la parole, du langage et de la ges-
tualité, des toutes premières étapes chez le bébé aux usages par l’adulte ;
- le second s’intéresse aux troubles du langage et/ou de la gestualité cover-
bale et aux implications que cela entraine dans la pratique orthophonique ;

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- le dernier concerne les pratiques développées dans le champ de l’évaluation


pour prendre en compte la multicanalité des productions comme dans celui de la
rééducation autour du travail sur le rythme, l’étayage par le geste ou le mime…
Des chercheurs, spécialistes de la communication non verbale, mais aussi
linguistes, psycholinguistes, spécialistes du développement et des sciences cog-
nitives, nous font part de leurs réflexions et de leurs travaux les plus récents
dans ce domaine.
Les manifestations émotionnelles tiennent très tôt (dès la première
année de vie) une place essentielle dans le développement ; elles s’expriment
essentiellement avec des mimiques faciales.
Bien avant de parler, les jeunes enfants communiquent par gestes ; ceux-
ci sont-ils des prérequis et/ou des précurseurs du langage ? La posturo-mimo-
gestualité coverbale a certes une fonction communicative mais elle étaye aussi
l’acquisition du langage, le développement cognitif et les apprentissages opéra-
toires de l’enfant et de l’adolescent. A tous les âges de la vie les gestes accom-
pagnent la parole, en facilitent la perception comme la production ; la parole
n’est plus envisagée que comme multimodale.
La prosodie n’est pas simplement « musique vocale » ; initiatrice prin-
cipale du langage elle reste à tout moment au cœur du verbal.
Les éléments para-linguistiques sont porteurs de signification, ils ne
s’ajoutent pas aux unités verbales mais leur sont intégrés ; la mise en place de
l’auto-désignation de soi en est un exemple.
Déjà depuis longtemps, les cliniciens que sont les orthophonistes s’inté-
ressent aux différentes modalités de la communication.
Ils cherchent à se doter d’outils qui leur permettent de l’observer et l’éva-
luer. En effet, qu’il s’agisse des attitudes corporelles, des manifestations de
proxémie ou des productions gestuelles, l’objectif de tout orthophoniste est
d’observer quels sont les schémas moteurs, les indices, les signaux et autres
signes non verbaux ou vocaux qui sous-tendent et accompagnent les pratiques
langagières. Le recueil, la transcription et l’analyse en comportements sémioti-
ques de corpus multimodaux doivent permettre d’en rendre compte. La mise
au point d’un outil d’évaluation de la compréhension de gestes convention-
nels est une autre piste à explorer.
Ils s’intéressent aux troubles ou difficultés de traitement ou de produc-
tion des comportements non verbaux et paraverbaux que l’on rencontre dans
certains tableaux sémiologiques de troubles (sujets présentant un Trouble Spéci-
fique du Langage, un Trouble Envahissant du Développement, sujets cérébrolé-
sés, bègues …).

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Ils développent des méthodes et techniques de rééducation pour étayer


l’entrée dans la communication ou la mise en place et le maintien du langage
verbal qui intègrent
- les aspects prosodiques et le rythme de la parole ;
- le mime ;
- la posturo mimo gestualité globale ;
- un langage gestuel codé signé.
Il apparait évident que la prosodie comme la posturo mimo gestualité
jouent un rôle clé de par leur ancrage dans les états émotionnels et dans la
motricité corporelle, en fonction de l’extrême précocité de leur apparition et de
leur persistance, pour leurs usages communicatifs et leurs propriétés sémioti-
ques. Ceci ouvre des perspectives intéressantes à la fois pour le diagnostic des
troubles du langage, la compréhension des comportements de communication
comme pour les pratiques de remédiation ou de rééducation.

REFERENCES
COQUET, F. (2003). Lecture pragmatique (repères théoriques) de la situation de rééducation du langage
oral en individuel : une situation de conversation ? Entretiens de Bichat. Paris : Expansion Scien-
tifique Française.
CORRAZE, J. (1980). Les communications non verbales. Paris : PUF.
COSNIER, J., VAYSSE, J (1997). Sémiotiques des gestes communicatifs. Nouveaux actes sémiotiques,
52, 7-28.
GARITTE. C. (1998). Le développement de la conversation chez l’enfant. Bruxelles : De Boeck Univer-
sité.
HEDDESHEIMER, C. et ROUSSEL, F. (1986). Essai d’analyse discursive d’un séminaire. Cité par C.
GARITTE, 1998.

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Mutation de l’identité énonciative au sein d’un jeu


de langage : étude des formes d’auto-désigna-
tions dans leurs expressions verbales, gestuelles
et extra-linguistiques
Christophe Luxembourger, Alain Trognon

Résumé
Nous étudions le moment fécond d’une séance de psychothérapie au cours de laquelle un
enfant de 7 ans et 4 mois, Denis, en difficulté scolaire remanie soudain son identité énoncia-
tive, notamment l’appropriation du Je et sa forme réfléchie, défaillante jusque-là. La séance
est une interaction à trois, face à un grand miroir, qui porte sur l’auto-désignation de soi.
Notre démarche d’analyse interlocutoire (qui recourt à la théorie des jeux d’investigation et
de recherche d’Hintikka) suit continûment une épistémologie à la fois descriptive et statisti-
que, nourrie par la quête et l’exigence micro-génétiques chères à Piaget et Inhelder. Nous
mettons en évidence le caractère multicanal de l’interaction dans cet article. La gestuelle
déictique et iconique employées « naturellement » par le patient ainsi que les aspects
para-verbaux et extra-verbaux fonctionnent comme un co-texte intégré aux unités verbales
et non pas ajouté à celles-ci.
Mots clés : formes d’auto-désignation sujets, gestuelle, déictique, pronom personnel je, pro-
nom réfléchi, logique interlocutoire, identité énonciative, para-verbal.

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Change of enunciative identity within the framework of a language


game : a study of the forms of self-designation in their verbal, gestural
and extra-linguistic expressions.

Abstract
We analyzed a significant sequence from a psychotherapeutic session during which a 7 year
4 month old child, Denis, who displayed academic difficulties, suddenly altered his enuncia-
tive identity, more specifically the appropriation of the “I” pronoun and its reflexive form,
which were defective up to that point. The session involved a three-way interaction process
which used a large mirror and dealt with self-designation. Our interlocutory analysis (which
resorts to the game theory of investigation and search for Hintikka) systematically follows a
descriptive and statistical epistemological approach, inspired by the rigorous microgenetic
method which was highly valued by Piaget and Inhelder. In this article; we highlight the mul-
tichannel character of the interaction. Deictic and iconic gestures that are “naturally”
employed by the patient, as well as para-verbal and extra-verbal aspects, function like a Co-
text which is integrated into the verbal units rather than added to them.
Key Words : subject forms of self-designation, gestures, deictic, personal pronoun I,
reflexive pronoun, interlocutory logic, enunciative identity, para-verbal.

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Christophe LUXEMBOURGER
Chargé d’enseignement à l’Université de
Nancy 1 (IUFM de Lorraine) et Nancy 2.
Psychologue scolaire, psychologue
clinicien, docteur en psychologie
Réseau d’Aides Spécialisées aux Elèves
en Difficulté
2 rue Saint Michel
55100 Verdun.
Chercheur associé au GRC (Laboratoire
InterPsy EA 4165)
Courriel : luxembourger.verdun@wana-
doo.fr
Alain TROGNON
Docteur en Psychologie, Docteur es-Lettres
et Sciences Humaines
Professeur des Universités (CE2) à Nancy-
Université (Nancy 2, Psychologie Sociale)
Responsable du Groupe de Recherche sur
les Communications (GRC, laboratoire
InterPsy EA 4432)
Département de psychologie, Nancy
Université (Nancy 2)
BP 33-97
54015 Nancy Cedex
http://www.alainm-trognon.com
Courriel : Alain.Trognon@univ-nancy2.fr

N
otre article porte sur la dixième séance d’une psychothérapie menée avec
Denis, un jeune patient de 7 ans et 4 mois. Nous y instituons un cadre
supposé inciter les verbalisations de Denis concernant son identité. Ce
cadre interroge l’enfant sur ce qu’il voit dans un miroir devant lequel il est assis
en compagnie de son frère jumeau. De cette interaction émerge l’expression ver-
balisée d’une discordance dans le rapport à soi. Il s’agit d’un moment fécond de
la psychothérapie au cours duquel Denis se met brusquement à utiliser correcte-
ment tout « l’appareil formel de l’énonciation », dont les pronoms réfléchis : il
opère ainsi une rupture complète dans l’emploi des formes d’auto-désignation
sujets1.

1. A partir d’une analyse du discours, analyse interlocutoire qui recourt à la théorie des jeux d'investigation et
de recherche (Hintikka, 1984) ainsi qu’à la théorie sémantique des modèles d’Hintikka (1989), nous avons pu
expliciter, dans un développement que nous ne pouvons exposer dans cet article, la structure du remaniement
identitaire ainsi que l’organisation mentale qu’elle dépasse en rapport avec les modifications de l’identité
énonciative de Denis (Luxembourger, Trognon, 2009, Luxembourger, 2010).

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Notre propos dans cet article, situera en premier lieu, brièvement, le


contexte environnemental et scolaire dans lequel se déroule notre entretien.
Nous rendrons compte ensuite de l’évolution des formes d’auto-désignation
sujets employées par Denis, en comparant statistiquement l’évolution des for-
mes correctes au détriment des formes incorrectes, avant et depuis cette dixième
séance. En troisième partie, nous étudierons en détail la dixième séance, tout
d’abord en explicitant le dispositif mis en place avant de donner une transcrip-
tion minutieuse des aspects verbaux et gestuels que nous discuterons. La proso-
die, et plus précisément le volume sonore dans son rapport avec l’engagement
énonciatif du locuteur sera également abordée.

♦ Contexte environnemental et scolaire dans lequel se déroule notre


entretien. Eléments d’anamnèse ayant conduit Denis en psychothéra-
pie
Eléments scolaires.
L’école décrit Denis comme un enfant difficile à cerner. A l’issue de son
premier CP, Denis n’a pas acquis la lecture malgré les aides dont il a bénéficié.
Selon l’Echelle Composite de Lecture pour le CP d’Inizan, le niveau de Denis
correspond à celui du premier trimestre de grande section de maternelle. Pour-
tant, testé au WISC 3, Denis obtient un score de quotient intellectuel (QI)
moyen, avec des capacités d’analyse, de synthèse et d’abstraction supérieures à
la moyenne, par exemple avec un score de 12 à Cube. Les performances linguis-
tiques de Denis dans l’emploi de la langue maternelle sont médiocres pour un
enfant de son âge.
Les compétences non verbales (spatiales, mnésiques, d’apprentissage)
sont en revanche relativement bonnes, sauf en matière d’intelligence sociale et
de modalisation (notamment temporelle) des situations. Le déséquilibre des
compétences verbales et des compétences non verbales est confirmé par le
COLUMBIA2 d’une part et par le NBTL-F3 d’autre part.
Ses difficultés de langage malgré les aides dont il a bénéficié sont persis-
tantes. A l’issue de trois années de suivi, son orthophoniste se dit désappointée
face à un enfant volontaire qui semble dépenser son énergie en pure perte. Dans
ce tableau, la non-appropriation du « je » à plus de 6 ans, alors que l’usage du
pronom de la première personne est généralement acquis vers 3 ans inquiète

2. Columbia : échelle de maturité mentale.


3. NBTL-F : test de compétences verbales et métalinguistiques.

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l’école et motive l’appel au psychologue. Denis dit par exemple « dessine mai-
son » au lieu de « je dessine une maison », « sais pas » pour « je ne sais pas »,
« vu ça » pour « j’ai vu ça », quelquefois il dit « me va faire une cabane », plus
rarement “i” pour “il ”. Presque toujours la place du pronom personnel « je »
reste vide. Le plus souvent Denis l’élimine purement et simplement. Moins fré-
quemment, il le remplace par le pronom personnel objet (la phrase me va faire
une cabane peut être générée par remplacement de je par me ou par simple éli-
mination de je). Parfois encore, il lui substitue le pronom il qui symbolise, selon
Benveniste (1966) la “non personne”. Le bilan rééducatif de Denis4 qui précède
l’entrée en psychothérapie signale qu’il n’emploie pas le je à 6 ans et 6 mois, ce
que les enseignantes confirment dans leurs observations.
Eléments environnementaux
Denis est frère jumeau dizygote de Guy. Leur ressemblance est cependant
comparable à celle de jumeaux monozygotes. Leur mère nous explique sa sépa-
ration dès la naissance suite à une anomalie œsophagienne. Denis a du être
transféré d’urgence vers l’hôpital d’une grande ville pour une opération chirur-
gicale qui ne pouvait attendre. La convalescence a duré un mois, occasionnant
une longue absence de la mère et de toute personne de référence. Mme F. n’a pu
lui rendre visite que deux fois au cours du premier mois de vie. Elle se remé-
more ces évènements : « pour moi je n’avais qu’un enfant, je n’avais que Guy.
Je n’avais pas pris conscience que j’en avais deux. Cela s’est fait au bout d’un
mois, quand j’ai pu les voir tous les deux ». L’intervention chirurgicale a laissé
une cicatrice d’une quinzaine de centimètres dans le dos de Denis, qu’il semble
ignorer encore à la dixième séance, de même que, plus généralement, les cir-
constances de sa naissance. Notons également que l’ensemble de son entourage
se trompe dans la nomination de Denis.
L’équipe éducative de l’école (enseignants et parents) sollicitent l’aide du
psychologue du RASED dès la rentrée de septembre : celui-ci se fixe pour
objectif de travailler sur la reconnaissance de soi de Denis.

♦ Evolution des formes d’auto-désignations sujets employées par


Denis et comparaisons statistiques
Avec l’accord de Denis et de ses parents les séances sont enregistrées, ce
qui nous permet une évaluation fine et statistique des changements. Pourtant,

4. Bilan effectué par l’enseignante spécialisée du Réseau d’Aide Spécialisées aux Elèves en Difficulté, au
terme de deux années de suivi.

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l’analyse des premiers enregistrements montrera une certaine stagnation par


rapport aux progrès espérés. Voici notamment le répertoire de son utilisation des
pronoms personnels sujets comparé au répertoire d’un enfant « ordinaire »
suivi en étude longitudinale entre 1 an 7 mois et 2 ans 10 mois (Morgenstern et
Brigaudiot, 2003) et auquel nous avons ajouté me, on et moi i absents du voca-
bulaire de l’enfant de référence (tableau 1).

Tableau 1 : comparatif du pourcentage de formes d’auto-désignations


sujets de Denis avec un « enfant ordinaire »

Cet aperçu comparatif de Denis avec un enfant “standard” beaucoup plus


jeune (plus de 4 ans de différence d’âge) met en évidence que l’appropriation du
je est une conquête progressive qui a lieu d’ordinaire beaucoup plus tôt. Notons
que Denis emploie des formes d’auto-désignation qui lui sont propres (colonnes
grisées) et la transition vers des formes adultes s’opère chez Denis de manière
beaucoup plus radicale (voir infra).
Le tableau 2 présente de manière dichotomique la distribution des formes
d’auto-désignations employées par Denis : nous regroupons les formes incor-
rectes et nous les distinguons des « formes adultes » ou formes correctes.
Selon une comparaison statistique au X2 (Khi-Deux), les formes d’auto-dési-
gnation sujets ne sont pas considérées comme significativement différentes entre
les séances 4-5-6 et les séances 7-8-9 (tableau 2). Nous ne pouvons donc pas
affirmer que Denis ait progressé dans l’usage des formes correctes au cours de
cette période.

Calcul statistique au X2 : X2=5,24 ; degré de liberté=2 ; zone de rejet de l’hypothèse d’homogé-


néité au risque de 5% de se tromper si X2 supérieur à 6.
Tableau 2 : pourcentage des formes d’auto-désignation sujets chez Denis.

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En revanche, la rupture est particulièrement nette à partir de la dixième


séance comme le montrent les résultats présentés dans le tableau 3. La figure 1
offre un aperçu comparatif des trois périodes (séances 4-5-6 puis 7-8-9 puis 10-
11-12).
A partir de la dixième séance, les formes d’auto-désignations incorrectes
deviennent marginales (de 28,9%, séances 7-8-9 à 2%, séances 10-11-12). De
plus, l’usage de l’appareil formel de l’énonciation se complète dans le discours
de Denis, avec l’apparition, totalement nouvelle, des formes réfléchies de la pro-
nominalisation. Dans l’évolution du langage, ces deux acquisitions (pronom
personnel de première personne je et forme réfléchie je me) s’observent « ordi-
nairement » à plusieurs mois d’intervalle5.

Calcul statistique au X2 :
- Sans pronoms réfléchis : X2=26,43 ; degré de liberté=2 ; zone de rejet de l’hypothèse
d’homogénéité au risque de 0,05% de se tromper si X2 supérieur à 15,2.
- Avec pronoms réfléchis : X2=34,63 ; degré de liberté=3 ; zone de rejet de l’hypothèse
d’homogénéité au risque de 0,05% de se tromper si X2 supérieur à 17,73.
Tableau 3 : pourcentage des formes d’auto-désignation sujets
avec pronom réfléchi de première personne (je me)

Figure 1 : répartition des auto-désignations au cours des trois périodes

5. Vers 30 mois pour le pronom personnel je et entre 36 et 42 mois pour le me, selon Rondal et Bredart
(1985, p 36).

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A partir de la dixième séance, les formes d’auto-désignations sujets sont


significativement différentes (calcul statistique au X2) entre les séances 7-8-9 et
10-11-12 : un changement notoire dans l’usage des formes correctes d’auto-
désignations sujets a eu lieu, que le calcul prenne en compte l’auto-désignation
sujet sans pronom réfléchi ou avec pronom réfléchi (tableau 3 et figure 1). Ce
résultat montre ainsi un double remaniement, marquant une transformation
notoire de son identité énonciative.
En grammaire, l’usage du pronom réfléchi reflète chez le sujet énoncia-
teur le rapport qu’il établit entre la description d’une action du sujet et le sujet
lui-même auteur de cette action. Jamais, avant la dixième séance, Denis n’avait
fait usage du pronom réfléchi de première personne. Certes, il employait « me »
à dix reprises, non pas comme pronom conjoint complément d’objet direct
(COD), c’est-à-dire au titre de pronom réfléchi de première personne, mais en
lieu et place d’un « je » qu’il ne peut énoncer comme par exemple « me va
voir », « me sais pas dessiner les sapins », « me peux t’en donner ». Plus préci-
sément, nous observons que Denis n’utilise pas encore le pronom personnel
réfléchi de première personne au début de la dixième séance. Il émerge au cours
de la dernière période de cette séance (27P à 38G) lorsque le psychologue l’in-
vite indirectement à un jeu interprétatif sur la pluralité de points de vues (le sien
et celui du bébé, voir infra). Cette séance marque un avant et un après dans le
processus d’élaboration du système identitaire de Denis.

♦ La dixième séance
Le dispositif
La maquette de l’espace de la séance (figure 2) nous permet de situer le
contexte spatial de l’interaction. Nous avons procédé à un enregistrement video,
afin d’avoir accès d’une part, aux informations sur le matériel verbal et au
contexte temporel au cours duquel se déroulent les actes illocutoires et d’autre
part, à la gestuelle ainsi qu’aux paramètres vocaux.
Afin que la situation puisse être investie par les jumeaux y accomplissant
leurs relations, Guy sera invité pour l’occasion6.

6. Nous suivons ainsi le conseil que donnait fréquemment René Zazzo (1984) lorsqu’il proposait de rece-
voir, à un moment et lorsque c’est possible, les deux jumeaux ensemble car la place du jumeau au sein du
« couple gémellaire» est le lieu où se manifeste souvent de la manière la plus éloquente la problématique
du patient, le lieu où se déterminent des places co-construites socialement et dont l’analyse du jeu de lan-
gage rend compte de manière fine et subtile.

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Figure 2 : Maquette du dispositif

Le jeu de dialogue (Trognon et Bromberg, 2007 ; Trognon, Batt et St


Dizier, 2009) s’apparente à un “entretien clinique” piagétien (Inhelder et de
Caprona, 1992 ; Piaget, 1923 ; Morgado et Parrat-Dayan, 2002 ; Perret-Cler-
mont et Trognon, 1992), soit un dialogue épistémique dont l’objet est non pas
comme chez Piaget une propriété physique, par exemple la conservation des
volumes, mais une propriété mentale : l’appropriation par un enfant de son
image au miroir.

Nous scinderons l’entretien en quatre temps successifs qui marquent cha-


cun une phase dans l’expression de la rationalité cognitive de Denis. De 1P à
6D, son entrée différée dans le dialogue, de 7P à 15D, l’évitement de l’auto-
désignation de soi par Denis, de 16P à 23D, la phase visant plus modestement la
localisation de soi par Denis et enfin de 27P à 38G, l’expression de sa discor-
dance par un décentrage de point de vue, avec l’apparition au cours de cette der-
nière phase du pronom réfléchi. Chacune de ses séquences propose simultané-
ment une interprétation de la gestuelle en Langue des Signes Française (LSF).
Dans les trois premières séquences la gestuelle est exclusivement déictique. Elle
accompagne naturellement les désignations, sauf chez Denis qui attend qu’on
l’invite à le faire. En revanche, il déploiera une gestuelle très riche et remarqua-
blement signifiante lors de la quatrième séquence lorsqu’il acceptera d’exprimer
indirectement son point de vue à travers l’expression du point de vue du bébé
(voir infra).

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Les trois premières phases : aspects verbaux et gestuelle déictique.


De 1P à 6D, son entrée différée dans le dialogue

P : psychologue, D : Denis, G : Guy , P’, D’, G’ = respectivement image de P, D, G dans le miroir


Dès le début, l’attente de P (en 1P) est que D s’auto-désigne dans un dis-
positif qui l’invite implicitement à désigner les personnes et à s’auto-désigner.
Clairement, P s’intéresse à la vision de D. La question catégorielle 1P (Hin-
tikka, 1981) est formulée de telle manière à ne pas restreindre d’emblée la
vision de D et corrélativement ses réponses dans le jeu de questions-réponses
avec P. L’évolution pas à pas du jeu des questions-réponses (Hintikka, 1976,
1981) nous permet de montrer que le problème pour Denis, loin de se réduire à
une difficulté à désigner des « objets » se manifeste par une impossibilité à
répondre de manière concluante aux questions de P quand D est lui-même
« l’objet » présupposé de la question. P sollicite D pour l’expression dans le dia-
logue de la connaissance relative à son image scopique accessible intersubjecti-
vement. En somme, P cherche à découvrir l’architecture cognitive sous-jacente
au trouble de Denis, en questionnant le plus précisément possible le processus
de formation épistémique chez D pour comprendre la nature de la difficulté, de
la connaissance manquante ou de la discordance.

En (1P), P s’adresse distinctement à Denis qui le voit lui poser la ques-


tion. Pourtant, ce n’est qu’à partir de 6D que Denis s’engage dans le jeu de
questions-réponses entre lui et P.

7. En LSF cette configuration de la main (main fermée et pouce tendu vers soi) s’applique lorsque les person-
nes se désignent elles-mêmes. (exemple : moi-même, lui-même : voir diagrammes en annexe, figure b)
8. En Langue des Signes Française (LSF), cette configuration de la main et du corps indique « lui », « il » ou
« elle »

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Comme nous nous y attendions, les représentations spontanément agies


par les enfants dans l’interlocution reproduisent le statut identitaire “ordinaire”
de Denis dans la fratrie et dans le contexte probable de ses interactions sociales
en général. Dès le début, G occupe la place de sujet qu’il ravit à son frère, alors
qu’implicitement il aurait dû être la tierce personne présente si (1P) avait été
interprété comme étant à l’adresse de D. Par sa réponse (2G) –« lui » opposé
dialectiquement à « toi, moi »- G constitue D en tant que non-personne du point
de vue de « l’appareil formel de l’énonciation » (Benveniste, 1966, p.255-256).
De plus, à la place de « lui », G aurait pu dire « Denis » ou « mon frère », ren-
voyant ainsi à une référence objective connue et nommable, mais il ne le fait
pas. Comme nous nous y attendions également, il faut une intervention presque
directe de l’adulte pour que Denis entre dans la conversation. Parallèlement, le
comportement de Denis durant cette période témoigne de son aptitude à gérer
les rôles conversationnels dans toute leur complexité. Ainsi, c’est suite à un acte
latéral (Clark et Carlson, 1982, Trognon, 1986) – P demandant explicitement à
G de se taire (5P) - que Denis entre dans le dialogue en 6D. Il montre ainsi qu’il
maîtrise parfaitement les positions énonciatives.
Au cours des trois phases suivantes G est réduit au silence par P qui
s’adresse explicitement à D. Cette position de mise à l’écart est difficile à tenir
pour G, le contenu verbal de la transcription ne le montre pas, mais G se mani-
feste alors continuellement sur le plan para-verbal à neuf reprises (figure a en
annexe) par des onomatopées, des bruits intempestifs et mouvements perturba-
teurs. G est donc loin de rester neutre.
L’évolution séquentielle de l’espace de liberté entre les réponses de Denis
et les réponses potentiellement possibles aux questions de P se resserre au fil
des tours de parole (7P à 15D, ci-dessous).

De 7P à 15D, l’évitement de l’auto-désignation de soi par Denis

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Cependant, malgré l’insistance de P, Denis ne s’auto-désigne pas. 15D


clôt en quelque sorte l’enquête, après la question et c’est tout ? Denis met
incontestablement en œuvre une intelligence remarquable pour éviter de se
reconnaître dans son image scopique.
De 16P à 23D, la phase visant plus modestement la localisation de soi par Denis

Une ultime tentative de P visant l’auto-désignation de soi par Denis nous le


confirme (16Pa à 18Pa). Denis va désigner le miroir (17D). En effet, il peut consi-
dérer que sa réponse précédente (15D) est admise comme conclusive sans une
contestation explicite de la part de P. De plus, toujours selon son point de vue, D
aurait épuisé toutes les réponses possibles. En foi de quoi, la désignation des
« objets » est à nouveau ouverte à tout le champ des possibles à l’exclusion cette
fois des personnes. En ce cas, il est en droit de citer un « objet visible » quelconque.
Notons les différences profondes entre 1P (Qu’est-ce que tu vois toi ?) et
18Pb (est-ce que tu te vois toi ?). On passe d’une question catégorielle à une
question propositionnelle. La première appelle explicitement une réponse
comme moi ou je vois quelque chose. La seconde question appelle en revanche
explicitement soit une réponse oui, je me vois moi, soit une réponse non, je ne
me vois pas moi, c’est à dire qu’elle appelle dans tous les cas l’emploi d’une
construction réfléchie. Confronté à 18Pb, Denis n’a plus le choix. S’il ne veut
pas rompre la relation intersubjective avec le psychologue, il doit répondre à la
question, ce qui revient à assumer un je me. Exploitant immédiatement la
réponse de Denis, qui acquiesce (19D) sans néanmoins énoncer je me, le psy-
chologue, avec 20P (Ah, tu avais oublié de dire que tu te voyais) permet à D de
sauver la face (Goffman, 1974, p19). En ménageant ainsi Denis, le psychologue
cherche à poursuivre sa quête non plus cette fois sur l’auto-désignation de soi
par D, mais plus modestement sur la localisation de son image. La réponse posi-

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tive de 19D à 18Pb présuppose que Denis se voit. P lui demande dès lors de se
localiser dans le miroir, ce que Denis fait manifestement à contre-coeur : 23D
([Je suis] là.) est à peine chuchoté. Ce qui fait symptôme est bien la non-dési-
gnation de Denis qui échoue dans l’auto-désignation (1P à 17D) alors que la
demande de localisation est satisfaite (18P à 23D).
La quatrième séquence : aspects verbaux et gestuelle iconique.
De 27P à 38G, l’expression de sa discordance par un décentrage de point de vue

9. En LSF cette configuration des deux mains est employée pour signifier l’idée de transparence (voir dia-
grammes en annexe, figure b).
10. En LSF, ce geste est apparenté à celui signifiant le corps.
11. En LSF, ce signe veut dire demander. Littéralement « D adresse une demande à D’ ou au miroir »

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Lorsque nous parlons de gestuelle et que nous utilisons le terme de geste


nous retenons l’acception qu’en donne McNeill (1992, 2005) : un mouvement
des bras et/ou des mains dans l’interaction. Nous observons ici trois des cinq
types de gestes catégorisés par McNeill : le geste non iconique qui est une indi-
cation donnée avec le doigt (« déictique »), le geste iconique qui dépeint la
forme d’un “objet”, décrit une action, ou représente certains types de mouve-
ments, et enfin le mouvement rythmique (« beat ») dont nous avons un exemple
en 32D.
La gestuelle non-déictique (souvent discrète et difficilement interprétable
par l’interlocuteur) n’interfère pas, a priori, dans le système inférentiel déve-
loppé par les interlocuteurs. Nous pouvons penser qu’elle contient une propen-
sion plus grande à dévoiler les élaborations intrasubjectives. Dans cette dernière
séquence, il est remarquable d’observer que lorsque Denis emploie le terme
transparent, il adopte une configuration de la main (doigts écartés, voir dia-
gramme en annexe, figure b) correspondant fidèlement au signe « transparent »
en LSF, joignant le geste à la parole.
Dans cette dernière séquence, en invoquant un bébé fictif qui n’a jamais
vu de miroir de sa vie et qui ne comprend pas ce qu’il y découvre, le psycholo-
gue apporte un changement de perspective dans le rapport à l’image et change
aussi de positionnement énonciatif. Puis, sans tenir compte des interventions de
Guy, il invite Denis à exprimer indirectement, selon le point de vue épistémique
du bébé ce qu’il voit dans le miroir et qui lui pose problème. Ce qui était son

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problème précédemment devient dans la présente séquence celui du bébé. Cette


situation oblige Denis à se décentrer par rapport à sa rationalité cognitive expri-
mée jusque-là en se mettant mentalement à la place du bébé. Par ce stratagème,
sous la forme d’une « mise en scène expérimentale », le psychologue convo-
que la théorie de l’esprit12 de Denis pour mettre celui-ci « argumentativement »
à l’épreuve, dans le jeu de dialogue qui se poursuit. En proposant à Denis
d’adopter la perspective d’un bébé, P lui permet d’exposer indirectement, par
contraste pourrait-on dire avec son point de vue précédent, les difficultés de son
assomption à son image scopique. L’explication avancée par Denis est très ingé-
nieuse et très surprenante : « moi j’étais transparent, je me voyais pas et le petit
bébé il me voyait dans la glace, transparent ». Le sens de soi verbal qui élit le
signifiant « transparent » semble témoigner de l’effet de sens construit sociale-
ment et a de plus la particularité de coïncider sur le plan visuel : le sens de soi
n’a pas d’image scopique13 (Luxembourger, Trognon, 2009). Notons que le
recours au signifiant « transparent » est une tentative ingénieuse de conjoindre
la localisation de l’image au miroir sans s’identifier à cette image et donc de
rationaliser la contradiction dans laquelle Denis se trouvait à l’issue de la pre-
mière période de la séance.
A travers ce jeu de dialogue qui se poursuit en faisant endosser à Denis
une nouvelle perspective, l’élaboration d’un point de vue décentré (celui du
bébé), nous observons que Denis déploie progressivement dans son discours, en
moins de deux minutes (27P à 38G), tout l’appareil formel de la pronominalisa-
tion réfléchie : (32D) lui il nous voit dedans ⇒ nous, on nous voit pas dans la
glace ⇒ (35D) et moi, j’étais transparent, je me voyais pas et le bébé il me
voyait dans la glace, transparent.
Remarquons que le « nous » employé par Denis est ambigu. Désigne-t-il
l’idée de « nous tous » incluant Denis (« nous » inclusif) ou un « nous » sans
l’interlocuteur (« nous » exclusif) ? « Cette opposition n’est généralement pas

12. Dans le rapport entre conscience de soi et théorie de l’esprit, Houdé (2008) précise que la théorie de l’es-
prit (2 à 6 ans) opère une synthèse de l’imitation et de la conscience de soi au niveau mental et métacognitif.
L’enfant va raisonner de manière contrefactuelle en intégrant des croyances vraies ou fausses, les siennes et
celles d’autrui et effectuer simultanément (souligné par nous) la synthèse des deux éléments de la définition de
l’identité. Cette synthèse identitaire concerne d’une part le rapport que présente entre eux deux ou plusieurs
êtres qui ont une similitude et d’autre part le caractère permanent et fondamental d’un individu. Autrement
dit, l’enfant va comprendre que chacun a son cerveau, son esprit et ses croyances et simultanément intégrer le
caractère permanent et fondamental de quelqu’un.
13. Le concept de « sens de soi » décrit par Stern (1989) se rapporte à la représentation psychique que le sujet
a développée de lui-même dès les premiers instants de vie, y compris in-utéro (sens de soi emergeant, jusqu’à
2-3 mois), le sens de soi-noyau (entre 2-3 mois et 7-9 mois), le sens de soi-subjectif (entre 9 et 18 mois) puis
le sens de soi-verbal (après 18 mois). Ils constituent des systèmes d’interprétation qui s’intègrent les uns aux
autres et restent actifs tout au long de la vie.

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grammaticalisée dans les langues indo-européennes : 36% des langues en de


nombreux points des quatre continents autres que l’Europe distinguent le
« nous » inclusif du « nous » exclusif » (Fracchiolla, 2006, p.44). Cette opposi-
tion n’existe pas en français. On parle alors d’une certaine « épaisseur du lan-
gage » (ibid., p.45). Qu’en est-il chez Denis ? Remarquons que Denis utilise le
« nous » en association avec « on ». Ce dernier « permet une forme de neutrali-
sation de la personne », soit d’affirmer ou non quelque chose sur l’autre dont on
parle comme faisant partie ou non de la sphère intime (ibid., p.44). Contraire-
ment à ce que nous observons précédemment, la gestuelle déictique qui accom-
pagne la verbalisation du pronom « nous » ne correspond pas cette fois à celle
de la langue des signes : la main devrait effectuer un mouvement de rotation
incluant la personne qui parle (« nous » inclusif). Le « nous » verbalisé n’est
tout d’abord pas « signé » en tant que tel (32D), alors que le troisième puis le
quatrième « nous » sont intégrés dans un même mouvement à « corps transpa-
rent » dont la gestuelle est dirigée vers son propre corps (voir infra et dia-
gramme en annexe, figure b). Du point de vue gestuel, il ne s’agirait pas d’un
« nous » mais davantage d’une première personne du singulier, puisque Denis le
rapporte à son propre corps, sans pourtant être explicite sur ce point. La suite
immédiate de l’interlocution (35D) confirmerait cette hypothèse : aux deux der-
niers « nous on » Denis substitue un « je me » dans des formules quasiment
identiques. Suite à la relance du psychologue (34P) lui demandant d’argumenter
son point de vue, en utilisant dans sa réponse le pronom personnel de première
personne sous sa forme réfléchie, Denis va plus loin : il spécifie explicitement
et gestuellement qui est l’auteur de l’énonciation. Denis désambiguïse le nous
employé précédemment et assume du même coup la position de sujet, certes
dans une formule à la forme négative ou dans une formule signifiant sa transpa-
rence, mais un pas de plus vient d’être franchi.

Du « nous on » au « je me »

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A la suite de Fracchiolla (2006, p. 45), nous observons que « les pronoms


constituent des unités particulières de « déclencheurs de représentation » de l’al-
térité, en interaction avec l’identité (plus ou moins fantasmée) que le « je » pose
de lui-même lorsqu’il prend en charge l’énonciation. » Dans cette élaboration,
nourrie par l’alternance de points de vues sur l’image spéculaire, la gestuelle est
remarquablement concomitante au sens verbalisé, voire le précède d’une cer-
taine manière quand il désambiguïse l’opacité du déictique employé en faisant
tendre le « nous on » vers le « je me » en passe d’advenir.
Le geste représente-t-il une forme primitive de l’énonciation comme le
soutient McNeill (1992, 2005) ? Selon son point de vue, le segment linguisti-
que et le geste s’articuleraient pour devenir une énonciation complète. Cette
théorie suppose une intégration de deux phénomènes différents au cours de la
production d’une énonciation : entre le langage qui a un sens général défini
socialement et l’image particulière et concrète qu’en a le locuteur. Les deux
aspects s’influencent réciproquement après être nés au point de croissance. Ce
point n’est pas la naissance d’une combinaison de deux phénomènes, c’est celle
d’une unité de représentation psychologique qui ne peut plus être séparée. Il
semble que Denis illustre cette théorie dans sa gestuelle du « nous », du
« corps », de la « transparence » et de la « demande » adressée à son image sco-
pique. C’est au cours de la dernière séquence, libéré de sa retenue sous couvert
du bébé dont il énonce le point de vue, son expression est systématiquement
« doublée » d’une gestuelle signifiante, contrairement au trois premières
séquences précédentes. Tout « l’appareil verbal et gestuel » intimement intriqué
semble mobilisé dans un seul but, la production du sens. N’observe-t-on pas
couramment le même phénomène lorsqu’une personne au téléphone, toute
entière accaparée à transmettre le plus fidèle possible sa pensée, recourt à une
gestuelle signifiante alors même que son interlocuteur ne peut rien en voir ?

♦ La prosodie : analyse de l’intensité sonore de l’énonciation


Rappelons que « la prosodie est le principal véhicule des indices de
contextualisation » (Bromberg, Trognon, 2005, p 231-232), elle assure des fonc-
tions linguistiques dont l’expression de la force illocutoire, ainsi que de structu-
ration syntaxique et de hiérarchisation de l’information (Trognon, Bromberg,
2007). Il s’agit dans ce paragraphe de repérer les énonciations résolument assu-
mées de celles qui le sont moins ; ces dernières étant créditées d’une intensité
vocale moindre.

14. L’analyse de la gestuelle de la « demande » adressée au miroir mérite un développement que nous ne pou-
vons tenir dans cet article.

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Le volume sonore est un indice de surface (Gumperz, 1989) qui donne


une forme physiquement mesurable de la résistance qui émane du discours : il
s’agit d’une mesure objective en décibels. Le micro de la caméra étant fixe et
les protagonistes demeurant assis, il n’y a pas de biais de distance agissant sur
l’enregistrement audio.
La représentation graphique (en annexe, figure c) nous permet de visuali-
ser et de mesurer les variations de l’intensité vocale en fonction des contenus
propositionnels des énoncés. Le caractère naturel et spontané de la prosodie (et
de son intensité vocale) est susceptible de confirmer ou d’éclairer un énoncé et
ses éventuelles ambiguïtés concernant l’état psychologique des sujets si l’on
considère que cette production extra-verbale n’est pas soumise avec le même
contrôle aux instances critiques que le contenu verbal, qui lui, nécessite davan-
tage d’être justifié au cours de l’interlocution.
La prosodie contient donc une propension à repérer les élaborations intra-
subjectives conflictuelles ou les ressentis quelquefois difficiles à exprimer par
des mots. Ici, c’est l’expression de la résistance de Denis en rapport avec les
questions insistantes de P sur l’auto-désignation de soi par Denis qui nous inté-
resse.
Trois catégories d’énoncés se dégagent en fonction de leur volume d’en-
registrement. Les premiers, les plus forts, peuvent atteindre plus de 40 dB :
« Ben je vois euh » (6D début) et « Euh je vois Guy » (8D). Arrivent ensuite,
ceux situés entre 5 et 20 dB : « Un p’tit lapin là-bas » (6D fin), « Là » (10D),
« Toi là-bas » (13D), « Euh, je vois un miroir » (18D), « Oui » (20D). Enfin,
ceux inférieurs à 5 dB et que nous distinguons à peine (en annexe le graphique
de l’onde sonore, figure c) : « Ouais c’est tout » (15D), « Je suis là » (24D).

♦ Conclusion
Les composantes qui entrent dans la construction de la signification du
message et de son interprétation ne sont pas limitées aux énoncés verbaux. Ker-
brat-Orecchioni (1992, p 47) parle de « caractère multicanal et pluricodique de
la communication ou multicanal et pluri-sémiotique des pratiques communica-
tionnelles » selon les termes de Goffman (1974, p 4). En effet, au-delà des
énoncés verbaux chacun ne cesse d’injecter intentionnellement ou non dans la
situation où il se trouve, du matériel comportemental qui fonctionne comme un
co-texte fait de « subtiles mécanismes para et extra-verbaux » qui sont des mar-
queurs d’énonciation qui témoignent des rapports de l’énoncé avec la situation
d’énonciation (Cosnier, Brossard, 1984, p 5) et « contribuent selon des modali-
tés complexes à l’établissement d’un énoncé total » (Moro, Rickenman, 2004,

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p44), ce en quoi ils intéressent au plus haut point le clinicien dont la mission est
de produire du sens à partir de l’ensemble des signes qui émergent dans l’inter-
action.
Ainsi, les caractéristiques para-linguistiques d’un énoncé verbal (la tona-
lité, l’accentuation, le timbre, l’intonation, le volume, les pauses, les ruptures, le
débit ou la vitesse, le rythme, l’articulation) concourent et participent à la
construction du sens du discours. Pour traduire l’état mental de l’énonciateur,
les acteurs ont éminemment recours à l’aspect extra-verbal de la parole. Ils lais-
sent donc transparaître dans les modalités de la voix, l’interaction qui s’établit
entre eux et leur environnement. Les éléments para-linguistiques sont porteurs
de signification, ils ne s’ajoutent pas aux unités verbales mais leur sont intégrés.
D’autre part, comme le rappelle le linguiste Richelle (1972, p 169) dans
la démarche qu’il préconise pour l’étude de l’acquisition du langage, « l’univers
social agit à la fois par ses aspects linguistiques et extra-linguistiques ». C’est
pourquoi la présence du frère jumeau Guy se justifie à la fois au titre de témoin
expérimental et de partenaire potentiel et naturel d’interaction. Emerge alors
l’expression verbalisée d’une discordance dans le rapport à soi au sein d’un jeu
de langage qui par un jeu de questions-réponses cherche à en déployer la carte
épistémologique. Le je d’abord absent en début de séance, s’installe, puis aussi-
tôt ensuite l’usage du pronom réfléchi « me » qui apparaît pour la toute première
fois dans le discours de Denis. Une mutation dans le remaniement identitaire de
Denis, du point de vue énonciatif et psychologique semble se réaliser alors sous
nos yeux.
Cette analyse, qui mobilise la théorie de l’entretien clinique piagétien et
la théorie des dialogues de recherche et de découverte (Hintikka, 1976, 1981,
1984) nous livre une interprétation cognitive des “malformations” du traitement
mental de l’individualisation chez Denis éclairé dans cet article de leurs « parti-
tions » gestuelle et extralinguistique trop souvent absentes des analyses du dis-
cours. Ces dernières impliquent le corps et une part importante de l’expressivité
du sujet soumis aux limitations du langage qui ne traduit toujours qu’imparfaite-
ment une pensée. Dans le cas de Denis, dont les potentialités verbales sont
encore réduites, il est remarquable d’observer l’usage « naturel » d’une ges-
tuelle signifiante en langue des signes alors même que ce dernier n’y est absolu-
ment pas familiarisé. En témoigne, indépendamment des déictiques, l’usage
gestuel du concept de transparence dont nous avons pu rendre compte. L’inter-
prétation gestuelle, dans le ballet discursif de distribution des rôles aux diffé-
rents pronoms utilisés par Denis, nous a permis de désambiguïser l’ « opacité
pronominale » afin de mieux identifier qui est la personne dont on parle et com-

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ment elle se situe par rapport au porteur de l’énonciation. Certes, il est aisé de
réaliser une typologie grammaticale des emplois des pronoms, mais cependant,
tel qu’il nous a été donné de le voir, nous pouvons penser que « le sémantisme
des pronoms se constitue (en épaisseur) entièrement dans le développement de
la relation à autrui dans la relation d’interlocution, et que seuls les interlocuteurs
ont un pouvoir sur cette relation » (Facchiolla, 2006, p.47).

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Annexe Figure a : Corpus de la séquence et interventions para-verbales


de Guy au cours de la séance

Les 9 incursions de Guy dans le jeu de questions-réponses entre P et D :


- par des expressifs « taïssip » (7P), « wheu » (11P), « whihi » (12P)
- par un comportement perturbateur du pied vers le miroir (17P)
- par des bruits (6D, 6D, 20P, 22P, 22P)

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Annexe figure b : Diagrammes des gestes employés par Denis

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Annexe figure c : Vue comparative de l’intensité sonore des énoncés de


Denis (en décibels, axe des ordonnées)

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Développement émotionnel du jeune enfant


Myriam Suarez

Résumé
La communication joue un rôle essentiel dans le développement de l’enfant dans la mesure
où elle lui permet d’interagir avec son entourage social et familial. La réussite de la commu-
nication suppose la capacité à interpréter les signaux produits par autrui via des comporte-
ments verbaux et non verbaux (Thommen, Châtelain & Rimbert, 2004). Afin de donner un
sens au discours et au comportement de l’autre, l’enfant doit maîtriser le sens de l’énoncé
et les règles syntaxiques sous-jacentes (manifestations verbales), mais également inférer
les intentions communicatives et les états mentaux (informations non verbales). Les com-
portements de nature émotionnelle font partie des signaux verbaux et non verbaux émis par
autrui. Dans le cadre de cet article nous nous intéressons à l´évolution des comportements
émotionnels au cours du développement typique.
Mots clés : émotion, communication, cognition, Théorie de l’esprit, développement.

Emotional development in young children

Abstract
The recognition of facial expressions is considered to be a critical component of communi-
cation. This type of ability is used for example to « read » and understand other persons’
emotional expressions. Within the framework of this research, we are interested in children’s
abilities to express and interpret the emotional manifestations of other persons, as a highly
mediating factor for successful social adjustment.
Key Words : emotion, communication, cognition, children, theory of mind, development.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Myriam SUAREZ
Orthophoniste
DEA Langage et Parole
Docteur en Psychologie
Université Toulouse II-Le Mirail
Laboratoire OCTOGONE - ECCD
(Équipe Cognition Communication et
Développement)
Pavillon de la recherche
Bureau R 19
5 Allées A. Machado
31058 Toulouse Cedex 9
Courriel : myriam.suarez@univ-tlse2.fr

L
ors d’un échange communicatif, le locuteur peut accompagner son dis-
cours de comportements expressifs, de même que l’auditeur. Ce dernier
peut recourir à des manifestations émotionnelles afin de communiquer ses
réactions au discours ou afin d’accompagner la discussion (Reilly & Seibert,
2003). Nous nous intéressons à la fonction communicative et adaptative des émo-
tions c’est à dire à la façon dont les émotions permettent d’établir, maintenir et
réguler les relations interpersonnelles du jeune enfant. Dans cette perspective, les
émotions jouent aussi un rôle organisateur dans les échanges communicatifs.

Les états émotionnels sont issus de l’interaction entre plusieurs mécanis-


mes psychobiologiques et les facteurs culturels et sociaux (Scherer, 2000 ; Nie-
denthal, Krajcik, 2006). Ils peuvent être exprimés et inférés à travers plusieurs
types de comportements. La plupart des travaux chez l’être humain se sont inté-
ressés aux mimiques faciales. Dans le cadre de notre étude nous nous intéres-
sons à ce type de manifestations car elles ont plusieurs caractéristiques : elles
sont un des plus importants stimuli sociaux, elles attirent automatiquement l’at-
tention d’autrui, leur signification dépend de la culture et du contexte dans
lequel elles sont produites, elles fournissent une information sur l’état émotion-
nel de l’émetteur (Niedenthal et al., 2006).

L’objectif de cet article est de présenter le développement des capacités


émotionnelles au cours de l’enfance. Dans un premier temps nous décrirons les
capacités du nouveau-né et exposerons le développement des trois capacités
émotionnelles fondamentales présentes dans la littérature : la discrimination, le
contrôle et la dissimulation des expressions faciales émotionnelles (Luminet &

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Lenoir, 2006). Nous finirons par une discussion concernant les données présen-
tées et des perspectives de recherche autour de ce sujet.

♦ Développement des capacités à attribuer et à exprimer les émotions


Discrimination des expressions faciales chez le nourrisson
Les nourrissons semblent être sensibles aux manifestations de type émo-
tionnel depuis la naissance. Des techniques d’observation d’indices comporte-
mentaux ont permis de mettre en évidence leurs capacités rudimentaires de dis-
crimination des mouvements faciaux : variations du rythme cardiaque, de la
succion non nutritive et de la durée de fixation visuelle (paradigme de la préfé-
rence visuelle). L’équipe de Meltzoff & Moore (1977) a observé chez le nour-
risson de moins d’un mois des réponses imitatives lorsqu’il est exposé de façon
répétée à certains mouvements faciaux produits par l’adulte, comme l’ouverture
de la bouche ou l’extension de la langue.
À partir de 2 mois et demi, les bébés expriment progressivement des
mimiques faciales de joie, de tristesse, de dégoût, d’intérêt, de surprise, de
colère, de peur (Oster, 2005) qui sont accompagnées d’autres capacités de dis-
crimination de stimuli émotionnels dans la modalité visuelle et auditive (Mas-
tropieri & Turkewitz, 1999 cités par Granier-Deferre & Schaal, 2005).
Vers 3 mois les nourrissons manifestent des préférences vers certaines
expressions faciales. Kuchuk, Vibbert & Bornstein (1986) ont analysé la
réponse de fixation visuelle du nourrisson à partir du paradigme de préférence
visuelle, qui consiste à présenter simultanément deux objets dans le champ
visuel et à enregistrer la durée de fixation pour chacun d’eux. Ces auteurs
concluent que les nourrissons de trois mois regardent plus longtemps les expres-
sions faciales de joie comparativement à celles issues d’autres émotions. D’au-
tres équipes de recherche rapportent que l’expression faciale de la joie est dis-
tinguée de celle de la surprise dès le troisième mois et que la colère est
discriminée d’un visage sans expression à partir du cinquième mois (Gosselin,
2005). De leur côté Striano, Brennan & Vanman, (2002) ont constaté que l’ex-
pression de la colère était reconnue autour du sixième mois tandis que Labar-
bera, Izard, Vietze & Parisi (1976) ont observé que le nourrisson de quatre mois
peut distinguer la joie de l’expression neutre, ainsi que la joie de la colère, mais
ne différencie pas la colère de l’expression neutre.
Vers le sixième mois surgit un changement important dans le comporte-
ment du nourrisson. Il commence à prêter attention à la direction du regard de
l’adulte et à orienter son propre regard vers l’objet regardé par l’adulte. Cette

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tendance devient beaucoup plus systématique entre le dixième et le douzième


mois (Phillips, Wellman, & Spelke, 2002).
Le nourrisson de huit mois a tendance à regarder sa mère et à moduler
son comportement en fonction de l’expression faciale de son visage lorsqu’il est
confronté à un jouet inhabituel ou à un adulte inconnu. Il se rapproche plus de
sa mère lorsqu’elle émet une expression de peur ou de joie que lorsqu’elle
n’émet aucune expression. Par rapport à la personne étrangère, il a plus ten-
dance à lui sourire lorsque sa mère émet une expression de joie que lorsqu’elle
émet une expression de peur (Boccia & Campos, 1989). Ainsi, les expressions
émotionnelles produites par l’adulte (la mère préférablement), permettent à l’en-
fant d’évaluer les expériences de l’environnement et d’adapter son comporte-
ment en fonction des réactions maternelles. Ce phénomène, appelé la “référence
sociale” a une nature universelle (Rochat & Striano, 1999) : il ne varie pas en
fonction de la culture. Il est observable dès l’âge de 9-10 mois. « La référence
sociale ou repérage social indique la tendance d’une personne à rechercher de
l’information d’ordre émotionnel chez une autre personne signifiante dans son
environnement et à utiliser cette information pour donner du sens à la situation
ou à un événement qui sans cette information resterait ambigu » (Guidetti,
2003). Ce fait suggère que l’enfant module son comportement sur la base de
l’information émotionnelle stockée en mémoire et pas seulement sur la conta-
gion affective. Cela suggère également une reconnaissance précoce des expres-
sions, notamment en ce qui concerne l’opposition entre émotion positive et
émotion négative (Russell & Bullock, 1986 ; Oster, 2005).
Il existe une réciprocité au niveau de l’interaction adulte-bébé. Le
nourrisson régule son comportement à partir de manifestations émotionnelles
de l’adulte et ce dernier adapte sa réponse en fonction des expressions du
bébé. Cette interaction a été mise en évidence par Léveillé, Cossette, Blan-
chette & Gaudreau (2001). Cette équipe a observé les expressions faciales de
34 nourrissons et de leurs mères dans le cadre d’interactions. Les résultats
mettent en évidence plusieurs aspects des interactions dyadiques mère-nour-
risson : les mères sont très sensibles aux expressions des nouveau-nés, elles
réagissent très rapidement et elles répondent lorsque le nourrisson porte son
attention vers elles. Les expressions maternelles varient en fonction des
manifestations du bébé : si l’expression du bébé est positive, les mères ont
tendance à l’imiter tandis que s’il s’agit d’une émotion négative, elles produi-
sent une expression neutre.
Au cours de sa première année, l’enfant va développer des compétences
lui permettant de percevoir l’état émotionnel d’autrui. Ces capacités discrimina-

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tives vont continuer d’évoluer au cours de l’enfance, parallèlement au dévelop-


pement du langage.
Compétences discriminatives du jeune enfant
Les études concernant l’évolution des capacités émotionnelles (Michal-
son & Lewis, 1985; Widen & Russell, 2003 ; 2008 ; Suárez, Guidetti & Reilly,
2007) pointent deux types de phénomènes : un effet du type d’émotion et un
effet de l’âge. L’effet du type d’émotion rend compte du fait que chez les jeunes
enfants les expressions de la joie, de la colère et de la tristesse sont mieux
reconnues que celles de la peur, de la surprise et du dégoût. Quant à l’effet de
l’âge on constate que les enfants âgés de 7-8 ans ont des meilleures performan-
ces que les plus jeunes pour la majorité des émotions étudiées et, par conséquent
ils confondent moins les émotions entre elles.
Cette amélioration des performances va être due en partie au développe-
ment du langage et du lexique émotionnel. Celui-ci va permettre à l’enfant de
décrire ses propres expériences émotionnelles et d’exprimer celles d’autrui lors
de situations déjà vécues ou des situations à venir (Gosselin, 2005). Pour Harris
& Pons (2003) cela constitue la preuve que l’enfant possède de véritables
notions sur les émotions (des causes et des conséquences). Vers 3/4 ans, les
enfants peuvent faire allusion aux situations sociales qui ont déclenché chez eux
la joie, la tristesse ou la colère (Gosselin, 2005). Au cours de la cinquième
année, ils sont capables d’évoquer les conditions qui ont provoqué la peur
(Denham, 1998).
Le développement du vocabulaire émotionnel suit un processus qui
s’étend sur presque toute la durée de l’enfance (Gosselin, 2005). Les enfants de
deux ans auraient de faibles performances pour nommer exactement les expres-
sions des différentes émotions mais pourraient distinguer les émotions positives
des émotions négatives (Russell & Bullock, 1986). Pendant cette période, les
enfants utiliseraient dans leur discours certains substantifs et adjectifs en rapport
à la joie et à la tristesse. Ils feraient une distinction entre « se sentir bien » et
« se sentir mal » (Widen & Russell, 2003) et pourraient utiliser le mot
« content » pour faire allusion à toutes les émotions positives. Au cours de la
troisième année, les enfants utiliseraient le terme « joie » pour évoquer l’en-
semble des émotions à valence positive et les termes « fâché » ou « triste » pour
évoquer toutes les émotions à valence négative (Gosselin, 2005).
L’enfant acquiert, vers la fin de la quatrième année certains substantifs
et adjectifs qui font référence à la peur et à la surprise (Widen & Russell, 2003),
tandis que les mots faisant allusion au dégoût apparaissent durant la cinquième

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année (Gosselin, 2005). Selon Widen & Russell (2003), cette évolution dans la
dénomination des émotions serait le reflet de la construction de catégories émo-
tionnelles. Cette construction suppose que l’enfant fasse une discrimination plus
importante pour chaque catégorie. Malgré les généralités précédemment décri-
tes il existe des différences culturelles au niveau du vocabulaire émotionnel.
Levy (1973 cité par Widen & Russell, 2003) suggère le fait que chaque culture
met en valeur certains concepts et met à disposition de l’enfant une diversité de
termes afin qu’il puisse faire allusion à cette émotion. Par exemple, la colère a
une diversité de labels émotionnels en anglais, tandis que le dégoût ne dispose
que de très peu de dénominations dans cette langue (Widen & Russell, 2003).
Parallèlement à l’évolution des capacités de reconnaissance émotionnelle,
l’enfant va développer des capacités de contrôle et de dissimulation des expres-
sions faciales grâce au développement moteur et cognitif.
Contrôle de l’expression émotionnelle
L’enfant devient progressivement capable de contrôler ses manifestations
émotionnelles. Ce contrôle émotionnel aurait plusieurs fonctions. Une première
fonction adaptative vise à diminuer la contagion affective et à normaliser les
rapports sociaux. Il peut également être employé afin de tromper ou d’obtenir
un traitement avantageux de la part d’une personne (Owren & Bachorowski,
2001). Par exemple, l’aptitude à juger la sincérité de l’expression peut être avan-
tageuse dans la mesure où elle permet à une personne d’éviter d’être manipulée
à ses dépens ou de détecter l’état de détresse d’une autre personne.
Certaines études ont mis en évidence le développement des capacités des
enfants d’âge préscolaire à contrôler l’expression de leurs émotions. L’enfant de
trois ans est en mesure d’amplifier l’expression de sa détresse en fonction de la
situation. Ainsi, il manifeste plus de signes de détresse après s’être blessé lors-
que les personnes qui l’ont en charge sont présentes que si elles sont absentes
(Blurton-Jones, 1967 cité par Perron & Gosselin, 2004). Entre 5-6 ans, l’enfant
peut distinguer les émotions exprimées des émotions ressenties (Ceschi, &
Scherer, 2001). Les enfants d’âge scolaire (6-12 ans) ont une connaissance des
règles et des contextes sociaux qui influencent la dissimulation des expressions
émotionnelles. Ainsi, l’enfant développe des facultés à exprimer des émotions
en fonction de l’apprentissage des règles sociales et de l’exercice d’un contrôle
de la motricité faciale (Saarni, 1999).
Dissimulation des manifestations émotionnelles
Les règles d’expression émotionnelle déterminent également les moyens
par lesquels les émotions doivent être dissimulées. Selon Ekman (1992), l’être

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humain peut exprimer spontanément ses émotions mais, les impératifs de la vie
sociale font qu’il est souvent conduit à dissimuler ses véritables états émotion-
nels. La dissimulation peut faciliter les relations interpersonnelles. Parmi les
stratégies de dissimulation émotionnelle il y a le masquage d’une émotion à
l’aide de l’expression d’une autre émotion (par exemple lorsqu’on sourit afin de
cacher la tristesse). Le sourire est une des manifestations émotionnelles les plus
utilisées dans la dissimulation des émotions négatives (Ekman & Friesen, 1982).
Le succès de cette stratégie dépend de l’intensité de l’émotion négative : plus
elle est intense, plus il est difficile d’inhiber complètement les mouvements
faciaux associés à cette émotion. Gosselin, Beaupré & Boissonneault (2002) ont
évalué les capacités d’enfants âgés entre 6 et 12 ans, et d’adultes à détecter les
signes subtils de la colère lorsque cette émotion était masquée par un sourire.
Pour ce faire, les chercheurs ont présenté des sourires authentiques et des souri-
res de masquage qui comprenaient une composante de la colère (le serrement
des lèvres). Une sensibilité à la composante de la colère est repérée par les
enfants (qui avaient moins tendance à dire que la personne était vraiment
contente lors du sourire masqué), mais seuls les adultes ont été capables d’iden-
tifier l’émotion masquée par le sourire.
Les enfants développent des capacités de dissimulation des émotions.
Cette dissimulation peut dépendre du type d’état affectif à dissimuler (colère,
tristesse, douleur physique) et du type d’audience (mère, père, pair, seul). Ainsi,
les réponses recueillies auprès des enfants indiquent qu’ils contrôleraient l’ex-
pression de leur émotion de façon plus significative en présence des pairs que
lorsqu’ils sont avec leurs parents ou lorsqu’ils sont seuls (Zeman & Garber,
1996). Dès l’âge de quatre ans, les enfants sont capables de masquer à l’aide
du sourire leur déception lorsqu’ils reçoivent un cadeau peu désirable en pré-
sence de l’adulte qui le leur a offert (Josephs, 1994 cité par Gosselin, 2005). Par
contre, ils expriment toute leur déception en ouvrant le même cadeau dans un
contexte privé (Cole, 1986). La dissimulation peut également dépendre et de
l’âge et le genre du sujet (Zeman & Garber, 1996) : les filles auraient davantage
tendance à dissimuler les expressions faciales de la colère à l’égard des ensei-
gnants plutôt que de leurs pairs (Underwood, Coie & Herbsman, 1992) tandis
que les garçons dissimuleraient davantage la tristesse que les filles (Underwood
et al., 1992).

♦ Discussion
Les recherches précédemment évoquées laissent supposer que le déco-
dage de l’expression faciale émotionnelle se développe sur toute l’enfance

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(Gosselin, 2005). Depuis les premiers mois, le nouveau-né réagit face à certai-
nes expressions faciales, mais n’attribue une signification émotionnelle à celles-
ci que vers la fin de la première année. Même si les enfants font preuve d’une
reconnaissance précoce des émotions de base, leurs facultés à identifier, nom-
mer, et évoquer les états émotionnels se développent selon des rythmes diffé-
rents. Ils sont capables de catégoriser les expressions faciales selon leur valence
et leur valeur hédonique depuis leur plus jeune âge (Russell & Bullock, 1986).
En ce qui concerne le développement des capacités à nommer les émotions, les
études mettent en valeur un effet du type de l’émotion (Michalson & Lewis,
1985 ; Widen & Russell, 2008): la joie, la tristesse et la colère sont nommées
plus tôt que la peur, la surprise et le dégoût. Les confusions entre certaines émo-
tions font partie de cette évolution. Ainsi, les enfants auraient tendance à
confondre la colère avec le dégoût (Camras, 1980 cité par Gosselin, 2005) ou la
surprise avec la peur (Gosselin, 1995). Quant à l’évolution des capacités à expri-
mer les émotions, la littérature abordée nous a permis de constater qu’à la nais-
sance, la vie émotionnelle des nouveau-nés témoigne seulement de deux états :
détresse (cris et irritabilité) et le plaisir (satiété). Au cours du développement,
ces états émotionnels s’affinent en fonction de l’expérience, du développement
du concept de soi et de la capacité à comparer ses propres conduites expressives
à des critères sociaux et moraux.
Le développement que nous présentons peut être interprété selon le modèle
de différenciation émotionnelle développé par Widen & Russell (2003 ; 2008).
Selon ces auteurs, le développement des capacités d’attribution et d’expression
émotionnelles chez l’enfant serait associé à cinq aspects : le développement des
capacités perceptives plus fines, la différenciation de situations émotionnelles,
l’évolution de comportements expressifs, l’acquisition d’un lexique émotionnel et
le développement cognitif. Nous allons développer chacun de ses éléments.
Le premier est en rapport avec le développement des capacités des
enfants à faire des discriminations perceptives plus fines. Selon cette hypothèse,
l’enfant deviendrait graduellement plus sensible aux composantes faciales qui
distinguent les états émotionnels (effet de l’âge). Ainsi, il pourrait discriminer
graduellement des émotions différentes (effet de la nature de l’émotion) ayant
en commun une ou plusieurs composantes faciales (surprise et peur) ce qui se
traduit par une diminution des confusions. Ce développement faciliterait la
reconnaissance des expressions faciales émotionnelles et non émotionnelles
(Thommen et al., 2004). Cette perception est très liée à l’orientation du visage :
lorsque celui-ci est présenté à l’envers, les adultes ont des difficultés à en perce-
voir les traits, ce qui n’est pas le cas des enfants de quatre ans (Hay & Cox,
2000 ; Aylward, Park, Field, Parsons, Richards, Cramer & Meltzoff, 2005). Les

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études précédentes suggèrent que les jeunes enfants perçoivent et reconnaissent


les visages d’une façon différente de celle des adultes (Hay & Cox, 2000 ; Pas-
calis & Slater, 2001).
Une deuxième explication met plutôt en question la différenciation des
expériences émotionnelles. Au cours du développement, l’enfant se représente-
rait des expériences émotionnelles de plus en plus fines. Cela lui permettrait, par
exemple, de comprendre qu’une même situation peut susciter plusieurs émo-
tions (Harris, 1983 cité par Harris & Pons, 2003). Cette hypothèse permet d’ex-
pliquer les résultats concernant la colère : l’enfant de 4 ans n’est pas en mesure
de verbaliser des situations dans lesquelles il a ressenti cette émotion même s’il
parvient à l’exprimer.
Le troisième aspect évoqué par Widen & Russell (2003; 2008), concerne
l’évolution de comportements expressifs. Les enfants développent des capacités
d’expression des émotions. Cette manifestation peut dépendre du type d’état
affectif à exprimer et du type d’audience (mère, père, pair, seul). Comme nous
l’avons évoqué dans la partie théorique, cet apprentissage s’accompagne de
l’acquisition des règles sociales d’expression émotionnelle.
Un quatrième élément est en relation avec l’acquisition du lexique émo-
tionnel chez l’enfant. Afin d’étudier les rapports entre le développement émo-
tionnel et le développement du langage, Pons, Lawson, Harris & Rosnay (2003)
ont observé 80 enfants repartis en 4 groupes d’âge : 4-5, 6-7, 8-9, et 10-11 ans.
Ces auteurs ont analysé les performances des enfants à l’aide de deux tâches :
une tâche d’habileté linguistique et une tâche de compréhension émotionnelle
(test of emotion comprehension). Les résultats montrent une corrélation entre
les deux aspects étudiés. Ces données s’accordent avec celles issues des études
précédentes (Cutting & Dunn, 1999). A partir de ces données, Pons et al.,
(2003) proposent que le développement des capacités d’attribution émotionnelle
se fait parallèlement au développement du langage. Ils conçoivent le langage
comme un instrument de la représentation cognitive et dans cette mesure, ils
supposent que l’émotion est un des aspects que le langage peut représenter.
La cinquième interprétation rend compte du lien entre l’évolution des
capacités d’attribution émotionnelle et le développement cognitif (Bradmetz &
Schneider, 2001; Gouin-Décarie et al., 2005). Dans la mesure où l’enfant
devient capable de se représenter le monde, il va également être en mesure de se
représenter les pensées des autres. Cette aptitude, nommée théorie de l’esprit,
lui permet de se représenter les pensées et les croyances d’autrui, ainsi que de
comprendre ses actions, de prédire ses intentions et son comportement (Thom-
men & Rimbert, 2005). Les enfants témoignent depuis leur jeune âge, des capa-

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cités à anticiper le comportement d’un personnage en fonction de l’émotion res-


sentie par celui-ci (Gouin-Décarie et al., 2005).

♦ Perspectives
Nous portons notre intérêt à l’étude des émotions car elles disposent de
plusieurs fonctions adaptatives distinctes (Darwin, 1872 ; Michalson & Lewis,
1985). La première fonction consiste à communiquer aux autres son propre état
interne ce qui permet à l’interlocuteur d’ajuster son comportement en accord
avec la situation. « L’expression d’une émotion permet à autrui d’inférer non
seulement la réaction de l’émetteur à un événement ou une action particulière,
mais elle signale aussi une tendance à l’action spécifique (par ex. l’agression en
cas de colère) pour déterminer fortement le processus d’interaction ultérieure »
(Scherer, 2000). Les émotions ont également d’autres fonctions adaptatives per-
mettant : une évaluation de la signification des événements en fonction des
besoins et des projets de l’individu (Arnold, 1960 cité par Scherer 2000), la
mobilisation de réponses adaptatives dans des situations d’urgence, l’explora-
tion de l’environnement, la préparation à l’action, la référenciation sociale, la
prise de décision adaptée à l’environnement social et le traitement et le filtrage
des informations non pertinentes afin que la prise de décision soit rapide et per-
tinente (Damasio, 1999) .
Les manifestations émotionnelles tiennent une place essentielle dans le
développement : elles sont à l’origine et sont le résultat des interactions de l’en-
fant avec son entourage. Leur évolution dépend de plusieurs éléments : l’acqui-
sition des capacités perceptives fines, la différenciation de situations émotion-
nelles, la maîtrise de comportements expressifs, l’apprentissage du vocabulaire
émotionnel et le développement cognitif.
Les enfants typiques font appel aux capacités émotionnelles afin de com-
prendre et interpréter le comportement d’autrui lors d’un échange communica-
tif. Ces capacités, qui se développent au cours de l’enfance, permettent à l’en-
fant d’ajuster son comportement en fonction du contexte et des attentes sociales.
Lorsque l’enfant n’accède pas aux informations émotionnelles, son inter-
action avec l’entourage peut être altérée. En fait, les enfants atteints du syn-
drome autistique, forme la plus sévère des troubles du développement de l’en-
fant (Boddaert & Zilbovicius, 2002), présentent des troubles émotionnels
(Baron-Cohen, 1991 ; Brun & Nadel, 1998 ; Celani, Battacchi & Arcidiacono,
1999) et de la cognition sociale (Adolphs, Sears & Piven, 2001). De ce fait, les
enfants avec autisme ont des difficultés à traiter les informations dans un
contexte social et à interpréter la complexité des interactions sociales (Thom-

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men et al., 2004 ; Klin 2000). L’étude des difficultés de ces enfants à lire les
émotions d’autrui peut nous aider à mieux comprendre le développement typi-
que (Suárez, 2009) et le développement atypique des émotions (Thommen, Suá-
rez, Guidetti, Guidoux, Rogé & Reilly, 2010).
Nous avons documenté le développement des capacités d’identification et
d’expression des mimiques faciales. Mais il existe d’autres manifestations non
verbales de nature émotionnelle qui interviennent dans la communication multi-
modale : les gestes, les postures et les émissions vocales (Scherer, 2000 ; Mor-
ton & Trehub, 2001 ; Trehub & Nakata, 2002). Ainsi, la voix peut être considé-
rée comme un instrument d’interaction sociale qui fournit des informations sur
l’âge, le genre, le groupe ethnique, le niveau socio-économique, la personnalité,
et l’état affectif de l’interlocuteur (Titze, 1994). Il est donc possible de percevoir
l’état émotionnel du locuteur à partir des informations linguistiques et non lin-
guistiques fournies par la voix (Kappas, Hess & Scherer, 1991). La modulation
et la qualité de la voix transmettent donc en grande partie l’information affec-
tive, présente même lorsque le contenu verbal est rendu inintelligible (Scherer &
Siegwart, 1971).
Lorsqu’on s’intéresse à l’évolution des capacités émotionnelles il faut
prendre en compte le fait que l’enfant fait recours à plusieurs canaux expressifs
simultanément. Cette multiplicité de manifestations émotionnelles enrichissent
et complexifient le discours.

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La communication gestuelle chez le jeune enfant :


prérequis et/ou précurseur du langage ?
Michèle Guidetti

Résumé
Bien avant de parler, les jeunes enfants communiquent par gestes, gestes qui vont se main-
tenir pour certains après la mise en place du lexique. Cette contribution proposera une syn-
thèse de la littérature internationale récente sur ces questions en se focalisant sur les
aspects pragmatiques de la communication gestuelle et verbale du jeune enfant et en mon-
trant l’importance et l’utilité d’une conception multimodale du développement communicatif
et langagier à la fois pour la recherche, l’évaluation et la prise en charge. Nous commence-
rons par montrer l’intérêt d’une approche pragmatique puis nous ferons le point sur la forme
des gestes puis sur leurs fonctions en essayant finalement de répondre à la question posée
dans le titre et en illustrant l’ensemble de nos propos par des résultats empiriques récents.
Mots clés : gestes, pragmatique développementale, interactions, actes de langage.

Gestural communication in young children: is it a prerequisite and/or


an early sign of language ?

Abstract
Before they use their first words, young children use gestures to communicate. Some of
them will remain after the emergence of the child’s lexicon. This paper provides a synthesis
of the recent international literature on these issues, focusing on pragmatic aspects of ges-
tural and verbal communication and showing the importance and value of a multimodal
conception of communication and language development for research, assessment and
comprehensive care. We will first stress the value of using a pragmatic approach. We will
then address the topic of the form of gestures and their function. Finally, we will attempt to
provide an answer to the question asked in the title. All our comments will be illustrated with
results from recent empirical research.
Key Words : gestures, developmental pragmatics, interactions, speech acts.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Michèle GUIDETTI
Professeur de Psychologie du
Développement
Directrice de l’Unité de Recherche
Interdisciplinaire Octogone (EA n°4156)
et en charge du Laboratoire « Cognition,
Communication et Développement »
Université Toulouse 2
Octogone-ECCD
Pavillon de la Recherche
5 Allée A. Machado
31058 Toulouse Cedex 9
Courriel : guidetti@univ-tlse2.fr

♦ Intérêt de la pragmatique développementale pour l’analyse du


développement du langage et de la communication

O
n peut faire remonter l’origine de la pragmatique à l’Antiquité
(Armengaud, 1993) avec les propos d’Aristote sur les métaphores, c’est
cependant dans les trente dernières années qu’elle s’est développée et
que son impact sur la psychologie du développement et notre connaissance des
mécanismes de l’acquisition du langage a été déterminant. La plus ancienne défi-
nition de la pragmatique est celle donnée par Morris en 1938 : « la pragmatique
est cette partie de la sémiotique qui traite du rapport entre les signes et les usa-
gers des signes » (cité par Armengaud, 1993:5). Morris distingue à l’intérieur de
la sémiotique - théorie générale des signes - la syntaxe qui décrit les relations des
signes les uns avec les autres, la sémantique qui décrit la manière dont ils dési-
gnent les objets et la pragmatique qui décrit la relation entre les signes et ceux
qui les interprètent. Le langage est conçu par la pragmatique comme un système
de signes dont l’usage est déterminé par des règles socialement partagées. La
pragmatique substitue donc une définition du signe qui envisage la relation signi-
fiant/signifié à une définition du signe où l’on envisage les relations des signes
aux interlocuteurs et au monde auquel ils font référence. Ceci est tout à fait inté-
ressant pour analyser le développement de la communication. En effet, si l’on
s’en tient à la position saussurienne, on communique forcément avec le même
code. Or la communication entre adulte et enfant est asymétrique, mais tous deux
sont obligés de communiquer. Le dépassement de la conception saussurienne
permet de prendre en compte cette asymétrie temporaire et de concevoir qu’en-
fants et adultes puissent communiquer avec les mêmes mots sans qu’ils renvoient
forcément à la même réalité.

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La pragmatique est sous le champ de la pluralité et de l’interdisciplina-


rité, il n’y a pas une pragmatique mais “des” pragmatiques qui entretiennent des
rapports avec d’autres disciplines comme la linguistique, la philosophie, la psy-
chologie, l’anthropologie, l’intelligence artificielle, la logique etc. Dans ce
cadre interdisciplinaire, il revient aux psychologues de mettre en évidence les
processus mentaux sous-jacents à l’utilisation du langage et de la communica-
tion chez l’adulte comme chez l’enfant. En cela, les processus mentaux que la
pragmatique permet d’élucider relèvent d’une cognition située qui dépend de
« l’ici et maintenant » de la situation. En d’autres termes, « la cognition est
constituée par les relations dialectiques entre les actions des personnes en inter-
action, les contextes de leur activité et l’activité elle-même » (Bernicot & Tro-
gnon, 2002 : 17).
Dans cette perspective, parler mais plus largement communiquer c’est
adopter un comportement déterminé par des règles complexes dans une situa-
tion de communication donnée (Bernicot, 1998). Une partie importante de ces
règles qui concernent la mise en correspondance entre la forme d’un message et
une situation de communication donnée correspondent à des conventions extra-
linguistiques qui ne reposent pas sur la structure du système de communication
utilisé. Cette conception est particulièrement heuristique et utile pour analyser le
développement de la communication.
L’application de la pragmatique au langage de l’enfant a été inaugurée en
1977 par l’ouvrage désormais classique d’Ervin-Tripp et Mitchell-Kernan Child
Discourse. La question qui est posée est celle de savoir comment l’enfant
devient sensible aux relations qui peuvent exister entre la forme des énoncés et
les contextes de communication. En 1996, Ninio et Snow dans Pragmatic deve-
lopment proposent une liste de thèmes faisant partie de la pragmatique dévelop-
pementale comme les intentions communicatives, le développement de la mise
en relation des formes linguistiques et de leur fonction sociale, les capacités
conversationnelles (ex. les tours de parole), les règles de politesse et leur carac-
tère culturel ainsi que les facteurs pragmatiques influençant l’acquisition du lan-
gage et de la communication (ex. le langage adressé à l’enfant).
La pragmatique développementale suppose de s’appuyer sur les contextes
théoriques qui relèvent de deux domaines : celui de la pragmatique et celui de
la psychologie du développement entre lesquels existent un certain nombre de
points de convergence (voir Guidetti, 2003 : 92-97). Les recherches déjà réali-
sées (voir une synthèse par exemple dans Guidetti & Laval, 2004) ont donc
montré comment la pragmatique développementale a permis de prendre en
compte et d’étudier les usages sociaux du langage et de la communication, de

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renouveler les perspectives théoriques qui modélisent le développement de l’en-


fant, d’accroître nos connaissances empiriques et de progresser enfin dans la
construction d’outils méthodologiques pertinents. La pragmatique permet ainsi
d’élucider les processus mentaux qui sous-tendent l’usage de la communication
et du langage chez l’enfant en ancrant leur développement dans l’interaction
sociale.

♦ Un exemple de théorie pragmatique : la théorie des actes de lan-


gage
Une des théories pragmatiques, la théorie des actes de langage proposée
dans un premier temps par Austin (1962) puis précisée ensuite par Searle (1969)
et Searle et Vanderveken (1985) est particulièrement intéressante pour analyser
les débuts de la communication et a déjà fait ses preuves dans ce domaine.
Trois concepts caractérisent cette théorie. Le concept d’acte : parler c’est
agir. Le concept de contexte concerne tout ce que l’on a besoin de savoir pour
comprendre ce qui est dit (le lieu, le temps, l’identité et le statut des interlocu-
teurs entre autres). Le concept de performance qui réfère à l’accomplissement
de l’acte en contexte. Dans ce cadre, l’unité minimale de la théorie des actes de
langage n’est ni la phrase ni le mot comme dans une psycholinguistique d’inspi-
ration chomskienne, c’est l’accomplissement de certains types d’actes (comme
affirmer, promettre ou nier). C’est en ce sens qu’elle est une théorie de la rela-
tion entre les signes et ses usagers. Pour Austin, produire un énoncé c’est réali-
ser trois types d’actes : un acte locutoire, celui qui est requis par la production
du discours, un acte illocutoire qui correspond à ce que l’on fait en parlant et un
acte perlocutoire qui concerne les effets intentionnels ou non produits par le
locuteur sur le destinataire du message. Si dans cette perspective, produire des
énoncés, c’est réaliser des actes sociaux, on doit s’interroger sur la nature de ces
actes. Searle et Vanderveken (1985) proposent une typologie qui comporte un
nombre limité (cinq), restreint et universel de types d’usage du langage sur la
base de leur but illocutoire : les assertifs, les directifs, les expressifs, les promis-
sifs (ou engagements) et les déclarations. Les assertifs (par exemple affirmer,
prédire, conclure) engagent le locuteur sur la vérité de la proposition exprimée;
l’état psychologique est celui de la croyance. Dans les directifs (comme deman-
der, prier, conseiller), le locuteur tente d’obtenir de l’auditeur qu’il fasse quel-
que chose. Les promissifs (promettre, prêter serment ou encore menacer) enga-
gent le locuteur à l’accomplissement d’une action future, c’est pour cela qu’on
les appelle aussi engagements. Les expressifs (remercier, féliciter, s’excuser)
informent de l’état psychologique du locuteur. Enfin, les déclarations sont des

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actes de langage qui modifient le statut des choses auxquelles il est fait réfé-
rence (ex. « je baptise ce bateau "Queen Mary" »).

♦ Les théories interactionnistes du développement


La pragmatique développementale suppose d’articuler des théories prag-
matiques comme la théorie des actes de langage qui vient d’être décrite et des
théories du développement ; parmi celles-ci les théories de Vygotski
(1934/1997) et de Bruner (1983, 1997) sont particulièrement heuristiques car
elles présentent plusieurs points de convergence avec les théories pragmatiques.
Pour ces auteurs, le développement est un processus interactif - on parlera ainsi
de modèles interactionnistes du développement - , ce que l’enfant apprend et
comment il l’apprend se fait au contact et dans la relation avec d’autres êtres
humains. Le développement s’effectue à travers l’appropriation et l’intériorisa-
tion d’outils et de signes élaborés culturellement, ceux du langage en particulier.
Pour Bruner, l’entrée dans la culture se fait grâce au langage. Trois notions sont
particulièrement importantes dans cette perspective : la notion d’appropriation
des signes, la notion de zone de développement proximal et la notion de format
de communication.
Le langage est un système de signes que l’enfant va devoir s’approprier
dans le cadre des activités conjointes avec les adultes. L’enfant, en fréquentant
les adultes, assimile les instruments et les signes de la culture. Ces relations
adulte-enfant ont pour caractéristique d’être dissymétriques : l’adulte est plus
compétent que l’enfant. L’acquisition du langage comme celle des autres systè-
mes de signes - par exemple les gestes conventionnels, dont il est question plus
loin - est réalisée à travers deux étapes, interpsychologique et intrapsychologi-
que : « Toute fonction dans le développement culturel, dit Vygotski
(1981:1631) apparaît deux fois ou sur deux plans. D’abord elle apparaît au plan
social, et ensuite au plan psychologique. D’abord elle se manifeste entre les per-
sonnes comme une catégorie interpsychologique puis en l’enfant comme une
catégorie intrapsychologique ». Le passage de l’interpsychique à l’intrapsychi-
que est une loi générale de développement de toutes les fonctions psychologi-
ques, il marque le passage des formes d’activité sociale à des formes d’activité
individuelle.
Vygotski appelle zone proximale de développement - ZDP - l’écart entre
le niveau actuel de l’enfant et celui qu’il peut atteindre avec l’aide de l’adulte ou
d’un autre enfant plus expert et qui sera le sien par la suite. « Ce qui est dans la

1. notre traduction

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zone prochaine de développement à un stade donné se réalise et se transforme


en niveau présent de développement au stade suivant » (1934/1997 : 355).
Bruner a emprunté à Vygotski la notion de zone de développement proxi-
mal à propos du développement du langage, acquis au cours des épisodes d’ac-
tion et d’attention conjointe avec l’adulte. Il a surtout formalisé les interactions
adulte-enfant en termes de « format ». Les “formats” sont constitués par « les
échanges habituels qui fournissent un cadre pour l’interprétation concrète de
l’intention de communication entre mère et enfant » (1983 : 171). Ils représen-
tent donc des structures interactives stables qui se répètent de manière régulière
mais sont également douées de flexibilité. Ils permettent de rendre compte des
situations d’interaction de la vie quotidienne (bain, repas, jeu...) auxquelles l’en-
fant va être confronté quelques milliers de fois à partir de sa naissance de
manière à peu près identique et avec un nombre d’interlocuteurs restreint. Dans
le cadre des formats, l’adulte interprète en permanence les productions de l’en-
fant et va avoir tendance à standardiser certaines formes d’action conjointe.
C’est dans ce cadre que va apparaître le pointage, un des premiers gestes
conventionnels, par imitation de l’adulte qui pointe, pointage qui joue un rôle
important dans la mise en place de l’attention conjointe et par là même du lan-
gage.

♦ Comment étudier empiriquement le développement de la communi-


cation et du langage chez le jeune enfant
La théorie des actes de langage est heuristique par rapport à la définition
des situations de communication et parce qu’elle permet de mettre en relation
les formes et les fonctions de la communication et donc d’analyser la variabilité
des messages en fonction des situations. Cependant cette théorie n’a pas été
conçue pour l’analyse du langage du jeune enfant mais pour l’analyse d’énoncés
linguistiques produits par l’adulte et analysés isolément, elle nécessite donc
d’être adaptée, d’une part à des comportements non linguistiques qui sont pro-
duits d’autre part dès la période prélinguistique. Son adaptation à des comporte-
ments non linguistiques, comme par exemple les gestes communicatifs ou
conventionnels2, n’est envisageable que si on les considère comme des actes de
communication pouvant être compris et produits par l’interlocuteur de manière
autonome - en d’autres termes, en l’absence de langage - et dont la force illocu-

2. Gestes ayant un équivalent verbal et pouvant être produits et compris en l’absence de langage (ex. geste de
pointage, hochement de tête d’acquiescement et de refus etc.) ; ces gestes qui constituent un répertoire propre
à chaque culture sont appris par l’enfant parallèlement et simultanément au lexique.

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toire – ce qui est fait en communiquant - est équivalente à ce qui peut être
exprimé verbalement. On ne peut parler de valeur illocutoire que pour des systè-
mes conventionnels (Austin, 1962), et il s’agit bien du cas de ces gestes
puisqu’ils résultent d’une convention partagée entre les membres d’un même
groupe culturel. Les gestes conventionnels tout comme les mots disposent donc
d’une force illocutoire et d’un contenu propositionnel. Par exemple, dans le cas
du geste qui, en France, permet de requérir le silence en posant l’index vertica-
lement sur la bouche fermée, paume de la main latérale, la force illocutoire est
ordonner, le contenu propositionnel, se taire.
Nos travaux récents, dont certains sont présentés un peu plus loin, ont
porté en particulier sur une approche développementale et pragmatique des
débuts de la communication. On s’est ainsi intéressé à l’articulation entre les ges-
tes et les mots chez le jeune enfant. Notre perspective se veut donc complémen-
taire de celle qui envisage le développement de la communication comme le
nécessaire remplacement d’une modalité gestuelle par une modalité verbale de
communication. Cette perspective a en effet occulté les travaux sur les gestes
conventionnels et a conduit à traiter tous les comportements gestuels émis par le
jeune enfant sur le même plan. Notre choix d’analyser les gestes conventionnels
de manière autonome permet de montrer que ces gestes ne doivent pas être consi-
dérés comme une modalité transitoire dans le développement de la communica-
tion puisqu’ils vont se maintenir au-delà de l’entrée dans le lexique. L’enfant va
apprendre ces gestes de la même manière qu’il apprend le langage et ainsi dispo-
ser de plusieurs modalités ou registres de communication qu’il va pouvoir com-
biner de façon à s’adapter à ses interlocuteurs et aux situations de communica-
tion. Dans cette perspective, le développement de la communication suppose non
seulement d’apprendre à transmettre un contenu par des vocalisations, des gestes
et des mots – ce que nous appelons les formes - mais aussi et très vite apprendre
que ces formes doivent être utilisées de manière différente selon les contextes et
les interlocuteurs de façon à produire tel ou tel effet : les fonctions.

♦ Les formes des gestes


Les premières observations systématiques du jeune enfant (ex. Darwin,
1877) mettaient déjà l’accent sur les moyens non verbaux (gestes et mimiques
faciales émotionnelles) dont disposent les nourrissons pour communiquer avec
leur entourage avant de parler. Par la suite, il semble que les chercheurs qui se
sont intéressés à l’acquisition du langage aient totalement délaissé les modalités
non verbales de communication pour considérer que l’enfant passait d’une com-
munication gestuelle au langage verbal – plusieurs ouvrages font d’ailleurs figu-

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rer cet intitulé dans leur titre (ex. Volterra & Erting, 1990 parmi d’autres). La
thèse plus récente de la multimodalité du langage (Goldin-Meadow, 1998 ; Kita
& Özyürek, 2007 ; McNeill, 2000) postule l’existence d’un processus unique
mêlant différents types de représentations (linguistiques et gestuelles) et abou-
tissant à la production d’un énoncé multimodal où ce sont tout à la fois les mots
et les gestes du locuteur qui exprimeraient ces représentations.
Pour ce qui concerne les gestes produits par l’enfant dès la fin de la pre-
mière année, deux catégories ont été décrites (voir par exemple, Capirci, Iver-
son, Pizzuto & Volterra, 1996) : les déictiques et les « représentationnels3 ». Si
la première ne pose pas de problème de définition particulier : elle renvoie à des
gestes qui réfèrent à quelque chose dans l’environnement et comprend le geste
de pointage mais aussi le geste de donner et de montrer, la deuxième dont l’inti-
tulé renvoie à des gestes qui représentent quelque chose et qui apparaissent
développementalement après les déictiques et dont la signification paraît stable
quel que soit le contexte, est plus problématique. On peut cependant considérer
que le pointage a un statut particulier mais aussi une signification particulière
comme « regarde là ou ça » ou « là » ; en conséquence de quoi notre position a
été dans des travaux récents d’intégrer ce geste dans la catégorie des gestes
conventionnels comme cela a d’ailleurs été proposé pour les répertoires adultes
par Johnson et ses collègues en 1975.
La catégorie des gestes qui « représentent quelque chose » se compose
de gestes qui n’ont ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions. Par ailleurs, la
terminologie utilisée pour évoquer ces gestes varie selon les travaux et selon les
auteurs et parfois même selon les différents articles des mêmes auteurs ! Par
exemple ces gestes sont nommés « characterizing gestures » par Goldin-Mea-
dow & Morford (1990), « referential gestures » par Caselli (1990), « represen-
tational gestures » par Iverson et ses collègues (1994 – et Caselli est co-auteur
de cet article) ou encore « iconiques » pour certains d’entre eux. La catégorie
des « représentationnels » est composée de différents types de gestes comme
des « prédicats4» utilisés pour décrire les caractéristiques d’un objet ou d’une
situation, comme « écarter les mains » pour signifier « gros » ou les « secouer »
pour désigner « trop chaud ». Cette catégorie comprend également les gestes
« nominaux5 » qui représentent des compositions enfantines qui vont disparaî-

3. Traduction de « representational » terme le plus fréquemment utilisé pour dénommer cette catégorie mais
d’autres termes peuvent l’être également, voir plus loin
4. Notre traduction de « predicates »
5. Notre traduction de « nominal gestures

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tre avec la maîtrise du lexique. Ils servent en quelque sorte de label pour des
objets ou des situations dans l’environnement. Ils peuvent référer à des gestes
qui imitent des actions comme faire semblant de boire avec une tasse, ou encore
des gestes qui imitent des mouvements comme « ouvrir et fermer la bouche »
pour signifier un poisson. Ceux-ci vont disparaître quand l’enfant disposera du
lexique correspondant. Enfin, d’autres gestes présents dès la fin de la première
année sont appelés conventionnels (Guidetti, 2002 ; également nommés « rou-
tines gestuelles6 » par Bates et ses collègues en 1975) ; cette catégorie com-
prend les gestes d’acquiescement et de refus (Guidetti, 2005), le geste qui indi-
que une demande de silence, ou encore le geste de salut. La signification de ces
gestes est invariable selon le contexte mais diffère selon les cultures ; c’est pour
cela qu’ils ne peuvent être considérés comme réellement « représentationnels »,
catégorie dans laquelle ils sont pourtant souvent inclus (Iverson, Capirci, Lon-
gobardi & Caselli, 1999). Ces gestes conventionnels vont progressivement for-
mer un répertoire (voir par exemple Guidetti, 2002 pour ce qui concerne des
enfants français entre 16 et 36 mois) de gestes appris parallèlement au langage
et que les enfants vont pouvoir utiliser quand l’utilisation du langage n’est pas
possible, pour le renforcer ou encore l’accompagner.
Au bout du compte et si l’on essaie d’aller au-delà de l’absence de
consensus dans la littérature sur ces questions, les gestes produits par le jeune
enfant peuvent être divisés en deux grandes catégories : ceux qui vont disparaî-
tre avec la mise en place du lexique comme par exemple le geste de lever les
bras pour être pris dans les bras et ceux qui vont se maintenir chez l’enfant
plus grand et chez l’adulte. On peut également considérer comme le fait
McNeill (1998) qu’une distinction entre gestes conventionnels et non conven-
tionnels serait également pertinente ici et permettrait de prendre en compte la
réorganisation du répertoire gestuel avec l’arrivée du lexique et la possibilité de
combiner des gestes et des mots. Dans ce cadre et chez l’enfant plus grand,
donc au-delà de 3 ans, la catégorie des gestes non conventionnels pourrait com-
prendre des gestes iconiques (équivalents aux « vrais » représentationnels ci-
dessus) et des gestes « bâtons7 », gestes répétitifs qui scandent le discours, pro-
duits uniquement quand l’enfant dispose d’une maîtrise suffisante du langage.
D’autres questions relatives à la détermination de la forme des gestes
chez l’enfant ont été discutées dans la littérature comme par exemple le fait de
savoir si doit vraiment être considéré comme geste un mouvement avec un objet

6. Notre traduction de « gestural routines »


7. Traduction de « beats »

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en main ce qui est très fréquent chez le jeune enfant ? Peut-il s’agir véritable-
ment d’une conduite symbolique et/ou communicative ou cela renvoie-t-il à la
simple manipulation d’un objet (voir la discussion de ce point précis chez Gol-
din-Meadow & Iverson, 1998 : 3).
La question des formes de la communication gestuelle doit également
être étendue à celle de la combinaison entre les gestes et les mots. En effet, ces
combinaisons vont conduire l’enfant à interagir plus aisément avec son entou-
rage et à rendre la communication plus flexible. Capirci et ses collègues (op.cit.)
ont proposé trois catégories fréquemment reprises par la suite dans la littérature
sur ces questions pour rendre compte de la nature de ces combinaisons : une
combinaison geste/mot est dite de type « équivalent » si le geste et le mot
signifient la même chose (ex. hocher la tête pour acquiescer en produisant
« oui »). Elle est de type « complémentaire » si le geste et le mot se complètent
l’un l’autre (ex. pointer de l’index en disant « bateau ») et de type « supplé-
mentaire » quand le geste réfère à un élément qui est sémantiquement différent
du mot (ex. hocher la tête accompagné par « encore »). Nous avons montré en
2005 que sur 1682 messages d’acquiescement et de refus produits par des
enfants de 16, 24 et 36 mois filmés en interaction avec leur mère, 76% des mes-
sages étaient des messages verbaux, 15% des messages gestuels et 9% des mes-
sages combinés gestuels et verbaux. Les formes verbales augmentent avec l’âge
mais les deux autres formes se maintiennent au-delà de l’entrée dans la période
linguistique. Mais il est encore plus intéressant de noter qu’à 16 mois, 72% des
messages sont gestuels uniquement, alors que ce n’est plus le cas que de 13%
des messages à 24 mois et 8% à 36 mois. Si on regarde maintenant quelle est la
nature des combinaisons entre les gestes et les mots, on constate que concernant
les messages d’acquiescement – le profil est sensiblement le même pour les ges-
tes de refus - , le type « équivalent » prédomine. Ce type de combinaison est
absent chez les enfants de 16 mois. Le type « supplémentaire » est absent chez
les enfants les plus âgés. Ceci signifierait, pour les plus jeunes des enfants
observés en tout cas, qu’ils ne disposent pas du « oui » verbal dans leur réper-
toire. La modalité gestuelle semble donc opérationnelle dans ce cas avant la
modalité verbale. Les combinaisons gestes/mots permettraient aux jeunes
enfants de pallier leurs « déficiences » lexicales et leur incapacité à la fois sur
le plan phonologique et articulatoire à produire certains mots. Les réponses
gestuelles se maintiennent même chez les enfants les plus grands et ce, en dépit
du développement du langage, ce qui rend les modalités expressives de l’enfant
plus subtiles, plus flexibles et plus adaptées à la situation.
D’autres travaux (Capirci et al., op.cit. ; Iverson, Capirci, Volterra & Gol-
din-Meadow, 2008) mettent en évidence que les combinaisons gestes/mots de

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type supplémentaire permettraient de prédire l’apparition des énoncés à deux


mots. Ceci conduit à l’idée qu’au cours des deux premières années, produire et
utiliser des gestes facilite l’acquisition du langage. Une des hypothèses possi-
bles investiguée par Rowe et ses collègues (2008) est que les combinaisons de
type supplémentaire conduiraient à des changements dans l’input reçu, ce qui
mettrait en évidence les relations entre input et output. Il a été montré en effet
que plus les parents font des gestes à leurs enfants et plus leurs enfants en pro-
duisent également avec les différences individuelles inhérentes à ce type de pro-
duction (Rowe et al., op.cit.).
Enfin, la gestualité dans sa dimension coverbale, loin de régresser après
l’âge de deux ans, se transforme et continue à se développer tout au long de
l’enfance au fil des acquisitions langagières (Colletta, 2004 ; Colletta, Pellenq
& Guidetti, 2010 ; Gullberg, de Bot & Volterra, 2008). En grandissant, l’enfant
va donc accroître le répertoire de ses modalités communicatives (gestes co-ver-
baux, gestes pouvant se substituer au langage etc.) qu’il va pouvoir combiner ou
non avec le langage verbal. C’est la combinaison de ces différents registres et le
choix d’utilisation que l’enfant va en faire qui va caractériser le développement.

♦ Les fonctions des gestes


Cette question a été abordée il y a fort longtemps dans l’article princeps
de Bates, Camaioni et Volterra en 1975 qui référaient à ce sujet à la distinction
entre « protoimpératifs » et « protodéclaratifs », établie à partir des travaux
des philosophes de l’esprit Austin et Searle. Dans cet article, les auteurs mon-
trent que de jeunes enfants à la fin de la première année peuvent utiliser les ges-
tes avec une fonction de demande, par exemple en pointant un objet qu’ils dési-
rent, ou d’assertion, par exemple en pointant quelque chose qui les intéresse
avant de commencer à utiliser des mots.
En suivant la proposition de McNeill (1998 : 26) selon laquelle les gestes
conventionnels ajoutent des effets pragmatiques en fonctionnant de manière
équivalente aux actes de langage, nous avons analysé les fonctions des gestes
conventionnels produits par des enfants de 16 à 36 mois (Guidetti, 2002). Nous
ne retenons que quatre actes de communication parmi les cinq types d’actes de
langage proposés par Searle et Vanderveken : les assertifs, les directifs, les
expressifs et les engagements. Avec les assertifs, l’enfant dit à autrui comment
sont les choses dans le monde (ex. l’enfant joue avec des pièces de puzzle, la
mère lui montre une pièce et lui dit : « c’est quoi ça? c’est un cochon? ». L’en-
fant répond par un hochement de la tête de haut en bas). En utilisant les direc-
tifs, le locuteur tente en les utilisant de faire faire quelque chose à l’auditeur (ex.

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l’enfant est en train de jouer, la mère dit « tu veux quoi le cheval ou la vache? »
l’enfant pointe en direction du cheval). Les expressifs informent de l’état psy-
chologique du locuteur (ex. mère et enfant sont en train de jouer, la mère dit :
« tu es contente? » l’enfant répond en hochant la tête de haut en bas). Enfin, les
promissifs engagent le locuteur dans l’accomplissement d’une action future (ex.
l’enfant dit « je vais le prendre » en pointant vers un jouet). La répartition par
actes de communication est la suivante : 84,39% des gestes expriment un acte
assertif, 10,41% un acte directif, 5,13% un acte expressif, 0,07% un engage-
ment. On constate donc que l’ensemble des gestes conventionnels produits par
les enfants expriment majoritairement des actes assertifs. Les actes directifs sont
observés ensuite puis les expressifs et enfin mais très rarement les engagements.
Cette prépondérance des assertifs pourrait être due au fait que, dans les situa-
tions observées (repas ou goûter, jeux avec des jouets familiers et non fami-
liers), les enfants n’avaient pas spécialement de choses à demander à leur mère.
Peut-être aussi qu’aux âges considérés et en interaction avec un adulte mater-
nant, ce qui est important c’est de partager sa vision du monde, son état mental
avec autrui.

♦ Conclusion
L’émergence des compétences pragmatiques peut être ainsi mieux com-
prise dès lors que l’on prend en compte des systèmes de communication peu
étudiés, qui précèdent l’émergence du lexique et qui permettront par la suite à
l’enfant de disposer de plusieurs registres et de plusieurs stratégies de communi-
cation qu’il adaptera à ses interlocuteurs et aux différents contextes et situations
de communication auxquels il sera confronté. Nous avons montré que les
moyens gestuels du jeune enfant lui permettent d’échanger avec son entourage
bien avant l’émergence du lexique, ils constituent donc du point de vue de la
pragmatique développementale à la fois des prérequis et des précurseurs à
l’émergence du langage.

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Le co-développement du langage et des gestes


chez l’enfant âgé de trois ans et plus. Avancées
récentes.
Jean Marc Colletta

Résumé
Longtemps restée à l’écart des travaux de linguistique, l’étude des comportements non ver-
baux de la communication s’est considérablement développée et renouvelée au cours des
quinze dernières années. De plus en plus de chercheurs, spécialistes de la communication
non verbale, mais aussi linguistes, psycholinguistes, spécialistes du développement et des
sciences cognitives, s’intéressent désormais à la communication dans ses aspects multimo-
daux. Les avancées dans ce domaine conduisent à un profond renouvellement des connais-
sances et des questionnements sur l’acquisition du langage, les relations entre langage et
pensée, et au-delà, la place du corps dans les apprentissages et les remédiations en
matière de langue et de communication.
Mots clés : communication non verbale, gestualité coverbale, acquisition du langage, habi-
letés discursives, apprentissages linguistiques et métalinguistiques.

Co-development of language and gestures in children who are three


years old and older

Abstract
The study of non-verbal aspects of communication, which had been neglected for a long
time by researchers in linguistics, has undergone considerable development and renewal
over the last 15 years. An increasing number of researchers, specialists in non-verbal com-
munication, but also linguists, psycholinguists and professionals specialized in development
and cognitive sciences, are now interested in the multimodal aspects of communication.
Advances in this field have led to a significant renewal of our knowledge base and to the
emergence of new questions regarding the acquisition of language, relationships between
language and thought, and beyond, the role of the body in learning processes and in lan-
guage and communication remediation work.
Key Words : non verbal communication, co-verbal gestures, language acquisition, discur-
sive skills, linguistic and meta-linguistic learning.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Jean Marc COLLETTA


Professeur en Sciences du Langage
Laboratoire Lidilem
Université Stendhal - Grenoble III
1180 avenue centrale
Domaine Universitaire
38400 St Martin-d’Hères, France
Courriel :
jean-marc.colletta@u-grenoble3.fr

♦ La communication non verbale

V
oilà plus d’un demi-siècle que l’on s’intéresse de façon scientifique à la
communication par le biais des signaux corporels, et les observations
réalisées permettent de considérer la communication parlée en situation
de face à face comme un flux d’informations multimodales en provenance des
mots, de la voix et du corps. Cela vaut pour l’accomplissement des actes de lan-
gage du quotidien (se saluer de la main ou de la tête, avec ou sans la parole,
sourire au moment de s’excuser, hocher la tête en guise de réponse, etc.), mais
cela vaut aussi pour les usages textuels du langage : lorsque quelqu’un prend la
parole pour décrire un itinéraire, faire le récit d’un événement, apporter une
explication ou défendre un point de vue, il n’est pas rare de voir le visage de cette
personne s’animer et la voir bouger, gesticuler des mains et de la tête, adopter
différentes postures au cours de sa prestation.

Dans l’introduction à leur ouvrage sur la communication non verbale


en 1984, Jacques Cosnier et Alain Brossard ont qualifié de « posturo-mimo-
gestualité » ces usages du corps à des fins communicatives. Ainsi qu’en
attestent les ouvrages de l’époque (Corraze, 1980 ; Feyereisen et de Lannoy,
1985 ; Feldman & Rimé, 1991 ; Descamps, 1993), on s’y intéresse autant à
partir de questionnements propres à la psychologie (l’expression et la recon-
naissance des émotions, la régulation de l’intimité, la présentation de soi) que
dans une perspective sémio-linguistique (les mouvements corporels utilisés
comme signaux dans la communication interindividuelle). Au regard de la
communication, la gestualité manuelle et céphalique, les expressions faciales
et les changements de posture et de regards sont des supports naturels de
significations qui, lorsqu’ils sont utilisés de façon intentionnelle, peuvent
supplanter la parole ou se combiner à elle pour former des énoncés bimodaux
(auditifs et visuels).

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A l’instar de Kendon (1988), on peut représenter les usages des signaux


corporels sur un axe bipolaire. A une extrémité de ce continuum, on trouve les
langues des signes pratiquées par les sourds, véritables langues naturelles
dotées d’unités discrètes, d’un lexique et d’une syntaxe. A l’autre extrémité,
on trouve la gestualité « coverbale » qui, comme son nom l’indique, est asso-
ciée à la parole, ne peut être interprétée sans l’appui de celle-ci, et participe
conjointement à l’élaboration du message exprimé par le locuteur. Entre les
deux, on trouve les lexiques gestuels utilisés par des communautés telles les
moines cisterciens observant la règle du silence (Delaporte et al., 2005) ou des
corps de métiers où la communication par la parole est parfois impossible
(environnements bruités, plongée sous-marine) ; puis on trouve le mime et les
« emblèmes », gestes, mouvements de tête et expressions faciales de sens
conventionnel, utilisés de façon autonome, et compris sans l’appui de la
parole tels le salut manuel, le clin d’œil de complicité ou le « V » de la vic-
toire ; enfin, ces mêmes emblèmes sont parfois utilisés comme coverbaux
pour compléter (le geste qui remplace le mot qui manque), désambiguïser (le
pointage désignant le référent) ou modifier (la mimique permettant de conno-
ter la parole) la teneur du message verbal.

♦ La gestualité coverbale et la thèse de la parole multimodale


Les données cliniques sur l’aphasie suggéraient depuis fort longtemps
l’existence de relations entre la parole et la gestualité, avec des apraxies asso-
ciées à la perte de l’usage de la parole et des défauts de reconnaissance ou de
production de certains types de gestes (McNeill, 1992 ; Feyereisen, 1994). Les
gestualistes ont mis en évidence la densité et l’étroitesse de ces relations, et on
dispose aujourd’hui de bonnes descriptions multimodales du langage parlé, en
français (Bouvet, 2001 ; Calbris, 2003) comme dans d’autres langues (McNeill,
1992 ; Beattie, 2003 ; Kendon, 2004). Si des débats terminologiques traver-
sent en permanence le domaine, chacun s’accorde à reconnaître que la posturo-
mimo-gestualité coverbale sert diverses fonctions dont voici les principales1 :
- l’identification des objets du discours, par pointage direct lorsqu’ils sont
présents et localisables dans la situation, ou par pointage indirect dans le
cas contraire ;
- la représentation des objets du discours par le biais de gestes qui dessinent
dans l’espace, miment ou symbolisent les référents concrets et abstraits ;

1. D’après les classifications fonctionnelles de la gestualité proposées entre autres par Ekman & Friesen,
1969 ; McNeill, 1992 ; Cosnier et Vaysse, 1997 ; Kendon, 2004 ; Colletta, 2004.

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- l’expression des émotions (joie, tristesse...), des états mentaux (réflexion,


doute...) et des actes de langage courants (salut, acquiescement,
requête...), qui permet soit la réalisation non verbale de ceux-ci, soit le
cadrage pragmatique de l’énoncé (par amplification ou modification de sa
valeur illocutoire) ;
- la structuration de la production langagière, à tous niveaux, par la mise en
relief et/ou démarcation des constituants (syllabe, mot, syntagme, proposi-
tion, phrase, etc.) ;
- la cohésion discursive, grâce à l’anaphore gestuelle et au marquage des
phénomènes de connexité (symbolisation des connexions, bornage des
constituants discursifs) ;
- la synchronisation entre les interlocuteurs et l’ajustement de leurs condui-
tes au cours de l’interaction sociale.
La réflexion sur les implications cognitives de ces observations a abouti à
la thèse de la multimodalité de la parole avancée initialement par Kendon
(1980) et McNeill (1992). En vertu de cette thèse, la parole (auditive) et les
signaux corporels (visuo-kinésiques) qui lui sont associés sont traités ensemble,
comme des ressources expressives complémentaires par le locuteur lors de la
production du langage, et comme des ressources disponibles pour l’interpréta-
tion et l’identification des intentions du locuteur par son interlocuteur lors du
traitement du langage en réception.
Un aspect de cette thèse est particulièrement débattu : la question du sta-
tut cognitif de la gestualité représentationnelle dans la production langagière.
Plusieurs modèles ont été proposés. Certains postulent que la production ges-
tuelle s’origine dans l’imagerie mentale et que sa programmation est indépen-
dante ou intervient en amont de la programmation du message verbal (voir les
contributions de Krauss et al. et de De Ruiter dans McNeill, 2000). Inverse-
ment, d’autres tels Hadar et Butterworth (1997) font intervenir la programma-
tion de l’articulation motrice du geste en aval, voyant surtout dans le geste
représentationnel une aide pour activer le lexique. D’autres encore postulent
une source commune pour le message gestuel et le message verbal. C’est le cas
du modèle du Growthpoint proposé par McNeill (McNeill, 1992, 2000), pour
qui le message langagier bimodal est le résultat de la fusion de représentations
en provenance de l’imagerie mentale et de représentations linguistiques. C’est
aussi le cas de l’Interface hypothesis proposée par Kita & Özyürek (2003),
directement inspirée de la théorie du thinking for speaking de Dan Slobin (1996)
qui postule l’existence d’une pensée langagière issue des cadres conceptuels
propres à chaque langue naturelle.

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Concernant la réception, bien que moins nombreuses, les données dispo-


nibles indiquent que l’interlocuteur traite aussi bien les informations visuelles
que les informations auditives dans le flux d’informations plurimodales émises
par le locuteur. Cela vaut pour les expressions faciales, mais aussi pour les ges-
tes de pointage (Thompson & Massaro, 1994 ; Langton et al., 1996), et la ges-
tualité représentationnelle (Beattie & Shovelton, 1999 ; Church et al., 2007).
Ces données ouvrent la voie à de nouvelles modélisations du traitement du lan-
gage en réception (Lascarides & Stone, 2009).
A l’heure d’aujourd’hui, l’étude de la communication gestuelle et de la
multimodalité dans la communication parlée constitue un domaine en plein
développement, comme en atteste le nombre croissant de rencontres sur ces thè-
mes (voir à ce sujet le site de l’International Society for Gesture Studies :
http://www.gesturestudies.com, et la revue Gesture). C’est un champ foisonnant
où se rencontrent gestualistes, spécialistes des langues signées, linguistes, psy-
cholinguistes et spécialistes des sciences cognitives autour de problématiques
variées et de nouvelles méthodologies. Voyons maintenant comment la problé-
matique de l’acquisition du langage s’en trouve renouvelée.

♦ Les signaux corporels et l’acquisition du langage


La prise en compte de la dimension multimodale de la communication
parlée a conduit les spécialistes de l’acquisition du langage à reconsidérer le
scénario développemental en vertu duquel les signaux corporels utilisés par
l’enfant pour communiquer au cours des deux premières années s’effaceraient
pour laisser place à la communication linguistique. En effet, les informations
qui précèdent dressent un tableau de la communication parlée qui ne « colle
pas » avec ce scénario. Si les signaux corporels constituent effectivement, pour
le très jeune enfant, d’indispensables moyens de communication, ils sont toute-
fois bien plus que cela, d’une part parce que l’émergence des capacités linguisti-
ques dépend en partie de leur utilisation, d’autre part parce que l’évolution des
conduites langagières ne peut plus être décrite comme se manifestant à travers
les seules acquisitions linguistiques : l’apparition de nouveaux usages du lan-
gage (élargissement du répertoire des actes de parole, émergence et développe-
ment des usages textuels ou monologués du langage) va aussi de pair avec
l’usage croissant et différencié des ressources gestuelles.
Concernant le premier point, à des étapes précoces du développement
communicatif, les gestes, utilisés seuls ou en combinaison avec les premiers
mots de l’enfant, constituent des précurseurs des acquisitions linguistiques.
C’est notamment le cas du geste de désignation (pointage manuel) et des pre-

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miers gestes conventionnels au cours de la première année, puis des premiers


gestes représentationnels et des combinaisons bimodales composées d’un mot et
d’un geste au cours de la seconde année2. Que se passe-t-il ensuite ?
La mimo-gestualité conventionnelle continue à être utilisée après deux
ans, et le répertoire des emblèmes s’enrichit au fil de l’âge (Guidetti, 2002,
2003), mais l’évolution de l’usage des emblèmes ne rend pas pleinement
compte du développement de la gestuelle communicative. Des observations de
McNeill (1992) réalisées à partir d’un corpus de récits parlés suggéraient une
évolution de la gestualité manuelle avec l’apparition, à partir de 5 ans, de beats
(gestes binaires de battement), de gestes de l’abstrait et de gestes cohésifs au
service de la cohérence du récit. Assisterait-on à une évolution du système pos-
turo-mimo-gestuel associé à la parole entre la petite enfance et l’âge adulte ?
Des observations récentes plaident en faveur de cette hypothèse et permettent de
préciser le tableau de cette évolution.
L’étude de récits parlés d’événements vécus produits spontanément par
des enfants scolarisés à l’école primaire (Colletta, 2004, 2009) a d’abord
confirmé qu’au fil de l’âge, le récit enfantin s’allonge, s’enrichit de détails nar-
ratifs et de propos rapportés, et se complexifie (retours en arrière dans la trame
événementielle, parenthèses explicatives et commentaires évaluatifs au cours de
la narration). Mais elle a aussi montré que cette complexité accrue nécessite
davantage de marquages auxquels sont mis à contribution, outre la voix (proso-
die et vocalité), des gestes représentationnels, des mimiques expressives, des
modifications posturales et des changements dans la direction des regards. Nous
avons mis en évidence cette complexité dans l’usage des ressources coverbales à
travers la transcription précise et multipistes de trois récits parlés réalisés par
des enfants de 10 ans, puis, à partir de l’étude de 32 récits réalisés par des
enfants âgés de 6 à 11 ans et incluant les trois précédents, nous avons mis au
jour une remarquable évolution de la capacité à raconter qui en affecte aussi
bien les aspects gestuels que les aspects linguistiques et prosodiques. Nous
avons interprété cette évolution comme exprimant l’émergence d’une posture de
narrateur capable de se distancier des événements racontés.
L’évolution bimodale des conduites narratives a par la suite été confirmée
à partir d’un corpus plus important comparant des enfants et des adultes et com-
posé de récits produits dans des situations plus contrôlées. A l’occasion d’un
programme de recherche financé par l’ANR en 2005, nous avons collecté et

2. Voir à ce sujet la contribution de Michèle Guidetti dans ce numéro, ainsi que le numéro spécial de la revue
Gesture intitulé « Gesture and multimodal development » coordonné par l’auteur et Michèle Guidetti en 2010.

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analysé les récits parlés de 122 sujets, dont 41 enfants de 6 ans, 43 enfants de 10
ans et 38 jeunes adultes étudiants. Tous avaient pour tâche de produire un récit à
partir d’un extrait d’un épisode de Tom & Jerry (la série en dessin animé) mon-
trant les trois premières minutes de l’épisode et composant une histoire com-
plète, avec un début et une fin. Tous ont été filmés dans la même situation, en
train de raconter cette histoire à un adulte leur demandant de le faire du mieux
qu’ils pouvaient. Les résultats (Colletta, Pellenq & Guidetti, 2010) font claire-
ment apparaître un effet de l’âge, tant au plan linguistique qu’au plan de la
mimo-gestualité coverbale.
Pour n’en retenir que l’essentiel, c’est dans les dimensions pragmatique et
gestuelle des récits que l’effet de l’âge s’est avéré le plus net. En effet, nos
résultats montrent clairement que la part des propositions non narratives (paren-
thèses explicatives, commentaires portant sur l’histoire ou sur la narration elle-
même) croît aux dépens de la part des propositions codant le rappel des événe-
ments : elle passe de 13% chez l’enfant de 6 ans à 15% chez l’enfant de 10 ans,
puis à 34% chez l’adulte. La complexification du récit constatée entre 6 et 10
ans pour le récit spontané s’observe donc plus tard pour le récit contrôlé, et se
poursuit jusqu’à l’âge adulte. Quant à la production gestuelle, non seulement
celle-ci augmente clairement avec l’âge (le taux de gestes par proposition passe
de à 0.27 à 6 ans à 0.50 à 10 ans, puis à 0.77 chez l’adulte), mais elle connaît
dans le même temps une évolution qualitative intéressante. Alors que les jeunes
enfants produisent presque essentiellement des gestes représentationnels (gestes
représentant des personnages ou des événements de l’histoire), on voit émerger
chez les plus âgés une gestualité de cadrage pragmatique (expressions faciales et
gestes manuels ou céphaliques venant connoter le propos, comme lorsqu’on
exprime par le visage un doute quant à l’information qu’on rapporte) et de cohé-
sion discursive (anaphore gestuelle par reprise d’un référent déjà exprimé anté-
rieurement ; emploi d’une gestualité démarcative qui marque les transitions
entre récit et commentaire ou entre différents épisodes de l’histoire). Cette évo-
lution se poursuit au-delà de l’enfance puisque chez les adultes, la gestualité
représentationnelle ne représente plus que la moitié des coverbaux produits pen-
dant la narration.
Ces résultats confirment donc l’hypothèse selon laquelle la mimo-gestua-
lité coverbale évolue en parallèle avec les acquisitions linguistiques et joue une
part active dans le marquage de la complexité langagière qui, pour le récit parlé,
transparaît sur les trois plans linguistique, textuel et pragmatique3. Précisons que

3. Voir également Reig Alamillo et al., 2010 ; Fantazi, 2010.

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l’évolution bimodale des conduites narratives constatée dans cette étude a égale-
ment été mise en évidence auprès d’autres populations. Le programme de
recherche évoqué ci-avant comportait un volet inter-langues qui nous a permis
de comparer les 84 récits des enfants français à ceux de 40 enfants américains et
de 29 enfants italiens de même âge (Capirci et al., 2010). Même si, dans le
détail, les évolutions ne sont pas observables partout avec la même ampleur
(notamment au plan linguistique en raison des différences inter-langues), on
retrouve le même pattern général avec l’usage croissant des ressources coverba-
les et leur mise à contribution, chez l’enfant plus âgé, au service de la cohésion
du récit. Par ailleurs, l’analyse de 46 récits produits par des sujets zulu (enfants
âgés de 6, 10 et 12 ans et jeunes adultes) et collectés à l’aide du même protocole
fait à nouveau apparaître cette évolution vers une plus grande complexité du
récit et l’utilisation croissante des ressources coverbales, et ce en dépit de diffé-
rences (entre français et zulu) ayant trait à la langue, à l’expérience de la littéra-
cie et à la socialisation (Kunene, 2010). Enfin, une étude de Graziano (2009,
2010) portant sur un corpus de 33 récits produits par des enfants italiens âgés de
4 à 10 ans dans une situation similaire (à partir du visionnage d’un dessin
animé) montre une évolution analogue, sensible tant dans la durée et la dimen-
sion linguistique des récits que dans la production gestuelle qui les accompagne.
Comme nous l’avons indiqué ailleurs (Colletta, 2004), l’évolution
conjointe des acquisitions linguistiques et textuelles et de la gestualité coverbale
ne caractérise pas seulement le développement narratif : elle vaut aussi pour le
développement explicatif. Au plan psycholinguistique, l’explication enfantine
parlée est intéressante à étudier car elle offre la possibilité d’observer la transi-
tion entre les usages du langage en situation, dépendants du contexte et
construits à partir du format dialogué de l’échange (au sens de l’analyse
conversationnelle ; voir Roulet, 1999), et les usages plus élaborés, indépendants
du contexte et construits à partir des formats monologués ou textuels du langage
(voir Adam, 1992 pour une présentation des séquences textuelles types). En
dépit d’une forme prototypique simple et binaire : < P parce que Q >, articulant
un explanandum (le phénomène ou comportement à expliquer) et un explanans
(la verbalisation des causes du phénomène ou des raisons du comportement),
pour reprendre les termes employés par Veneziano et Sinclair (1995), l’écart est
en effet immense entre les premières explications verbalisées en situation par
l’enfant de deux ans et les textes explicatifs qu’il devient capable de parler et
rédiger au cours des dernières années de scolarisation à l’école élémentaire.
C’est cette émergence des habiletés textuelles que nous avons mise en
évidence à partir de l’exploitation de deux corpus audiovisuels d’explications
enfantines : un premier corpus de 232 explications parlées collecté lors d’entre-

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tiens avec des enfants scolarisés du CP au CM2 et âgés de 6 à 11 ans (Colletta,


2004), complété d’un second corpus de 268 explications parlées collecté lors
d’observations dans des écoles maternelles auprès d’enfants âgés de 3 à 6 ans
(Simon, 2009). Bien qu’obtenues dans des situations très hétérogènes et non
comparables quant à leur contenu, ces deux séries d’explications pouvaient être
fusionnées afin de suivre l’évolution de leur forme linguistique au fil de l’âge.
Cette étude a permis de constater que plus l’enfant avance en âge, plus ses
explications s’allongent, sont riches en informations verbales et comptent de
propositions et de connecteurs pour aboutir, chez l’enfant âgé de 10 ans et plus,
à de véritables textes explicatifs (Colletta & Pellenq, 2009).
Là encore, apparaît clairement une coévolution des ressources linguisti-
ques et gestuelles, puisque l’usage de la gestualité coverbale augmente lui aussi
de façon très significative entre la petite section de maternelle et le cours moyen
(le taux de gestes par explication passe en effet de 0.31 chez l’enfant de petite
section à 3.06 chez l’enfant de cours moyen). La gestualité qui accompagne
l’explication est très différente de celle qui accompagne le récit, mais là aussi,
on voit apparaître un effet de l’âge (Colletta & Pellenq, 2009) : les enfants âgés
de 6 ans et plus produisent essentiellement des gestes représentationnels symbo-
lisant des concepts abstraits, tandis que les enfants de maternelle produisent sur-
tout des gestes de pointage. Pour les gestes de l’abstrait, on relève des usages
variés qui vont du simple geste d’introduction du référent jusqu’aux usages
métaphoriques du geste pour exprimer le temps, l’aspect, la quantité ou l’oppo-
sition, en passant par le pointage anaphorique et l’expression emblématique des
modalités comme l’ignorance, l’incapacité, l’impossibilité ou l’obligation. Les
enfants plus jeunes produisent rarement de tels gestes, d’une part parce que les
explications qu’ils ont été amenés à fournir en classe favorisaient le recours à la
déixis gestuelle (affiches, matériels divers), d’autre part parce que rares sont cel-
les et ceux qui parviennent à s’abstraire de la situation et de ses contingences
pour fournir des explications à caractère plus général et de nature conceptuelle.
En ce sens, on peut dire de l’observation des gestes accompagnant l’explication
enfantine qu’elle est aussi une fenêtre sur le développement cognitif.
Comment la gestualité permet-elle d’exprimer des concepts abstraits ?
D’une part grâce à notre capacité à élaborer des abstractions à partir de notre
expérience perceptive et motrice (Johnson, 1987 ; Barsalou, 2003), et d’autre
part, grâce aux propriétés métaphoriques du geste manuel, comme cela a été
montré par plusieurs auteurs (McNeill, 1992 ; Calbris, 2003 ; Boutet, 2010).
La métaphore repose sur l’analogie, puissant outil cognitif qui permet d’établir
des relations basées soit sur la perception, dans le cas de « l’analogie percep-
tuelle », soit sur le raisonnement, dans le cas de la métaphore ou « analogie

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conceptuelle » (Gentner, Holyoak & Kokinov, 2001). Les observations réalisées


sur notre corpus d’explications semblent indiquer que les gestes reposant sur
l’analogie perceptuelle apparaissent plus tôt que les gestes reposant sur l’analo-
gie conceptuelle, et en conséquence, que développement gestuel et développe-
ment cognitif entretiennent des liens étroits.
D’autres observations vont dans le même sens. Les enfants ayant à pro-
duire des explications lors d’activités de mathématiques et de tâches piagétien-
nes font souvent des gestes, mais ces gestes sont parfois en concordance avec la
parole, parfois en discordance. Or Goldin-Meadow et ses collègues (voir Gol-
din-Meadow, 2003) ont réussi à montrer que la non-concordance entre gestes et
paroles survenait chez des enfants n’ayant pas encore acquis la notion ou l’opé-
ration visée (par exemple : la conservation des quantités ou des volumes pour
les tâches piagétiennes, la soustraction ou la division en mathématiques), mais
qui sont prêts à l’acquérir. En d’autres termes, la non-concordance entre gestes
et paroles constituerait l’indice d’une acquisition en cours, un peu comme si le
sujet parvenait à exprimer corporellement (par le geste) une compréhension
intuitive de la notion ou de l’opération visée, sans toutefois parvenir à l’expri-
mer verbalement et de façon consciente. Très intéressante, cette découverte
confirme les intuitions de Vygotski (1985) concernant la dynamique des appren-
tissages et l’existence, pour toute acquisition cognitive, d’une « zone de proche
développement ». Surtout, elle concorde pleinement avec les découvertes des
sciences cognitives récentes et la thèse de l’embodied cognition ou « cognition
incorporée » (Varela, Thompson & Rosch, 1993 ; Gibbs, 2006). En vertu de
cette thèse, les acquisitions et les apprentissages du sujet auraient pour fonde-
ment la connaissance en actes du sujet, une connaissance corporelle ancrée dans
la perception et la motricité.
En résumé, qu’il s’agisse de l’acquisition du langage ou du développe-
ment cognitif et des apprentissages opératoires, il semble que le geste, de par
son ancrage dans la motricité corporelle, ses usages communicatifs et expressifs
et ses propriétés sémiotiques, joue un rôle clé. Voilà qui ouvre des pistes intéres-
santes tant pour le diagnostic des troubles du langage et du développement que
pour des pratiques en matière d’enseignement et de remédiation.

♦ Perspectives didactiques et orthophoniques


On doit à Jean Piaget d’avoir mis en évidence le substrat sensori-moteur
des activités cognitives en général, mais rares ont été les propositions pédagogi-
ques visant à mettre cette connaissance en actes au service des apprentissages
formels tels les apprentissages linguistiques. En réalité, ces propositions sont

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venues, la plupart du temps, des pédagogues eux-mêmes, qu’il s’agisse de


Maria Montessori au cours de la première moitié du XXème siècle, puis plus tard,
de Caleb Gattegno (la « lecture en couleurs », le « silent way » pour l’appren-
tissage des langues), Suzanne Borel-Maisonny (la « méthode gestuelle »),
Madeleine Dunoyer de Segonzac (la « Dynamique Naturelle de la Parole -
DNP »), ou encore, Maurice Laurent (la « Grammaire en couleurs »). Or,
comme nous avons pu nous en rendre compte en formation des enseignants, ces
approches sont souvent prisées des enseignants spécialisés qui les utilisent
volontiers avec leurs élèves. Qu’ont-elles de particulier ?
Force est de constater que dans toutes ces approches, le geste, qu’il
s’agisse du geste de pointage avec utilisation d’un pointeur (chez Gattegno,
1966 ; Laurent, 2004, 2009), du geste emblématique (chez Borel-Maisonny,
1966, où un geste représente arbitrairement un son et une graphie), du geste gra-
phique (dans la Dynamique Naturelle de la Parole, cf. Coquet, 2006 pour une
présentation), ou encore, du geste gnosique de toucher (dans l’approche hapti-
que de la lecture proposée par Bara, Gentaz et Colé, 2005) est au cœur de l’acti-
vité pédagogique. Un autre point commun à ces différentes approches est qu’el-
les font toutes appel à la plurimodalité des sens et de l’action. En effet, chacune
d’entre elles convie l’apprenant à tirer parti de l’exploration de différentes
entrées sensorielles et motrices pour élaborer une connaissance nouvelle, que
celle-ci soit de nature métaphonologique (prendre conscience de la syllabe, du
phonème), alphabétique (identifier les lettres de l’alphabet), métasyntaxique
(prendre conscience de la nature et de la fonction des mots), lexicale ou autre.
Mais faut-il rappeler que chez le nourrisson, la plupart des acquisitions cogniti-
ves proviennent de sa capacité à établir des liens intermodaux (coordination
vision-préhension, correspondance entre vision et audition, correspondance
entre audition et mouvements phonatoires) ?
En conséquence, il nous semble que, s’agissant de l’acquisition des
connaissances linguistiques et métalinguistiques, les propositions pédagogiques
qui mobilisent le corps et les ressources de l’intermodalité ont encore de beaux
jours devant elles. Ayant gagné en légitimité au regard des connaissances actuel-
les, il reste à en étudier plus précisément les effets ainsi que les modalités
d’adaptation aux publics concernés.

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Analyse multimodale de la parole


Gaelle Ferré
Résumé
Depuis quelques années, le champ de la pragmatique en linguistique, qui se consacre à
l’étude des interactions, a pris conscience de l’importance de la production gestuelle dans
certaines situations de communication. S’est alors développé un grand nombre d’études
dans des domaines variés : on pense aux travaux en plein essor sur les langues des signes,
intimement liées à la gestualité, mais aussi à un certain nombre d’études portant sur la mul-
timodalité du langage, dont le but est de montrer les liens qui existent entre la gestualité et
la parole en situation de communication. Le langage est alors considéré comme un système
linguistique qui intègre parole et gestualité de manière organisée. Parmi ces différents tra-
vaux, certains se penchent sur l’acquisition du langage (acquisition simultanée de la parole
et de la gestualité), d’autres sur les interactions entre parole et gestualité chez des locuteurs
adultes. Enfin, des travaux intéressants portant sur les troubles du langage et/ou de la ges-
tualité coverbale voient également le jour. Dans l’optique de faire émerger ce type de
recherches qui trouvent des applications dans le domaine de l’orthophonie, cet article pro-
pose de faire le point sur la multimodalité du langage en présentant certains des travaux
réalisés à partir de corpus de parole spontanée.
Mots clés : multimodalité, gestualité coverbale, système linguistique.

Multimodal analysis of speech


Abstract
The field of pragmatics –a field of linguistics which is dedicated to the study of interactions
– has recently become aware of the importance of gestures in certain communication situa-
tions. Since then, numerous studies were developed in various fields: research on Sign Lan-
guages, closely linked with gestures, has of course become the focus of a strong interest, as
well as other works on the multimodality of language whose purpose is to show relations-
hips between gestures and speech in situations of communication. In the latter type of
research, language is considered as a linguistic system that integrates speech and gesture
in an organized manner. While some studies examine language acquisition (in a perspective
where speech and gesture are acquired simultaneously), others focus on the interaction bet-
ween speech and gesture in adult speakers. There is also a growing body of research on
pathologies affecting speech and/or co-verbal gesture production, although this type of
research is not yet common in France. The objective of this paper is to encourage collabora-
tive work in pathology and linguistics, which would find direct applications in speech and
language therapy, by presenting current research on language multimodality involving a cor-
pus of spontaneous speech.
Key Words : multimodality, co-verbal gesturing, linguistic system.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Gaelle FERRÉ
Maître de Conférences
Laboratoire de Linguistique (LLING)
Université de Nantes
& Centre International de Langues
Département d’Etudes Anglaises
Chemin de la Censive du Tertre
BP 81227
44312 Nantes Cedex 3
Courriel : Gaelle.Ferre@univ-nantes.fr

L
a multimodalité s’inspire des travaux des anthropologues américains E.T.
Hall (1971, 1981, 1984 pour les traductions françaises pour ne citer que
quelques travaux) et R. Birdwhistell (1968) dans les années 1960. Ce n’est
cependant que dans les années 1990, avec le développement technologique per-
mettant le stockage et le traitement de données vidéo, que la multimodalité a
connu un essor considérable dans le champ de la linguistique aux Etats-Unis.
L’analyse multimodale consiste à mettre en relation des informations linguisti-
ques produites dans différentes modalités, chacune d’elle contribuant à l’élabo-
ration et à la perception du message communiqué. Ainsi, l’on peut distinguer la
modalité verbale qui comporte plusieurs niveaux - phonèmes, choix du lexique,
organisation syntaxique, organisation discursive - de la modalité orale - prosodie,
qualité de voix - et enfin de la modalité visuelle - gestualité et expressions facia-
les. Encore assez peu développée au niveau international à cette époque (on
citera néanmoins les travaux de Cosnier & Brossard, 1984, et Calbris & Porcher,
1989 en France), la multimodalité intéresse particulièrement les linguistes depuis
le début des années 2000. Ce type d’analyse possède effectivement un grand
nombre d’applications dans des domaines très variés parmi lesquels on peut citer
le développement d’agents animés (Cassell et al., 1994, Pelachaud & Poggi,
1998, 2002, pour ne citer que quelques travaux dans un champs très productif) et
la remédiation thérapeutique. Ces deux domaines se combinent parfois, ainsi que
le montre l’étude de Lee & Cherney (2008), qui rendent compte du développe-
ment d’un logiciel figurant une tête parlante utilisée en thérapie par des patients
aphasiques.
Ces travaux ont pour point commun de considérer que la gestualité joue
un rôle dans la communication. On peut cependant aller plus loin et penser que
la gestualité et la parole forment un système linguistique intégré, et que, comme
chaque élément de ce système, la gestualité possède plusieurs fonctions intra- et
inter-personnelles, ainsi que le formulent Morsella & Krauss (2004 : 421).
Selon ces deux chercheurs, du point de vue de la production de la parole,

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« hand-arm movements seem to facilitate both spatial working memory and


speech production. (...) participants gestured more when describing visual
objects from memory and when describing objects that were difficult to remem-
ber and encode verbally »1 (2004 : 412). De la même manière, dans la parole
pathologique, Scharp et al. (2007 : 1) considèrent que : « aphasia researchers
and clinicians consider gesture as both a means of communicative facilitation
and compensation »2. La gestualité facilite également la perception de la parole
dans sa dimension verbale (Grandström & House, 2007) mais aussi orale (voir
les travaux de Swerts & Krahmer, 2008, Al Moubayed et al., 2010 sur la percep-
tion de phénomènes prosodiques tels que les accents de mot). Ainsi, comme le
suggèrent Moubayed et al. (op. cit.) : « visual cues of acoustic prominence can
aid speech intelligibility. (...) Visualizing prominence may also provide informa-
tion about speech rhythm and syllable boundaries of the underlying linguistic
segment »3(p. 308).
Si la multimodalité du langage est déjà prise en compte dans certaines
études, comme c’est le cas de Goodwin (2000) qui étudie la communication
multimodale d’un aphasique, ainsi que dans certains protocoles d’évaluation des
troubles du langage (Functional Communication Profile et Pragmatic Protocol 4,
cités dans Prins & Bastiaanse, 2004), l’étude de la gestualité dans la communi-
cation non pathologique n’est sans doute pas encore suffisamment avancée pour
qu’une collaboration totale soit possible à l’heure actuelle entre thérapeutes et
linguistes. Il est cependant possible de croire que cette collaboration peut émer-
ger dans les années qui viennent. Dans cet espoir, l’objectif de cet article est de
produire un état des lieux des études linguistiques multimodales aujourd’hui, en
se concentrant essentiellement sur la dimension visuelle de la parole, moins
connue que les dimensions verbales et prosodiques.

♦ Qu’est-ce qu’un geste ?


La définition qui est adoptée ici se veut la plus large possible : par geste,
nous entendons tout mouvement de la face/tête, du buste, des bras/mains ou des

1. Les mouvements des bras et des mains semblent faciliter à la fois la mémoire de travail spatiale et la pro-
duction de la parole. (...) Les participants gestualisaient plus lorsqu’ils décrivaient des objets visualisés puis
mémorisés et lorsqu’ils décrivaient des objets dont la forme était difficile à retenir ou à encoder verbalement.
2. Les chercheurs et le personnel médical travaillant sur l’aphasie considèrent que la gestualité permet à la fois
de faciliter la communication et de compenser une communication défaillante.
3. Les indices visuels de la saillance acoustique peuvent améliorer l’intelligibilité de la parole. (...) La visuali-
sation de la proéminence accentuelle peut également apporter des informations sur le rythme et les frontières
syllabiques d’un segment linguistique sous-jacent.
4. Profil de Communication Fonctionnel et Protocole Pragmatique.

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épaules réalisé en dehors des changements de posture. Un changement de pos-


ture, quant à lui, est compris comme une modification de la position de repos
(par exemple, déplacer un bras de l’accoudoir du siège pour le poser sur ses
jambes en position assise). Alors que la tension musculaire nécessaire à un
changement de posture n’a de but que d’atteindre une absence de tension, cela
n’est pas le cas des autres mouvements du corps. Nous limitons les gestes à la
partie supérieure du corps car ces mouvements sont plus susceptibles d’être en
lien avec la dimension verbale et vocale de la communication.
Gestes non verbaux
Il existe deux types de gestes non verbaux : les gestes d’auto-contact ou
adaptateurs, décrits par McNeill (1992, 2005) et les ‘gestes-action’. Les adapta-
teurs sont des gestes de confort réalisés par les personnes, comme remettre en
place une mèche de cheveux, dans un contexte où ce geste n’est pas en relation
avec la parole. Il y a en effet une différence entre toucher ses cheveux sans que
le contexte verbal ait de lien avec les cheveux d’une manière ou d’une autre
(adaptateur) et toucher ses cheveux tout en mentionnant le coiffeur par exemple.
Dans ce dernier cas, le geste n’est plus un adaptateur mais permet d’établir un
lien référentiel entre les cheveux et le coiffeur. Malgré leur caractère non verbal
(« self-touching/grooming gestures are not tied to verbal expression, which sets
them apart from communicative gesture »5, Scharp et al., 2007 : 5), les adapta-
teurs sont souvent pris en compte dans les travaux sur corpus vidéos (cf.
section 2), car ils ont un lien avec l’organisation séquentielle et interactionnelle
dans un échange verbal. L’on remarque en effet que la densité d’adaptateurs
produits est beaucoup plus importante lorsqu’un participant à une interaction est
en position d’écoute que lorsque celui-ci prend un tour de parole. Ces gestes
sont donc révélateurs de l’intention de prise de parole ou non par le participant
et sont perçus comme tels par l’interlocuteur. La densité d’adaptateurs est égale-
ment plus élevée dans des situations de recherche lexicale ou de recherche de
formulation.
Le deuxième type de gestes non verbaux est ce que l’on peut nommer les
‘gestes-actions’. Il s’agit de tous les gestes réalisés au quotidien, dans un cadre
personnel ou professionnel, dans le but de ‘réaliser quelque chose’ ; conduire,
par exemple, suppose une série de ‘gestes-action’ comme tourner le volant,
changer de vitesse, etc. Ces gestes ne sont en relation avec la parole que dans les
cas de discours pédagogique (par exemple une leçon de conduite), ou encore
dans les cas où le discours commente le geste pour en souligner l’inadéquation

5. Les gestes d’auto-contact et les gestes réalisés à des fins de rectification esthétique d’une partie du corps ou
des vêtements ne sont pas liés à l’expression verbale, ce qui les distingue des gestes communicatifs.

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par exemple. Ces gestes sont très peu présents dans les corpus sur lesquels nous
travaillons, qui sont orientés vers l’interaction. En revanche, d’autres laboratoi-
res se penchent sur les interactions verbales en milieu naturel — interactions
dans la vie quotidienne — comme c’est le cas du laboratoire ICAR à Lyon, et
prennent en compte dans leurs analyses l’intégration des gestes-actions dans
l’interaction.
Gestes coverbaux
Les gestes coverbaux sont des mouvements qui peuvent être mis en rela-
tion avec la parole. Ils sont produits avec différents articulateurs :
• Les sourcils : les haussements ponctuels et rapides des sourcils sont tradi-
tionnellement associés aux proéminences accentuelles (Swerts & Krahmer,
2008 entre autres), même si, selon Al Moubayed et al. (2010) : « head-nods
have been shown to be a stronger cue in the perception of prominence than eye-
brows 6 » (p. 303). Les mouvements des sourcils maintenus sur tout un énoncé
ont plutôt une fonction de modalisateur au sens où ils apportent une modalité
énonciative à l’énoncé.
• La tête : les mouvements de tête sont régulièrement utilisés comme mou-
vements emphatiques lorsqu’ils sont produits par le locuteur et comme back-
channels7 lorsqu’ils sont produits par l’interlocuteur. Ils peuvent également
avoir une fonction de pointage vers un espace référentiel ou jouer, à l’instar des
sourcils, un rôle de modalisateur d’énoncé.
• La bouche : les mouvements de bouche produits hors articulation des
sons permettent d’apporter une modalité appréciative à l’énoncé.
• Le buste : les mouvements de buste sont plutôt associés à l’organisation
séquentielle de l’interaction en termes de prise de parole ou cession de tour de
parole. Ils peuvent également marquer l’affiliation ou la non affiliation de l’in-
terlocuteur avec ce qui lui a été dit précédemment.
• Les mains : Les gestes manuels jouent un rôle lexical ou grammatical.
Certains gestes ont en effet pour fonction d’illustrer un objet ou de mimer une
action et sont ainsi liés aux morphèmes lexicaux utilisés dans la parole, tandis
que d’autres ont pour fonction d’établir un lien de coréférence entre des unités
verbales, d’indiquer l’organisation du discours en différentes unités, de renfor-
cer une unité lexicale ou encore d’apporter une modalité et ont donc une fonc-

6. Les gestes affirmatifs de la tête se sont révélés constituer de meilleurs indices de la proéminence accentuelle
que les mouvements des sourcils.
7. Réponses minimales de l’interlocuteur

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tion grammaticale. McNeill (1992, 2005) propose une classification typologique


des différents gestes manuels qui est présentée dans la section 1.3.
L’ensemble de ces gestes, selon Kendon (cité par McNeill, 2005 : 5),
s’inscrit dans un continuum allant du moins au plus conventionnel. Les gestes
conventionnels sont partagés par l’ensemble des membres d’une même com-
munauté linguistique et peuvent remplacer la parole, alors que les gestes non
conventionnels sont produits par les locuteurs de manière plus ou moins idio-
syncratique (plus ou moins car un geste peut avoir certaines caractéristiques
conventionnelles, comme la forme de la main par exemple, mais être adapté à
la situation spécifique de discours) et ne peuvent donc pas se substituer à la
parole.
Classification des gestes manuels (McNeill, 1992, 2005)
En 1992, McNeill propose une classification typologique des gestes
manuels qui est largement utilisée au niveau international. C’est cette typologie
que nous adoptons ici et qui consiste à classer les gestes manuels en fonction de
leur relation avec la parole (cela exclut donc les gestes non verbaux) :
• Battements : les battements peuvent être des gestes indépendants, ou
encore être réalisés au cours de la production d’un autre geste. Il s’agit d’un
mouvement simple de la main qui monte puis redescend. Leur rôle est encore
relativement obscur. Selon McNeill (1992), ils seraient utilisés pour marquer les
différentes étapes du discours.
• Butterworths : gestes désordonnés utilisés lors des difficultés de formu-
lation.
• Déictiques : gestes de pointage vers soi-même, l’interlocuteur, une tierce
partie ou un objet, réalisés pour indiquer à qui ou de qui/quoi l’on parle. Ces
gestes peuvent également être réalisés de manière plus « abstraite » si un réfé-
rent a été posé au préalable dans une partie de l’espace et que l’on s’y réfère
ensuite dans la suite du discours pour désigner ce référent.
• Emblèmes : gestes conventionnels (comme le geste que l’on réalise pour
dire « on se téléphone »).
• Iconiques : ces gestes sont de deux natures différentes. Certains de ces
gestes reprennent une caractéristique physique d’un objet ou d’une personne
(pour parler d’un cylindre par exemple, les doigts sont mis dans une configura-
tion arrondie, alors que pour décrire une forme rectangulaire ou carrée, le
pouce et l’index forment un angle droit). Ces gestes peuvent également consti-
tuer un mime d’action (l’action de visser, par exemple, implique une rotation du
poignet). Deux points de vue peuvent alors être adoptés : soit l’action est réali-
sée avec une partie du corps qui figure l’ensemble de l’actant (bouger les doigts

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pour figurer l’action de marcher) et le locuteur adopte alors un point de vue


d’observateur, soit le locuteur utilise l’intégralité de son corps pour mimer l’ac-
tion (bouger les coudes pour figurer l’action de courir) et il adopte alors un
point de vue d’actant. La frontière est parfois mince entre les iconiques et les
emblèmes car certains iconiques ont été complètement conventionalisés, alors
que d’autres constituent de légères adaptations de gestes conventionnels, quand
d’autres enfin ne sont réalisés que par un locuteur dans une situation spécifique.
• Métaphoriques : ces gestes figurent des idées abstraites, par exemple,
déplacer la main vers la droite pour signifier « et ensuite ». Ils sont plus souvent
liés à l’information grammaticale qu’à l’information lexicale du message.
L’ensemble de ces gestes se rencontrent dans les interactions spontanées
et forment un tout avec la parole. Leur acquisition suit d’ailleurs le même déve-
loppement que l’acquisition du langage chez les enfants, qui produisent d’abord
des déictiques, puis des iconiques (en lien avec le développement de leur voca-
bulaire) et enfin, les battements et les métaphoriques (Colletta, 2004). L’acquisi-
tion des emblèmes est plus progressive.
Gestes bi-dimensionnels
Suite au travail sur corpus qu’un certain nombre de chercheurs ont mené
dans la communauté scientifique internationale, McNeill (2005), reprenant les
catégories définies en 1992, ajoute néanmoins un point capital : un geste peut
relever de plusieurs catégories à la fois (dans notre propre analyse de corpus,
nous n’avons pas trouvé de gestes relevant de plus de deux catégories simulta-
nément). Cet aspect montre toute la complexité de la modalité visuelle.
Dans le cas d’un geste réalisé avec une seule main, il est possible en effet
que le geste ne relève que d’une catégorie, mais il peut aussi relever de deux
catégories différentes : par exemple, la configuration des doigts de la main peut
figurer un type de déplacement (geste iconique) et la trajectoire du geste, une
direction (geste déictique).
Dans le cas d’un geste bi-manuel, si les deux mains sont symétriques, on
se situe dans le même cas de figure qu’avec un geste réalisé avec une seule
main, mais il est également possible que le geste soit réalisé avec deux mains en
configuration asymétrique. Dans ce cas, il n’est pas impossible qu’une main
serve de point de référence à l’autre main qui va réaliser le mouvement. Ainsi,
dans un corpus, pour l’expression « longer la route », le locuteur place sa main
gauche à plat et effectue un mouvement figurant « avancer auprès de » avec la
main droite qui frôle la main gauche. Les deux mains réalisent alors un geste
iconique mais la main gauche a aussi une fonction de référent déictique.

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Ceci a une influence en termes d’annotation de corpus, qui doit pouvoir


rendre compte de la multi-dimensionnalité des gestes manuels, sachant que l’on
peut également rencontrer deux gestes produits en chevauchement partiel ou
total par chacune des deux mains.

♦ Corpus d’annotation multimodale


Afin de pouvoir enrichir l’analyse multimodale de la parole, un certain
nombre de projets se sont développés, dont l’objectif est d’annoter des corpus
vidéos de manière systématique. L’ANR a ainsi financé en 2005 le projet
« L’acquisition et les troubles du langage au regard de la multimodalité de la
communication parlée », décrit dans Colletta et al. (2008). L’ANR a également
financé le projet « Outils pour le traitement des informations multimodales »,
décrit dans Bertrand et al. (2008), et sur une partie duquel repose cet article. Ce
projet a pour but de constituer un corpus de français parlé, annoté linguistique-
ment dans différents domaines : phonétique, prosodie, morphologie, syntaxe,
discours et gestualité. Le but est de pouvoir mettre en relation des informations
linguistiques de différents niveaux, annotées indépendamment les unes des
autres, et de pouvoir appliquer la méthodologie d’annotation à d’autres types de
corpus (il est très envisageable par exemple, avec des modifications mineures,
d’annoter des corpus de parole pathologique et de comparer ensuite ces corpus à
de la parole spontanée non pathologique). L’annotation est réalisée grâce aux
logiciels Praat (Boersma & Weenink, 2009) pour ce qui concerne les annota-
tions phonétiques et prosodiques et Anvil (Kipp, 2001) pour l’annotation de la
gestualité. Il serait trop long ici de donner le détail du schéma d’encodage utilisé
pour la gestualité, qui est décrit de manière assez détaillé dans Tan et al. (2010).
Il nous semble en revanche plus intéressant de voir quelles observations peuvent
permettre ce type de corpus — sachant que l’annotation du corpus CID est tou-
jours en cours car il s’agit d’un processus complexe où l’annotation ne peut se
faire que manuellement à l’heure actuelle.
Variabilité des gestes
La première question qui se pose sur les gestes concerne leur variabilité et
donc la difficulté d’effectuer des généralisations sur les corpus. En effet,
McNeill (1992) mentionne les différences culturelles qu’il peut y avoir d’une
communauté linguistique à une autre, tant dans la densité gestuelle que dans la
forme des gestes produits. Mais qu’en est-il de la variabilité au sein d’une même
communauté linguistique ? A partir du corpus CID, pour lequel nous avons à
l’heure actuelle annoté 1795 gestes manuels produits par 6 locuteurs, il apparaît
que le nombre de gestes produits par chaque locuteur varie du simple au double

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et qu’il y a également une variation en termes d’amplitude des gestes produits


selon le locuteur. En revanche, un test ANOVA révèle que le nombre de gestes
moyen produit par les locuteurs ne varie pas de manière significative
(F(2.62)=1.39, p=0.26), non plus que le nombre moyen par type de geste
(F(2.75)=2.03, p=0.12). Ce qui varie en revanche, c’est la répartition des types
de gestes pour chaque locuteur. Ainsi, comme l’indique la Figure 1 ci-dessous,
le locuteur 2 du corpus produit moins d’adaptateurs que le locuteur 1 au profit
des métaphoriques. Les autres types de gestes sont produits dans des propor-
tions similaires par les deux locuteurs. Il serait d’ailleurs intéressant de voir si
ces variations ont un lien avec le temps d’articulation de chaque locuteur.

Figure 1 : Proportion de gestes manuels pour deux locuteurs du corpus CID

Une autre source possible de variation des gestes tient dans le genre dis-
cursif. Ceci ne peut pas être testé sur le CID qui ne comporte que des enregistre-
ments de parole conversationnelle, avec une tâche qui favorise le genre narratif,
mais une observation superficielle d’autres types d’enregistrements semble
montrer que le type de gestes produits par les locuteurs varie effectivement
selon le genre discursif :
• Dialogue vs. monologue : les adaptateurs seront beaucoup moins pré-
sents dans des situations de monologue que dans des situations de dialogue.
• Formel vs. informel : les iconiques seront moins présents dans un dis-
cours formel que dans un discours informel au profit des métaphoriques.
• Intention communicationnelle : dans un discours injonctif ou pédagogi-
que, il est vraisemblable que la proportion de déictiques sera plus élevée que
dans d’autres types de discours, alors que dans un discours argumentatif, on
trouvera plus de métaphoriques et de battements et dans un discours narratif,
plus d’iconiques.

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S’il peut y avoir une grande variabilité selon le genre discursif pour ce qui
concerne les gestes manuels, il est en revanche peu probable que l’on observe la
même variabilité pour les autres types de gestes (mouvements de tête, des sour-
cils) qui jouent un rôle plus grammatical dans le discours. De plus, si l’on consi-
dère les caractéristiques des gestes manuels produits, l’on constate que ce sont
régulièrement les mêmes configurations manuelles (forme des doigts), trajectoi-
res et types de mouvements qui reviennent régulièrement. En conclusion, la via-
riabilité observée sur le plan de la gestualité n’est sans doute pas plus impor-
tante que la variabilité existant dans d’autres domaines linguistiques
(phonétique, syntaxe...).
Alignement gestes / parole
Si certains gestes sont produits en complémentarité de la parole, d’au-
tres en revanche apportent une information qui est redondante par rapport au
message verbal, même si cette redondance n’est jamais totale dans la mesure
où le simple fait de produire un geste redondant non obligatoire peut modi-
fier la perception du message (en termes d’emphase par exemple). Ces gestes
redondants, en particulier certains iconiques, sont particulièrement utiles
dans la mesure où ils permettent d’étudier très précisément leur alignement
avec la parole, puisqu’il est possible pour ce type de gestes de les associer à
ce que l’on nomme un ‘affilié lexical’ — un mot du discours illustré par le
geste. Dans une étude précédente (Ferré, 2010), nous avons ainsi pu étudier
l’alignement geste/parole pour 244 gestes iconiques produits par les 6 locu-
teurs du corpus CID. Loehr (2004) avait trouvé une synchronisation entre
l’apogée des gestes (tous gestes confondus) et les accents lexicaux (tous
accents confondus), même s’il adoptait une fourchette temporelle de plus ou
moins 275 ms, ce qui nous semble relativement large. Aussi n’avons-nous pas
concentré nos efforts sur l’accent. En revanche, nous souhaitions avoir plus
de précisions sur l’alignement temporel du geste avec le groupe intonatif tel
qu’il est défini dans la théorie de Selkirk (1978), ainsi que l’alignement de la
phase dynamique du geste avec l’affilié lexical correspondant. Dans ce but,
nous avons annoté chaque phase de réalisation des gestes manuels en adop-
tant les phases gestuelles suggérées par Kendon en 1980 (cité dans McNeill,
1992) : le geste commence par une préparation (mise en place des articula-
teurs), puis vient une phase de réalisation (le geste lui-même), qui peut être
suivie d’une tenue (les articulateurs font une pause) avant la rétraction
(retour des articulateurs à une position de repos). Nous avons ensuite mis en
relation le début de la phase de préparation avec le début du groupe intonatif
et le début de la phase de réalisation avec le début de l’affilié lexical. Nous
avons aussi mesuré la durée de l’affilié lexical et du groupe intonatif d’une

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part, que nous avons comparée avec la durée du geste dans son ensemble et
de la phase de réalisation d’autre part.
Sur le plan de la durée, il est apparu que le geste dans son ensemble est
plus long que le groupe intonatif comportant l’affilié attaché au geste. De la
même manière, la phase dynamique du geste (réalisation) est plus longue que
l’affilié lexical auquel elle correspond.
Sur le plan de l’alignement temporel, il est apparu que le geste dans son
ensemble commence avant le groupe intonatif et se termine légèrement après le
groupe intonatif. De même, la phase dynamique du geste commence avant l’af-
filié lexical auquel elle correspond et se termine légèrement après celui-ci (les
chiffres précis sont donnés dans Ferré, 2010). Nous pouvons ainsi proposer l’or-
ganisation temporelle suivante :

Figure 2 : Organisation temporelle des iconiques redondants par rapport à la parole

Dans une proposition (Ferré, soumis), nous allons systématiser l’annota-


tion des affiliés afin de pouvoir établir des liens entre les pointages (gestes déic-
tiques) et leur affilié lexical, mais aussi entre les pointages et d’autres types de
gestes. Cela permettra de comprendre comment se construit la référenciation au
fil du discours, car s’il y a un lien évident entre les gestes et la parole qu’ils
accompagnent, les locuteurs établissent également des liens entre certains gestes
et d’autres gestes produits plus tôt dans le discours en se référant à un espace
déterminé, ou de manière simultanée (pointer du regard vers un geste réalisé
avec les mains). D’autres études sont en cours sur le rôle du geste dans la réali-
sation de la focalisation ou la construction de la modalité, et sur l’effet de la
recherche lexicale sur le geste. Ce dernier point est particulièrement intéressant.
Ainsi, Scharp et al., citant une étude de Mayberry & Jaques réalisée en 2000,
mentionnent le fait que les personnes bègues stoppent la phase de réalisation du
geste tout en maintenant les mains dans la même configuration jusqu’à la fin de
la dysfluence (2007 : 7). Si l’on compare ce résultat avec les premières obser-
vations faites sur corpus de parole spontanée chez des locuteurs ne présentant
pas de pathologie, il apparaît que les choses se passent différemment lors de la
recherche lexicale : le geste est d’abord réalisé dans son intégralité, puis répété,
la plupart du temps dans des formes atténuées (avec une moins grande ampli-

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tude le plus souvent), jusqu’à ce que le mot juste soit produit. Ces premières
observations mériteraient grandement d’être vérifiées de manière systématique.

♦ Conclusion
« Verbal communication and gesture are produced in parallel, and ges-
ture is a potentially equal participant in the conceptual/planning stages. Com-
municative expression thus occurs via both verbal and spatial means, providing
a temporally linked, non-redundant, multidimensional, content-rich message 8 »
(Scharp et al., 2007 : 2). Cette citation montre tout l’intérêt des études multimo-
dales à la fois pour décrire la parole non pathologique et ainsi constituer une
référence pour l’évaluation des troubles du langage, mais aussi pour la remédia-
tion thérapeutique. Si les auteurs de la citation considèrent que la prise en
compte de la gestualité est un atout dans la thérapie, cette prise en compte sup-
pose que l’on ait une bonne connaissance du fonctionnement de la gestualité co-
verbale dans la parole dite normale. L’objectif de cet article a donc été de pré-
senter un bref état de l’art des études multimodales, en mettant l’accent sur la
constitution et l’annotation de corpus de parole spontanée. Ces annotations per-
mettent d’ores et déjà d’effectuer des mesures sur l’alignement temporel entre
geste et parole et rendent possibles d’autres études sur le système linguistique à
l’œuvre.

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8. Communication verbale et gestualité sont produites en parallèle, et la gestualité participe tout autant que la
parole aux étapes de conceptualisation et de planification du message. L’expression communicative se réalise
aussi bien par des moyens verbaux que par des moyens spatiaux, donnant jour à un message non redondant,
multidimensionnel, riche sur le plan du contenu et dans lequel s’expriment des relations temporelles.

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La prosodie au cœur du verbal


Anne Lacheret

Résumé
Avant l’accès au langage articulé, dès les premières semaines de la vie, la prosodie est
essentielle dans le développement des relations intersubjectives. Initiatrice principale du
langage, c’est aussi elle qui perdure lors de l’apprentissage de langues secondes, celle,
enfin, qui nous ramène vers ce langage primitif, d’où, dit-on, la double articulation est
absente. Cette irréductibilité de la prosodie est fondamentalement associée à sa dimension
sémiotique : contrairement au seul rôle qu’on a voulu lui attribuer pendant longtemps, la
prosodie n’est pas une simple musique vocale qui accompagne librement les modulations
de la pensée et qui, de ce fait, doit rester cantonnée dans la sphère du paralinguistique, elle
s’inscrit d’emblée au cœur de la communication langagière.
Mots clés : prosodie linguistique, prosodie affective, groupement, proéminence perçue,
paramètres acoustiques.

Prosody : At the heart of language


Abstract
From the first weeks of life, before the acquisition of spoken language, prosody is essential
in the development of human intersubjectivity. It is the main initiator of language, making
the prosody of one’s mother tongue difficult to escape when learning second languages. In
addition, prosody is often the only remaining linguistic component in language disorders
(speech loss). This irreducibility of prosody is basically due to its semiotic dimension and its
linguistic functions: far from being merely an optional musical component of speech, linked
only to the para-verbal domain, prosody is at the heart of verbal communication and absolu-
tely necessary for the construction of meaning in discourse.
Key Words : linguistic prosody, affective prosody, prosodic group, perceived prominence,
acoustic cues.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Anne LACHERET
Professeur des Universités
Université Paris Ouest
Nanterre la défense
UFR LLPHI
Laboratoire MODYCO UMR 7114
Sciences du Langage
200 avenue de la République
92001 Nanterre Cedex
Courriel : anne@lacheret.com

♦ La prosodie du message parlé

L
a prosodie constitue un objet d’étude complexe par rapport à la compo-
sante segmentale de la parole, ceci pour des raisons liées d’une part à sa
spécificité même, d’autre part au champ disciplinaire dont elle relève, i.e.
l’histoire des idées en linguistique et en phonétique. Concernant le premier point,
soulignons les deux caractéristiques essentielles de la prosodie : sa dimension
continue qui rend difficile le repérage et l’extraction d’unités discrètes, ses fonc-
tions linguistiques plurielles : elle interagit avec les différents niveaux de repré-
sentation du langage : phonologique syntaxique et sémantico-pragmatique1. De
cette singularité découle le second point : c’est sans doute cette complexité for-
melle et fonctionnelle, d’où la double articulation est absente, qui a conduit pen-
dant longtemps à écarter la prosodie du champ de la linguistique structurale (pour
une revue, voir Lacheret 2010). Il faudra donc attendre les travaux en traitement
automatique du langage, en linguistique appliquée (enseignement d’une langue
étrangère) et plus récemment dans le champ des sciences cognitives pour que la
prosodie trouve ses lettres de noblesse. Néanmoins, pour une première approche
du domaine, il reste souvent naturel d’assimiler la prosodie au domaine du para-
verbal et de l’extralinguistique (Boutard & Guillon, 2010), le verbal ne pouvant
désigner que le matériel segmental, (phonèmes, morphèmes et syntagmes). C’est
contre cette vision réductrice qu’il est nécessaire d’argumenter scientifiquement
en expliquant pourquoi et comment la prosodie appartient à part entière à la
sphère linguistique : composante incontournable de la construction du sens en
contexte, elle est indispensable pour une communication réussie. Pour les ortho-
phonistes et d’une manière plus générale, les différents acteurs impliqués dans la
rééducation langagière, il semble important de se saisir des différentes compo-

1. Par sémantico-pragmatique, nous désignons la construction du sens en contexte.

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santes linguistiques de la prosodie, dans sa matérialisation sonore, sa dimension


formelle et son rôle fonctionnel et son implication majeure dans la communica-
tion verbale. Ce point constitue un préalable nécessaire pour aborder sur des
bases solides, avec les bons outils méthodologiques et conceptuels les dysproso-
dies auxquelles ils peuvent être confrontés dans leurs pratiques professionnelles,
quelle que soit l’origine du trouble et son expression sonore.

♦ Un objet d’étude complexe


Sous l’angle cognitif, la prosodie, qui correspond aux faits intonatifs et
accentuels, assume deux fonctions : une fonction de groupement (intonation) et
une fonction de mise en relief (accentuation)2. D’une part, les constructions pro-
sodiques fournissent des indices à l’interlocuteur pour segmenter le continuum
sonore et identifier des unités linguistiques de rang et de portée variable ; il
s’agit d’autre part de rendre perceptivement saillants les éléments importants du
message. A ces fonctions font écho deux principes élémentaires que nous propo-
sons de nommer respectivement principe de contraste et principe gabaritique.
Selon le premier, la sémantique du message n’émerge que par la mise en
contraste perceptive des formes (faible vs. forte)3. Selon le second principe, les
contrastes doivent être distribués sur la chaîne parlée relativement à l’ensemble
des contraintes fonctionnelles sous-jacentes (lexicales, syntaxiques, sémantico-
pragmatiques) et à leur combinaison éventuelle ; le gabarit prosodique mobilisé
(enveloppe temporelle et mélodique) étant censé rendre compte de la nature et
de la force des contraintes en jeu, et de la façon dont elles se distribuent sur la
chaîne parlée.
Du point de vue de l’analyse, l’objectif est d’expliquer comment s’orga-
nisent et interagissent ces contraintes et comment elles se réalisent acoustique-
ment4. Trois angles d’attaque sont convoqués de façon complémentaire : (i) le
traitement phonétique concerne l’analyse acoustique et perceptive des données,
(ii) l’analyse phonologique propose des représentations abstraites qui permet-
tent d’unifier la description et de rendre compte des variations accentuelles et
intonatives observées en parole, (iii) l’interprétation fonctionnelle met au jour
les contraintes linguistiques qui sous-tendent la structuration prosodique du
message parlé. Si les processus de groupement et de mise en relief prosodique

2. Elle relève donc des composantes syntagmatique et paradigmatique du message parlé.


3. Ce principe n’étant sans doute pas spécifique à la prosodie ni même au langage mais correspondant à une
fonction cognitive élémentaire d’organisation de formes (Laks 1997).
4. La détection d’une variation mélodique ample accompagnée d’un allongement temporel est ainsi considérée
comme un indice de frontière de groupe en français ; la forme du contour (convexe ou concave), sa direction
(montante ou descendante) donne des indications sur sa modalité (figure 4).

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sont sans doute des universaux du langage, leurs marquages varient selon les
types de langue, les méthodes et les outils de description et d’analyse doivent
bien sûr en tenir compte ; dans le cas présent nous nous focaliserons sur la pro-
sodie du français parlé (pour une revue, voir Lacheret & Beaugendre 1999).

♦ Perspective sonore
Trois paramètres sont mobilisés de façon première dans l’organisation
prosodique du signal de parole (figure 1) : la fréquence fondamentale (estima-
tion du son laryngien à un instant donné sur le signal acoustique), la durée
(mesure d’un intervalle de temps nécessaire pour émettre un segment sonore),
enfin, l’intensité (relative à l’énergie contenue dans le signal). A ces éléments,
s’ajoute la qualité vocale, i.e. les caractéristiques spectrales de la parole qui peu-
vent, entre autres choses, constituer des indices de frontières de segments (Gen-
drot 2009). Parmi ces paramètres, correspondant respectivement, sous l’angle
perceptif, à la mélodie, la longueur, la sonie et le timbre, c’est sans nul doute la
mélodie (variations de la hauteur de la voix) et la durée (variations temporelles)
qui ont été les plus étudiées et qui, en conséquence, sont les mieux référencées
dans la littérature. L’intensité quant à elle demande des conditions d’enregistre-
ment très contrôlées pour produire des mesures significatives, quant à la qualité
vocale, ce n’est que récemment qu’elle a commencé à faire l’objet d’investiga-
tions fines en parole (D’Alessandro 2006). Nous nous centrerons donc ici sur
les variations mélodiques et temporelles, et partirons des questions suivantes :
(i) dans quelle mesure ces variations constituent des indices acoustiques fiables
pour segmenter le continuum sonore et identifier des unités de traitement lin-
guistique pertinentes ? (ii) à quelles fonctions linguistiques sont associées ces
variations (morphologique, lexicale, syntaxique, etc.) ? Les réponses seront évi-
demment variables en fonction du type de langue (Hyman 2006), celles pour
lesquelles la prosodie joue un rôle lexical (langues à tons, langues à accent mor-
phologique)5 et celles dans lesquelles elle intervient essentiellement au niveau
post-lexical6 dans l’organisation globale du discours. Indépendamment des dif-

5. Dans les langues à tons, les variations de hauteur mélodique (ou variations tonales) sont encodées et réali-
sées au niveau lexical (niveau du mot) pour opposer des paires minimales, i.e. des mots sémantiquement diffé-
rents (ex. [bOner] en norvégien, prononcé respectivement avec les tons HLH vs LLH signifie dans le premier
cas paysan dans le second haricots). Dans les langues à accent morphologique, si la valeur sémantique reste la
même, en revanche la catégorie syntaxique du mot contraint sa distribution accentuelle ; ainsi en anglais,
Record (verbe : enregistrer ou nom : disque), ne portera pas le même schéma accentuel : position finale vs.
initiale de l’accent. A notre que (i) la complexité des systèmes tonaux et le nombre de tons distinctifs varient
selon les types de langue, (ii) certaines langues peuvent combiner un système tonal et un système accentuel,
c’est le cas du norvégien, pour une raison d’économie du système, les oppositions tonales restent alors relati-
vement rudimentaires.

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férences typologiques, on peut se fixer comme première tâche de localiser les


proéminences syllabiques distribuées sur la chaîne parlée. Cette étape constitue
en effet la pierre angulaire du traitement prosodique : c’est en fonction des
proéminences accentuelles perçues que l’auditeur va générer et interpréter la
structure prosodique. Pour revenir au français, selon la littérature, les accents
dans cette langue ont un rôle démarcatif puisqu’ils permettent d’identifier des
fins de groupes syntactico-sémantiques. Le français serait donc plutôt une lan-
gue à frontière qu’à accent. En pratique, l’observation des données montre
qu’en français contemporain, la distribution de l’accent est très variable, le mar-
quage d’un groupe pouvant également être réalisé à sa frontière gauche7, en
outre, comme on le verra plus loin, on observe de nombreuses proéminences
non démarcatives (ni finales, ni initiales de groupes), motivées par des contrain-
tes rythmiques et/ou pragmatiques.
Si la distribution des accents est très variable et reste finalement difficile-
ment prédictible en français, on constate en revanche que les proéminences sylla-
biques perçues sont généralement marquées par des variations significatives de la
mélodie et/ou de la durée, donc facilement repérables dans la chaîne parlée et
modélisables (figure 3). Il est classique de représenter ces variations par des
contours intonatifs, i.e. des patrons mélodiques prototypiques qui se réalisent
dans un empan temporel donné et que l’on peut caractériser en termes de traits
(Martin 1981) ou, par une de suite de tons (Mertens 2004) qui spécifient la durée
du contour (long ou court), sa direction (plat, montant, descendant ou en
cloche)8, son amplitude (ample ou restreint), les niveaux de hauteur traversés, etc.
Pour le chercheur, il s’agit donc de définir des modes de représentation de
la prosodie produite et perçue, de repérer et d’annoter ses corrélats acoustiques
sur le signal de parole en montrant par exemple dans quelle mesure ces corrélats
varient en fonction de la proéminence syllabique (terminale ou non de groupe
prosodique)9. Le problème auquel on se heurte ici est, rappelons-le, la dimen-

6. Opposition technique pour distinguer les processus qui opèrent au niveau du mot (lexical) et ceux qui affec-
tent le niveau du discours (postlexical). L’unité d’analyse n’est donc pas la même (mot vs groupe de mots).
7. En conséquence, certains parlent d’arc accentuel, d’accent bipolaire, voire d’arc accentuel complexe
(Fonagy 1979, Di Cristo 1999, Astesano 1999).
8. Les contours montants et descendants sont les mieux décrits dans la littérature prosodique, ils sont appelés
respectivement continuatifs et conclusifs (Rossi & al. 1981). En fonction de l’amplitude du geste, ces contours
sont dits mineurs (amplitude faible) ou majeurs (amplitude forte).
9. Dans la figure 2, on observe que seule la syllabe terminale est porteuse d’un contour dynamique (HF).

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sion continue de la prosodie, continuité qui s’exprime sous l’angle syntagmati-


que (axe linéaire de la chaîne parlée), mais également par la nature scalaire des
proéminences. Du point de vue syntagmatique d’abord, il faut choisir un
domaine segmental de description, ou point d’ancrage temporel, pour l’analyse
des contours intonatifs. S’il est classique de manipuler des contours syllabiques,
on peut également travailler avec des contours de mot, de syntagme, voire
d’énoncé10. Tout dépend de ce dont on souhaite rendre compte fonctionnelle-
ment mais également du type de parole produite. Ainsi, dans la communication
préverbale précoce, jusqu’à au moins 8 mois, il semble illusoire de penser que
la syllabe constitue un point d’ancrage robuste et les chercheurs travaillent sur
des segments plus larges (Gratier 2010, Martel & Leroy-Collombel 2010). Pour
résumer ce premier point, en fonction de l’ancrage segmental de la mélodie, le
degré de discrétisation du continuum sonore n’est pas le même. Concernant le
second point, une syllabe est perçue proéminente, non pas dans l’absolu mais
relativement à son contexte et de façon parfois très variable d’un auditeur à un
autre. Par ailleurs, la perception n’est pas catégorielle (contrairement aux phé-
nomènes segmentaux) mais graduelle et continue, i.e. une syllabe n’est pas per-
çue accentuée ou non mais plus ou moins accentuée, c’est pour cela que l’on
parle de degré accentuel (Dell 1984, Avanzi & al. 2010).

Dans ce contexte, les analyses empiriques (oreille, papier, crayon) ne sont


plus tenables. Il est plus que jamais nécessaire de se doter d’outils de mesure
adéquats pour déterminer objectivement les variations temporelles et mélodi-
ques significatives : seuils d’allongement et/ou de hauteur, registre11, amplitude
d’un mouvement mélodique nécessaires pour considérer qu’un segment est pro-
sodiquement saillant et peut être porteur d’un effet de proéminence, débit de
parole12, etc. De tels outils présupposent des méthodes d’annotation prosodique
de corpus dont la nature et le degré de granularité varient en fonction de ce à
quoi va servir le matériel ainsi annoté. Quel que soit l’objectif, le point de
départ est toujours le même : il s’agit, à partir d’un enregistrement sonore et
d’une transcription associée, de produire un alignement texte-son et sur ces

10. De ce point de vue, la notion de contour est ambiguë (Avanzi 2011) puisqu’elle renvoie à deux types d’ob-
jets : elle désigne soit les segments de courbe mélodique portés par les syllabes (figure 2), soit des patrons
mélodiques globaux (de mots, groupe ou énoncé (figure 4)).
11. Défini entre une ligne mélodique de base et une ligne haute. On peut utiliser 3 (bas, moyen, haut) ou 4
(infragrave, grave, aigu, suraigu) niveaux de hauteur.
12. Différentes mesures peuvent donner des indications précieuses quant au débit de parole : nombre total de
phonèmes articulés dans une séquence, temps de locution (ou temps passé à prononcer un énoncé), temps de
pause, nombre de pauses (pour des indications de mesure, voir Lacheret & Beaugendre 1999, 255-256).

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bases de réaliser une annotation prosodique des données. Parmi les divers outils
disponibles, le logiciel PRAAT, gratuitement téléchargeable et très bien docu-
menté (Boersma P. & D. Weenink 2011) constitue une bonne ressource pour
amorcer un tel type de travail. Par ailleurs, des protocoles d’annotation (annota-
tion des proéminences accentuelles, repérage des frontières prosodiques de dif-
férents rangs, schèmes tonals associés aux contours observés, étiquetage des
disfluences13, etc) voient progressivement le jour et peuvent constituer une base
solide pour dériver sa propre méthode d’annotation en fonction de son objet
d’étude.

♦ Une structure hiérarchique


Les phonologues posent comme hypothèse centrale que les constructions
prosodiques rencontrées dans la parole, i.e. la structure de surface, sont asso-
ciées à des représentations formelles abstraites (structure profonde) qui enco-
dent deux types d’informations, la première de nature tonale est associée aux
variations d’intonation, la seconde, de nature métrique, aux variations accen-
tuelles. Autrement dit, il existerait des patrons tonaux et métriques sous-jacents
encodés dans la grammaire mentale des locuteurs (Jun & Fougeron 1995). Ces
patrons appartiennent à des domaines, i.e. des constituants prosodiques qui s’or-
ganisent hiérarchiquement en vertu de contraintes morphosyntaxiques de base
(Selkirk 1984, Nespor et Vogel 1986, Delais 2005). On distingue minimalement
deux domaines à l’intérieur d’un énoncé respectivement dénommés : consti-
tuants majeurs, ou syntagme intonatifs (au plus haut dans la hiérarchie) et
constituants mineurs, ou syntagmes accentuels (au plus bas dans la hiérarchie).
Selon une seconde hypothèse, les variations prosodiques observées dans la
structure de surface rendent compte de cette représentation abstraite de la proso-
die. Ainsi, il a été montré très vite que plus le niveau du constituant prosodique
actualisé dans la structure de surface est élevé dans la hiérarchie, plus les fron-
tières intonatives et les proéminences syllabiques qui les réalisent sont impor-
tantes (Rossi & al 1981), et l’occurrence des pauses fréquentes (Grosjean &
Dommergues 1983). Selon des travaux récents, il existerait une corrélation entre
les variations temporelles des segments aux frontières des constituants et leur
place dans la hiérarchie prosodique (allongement moindre pour un constituant
mineur notamment, Fougeron 2001). En conséquence, la perception des varia-
tions temporelles et mélodiques dans le signal de parole permet à l’auditeur de

13. On définit une disfluence comme un élément qui brise le déroulement syntagmatique dans la chaîne par-
lée, une sorte de trébuchement vocal. Il peut prendre différentes natures et correspond souvent à un allonge-
ment syllabique excessif associé au travail de formulation en cours.

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reconstruire la structure prosodique sous-jacente et le cas échéant de repérer des


dysfonctionnements dans les cas où par exemple les degrés de frontières ne
s’alignent pas sur les domaines des constituants (une frontière forte qui ponctue
un constituant syntaxique mineur par exemple, cf. supra principe gabaritique,
infra figure 5). Reste à savoir quand-même si ces dysprosodies révèlent un dys-
fonctionnement dans les représentations sous-jacentes stockées par le locuteur
où sont exclusivement corrélées à des problèmes moteurs.

♦ Des fonctions plurielles


Partant du principe que les structures du langage sont déterminées fonda-
mentalement par les fonctions qu’il sert (Robert 2002), nous nous pencherons
sur les deux fonctions centrales de la prosodie en français : (i) une fonction de
structuration du message (segmentation, intégration, hiérarchisation, groupe-
ment, équilibre), (ii) une fonction pragmatique, qui s’organise autour de
contraintes communicatives plurielles : traitement de l’information, modalités
énonciatives (marquage de la force illocutoire d’un énoncé), expression des
émotions.
Fonction syntaxique
La prosodie assume une fonction syntaxique, on parle d’intonosyntaxe14,
dans la mesure où en premier lieu, le profil prosodique global d’un énoncé (une
phrase) donne des informations sur sa modalité syntaxique (affirmation, interro-
gation, question, ordre, etc., cf. infra, figure 4). Ensuite, on l’a vu, à l’intérieur
de l’énoncé, l’intonation permet d’indiquer la hiérarchie des constituants qui se
construisent sur les bases de contraintes morphosyntaxiques minimales. Ainsi,
(i) un syntagme accentuel est formé d’une tête lexicale et de ses dépendants, (ii)
le degré et la distribution des frontières prosodiques sont corrélés à la hiérarchie
syntaxique15. Autrement dit, la structure intonative a une fonction d’actualisa-
tion de la hiérarchie syntaxique. Ainsi, dans les deux énoncés suivants (Cauvet
& al. 2010) :
(le petit chien mort) (sera enterré)
(le petit chien) (mord la laisse)
La segmentation intonative guide le calcul syntaxique on line des énoncé :
« mort » adjectif vs. « mord » verbe.
14. Au sein de ce champ intonosyntaxique, les chercheurs se donnent comme objectif principal de cerner les
corrélations régulières et d’en expliquer les fondements discursifs et cognitifs.
15. En français, la force d’un accent terminal serait proportionnelle à la force de la coupe syntaxique qui le
suit (Dell 1984).

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Fonction rythmique
Au rôle syntaxique de la prosodie viennent se greffer des contraintes ryth-
miques propres à la dimension sonore du message, articulées autour de deux
principes dénommés respectivement principe d’eurythmie et principe de pro-
gression, qui conduisent à une réorganisation partielle de la structure intonosyn-
taxique de base.
Selon le principe d’équilibre rythmique, ou eurythmie, a priori universel :
(i) deux syllabes contiguës dans la chaîne parlée ne peuvent pas être accen-
tuées, de tels contextes, dénommés contextes de clash accentuel, seront jugés
aprosodiques ; (ii) les groupes prosodiques qui se succèdent dans la chaîne doi-
vent être de taille équivalente (couramment 3 à 4 syllabes), peuvent difficile-
ment se constituer autour d’une seule syllabe et ne peuvent a priori pas excéder
7 syllabes à débit moyen. Ainsi, à l’énoncé l’autobus de Serre Chevalier va
arriver devrait correspondre la segmentation intonosyntaxique (l’autobus de
Serre Chevalier) (va arriver) mais la suite (l’autobus) (de Serre Chevalier) (va
arriver) sera rythmiquement plus optimale (3+5+4 vs. 8+4 syllabes) et donc
préférée. Toutefois, le marquage prosodique de la structure syntaxique reste ici
respecté si la proéminence accentuelle terminale qui frappe le premier groupe
est, toute chose égale par ailleurs,16 moindre que les proéminences subséquentes
(voir note 15). Cela n’est pas toujours le cas : la segmentation intonosyntaxique
(papa) (dîne) en vertu des principes 1 et 2 n’est pas acceptable dans le cadre
d’un modèle prosodique standard et soit (i)°les deux groupes seront fusionnés
en un seul (papa dîne), soit (ii)° il y a report du premier accent sur la syllabe
initiale du mot (papa dîne).
En vertu du principe de progression (Lacheret & Beaugendre 1999), la
taille des groupes n’est pas équivalente mais, au contraire, augmente progressi-
vement au fur et à mesure de l’énoncé (ex. (pas d’train) (pas d’bus) (prenez un
aribus).17
En pratique donc, les réorganisations rythmiques sont nombreuses et
expliquent partiellement pourquoi la place de l’accent est si difficilement pré-
dictible en français (cf. supra, §.3.). Cela dit, le rythme n’explique pas tout : il
existe dans le message parlé des contraintes beaucoup plus fondamentales

16. Indépendamment de contraintes pragmatiques qui pourraient venir modifier encore ce patron accentuel de
base.
17. On peut supposer que cette progression rythmique est, dans certains genres de discours en tous cas, liée à
la nature même dont est encodée l’information (de la moins essentielle à la plus importante) ; selon Givon
(1994), plus la séquence informationnelle sera dense, plus le constituant qui la code sera long.

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encore auxquelles viennent également se modeler les constructions rythmiques,


il s’agit des contraintes sémantico-pragmatiques. Elles sont de trois ordres : (i)
le traitement de l’information et l’encodage de la structure communicative (voir
note 17), (ii) le champ de la coénonciation, (iii) : la dimension expressive du
message (expression des émotions, sentiments et attitudes).

Fonction sémantico-pragmatique
En termes de traitement de l’information, un énoncé type est articulé
autour de deux éléments centraux : un élément donné dont on dit quelque chose,
accessible par le cotexte discursif ou le contexte situationnel18, cet élément est
appelé thème, ou topic, et une information nouvelle dénommée rhème ou focus.
A ces catégories conceptuelles répondent des positions dédiées dans la chaîne
parlée. Ainsi en français ordinaire, le thème, qui actualise minimalement une
entité référentielle, est extrait en position initiale (on parle aussi de position déta-
chée), le rhème est encodé par une proposition subséquente (ex. le cheval, il est
parti). Face à cette organisation prototypique, on trouve des variantes de
construction dont on pose l’hypothèse qu’elles ont toutes une motivation fonc-
tionnelle précise : thème extrait à droite (il est parti, le cheval), clivage comme
dispositif syntaxique idéal pour focaliser un élément (c’est hier que le cheval est
parti), etc. Ainsi, une construction donnée en entrée s’articule autour de diffé-
rents champs que l’on peut voir comme des zones topologiques. Chaque champ
convoque un profil prosodique spécifique : une frontière majeure actualisée par
un contour montant, ou continuatif, marque la fin du champ gauche, i.e le thème
détaché en position initiale d’énoncé ; dans un dispositif clivé, le champ focal
est réalisé par une saillance prosodique double : proéminence initiale sur le
focus et contour terminal descendant, ou conclusif, à la fin de la zone focale ; le
champ droit, qui instancie un thème repris, est indiqué par une intonation paren-
thétique, i.e. basse et peu modulée, etc. Par conséquent, la distribution d’un élé-
ment et son profil prosodique donnent des indications très précises à l’interlocu-
teur sur son statut pragmatique (accessibilité référentielle du topic, degré
informationnel du focus, etc). D’une manière plus générale, une telle organisa-
tion vaut pour toutes les unités, i.e. pas seulement celles qui encodent des entités
référentielles ou des actes prédicatifs. Ainsi, dans : en avril, ne te découvre pas
d’un fil, en mai, fais ce qu’il te plait, les circonstants en tête d’énoncé (on parle
de cadrage thématique), sont soumis à la même contrainte de marquage de
champ gauche et donc ponctués par une frontière continuative majeure. Il en va

18. La notion d’accessibilité référentielle a fait l’objet de travaux abondants dans les grammaires cognitives et
fonctionnelles. Pour une revue et son application à la prosodie, voir Lacheret & François 2003.

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de même pour les adverbes modaux (franchement, tu exagères). Au fond, l’es-


sentiel pour le locuteur, qui opère par touches successives, n’est pas tant d’insis-
ter sur ce qu’il dit de nouveau que de bien montrer le point d’où il part (Morel &
Danon-Boileau, 1998), la saillance prosodique de cette zone d’ancrage énonciatif
est donc essentielle. A l’inverse, comme pour les thèmes repris dans le champ
droit, les parenthèses discursives sont prototypiquement dotées d’une intonation
basse et peu modulées (Martin arrive par le train de 8h, il me semble).
Comme l’illustrent les derniers exemples ci-dessus, le locuteur n’est pas
une simple machine à traiter de l’information, il le fait en fonction d’un but
communicationnel précis et, dans cette mise en forme de l’information, il
exprime un certain point de vue. Aussi, pour expliquer le rôle de la prosodie
dans l’encodage de la structure communicative, nous proposons de voir l’acti-
vité de langage comme la construction devant un auditoire d’une représentation
d’une certaine réalité et selon un certain éclairage, qu’on nommera à l’instar de
Grize (1990) schématisation discursive. D’où l’emprunt à Victorri & Fuchs
(1996) de la notion de scène verbale. Dans le cadre théorique que les auteurs
développent, l’acte d’énonciation de base serait constitué d’au moins deux élé-
ments : la description d’une scène et la donnée d’un point de vue sur cette
scène, ce deuxième élément étant essentiel pour le partage de la “vision”. En
suivant cette conception de l’interlocution, la structuration prosodique contribue
largement à la construction de la scène verbale et de ses différents éléments,
puisqu’elle sert, par le jeu des saillances syllabiques et des frontières intonati-
ves, soit à évoquer des entités ou des événements sur cette scène, soit à en modi-
fier le point de vue. L’expression du point de vue est étroitement associée au
concept de coénonciation. Ce dernier met en jeu l’ensemble des représentations
que l’énonciateur se fait de la pensée qu’il prête à son coénonciateur, des
connaissances partagées et de l’univers de référence commun. Selon Morel &
Danon-Boileau (1998), l’organisation intonative des constituants indique claire-
ment la relation que l’énonciateur tente d’établir avec son coénonciateur,
consensuelle ou non. Plus généralement et au-delà de ce cadre théorique parti-
culier, le marquage du point de vue dans le discours explique l’occurrence des
accents d’insistance internes de groupes (c’est incroyable) mais également cer-
tains contours terminaux encodant des valeurs illocutoires précises (assertion
avec implication, évidence, doute, etc.), voire des contenus expressifs et émo-
tionnels. On se trouve là au cœur de la prosodie expressive et affective dont il
faut également pouvoir rendre compte.
Les émotions peuvent être définies simplement comme des réactions
affectives intenses, des réponses de l’organisme à des situations données (Dar-
win 1872, Damasio 2010). Des travaux déjà anciens ont montré comment l’into-

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nation et l’accentuation fonctionnent à la fois comme des signaux expressifs


dans une situation de communication et des indices relatifs à l’émotion d’un
locuteur (Faure 1979, Fonagy 1983, Scherer & al. 1986)19. Pour une synthèse,
on pourra consulter Léon (1993) qui distingue les marqueurs acoustiques sui-
vants pour opposer prosodiquement les émotions : la variation de registre, l’am-
plitude et la nature d’un contour mélodique, son intensité, sa durée, et le tempo
associé au changement de débit. En suivant Léon (1993), on peut distinguer au
moins 3 types d’émotions de base : (i) les émotions brutes peu ou pas contrô-
lées, (ii) les émotions mieux canalisées, (iii) les attitudes contrôlées et codées
linguistiquement au plan de l’expression. Certains types émotionnels peuvent
selon les cas relever de telle ou telle catégorie. Par exemple, si on s’intéresse à
l’expression de la colère, sa manifestation prosodique ne sera pas la même selon
qu’il s’agit d’une réaction immédiate à une situation (émotion brute) ou de l’ex-
pression d’un sentiment bien maîtrisé, i.e. attitude (Grichkovtsova & al 2009).
Indice dans le premier cas : elle relèvera plus de la gesticulation glottique
immédiate, signal dans le second : on pourra y reconnaître des schémas mélodi-
ques et temporels caractéristiques de l’émotion en question. Ainsi, s’il existe
bien un système prosodique conventionnel, i.e. codé en langue, il possède égale-
ment une part de motivation irréductible à la composante médiale, i.e. phonéti-
que, qui l’exprime20.
Aujourd’hui, l’essor des travaux sur la parole affective, qui intéresse au
plus haut point la recherche clinique, témoigne de la dynamique du domaine et
des enjeux pour les sciences cognitives, au carrefour de la linguistique, de la
psychologie, des neurosciences et de la modélisation informatique. Trois axes
majeurs rendent compte de cette dynamique et illustrent chacun à leur manière
l’ancrage linguistique de la prosodie affective. Dans les travaux en neuroscien-
ces, où la question fondamentale est l’étude de la spécialisation hémisphérique
des fonctions cognitives, l’étude des prosodies affectives permet d’enrichir les
connaissances sur le réseau neural de la prosodie affective en appréhendant
notamment la coopération hémisphérique mise en jeu au cours du traitement du
discours (Beaucousin 2006). De ce point de vue, elle nous aide à mieux com-
prendre l’interaction entre sphère grammaticale et sphère affective dans les pro-
cessus langagiers (Di Cristo 2004). La thématique constitue également un enjeu
important pour la linguistique fonctionnelle et cognitive, qui interroge sous l’an-
gle sémiotique la notion d’expressivité vue comme la manifestation d’un rap-

19. Déjà chez Diderot, on trouve l’idée que les émotions se reflètent dans les articulations mélodiques de la
parole et trahissent même les mouvements secrets de l’âme.
20. Voir chez Fonagy (1970, 1971), la notion de bases pulsionnelles de l’intonation.

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port affectif et émotionnel du sujet percevant à un contenu, via les modalités


prosodiques et sémantiques. Dans quelle mesure les constructions prosodiques
sont en elles-mêmes et par elles-mêmes porteuses d’un contenu affectif ?
Jusqu’à quel point sont-elles dépendantes du domaine segmental (lexique et
constructions syntaxiques) ? Telles sont les questions qui sous-tendent l’ensem-
ble des travaux consacrés au sujet. (Hancil 2009). Enfin, les recherches interlan-
gues sur la dimension expressive de la communication parlée constituent un ter-
rain récent et fécond pour mieux saisir les traits caractéristiques des types de
langues, des types de discours et, d’une façon plus générale, la dimension cultu-
relle. De nouveaux projets ont donc vu le jour dans l’optique de mieux com-
prendre et de mieux simuler les mécanismes de perception et de production
sous-jacents à l’expression prosodique des affects sociaux (Abelin & Allwood
2002).

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Annexe : 5 figures 21

Figure 1. Représentation tridimensionnelle des paramètres prosodiques sous


PRAAT de l’énoncé il n’y a que les hommes qui travaillent avec moi
Avec, dans la fenêtre du haut, le signal acoustique, dans la fenêtre du bas : le spectre, la ligne d’in-
tensité en décibels, et les modulations de la la fréquence fondamentale en hertz, en repérant par
des valeurs nulles les zones non voisées ; sur l’axe des abscisses : le temps en secondes.

Figure 2. Contours syllabiques de l’énoncé il n’y a que les hommes qui travaillent avec
moi représentés par une chaîne de tons dans le modèle Prosogram (Mertens 2004)
Avec dans la fenêtre du haut : (i) la ligne d’intensité et la ligne mélodique brutes, (ii) les seg-
ments de droite en gras qui représentent les contours mélodiques résultant du modèle de stylisa-
tion perceptive ; dans la fenêtre du bas : les tires de transcription : (i) les phonèmes, (ii) les syl-
labes, (iii) les mots orthographiques, (iv) les segments tonaux associés à chaque syllabe : L =
ton bas statique (low) ; M = ton moyen statique séparé du niveau bas par un petit intervalle
mélodique ; HF : ton haut (high) séparé du niveau L par un grand intervalle mélodique et
suivi d’une descente ample (fall)

21. Les transcriptions phonétiques sont en alphabet SAMPA, http://fr.wikipedia.org/wiki/Symboles_SAMPA

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Figure 3. Etiquetage des proéminences syllabiques avec le modèle ANALOR


(Avanzi & al. 2008, Avanzi & al 2010) de l’énoncé il n’y a que les hommes qui tra-
vaillent avec moi
Avec dans la fenêtre du haut : sur l’axe des abscisses, les durées syllabiques indiquées en millise-
condes. Sur l’axe des ordonnées, les variations de la fréquence fondamentale représentées par une
échelle logarithmique ; dans la fenêtre du bas : les tires de transcription avec de haut en bas : les
étiquettes phonétiques, puis syllabiques, l’annotation des proéminences (P pour les proéminen-
ces fortes sur les mots « hommes » et « moi », p pour les proéminences faibles : sur la syl-
labe terminale du mot « travaillent ») et des contours (issus du prosgram, figure 2), les mots
orthographiques. La segmentation semi-automatique de ce passage a été réalisée avec le logiciel
easy-align (Goldman 2008)22.

Figure 4. Représentation schématique des intonations modales en français à l’aide de


4 niveaux de hauteur : niveau infra-grave, grave, aigu, suraigu (d’après Delattre 1966)

22. Les logiciels Analor et Easy-align sont téléchargeables gratuitement sur les sites suivants XX.

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Figure 5. Exemple de dysprosodie : mauvais appariement intonosyntaxique Lenor-


mand et Lacheret (2010) :
Où les degrés de frontières ne s’alignent pas sur les domaines syntaxiques : frontière majeure
ponctuant un constituant syntaxique mineur (le garçon), contour plat ponctuant le syntagme
nominal sujet, pause décalée après le prédicat verbal.

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Comportements sémiotiques et multimodalité


des conduites langagières
Françoise Coquet, Agnès Witko

Résumé
Chez l’adulte ou chez l’enfant, la nature plurisémiotique du langage est donnée à voir dans
l’usage multimodal des signes verbaux, vocaux et mimogestuels. Afin de tenir compte des
différentes ressources mobilisées par les enfants, et d’intégrer la multimodalité du discours
dans les pratiques d’observation orthophonique, des données filmées sont présentées et
analysées en utilisant un format de transcription en portée. Ancrée dans l’espace et dans la
temporalité d’une situation d’évaluation à partir d’images, l’analyse des conduites langagiè-
res ainsi formalisées explore la totalité des signaux émis par l’enfant en termes non verbaux
(actions, postures, regards, mimiques, gestes) et verbaux (mots, intonation, fluidité verbale).
Une vignette clinique illustre les apports de différentes méthodologies de transcription et
d’analyse de corpus pour la compréhension du développement des comportements sémioti-
ques de l’enfant : analyse linguistique, sémiotique ou multicanale.
Mots clés : communication, enfant, corpus, signes, gestes, transcription, représentation,
convention.

Semiotic behaviours and multimodality in language acts

Abstract
In adults and children, the plurisemiotic nature of language shows in the multimodal use of
verbal, vocal and mimo-gestural cues. In order to take into account the various resources
that are mobilized by children, and to integrate the multimodal nature of discourse in obser-
vations made by speech and language therapists, videotaped data are presented and analy-
zed using a format of music staff-type transcription. Anchored in the spatial and temporal
dimensions of an evaluation situation based on images, the analysis of language acts for-
malized in this manner explores all the non-verbal signs (actions, postures, glances, facial
expressions, gestures) and verbal signs (words, intonation, fluency) produced by the child.
A clinical vignette illustrates the contributions of various methods of transcription and cor-
pus analysis to the understanding of the development of semiotic behaviours in children:
semiotic or multichannel linguistic analysis.
Key Words : communication, child, corpus, signs, gestures, transcription, representation.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Françoise COQUET
Orthophoniste
163 rue Saint Albin
59500 DOUAI
Courriel : francoise.coquet@wanadoo.fr
Agnès WITKO
Orthophoniste
Docteure en Sciences du langage
Responsable des travaux de recherche et
chargée de cours en Evaluation et en
Pragmatique des Interactions à l’Université
Claude Bernard Lyon1
Institut des Sciences et Techniques de
Réadaptation
Composante Orthophonie
Courriel : agnes.witko@orange.fr

S
aisir la dynamique de l’organisation symbolique d’un enfant est l’un des
buts que se fixe le thérapeute du langage. En effet, qu’il s’agisse des attitu-
des corporelles, des manifestations de proxémie ou des productions ges-
tuelles, l’objectif de tout orthophoniste est d’observer quels sont les schémas
moteurs, les indices, les signaux et autres signes non verbaux ou vocaux qui
sous-tendent et accompagnent les conduites langagières. Comment appréhender
leur niveau de structuration et de fonctionnement qui naît au cœur des échanges,
dans l’entrelacs des différentes modalités d’émission/réception, de l’activation
des canaux de production / compréhension et des différents moyens d’expres-
sion/interprétation choisis par l’enfant ?
Dans un premier temps, seront présentées d’une part quelques notions
théoriques générales à propos du sens envisagé comme un tout intégré, ainsi que
des pistes méthodologiques relatives à la transcription de corpus. Dans une
seconde partie, une vignette clinique illustre concrètement un type de données
récoltées en consultation orthophonique.

♦ Cadrage théorique et appuis méthodologiques


La sémiotique : une entrée pour explorer le sens
Selon Ducrot et Schaeffer (1995, p. 220-221), la sémiotique est définie
comme « une théorie générale des signes, naturels ou conventionnels, humains
ou non humains, et dont l’idéal ultime est l’établissement d’une théorie générale
des faits de communication. Dans cette perspective, le langage humain apparaît

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comme l’un des multiples systèmes biologiques de signification et de communi-


cation ». Sans privilégier la primauté du dire sur le faire ou l’inverse, l’approche
sémiotique a l’avantage d’ouvrir au maximum le regard d’autrui dans un repé-
rage organisateur qui combine ce qui relève du naturel, autrement dit de ce qui
serait singulier et personnalisé, et du conventionnel, appris et partagé. En visant
prioritairement la mise en commun d’expériences vécues par un enfant, on cher-
che par là à connaître les réseaux de sensations, d’émotions, de comportements
et bien sûr de représentations qui se tissent en lui et autour de lui. Des états
internes à la mise en signes va se jouer « cette transposition d’un niveau de lan-
gage dans un autre, d’un langage dans un langage différent, et le sens n’est que
cette possibilité de transcodage » (Greimas, 1970, p.13).
C’est l’optique privilégiée dans la Batterie EVALO 2-61 puisque l’une des
procédures retenue s’appuie sur une conception qui définit l’énoncé « comme
l’unité minimale, verbale ou non verbale, du comportement sémiotique humain,
qu’elle apparaisse isolément ou en combinaison avec d’autres unités au sein de
comportements, éventuellement ‘multi-canaux’, plus complexes » (Nespoulous
cité par Coquet, Ferrand & Roustit, 2009b, 2009c). Cette conception envisage
comme constituants de l’énoncé des « Unités de Comportement Sémiotique
(UCS) se [présentant] comme unités minimales du comportement sémiotique
humain que celles-ci soient linguistiques ou qu’elles ne le soient pas. Elles sont
le constituant de base de l’énoncé qu’elles constituent à elles seules ou en com-
binaison avec d’autres, verbales ou non verbales ». Chacune des UCS est iden-
tifiée, reportée dans une grille et décomptée ; certaines d’entre elles autorisent
l’établissement d’un Profil de comportement sémiotique dont la grille de codage
est envisagée ci-après.
Comme le mentionne Cosnier (2001, p. 14), « les actes porteurs de sens
sont loin de se réduire aux énonciations verbales (...), les effets de sens des actes
non verbaux pour des sujets énonçant ou co-énonçant, amènent inévitablement
(...) à aménager une place importante à la multimodalité d’un discours en situa-
tion, en train de se faire, envisagé comme forme en devenir où s’articulent des
matières d’expression corporelles, spatiales, etc.».
Afin de mener ce type de description, et avec le parti pris de donner une
place à la gestualité communicante, deux pistes d’analyse se complètent : d’une
part observer la forme des messages produits par les enfants en se référant au
concept de multicanalité/multimodalité, et malgré l’absence de consensus termi-

1. Coquet F., Ferrand P., Roustit J. (2009a). Batterie EVALO 2-6 : Batterie d’Evaluation du Langage Oral
chez l’enfant de 2 à 6 ans. Isbergues : Ortho Edition.

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nologique, opter pour des nomenclatures qui seraient à même de préciser


notamment le repérage des unités gestuelles rencontrées, et d’autre part illustrer
ce point de vue par un corpus d’enfant.
Multicanalité ou multimodalité : des concepts proches
Selon Cosnier et Vaysse (1997), l’interactivité résulte de la coproduction
des messages, autrement dit de l’activité conjointe d’un émetteur et d’un récep-
teur, et la notion de multicanalité est définie par le mélange de verbal, de non
verbal et de vocal/paraverbal, en proportion variable dans toute production lan-
gagière. Selon cette approche centrée sur la communication non verbale adulte,
la composante gestuelle du langage est considérée dans sa consubstantialité
avec la matière verbale, entretenant avec la verbalité des similitudes et des diffé-
rences. Dans la liste des ressemblances, citons la multifonctionnalité des gestes
et des paroles, leur implication respective dans l’expression d’un contenu, ainsi
que leur valeur pragmatique isolée ou cumulée qui atteste de leur rôle dans l’ex-
pression des intentions de communication. Si l’on recherche les spécificités de
la modalité kinésique, elle se différencie de la voie verbale par l’absence de
standardisation formelle, l’hétérogénéité des signes gestuels, et par le fait que la
combinaison simultanée des gestes dans l’espace contraste avec l’organisation
séquentielle des enchaînements de mots sur l’axe du temps. Enfin, toujours
selon les deux auteurs cités précédemment, la « contexte-sensibilité » des ges-
tes ouvre sur l’expressivité corporelle avec toutes les manifestations psychomo-
trices qui apparaissent au premier plan chez l’enfant, et qui sont très bien prises
en compte par nos collègues psychomotriciens : variations de tonus, adaptations
sensorimotrices, réactions aux flux sensoriel, etc.
Dans le développement du jeune enfant d’ailleurs, la primauté du gestuel
sur le verbal (Bates, Camaioni & Volterra, 1975), l’importance et la variété des
combinaisons “gestuel + mot” (Volterra, Caselli, Capirci & Pizzuto, 2004), la
mise en évidence de la formulation d’acquiescement non verbal à 16 mois (Gui-
detti, 2005) apportent des arguments forts pour décrire la multimodalité des
acquisitions précoces (Goldin-Meadow, 2003). Dans cette filiation, Colletta et
Batista (2010) apportent des éléments de synthèse sur la bimodalité gestes-
parole d’enfants francophones, confirmant le patron évolutif relevé auprès d’en-
fants italiens et américains par Iverson, Capirci, Volterra et Goldin-Meadow
(2008).
Afin de caractériser les premières verbalisations, plusieurs résultats vont
enrichir la grille d’observation des cliniciens :
- la frontière de 24 mois montre un profond changement dans les conduites
communicatives, puisque avant 2 ans, l’enfant utilise de nombreux gestes

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combinés ou non à la parole, et après cet âge, 3 énoncés sur 4 sont de


pures verbalisations ;
- une tendance des énoncés mixtes « geste + mot » à combiner des infor-
mations non redondantes permettrait d’une part d’augmenter le nombre
d’informations traitées et transmises par le jeune enfant, et d’autre part de
repérer un précurseur d’entrée dans la langue ;
- au delà de la 3ème année, on constate une diversification des énoncés ges-
tuels qui ne disparaissent pas pour autant du répertoire de l’enfant ; les
combinaisons gagnent en longueur et en complexité, l’allongement des
verbalisations s’accompagnant d’une diversification des relations prédica-
tives : il s’agit donc de décrypter avec soin l’incidence de la gestualité.
Propositions de traits pertinents pour observer la gestualité
Analysés dans différentes perspectives, les traits retenus pour décrire et
classer les gestes ne sont pas les mêmes selon les études envisagées. Une mise
en garde s’impose si l’on est tenté d’utiliser une classification plutôt qu’une
autre. Originellement, le geste est une réponse corporelle, certes décomposable
artificiellement selon Montredon (2002, p. 17), mais exposée dans ce cas à des
interprétations personnelles, forcément socio-culturelles. C’est pourquoi diffé-
rents courants de recherches, chez l’enfant ou chez l’adulte, concourent à une
meilleure compréhension des signaux non verbaux et à leur lien avec la verba-
lité, dans une relation d’équivalence ou de différence, et dans l’apport d’élé-
ments complémentaires ou supplémentaires.
Dans une vision exclusivement fonctionnelle, la classification des gestes
conversationnels de Cosnier et Vaysse (1997), initialement élaborée à partir
d’interactions entre adultes, appliquée au contexte des interactions thérapeuti-
ques orthophoniques (Witko, 1996) vise à démontrer que tous les gestes ne sont
pas équivalents quant on cherche à comprendre comment les signaux gestuels
sont reliés ou pas à l’activité interlocutive. Une opposition entre gestes commu-
nicatifs et extra-communicatifs oriente vers une première répartition puisque les
premiers seraient plutôt au service du langage dans sa dimension de systèmes de
signes, et les autres seraient plutôt réservés à la communication d’états internes.
Les gestes extra-communicatifs2 sont des gestes de confort qui ne véhicu-
lent pas d’information référentielle : ce sont des auto-contacts, des manipula-

2. dont l'étiquetage est détaillé dans Cosnier et Vaysse (1997) : 'Autistic movements' de Mahl,1968, 'Self and
objects-adaptors' de Ekman et Friesen,1969, 'Body and Objects focused movements' de Freedman, 1976,
'Auto-contact movements' de Feyerseisen et De Lannoy, 1985.

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tions d’objets, des grattages, des balancements, des postures particulières, des
stéréotypies motrices diverses. Observable chez l’enfant, ce type de geste ren-
voie d’une part à son développement psychomoteur, et d’autre part à ses capaci-
tés à gérer l’ambiance relationnelle et psycho-affective de la rencontre sociale
ou thérapeutique selon les cas.
Quant aux gestes communicatifs, qualifiés de discursifs, ils sont divisés
en trois groupes.
- Tout d’abord, les quasi-linguistiques3 sont des gestes conventionnels
substituables à la parole et propres à une culture donnée. Les sourds ont
exploité cette dimension iconique pour développer la Langue des Signes
(Virole, 2004).
- Le deuxième groupe des co-verbaux qui accompagnent le message verbal
se divise à nouveau en 3 catégories : (1) les gestes référentiels4 de type
déictique en cas de désignation, ou illustratif s’il s’agit d’insister sur une
caractéristique du référent au niveau spatial, de sa forme, ou de l’action
que ce dernier induit en la mimant ; (2) les gestes expressifs ou mimiques
qui connotent le discours ; (3) les gestes paraverbaux, des mouvements
qui rythment les paroles par des battements de scansion et/ou de cohésion
associés parfois aux marqueurs grammaticaux.
- Le troisième groupe de gestes communicatifs sont les synchronisateurs,
phatiques de la part du parleur ou conatifs de la part de l’interlocuteur. Ils
régulent les échanges dans la mesure où ils participent au co-pilotage de
l’interaction. Ils constituent une sorte de veille réciproque puisque le par-
leur lance des signaux pour maintenir l’attention de son auditeur, et ce
dernier rassure le parleur en confirmant de manière non verbale son atten-
tion, et parfois son écoute.
A l’évidence, la gestualité adulte et la gestualité enfantine ne sont pas en
totale rupture. Si l’on se prémunit contre le danger latent et insidieux d’adulto-
centrisme qui aboutit à une méconnaissance des acquisitions, des maladresses
ou des erreurs des enfants, la typologie fonctionnelle brièvement présentée pré-
sente un intérêt majeur pour mener des observations d’ordre macro-analytique.
En complément, des recherches en acquisition du langage décrivent des types de
gestes de manière moins définitive que celle qui peut s’appliquer à des interac-
tions adultes. Néanmoins, cette dernière engage des choix sur des notions débat-

3. dont la terminologie est également listée dans Cosnier et Vaysse (1997) : ‘Emblems’ (Efron, 1941 ; Ekman
& Friesen, 1969) et ‘Autonomous gestures’ (Kendon, 1972).
4. Les gestes référentiels seraient à rapprocher des gestes propositionnels définis par Nespoulous (2009) et
représentationnels (cf. Guidetti dans le présent document).

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tues en psycholinguistique développementale. En premier lieu, et dans les deux


perspectives, le déictique de pointage apparaît comme le geste qui joue un rôle
majeur dans la communication adulte et d’ancrage dans le développement du
langage chez le jeune enfant. Ensuite et malgré les débats terminologiques, les
gestes conventionnels, qui résulteraient d’un accord sur une signification fixe et
partagée au sein d’une culture donnée, s’opposent aux gestes
représentationnels, dont la signification serait tributaire des contextes de com-
munication.
En s’appuyant sur la théorie des actes de langage développée par Austin
(1962) appliquée à la communication du jeune enfant, Guidetti (2002) attire
l’attention sur le rapport entre gestes et intentions du parleur : hochement de
tête assertif pour dire, pointage directif de désignation pour faire-faire, mimi-
que expressive pour signaler son état interne, hochement de tête promissif
pour accepter une proposition. De même, Iverson, Capirci, Volterra et Goldin-
Meadow (2008) insistent sur les diverses fonctions des gestes dans le dévelop-
pement langagier : fonction cognitive du pointage qui permet aux très jeunes
enfants de gérer des contextes informationnels complexes, importance des
gestes représentationnels pour faire le lien avec le développement du lexique
(par exemple le geste d’action sur un téléphone, les gestes pour signifier le
froid/la chaleur), extraction des signaux gestuels par les enfants dans des
contextes porteurs tels que les routines, les situations de jeux et la lecture par-
tagée, transcodage des mères qui observent les gestes de leur progéniture et
répondent verbalement par un énoncé plus long que lorsque l’enfant utilise
des mots. Chauvin et Colletta (2002) décrivent et analysent minutieusement
des gestes rythmiques et ludiques dans des jeux chantés utilisés librement par
des enfants d’âge primaire en cours de récréation. Les techniques de transcrip-
tion multimodale mettent en avant la prédominance d’emblèmes, l’importance
des regards couplés aux mimiques de complicité et l’émergence des gestes
référentiels : autant d’éléments qui renseignent sur la création sémiotique des
enfants dans ses dimensions linguistiques, prosodiques et kinésiques. Même si
l’idée de continuum développemental est esquissée ici à grand traits, elle se
confirme dans les travaux francophones de Colletta (2004) qui caractérisent
les tâches narratives d’enfants âgés de 6 à 11 ans, notamment par l’importance
des regards dirigés et des expressifs, l’augmentation des gestes co-verbaux
référentiels et paraverbaux.
En pointant la complexité et la polysémie des signaux gestuels (hoche-
ment de tête ou pointage par exemple), les références développementales nous
invitent à décrire précisément la forme du geste tout en visant l’analyse de sa
fonction. De plus, ces différents travaux s’accordent sur au moins deux points :

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d’une part, le corps expressif du “parleur” ou du “futur parleur” est à l’origine


des énonciations verbales (Cosnier & Vaysse, 1997 ; Morgenstern, 2009) ; d’au-
tre part, mots et gestes exprimeraient en priorité, soit les conventions propres à
une culture, soit les représentations du sujet qui se lance dans l’aventure du lan-
gage. A ce titre, une égalité de principe entre geste et mot s’impose, de façon à
concevoir « la communication comme un codage et un décodage de plusieurs
pistes convergentes ou parfois divergentes » (Montredon, 2002, p. 21). D’au-
tant que, plus l’enfant est jeune, plus les gestes se substitueraient aux mots. Cor-
rélativement, plus l’enfant élabore des apprentissages décalés dans le temps ou
fait des acquisitions de manière atypique, plus les gestes pourraient véhiculer
des informations précieuses sur ses processus de mentalisation.
Afin de développer des procédés d’analyse plurisémiotique et multica-
nale, la grille d’analyse du développement des comportements sémiotiques de la
batterie EVALO 2-6 ne se limite pas au verbal et au gestuel. Le présent travail
vise à formaliser comment les gestes, les regards, les mimiques, la posture s’as-
socient au discours de l’enfant. La complémentarité de ces éléments rend la sai-
sie des observables plus ardue et plus fastidieuse, impliquant de nouvelles tech-
niques de recueil de données, dont la transcription de corpus.

♦ Analyse de données multimodales


Données observables et rôles du clinicien
Que l’objectif de description du langage relève d’une démarche de
recherche ou d’une pratique clinique en pathologie, le recueil de données parti-
cipe aux fondements du travail d’analyse (Witko, in press). C’est pourquoi, la
première action du clinicien consiste à pratiquer une anamnèse qui permet de
recueillir des informations extra langagières. Afin de disposer d’une observation
renseignée de données personnelles et d’une ligne de base à visée socio cultu-
relle, l’orthophoniste fait connaissance avec l’enfant et ses parents en recher-
chant l’origine de la plainte ou du questionnement qui amène à la consultation
orthophonique. Disponible dans le cadre de la batterie EVALO 2-6, un question-
naire détaillé est établi pour renseigner les données langagières par des critères
tels que le sexe, l’âge de l’enfant, la catégorie socio-professionnelle des parents,
le rang dans la fratrie, des traits typiques de développement tels que la latérali-
sation, la gémellité, la prématurité, la langue maternelle, et même un diagnostic
si un parcours de soin est déjà engagé.
Quant aux données (intra) langagières, elles sont de deux types : directes
ou indirectes. Les premières relèvent de la passation de tests et de l’observation

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de situations réelles par le clinicien qui a le rôle d’observateur déclaré. Les


secondes consistent en questionnaire parental, en grille d’observation (ce que
l’enfant fait, dit et comprend dans EVALO 2-6), en films familiaux, album pho-
tos ou cahiers de l’enfant, notes personnelles des parents. Ces documents sont
visionnés, analysés ou commentés par le thérapeute en différé. Qu’il s’agisse de
données directes ou indirectes, elles sont la plupart du temps plurimodales et
demandent aux professionnels de développer d’autres modes d’approches que le
simple calcul de scores ou le rapport à une norme établie. Dans un cadre d’ob-
servation élargie rendue possible grâce aux enregistrements de données sonores
ou visuelles, et en garantissant la sécurité et la confidentialité des données per-
sonnelles, des techniques de transcription demandent à être développées et
adaptées aux ressources et contraintes de l’activité clinique.
La transcription : entre interprétation et technique
A la manière d’anthropologues et d’ethnographes de la communication,
la technique de notation au cours de la rencontre reste LE point de départ du cli-
nicien. Désormais, cette approche est largement enrichie par des pratiques d’en-
registrement audio ou vidéo qui auront l’intérêt de permettre de réécouter ou de
visionner les données en différé autant de fois que nécessaire. Complémentaire-
ment, elle pourra amener le clinicien à transcrire le langage en totalité ou en
partie. Travail intense et fastidieux, la transcription apporte en contrepartie des
éléments d’analyse sur l’enfant singulier, que l’on rencontre en chair et en os, et
pas sur un enfant théorique, virtuel ou idéal qui nous est décrit dans les études et
les tableaux de repères de développements. Même si ces références s’avèrent
indispensables, l’analyse du clinicien est ancrée d’abord dans l’observation
réelle in situ, qui implique nécessairement un cadre psychodynamique sur trois
niveaux imbriqués : objectif, subjectif et intersubjectif (Serrano, 2003).
En fonction des objectifs d’analyse et d’intervention orthophonique, plu-
sieurs techniques de transcription sont à comparer. Pratiqué depuis toujours,
l’enregistrement audio permet d’accéder aux traces d’oralisation dans ses
dimensions prosodiques ; il sera souvent préféré avec des adolescents ou des
adultes que la présence d’une caméra gêne ou intruse. Néanmoins, l’enregistre-
ment vidéo est la seule manière de travailler sur la posturo-mimo-gestualité, sur
les actions, les objets manipulés, les distances et l’ensemble des comportements
qui sont requis pour établir un profil sémiotique tel qu’il est préconisé dans le
présent travail. Comme il a été mentionné précédemment, plus l’enfant est
jeune, moins la parole peut suffire à l’observation des conduites langagières, et
plus l’outil vidéo s’avère indispensable pour refléter seulement, et de manière
contingente, la rencontre thérapeutique.

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Des formats spécialisés en fonction des objectifs de travail clinique


En ce qui concerne la transcription, le choix s’opère entre format person-
nalisé ou standardisé. Si l’on utilise un traitement de texte classique tel que le
logiciel Word, on peut très simplement pratiquer une transcription au kilomètre,
ou bien présenter sous forme de colonage pour visualiser différentes sortes d’in-
formations. Si l’on préfère des logiciels spécialisés tel que Clan, Elan, Praat, le
format est explicitement décrit dans des documents techniques ou des tutoriels.
Les deux techniques sont complémentaires.
Le format personnel a l’avantage de recueillir la matière langagière brute
avec le postulat que chaque praticien aura sa manière de percevoir et d’encoder
des données, à condition de fixer a minima des conventions de transcription. La
principale restriction de cette stratégie est la contrepartie de toute méthode radi-
calement empirique, difficilement communicable et partageable, trait typique et
récurrent des méthodologies cliniques. C’est pourquoi des avantages existent à
utiliser un format standardisé prescrit par un logiciel, à condition que le codage
soit à la portée du clinicien, en termes de temps passé à la transcription et d’ob-
jectifs pour l’analyse du bilan, ou de pistes pour le suivi thérapeutique. L’intérêt
d’une méthode standardisée est double : mutualiser les informations et affirmer
des choix politiques ou éthiques à propos de l’archivage et du traitement des
données cliniques.
Des travaux francophones en acquisition sont actuellement exploitables
en orthophonie (Parisse & Lenormand, 2006 ; Morgenstern & Parisse, 2007).
Des techniques de balisage et d’annotation de corpus devraient à moyen terme
être proposées aux cliniciens avec des compromis intéressants en termes d’éti-
quetage et de comptage d’occurrences (Colletta J.M., Venouil A., Kunene R.,
Kaufmann V., Simon J.P., 2008). Le logiciel Clan permet d’ores et déjà un
codage de critères telles que les vocalisations, les productions verbales, le poin-
tage, les tours de rôle, la mesure du « visual checking » ou vérification visuelle
du regard sur la cible. Il est désormais possible d’effectuer des mesures, notam-
ment la Longueur Moyenne d’Enoncé (LME), l’Indice de Diversité Lexicale
(IDL), l’Indice de Vocabulaire (IVOC). Le logiciel Praat visualise les paramè-
tres de l’intonation. Elan produit un alignement texte/images qui facilite l’anno-
tation plurimodale des corpus comme il va être proposé ci-après de manière non
informatisée.
La méthodologie EVALO 2-6 (Coquet et al, 2009b) et son parcours diag-
nostique ont pour objectifs de relier les renseignements de l’anamnèse, les don-
nées théoriques et les références de développement, les données de score et
l’analyse qualitative afin de proposer des hypothèses diagnostiques argumen-

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tées. L’analyse du corpus participe à cette investigation avec des principes éthi-
ques en débat au sein des instances professionnelles : par exemple rester fidèle à
l’intelligibilité des patients, connaître les risques de la normalisation si l’on
cherche à redresser absolument les énoncés sans prendre en compte leurs spéci-
ficités, prendre en compte le rôle particulier d’interlocuteurs privilégiés tels que
la mère ou le père de l’enfant, l’orthophoniste, l’éducateur, l’enseignant, ou
encore un autre soignant ou une personne qui agit au quotidien avec l’enfant.
Quel que soit le type de transcription pratiquée, ethnographique dans le cas
d’Enfant Sans Langage Verbal (Witko, 2008), phonétique dans le cas des trou-
bles de programmation phonologique, orthographique dans les anomalies lin-
guistiques sans trouble phonétique, la distance entre les formes produites par
l’enfant et celles qui sont privilégiées par le transcripteur doit amener ce dernier
à répondre à des questions sur le niveau d’interprétation qu’il active : le niveau
des sons si un problème d’intelligibilité intervient, le niveau du lexique en cas
de sur-extension ou de sous-spécification, celui des éléments grammaticaux en
cas d’ellipses ou de bribes avec le risque de reconstruction, le niveau de la
sémantique dans les messages qui interrogent par leur incohérence ou leur
incongruité, et enfin le niveau des signes et de la sémiotique quand l’expression
est à dominante non verbale, impliquant des processus de transcodage et d’inter-
prétation de la part du thérapeute.
Faire des hypothèses sur la forme, le fonctionnement et l’utilisation du
langage d’un enfant en utilisant l’épreuve des Comportements Sémiotiques à
partir d’images vise à démontrer que l’analyse de corpus rend compte d’élé-
ments du développement typique ou atypique. Ce qui va être illustré par les pro-
ductions d’un jeune enfant de 4 ans scolarisé en Petite Section de Maternelle.

♦ Vignette clinique
L’analyse de corpus recueillis en situation de jeu ou d’expression sur ima-
ges est une pratique habituelle dans le cadre de l’évaluation orthophonique.
C’est un outil très puissant pour la compréhension du degré d’entrée dans la
sémiotisation des sujets. Cependant les choix privilégiés concernant la méthodo-
logie de transcription et d’analyse conditionnent la nature et la richesse des
informations recueillies et par la suite les interprétations qui en sont faites.
Contexte de recueil
Le sujet
Greg (G), petit garçon âgé de 4 ans 2 mois, scolarisé en Petite Section de
Maternelle, sujet sans trouble du langage.

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La situation
Expression sur images scènes (épreuve : Comportements sémiotiques à
partir d’images – Batterie EVALO 2-6). L’enfant est invité à « raconter ce qui
se passe sur les images ». Si le récit produit en première intention est insuffi-
sant, un questionnement complémentaire est proposé par l’orthophoniste (O) :
- portant sur un actant / un objet : Qui vois-tu ? Que vois-tu ?
- portant sur un procès : Qu’est-ce qu’ils font ? Que fait … ? Que font … ?
- portant sur un circonstant : Où sont-ils ? Où est …. ? Quand est-ce que
cela se passe ? Comment a-t-elle / il fait ….? Pourquoi …. ?
La passation est filmée.
L’image utilisée pour le présent article représente un petit garçon qui
pointe du doigt trois oiseaux qui volent dans le ciel.

Image EVALO 2-6 « garçon aux oiseaux »

Les méthodologies de transcription

En fonction des besoins de l’orthophoniste ou du niveau de sémiotisation


de l’enfant, trois méthodologies de transcription sont envisageables. La saisie de
corpus au clavier pour un traitement informatisé à l’aide de logiciels spécifiques
n’étant pas habituelle dans la pratique clinique orthophonique et pour le
moment encore réservée aux travaux de recherche, elle n’est pas retenue dans la
présentation ci-après.

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Transcription et analyse linguistiques


Une première procédure peut consister à ne transcrire que les productions
sur la modalité verbale et à procéder à une analyse de la complexité morphosyn-
taxique ; cette procédure est historiquement celle qui est habituellement utili-
sée. Les énoncés sont découpés sur la base de l’alternance des tours de parole
entre l’orthophoniste et l’enfant. Ils sont transcrits en orthographe traditionnelle
mais sans les éléments de ponctuation qui sont des marques de l’écrit.
[Conventions de transcription reprises dans l’ensemble des tableaux ci-après :
En caractères gras : les énoncés de l’enfant
En caractères non gras sur fond grisé : les questions de l’orthophoniste
Tours de rôle de l’orthophoniste : O
Tours de rôle numérotés pour l’enfant
Signe ↑ pour indiquer une intonation montante dans une question (en cor-
respondance avec le ? dans la transcription orthographique)
Signe # pour indiquer une pause]

Tableau 1 : Transcription et Analyse linguistique

Etant donné le peu d’énoncés sur cette image, l’analyse en parties du dis-
cours n’est pas exploitée. Sur les 8 énoncés proposés, cinq sont pris en compte
pour l’analyse de la complexité syntaxique (dont 2 partiellement). L’analyse
retient trois énoncés à type de syntagmes nominaux et deux avec prédication.

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Le point de vue clinique


Greg utilise de courts énoncés structurés grammaticalement (syntagmes
nominaux ou verbaux) ; ceux-ci sont produits en réponse aux questions posées.
Transcription et analyse en comportements sémiotiques
C’est la procédure qui est retenue dans la Batterie EVALO 2-6. Elle s’ap-
puie sur la conception de l’énoncé proposée par Nespoulous (voir supra),
énoncé décomposé en Unités de Comportement Sémiotique (UCS).
[Consulter la liste en annexe]

Tableau 2 : Transcription et Analyse en Comportements Sémiotiques


La perspective sémiotique intègre certaines données de l’analyse linguis-
tique mais ne s’y limite pas. La quasi totalité des énoncés (7 / 8) est prise en
compte. L’analyse ne se limite pas aux productions linguistiques sur la modalité
verbale. Tous les comportements sont comptabilisés qu’ils soient para-verbaux
(onomatopées) et non verbaux (essentiellement des gestes), ici présents en com-
binaison avec les énoncés syntaxiquement structurés.
Le point de vue clinique
Greg utilise essentiellement une stratégie énonciative. Les gestes déicti-
ques sont très fréquents (6 / 8) accompagnant des syntagmes nominaux ou ver-

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baux. La verbalisation en réponse aux questions posées est complétée d’onoma-


topées. Le sujet se situe encore apparemment au stade de la deixis.
Transcription et analyse multimodales
La transcription se fait manuellement. Elle est perceptive (‘à l’oreille’) et
complétée de notes d’après l’observation visuelle du film réalisé lors de l’activité.
Elle se veut pluri-modale prenant en compte à la fois
- les productions verbales (linguistiques) ;
- les aspects para-verbaux : prosodie dont la fluidité verbale (en particulier
les pauses) et l’intonation ;
- les comportements non verbaux : regards, mimiques et gestes / postures.
Elle est réalisée sous la forme d’une partition5.
Ligne 1 haute : Contexte de l’interaction
- ce qui est de l’ordre de la perception que chacun a de l’autre, de la façon
dont le sujet se positionne et interagit avec le testeur.
Ligne 2 : Regard (en perspective de prise en compte de l’attention conjointe)
- regard(s) vers l’image ;
- regard(s) adressé(s) à l’orthophoniste ;
- regard(s) non adressé(s).
Ligne 3 : Mimiques
- expression du ressenti de l’enfant par rapport aux interactions de l’ortho-
phoniste ;
- expression du ressenti de l’enfant devant la situation représentée par
l’image ;
- mimiques à la place du personnage.
Ligne 4 : Actions / postures / gestes
Pour les gestes en les différenciant selon leur nature :
- gestes déictiques : pointés de l’index notamment mais autres possibilités
de désignation avec des configurations de doigts ;
- gestes expressifs : gestes prédicats (décrivant les caractéristiques des
objets ou des situations) ; gestes nominaux (labels d’objets ou de situa-
tions) ; gestes de faire semblant ;
- gestes conventionnels (chut, au revoir …) ;
- gestes phatiques soulignant la production vocale / verbale (descriptif de
leur forme et orientation dans l’espace).

5. par analogie avec les présentations des logiciels de transcription, ELAN notamment

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Ligne 5 à 7 : Portée de 3 lignes de base pour le cœur de l’énoncé


Ligne 5 : transcription de l’énoncé verbal ou des onomatopées / vocalisations
éventuelles (codage orthographique en réservant le codage en Alphabet Phonéti-
que International pour les mots déformés ou tronqués) ;
Ligne 6 au dessus : ligne de l’intonation décrite comme montante, descendante
ou plate et des accents d’intensité ;
Ligne 7 en dessous : ligne courbe marquant le découpage en rhèses – signe #
ou ## pour signaler les pauses et estimer leur durée : pauses brèves ou lon-
gues.
Ligne 8 : Codage en Unités de Comportements Sémiotiques
La transcription est très précise en regard des tours de rôle de l’enfant (en carac-
tères gras) ; les tours de rôle de l’orthophoniste sont simplement rapportés
(caractères non gras sur fond grisé).

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Tableau 3 : Transcription et Analyse multimodales

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La transcription multi-modale organisée autour des lignes précédemment


présentées est riche parce qu’elle prend en compte de façon pragmatique la
situation, les comportements et productions du sujet. Intégrant l’analyse en
comportement sémiotiques, elle la complète d’éléments de nature prosodique.
Les éléments para-linguistiques sont porteurs de signification, ils ne s’ajoutent
pas aux unités verbales mais leur sont intégrés. Ils traduisent l’état mental du
locuteur dans la situation d’interaction.
Le point de vue clinique
Le sujet est fondamentalement inscrit dans une communication plurimo-
dale. Le vecteur de l’information est pour lui avant tout para-linguistique : il
emploie des gestes et des onomatopées. Le recours aux énoncés syntaxiquement
structurés (systématiquement doublés par des éléments para-verbaux) répond aux
questions du texteur. Sa stratégie est encore principalement énonciative. Son dis-
cours ne semble pas véritablement adressé à l’orthophoniste qu’il regarde peu.
Eléments à retenir
L’exemple développé précédemment montre de façon évidente que les
outils utilisés pour transcrire et analyser les corpus influent de façon importante
sur les informations recueillies, leur interprétation et par la suite sur la compré-
hension que l’orthophoniste se forge des comportements sémiotiques dont l’en-
fant dispose. Pourtant cette démarche est indispensable pour étayer des prati-
ques d’interaction avec le sujet lors de la prise en charge et moduler les attentes
de l’orthophoniste quant au niveau d’élaboration sémiotique de son patient et
pour déterminer la zone proximale de développement.

♦ Eléments de conclusion
Intensifier la collecte des corpus oraux auprès d’enfants adressés en
orthophonie pour mieux analyser le discours produit dans le contexte thérapeuti-
que pourra permettre aux professionnels de la pathologie du langage de s’ajuster
à la diversité des demandes d’intervention en termes de prévention, d’évaluation
ou de suivi.
De plus, en lien avec des équipes scientifiques, mutualiser la description
des productions langagières des enfants pourrait favoriser les études qui vise-
raient à établir un meilleur indice de développement langagier comme le suggè-
rent Colletta & Batista (2010), à partir du principe de multicanalité / modalité
des discours et de critères tels que l’accès à la symbolisation, la construction de
la référence, les qualités de l’ancrage énonciatif des messages, les relations
sémantiques, actés ou verbalisés.

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Gestualité et troubles du langage


Marc Monfort, Isabelle Monfort-Juárez

Résumé
Les auteurs présentent une brève révision des rapports entre le développement gestuel et le
développement du langage oral au cours des deux premières années de l’enfant.
La présence d’un trouble du langage modifie la relation entre le développement gestuel et le
développement langagier ; les auteurs analysent la nature de cet impact chez l’enfant por-
teur d’un handicap mental ou sensoriel, d’un autisme, d’un trouble du langage, d’un bégaie-
ment.
Les enfants présentant des difficultés dans le développement du langage oral peuvent
étayer leur communication par le geste et la mimique mais cet étayage est variable selon le
type de trouble.
Est abordé également le rôle facilitateur de cet étayage chez les enfants présentant des dif-
ficultés de langage.
Il s’agit là de l’usage dirigé et structuré par l’entourage de la communication bimodale (ges-
tes et signes codifiés) : les auteurs soulignent les indications, les attentes et les limites de
l’application de ces systèmes augmentatifs.
Cinq implications pour la pratique orthophonique dérivent des données actuelles sur les
relations entre geste et langage chez les enfants présentant un trouble de l’acquisition du
langage.
Mots clés : geste, troubles du langage, systèmes augmentatifs, développement, signes.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Gesture and language disorders

Abstract
The authors present a brief review of relationships between gesture development and the
development of oral language during the first two years of the child’s life.
The existence of a language disorder alters the relationship between gesture development
and language development; the authors analyze the nature of this impact in children with a
mental disability or sensory impairment, an autistic disorder, a language disorder, or with
stuttering.
Children with oral language development problems can strengthen their communication
through gesturing and mimicking, but this type of support is variable depending on the type
of disorder.
This article also discusses the facilitating role of these props in children with language pro-
blems. It involves the directed and structured use of bimodal communication (gestures and
codified signs) by the child’s entourage: the authors describe indications, expectations and
limits of the applications of these augmentative communication systems.
Five implications for speech and language therapy are drawn from current data on the rela-
tionships between gesture and language in children with disorders of language acquisition.
Key Words : gestures, language disorders, augmentative communication systems, develop-
ment, signs.

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Marc MONFORT
Logopède.
Isabelle MONFORT-JUÁREZ
Psychologue
Centre « Entender y Hablar »
Calle Pez Austral
15, bajo
C 28007 Madrid
Courriel : marcmonfort@hotmail.com

I
l est bien connu que la communication commence bien avant l’apparition du
langage parlé, à travers le regard, la mimique faciale, les premiers comporte-
ments d’imitation, les premiers gestes déictiques (pointage) et les premiers
gestes iconiques (pantomime).
Le geste est un comportement inné, que l’on peut observer même chez
des enfants nés aveugles, et un comportement modifié ensuite par la stimulation
sociale, incorporant alors des caractéristiques spécifiques associées à d’autres
codes (le langage oral) ainsi qu’à d’autres éléments de type culturel (Guidetti
2006). À 18 mois, par exemple, la moitié des mots produits par l’enfant sont
accompagnés de gestes.
Il faut aussi se rappeler que l’adulte (s’il est entendant) qui adresse des
gestes à l’enfant n’élimine que très rarement la parole quand il le fait : l’enfant
qui regarde le visage et les mains de la personne qu’il a en face de lui reçoit en
même temps de l’information visuelle et de l’information auditive liée à la voix
et à la parole : dans l’immense majorité des cas, geste et parole ne font qu’un.
On peut penser bien sûr que ce jeune enfant ne peut analyser qu’une par-
tie du message oral mais qui pourrait affirmer qu’il analyse « complètement »
l’information du visage et des mains ? Il inscrit sans doute l’ensemble de ces sti-
muli dans ses schémas primitifs de traitement de l’information sensorielle, les
combine avec d’autres éléments de type émotionnel et leur attribue un sens que
nous sommes bien incapables d’imaginer quoique ce soient ses réponses qui
nous permettront d’échafauder des hypothèses sur les associations et les inféren-
ces qui sont en train de s’élaborer dans son cerveau : l’imagination et le désir
aidant, les adultes ont d’ailleurs une tendance généralisée aux échafaudages exa-
gérés, attribuant à l’enfant des émotions et des intentions bien au-delà de ses
capacités réelles d’entendement.
Cette « exagération » de notre théorie de l’esprit joue probablement un
rôle positif dans le développement : elle pousse vers l’avant l’esprit de l’enfant

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et, dans ce processus, pour reprendre la métaphore d’Archimède, c’est le lan-


gage parlé qui deviendra le levier capable de soulever le monde.
Cette période où le geste accompagne la parole et se mêle étroitement à
elle a été l’objet de nombreuses études qui nous ont fourni certains indicateurs
très utiles à notre profession d’orthophoniste.
L’on distingue actuellement, surtout à partir des travaux de Goldin-Mea-
dow et ses collaborateurs ou de Guidetti en France, une première période où les
gestes adoptent une forme semblable au langage, avec ses « mots » et ses phra-
ses, en se combinant souvent avec la parole, surtout entre 16 et 24 mois, et une
deuxième période (qui commence à partir du moment où l’enfant arrive au stade
de la phrase orale de deux mots) qui va durer toute la vie et où les gestes servent
surtout à accompagner le langage et que nous allons retrouver chez l’adulte à
des degrés divers selon la culture de chacun (nous appellerons désormais ces
gestes « gestes emphatiques »).
Lors de la première période, le rôle d’étayage du geste à la communica-
tion semble assez clair : par exemple les premiers gestes précèdent les premiers
mots et la combinaison de deux éléments geste+mot précède chez tous les
enfants la combinaison mot+mot.
Selon Rowe et Goldin-Meadow (2009), les enfants qui, à 14 mois, pro-
duisent plus de signifiants à l’aide de gestes sont ceux qui montrent un vocabu-
laire plus riche à 54 mois et, de ce fait, sont mieux préparés pour aborder la sco-
larité.
Goodwyn, Acredolo et Brown (2000) ont même réussi à mettre en évi-
dence de façon expérimentale, ce qui est tout à fait exceptionnel, l’impact posi-
tif de signes et gestes symboliques en comparant deux groupes d’enfants de
développement typique entre 11 et 36 mois : le groupe exposé à des gestes et
des signes en plus de la parole montrait un niveau supérieur dans la plupart des
mesures du bilan de langage réalisé à trois ans.
La nature de cet étayage naturel est encore sujette à discussion : s’agit-il
d’un mécanisme interne (le geste comme inducteur du mot) ou d’un mécanisme
basé sur l’interaction comme le suggèrent Goldin-Meadow, Goodrich, Saueer et
Iverson (2007)?
Selon cette dernière interprétation, les gestes de l’enfant indiqueraient à
son entourage le type de mots et de phrases qui doivent lui être adressés, ce qui
lui permet ainsi de mieux ajuster les modèles verbaux qu’il va lui offrir.
Ces gestes aideraient ainsi l’entourage à être plus efficace dans le trans-
fert des habiletés linguistiques orales.

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Lors de la deuxième période, se pose la question de savoir à quoi servent


les gestes que nous continuons à faire alors que nous disposons du langage
parlé (même quand nous parlons au téléphone ou à la radio) : à aider l’interlocu-
teur à comprendre ou à aider le locuteur à s’exprimer ? Jouent-ils un rôle simi-
laire à celui du « langage intérieur » au niveau des fonctions exécutives ?
Les données actuelles penchent pour une réponse réciproque : « gestures
serves as both a tool for communication for listeners, and a toll for thinking for
speakers 1 » (Goldin-Meadow 1999, page 419).
C’est ainsi que, même après cette période de la première enfance, il a été
possible de mettre en évidence que la gestualité continue à avoir de l’impor-
tance pour le développement de la compréhension chez l’enfant : « …children
may be able to use their hands to change their minds 2 » (Cook et Goldin-Mea-
dow 2006, page 211) à propos de leur étude sur des enfants de 9 à 10 ans face à
des instructions de type mathématique.
Nous avons observé souvent que des élèves sourds pourtant bien oralisés
grâce à leur(s) implant(s) cochléaire(s) reprenaient leurs signes pour étayer cer-
tains apprentissages demandant de la mémoire.
Finalement, l’observation comportementale se voit renforcée par les étu-
des neuronales d’imagerie cérébrale qui montrent également un très haut niveau
d’intégration de l’information sémantique, qu’elle soit transmise par la parole
ou par des gestes (Willems, Özyürek et Hagoort 2007).

♦ L’impact des troubles du langage


L’intrication entre geste et parole et la transformation de leur relation
entre 1 et 2 ans se voient cependant altérées quand le langage parlé ne se déve-
loppe pas au moment où il devrait le faire ou ne s’établit pas de la manière dont
il le fait chez les enfants de développement typique.
La recherche chez ces derniers, comme nous l’avons commenté aupara-
vant, semble indiquer que les gestes et la parole forment deux systèmes indé-
pendants mais connectés qui se combinent entre eux surtout pendant la période
antérieure au stade de l’énoncé de deux mots mais nous ne disposons que de très
peu de données en ce qui concerne les enfants présentant des troubles du lan-
gage (Sowden, Perkins et Clegg 2008).

1. Les gestes servent tout autant comme instrument de communication pour ceux qui écoutent que comme ins-
trument de pensée pour ceux qui parlent
2. Les enfants peuvent être capables d’utiliser leurs mains pour changer leur esprit

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À partir de ce que l’on connaît actuellement, on peut distinguer en fait deux


grandes catégories dans ce phénomène pathologique :
- les cas où c’est l’accès au code linguistique qui est empêché ou freiné : la
pulsion communicative innée chez ces enfants est semblable à celle des
enfants de développement typique mais, après un premier temps de « nor-
malité », elle ne peut plus se développer ni au même rythme ni de la
même façon : c’est clairement le cas chez le jeune enfant sourd ou chez
l’enfant porteur d’un trouble spécifique du langage de type expressif ou
d’un trouble moteur qui l’empêche de parler mais pas de comprendre ni
de gesticuler.
- les cas où c’est la propre interaction sociale ou d’autres domaines en
amont (par exemple le cognitif) et non seulement le code linguistique qui
voient leur développement altéré : c’est clairement le cas des enfants por-
teurs d’autisme mais la question se pose de savoir quelle est la part de
chacun des deux éléments (limitation du code et limitation de la pulsion
sociale) chez les enfants porteurs d’une discapacité intellectuelle (handi-
cap mental) ou présentant certaines formes particulières de trouble du lan-
gage (les troubles spécifiques du langage ou dysphasies) ou de la parole
comme le bégaiement.
Que nous disent les études de suivi chez les enfants de cette deuxième catégorie ?
Les enfants présentant un Trouble Spécifique du Langage
La nature « spécifique » de ce que l’on dénomme souvent Troubles Spé-
cifiques du Langage (TSL) n’est pas aussi simple que les classifications officiel-
les nous le proposent et certains indices suggèrent que ces difficultés peuvent en
fait être la conséquence de limitations cognitives sous-jacentes : Botting, Riches,
Gaynor et Morgan (2010) ont montré précisément des différences entre ces
enfants et des enfants de développement typique dans des tâches de compréhen-
sion qui intégraient à la fois de la parole et des gestes et suggèrent que les inter-
actions entre geste et langage peuvent être différentes dans les deux groupes.
Il faut certainement distinguer entre les TSL de type surtout expressif et
les TSL de type mixte : l’étayage de la communication gestuelle chez les pre-
miers est assez évident et ressemble à ce qui passe chez un petit enfant qui
arrive dans un milieu dont il ne connaît pas la langue.
Par contre, c’est chez les enfants présentant un TSL mixte que la nature
spécifique de ces syndromes soulève le plus de questions, tout spécialement
chez ceux que l’on regroupe sous l’étiquette « sémantique-pragmatique » (ou
« trouble social de la communication » si est adoptée finalement cette nouvelle

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proposition de dénomination) : le profil de ces enfants inclut précisément des


altérations de la communication non verbale qui empêchent ou perturbent la
possible compensation que pourraient rechercher ces enfants dans l’expression
corporelle et gestuelle.
La grande hétérogénéité de la population d’enfants présentant un TSL
explique sans doute la diversité des données que nous pouvons trouver dans les
recherches. Les cohortes utilisées n’ont pas toujours été choisies avec les
mêmes critères. En raison de la nature évolutive du trouble, il faut y ajouter sans
doute aussi les changements qui se produisent chez ces sujets dans les relations
entre gestes et parole avec l’âge : Magaldi (2007), en analysant rétrospective-
ment des enregistrements vidéos effectués avant l’âge d’un an, trouva que les
enfants présentant un TSL faisaient sensiblement moins de gestes que les
enfants dont le développement postérieur s’est révélé normal ; Blake, Myszczy-
syn, Jokel et Bebiroglu (2011) ont observé une proportion plus grande et un
usage substitutif plus fréquent de gestes iconiques chez des enfants présentant
un TSL de 5 à 10 ans ; Mainda-Arnold, Evans et Albali (2006) enfin ne trouvè-
rent par contre pas de différences au niveau des gestes entre des enfants de
développement typique ou porteurs d’un TSL de 7 à 10 ans dans une tâche pia-
getcienne d’explication de la conservation.
Les enfants porteurs d’autisme
Le profil évolutif des enfants porteurs d’autisme inclut de nombreuses
références à la communication non verbale : absence ou retard important d’ap-
parition du geste de pointer (surtout dans sa valeur proto-déclarative), altération
du contact oculaire et de l’expression faciale, absence ou très forte réduction des
gestes spontanés (hausser les épaules, soulever les sourcils…) et des pantomi-
mes, associées également aux altérations de l’imitation (Rogers et Williams
2006) et tout spécialement des aspects séquentiels dans l’utilisation de combi-
naisons de gestes ou de signes manuels (Liskey, Bonvillian et Richards 2008).
Chez les enfants porteurs d’autisme, il n’y a pas que l’expression ges-
tuelle qui est réduite mais aussi et surtout la compréhension des gestes de
l’autre ; c’est le cas très courant de la confusion entre « geste emphatique »
(qui accompagne la parole sans référent concret) et « geste intentionné » (par
exemple le geste de pointer du doigt ou les pantomimes d’usage commun
comme se frotter les doigts en se référant à l’argent).
La plupart des gestes et des mimiques emphatiques, non significatives,
que leurs interlocuteurs utilisent de façon naturelle déroutent ces enfants qui ont
beaucoup de mal à les interpréter et à les différencier des gestes intentionnés.

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Cette difficulté à intégrer langage et gestes est résistante à l’évolution et


elle a été ainsi retrouvée même chez des adolescents qualifiés comme « autistes
de haut niveau » (Silverman, Benetto, Campana et Tanenhaus 2010).
L’opinion générale est que ces symptômes sont parallèles aux déficits de
langage oral : tous deux sont les conséquences du déficit « de base » dont la
nature, en fait, reste encore sujette aux controverses.
Même si cela est vrai, il faut cependant toujours compter sur les effets
réciproques de deux conséquences indépendantes d’une même étiologie et qui
vont normalement aggraver chacun de ces versants : ainsi, chez les enfants por-
teurs d’autisme, l’on peut difficilement compter sur l’étayage spontané de la
gestuelle pour la communication et un changement de code (par l’exemple l’in-
troduction de signes manuels) n’aura pas nécessairement un effet aussi immé-
diat que chez d’autres enfants sans parole mais non porteurs d’autisme.
De plus, il est bien connu que les frontières du « spectre autistique »
sont loin d’être précises : par contre, il semble bien que l’on puisse distinguer
entre des difficultés « primaires » de l’interaction communicative et des diffi-
cultés « secondaires » à des limitations dans la capacité d’acquisition du code
et de son usage.
Dans une recherche qui interpelle, Flenthrope et Brady (2010) ont divisé
un groupe de 25 sujets présentant un syndrome du X fragile en deux groupes en
fonction du résultat plus ou moins élevé qu’ils avaient obtenu à l’échelle CARS
pour l’autisme infantile et les ont suivis entre l’âge de 2 ans et l’âge de 5 ans.
Pour l’ensemble du groupe, ils ne trouvèrent pas de relation entre les ges-
tes pré-linguistiques et le développement postérieur du langage mais ils ont
trouvé une relation négative pour le sous-groupe avec les plus mauvais résultats
au CARS, ce qui, si leurs résultats se confirment, soulèverait des questions sur
l’aspect prédictif de la présence de gestes précoces dans le cas d’enfants présen-
tant des symptômes autistiques, juste le contraire de ce que l’on observe dans
d’autres pathologies.
Les enfants présentant une « discapacité » intellectuelle (dishability).
Iverson, Longobardi et Caselli (2003) ont comparé des enfants présentant
une trisomie 21 à des enfants de développement typique de même niveau
expressif : ils ont observé que même si la quantité de gestes était moindre chez
les enfants présentant une « discapacité » intellectuelle, leur usage en était
similaire : l’étape de combinaison geste + mot pour former un énoncé semblait
également retardée.

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Stefanini, Caselli et Volterra (2007) ont montré cependant certaines diffé-


rences entre des enfants présentant une trisomie 21 et des enfants de développe-
ment normal en référence aux gestes iconiques, plus fréquents chez les pre-
miers. Burgoyne (2009), dans son commentaire à ce travail, souligne que chez
ces enfants, les gestes et le langage interagissent pour véhiculer du sens : le rôle
d’étayage des gestes serait donc assez clair chez eux.

Les personnes présentant un bégaiement


Chez la personne atteinte d’un bégaiement, l’attitude corporelle ainsi que
les gestes sont altérés : « son langage corporel ne soutient pas ses paroles, ne
les contredit pas non plus, mais s’articule autour de l’angoisse face à la commu-
nication » (Bijleveld 1994, page 137) : le trouble du parole et celui du langage
corporel sembleraient donc former deux manifestations d’une même pathologie
mais dont les effets se renforceraient mutuellement.

♦ L’étayage spontané
L’expérience naturelle de tout un chacun nous permet de savoir que,
d’une manière spontanée, quand il n’est pas possible d’utiliser la parole (à cause
du bruit, de l’éloignement, d’une interdiction de parler ou de la méconnaissance
de la langue), l’être humain récupère sa capacité gestuelle et mimique pour
essayer de se faire comprendre.
Cette capacité innée pour la communication visuelle basée sur l’expres-
sion motrice est à la base bien sûr de la Langue des Signes des communautés de
personnes sourdes (y compris sa version tactile pour les personnes sourdes et
aveugles) où elle démontre ses possibilités de structuration comme langue
authentique quand précisément, elle passe d’un étayage spontané à un stade
d´étayage organisé par un entourage plus ou moins compétent dans cette langue
(Goldin-Meadow, Mylander et Franklin 2007).
C’est un étayage réellement spontané que l’on va retrouver par contre
chez les enfants entendants qui, pour l’une ou autre raison, ne peuvent utili-
ser la parole pour se faire comprendre mais disposent d’un niveau cognitif,
d’une pulsion sociale et d’habiletés motrices normales : le remplacement des
gestes iconiques par la parole ne se fait alors pas à l’âge habituel mais plus
tard : pendant cette période additionnelle, la fréquence et la complexité des
gestes vont logiquement s’accroître puisque les besoins de l’enfant le font
aussi mais celui-ci peut alors se voir confronté à une réaction inattendue de
l’entourage.

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Alors que les premiers gestes du bébé de 10 à 24 mois sont salués, renfor-
cés, voire entraînés par les adultes, les gestes de l’enfant de plus de deux ans et
demi qui ne parle pas sont la plupart du temps perçus comme les stigmates de
son trouble et parfois même sont réprimés explicitement (« on ne parle pas avec
les mains, dis-le avec la bouche »).
Une idée reçue assez universelle vis-à-vis des enfants « normaux » qui
parlent tard ou ne parlent pas affirme qu’ils sont d’une certaine manière respon-
sables de ce fait (« il est paresseux pour parler ») ou, comme alternative, que ce
sont les parents qui le sont (« comme vous comprenez tout ce qu’il vous dit, il ne
fait pas d’effort »).
Le geste qui substitue la parole absente est, d’une part, une réaction nor-
male et c’est ce que l’on doit attendre chez un enfant dont le code linguistique
se retarde ou se trouve empêché : l’absence de cet étayage spontané devrait
interpeller tout observateur et, en tout cas, constituer un élément fondamental du
bilan.
D’autre part, il porte pour l’immense majorité des parents et des adultes
qui interagissent avec l’enfant, une connotation négative : il sera parfois admis
mais jamais admiré.
La richesse de cet étayage spontané varie évidemment en fonction de la
nature des troubles ; nous l’avons déjà vu au point précédent mais les variations
sont souvent subtiles.
N’en prenons pour exemple que les données de l’étude de Thal et Tobias
(1992) qui ont comparé 10 enfants qui présentaient un déficit expressif initial à
des enfants de développement typique ; par rapport à ceux-ci, les premiers pré-
sentaient plus de gestes communicatifs et pour des fonctions plus diverses. Mais
au bout d’un an, ils observèrent que 4 enfants n’avaient pas récupéré leur retard
(« late-talkers ») mais que les 6 autres (« late-bloomers ») l’avaient fait.
En révisant alors leurs premières données, ils s’aperçurent que seuls les 6
enfants « late bloomers » avaient utilisé plus de gestes communicatifs que les
enfants de développement typique, ce que ces auteurs interprétaient comme la
manifestation d’un système de compensation, donc d’étayage spontané, et un
prédicteur précoce de l’importance des difficultés futures de ces enfants : le fait
d’utiliser des gestes pour compenser le manque d’efficacité de la parole serait
alors un élément de pronostic positif chez les enfants présentant un retard initial
d’expression orale.
L’évolution ou le rôle facilitateur des gestes « emphatiques » chez les
enfants ou les adultes présentant une difficulté expressive est réellement une
« terra incognita » : il existe des descriptions anecdotiques (comme le fait bien

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connu des gestes que les personnes présentant un bégaiement utilisent souvent
pour s’aider à « démarrer » ou les gestes récurrents des patients anomiques en
« manque de mot » mais s’agit-il réellement de quelque chose qui les aide ou
de la manifestation corporelle de leur angoisse ou leur malaise?) mais pas ou
très peu d’études systématiques sur ce sujet.

♦ L’étayage organisé
L’évolution de la perspective des analyses linguistiques et de l’objet de
l’intervention langagière (Monfort et Juárez 2001) a profondément changé la
vision que nous avons aujourd’hui des relations entre le langage parlé et la com-
munication en général : autrefois envisagés souvent comme des entités distinc-
tes qui s’alliaient pour différentes fonctions dans une dimension catégorielle
finalement héritée d’Aristote, on les considère actuellement comme des dimen-
sions beaucoup plus imbriquées, aux influences réciproques qui ne sont pas
nécessairement figées une fois pour toutes mais qui dépendent au contraire des
circonstances du développement.
A ce propos, le thème du rôle « facilitateur » de la communication ges-
tuelle sur le développement du langage parlé chez des enfants présentant des
difficultés dans ce domaine est tout spécialement intéressant.
Depuis plusieurs décennies, différents groupes de thérapeutes ont proposé
des systèmes alternatifs et/ou augmentatifs aux familles dont les enfants ne
développaient pas la parole ou même le langage dans son ensemble ; certains
systèmes sont de type graphique, d’autres utilisent des signes manuels (Commu-
nication Bimodale, Français signé, Français ponctué de signes… avec ou sans
méthodologie spécifique d’enseignement, comme celles que proposent la
méthode Ledan ou le Makaton, dans la francophonie).
Il est donc un point ici qui mérite d’être souligné : le premier objectif de
l’introduction de systèmes alternatifs et/ou augmentatifs de communication dans
la thérapie d’enfants sans langage ou sans parole efficace est bien sûr celui
d’améliorer l’interaction communicative avec leur entourage et de renforcer
ainsi leur développement cognitif, affectif et social.
Mais il existe un deuxième objectif, celui d’étayer le développement du
langage oral et de la parole : c’est donc un rôle facilitateur.
Cette idée se basait surtout sur des convictions et sur certaines observa-
tions empiriques, mais la justesse de son propos s’est vue progressivement ren-
forcée par des études de suivi comme celles de Goodwyn, Acredolo et Brown
(2000), de Ozcliskan et Goldin-Meadow (2005) ou de Rowe et Goldin-Meadow

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(2009) chez l’enfant de développement typique, de Launonen (1996) ou de


Grove et Dockrell (2000) chez l’enfant présentant une discapacité intellectuelle,
de Schwartz et Nye (2007), de Ingersol et Lalonde (2010) ou de Lal (2010) chez
l’enfant présentant un trouble du spectre autistique, de Grasser (2004) ou de
Monfort, Juárez et Monfort (2006) chez les enfants présentant un TSL sévère.
L’introduction de systèmes alternatifs et augmentatifs de communication
pose bien sûr de nombreux problèmes méthodologiques : il ne suffit pas d’une
prise de décision concernant l’incorporation d’un nouveau code et les différen-
ces entre l’étayage spontané et l’étayage organisé se situent à plusieurs niveaux :
certaines d’entre elles sont positives et supposent un avantage pour l’enfant :
- L’étayage spontané se voit limité la plupart du temps à des contenus très
concrets et à des situations d’ « ici et maintenant », ce qui n’est pas le
cas de l’étayage organisé puisque celui-ci provient des adultes.
- Le premier dépend des possibilités cognitives d’un enfant très jeune alors
que le second va permettre la modélisation de contenus beaucoup plus éla-
borés.
- Le deuxième bénéficiera des structures sémantiques et syntaxiques du lan-
gage parlé.
- Puisque, chez l’adulte, il s’accompagnera toujours de parole, l’enfant
pourra bénéficier du même « parallélisme » réceptif qui se produisait
pendant les premiers 18 mois.
- Dans un programme de ce type, l’entourage est explicitement encouragé à
recevoir les gestes et les signes de l’enfant avec le même bonheur qui
accueille les premiers mots et les premiers gestes chez l’enfant de déve-
loppement typique.
Il existe par contre des limitations :
- Si l’altération est essentiellement communicative, le changement de code
ne supposera que l’avantage d’accès que ce nouveau code représente
(caractère visuel, global et modelable, par exemple, du signe manuel par
rapport au mot).
- Un nouveau code n’introduit pas par lui-même de nouveaux contenus.
- L’étiologie des troubles du langage d’un cas particulier peut supposer
l’existence de difficultés d’apprentissage (mémoire, attention, séquentia-
lité…) qui vont affecter l’acquisition de tout type de code.

♦ Conclusion : les implications pour la pratique orthophonique


L’on pourrait essayer de synthétiser les implications des données sur le
développement des relations entre geste et parole chez l’enfant de développe-

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ment typique et chez l’enfant présentant un trouble de l’acquisition du langage


en quelques points sur lesquels s’est établi actuellement un large consensus :
- Il existe un ensemble de relations réciproques étroites entre le développe-
ment de la gestuelle et du langage parlé, ce qui justifie au départ la démar-
che qui consiste à étayer l’un des versants à partir du renforcement de
l’autre.
- Ces relations se voient modifiées par la présence d’un trouble, soit de
manière directe (conséquences parallèles d’un même déficit en amont)
soit indirecte (changement dans les relations entre geste et parole à cause
du retard dans l’émergence du langage).
- Dans les cas où l’altération est essentiellement linguistique, il se produit
un phénomène d’étayage spontané des gestes sur la parole que l’on peut
alors renforcer et structurer en recherchant un effet facilitateur sur l’émer-
gence du langage et de la parole.
- Le recours à la gestuelle dans les cas où l’altération de la communication
est plus ample doit alors adapter la perspective et les attentes : le seul
changement dans le code ne va pas nécessairement aplanir toutes les diffi-
cultés, même s’il est considéré généralement comme positif.
- L’introduction de gestes ou de signes manuels et leur encouragement dans
l’interaction communicative de la vie quotidienne ne freine pas l’émer-
gence du langage oral et dans la plupart des cas elle va l’accélérer
(Romski et Sevcik 2005 et révision récente de 116 études sur ce sujet chez
Snell, Brandy, McLean et al. 2010).

REFERENCES
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Gestes, paroles et langage : compte rendu d’une


expérience clinique
Pierre Ferrand

Résumé
Par référence aux thèses anthropologiques qui lient étroitement le geste et la parole dans le
langage humain, l’auteur décrit une expérience personnelle originale fondée sur la réversi-
ble adéquation gestes/langage/pensée. La pratique du mime ou gesticulation significative
est à ses yeux une approche ludique et structurante dans la rééducation des troubles langa-
giers du jeune enfant. Cette expression gestuelle, construite dans une vision résolument
sémiotique, devient progressivement le point d’ancrage des éléments linguistiques à venir.
Cependant, cette pratique exige du praticien une vision claire des objectifs à atteindre, une
cohérence dans la démarche clinique et une maîtrise de la reformulation, véritable maïeuti-
que du dialogue parlé.
Mots clés : anthropologie du geste, orthophonie, enfants, mime, langage oral.

Gesture, speech and language : report based on the author’s clinical


experience

Abstract
In reference to anthropological theories which closely associate gesture and speech in
human language, the author describes a unique practice anchored in the reversible mat-
ching of gesture/language/thought. According to him, the practice of mime or exaggerated
gesturing represents a playful and structuring approach to the remediation of language
disorders in young children. This type of gestural expression, constructed according to a
resolutely semiotic perspective, progressively becomes the anchoring point of future linguis-
tic elements. However, this practice requires from the practitioner a clear vision of goals to
be achieved, a consistent clinical approach and a good mastery of reformulation, a true
Socratic spoken dialogue.
Key Words : anthropology of gesture, speech and language therapy, children, mime, oral
language.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Pierre FERRAND
Educateur spécialisé
Orthophoniste
DEA en Sciences du Langage
Chargé de cours
à l’Ecole d’Orthophonie de Toulouse de
1975 à 1999
Praticien chercheur au Laboratoire J. Lordat
(Université Toulouse Le Mirail de 1990 à
2000)
Formateur en Formation Continue
Le Mas d’Enfau
81210 Roquecourbe
Courriel :
pierre.auguste.ferrand@wanadoo.fr

♦ Avant-propos

P
armi les nombreux outils dont l’orthophoniste dispose dans le traitement
des diverses pathologies langagières qui relèvent de sa compétence, l’utili-
sation d’une « gesticulation significative » est certainement l’un des plus
originaux.
Anthropologues, Philosophes, Psychologues, Psychanalystes, Linguistes
et Orthophonistes l’ont suffisamment démontré : « L’être humain est un animal
sémiologique, mimeur par nature, dont le Langage est geste avant d’être
parole » (Ferrand 1965 / Kremer 1994 ).
Historiquement, à la suite de Suzanne Borel-Maisonny, l’Orthophonie
française s’est toujours distinguée dans ce domaine, en créant des méthodes et
des techniques adaptées au patient aphasique, sourd, dysphonique, bègue,
autiste ou dysphasique.
Concernant le jeune enfant, l’expression du corps dans ses différents
aspects peut devenir - si elle est bien maîtrisée - un adjuvant précieux aux
actions habituellement appliquées dans la rééducation des troubles du langage
Oral et Ecrit.
Mais comment décrire avec des mots ce qui est écrit avec des gestes ?
Une démarche teintée d’humour inspirée de la pratique professionnelle
quotidienne devrait nous y aider. Elle rappellerait ainsi l’importance de l’appro-
che clinique dans l’observation des liens que tissent entre eux Faire, Savoir-
Faire et Savoirs dans la conquête d’un langage en devenir.
L’imagination du praticien fera le reste !

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♦ Règles de jeu
Les Jeux sont présentés sur le mode théâtral, en Actes distincts, abordant
successivement les prises de conscience lexicale, syntaxique et narrative.
La parole des enfants est transcrite en caractères italiques gras, celle de
l’orthophoniste en caractères italiques sans gras. Les énoncés sont rédigés en
langage relâché et numérotés dans le but de faciliter leur analyse éventuelle.
En cours de jeu, les indications complémentaires sont écrites entre paren-
thèses.
Après chaque séquence, la rubrique « Observations et Commentaires »
permet de noter « à chaud » les réactions du patient et de les commenter.
Ces notes sont volontairement transcrites sur le mode succinct, tradition-
nellement utilisé dans l’activité quotidienne. Au cours de la rééducation, leur
mise à jour (rapportée sur une fiche individuelle) et leur relecture régulière
encourageront les nécessaires ajustements à porter au Projet Thérapeutique.
En conclusion, sous les rubriques « Notes de synthèses et
personnelles » apparaissent des recommandations ou pistes de réflexion et
d’approfondissement telles que nous les appliquons en Formation Continue.
Enfin, un Epilogue en forme de sentence clôt ce compte rendu.

♦ Prologue
Les séquences se déroulent dans le cabinet de l’orthophoniste : vaste
pièce, bien éclairée et protégée des intrusions sonores intempestives. Meubles et
sièges habituels. Au centre de la pièce, un large tapis attire l’attention ; sur un
mur, un grand tableau blanc avec feutres de couleurs ; un tambourin à sonnail-
les est le seul instrument utilisé dans cette activité.
Les jeunes patients, ADAM ,7 ans 3 mois, scolarisé au CE1 et EVA,9 ans
6 mois, scolarisée au CM1, présentent un tableau classique de Retard de langage
sous-tendant de grandes difficultés d’accès à l’Ecrit.
L’orthophoniste, meneur de Jeu, porte une tenue adéquate, lui permettant
de jouer avec l’enfant !
♦ Acte I : De la précision du mot à la conscience lexicale.
Objectifs
• Prendre conscience de la dimension sémiotique d’une unité lexicale ;
• Evoquer ses différentes expressions sensorielles, perceptives et motrices ;

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• Chercher, inventer, adapter une gesticulation significative, en utilisant l’en-


semble du corps ;
• Alimenter aussitôt et développer graphiquement sur le tableau, les réseaux
lexico-sémantiques puis les stocker en vue d’une exploitation ultérieure.
(voir exemples dans Coquet, Troubles du langage Oral. Méthodes et tech-
niques de rééducation, p. 232/233).
Jeux
Séquence 1 : de l’état vers la qualité
Adam (7a3 CE1) déplace la caisse de jouets à la 6° séance.
1- Ouf ! c’est lourd !
2- Et si on faisait semblant de porter quelque chose de lourd, un seau
plein d’eau par exemple ?
Adam soulève « le seau » d’une seule main !
3- Il ne paraît pas bien lourd ton seau : on va essayer de soulever chacun
son seau, en pensant qu’il est plein d’eau…et sans en renverser !
Adam imite les gestes de l’orthophoniste.
4- Ah ! oui, il faut plier les jambes un peu et tendre les bras beaucoup !
5- Et puis ?
6- Et puis, quand on soulève, on fait la grimace comme ça !
7- Et si on marchait ?
Adam se déplace à petits pas
8- On est obligé de marcher comme ça si on veut pas verser de l’eau par
terre !
Adam se déplace maintenant lentement dans la pièce : tout son corps est
tendu, jambes et bras raides, souffle court, fixant le seau visage crispé : tout est
devenu lourd !
9- Et si on faisait un jeu complet ?
Adam et l’orthophoniste improvisent le décor et l’installent : au jardin
potager, créer les ustensiles, prendre le seau, ouvrir le robinet, remplir le seau, fer-
mer le robinet, soulever le seau, aller au bout du jardin, vider peu à peu le seau au
pied des plans de tomates et revenir ranger le seau vide…qui est devenu léger !
Observations et Commentaires
A ce moment de la séquence, Adam découvre et prend conscience que
toute modification des gestes qui supportent l’acte fait intervenir l’ensemble du
corps (regard, mimique, membres, respiration…) et que les expressions utilisées

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s’opposent parfaitement geste à geste au fur et à mesure du passage du lourd au


léger et réciproquement ! Quel meilleur outil que le corps en action dans la
découverte et la maîtrise de la notion de CONTRAIRE ?
Sur cette base, le jeu peut alors alimenter le réseau lexical, selon l’âge de
l’enfant, sur les axes paradigmatique et syntagmatique et dans trois directions :
- La dérivation : lourd, lourdeur, lourdement, alourdir…// léger, légèreté,
légèrement, alléger….
- La synonymie : pesant, chargé, écrasant…// leste, agile, vif, aérien…
- La composition métaphorique : lourd comme le temps, l’estomac, une
peine…// léger comme une plume, le vent, un fardeau…
Parvenu à ce stade de progression, le jeune patient, à partir des images
mentales qu’il a construites, inventera des personnages porteurs de ces nuances
et les intégrera dans un sketch : l’haltérophile, l’éléphant, le balourd…// le
funambule, la danseuse, l’étourdi.
Séquence 2 : de la qualité vers la désignation
Eva (9a6 CM1) arrive à sa 10° séance toute contente !
1- Tu as l’air en forme ?
2- Oui, j’ai pas fait de fautes à la dictée de mots !
3- Bravo ! alors tu es comment ?
4- Ben, je suis contente, très contente !
5- Tu peux montrer comment on est quand on est content ?
Le visage d’Eva s’éclaire d’un large sourire.
6- Et quand on est « très content » ?
Eva bat des mains, saute, lève les bras en poussant des « ouais ! » de plus
en plus toniques !
7- Tu remarques qu’on peut le montrer avec tout le corps et pas seule-
ment avec le visage?
8- Oui, c’est même plus fort !
9- Et dis-moi, si tu avais raté ta dictée de mots ?
10- Alors, là, je serais pas contente !
11- Et tu serais comment ?
12- Pas contente du tout !
13- Oui, mais il y a peut-être un autre mot pour le dire ?
14- Pas vraiment contente, quoi !
15- Et si on mimait comment on est quand on n’est « pas vraiment
contente du tout » ?
Eva joue le jeu et cette fois-ci, n’utilise pas la seule mimique du visage :
elle laisse tomber ses bras, hoche la tête, et affaisse l’ensemble du corps.

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16- Bravo ! On rejoue ensemble la même chose, face à face, on s’observe


et puis on discute ?
17- D’accord
Quelques secondes plus tard…
18- On dirait qu’on est triste aussi…
Observations et Commentaires
La porte d’accès aux images mentales qui serviront de support aux divers
champs lexico-sémantiques est grande ouverte.
Le travail de recherche s’orientera vers la riche palette des synonymes de
Tristesse et ceux de Joie.
Des mimes de plus en plus précis en inventeront les nuances, des plus
simples (chagrin, inquiétude / bonheur, gaîté) aux plus complexes (désolation,
souffrance / euphorie, enthousiasme) en fonction de l’âge et de l’enrichissement
progressif du réseau lexico-sémantique.
En découvrant ce que signifient « sauter de joie » ou « se tordre de rire »
mais aussi « pleurer à chaudes larmes » ou « mourir d’ennui ». Eva pourra
créer autant de personnages porteurs de ces caractéristiques et les intégrer dans
un sketch.
Séquence 3 : de l’acte vers l’action
Adam arrive à sa 15° séance d’un pas rapide.
1- Bonjour ! Tu as l’air bien pressé ?
2- Je marche vite, tout le temps !
3- Tu sais qu’on peut marcher moins vite ?
4- Oui, mais alors, on traîne !
5- Alors, on peut marcher de plusieurs façons ?
6- Ben, vite ou pas vite !
7- C’est plus compliqué que ça ! Si on essayait ?
L’orthophoniste prend le tambourin et commence à marquer un rythme
sur lequel il se déplace dans la pièce en entraînant Adam. Ils évoluent ainsi sur
des rythmes changeants, ponctués d’arrêts.
8- Tu observes ce qui se passe quand le tambourin change de rythme ?
9- Oui, les jambes, les bras et respirer, c’est pas pareil !
10- Pourquoi, c’est pas pareil ?
11- Ben, quand on est en retard, on va plus vite…comme ça (mime)
12- Et quand on n’est pas en retard ?
13- On marche comme ça (mime)

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14- Pourquoi ?
15- Pasqu’on a le temps !
16- Seulement « pasqu’on a le temps » ?
17- Aussi quand on veut pas y aller ?
18- Où ?
19- A l’école !
20- Alors, ça dépend de quoi, si « on marche pas pareil » ?
21- De ce qu’on a dans la tête !
A cet instant, l’orthophoniste aurait pu modifier l’orientation du dialogue
vers une approche psychoaffective. Il a choisi délibérément de rester dans la
dynamique ludique et gestuelle de l’action en cours, renvoyant à une autre
séance la problématique évoquée.
22- On pourrait aussi chercher et mimer d’autres façons de marcher ?
23- D’accord, on y va ?
Observations et Commentaires
L’orthophoniste, meneur de jeu, a tenté d’entraîner Adam à la décou-
verte d’une sorte de marche « sémantisée ».
Le meneur de Jeu proposera des expressions du langage courant, allant du
plus simple au plus complexe : marcher à petits pas, à pas de géant, à pas de
tortue….à pas comptés, à pas de loup, sur des œufs … Le commentaire dialo-
gué précisera dans quelles circonstances et pour quels buts, les pas peuvent être
« lents, petits, comptés… ».
A chaque séquence, le style de marche sera attribué à un personnage, mis
dans une situation donnée (la vieille dame qui porte un lourd cabas, le rugby-
man blessé qui retourne au vestiaire, la maman qui promène son bébé, le mili-
taire qui défile …).
Le sketch se construira naturellement dans la dynamique du mouvement
et du sens recherché.
Le lexique s’enrichira d’autant de synonymes (se traîner, trotter, boiter…)
et de leur développement respectif en réseaux.
♦ Acte II : De la souplesse de la phrase à la conscience syntaxique
Objectifs
• Prendre conscience de la relation Agent-Agissant-Agi ;
• Découvrir la réversibilité sujet/objet ;
• Placer l’Acte (verbe d’action) comme pivot de la structure de la phrase
basique et générateur de sa complexité ;

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Evaluer l’importance du lexique et particulièrement du lexique grammati-


cal (prépositions, connecteurs…) dans l’expansion de la phrase.
Jeux
Séquence 4 : Sujet ou Objet ?
Adam et l’orthophoniste se détendent en jouant aux autos tamponneuses :
ils courent dans la pièce en cherchant à s’éviter et puis…choc !
1- BOUM ! On s’est tamponné ! (arrêt pour reprendre souffle)
2- Comment on pourrait dire ça autrement, en disant notre nom ?
3- Ben … (hésitation et geste de pointé) Moi, j’ai tamponné toi !
4- oui, mais en disant nos 2 noms ?
5- Adam … tamponné Pierre !
6- Bien ! si on faisait le contraire (reprise du jeu) ?
7- Maintenant c’est toi tu m’as tamponné !
8- et avec nos 2 noms ?
10- Pierre a tamponné Adam… (silence) … à quoi ça sert de dire ça ?
11- Adam comprend qu’on peut faire l’action mais qu’on peut aussi la
recevoir. Tu as entendu parler du Verbe et du Sujet à l’école ?
11- Oui, on est en train… Alors tout à l’heure c’était moi le Sujet et toi
t’étais pas le sujet et maintenant c’est toi le Sujet et moi, je suis plus
le Sujet : alors, on est quoi quand on est pas le sujet ?
12- On en discute ?
Observations et Commentaires
Ce jeu se place souvent en début de prise en charge du fait de la facilité
de sa mise en scène.
L’enfant, même jeune, saisit très vite cette problématique en la jouant : il
découvre rapidement qu’il peut être l’auteur d’une action ou la subir, sujet ou
objet (Pierre pousse Paul / Paul pousse Pierre).
De la même façon, il peut manipuler un « objet » sans que le contraire
soit possible, (Adam peut porter un livre mais le livre ne peut pas porter Adam).
Cette découverte peut introduire, chez les plus grands, l’accès à la voie passive.
Cette approche par le mime facilite la compréhension des phrases bâties
sur le système anaphorique, notamment la présence de pronoms personnels sujet
et objet (Il le lui donne) ou les adjectifs et pronoms possessifs (mon, ton, son, le
sien, le mien, le leur).
Séquence 5 : La boîte à Verbes
Adam doit tirer au sort un carton sur lequel est écrit un verbe d’action et
improviser un mime, vieux jeu du métier muet. Dans la « boîte à verbes », ne

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se trouveront que des verbes simples d’action, pris dans l’univers de l’enfant.
Adam tire : MANGER
Aussitôt Adam dirige ses doigts vers la bouche en exécutant le geste sté-
réotypé universel !
1- Que fais-tu ?
2- Ben, je mange (mimique d’étonnement)
3- Oui, mais moi, je ne sais pas ce que tu manges : tu manges QUOI ?
4- Une banane ! (rires)
5- Où elle est cette banane ?
Adam crée la banane au bout des doigts et…la mange !
6- Tu la manges comme ça, sans la peler ?
Adam pèle la banane et jette la peau par terre…rires !
Observations et Commentaires
A partir de ce moment, sur un mode très ludique, l’orthophoniste et
Adam entrent dans un dialogue parole/gestes dont le but est de construire pas à
pas une double complexité réciproque, celle du mime nourrissant celle de la
Phrase.
L’orthophoniste enchaîne le questionnement sur le mode : Quoi ? Com-
ment ? Où ? Avec quoi ? Quand ? Pourquoi ? etc. Chaque question déclen-
chant une réponse mimée significative.
En quelques minutes, un mime de synthèse joué par Adam, construit
l’ensemble du contexte (construction du décor, interventions de personnages,
enchaînements logiques et résultats) dans lequel cette banane sera mangée !
La formulation orale se travaillera ensuite avec la participation de l’or-
thophoniste et peut conduire progressivement, selon le niveau d’Adam, à un
véritable récit : « Ce matin à l’école, pendant la récré, j’avais très faim et
alors… » Le résultat sera reformulé par l’orthophoniste, oralement et si possi-
ble par écrit, ce qui fera l’objet d’un recueil d’aventures …à retravailler plus
tard !
Séquence 6 : jeux divers : le pronom baladeur
Eva (22° séance) aperçoit un livre posé sur le bureau.
1- La Maîtresse m’a prêté un livre samedi.
2- Il parlait de quoi ?
3- Des dinosaures, j’aime bien !
4- Et tu l’as lu ?
5- Oui, je l’ai rendu aujourd’hui.
6- Tu l’as rendu à qui ?

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7- A la maîtresse, tiens ! … je lui ai rendu.


8- Quoi ?
9- Le livre, tiens ! (mimique d’exaspération).
10- On joue la scène ? je fais la maîtresse !
Eva joue la scène au présent et dit :
11- Voilà, je vous le rends.
Observation et commentaires
Les éléments sont identifiés (je =Eva, vous = maîtresse, le = livre ; ren-
dre = l’acte).
Si le niveau acquis par Eva le permet, nous entrons alors dans une vraie
histoire à rebondissements, regroupant les multiples variations possibles de cette
situation (s’adresser à une seule personne (lui) ou à plusieurs (leur), faire varier
le sens du verbe et le temps de l’action (passé/futur /temps composés), augmen-
ter le nombre de sujets et d’objets, remplacer « le livre » par « la balle » etc.
Et dans le cas d’Eva (9 ans 6 mois au CM1), nous aborderons, après le
jeu, la transcription écrite et déplacerons les rapports mime/langage/sens/…
dans le champ de l’orthographe grammaticale : ainsi une difficulté du type :
« je les renduent » ou « je les rendus » est bien plus aisée à résoudre !
Séquence 7 : jeux divers : où le mime vient au secours de la compréhension
Histoire : Un petit écureuil est la proie d’un hibou qui tourne au-dessus de lui
en cercles de plus en plus proches ! La maman écureuil a vu le danger et pousse
un cri d’alerte et….. Avant que le hibou ne revienne, le petit écureuil avait
regagné son nid, sauvé !
1- Comment ça s’est passé ?
2- Hé ! bien, comme on a dit, le hibou arrive avant et puis l’écureuil
se sauve…
3- Tu crois vraiment ? Essayons de jouer la scène
Devinette : Mamie tricote en regardant la télé ou Mamie regarde la télé en
tricotant …Quand est-ce que le tricot a le plus avancé ?
♦ Acte : III : De la dynamique du récit à la conscience narrative.
Objectifs
- Affiner la précision et la maîtrise des gestes propositionnels ;
- Découvrir, par la gesticulation significative du corps, la « chrono-
logique » de l’enchaînement des actes dans une situation donnée ;
- Renforcer le script narratif et prendre conscience de son rôle essentiel
dans la compréhension fine des actes concrets de la vie quotidienne ;

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- Parvenir ainsi à la conscience narrative, par l’intégration quasi anthropolo-


gique de la correspondance étroite geste/langage
Jeux
Séquence 8 : la description d’image
Adam commente une image montrant un enfant qui brosse ses dents
1- Ben ! il se brosse les dents puis il crache.
2- Oui, mais comment il fait ?
3- Ben, il met la brosse dans la bouche, il frotte puis il crache.
4- Tu fais comme ça, toi ?
5- Oui + (ébauche de gestes).
6- Alors, c’est magique : la brosse elle plane comme ça dans l’air ?
7- Ah ! non ! Je l’attrape dans le verre.
8- Quel verre ? je ne vois pas de verre.
9- Ben, le voilà !
Apparition du verre dans la main qui tient la brosse !
10- Tiens, ta brosse est tombée (sourire) !
Adam se baisse pour ramasser la brosse et fait tomber le verre par la même
occasion.
11- Alors là, tout est par terre (rires) et si on s’organisait un peu ?
Nous plantons le décor dans toutes ses dimensions de lieu et de temps.
Quand le décor est construit, nous reprenons la séquence.
12- Là, c’est plus facile de raconter : c’est le matin ou le soir, dans la
salle de bain. Y a le verre sur le lavabo et y a la brosse dedans.
13- Oui, c’est plus clair !
14- Je recommence le jeu ?
Adam mime la séquence en entier mais…
15- C’est bien, mais il me semble que tu as oublié quelque chose d’impor-
tant !
Mimique d’étonnement d’Adam qui garde cependant en suspend sa brosse
et son verre, suivi d’un silence…à la recherche du geste omis.
16- Ah oui ! le dentifrice ! (mimiques d’accompagnement + sourires).
17- Parfait ! On rejoue tout ? on le fait ensemble ?
18- D’accord !
Dans les rires mais sans paroles, les deux partenaires brossent soigneuse-
ment leurs dents, dans une salle de bain fictive parfaitement aménagée, sans
oublier aucun objet, depuis la brosse prise dans son verre jusqu’à la serviette de
toilette que l’on range soigneusement à la fin, ni dans l’enchaînement des gestes

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qui s’articulent les uns à la suite des autres, dans une suite logique et cohérente.
La séquence n’a pas dépassé quelques minutes. Le même jeu peut se faire pour
d’autres actes de la vie quotidienne (se servir un verre d’eau, couper et peler une
pomme avec un couteau, prendre un livre dans son cartable, etc.
Observations et commentaires
Dans cet exemple simple, Adam ne montre pas d’emblée sa maîtrise du
script narratif. Il évoque seulement les 2 actions basiques nécessaires à la com-
préhension de la scène : brosser et cracher.
De même, l’orthophoniste ne connaît pas encore la stratégie narrative de
l’enfant : mimer soigneusement la séquence serait un moyen facilitateur. Or,
ces enchaînements n’apparaîtront qu’à partir de la manipulation des objets fic-
tifs dans un décor imaginé : il faut donc construire ce décor, le contexte et créer
ces objets.
Il devient clair pour Adam que l’oubli de la pâte dentifrice sur la brosse
arrête tout le processus d’un brossage efficace ! Il découvre au même moment,
par un changement de gesticulation, la logique des enchaînements des faits qui
conduisent à la cohérence d’un récit même très simple.
Le moment précis où l’enfant intègre cette donnée émerge aux énoncés
15/16/17 !
Noter la valeur du chassé-croisé « jouer » et « raconter » de l’énoncé 12 !
Séquence 9 : le récit sur images séquentielles
EVA vient de classer une série de 5 images qui racontent une histoire1.

1. C. Le Bœuf. Historiettes « Raconte ». Paris : Editions de l’école.

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Fig 1 : images extraites de la série: Raconte, 55 historiettes en images


Garçon qui sort sans ses bottes
Images C. Le Bœuf, L’ECOLE, 11 rue de Sèvres, Paris 6°
1- Aujourd’hui, on pourrait jouer l’histoire au lieu de la raconter ?
2- Oui, oui, tu ferais la maman et moi le garçon (rires )
Eva, qui a déjà l’habitude de cette façon de travailler, se lève et reproduit
spontanément les gestes et attitudes dessinés sur chaque image.
3- Tu veux bien raconter maintenant ?
4- Le garçon il veut aller promener dehors.
5- Sa maman elle lui donne son manteau et ses bottes.
6- Il met pas les bottes.
7- Il se pique les pieds sur des châtaignes : Il est bête, hein ?
8- C’est bien ! maintenant essayons de mieux jouer en réfléchissant
ensemble sur tout ce qui se passe dans cette histoire, même ce que l’on ne voit
pas dessiné !

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A ce niveau, Eva va tenter de construire le mime, aidée par le questionne-


ment de l’Orthophoniste :
- Où se passe l’histoire, dans quels lieux, à quel moment de la journée et à
quelle saison ?
- Que faisait le garçon (son nom ?) avant d’ouvrir la porte ?
- Que signifie le geste de la main sur l’image 1 ?
- Pourquoi et comment apparaît la maman sur l’image 2 ?
- Pourquoi a-t-il laissé ses bottes ? A-t-il pensé à fermer la porte sur
l’image 3 ?
- Il est comment ce garçon ?
- Que se passe-t-il entre les images et dans le passage de l’une à l’autre ?
Il est possible aussi d’imaginer un autre scénario :
- Et si la maman était occupée ?
- Et s’il y avait un petit frère qui voulait sortir lui aussi ?
- Et si on mimait ce qui se passe dans l’image 0 ou l’image 7 que l’on ne
voit pas ?
- Et si ……
Toutes les données recueillies sous forme de dialogue entre l’orthopho-
niste et l’enfant seront autant d’arguments gestuels qui viendront enrichir le
mime final : Eva a construit un sketch structuré, véritable « cadre narratif
gestuel » dans lequel un discours amélioré devrait se loger dans un deuxième
temps !
9- Tu veux bien raconter maintenant ?
10- Cet après-midi c’est mercredi et Jean y va pas à l’école.
11- Alors, il s’ennuie un peu dans sa chambre.
12- Il regarde par la fenêtre.
13- Et comme y a un beau soleil qui brille dehors, ça lui donne envie
de sortir.
14- Il est tout content !
15- Il appelle sa maman : « regarde maman comme il fait beau ! »
16- Alors, la maman………
17- ETC.
Observations et Commentaires
Le premier mime est descriptif.
Il est entièrement calqué sur la reproduction des gestes tracés par le dessi-
nateur. Le script narratif et les enchaînements « chrono-logiques » n’apparais-
sent pas. Le décor est oublié, les personnages identifiés mais figés. Il n’existe ni
début ni fin, malgré la « morale » du dernier énoncé.

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Dans ces conditions, le discours qui suit ne peut pas être narratif : c’est
un discours descriptif, image par image, raconté en phrases juxtaposées, sans
lien anaphorique entre les énoncés et sans véritable contenu, lexical ou morpho-
syntaxique. A l’écrit, Eva produira des énoncés semblables.
Le deuxième mime est narratif.
Tous les ingrédients constitutifs de la narration ont été recueillis, identi-
fiés, hiérarchisés et joués. Le décor est planté, les personnages vivants.
En créant une organisation ordonnée dans le temps (avant-maintenant-
après) et dans la logique (d’abord-ensuite-à la fin), Eva a construit le cadre nar-
ratif : Exposition, complication, résolution, évaluation ou morale.
Le script suivra, par l’enchaînement des gestes et des attitudes adaptés au
contexte, en respectant les règles de cohérence (répétition, progression, relation
de cause et conséquences) et en s’enrichissant aux plans lexical et grammatical.
Le discours ainsi généré ne peut qu’être narratif, correspondant à sa
construction gestuelle initiale sous-jacente !
A l’Ecrit, nous pouvons espérer autre chose que de simples phrases juxta-
posées sur le modèle : une image - une phrase- une expansion.

♦ Conclusion
Notes de synthèse
• Le Mime (ou pantomime) est un art théâtral remontant à la nuit des
temps, toujours présent dans le cirque et la comédie, illustré et médiatisé de nos
jours, notamment par Marcel Marceau.
Cet Art a l’ambition d’exprimer l’ensemble des sentiments humains, sans
le secours de la parole mais avec le corps tout entier.
Dans notre longue expérience d’Educateur spécialisé et d’Orthophoniste
(1957-1997), l’apprentissage et la pratique du mime ont été, pour certains
enfants, un adjuvant précieux dans la conquête méthodique d’un Langage, à
l’origine déficitaire.
Notre hypothèse était de permettre au jeune patient de s’approprier, d’or-
ganiser et de développer des images mentales structurantes, en considérant le
corps en expression comme point d’ancrage des données linguistiques sous-
jacentes attendues. Ce qui était anthropologiquement fondé !
La prise de conscience de ces images, par une approche à la fois senso-
rielle, perceptive et motrice, ouvrait ainsi la porte aux secrets de la Langue…

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à condition toutefois que chacun des mimes réalisés débouche sur une reformu-
lation orale (parfois écrite), sorte de « maïeutique» conduite par le Praticien,
en fonction de l’avancée du projet thérapeutique !
• Les résultats espérés apparaissent vers la fin de la rééducation, dans les
jeux improvisés. L’improvisation est, dans le mime, le point sublime d’une
expression corporelle signifiante.
Sa pratique exige du sujet qu’il soit parvenu à une maîtrise suffisante de
son expression, doublée d’une conscience aigüe de la réversible adéquation ges-
tes/langage/pensée.
Ces improvisations se créent dans le cadre naturel de la séance. Elles sont
de deux types : statique (jeu de la statue) ou dynamique (mini-sketch). L’ortho-
phoniste-meneur de jeu marque sur son tambourin un rythme régulier soutenu
par le bruissement des sonnailles, sur lequel se déplace le jeune patient : le but
étant d’obtenir détente, concentration et attention. A un moment donné, le
meneur de jeu frappe un coup sec sur le tambourin et lance un mot, une image,
un thème ; selon le mode de jeu choisi, le patient improvise une attitude figée
ou une action ; puis la marche rythmée repart…vers un autre mot, un autre
thème.
Les thèmes proposés recouvrent quelques registres langagiers du lexique et du
discours :
- Un nom de personnage, d’animal, d’élément naturel : le gendarme règle
la circulation, un chat guette une souris, une fleur éclot ;
- Une qualité ou un défaut : attentif, coléreux ;
- Un acte : peindre, jongler ;
- Une action simple : arroser les plantes vertes en introduisant un gag
comique ;
- Une action complexe : Avant d’aller jouer, goûter, faire les devoirs, ranger
les affaires…
- Un scénario à construire : malade, je reste dans ma chambre et je m’en-
nuie…que faire ?
La réalisation de ces quelques jeux nécessite des savoir-faire gestuels
aboutis. Nos jeunes patients ne parviennent pas toujours à ce niveau. Cependant,
beaucoup de ceux qui sont « entrés dans le jeu » ont en eux des capacités
jusqu’alors inconnues. Certains d’entre eux ont rejoint les activités théâtrales de
leur Collège ou de leur Maison des Jeunes. Quelques mimeurs exceptionnels ont
su improviser des attitudes magnifiques sur des thèmes aussi difficiles que : la
bonté, le silence, la joie, le rouge, le bleu, la mer…

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A l’issue de chaque improvisation, le dialogue de reformulation s’enrichit


d’acquisitions langagières nouvelles. Il laisse souvent la place à une esthétique
partagée.
• Le Mime en Orthophonie n’est pas une « méthode » de plus : c’est
une forme d’animation parmi d’autres dont l’application nécessite cependant
quelques précautions :
- Il n’est qu’un moment de la séance et du plan général de progression ;
- Il intervient lorsque se pose pour l’orthophoniste la nécessité de changer
de code pour obtenir le résultat attendu ;
- Il suppose l’accord et la participation du patient en fonction de son âge, de
l’importance de ses difficultés et d’une facilité à se mouvoir ;
- En cabinet, il s’adresse au patient seul ou en groupe de 4 conformément à
la nomenclature ; son application est plus aisée en institution ;
- Il prend progressivement la forme d’un apprentissage à l’expression cor-
porelle sur les modes sensitif, perceptif et moteur (regard, écoute, décon-
traction, respiration, équilibre, coordination, …) ainsi qu’à la verbalisa-
tion dialoguée (approbation, opposition, reformulation..) qui
l’accompagne ; de fait, cette approche est semi-directive mais toujours
dans un registre ludique et joyeux !
- Il exige de l’orthophoniste une certaine aisance corporelle, un contrôle
permanent de la situation, une attention vigilante, une parfaite maîtrise du
projet thérapeutique (résultats du bilan, objectifs, suivi, évaluations régu-
lières…).
Notes personnelles de fin de stage : conseils de lectures, pour en savoir plus
1. A lire absolument pour compléments théoriques et méthodologiques :
- L’Anthropologie du geste de Jousse (1974) chez Gallimard, Paris ;
- Le Geste et la Parole de Leroi-Gourhan (1965) chez Albin Michel, Paris ;
- Comment les enfants apprennent à parler de Bruner (1983) chez Retz,
Paris ;
- Comment la parole vient aux enfants de De Boysson Bardies (1999) chez
Odile Jacob, Paris ;
- Pour que vibre la dynamique naturelle de la Parole de Denoyer de Segon-
zac (1991) chez Robert, Lyon.
- Le parcours de l’apprenti-parleur de Alves et Gibaru (2001) chez Ortho
Edition, Isbergues.
2. Lire attentivement les numéros de Rééducation Orthophonique 234 (Juin
2008) « Les inférences dans la communication » et 244 (décembre 2010)
« L’émergence de la communication et du langage ». Quelques excellents

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articles permettront d’établir un lien entre les observations et commentaires


ci-dessus, la Théorie de l’esprit et la construction des images mentales.
3. S’inscrire à un stage de théâtre ou de mime ?

♦ Epilogue
Ni neurologue, ni psychologue, ni psychomotricien, ni ergothérapeute, ni
linguiste, ni psychothérapeute, ni enseignant, l’orthophoniste est un praticien
de synthèse.
Grâce à la voie/voix du Langage, il est le clinicien de la réalité, de l’Acte
à la Pensée, de l’Acte et de la Pensée.
Vers 170 ans avant notre ère, dans une comédie où il revendiquait l’indis-
pensable solidarité de tout être humain avec le sort et la souffrance des autres,
Térence, esclave affranchi, s’écriait : « Homo sum : humani nil a me alienum
puto 2 »
De Pétrarque (XIV°) à Camus (XX°) en passant par Montaigne (XVI°),
les Humanistes se sont beaucoup inspirés de son œuvre !
Les Orthophonistes aussi.

2. Je suis Homme : rien de ce qui touche un Homme ne m’est étranger. (Heautontimoroumenos)

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REFERENCES
BOREL-MAISONNY, S. (1979). L’absence d’expression verbale chez l’enfant. Notes de rééducation.
Vers une méthode générale. Paris : ARPLOE.
BOREL-MAISONNY, S., DINVILLE, C. (1985). Méthode adjuvante à la rééducation de la parole par des
techniques auditivo-rythmiques. Rééducation Orthophonique, vol.22, 4-20.
COQUET, F. (2004). Troubles du langage oral chez l’enfant et l’adolescent. Méthodes et techniques de
rééducation. Isbergues : Ortho Edition.
COQUET, F., FERRAND, P., ROUSTIT, J., (2009). Batterie EVALO 2-6 : Points de repères de développe-
ment. Isbergues : Ortho Edition.
FERRAND, P. (1965). L’utilisation du Jeu Dramatique dans la rééducation des troubles du langage oral et
écrit. Revue de laryngologie-Otologie-Rhinologie Georges Portmann, numéro spécial de Phono-
Audiologie, 86° année, 11-12, 1021-1058.
FERRAND, P. (1973). Du geste au langage. Rééducation Orthophonique, vol 11, 66-67, 147-156 et 69, 8-
18.
FERRAND, P. (2004). Propositions pour le travail avec le mime. In F. COQUET. Troubles du langage
oral chez l’enfant et l’adolescent. Méthodes et techniques de rééducation (pp117-123).
Isbergues : Ortho Edition.
FERRAND, P. (2004). La mise en place des champs lexicaux. In F. COQUET, Troubles du langage oral
chez l’enfant. Méthodes et techniques de rééducation. (pp232-235).
FERRAND, P. (1975-2010). Contributions aux stages de Formation Continue : Le Jeu Dramatique (1975-
1995) ; Lexique, Syntaxe, Discours Narratif (1995-2010). Notes personnelles, non publiées.
KREMER, J.M., (1994). Langages et gestes. Rééducation Orthophonique, vol. 32, n° 178, (pp167-179).
ROUSSEAU, T. (Dir) (2008). Les approches thérapeutiques en Orthophonie - tome 2. Isbergues : Ortho
Edition.

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Utilisation d’un système signé augmentatif de


communication auprès d’enfants dysphasiques
en institution
Didier Roch, Françoise Urban

Résumé
Dans la prise en charge d’enfants dysphasiques, les professionnels proposent de plus en
plus souvent des moyens augmentatifs de communication. Nous en proposons une descrip-
tion, en décrivons l’intérêt auprès d’enfants dysphasiques, puis nous en exposons la mise
en œuvre à l’IME Franchemont Val-de-Marne à travers nos pratiques et une illustration clini-
que. Les systèmes gestuels et signés nous semblent être les meilleurs vecteurs de cette
approche de par leur essence corporelle. L’intérêt de cette pratique est réduit si elle n’est
pas étendue aux partenaires conversationnels habituels de l’enfant, en particulier ses
parents.
Mots clés : systèmes augmentatifs de communication, enfants dysphasiques, signes.

Use of a signed augmentative communication system with dysphasic


children

Abstract
Professionals who specialize in the treatment of dysphasic children increasingly favour the
use of augmentative means of communication. We propose a description of this system, dis-
cuss the value of this approach with dysphasic children, then describe its implementation in
a specialized institution (Institut Médico-éducatif of Franchemont in Val-de-Marne) through
our own practice and a clinical illustration. Gestural and signed communication systems
seem to be the best vehicles for this approach because they involve the body. The benefit of
this practice is reduced if it is not extended to the child’s daily conversational partners,
especially his/her parents.
Key Words : augmentative communication systems, dysphasic children, signs.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Didier ROCH
Orthophoniste
Françoise URBAN
Enseignante spécialisée
IME Franchemont Val-de-Marne
24 rue de la Prévoyance
94500 Champigny-sur- Marne

«
M
oi, avant avant je parle pas, je peux pas dire vélo, je fais le signe vélo
(démonstration) maintenant je dis vélo, voilà comme ça, vélo »
(Charles, enfant dysphasique de 9 ans)
Dans la prise en charge rééducative et pédagogique d’enfants dysphasi-
ques, il est devenu habituel de mettre à leur disposition des moyens augmenta-
tifs de communication. En effet, les limitations de leurs possibilités d’organiser
le langage oral selon les structures de la langue, de leur intelligibilité ou de leur
compréhension des messages verbaux nécessitent que le développement de leur
langage soit accompagné de moyens non verbaux. Ceux-ci peuvent être gestuels
ou graphiques.

♦ Les moyens augmentatifs


Les moyens augmentatifs se distinguent des moyens alternatifs de com-
munication (LSF chez les sourds ou systèmes pictographiques chez les paraly-
sés cérébraux en incapacité d’oraliser) par le fait qu’ils viennent étayer le lan-
gage oral et ont pour but de faciliter son développement.
L’objectif est de fournir à l’enfant des outils lui permettant de dépasser
les seuls besoins élémentaires pour l’aider dans la construction de ses habiletés
communicatives.
Parmi ces moyens augmentatifs on distingue les systèmes demandant un
apport de matériel extérieur (aided) et ceux ne reposant que sur les possibilités
du corps du sujet (unaided) (Romski & Sevcik 2005, pour un tableau récapitu-
latif des systèmes voir Coquet 2004).
Des travaux récents nous donnent un aperçu de ce qu’on peut attendre de
chacun des supports en termes d’efficacité dans le développement de la parole,
du langage et de la communication (par exemple, Millar & Coll., 2006 ; Schlos-
ser & Sigaloos, 2006) dans différentes pathologies. Deux des préalables à réaf-
firmer sont que ces moyens augmentatifs n’empêchent que dans de très rares cas
le développement d’un langage passant par le canal verbal, celui-ci reste le

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moyen de communication préféré même chez des enfants très limités dans leur
parole et que ces moyens sont souvent abandonnés dès qu’un niveau d’intelligi-
bilité suffisante est atteint (Weitz & coll. 1997). Il n’est pas nécessaire de déve-
lopper dans le présent article ce que chacun des systèmes peut apporter de façon
différentielle ou complémentaire dans chacune des pathologies (on ne peut pas
attendre le même impact de ces systèmes si la difficulté porte sur la parole, la
construction du langage ou l’intention communicative), néanmoins on peut,
avec Romski et Sevcik (2005), énoncer quelques grands principes :
• Il y a tout intérêt à proposer les moyens augmentatifs ou alternatifs sans
attendre que les moyens de rééducation uniquement centrés sur l’oral aient
montré leurs limites.
• Les moyens augmentatifs n’empêchent pas le développement de la commu-
nication orale.
• Il n’est pas sûr qu’un niveau de compétence cognitive minimum soit requis
pour leur utilisation, même s’il est important de souligner qu’il y a de fortes
différences entre les différents systèmes (gestuels, pictographiques, écrit)
quant au niveau de symbolisation demandé.
• Il n’y a aucune preuve suggérant que ces systèmes (en particulier gestuels)
ne puissent pas être proposés précocement.
• Ces supports, même les plus iconiques n’empêchent pas le passage, s’il
doit se faire, à des niveaux de symbolisation plus élevés.
« The Augmentative and Alternative devices and strategies are a tool, a means
to an end-language and communication skills, not the end » (page 182)1.
Ces systèmes de communication augmentée sont maintenant couramment
utilisés avec diverses populations, on trouvera des exemples de ces utilisations :
• pour l’autisme (Virole 2007, Franc & Gérard 2004, Sarfaty 2001) ;
• pour les enfants déficients (Clérebaut 2005) ;
• pour les enfants présentant des dyspraxies ou apraxies verbales (George
2007, Cumley & Swanson 1999) ;
• pour les enfants dysphasiques (George 2007, Gasser 2003, Monfort & Jua-
rez-Sanchez 1992).
La question posée par l’utilisation de ces systèmes est celle des liens
qu’ils entretiennent avec le développement du langage et la manière dont ils le
structurent. Pour Millar (2006), ceux-ci pourraient réduire la pression sur la pro-
duction de la parole, permettre aux enfants de contourner la production orale et
indirectement faciliter le développement. Une distinction est faite par Monfort
et Juarez-Sanchez (1994) entre les effets indirects [ le sujet peut occuper son
1. Les systèmes et stratégies augmentatifs et alternatifs sont un outil, un moyen d'accéder à un langage fina-
lisé et aux compétences communicatives, pas une fin en soi.

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rôle de moteur de l’interaction et vivre ainsi plus de situations d’apprentissage


positives et de réponses mieux ajustées à ses productions] et les effets directs,
liés à l’entraînement fonctionnel d’éléments entrant dans le développement du
langage parlé.

♦ Les enfants dysphasiques


Parmi les hypothèses sur le développement dysphasique (pour des revues
en français voir Monfort & Juarez-Sanchez 2001, Bishop 2008, Majerus &
Zesiger 2009), trois retiennent notre attention parce qu’elles ont des répercus-
sions directes sur notre pratique :
- les troubles de l’input auditivo-verbal (Mc Arthur & Bishop 2004) ;
- les troubles de la mémoire à court terme verbale (Van Daal & coll. 2008) ;
- la limitation des capacités de traitement (Leonard 1998 cité par Zesiger et
Majerus 2009).
Toutes ces hypothèses nous engagent à proposer aux enfants dysphasi-
ques des aménagements leur permettant de traiter plus efficacement le langage
en entrée, d’utiliser des moyens non verbaux pour contourner l’entrée auditivo-
verbale pour construire leur langage puis de les utiliser à leur tour afin d’ap-
puyer leurs messages verbaux (voir aussi Monfort & Juarez 2001, Gasser 2003).
En réception
Les signes permettent à l’enfant un découpage de la chaîne verbale, l’as-
sociation des signifiants alors repérés avec leur pendant sémantique. Ils facili-
tent la mémorisation des mots (Evans & coll. 2001) et des structures de phrase.
L’attention portée à la prosodie par l’adulte et l’exagération mimique renforcent
ces effets. Il peut paraître étrange de signer avec un enfant qui présente peu de
difficultés de compréhension mais cela lui permet de se constituer un niveau de
construction du langage par l’imprégnation de modèles plus clairs.
En expression
Les enfants présentant des difficultés expressives majeures utilisent spon-
tanément des gestes de compensation ; le code signé vient structurer ces efforts.
Les gestes ou signes permettent aux enfants de profiter plus pleinement des
opportunités communicatives car leur interlocuteur a un moyen de les compren-
dre plus facilement et de répondre ainsi de façon plus adaptée. La continuité
dialogique peut être plus facilement maintenue car les pannes conversationnel-
les peuvent être plus souvent « réparées ». En situation de rééducation la ponc-
tuation des phrases par les signes et les gestes en imitation différée permet la
mémorisation de structures qui sera ensuite soutenue par l’équivalent pictogra-

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phique puis écrit. Les signes faits par les enfants aident aussi le développement
de leur intelligibilité sans qu’on puisse savoir s’il s’agit de l’image de meilleu-
res représentations phonologiques en mémoire ou d’un effet facilitateur au
niveau moteur (pour les dyspraxies verbales par exemple).
En parallèle
L’observation de ces enfants en situation de communication nous a per-
mis de constater un renforcement de leur attention quand ils sont confrontés à
des partenaires conversationnels signants.
La plus grande facilité de communication a souvent un effet favorable sur
le comportement.

♦ Choix d’un système gestuel et signé


Nous utilisons auprès des enfants dysphasiques des systèmes gestuels,
signés et pictographiques mais mettons l’accent sur les systèmes gestuels et
signés. Tout d’abord d’un point de vue pratique, on imagine mal un enfant dys-
phasique utilisant de façon exclusive un système graphique que nous réservons
aux activités formelles d’apprentissage, aux repères en classe et à l’abord du
langage écrit. Par ailleurs le système de communication est porté par le locuteur
lui-même (son corps) et nous pensons que l’intégration est autant visuelle que
kinesthésique. De plus, ce système présente une grande souplesse d’utilisation
en communication naturelle.
Les systèmes gestuels sont souvent utilisés avec les enfants dysphasiques
soit sous la forme mimogestuelle (Lovenfosse 2003), soit sous une forme déri-
vée du français signé comme dans le Makaton (Gasser 2003). En revanche, nous
n’avons pas trouvé d’éléments permettant de lier une gestualité compensatoire
riche et la facilité d’entrer dans un système plus codifié de signes.
Les gestes et signes présentent des caractéristiques permettant de suppor-
ter leur utilisation dans ce cadre :
- Ils sont naturels : la gestualité précède et accompagne le développement
naturel du langage même si son statut exact dans ce développement est dis-
cuté (Guidetti 2003, Iverson & coll. 2008).
- Il n’y a pas de changement de nature dans la composante pragmatique
entre communication gestuelle et parlée (Bernicot 2000, Coquet 2005
pour un tableau de l’évolution).
- Ils portent en eux une forte charge iconique. « […] Du fait de la corpo-
réité, la substance même des langues gestuelles est une substance qui mon-
tre. N’importe quel signe s’appréhende dans l’espace de signation comme

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un signe dont la matérialité est moins fugace que n’importe quel signe de
substance sonore, fût-il iconique » (Millet 2002, page 28). En revanche,
dans l’utilisation du français signé ou ponctué de signes, il ne s’agit que
d’iconicité lexicale face aux possibilités d’iconicité syntaxique de la LSF.
- Ils viennent renforcer les représentations sémantiques dont l’intégration est
multimodale (Evans & coll. 2001).
- Ils supportent, voire précèdent la construction du raisonnement avec la
même efficacité que le verbal (Evans & coll. 2001, Horne & coll. 2007).

♦ Conditions d’utilisation
Nous utilisons le système signé de communication augmentative à l’IME
Franchemont Val de Marne (Champigny sur Marne). Il s’agit d’un établissement
recevant 32 enfants et adolescents dysphasiques (25) ou dyslexiques (7), ceux-ci
sont scolarisés dans l’établissement au sein de 4 classes à petit effectif.
L’équipe de l’IME est pluridisciplinaire (enseignants spécialisés, ortho-
phonistes, éducatrice spécialisée, psychomotricienne, psychologue, médecin,
professeur de sport). Suivant leur parcours professionnel, les intervenants sont
formés en LSF ou au système de communication Makaton (Grove & Walker
1990, Franc 2001).
L’utilisation des signes est à la fois transversale à toutes les activités de
l’établissement et propre à chaque professionnel dans sa pratique ; elle n’est
pas systématique pour tous les enfants.
Le système de signes prend place au sein des moyens augmentatifs que
nous utilisons auprès des enfants dysphasiques :
- Gestes Borel-Maisonny et méthode verbo-tonale au niveau phonétique
pour renforcer l’input et favoriser l’output ;
- Signes et pictogrammes et pantomimes aux niveaux lexical et syntaxique
en réception et en production ;
- Signes au niveau pragmatique ;
- Langage écrit à tous les niveaux de langue (soutenu par le codage de l’im-
prégnation syllabique).
Tous les systèmes augmentatifs sont introduits de façon fonctionnelle
sans apprentissage formel programmé (sauf cas exceptionnels) à l’exception
évidente du langage écrit dont l’apprentissage est un objectif central pour son
rôle dans les apprentissages et son utilisation augmentative. Tous ces moyens
augmentatifs sont utilisés en lien avec les aménagements langagiers habituelle-
ment utilisés avec cette population (voir Monfort & Juarez-sanchez 2001).

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En rééducation orthophonique
Pendant les séances de rééducation nous utilisons les signes principalement :
- dans le dialogue, pour renforcer la clarté des messages et aider à la seg-
mentation ;
- pour appuyer la compréhension des consignes ;
- dans le travail syntaxique pour soutenir la structuration des phrases
construites à partir de pictogrammes, de jetons, de mots écrits ;
- dans toutes les activités fonctionnelles avant d’estomper les aides pour par-
venir à une communication par l’unique canal verbal ;
- pour l’abord de la conscience lexicale dont on sait l’importance dans l’ap-
prentissage de la lecture (Gombert 1994).
Nous ne demandons pas explicitement aux enfants de reprendre les
signes, sauf dans le travail syntaxique en expression et dans les activités de
conscience lexicale où nous demandons une imitation différée pour ponctuer
soit l’intégralité des mots de la phrase, soit les points importants travaillés à ce
moment là, particulièrement pour les connecteurs. Nous sommes alors amenés
à ajouter des signes à ceux proposés dans la LSF pour marquer certaines rela-
tions syntaxiques, les déterminants ou les copules par exemple. La plupart des
enfants réutilisent spontanément les signes soit dans un souci de meilleure
informativité quand celle-ci est grevée par l’inintelligibilité (dans le cas des
dyspraxies verbales ou des troubles de programmation phonologique), soit
pour scander leur discours et utiliser la séquence de signes comme support de
la séquence verbale. Dans l’acquisition des signifiants le signe précède le mot
ou, du moins, le mot dans une forme phonologique reconnaissable. L’enfant
qui peut désormais faire comprendre une forme qui n’atteignait pas auparavant
sa cible, voit sa production, maintenant comprise, renforcée par le feedback
correctif souvent accompagné du signe. Il gagne alors des occasions, en situa-
tion de communication, de renforcer le lien signifié /signifiant oral et signé. Le
signe joue également un rôle dans l’évocation, facilitant celle-ci, ce qui reste
parfois surprenant compte-tenu de l’arbitraire liant la forme signée et la forme
sonore. Il se crée probablement, grâce au signe, un pont entre le référent (dont
la forme est évoquée par les signes les plus iconiques), le signifié et le signi-
fiant oral. Nous décomposons parfois les signes pour leur donner une scansion
syllabique similaire à celle de l’oral. Nous avons également constaté que les
signes servaient à certains enfants à décontextualiser leur discours et raconter,
par exemple, ce qui s’était passé en classe en utilisant les signes appris dans
cette situation, ce qui leur permettait d’appréhender la possibilité de sortir de «
l’ici et maintenant » par le langage.

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Nous pouvons dans certaines activités mêler divers systèmes augmenta-


tifs, pour marquer avec un geste phonétique (Borel Maisonny ou issu de la
verbo-tonale), le genre des déterminants et des pronoms ou la morphologie ver-
bale (on joue [2 signes] /nous jouons [2 signes + geste /õ/]). Il nous est apparu
que les enfants n’étaient pas gênés par ces « mélanges » si nous prenions soin
dans les activités formelles d’apprentissage, de bien séparer les signes et gestes
(la question porte sur les mots, les syllabes ou les sons ?) et le matériel utilisé
pour chaque niveau de langue (les cubes sont pour les syllabes, les jetons pour
les mots…).
Dans l’apprentissage du langage écrit, l’accès au sens transite, pour cer-
tains enfants, du décodage séquentiel à la représentation mentale via le signe.
Un des objectifs en rééducation est de créer des liens forts en mémoire entre les
différentes représentations du mot (phonologique, sémantique, orthographique
et rôles syntaxiques possibles) par des activités favorisant le passage de l’une à
l’autre ; le signe sert alors de lien entre les représentations.
Pourquoi faire des « manières 2 » en classe
Qu’est-ce qu’une méthode de communication augmentée mise en œuvre,
généralement, par des orthophonistes, peut apporter à un enseignant ?
Ne risque-t-il pas d’y avoir « confusion des genres » ?
Force est de reconnaître que pénétrer dans la classe d’un enseignant qui
pratique cette méthode peut sembler déroutant au néophyte ! Il faut d’ailleurs un
certain temps aux enfants aussi bien qu’à leurs parents pour accepter avec séré-
nité cette pratique !
C’est grâce à l’expérience dans le milieu de la surdité de l’enseignante, sa
pratique du français signé et la confrontation avec les techniques utilisées par
les orthophonistes de l’institution que l’emploi systématique des signes a pris
naturellement sa place en classe. Depuis, l’observation des bienfaits de cette
approche a engagé d’autres membres de l’équipe à se former.
L’utilisation des signes et des pictogrammes conduit à quelques réflexions
pédagogiques.
De manière générale
• L’aide à la compréhension
En associant un signe à un mot du discours l’adulte découpe, pour l’en-
fant dysphasique, la suite verbale en mots, favorisant de ce fait l’accès au sens.

2. manières : du latin « manus » : la main, puis de l’italien « maniero » : qui est à la main

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En signant l’adulte ne s’exprime qu’en phrases simples, il est bien obligé


s’il veut signer chaque mot important de son discours !
Le discours de l’enseignant s’épure, permettant l’émergence d’une idée
maîtresse par phrase, et seulement une !
• L’aide à l’expression
Les signes permettent aussi aux enfants d’évoquer plus facilement le mot
qui manque, les mains semblant alors tenir lieu de support à l’évocation et à la
mémoire.
Ils ont alors plus de latitude pour exprimer leurs questionnements, voire
leurs besoins.
• Le regard
Quand l’enseignant signe son discours il accorde une grande attention au
regard des enfants, qui lui est indispensable car à quoi rimerait l’acte de signer
dans le vide ?
C’est ainsi que, rapidement, s’installe en classe la règle implicite selon
laquelle il est indispensable de « visser » son regard à l’adulte.
Par ailleurs ce « collage » du regard, dû aussi à l’aide apportée aux
enfants dysphasiques par la lecture labiale, vient soutenir l’attention.
• L’attention
En libérant l’enfant de l’effort cognitif consistant à comprendre les mots
on lui permet aussi d’investir davantage dans l’attention qu’il doit porter à sa
tâche.
• Les consignes
L’usage des signes, qui édulcore implicitement le discours de l’ensei-
gnant, incite ce dernier à simplifier considérablement les consignes : une consi-
gne à la fois.
La tâche de l’enfant est, de fait, décomposée en étapes successives,
découpée, en quelque sorte, en tranches de consigne.
• La communication maître/élèves
Utiliser les mains facilite la verbalisation, permettant aux enfants d’accor-
der plus d’attention à d’autres aspects de la conversation, notamment les expres-
sions du visage de l’interlocuteur.
L’usage des signes aide aussi les enfants à anticiper la parole à venir, à
préparer la suite du discours de façon plus adaptée, en les soulageant de l’effort
d’évocation nécessaire, extrêmement coûteux pour les dysphasiques.

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Même si les enfants ne signent pas spontanément (c’est le cas de la plu-


part d’entre eux) ils ont cependant recours aux signes en cas d’incompréhension
ou de malentendu.
Comment appliquer cette méthode en classe ?
• Les signes
En classe tout naturellement on emploie les signes à l’oral, les pictogram-
mes à l’écrit.
On signe toute la journée, au cours des leçons bien sûr, mais aussi pour
tout ce qui concerne la vie courante, que ce soit en classe, dans la cour, au réfec-
toire...
L’usage massif des signes pour accompagner les chansons et les compti-
nes permet de constituer rapidement un bagage de signes, notamment les
« signes-outils » que les enfants retrouvent souvent et qui nous semblent indis-
pensables : les signes « et, mais, pour, avec, sans, plus, moins, il faut, encore,
parce que », tous les indicateurs de temps, de situation dans l’espace, les pro-
noms personnels…
• Les pictogrammes
Les pictogrammes aussi sont présents dans la vie quotidienne, sur le
calendrier utilisé pour indiquer la date, sur les emplois du temps, sur les locaux
de l’IME.
Ils sont aussi utilisés pour communiquer un épisode de la vie de la classe
aux parents, pour leur demander quelque chose mais aussi dans le cadre d’exer-
cices dirigés, notamment en grammaire.
Sur le plan purement pédagogique
• Les apprentissages
Les recherches menées par Susan Goldin-Meadow (2010), auprès de
groupes d’enfants en situation d’apprentissage ont montré toute l’importance,
encore méconnue, des gestes dans l’acquisition de connaissances.
Selon l’auteur les gestes reflètent ce que les élèves savent faire, mais de
façon implicite, parfois même en contradiction avec les résultats des enfants : S.
Goldin-Meadow décrit ainsi des enfants donnant une réponse fausse à un problème
de conservation ; leurs gestes exprimaient cependant clairement qu’ils avaient bien
perçu la dimension qui leur aurait permis de donner la réponse correcte.
Les gestes et, plus précisément, les signes représentent une façon
d’aborder un problème différente de celle que permet l’expression orale,
à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’enfants souffrant d’un trouble massif du
langage.

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Tout se passe en effet comme si les mains reflétaient les connaissances


implicites des élèves, les instructions orales permettant l’accès à la conscience
de ces connaissances, les autorisant ainsi à prendre le dessus sur des idées
fausses.
Les expériences menées par cet auteur laissent penser que les mains pour-
raient ainsi tenir lieu de moyens de transport entre le monde perceptif et le
monde cognitif, permettant la circulation des apprentissages dont on sait qu’ils
ne s’appuient pas uniquement sur le raisonnement, la démonstration, mais bien
aussi sur le vécu et les perceptions.
L’enfant aurait ainsi la possibilité de convoquer, par le biais de ses mains,
les connaissances implicites acquises sur le plan perceptif et de les amener à la
conscience en situation d’apprentissage formel.
Par ailleurs, concernant les enfants qui présentent des troubles de la plani-
fication, il semble que les signes favorisent la structuration de la pensée, en pro-
cédant par étapes.
• La mémorisation
En convoquant les connaissances implicites les gestes allègent considéra-
blement le poids de l’effort mental nécessaire à la résolution d’un problème,
dégageant ainsi des ressources cognitives aux tâches plus compliquées, notam-
ment la mémorisation (des mots, des techniques).
• En français
Très tôt les enfants sont initiés à l’usage quotidien des pictogrammes, à
tel point qu’il est possible d’aborder avec les plus jeunes les notions de sujets,
verbes, COD ou CC, en réponse aux questions « qui ? il fait quoi ? quoi ?
où ? quand ? ».
L’emploi des articles avant les noms permet d’aborder rapidement les
notions de genres et de nombres et vient étayer l’emploi d’articles auprès des
enfants agrammatiques.
Par ailleurs le fait d’encadrer systématiquement en rouge les pictogram-
mes des verbes permet aux enfants de repérer rapidement les mots exerçant cette
fonction.
L’emploi des pronoms personnels et, plus précisément, du « je » est induit
par les signes, en réponse à la question « qui ? ».
Concernant la conjugaison, l’emploi des pronoms personnels évoqué précé-
demment, aussi bien à l’écrit, avec les pictogrammes qu’à l’oral, avec les signes,
en facilite grandement l’accès pendant que la pratique consistant à signer le temps
(maintenant, avant, après) et la barre indiquant le présent sur les pictogrammes
des verbes apporte une aide considérable à la compréhension des temps.

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Le passé composé porte dans son pictogramme l’indication de son auxi-


liaire et son participe passé.
L’orthographe est aussi facilitée par l’ajout du « s » au pluriel des noms.
La liste des avantages que procure en grammaire, en orthographe l’em-
ploi tant des signes que des pictogrammes présentée ci-dessus est loin d’être
exhaustive.
• En mathématiques
La comptine numérique est systématiquement signée. Les signes permet-
tent de créer, pour les petits nombres, un lien analogique entre quantités et mots-
nombres rejoignant ainsi ce qu’on sait des liens entre comptage digital et déve-
loppement du nombre (Fayol & coll. 2004). Nous avons remarqué l’apport
important des signes dans l’apprentissage des dizaines particulières (de 11 à 16).
De plus, la manière de signer les dizaines trouve immédiatement son équivalent
dans le code couleur utilisé en transcription (couleur différente selon le rang
occupé par le chiffre).
Les signes des connecteurs sont utilisés dans la résolution de problèmes,
les gestes inducteurs (groupements) dans les activités logiques. En géométrie,
les signes permettent la visualisation des termes spatiaux.
• Régulation du temps
Tous les matins, nous formulons la date après l’avoir repérée sur l’emploi
du temps et située dans le temps court (hier, aujourd’hui, demain) grâce aux
signes et aux pictogrammes puis nous énonçons les diverses activités de la jour-
née en les signant. Ce rituel de début de journée permet d’inscrire corporellement
les notions de temps, de planifier la journée et de renforcer la séquentialité.
• Utilisation par les enfants
Les enfants n’investissent pas tous les signes mais, s’ils les investissent, il
apparaît clairement qu’il s’agit d’une béquille tout à fait ponctuelle : en effet
aucun enfant de l’IME ne signe plus dans les grandes classes. Toutefois, ils
conservent une utilisation palliative de gestes signifiants.
Dans le travail éducatif
L’éducatrice utilise systématiquement les signes dans les activités propo-
sées (organisation du temps, cuisine, bricolage, jardinage…). Les signes per-
mettent l’explication des consignes, la description du matériel utilisé et surtout
la mise en séquence des différents stades de réalisation qui seront alors mieux
mémorisés et plus faciles à planifier. Ces séquences sont reprises en photos, des-
sins puis pictogrammes ou mots écrits dans des « fiches de réalisation ». L’ob-
jectif, outre des buts éducatifs plus généraux (le travail en groupe, le partage des

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tâches …) est de permettre l’autonomie dans la réalisation par l’intégration de


« scripts », l’anticipation des procédures et sous-buts et la planification des
actions dont on connaît la difficulté pour certains enfants dysphasiques.
Avec les parents
Un système augmentatif de communication ne peut donner sa pleine
mesure que s’il est compris et/ou utilisé par le plus grand nombre de partenaires
conversationnels habituels de l’enfant et parmi ceux-ci évidemment ses parents.
Nous animons mensuellement un groupe d’accompagnement familial
dont l’objectif est le partage de comportements communicatifs les plus adaptés
possibles à l’évolution de chaque enfant (Roch & Thibault 2010 pour une des-
cription). En support des activités proposées nous enseignons des signes aux
parents. Parmi ceux-ci nous insistons tout d’abord sur les signes leur permettant
de suivre leurs enfants dans leurs initiatives langagières et de maintenir le dialo-
gue (signes permettant de clarifier le cadre « qui ? où ? quoi ? avec qui ?
quand ? pourquoi ? ») puis sur les signes exprimant les sentiments (avec l’ac-
compagnement mimique adéquat) et sur les signes des « verbes mentaux »
(vouloir, pouvoir, imaginer…). Les contraintes matérielles du travail institution-
nel ne nous permettent pas d’aller beaucoup plus loin dans cet apprentissage de
signes mais certains parents ont suivi ensuite la formation Makaton à partir de
cette impulsion.

♦ Illustration
Il ne s’agit pas ici de présenter une étude de cas complète mais d’illustrer,
par un exemple, les bénéfices de cette approche. Par ailleurs nous avons adopté
une démarche résolument clinique et pratique ne nous permettant pas d’isoler
les bienfaits de tel ou tel moyen utilisé.
Philippe est arrivé à l’IME à 5ans1/2. Son anamnèse ne présentait aucun
facteur explicatif de son trouble. Les parents notent qu’il était très silencieux
dans sa prime enfance, pleurait peu et que sa communication passait exclusive-
ment par le canal gestuel, ils ne décrivent pas de difficultés alimentaires. Les
examens médicaux (caryotype, recherche de syndrome génétique, audio-
gramme) n’ont rien montré. Dans la famille paternelle plusieurs membres sont
affectés de troubles langagiers (le père est dysphasique, les deux sœurs de Phi-
lippe sont suivies pour dyslexie, le frère du père est décrit comme dyslexique et
le fils de celui-ci est suivi en milieu spécialisé pour dysphasie).
Une première consultation à 2 ans et 9 mois décrit Philippe comme un
enfant communiquant sans évitement. Son expression est faite d’onomatopées et

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le seul mot reconnaissable est « maman ». Il réussit au niveau de son âge les
activités non verbales qui lui sont proposées.
Un an après, Philippe n’oralise pas plus de mots reconnaissables, son
comportement s’est dégradé. Il peut donner des objets sur demande, désigner
des images mais ne dénomme rien. L’orthophoniste note la difficulté de faire un
diagnostic tant l’opposition est grande et les difficultés de comportement enva-
hissantes.
La prise en charge orthophonique débute à 4 ans. Il est alors scolarisé à
temps partiel et suivi dans un centre d’accueil thérapeutique (CATTP). Un bilan
psychométrique partiel est alors pratiqué montrant des compétences non verba-
les en rapport avec son âge. Le bilan psychomoteur montre des dissociations et
le situe en deçà de la moyenne de son âge.
A 5 ans un nouveau bilan psychologique et psychométrique vient confir-
mer ses bonnes compétences et l’absence d’un trouble envahissant du dévelop-
pement.
A 5 ans et 6 mois il entre à l’IME. Le bilan réalisé montre que Philippe
est un enfant communiquant malgré son opposition, qu’il est fluent mais que
son langage est jargonnant et qu’on ne peut y repérer aucune organisation syn-
taxique. Il communique par une gestualité très riche et emploie les mimiques et
les variations prosodiques à bon escient. En réception, il existe une dissociation
entre des compétences de compréhension syntaxique peu en deçà de la moyenne
de son âge (O-52, concepts de base de BOEHM) et une compréhension lexicale
très limitée (NEEL).
Les objectifs de ce début de prise en charge sont l’entrée dans le langage
oral comme mode de communication privilégié, le maintien et le développement
de la communication gestuelle, l’entrée dans l’apprentissage du langage écrit
(imprégnation syllabique et gestes d’appui), l’acquisition des compétences sco-
laires de maternelle. Les moyens employés sont le français signé en classe,
rééducation orthophonique (4 séances hebdomadaires) et travail éducatif ; les
pictogrammes en classe et en rééducation, une aide à la verbalisation par la
méthode verbotonale et une séance hebdomadaire de rééducation psychomotrice
pour le domaine praxique. Compte-tenu de l’importance de son trouble, Phi-
lippe bénéficie de séances individuelles avec l’éducatrice pour l’apprentissage
des signes. Rapidement, Philippe se montre très attentif aux signes et commence
à les utiliser en imitation différée. Des verbalisations syllabiques puis des ébau-
ches de mots se mettent en place avec la méthode verbotonale et le travail de
scansion syllabique.

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A 6 ans, Philippe commence à mettre des signes en séquences. Ses pro-


ductions mêlent signes, mots, mimiques et mimes. Pour la première fois, on voit
apparaître des phénomènes de décontextualisation, Philippe peut expliquer ce
qu’il a fait en classe ou à la maison grâce aux signes et en réponse aux questions
signées.
La suite de la rééducation est principalement centrée sur les liens signi-
fiant/signifié car Philippe ne fait pas le lien entre mot entendu et sens, ses pro-
grès en lecture lui permettent d’accéder à la lecture de petits mots mais sans
compréhension. Il semble en difficulté pour mettre en lien prononciation (cor-
recte grâce à la lecture) et représentations phonologiques en mémoire. Dans ce
travail, les signes sont un pont entre phonologie, orthographe et sémantique.
Dans un premier temps on ne voit que peu de généralisations.
Dans le travail syntaxique nous lions signes et pictogrammes dans les
activités de construction et utilisons uniquement les signes dans les activités
fonctionnelles.
Les parents participent tous les deux au groupe d’accompagnement, la
maman suit une formation au Makaton.
A 7 ans le répertoire de signes de Philippe est en constante évolution, ses
productions orales deviennent plus intelligibles en particulier quand il s’agit de
mots connus en lecture. Nous gardons les mêmes objectifs en intensifiant l’ap-
prentissage de la lecture en particulier sur le versant compréhension. Nous com-
mençons un travail sur l’organisation des réseaux sémantiques. Philippe parti-
cipe à un groupe de syntaxe animé par une orthophoniste et l’enseignante.
A 8 ans, la lecture est presque fluide ; sa compréhension s’est amélio-
rée pour les mots isolés et pour les structures de phrases comprises à l’oral. Le
langage écrit devient le moyen augmentatif privilégié pour la construction
syntaxique.
Le bilan réalisé à cette époque montre un lexique réceptif en grande pro-
gression (EVIP centile 40) et la compréhension de structures de phrases plus
complexes (ECOSSE centile 10). Les progrès d’intelligibilité sont encore
modestes, la dyssyntaxie reste importante ; Philippe a encore besoin des signes
pour se faire comprendre. Il atteint un niveau de mi-CP en lecture (BELO).
Depuis cette époque, nous avons vu des progrès importants en phonolo-
gie, un lexique expressif en constante évolution et des progrès syntaxiques
apparaissant tant en dialogue que dans les situations de récit.
A l’heure actuelle (9ans), Philippe lit de petits textes en les comprenant ;
son intelligibilité rejoint presque la norme pour les mots les plus fréquents, il

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peut plus facilement reformuler quand ses énoncés n’ont pas été compris à
cause de sa dyssyntaxie. Il n’emploie plus les signes qu’en dernier recours.
Nous insistons beaucoup à l’heure actuelle sur la compréhension et l’expression
des connecteurs et des anaphores.
En résumé, les signes ont permis à Philippe :
• de maintenir intact son désir de communication ;
• d’utiliser un premier code de communication formalisé ;
• de se créer des situations de communication efficaces ;
• de faire les liens entre formes phonologiques et sémantiques malgré des
difficultés persistantes de mémoire à court terme auditivo-verbale ;
• de renforcer les liens mots écrit/sens ;
• en classe, de pouvoir construire sa comptine numérique et faire valoir ses
très bonnes compétences de raisonnement dans les activités mathémati-
ques.
En regardant en arrière, nous avons des difficultés à imaginer cette prise
en charge sans la médiation des signes.

♦ Conclusion
Dans le travail au quotidien avec des enfants dysphasiques en institution,
la communication bimodale, associant signes et parole nous apparaît comme le
moyen privilégié de les faire entrer dans de vrais échanges communicatifs et,
au-delà, de progresser dans la forme de leurs productions. Le partage, entre
membres d’une équipe, d’un même mode de communication permet aux enfants
de faire plus aisément les liens entre les différentes activités qui leur sont propo-
sées. Les recherches récentes sur les liens gestes et raisonnement nous poussent
à réfléchir à leur meilleure utilisation pour tous les apprentissages.

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Le geste, une fenêtre sur le langage


Dominique Bénichou

Résumé
Le geste est empreint de la culture dont nous sommes issus et influencé par le milieu dans
lequel nous vivons.
Il se développe en même temps que la parole chez l’enfant et permet d’acquérir le langage
mais aussi de le soutenir et même de le remplacer.
Bien qu’intimement lié à la parole, il passe au second plan et pourtant il est susceptible, au
même titre que la parole, de réaliser un acte de langage.
Mots clés : langage, geste, aphasie, communication.

Gesture, a window on language


Abstract
Our social and cultural background shape and influence our gestures.
In children, gesture develops at the same time as speech. It contributes to language acquisi-
tion, and also reinforces it and even replaces it.
Although gesture is closely linked to speech, it becomes of secondary importance but can
perform a language act, just as speech does.
Key Words : language, gesture, aphasia, communication.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Dominique BÉNICHOU
Orthophoniste
Formatrice
Chargée d’enseignement à l’école d’ortho-
phonie de Nantes
Présidente de France AVC 44
Unité Neuro Vasculaire du CHU de Nantes
Courriel :
dominique.benichou@chu-nantes.fr
Cabinet : 6, place de la monnaie
44 000 Nantes
Courriel : dom.b4@wanadoo.fr

« La parole n’est pas nécessaire pour exprimer ce qu’on a sur le cœur »


Marcel Marceau

« Et c’est par elles que fut modelé le langage, d’abord vécu par le corps
tout entier et mimé par les danses. Pour les usages courants de la vie, les gestes
de la main lui donnèrent l’élan, contribuèrent à l’articuler, à en séparer les élé-
ments, à les isoler d’un vaste syncrétisme sonore, à le rythmer et même à le
colorer d’inflexions subtiles. De cette mimique de la parole, de ces échanges
entre la voix et les mains, il reste quelque chose dans ce que les anciens appe-
laient l’action oratoire ».
Henri Focillon, Eloge de la main (1934)

♦ La communication
Définition

L
a communication est un ensemble d’activités permettant la transmission
d’un message d’un endroit à un autre, d’une personne à une autre via un
système plurimodal et pluridimensionnel dont nous avons conscience
depuis Aristote. On trouve donc, imbriqué dans ce large système de communica-
tion globale, tout un ensemble de gestes autonomes et d’indices corporels dépen-
dants du discours et porteurs d’information, que l’on nomme communication non
verbale.
C’est à travers notre posture, notre voix, notre regard, nos gestes que se
traduit cette communication non verbale impliquant tout le corps. Plus encore
elle est le support de notre pensée. Nous ne la maîtrisons pas et nous n’en avons
pas conscience. De ce fait, au quotidien, nous n’y prêtons pas attention.

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Et pourtant, lorsqu’elle fait défaut, elle perturbe la communication entre


les différents partenaires et révèle toute sa puissance.
Culture et communication
Selon la théorie de Franz Boas, la communication constitue le fondement
de la culture, plus encore celui de la vie.
Quand deux individus se rencontrent et entrent en rapport, toute l’attention
se porte sur les changements subtils qui surviennent dans l’attitude de l’interlo-
cuteur quand il réagit aux paroles ou aux actes de son partenaire. Aussi, lors de
tout échange, nous essayons de ne pas laisser paraître les signes de contrariété ou
d’hostilité. Toutefois, l’homme a la capacité d’interpréter ces signaux. Si notre
interlocuteur ne perçoit pas ces signes, l’ajustement de la formulation et du trans-
fert de l’information n’est plus approprié et la communication est perturbée.
Cette situation ne nous est pas étrangère lorsqu’au cours de nos voyages
et de nos différents échanges avec des individus de culture différente à la nôtre,
nous rencontrons la barrière de la langue, mais aussi un monde sensoriel diffé-
rent. En effet, les informations sensorielles sont perçues et traitées selon des
codes propres à chaque aire culturelle.
Cette variabilité culturelle fait donc des signaux, que l’on pense univer-
sels, un véritable code de communication dont il faut comprendre les règles afin
d’éviter les malentendus. La production de gestes est un phénomène naturel.
Elle ne nous a pas été enseignée, mais est plus ou moins bridée par les croyan-
ces culturelles ou les contraintes sociales. Toutefois, notre aptitude intuitive à
employer le geste comme forme de communication est renforcée dès l’enfance
par la socialisation, autant par exemple par les dessins animés, qui utilisent les
signes et les mouvements, que par comportement mimétique, l’enfant apprenant
de ses parents ou de ses pairs les gestes et les comportements nécessaires à son
développement. De plus on notera que les gestes sont très présents dans les
cours de récréation. Les enfants utilisent le geste comme appui, dans des jeux de
rôle ou dans les comptines et les récitations où tout le corps est sollicité.
Aspects pragmatiques de la communication
Retenons des fonctions du langage énoncées par Roman Jakobson les
fonctions où gestes et mimiques interviennent sensiblement :
- La fonction émotive ou expressive : le message révèle l’état subjectif de
l’émetteur, ses émotions, ce qu’il pense des faits.
- La fonction conative : le message cherche à agir sur le récepteur et à l’in-
fluencer.

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- La fonction phatique : la fonction maintient le contact entre l’émetteur et


le récepteur.
Ces trois fonctions sont marquées par la gestuelle surtout dans un face à
face. L’émetteur se met en scène au moyen de gestes et regards destinés à celui
qui l’écoute.
Dans les atteintes du langage de type aphasie la connaissance des règles
pragmatiques universelles est généralement conservée mais elle n’est pas pour
autant utilisée de façon adaptée et les possibilités de communication non ver-
bale sont variables selon le type d’aphasie. D’un point de vue général, dans les
atteintes antérieures avec réduction du langage oral, la communication non ver-
bale serait plus ou moins efficace et adaptée alors que dans les atteintes plus
postérieures, elle est défectueuse.
La communication et les gestes
Il y a plus d’un siècle, Sapir 1 notait que l’individu réagit aux gestes, aux
signaux qui lui sont adressés, suivant un code secret, non consigné, inconnu de
quiconque mais compris par tout un chacun.
Les indices et signaux corporels jouent un rôle dans la communication et
influencent le déroulement de toute interaction. Selon les travaux de McNeill 2,
il existe une interdépendance geste-parole. Les gestes et la parole sont intime-
ment liés. Plus notre parole est fluide plus les gestes seront nombreux et organi-
sés. Nos gestes sont le support de notre pensée ; ils facilitent le rappel de l’ima-
gerie lexicale. Ils assurent l’organisation et la planification du discours et
facilitent ainsi la mise en mots. Ils nous aident à mieux conceptualiser notre
pensée.
Le système non verbal augmente ainsi les qualités discursives.

♦ Les différents types de gestes


Les gestes correspondent à différents degrés d’intentionnalité et sont pour
certains de nature polysémique. Ils se développent en même temps que la parole
chez l’enfant. Chez le patient aphasique les gestes peuvent être perturbés de
manière parallèle aux distorsions du langage verbal mais ceux qui répondent à

1. Cf PAVELIN 2002, p. 33.


2. Cf BARRIER 1996.

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des besoins vitaux et ne sont par conséquent pas des ordres arbitraires, sont
mieux préservés car ils sont d’acquisition ancienne et donc mieux enracinés.
Les manifestations corporelles telles que les gestes d’auto-contact, ne
sont pas émises dans l’intention de communiquer mais informent sur l’état émo-
tionnel du locuteur. Les gestes rythmiques et référentiels vont souligner la pen-
sée, l’illustrer voire remplacer les mots du discours.
Trois types de gestes accompagnent le discours :
- les gestes bâtons correspondent à la prosodie visuelle. Ces gestes, disait
Efron 3, « battent la mesure de la locomotion mentale au rythme de la
parole ». Ils sont induits par l’activité musculaire pendant l’acte de parole.
Les gestes et les activités vocales sont coordonnés. Le geste permet donc
une visibilité de la prosodie vocale.
- les gestes référentiels :
• le geste déictique permet de diriger l’attention. Associé au regard et com-
plété par la dénomination de l’objet pointé, ce geste permet d’améliorer
l’acquisition du langage ;
• le geste iconique entretient une ressemblance visuelle et spatiale avec les
informations qu’il représente. On peut le comparer aux pictogrammes
visuels de la parole ;
• la pantomime qui représente l’art de s’exprimer sans avoir recours au lan-
gage verbal.
- les gestes universels dit emblèmes par Ekman et autonomes par
A. Kendon 4 remplacent les mots dans certaines situations quotidiennes. D. Mor-
ris dans son étude interculturelle sur les signaux gestuels met en évidence des
variations importantes entre certains pays pouvant créer des malentendus. C’est
pourquoi, le thérapeute doit s’informer sur l’étendue du répertoire gestuel, leur
usage en lien avec les habitudes culturelles du patient.
Le geste est un déclencheur du verbe : selon l’expression de Mc Neill, il
ouvre une fenêtre sur le langage.
Nous ne pouvons parler de gestes sans inclure le geste vocal mais aussi le
geste visuel autrement dit le regard.
- Le geste vocal est un canal dont les propriétés sont à prendre en compte
de façon non négligeable.

3. Cf BARRIER 1996, p. 93.


4.Cf BARRIER 1996, p. 104.

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Des études menées sur les caractéristiques de la voix mettent en évidence


que l’on peut identifier les émotions véhiculées par la voix à partir de certaines
fréquences vocales.
- Le regard comme geste d’échange : c’est à partir du regard que va
s’instaurer la communication.
Cosnier 5 a montré que l’interlocuteur ne regarde pas en permanence son
auditeur. Le regard quand il se produit prend alors une valeur de signal et
devient un élément pertinent permettant d’évaluer l’opportunité de prendre son
tour de parole. Le regard contribue tout autant que les mots au charisme d’une
personne.
Selon Argyle et Cook 6, nous passons 60 à 75 % de temps à regarder notre
interlocuteur dans les yeux en lui parlant et 85 % en l’écoutant. 30 % des
regards sont simultanés. Notons que le regard revêt différents aspects et qu’il
peut être tout aussi perturbateur que son absence s’il se révèle trop insistant. Il
prend alors une forme intrusive, peut être vécu comme une agression ou une
dominance ou encore être ambigu.
L’absence du regard peut réduire ou exclure l’implication. Il existe des
regards facilitateurs mais aussi des regards perturbateurs.
Le regard tient une place fondamentale dans la communication tant au
niveau de l’installation que du maintien ou de la restauration dans les perturba-
tions pathologiques. La clinique rend compte de la difficulté pour certains
patients aphasiques de maintenir l’échange visuel, ou d’établir un contact via
cette composante. Alors que chez d’autres, on observe un accroissement de la
durée du regard adressé à l’interlocuteur. Les mouvements des yeux et les cli-
gnements des paupières se font plus nombreux ainsi que les froncements des
sourcils en cas de questionnement. La marque d’une demande de reformulation
est alors implicite et transmise par ce canal. Il va donc du rôle du thérapeute
d’adapter cette modalité pour recréer une dynamique de l’échange, en prenant
en considération les variables culturelles, sociales et situationnelles.
Tous ces gestes ne doivent pas être interprétés de manière isolée. Ils sont
partie intégrante d’un système de communication, d’un contexte et d’un sys-
tème culturel, dans lequel ils naissent et évoluent.
La prise en charge orthophonique devra donc prendre en compte cette
caractéristique. A charge pour le thérapeute de faire l’inventaire des gestes uti-

5. Cf COSNIER 1982 et COSNIER dans COLLETTA et TCHERKASSOF 2003.


6. Cf BARRIER 1996, p.64.

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lisés par le patient, après l’accident, mais aussi et surtout avant, pour les
introduire dans son répertoire de propositions afin de respecter le patient et
son identité.

♦ Productions des gestes et représentations motrices


Le mime consiste à communiquer sans la médiation des mots.
Il suscite chez le spectateur une empathie motrice directement adressée
aux neurones miroirs de son cerveau droit. Lors de l’observation de mimiques
d’actes manuels ou communicatifs oro-faciaux, le système des neurones miroirs
s’active. Outre les fonctions verbales, l’aire de Broca possède des propriétés
motrices s’activant durant l’exécution de mouvements oro-faciaux, brachio-
manuels et oro-laryngés.
Les neurones miroirs jouent un rôle majeur dans la reconnaissance et la
compréhension du sens des actions d’autrui. Quand un individu observe autrui
en train de réaliser une action ou série d’actions, les aires motrices spécialisées
dans l’organisation et l’exécution de ces mêmes actions sont activées simultané-
ment chez l’observateur. Il en est de même pour la perception des émotions
d’autrui. Les mêmes aires du cortex cérébral s’activent comme si nous éprou-
vions nous-mêmes cette sensation.
De plus la pantomime est une gestuelle qui implique la visibilité de tout
le corps. Seulement mimer une action, nécessite la maîtrise parfaite des registres
posturaux et faciaux afin de simuler les actions de l’élan, des forces, des résis-
tances et la conservation des représentations gestuelles. Or les patients aphasi-
ques présentent souvent une désorganisation voire une abolition des gestes sur
commande. Afin de mieux comprendre cette désorganisation du geste chez les
patients cérébrolésés, Rothi et Heilman proposent un modèle de la production et
des représentations motrices des gestes.

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Schéma 1 : Modèle représentant la production des gestes.


(d’après ROTHI et Al., cf GIL 2006)

Quel que soit le mode d’entrée de l’ordre de production du geste, le sys-


tème sémantique est recruté avant de rejoindre le répertoire gestuel de sortie
pour être programmé en activité motrice et réalisé en geste.

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Schéma 2 : HEILMAN : schéma (simplifié) des représentations motrices


(d’après GIL 2006)

Pour Heilman les représentations gestuelles ou « praxicons », sont


stockées dans le Gyrus angulaire et le Gyrus supramarginalis avant d’être trans-
codées en programme moteurs au niveau de l’aire prémotrice grâce à des
connexions avec l’aire motrice supplémentaire, les noyaux gris centraux et le
cortex moteur.

♦ Communication et fonction phatique


La fonction phatique du langage tient une place prépondérante dans la
communication non verbale. Selon Jakobson, elle se définit comme l’existence
de messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la
communication, à vérifier les réactions du récepteur, à attirer son attention, à
s’assurer que celle-ci ne se relâche pas. Elle se traduit par des marques d’hésita-
tion, des phonèmes sans signifiés, qualifiés de pauses sonores. Les marqueurs

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vocaux de l’hésitation lors des prises de parole sont accompagnés de signes


physiques.
Le dysfonctionnement verbal de type répétition, bafouillage, bégaiement,
phrase inachevée et la variation corporelle comme les mouvements des mains,
de la tête, des bras, des jambes, des pieds ainsi que les changements de posture
sont deux phénomènes qui coexistent. D’après les recherches de Duncan sur les
pauses, nous pouvons établir que, dans 96 % des cas, la passation de la parole
s’effectue grâce aux variations de la voix en fin d’énoncé, au rythme de l’inspi-
ration, aux microchangements de posture, au regard et légers mouvements du
menton adressés à l’auditeur.
Les espaces transitionnels sont nécessaires à la rotation des tours de
parole. Ils s’effectuent à partir d’une intuition syntaxique et des contours intona-
tifs associés à un accord implicite ou explicite et à un signe consensuel mar-
quant la fin d’un message.
La présence ou l’absence de feedbacks non verbaux de type hochements
de tête échappent à notre contrôle et peut modifier la stabilité et le degré de
sécurité du partenaire.
Rappelons ici que les patients ayant une aphasie de Wernicke ne sont pas
attentifs à ces indices. Ils ne perçoivent pas les contours intonatifs et ne sont
plus réceptifs aux éléments syntaxiques leur permettant de s’inscrire dans un
échange équilibré. De ce fait, ils ne respectent pas les tours de parole et les
cèdent peu.
A l’opposé, les patients présentant une aphasie de Broca, sont sensibles
aux indices non verbaux et aux changements d’intonation. Cependant du fait
d’une perte d’initiative, ils doivent être incités à s’engager dans l’acte de com-
munication et à prendre leur tour.
Lors de l’observation des patients et de leurs conjoints en situation écolo-
gique, on remarque que la situation d’échange est altérée et inadaptée, en termes
de proxémique, de regard, de gestes utilisés à l’égard du patient, et de respect
des tours de parole. On retrouve dans bien des cas une communication unilaté-
rale par manque d’information et de formation à cette situation où les mots ne
parlent plus.
Une communication en face à face va impliquer une posture, une orienta-
tion face à son partenaire, un regard dirigé, une gestuelle. La communication
dépasse largement le seul canal verbal : « Ce n’est que dans un contexte d’en-
semble des systèmes de signes, lui-même intégré dans un contexte d’interac-
tions, que le sens pourra se former » (Argentin, 1989).

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A partir de ce constat, le thérapeute va créer un espace de communication


propre à son patient afin d’augmenter les chances de réussite de l’échange. Il va
donc jouer le rôle de modèle afin de provoquer une réaction, voire une imitation
des gestes et ainsi procéder selon le principe de conditionnement opérant. La
prise en charge doit tenir compte des conjoints et les impliquer. Les modes de
communication doivent être réorganisés afin d’améliorer ou de compenser les
dérèglements et permettre l’expression des besoins du patient.

♦ La communication et l’expression
L’expression est à la fois un acte, l’action de s’exprimer et un résultat,
une expression donnée. L’expression se réalise par deux voies en synergie, la
parole, acte moteur articulé au niveau de la sphère oro-faciale et les gestes, acte
moteur articulé au niveau du corps. L’expression résulte d’un va et vient entre
un dedans et un dehors : un acte qui vient de l’intérieur pour se libérer à l’exté-
rieur et un extérieur qui alimente un intérieur.
Autrement dit, l’expression est un acte du dedans qui se produit au dehors
à l’instar d’un « acteur » qui se produit sur scène. Le public renvoyant l’exté-
rieur, celui-ci modifiera l’intérieur du comédien et vice versa dans un échange
continu. L’expression prend alors tout son sens dans une dimension globale
intégrant la parole et les gestes.
Lorsqu’on cherche ses mots des indices faciaux apparaissent, accompa-
gnés de gestes purement moteurs de type gesticulation, manipulation, autistique.
Pour J. Cosnier (1982), « … les personnes qui possèdent le mieux la parole
sont celles qui bougent le plus ».
L’homme engage tout son corps dans le processus de parole.
Pour Michael Corballis, les origines du langage ne concerneraient pas
seulement la bouche, mais aussi la main, et c’est à partir de leur interaction
mutuelle que prendrait corps la voix. Sans l’intervention d‘un système brachio-
manuel comme support du système oro-facial, nos facultés communicatives
seraient restées bien limitées.
Les expériences de Maruzio Gentilucci et ses collaborateurs ont mis en
évidence le fait que les gestes oro-bucco-laryngés et les gestes manuels sont
intimement liés. Ainsi le recours à des gestes manuels pourrait être une aide
efficace au recouvrement de la parole chez certaines personnes souffrant
d’aphasie (Hadard et al. 1998).
La qualité d’un échange dépend donc du fond mais aussi de la forme.

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♦ Communication et compréhension
La signification d’un message est intimement liée au contexte dans lequel
se déroule l’échange, c’est-à-dire en fonction d’évènements propres aux interlo-
cuteurs. La communication évolue et prend toute sa signification dans les inter-
actions ; les gestes sont alors au premier plan et renseignent sur l’état émotion-
nel des interlocuteurs, mais aussi sur la compréhension du message adressé. Ils
sont importants dans la mesure où ils engagent une relation. Ils évoluent et sont
réajustés au cours de l’échange. Ils permettent de le réguler et de le maintenir.
Leur absence perturbe la communication verbale.
Cosnier a mis en évidence le phénomène d’échoïsation selon lequel tout
individu mimerait l’état affectif de son interlocuteur et permet ainsi l’interacti-
vité. On parle alors de contagion motrice. Cette résonance mimétique des affects
est un phénomène interactif naturel.
La compréhension va s’effectuer à partir de points de repères mutuels sur
lesquels les interlocuteurs vont prendre appui. Ces points d’ancrages seront plus
facilement repérables si la base de données référentielle est commune aux deux
actants. Là encore l’existence de modèles socioculturels est déterminante dans
la relation. Il est donc capital en terme de rééducation de proposer un support
non verbal et des gestes idoines.
L’observation de la communication globale chez les patients atteints
d’aphasie antérieure met en évidence une réduction de la production des gestes
parallèle à la production orale. En effet, rappelons que les gestes et la parole
sont intimement liés. L’altération de l’articulation et de la prosodie va donc per-
turber la production des gestes. Les gestes sont réduits, stéréotypés, hésitants,
répétés ou supprimés.
Cependant, ils restent le plus souvent adaptés et significatifs dans le sens
où ils sont produits pour illustrer le discours. Ils sont donc liés au contenu de la
parole. Dans les aphasies de type postérieur, le débit et la prosodie de la parole
sont conservés mais le contenu en temps que sens est perturbé. Le flux gestuel
correspond au débit verbal avec les mêmes perturbations au niveau de leur
contenu sémantique. Ces gestes conservent leur prosodie mais n’ont plus de
valeur informative. Ils ne font que ponctuer le discours.
Dans le cadre de la rééducation, le thérapeute va encourager l’utilisation des
gestes chez le patient en lui proposant un modèle. Il va donc s’attacher à produire,
dans un espace ad-hoc, des « phrases gestuées » accompagnant son discours. Il ne
s’agit pas d’utiliser une langue des signes, mais de se réapproprier les gestes d’une
communication globale. Le thérapeute agira alors à la manière d’un miroir.

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♦ Dimension psychologique
La communication non verbale est éphémère. Elle nécessite la présence
physique et synchronique des deux interlocuteurs. Comme nous l’avons décrit
les indicateurs non verbaux vont nous renseigner sur l’aisance ou les difficultés
que rencontre le patient à s’inscrire dans l’échange et de l’instant le plus propice
à prendre notre place pour apporter notre aide. Ils sont déterminants dans la sol-
licitation et la stimulation de la participation des interlocuteurs et ont une fonc-
tion d’information sur l’émetteur, d’étayage du langage en qualité de feed-back
nécessaire à l’efficacité de la communication et quasi linguistique.
Pour que l’échange soit réussi, il est indispensable de créer un climat rela-
tionnel favorisant. L’empathie du thérapeute et le sourire sont des paramètres
fondamentaux. Mais aussi l’espace dans lequel se situe l’interaction. Pour
reprendre le terme de E.T. Hall (1971), la proxémique nous engage à utiliser
l’espace de manière adaptée au contexte dans lequel se déroule l’échange pour
une efficacité optimale. Un rapprochement peut devenir envahissant et gêner la
relation. De même que se tenir éloigné du patient peut être vécu comme un iso-
lement et une moindre implication. La qualité de l’interaction entre les partenai-
res dépend donc de la distance. Elle est une aide facilitatrice de l’expression et
de l’échange et peut se révéler un obstacle si elle n’est pas adaptée au contexte.
La place du thérapeute est donc de repérer la manière dont s’établit la
communication.
Il faut garder à l’esprit que le langage est une marque d’autonomie et de
pouvoir, celui qui en est privé devient dépendant voire prisonnier des idées de
l’Autre. C’est pourquoi il est urgent de rétablir une communication non verbale
tant que faire se peut afin de rendre cette liberté à celui qui en est dépossédé.
Dans tout échange, celui qui pose les questions est agent, alors que celui
qui répond est agi.

♦ Utilisation et réintégration des gestes et du mime dans la prise en


charge
Le mime est présent dans les théâtres de l’Antiquité grecque et romaine.
On le retrouve à travers des personnages tels que Arlequin, Polichinelle, Pierrot
et Colombine dans la commedia dell’arte à partir du XVIe siècle, en Italie. On le
retrouve dans le cinéma muet au XXe siècle avec Charles Chaplin, Harpo Marx
et plus tard dans des spectacles avec le mime Marcel Marceau. Lorsque l’on
observe Charles Chaplin, on pourrait dire qu’il se révèle dans ses gestes ; cha-
que geste est un mot ; l’enchaînement des gestes est une phrase.

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Cette compétence à « parler » sans les mots à la manière de ces acteurs


n’est pas à la portée de tout un chacun. Que se serait-il passé s’ils avaient été
victimes d’une aphasie ? Auraient-ils conservé leur capacité à utiliser les gestes
étant donné que dans la mise en scène cinématographique, le geste est une
action contrôlée.
Selon la formule d’A. Holland, « les aphasiques communiquent mieux
qu’ils ne parlent ». A partir de ce constat, le rétablissement d’une communica-
tion basée sur le mime peut se révéler pertinente. Lorsque les mots viennent à
manquer, le recours aux gestes est une nécessité.
On peut par exemple proposer à des aphasiques de choisir un proverbe
illustré par un dessin (on se sert ici du matériel « Proverbe ne peut mentir »
D. Benichou, chez Ortho Edition). Après un travail au préalable sur la connais-
sance et la compréhension des proverbes, il est demandé au patient de mimer le
proverbe choisi. Des feedback sont transmis par le thérapeute et l’utilisation
d’un corpus de gestes peut être réintroduite. Les locutions et proverbes de par
leur richesse en passage du concret à l’abstrait, du physique au psychique, de
leur abondance en sentiment de douleur, plaisir, échec, réussite, santé, mala-
die… vont permettre de réaliser un exercice sur une multiplicité de gestes
connus, que l’on aura pris soin de répertorier et de sélectionner. L’objectif est
donc de faire prendre conscience au patient de l’étendue de ses possibilités de
communication par le geste et de les réactiver pour un transfert au quotidien.
Monsieur H. présente une aphasie de type Broca survenue à la suite
d’un accident vasculaire cérébral superficiel et profond sylvien gauche. Les
séquelles sont une hémiplégie droite et un trouble du langage massif avec une
anarthrie majeure altérant la communication. La compréhension du langage oral
est récupérée partiellement. Une rééducation à partir du mime a été proposée à
ce patient d’un haut niveau culturel. Des gestes de la vie courantes ont été pro-
gressivement réintroduits et le travail sur les mimes des proverbes lui a permis
de faire le lien avec des actions quotidiennes.
De même Madame L. conserve une aphasie non fluente après une phase
de mutisme de deux ans et une rééducation mixte. Elle retrouve, après une
rééducation axée sur le mime (objets de la vie courante, métiers, proverbes…)
une mobilité corporelle qui la libère. L’expression à travers le mime des actions
lui permet de communiquer dans un rayon plus large que la cellule familiale.
Une rééducation de même type a été proposée à un patient présentant une
aphasie de Wernicke. Celle-ci a permis de lever l’anosognosie et de retrouver
un feedback auditif et une informativité. La qualité de l’échange s’est trouvée
amendée.

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La base du travail sur le mime étant dans un premier temps de répertorier


les gestes, d’un point de vue qualitatif et quantitatif, et le contexte dans lequel le
patient les utilisait. Puis on propose dans un second temps une phase d’autoana-
lyse de ces derniers. C’est dans un troisième temps que l’on procèdera au réap-
prentissage de ces derniers afin de les réintroduire pour stimuler ou étayer l’ex-
pression verbale, en vue de restaurer ou de compenser les capacités de
communication des patients aphasiques et ainsi d’améliorer la qualité de vie du
patient et de son entourage. La procédure se fera toujours du plus ancien vers le
plus récent, du plus simple au plus complexe, du plus utilisé au moins néces-
saire. Il est essentiel de réintégrer d’abord les gestes de désignation, qui sont les
signes les plus universels et les plus faciles à exploiter car ils expriment une
continuité directe avec l’objet désigné. Ils permettent de diriger l’attention mais
aussi de la détourner. Tout comme ils ont été importants dans le développement
du langage de l’enfant, ils permettent à l’adulte de se réapproprier le monde qui
l’entoure, de nommer et de partager. Le système non verbal augmente la qualité
de la communication.
Le recours à des gestes manuels doit pouvoir aider des patients souffrant
de lésions cérébrales à récupérer l’utilisation de la parole ou à l’étayer dans un
but de communication.

♦ Conclusion
C’est donc en appliquant l’ensemble de ces paramètres que nous allons
tenter de rétablir une communication entre le patient privé de mots et les diffé-
rents partenaires qu’ils soient soignants, aidants naturels ou rencontres du quoti-
dien.
Le corps est une forte composante interactive qui stimule interactions,
émotions et représentations. Redonner la parole au corps et susciter les interac-
tions permet donc un travail plus interne, axé sur les sensations. C’est un moyen
de canaliser les énergies vers une créativité motrice.
Réinscrivons le geste au quotidien, afin que chacun puisse retrouver sa
place dans la relation au monde. Au même titre que la voix, le regard, la démar-
che, le geste s’inscrit dans ce qui fait la personnalité de chacun.
Comme l’a écrit H. Focillon, « le geste qui crée exerce une action conti-
nue sur la vie intérieure ».

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Comportement non verbal et bégaiement


Hélène Vidal-Giraud

Résumé
Dans cet article, nous tentons de comprendre comment le comportement non verbal d’une
personne qui bégaie peut être déterminé par un trouble de la réalisation de la parole. Nous
parlons des attitudes et des sentiments réactionnels qui vont influencer, voire conditionner,
le comportement verbal d’une personne qui bégaie. Nous abordons la thérapie du bégaie-
ment qui va s’appuyer sur la dimension non verbale pour aider le patient à sortir de son
bégaiement.
Mots clés : comportement non verbal et bégaiement, Iceberg de Sheehan, conscience du
corps, expression émotionnelle, prise en compte de l’interlocuteur, vidéo.

Non-verbal behaviour and stuttering


Abstract
In this article, we attempt to understand how the non verbal behaviours of a stuttering per-
son can be determined by a disorder of speech production. We are referring to attitudes and
emotional reactions that will influence, or even condition the verbal behaviours of a person
who stutters. The treatment of stuttering will rely on the non verbal dimension of communi-
cation to help the patient overcome his/her stuttering.
Key Words : non verbal behaviour and stuttering, Sheehan’s iceberg, body awareness, emo-
tional expression, taking conversational partners into account, video.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Le GNOM - Groupe Nantais des Orthophonistes du Mercredi - avec la participation de Sandra


Legendre et Juliette Barrau, Anne Blanchetière, Lucie Bourgoin, Hélène Bureau, Claire Dumont,
Joëlle Duprès, Alexandra Gilles, Marie-Noëlle Milcent, Elisabeth Hivert, Elisabeth Le Berre,
Stéphanie Le Saoût, Marie-Madeleine Morille, Hélène Vidal-Giraud, orthophonistes

Hélène VIDAL-GIRAUD
Orthophoniste
16 petite rue Noury
44100 Nantes
Courriel : helene.vidal.giraud@orange.fr

♦ Préambule

D
epuis bientôt 10 ans, nous formons un groupe d’orthophonistes, se réu-
nissant chaque mois, engagées dans une réflexion sur la prévention et la
prise en charge du bégaiement.
La proposition de participer à la rédaction de ce numéro thématique a
suscité notre intérêt et nous a permis d’affûter notre questionnement sur le sujet.
L’article s’est ainsi élaboré au fil de nos rencontres et de nos échanges,
grâce à nos expériences cliniques, nos lectures, nos interrogations, et surtout
grâce à la richesse des témoignages de nos patients.

♦ Introduction
Sur la plaquette diffusée auprès des enseignants, l’Association Parole
Bégaiement (2003) nous informe :
« Le bégaiement est un trouble de la réalisation de la parole entravant la
communication. Il a une double nature constituée d’une part de symptômes
(répétitions, blocages, discontinuité de la parole, augmentation de la tension…)
et d’autre part d’attitudes et de sentiments réactionnels qui sont également
constitutifs de ce trouble ».
Nous nous sommes interrogées sur la nature des liens entre comporte-
ment non verbal et bégaiement, au travers des questions suivantes :
• Quel comportement non verbal observe-t-on chez les personnes qui
bégaient ?
• De quelle façon le comportement non verbal d’une personne qui bégaie
peut-il être influencé par un trouble de la réalisation de la parole ?

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• Comment la thérapie du bégaiement va-t-elle s’appuyer sur la dimension


non verbale pour aider le patient à sortir de son bégaiement ?
Après avoir donné une définition de ce que nous entendons par comporte-
ment non verbal, nous décrirons comment celui-ci peut-être observé et analysé
avec les patients, à travers plusieurs modèles théoriques comme l’iceberg de
Sheehan, l’apport des thérapies cognitives et comportementales.
Ensuite, nous retiendrons trois aspects caractéristiques de la modification
du comportement non verbal dans le cadre du bégaiement : l’abandon de la
conscience du corps au profit de toute une attention affectée à la parole, la
volonté de réduire au maximum toute expression émotionnelle de soi et la perte
de la prise en compte de l’interlocuteur.
Nous étudierons ensuite comment la rééducation peut tenir compte du com-
portement non verbal, sujet que nous illustrerons par trois vignettes cliniques.

♦ Définition du comportement non verbal


Au préalable, il nous semble important de préciser ce que nous entendons
ici par communication et par communication non verbale.
Du latin « communicare », communiquer signifie être en relation avec,
impliquant donc au moins deux personnes. Dans l’expression courante de « com-
muniquer quelque chose à quelqu’un », nous retrouvons bien la signification
d’être en relation avec, mais aussi celle de transmettre une information. La com-
munication ne peut donc être comprise qu’en tenant compte de ces deux aspects.
Ce processus inclut par-là même une intention de communication de l’une de ces
personnes, plus l’interprétation de cette intention par l’autre et ce, à la lumière des
conventions sociales et culturelles qu’elles partagent pour se comprendre.
Cette définition volontairement large de la communication peut ici s’ap-
pliquer autant à la communication verbale qu’à la communication gestuelle,
couramment appelée communication non verbale.
Consistant à transmettre et/ou recevoir un message dont le support n’est
ni le langage oral ni le langage écrit conventionnel, la communication non ver-
bale regroupe les gestes, les mimiques et les expressions du visage, le regard,
les postures et le tonus corporel, la distance interpersonnelle, l’investissement de
l’espace, ainsi que tous les éléments supra-linguistiques que sont l’intonation, la
prosodie, le rythme, le volume, etc.
Dans le cadre de cet article nous nous centrerons sur les comportements
non verbaux qui peuvent être définis comme étant l’ensemble des gestes, des

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attitudes, des expressions, conscientes ou inconscientes qui accompagnent


l’énonciation d’une parole.
Annie Dumont (2004) propose une classification des gestes observés chez
tout un chacun :
- les gestes référentiels par rapport à l’objet du discours : ce sont ceux que
nous utilisons inconsciemment.
- les gestes communicationnels, qui se rapportent à ce qui se passe entre les
interlocuteurs (il peut s’agir de réconforter quelqu’un en lui mettant la main
sur l’épaule) ;
- les gestes métalinguistiques, sous forme de signes codifiés comme le V de
la victoire ;
- les gestes homéostatiques d’ajustement du corps, de confort,
d’autocontact : se repositionner sur sa chaise, croiser les jambes, se toucher
les cheveux...
Cette classification n’inclut pas les gestes de reprogrammation neuromo-
trice (parler-rythmé notamment) qui sont des techniques de rééducation.
Conduites - conscientes et inconscientes - réactionnelles à ce qu’on reçoit
de l’autre, des comportements complètent le message verbal, en fonction des
situations de communication. Leur signification est variable : « Je parle, et
simultanément, tout mon être exprime de façon consciente ou inconsciente ce
que je dis et bien d’autres choses encore ».
Attitudes, gestes, mimiques, regards, communication verbale mais aussi
ce qui permet (ou pas) à l’autre, de se « poser face à », d’interagir, d’exister.
Cela introduit les notions de pragmatisme, d’empathie, nécessaires à l’échange.
En situation de conversation, il est intéressant d’observer ce qui relève du
comportement non verbal dans la qualité de l’échange :
- Le comportement non verbal du locuteur est-il en adéquation avec ses
paroles ?
- Comment le comportement non verbal complète-t-il les paroles ?
- Comment leur donne-t-il les couleurs émotionnelles qu’elles contiennent ?
- Comment, par son comportement non verbal, le locuteur montre-t-il à l’in-
terlocuteur qu’il s’adapte au rythme de sa compréhension, qu’il l’inclut
dans les propos tenus ?

♦ Comportement non verbal et bégaiement


Observation et analyse du comportement non verbal dans le cadre du
bégaiement

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• Utilisation de la vidéo
Une conversation filmée entre une personne qui bégaie et son interlocu-
teur, ainsi bien sûr qu’entre deux locuteurs fluents, permet de lister les compor-
tements non verbaux qui nourrissent ou diminuent la clarté du message.
En effet, certains comportements non verbaux observés viennent appuyer
la communication : regard confiant, ajustement corporel…, d’autres comporte-
ments non verbaux, sans valeur communicative, peuvent venir parasiter la com-
munication : regard sans cesse fuyant, hemmage ou raclement de gorge, visant à
désengager le larynx, tremblement de la jambe, geste sans signification...
• La théorie de l’Iceberg de Sheehan
Dans notre expérience clinique, l’examen de langage mené avec un
patient qui bégaie suit deux axes. Le premier est l’analyse systématique de ses
dysfluences ; le deuxième est l’état des lieux de ses capacités de communica-
tion. Il s’agit de lui donner les moyens de faire le point sur la façon dont ses
dysfluences modifient, ou ont modifié, sa façon de communiquer et d’être en
relation avec les autres.
Pour cela, parmi les nombreuses échelles et outils diagnostics, nous pou-
vons citer l’Iceberg de Sheehan * (1970) : la métaphore de l’Iceberg est remplie
avec ou par le patient.
Cette métaphore met en évidence le décalage que le bégaiement peut pro-
voquer entre ce que le locuteur exprime réellement et ce qu’il avait l’intention
de transmettre : « ce que je dis n’est pas forcément ce que j’aurais aimé dire » ;
« je ne montre et je ne dis certainement pas ce que je ressens ».
* La métaphore de l’Iceberg, a été reprise par Anne-Marie Simon qui dis-
tingue le « Paraître Bègue » en haut d’une ligne de flottaison et le
« Vivre Bègue », en bas de cette ligne. En haut de la ligne, le patient va
identifier ses bégayages, l’absence éventuelle de contact visuel, le
découpage erroné des unités de sens, la perturbation du souffle, les
éventuels mouvements accompagnateurs, la perte plus ou moins impor-
tante de l’expressivité : ce qui se voit et s’entend de son bégaiement. En
dessous de la ligne, on verra apparaître la frustration, la honte, les senti-
ments de dévalorisation, la peur, la culpabilité, la perte de confiance en
soi, l’expression à minima, les évitements de toutes sortes, les anticipa-
tions négatives, la perte de la spontanéité. On entendra aussi l’inadapta-
tion sociale, les attitudes de retrait, le repli sur soi, la sensation de
confusion ou de sidération de la pensée. Seront ainsi mis en évidence la
perte de contact avec l’interlocuteur, et tout ce que le patient est seul à

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savoir de son bégaiement et de ce qu’il engendre intérieurement. « Etre


bègue » est l’addition du « Paraître Bègue » et du « Vivre Bègue ».
Liste des modifications du comportement non verbal
Sylvie Brignone et Juliette de Chassey (2003) listent des modifications du com-
portement non verbal observées chez la personne qui bégaie :
- Gestes saccadés ;
- Tics ;
- Tensions musculaires (nuque, trapèzes, mâchoire, langue, lèvres) ;
- Erythèmes ou rougissements ;
- Sensation de chaleur excessive ;
- Sudation excessive (mains moites) ;
- Hyper salivation ;
- Tachycardie ;
- Augmentation de la tension artérielle ;
- Gestuelle absente ou non adaptée ;
- Mimique pauvre ou inadaptée ;
- Posture en retrait ou inadaptée ;
- Contact visuel difficile ou fuyant.
Répercussions du bégaiement sur le comportement non verbal
Le bégaiement a des répercussions sur la communication d’une personne qui
bégaie. L’objet d’investigation, cette parole empêchée implique le sujet tout
entier : sa pensée, ses affects, son corps, son identité...
Aborder tous ces aspects est infiniment complexe car il est impossible
d’en tirer des conclusions systématiques : pour chaque personne et quelle que
soit la sévérité du bégaiement, la capacité de communication sera inégalement
atteinte et de ce fait le comportement non verbal inégalement perturbé.
La prise en compte des dysfluences ne suffit pas à comprendre l’impact
du bégaiement sur le comportement non verbal. Parfois, en l’absence de ten-
sions audibles et visibles, la partie immergée de l’iceberg illustre le comporte-
ment non verbal modifié. Ce que Mark Irwin a fort bien démontré en décrivant
le bégaiement intériorisé ou syndrome de la parole bégayée (2009).
Les personnes qui vivent ce trouble sont moins concernées par les dys-
fluences que par la peur d’en produire.
La partie immergée de l’iceberg est alors la plus importante, et l’aspect
pathologique s’apprécie principalement par son impact psychosocial. Nous pou-
vons ainsi évoquer les évitements de mots, de situations, le contrôle permanent des
affects et la perte de la spontanéité qui influencent toute prise de parole du sujet.

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L’interlocuteur ne peut savoir si ce que laisse voir le sujet est la réelle


expression de son état intérieur ou un masque destiné à cacher l’anxiété générée
par la situation de communication et les dysfluences observables ou non.
Trois aspects de la modification du comportement non verbal chez la
personne qui bégaie
Quelle que soit la nature du bégaiement, trois conséquences sur le com-
portement non verbal peuvent être distinguées :
• L’abandon de la conscience du corps au profit de toute une attention
affectée à la parole. Celle-ci va influencer la mimique, la gestuelle, la
posture : ces dernières perdront leur « ancrage émotionnel ».
Les mots sont ainsi dépouillés de leur charge affective et/ou émotionnelle,
la personne s’enferme dans une forteresse. C’est à ce moment là que l’on peut
constater chez la personne qui bégaie, une réduction de toute expressivité du
comportement non verbal.
On peut aussi constater l’apparition de manifestations physiques qui
échappent à la conscience du sujet : irruption parasite de tics, mouvements
incontrôlés visant à favoriser le désengagement laryngé.
• La volonté de réduire au maximum toute expression émotionnelle de soi
risquant de provoquer les dysfluences et la création de croyances comme :
« Si je ne laisse rien transparaître de moi, alors je ne bégaierai pas ».
Anne May (2001) développe particulièrement cette atteinte du comporte-
ment non verbal induite par le bégaiement à travers le contrôle de soi. Elle
décrit combien la tentation de maîtriser les bégayages peut entraîner la répres-
sion de toute spontanéité de l’acte de parole. Un de ses patients se décrit ainsi en
situation de parole : « Lorsque je parle, il me faut être comme un cheval qui
porte des œillères. Je dois regarder droit devant moi. Je ne dois pas être inter-
rompu, ni me laisser distraire par une idée parasite. Je dois fermer toutes les
routes annexes qui se présentent à mon esprit ».
« Cette surtension imposée à la parole, entravera la libre expression de la
pensée et surtout la plus affective » explique Anne May (2001). En sur investis-
sant la fluence aux dépends de l’expressivité de sa parole, le patient perd l’accès
à ses propres affects et à la construction de sa pensée. Nous constatons donc des
conséquences sur l’image de soi.
• La perte de la prise en compte de l’interlocuteur
La mise à distance de l’interlocuteur se manifeste d’emblée par le détour-
nement du regard. Englué dans sa difficulté d’énonciation, la personne qui
bégaie perd souvent le contact du regard de l’autre.

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Elisabeth Vincent (2009) évoque deux processus défensifs : l’annulation


et l’isolation.
L’annulation consiste à effacer la présence de l’autre en détournant le
regard ; l’isolation représente plutôt une coupure du sujet avec la situation.
« Le fait que la personne bègue se vive dans les situations d’interactions
comme particulièrement faible, à la merci de son interlocuteur, l’amène à recou-
rir préférentiellement à des moyens de protection tels que l’annulation et l’isola-
tion, visant à effacer l’autre par une inhibition de la perception » (Vincent,
2009). C’est donc un besoin de mettre l’interlocuteur à distance pour pouvoir
préserver sa fluence mais aussi pour ne pas voir les signaux renvoyés par l’inter-
locuteur. « Les personnes bègues ont tendance à privilégier tout signal négatif
perçu chez l’interlocuteur ou à l’imaginer, à titre d’illusion perceptive comme ça
peut-être le cas quand un stimulus est ambigu » (Vincent, 2009).
La distance interpersonnelle est modifiée par la peur de ce que pourrait
penser l’interlocuteur. « La peur du regard de l’autre m’impose des stratégies
de repli si je ne parviens pas à m’en faire un allié ».
En situation de communication, on peut représenter l’énergie affectée à la
construction de récit, au choix des mots, à la forme d’une part et l’énergie inves-
tie à la transmission du message d’autre part. Cette répartition peut être matéria-
lisée visuellement dans le graphique ci-dessous.
Chez une personne n’ayant jamais bégayé, ou étant « guérie » de son
bégaiement, 75% de l’énergie déployée dans la production du discours est
consacrée à la transmission de son propos. Son monologue intérieur pourrait
être : « J’ai tout mon temps pour préciser ma pensée, je peux donner un exem-
ple, je regarde si mon interlocuteur est intéressé, je rajoute une précision, je
souris, j’accompagne avec un geste, un soupir, je peux me permettre de faire de
l’humour ». Cette personne n’accorde alors qu’un très petit pourcentage de son
attention pour ajuster sa voix et sa formulation au contexte.
A l’opposé, chez une personne qui bégaie, l’attention accordée à l’interlo-
cuteur se réduit (25%) au profit des préoccupations concernant la façon dont
elle va énoncer son message (75%). Ces préoccupations sont sous-tendues par
un dialogue interne le plus souvent dévalorisant : « je ne sais pas si je vais
réussir à le dire, j’ai peur que ça bloque, j’espère qu’on va me comprendre ;
pourvu qu’on ne m’interrompe pas ; ouf, j’arrête … »

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Schéma 1 : Attention à l’interlocuteur

♦ Prise de conscience et rééducation


L’objectif de la prise en charge orthophonique est :
• l’auto-observation, par le patient, de son propre comportement non verbal
(ex : prise de conscience des tics, des gestes inconscients) ;
• la restauration de la conscience de soi et la prise en compte de l’autre en
situation de communication ;
• la prise de conscience de sa propre qualité de communicant, même avec
un bégaiement.
Il s’agit aussi de permettre à la personne qui bégaie de récupérer l’accès à
ses propres affects pour redonner à sa parole la spontanéité dont elle a été pri-
vée. Grâce à des médias qui mettent son corps en jeu, il peut retrouver une
forme d’expression de soi.
Nous citons l’exemple de Madame M. qui raconte son geste du doigt
pointé vers le Paris-Brest à la boulangerie. « Lorsque je sens la tension mon-
tante du bégaiement à l’idée de prononcer le P du mot Paris-Brest, je pointe du
doigt le gâteau et je peux dire le mot tranquillement ». Ce geste référentiel a
dans le même temps valeur de communication et de décentration. Il détourne le
regard de la boulangère de sa bouche bégayante vers le gâteau, et permet de
lâcher la tension corporelle ressentie. Ce geste aboutit donc à la détente motrice
pré-phonatoire requise.
Les jeux de rôle dans le travail thérapeutique en groupe sont importants :
ils permettent à la personne qui bégaie de se confronter à un autre… qui bégaie
aussi.

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Le regard de l’autre devient le regard d’un pair, bienveillant, face auquel le


locuteur peut retrouver un « comportement tranquillisateur » (Le Huche, 1998).
La compensation d’une parole défaillante par une attitude non verbale tranquilli-
satrice, chaleureuse, rassurante pour l’interlocuteur, va avoir pour effet de facili-
ter la fluence et disperser les tensions que la personne qui bégaie « s’inflige ».
Son attitude intérieure évolue : « Je me décentre de ma volonté de fluence et je
reprends le contact avec celui à qui je m’adresse. Je reviens dans la communica-
tion, je renoue le contact avec le regard de l’autre ». La parole, échappant à tout
contrôle, se libère des tensions et s’énonce d’une façon plus fluide.
Des observations cliniques, transcrites ci-après, insistent sur l’apport de la
vidéo en séance, pour une meilleure prise de conscience du corps par le patient.
Vignette clinique : Arthur
Une première observation relate le cas d’un patient :
Arthur, 22 ans, présente en même temps que des forts blocages une pro-
trusion linguale violente et très phallique, du point de vue du thérapeute en
situation de communication.
Comme à chaque début de prise en charge, Arthur est filmé quelques
minutes. Du point de vue du thérapeute, il n’a pas conscience de cette synciné-
sie ; il est donc prévenu du choc qu’il pourra ressentir en visionnant sa bande. Il
certifie alors qu’il a eu sa « meilleure parole » pendant cet enregistrement !
Le thérapeute répète son avertissement pour le préparer, avant de le
confronter à la réalité de sa protrusion. Il lui explique aussi que ce mouvement
involontaire est dû sans doute à un effort extrême qui tend tous les articulateurs
de la parole.
Arthur persiste : il sait ce que la vidéo va lui donner à voir.
Il visionne sa séquence, blêmit, et demande avec autorité d’effacer l’enre-
gistrement. Il est choqué, abattu et infiniment triste ; l’impact de ce témoignage
visuel le bouleverse.
C’est sans doute la première fois qu’il réalise ce qu’il donne à voir à
l’Autre lors de cette grimace incongrue, dérangeante et quelque peu obscène.
Conformément à l’éthique du thérapeute, la séquence sera effacée, mais
après avoir été travaillée en bégaiement inverse (technique motrice qui consiste
à reproduire à l’identique une dysfluence ou une syncinésie, aussi bien sur le
plan phonétique, kinesthésique, qu’émotionnel). La bande vidéo est donc indis-
pensable pour demander à Arthur de reproduire à l’identique ce qu’il a produit
au cours de cette syncinésie spontanée et involontaire.

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Le duo thérapeute / patient alterne vidéo et miroir jusqu’à ce que Arthur


sache reproduire parfaitement ce geste, en retrouvant avec précision toutes les
tensions associées et toutes les pensées adjacentes.
Le patient s’y applique, courageusement et méthodiquement, jusqu’à ce
que sa protrusion « coule de source » et qu’il n’ait plus aucun mal à la faire
volontairement, en dosant sa force d’exécution.
Jamais plus ce jeune homme n’a eu cette protrusion linguale, après ce tra-
vail, comme s’il savait stopper la montée en tension sans avoir besoin d’aller
jusqu’au bout !
Et le thérapeute efface sa séquence, devant lui, comme lui-même a effacé
sa protrusion.
Vignette clinique : Fabien
Une autre relation thérapeutique illustre le déni des comportements
parasites.
Elle fait intervenir Fabien, un jeune homme qui ‘’branle du chef’’ juste
avant ses dysfluences. Il semble les anticiper et les tenir à distance en secouant
sa tête très vite et très légèrement de droite à gauche ….
Quand ce geste accompagnateur est évoqué - sans aucune interprétation -
Fabien s’en étonne et n’y voit rien d’anormal.
Devant le visionnage de sa séquence, il a un mal infini à se regarder et
persiste dans l’idée que « tout est normal ».
L’orthophoniste doit alors l’imiter pour l’aider à percevoir ce qui peut
déranger l’Autre dans son tremblement. C’est évidemment douloureux mais
nécessaire pour qu’il sorte du déni, et qu’il abandonne un geste accompagnateur
qui entrave sa relation à l’Autre.
Vignette clinique : Amélie
Une dernière situation clinique décrit Amélie, une jeune fille qui rejette
violemment sa tête en arrière au moment de ses blocages.
Proche de ses 12 ans, Amélie initie une rééducation. Elle voit sa vidéo,
travaille en bégaiement inverse et le mouvement cesse.
A 14 ans apparait un autre mouvement tout aussi brusque de la tête, vers
l’avant. Le mouvement est à ce point violent et réitéré qu’Amélie souffre d’une
névralgie d’Arnold, consécutive à la tension extrême.
Pour abandonner ce geste involontaire sans qu’un autre le remplace, et
grâce à l’aide du thérapeute, Amélie doit chercher ce que vient cacher ce geste

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et ce qu’il y aurait de dangereux à se laisser voir bégayer ; elle convient que cet
à-coup est très gênant pour ses interlocuteurs et qu’elle en paie le prix par des
douleurs lancinantes.
Si ce geste voulait faire oublier son bégaiement à l’Autre, il parasite aussi
fortement la relation par son incongruité et sa violence non verbale.

♦ Cercle vertueux ou spirale positive dans la prise en charge du


bégaiement
C’est en prenant en compte les altérations de la communication non ver-
bale d’une personne qui bégaie que l’on parviendra à mettre en place ce cercle
vertueux – voir schéma - défini dans les thérapies du bégaiement.

Schéma 2 : Spirale Positive du Groupe Thérapeutique


des Adultes du Mardi de Nantes

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N.B : les techniques de reconditionnement moteur ne sont rien sans l’ap-


proche de ce que la personne représente pour elle-même et pour l’autre
lorsqu’elle parle.

♦ Conclusion
Le comportement non verbal est donc modifié de différentes façons et à
différents degrés chez la personne qui bégaie. L’observation met en évidence
des altérations de la gestuelle, de la mimique et une perte de la spontanéité de la
parole. L’attention focalisée sur la parole, les dysfluences, troublent la commu-
nication en la dépossédant de son contenu. Les exposés cliniques illustrent à
quel point le comportement non verbal peut s’éloigner de son rôle de vecteur de
communication pour ne plus exprimer que les tensions physiques causées par le
bégaiement à l’insu de la personne.
En reconstruisant son image et ses propres perceptions, d’elle-même et de
l’autre en situation de communication, la personne qui bégaie aura toutes les
chances de voir ses dysfluences régresser et surtout de voir s’harmoniser sa
communication verbale et non verbale. C’est en retrouvant la conscience de son
corps que le patient pourra libérer les tensions affectées à sa parole. La possibi-
lité reconquise d’exprimer ses émotions permettra de retrouver un comporte-
ment de communication plus expressif et plus conscient, ou dit autrement, de
vivre plus librement sa spontanéité de parole et d’être.
Aborder les comportements non verbaux comme une nécessité dans cette
thérapie, confirme donc l’impératif de s’intéresser au bégaiement dans la globa-
lité et dans la complexité de ce trouble de la communication.

REFERENCES
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VINCENT, E. (2009). Voir et ne pas voir. Orthomagazine, 80
SHEEHAN, J.G. (1970). Stuttering, Research and Therapy. New York : Harper and Row.

Toutes les plaquettes de prévention sont disponibles à l’APB :


Association Parole-Bégaiement
BP 200 11 92340 Bourg la reine
www.begaiement.org
n° azur de l’APB : 0810 800 470
Permanence : 01 46 65 36 39
Courriel : contact@begaiement.org

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Les signes gestuels sont-ils non verbaux ?


Réflexions autour de la langue des signes dans
l’éducation des enfants sourds
Elisabeth Manteau-Sépulchre

Résumé
Recourir à la langue des signes dans le cadre de l’éducation langagière des enfants sourds
ne constitue pas un choix idéologique partisan mais relève d’une réflexion linguistique. Ce
bilinguisme particulier peut offrir aux enfants sourds un accès à une langue qui leur permet
de communiquer, ce qu’on assimile parfois à tort à de la communication non verbale ou
paraverbale. Pourtant, il s’agit bien d’une langue véritable qui leur permet également de
développer précocement leur pensée et leur intelligence et de faire des acquisitions lin-
guistiques et métalinguistiques, véritable expérience verbale première qui facilite leur maî-
trise ultérieure de la langue orale.
Mots clés : surdité, bilinguisme, langue des signes, verbal / non verbal.

Are gestural signs non verbal?


Thoughts about sign language in the education of deaf children

Abstract
The use of sign language as part of deaf children’s language education is not a biased ideo-
logical choice but the product of a linguistic analysis. This particular type of bilingualism can
provide deaf children access to a type of language that helps them communicate, which we
sometimes mistakenly equate with non verbal or para verbal communication. Yet, it is
indeed a language in its own right which also contributes to the early development of
thought and intellectual processes and to the acquisition of linguistic and metalinguistic
skills, an essential early verbal experience that facilitates the child’s subsequent mastery of
oral language.
Key Words : deafness, bilingualism, sign language, verbal/non-verbal communication.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Elisabeth MANTEAU-SÉPULCHRE
Orthophoniste
Professeur CAPEJS
Docteur en Sciences du Langage.
CMPP - SESSAD Le fil d’Ariane
BP 620
58 006 Nevers
Courriel : elisabeth.manteau@wanadoo.fr

Verbe n.m. (lat. verbum, parole). Litt. Parole, expression de


la pensée par les mots. La magie du verbe. / Parole n.f. (lat.
parabola). Faculté de parler, propre à l’être humain.
L’homme, être doué de parole….. Usage concret qu’un indi-
vidu fait de la langue. Petit Larousse.
Verbal. Par opposition au non verbal, désigne tout ce qui est
oralisé ou écrit avec des mots. Dictionnaire d’Orthophonie.

♦ Le verbe et la parole

I
l est assez fréquent d’entendre citer l’utilisation des signes (signes gestuels,
en tant qu’unités lexicales des langues des signes) parmi les « comporte-
ments » non verbaux. On cite même parfois les langues des signes elles-
mêmes comme des modes de communication non verbale. La question pourrait
être alors de réfléchir à la caractéristique verbale ou non verbale des langues des
signes. Questionnement qui n’est peut-être pas étranger au ressenti de ces lan-
gues et aux positionnements relatifs à leur recours dans l’éducation des enfants
sourds.

Les langues des signes n’appartiennent évidemment pas au registre des


langues « parlées » avec la voix (langues vocales, Bouvet 1982) mais elles sont
des langues constituées d’aspects lexicaux, syntaxiques, pragmatiques, permet-
tant d’exprimer la pensée par des mots. Toutes les études linguistiques de ces
dernières décennies ont démontré que les langues des signes étaient des vraies
langues et il n’est plus personne sans doute pour contester cette évidence. C’est
même une démonstration éclatante de ce que la « parole » est le propre de
l’homme : tout homme, même si des particularités physiques le privent d’un
accès facile à des modes de parole habituels, peut en créer d’autres.

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♦ Des éducations bilingues


Les langues des signes sont non vocales mais elles ne sont pas non verba-
les. Etre bilingue ASL 1/anglais ou LSF 2/français n’est pas facile mais n’est pas
fondamentalement différent de tout autre bilinguisme. De nombreux enfants
entendants de parents sourds vivent ce bilinguisme de façon tout aussi naturelle
que d’autres enfants de couples binationaux et bilingues par exemple.
La réalité est un peu différente pour les enfants sourds de parents enten-
dants, cas le plus courant pour les enfants sourds auprès desquels nos services 3
interviennent. Réalité différente parce que ce bilinguisme est souvent décrit
comme « moins naturel », étranger aux habitudes langagières de ces familles
entendantes avant la naissance du petit enfant sourd et plus difficile d’accès
pour l’enfant sourd lui-même.
On a parfois dénié le terme de bilinguisme à une éducation langagière de
l’enfant sourd introduisant la langue des signes, au prétexte qu’il ne pouvait
s’agir de « vrai » bilinguisme, au sens où le décrivaient les linguistes de la pre-
mière moitié du vingtième siècle, ces cas où le locuteur a la même maîtrise des
deux langues et peut leur accorder le même statut, ce que Jakobson décrit
comme bilinguisme « authentique et absolu » (Jakobson, 1963). Pourtant les
linguistes contemporains qui travaillent sur le(s) bilinguisme(s) décrivent des
situations variées de bilinguisme, dominant ou équilibré, simultané ou consécu-
tif. Ils s’attachent plus à l’analyse linguistique (et socio-linguistique) de toutes
ces situations où des individus se trouvent ainsi amenés à comprendre et pro-
duire des énoncés significatifs dans deux langues, dans leur vie de tous les
jours, et principalement au cours de leur développement langagier et de leurs
premiers apprentissages (Hamers et Blanc, 1983).
Dans le monde moderne, les situations de bilinguisme, plus rares en
Europe (Hagège, 1996), sont très nombreuses : plusieurs rapports de l’UNESCO
estiment à plus de 50% le nombre d’enfants qui, dans le monde, reçoivent une
éducation dans une langue autre que leur première langue. Sans entrer dans des
querelles idéologiques stériles relatives aux choix éducatifs pour les enfants
sourds, il semble fondamental de ne pas toujours marginaliser la problématique
de leur accès à la langue mais de la considérer comme un aspect particulier de
ces nombreuses situations d’éducation bilingue.

1. American Sign Language


2. Langue des Signes Française
3. SAFEP (Service d’Accompagnement Familial et d’Education Précoce) et SSEFIS (Service de Soutien à
l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire)

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♦ Un choix précoce
Le petit enfant est précocement un être doué de « parole » au sens où
nous venons de décrire cette faculté. Cet accès à une langue lui permet de com-
muniquer, développer sa pensée et ses connaissances et être acteur des échanges
inter-personnels.
Communiquer
La linguistique humaniste, centrée sur l’énonciation, met en lumière que
le langage est pour l’homme « un moyen, en fait le seul moyen, d’atteindre
l’autre homme, de lui transmettre et de recevoir de lui un message. Par consé-
quent, le langage pose et suppose l’autre » (Benvéniste, 1974). Cet aspect des
langues suppose qu’on ne puisse réfléchir au langage, ni à son acquisition, en
dehors des contextes humains dans lequel il se développe. Les conséquences
psycho-affectives de la difficulté à communiquer précocement avec un jeune
enfant sourd peuvent être lourdes pour l’enfant et pour sa famille.
Développer la pensée et les connaissances
Le langage est aussi moyen de représentation, c’est même sa première
fonction selon Gustave Guillaume. Si les hommes communiquent, c’est pour
dire, et s’ils disent, ils disent quelque chose, ils parlent de l’univers ; le langage
est « dans la pensée humaine, un ouvrage par elle construit qui lui sert – c’en
est le finalisme principal – à reconnaître en elle-même où elle en est de sa pro-
pre pensée » (Guillaume, 1958). On retrouve une approche du même type chez
Vigotsky pour qui le langage n’est pas seulement un système « paresseux » qui
ne ferait qu’exprimer la pensée, mais est essentiel pour la « prise de
conscience » ; il est un outil qui établit des liens et de ce fait entre dans la
construction même de cette pensée, ainsi que dans celle des relations sociales.
(Vygotsky, 1977). Le langage ne crée pas l’intelligence mais il aide à la déve-
lopper. Il aide le tout petit à comprendre le monde et à acquérir des connaissan-
ces.
Etre acteur des échanges interpersonnels
Chaque locuteur peut utiliser le langage quand il le veut et dans le but
qu’il désire. Le langage n’est pas un simple système d’étiquettes mais il peut
exercer de multiples fonctions dans l’acte de communiquer (Jakobson, 1963 ;
Austin, 1971) : transmettre ou délivrer une information, nouer un contact, agir
sur le destinataire du message par un ordre, une demande, exercer une persua-
sion ou une séduction, essayer de savoir ce que l’autre ressent, lui exprimer, ou
lui dissimuler, ce que nous ressentons. Le langage peut également réfléchir sur

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et à propos du langage ou jouer avec l’énoncé qui devient une fin en soi. Le lan-
gage peut dire vrai, ou dire faux, on peut aussi parler pour ne rien dire. Et c’est
la liberté de chaque locuteur. Quand un enfant n’a pas de problème d’accès à la
langue, il prend vite une place d’acteur dans les échanges avec son entourage,
dont il peut même être l’initiateur, il expérimente les fonctions du langage à tra-
vers ses premiers échanges langagiers.

♦ Un bilinguisme particulier
Quels que soient les modes d’apprentissage et d’éducation précoce, l’en-
fant sourd de parents entendants accède à la langue de son entourage avec un
décalage temporel par rapport aux autres enfants. Ce décalage temporel, plus ou
moins important selon les situations individuelles, le met en difficultés pour
expérimenter et s’approprier précocement les trois fonctions principales du lan-
gage décrites ci-dessus. Partant de cette réflexion sur le besoin essentiel pour
tout enfant de maîtriser très tôt une langue, des familles, et des professionnels
avec elles (Manteau, 2001), font le choix pour les enfants sourds d’une éduca-
tion bilingue.
On rencontre des définitions très différentes, et souvent peu précises, de
ce bilinguisme. Pour nous il s’agit bien d’offrir à l’enfant sourd et à sa famille
une éducation langagière s’appuyant sur deux langues : la langue des signes
d’une part et d’autre part une langue orale et écrite. Soit, pour notre situation :
la LSF (langue des signes française) et le français oral et écrit. Ce choix éducatif
n’est pas un choix de facilité car il nécessite la mise en œuvre de modalités édu-
catives complexes et exigeantes.
La langue des signes ne peut être apportée que par des locuteurs compé-
tents de cette langue, généralement des locuteurs sourds, formés à son analyse et
à son enseignement. Elle doit pouvoir être offerte à l’enfant par des interactions
langagières riches et adaptées à son âge et enseignée à sa famille dans des cours
de qualité et d’un accès facile (en termes de contraintes temporelles et de coût).
La langue orale (puis écrite) doit pouvoir être proposée à l’enfant par tous
les moyens d’une éducation s’appuyant sur des savoir-faire orthophoniques que
ce choix bilingue ne remet pas en question. Les enseignements théoriques et cli-
niques de nos précurseurs : Suzanne Borel-Maisonny, Denise Sadek, sont tou-
jours d’actualité et les méthodes et techniques développées au cours de ces der-
nières décennies, parmi lesquelles l’utilisation du code LPC, sont précieuses.
Une des spécificités de ce bilinguisme-ci est son accès plus « déséquili-
bré » entre une langue bien accessible puisque se développant dans une moda-

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lité visuo-gestuelle, et une autre langue moins facile d’accès du fait de ses
caractéristiques audio-orales. Mais ce déséquilibre même peut être utilisé de
façon dynamique, la modalité orale s’appuyant sur les expériences vécues dans
la modalité signée.

♦ Aspects de l’éducation verbale orale-écrite


L’éducation bilingue, telle que nous l’entendons (Manteau, 1999), conti-
nue de développer ce que nous savons faire en matière d’adaptation et d’utilisa-
tion des appareillages, implants cochléaires compris, avec une éducation audi-
tive structurée conçue comme une réelle découverte du monde sonore dans toute
sa complexité et sa richesse et non pas comme un simple entraînement à la per-
ception des sons de la parole.
L’éducation orthophonique 4 ainsi pensée aide l’enfant à découvrir et
s’approprier les modalités lexicales et syntaxiques de la langue mais également
à en expérimenter les utilisations pragmatiques. Cet abord de l’éducation langa-
gière, nourri des travaux sur les éducations et enseignements bilingues, déve-
loppe les facultés acquises par l’enfant dans la première langue qu’il a expéri-
mentée. Un concept compris dans une langue première n’a pas besoin d’être
réexpliqué dans la langue seconde, il suffit d’en donner la traduction. Des diffé-
rences sémantiques fines sont faciles à expliciter si les mots (les signes) sont
déjà connus.
Les complexités syntaxiques (rapports de cause à effet, de condition, etc.)
sont rarement directement transposables d’une langue à l’autre mais lorsqu’elles
ont pu être acquises dans une langue première comme elles le sont pour tout
enfant, par des interactions langagières adaptées et en situation (Lentin, 1998),
l’enfant a l’habitude de prendre en compte la totalité d’un énoncé pour mettre
les mots en relations afin de comprendre les idées.
Enfin, lorsqu’un enfant a déjà expérimenté et approché dans une langue
première les différentes fonctions de la langue, il sait que les mots peuvent
décrire, mettre en relation, raconter des évènements réels et des histoires inven-
tées, qu’on peut jouer des mots et jouer avec les mots, etc. Le petit enfant qui
communique sans difficultés dans une langue première a plus de facilité (et de
goût peut-être) pour être initiateur des échanges langagiers.

4. Education plus que rééducation (Manteau, 2008)

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Pour le bilinguisme langue des signes - langue orale, l’accès même aux
aspects vocaux et articulatoires de la langue orale peut être explicité en langue
des signes, démystifiant et rendant plus accessible le monde des sons qui est dif-
ficile d’accès pour certains 5.

♦ Des parcours bilingues adaptés aux enfants


Les formidables apports acoustiques des implants cochléaires semblent à
certains suffisants pour remettre en question les choix bilingues des enfants
sourds. Pourtant, l’implantation cochléaire nécessite au mieux plusieurs mois
entre le dépistage, même précoce, de la surdité, la réalisation et l’efficacité fonc-
tionnelle de cet apport perceptif, et le développement langagier qui en découle
quand tout va bien.
Bénéficier de la langue des signes est très précieux pour accompagner
l’enfant pendant cette période, le préparer, lui expliciter les actes médicaux,
leurs raisons et leurs buts. Un travail bilingue permet également de ne pas vivre
cette période comme une simple attente de ce qui va être plus facile ensuite
mais de l’optimiser pour mettre l’enfant en situation de devenir réellement locu-
teur et de développer des facultés cognitivo-langagières qui lui seront précieuses
dans sa découverte de la langue orale.
Les études psycho-linguistiques de ces dernières décennies ont largement
prouvé qu’il est fondamental pour tout enfant de développer une langue pre-
mière la plus riche possible et que cela ne pourra que l’aider ensuite à apprendre
une langue seconde, la langue de l’école par exemple. La possibilité pour tout
enfant de devenir bilingue, voire multilingue, est reconnue et encouragée par les
linguistes et les pédagogues.
L’intelligence des enfants sourds n’est pas différente. Signer n’empêche
pas de parler ; l’éducation bilingue a suffisamment de recul maintenant pour
que cette intuition soit largement confirmée par un grand nombre d’adolescents
et jeunes adultes bilingues. Chaque enfant sourd guide ensuite l’évolution des
projets langagiers et éducatifs.
Si un enfant sourd implanté développe avec suffisamment de facilité la
maîtrise de la langue orale et écrite en compréhension et en utilisation, il aura
peut-être moins recours à la langue des signes. Cette expérience linguistique
précoce ne lui aura pourtant pas été inutile ni nuisible. Avoir été exposé dans la

5. Il est assez facile par exemple de décrire en signes les modes articulatoires de notre code phonologique :
consonnes ouvertes-fermées pour les occlusives, consonnes glissées pour les fricatives, etc.

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petite enfance au bilinguisme aide à développer une intuition métalinguistique


et à acquérir ultérieurement d’autres langues (Hagège, 1996). Peut-être aussi
désirera-t-il conserver cette autre langue pour des raisons pragmatiques (recours
à l’interprétariat dans les situations de perception moins confortables), psycho-
sociales (choix identitaire et/ou désir d’échanges avec ses pairs) ou par plaisir
d’utiliser cette langue particulière.

♦ Des signes aux mots, des expériences verbales


Pour un orthophoniste, travailler auprès des enfants sourds dans une opti-
que bilingue (Manteau, 2008) suppose de connaître les deux versants de ce
bilinguisme particulier. Peut-être pas forcément d’en avoir une maîtrise totale.
Ne pas trouver tout de suite le signe correspondant à un concept qu’on voudrait
expliquer n’est pas très grave : recourir au dictionnaire est une démarche méta-
langagière qui peut même être positive lorsqu’on la mène avec l’enfant. Par
contre il est indispensable d’avoir une réelle connaissance des règles de fonc-
tionnement de la langue, notamment de sa structuration syntaxique, pour être
capable d’apporter à l’enfant des explications métalinguistiques sur les fonction-
nements comparés des deux langues.
La connaissance de la langue des signes permet également de limiter les
risques d’utilisation de ce phénomène de communication si spécifique qu’est le
français signé : sorte de « sous-titrage » simultané, spontanément utilisé lors
de nombreux contacts informels entre sourds et entendants (soutenir l’échange
oral en « traduisant » certains mots par les signes correspondants) mais qui
peut donner lieu à des contresens ou des non-sens si on n’y prend pas garde.
Des mots aux signes, des signes aux mots, si l’on est un esprit à la fois
curieux et rigoureux, les parcours s’entrecroisent et s’enrichissent. Les enfants
sourds grandissent dans ces projets bilingues en étant les propres guides des
choix langagiers ultérieurs. Il faut aux professionnels de solides connaissances
théoriques et pratiques pour être capables de s’adapter et d’adapter leurs savoirs
théoriques et leurs savoir-faire, une certaine humilité également car ces choix
supposent un travail pluridisciplinaire et une remise en question de tous les ins-
tants. Même lorsqu’elles se déclinent en modalités gestuelles, ces réflexions, ces
formations, ces options, ces techniques éducatives et rééducatives, constituent
bien des expériences verbales.

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REFERENCES
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Dynamique Naturelle de la Parole (DNP) et rythme


du langage
Georges Fumex, Christine Ferté

Résumé
Avec la Dynamique Naturelle de la Parole et son approche multi-sensorielle, les aspects
infra-verbaux du langage retrouvent toute leur importance. En revenant à l’expérience cor-
porelle immédiate, elle se propose de réintégrer la dimension affective de la langue mater-
nelle, considérée comme matrice essentielle de la communication. Le rythme du langage en
constitue un fondement avec ses quatre caractéristiques (timbres, durées, intensités, hau-
teurs), éléments majeurs de la prosodie. La Dynamique Naturelle de la Parole propose de
revisiter par le jeu ces aspects fondamentaux du rythme. Par son action aux sources de la
musicalité de la langue, en situant le r y t h me l ib r e de la parole spontanée par rapport au
r ythme mesure de la parole chantée, elle favorise l’émergence d’une parole considérée
comme expression vitale du sujet.
Mots clés : Dynamique Naturelle de la Parole, affectivité, timbre de voix, durée des sons,
intensité des sons, rythme mesure, rythme libre, temporalité.

Natural Dynamics of Speech (NDS) and rhythm of language


Abstract
With the Natural Dynamics of Speech Method (NDS) and its multi-sensory approach, infra-
verbal aspects of language regain their importance. This approach focuses on immediate
bodily experiences and reintegrates the affective dimension of one’s maternal language,
considered as an essential matrix of communication. The rhythm of language is one of its
founding elements, with its four characteristics (tone, duration, intensity, pitch) that consti-
tute the major components of prosody. The Natural Dynamics of Speech Method gives an
opportunity to revisit through play these essential elements of rhythm. Through its action at
the musical level of language, and by placing the f r e e r h y t h m of spontaneous speech in
relationship with the m e a s u r e d r h y t h m of sung words, this approach promotes the emer-
gence of speech considered as vital expression of the subject.
Key Words : Natural Dynamics of Speech, emotionality, tone of voice, duration of sounds,
intensity of sounds, measured rhythm, free rhythm, temporality.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Georges FUMEX
Psychomotricien
Formateur en DNP
Service de pédopsychiatrie d’Annecy
424 Route du Laudon
74410 Saint-Jorioz
Christine FERTÉ
Orthophoniste
Formatrice en DNP
39 Rue E. Hautecoeur
80800 Corbie
Courriel : christine.ferte@wanadoo.fr

♦ Avant propos

D
e nombreux articles sont déjà parus dans la revue Rééducation
Orthophonique sur l’utilisation de la Dynamique Naturelle de la Parole
dans les différents aspects de notre pratique clinique orthophonique.
La Dynamique Naturelle de la Parole est une formation qui est ouverte à
tous les professionnels qui s’intéressent au développement du langage et de la
communication de l’enfant. Ainsi, les expériences spécifiques de chaque profes-
sionnel s’enrichissent et permettent un échange sur les pratiques propres à cha-
cun mais toujours dans la perspective d’un regard plus global sur le développe-
ment de l’enfant.
Il nous a donc paru intéressant cette fois de vous apporter un éclairage
différent mais néanmoins plus global sur l’importance du travail du rythme dans
la prise en charge de l’enfant, et notamment dans des pathologies telles que la
psychose, l’autisme ou des pathologies limites, et la spécificité des apports de la
Dynamique Naturelle de la Parole pour faire émerger sinon le langage, tout du
moins un désir de communication.
G. Fumex nous livre ici son expérience clinique de psychomotricien en
hôpital de jour et l’utilisation du rythme sous l’angle de la Dynamique Naturelle
de la Parole.

♦ Introduction
« Je n’ai de rôle dans le poème que d’obtempérer à sa cadence : mouve-
ments des sons, chacun corrigeant l’autre, intuition qui révèle un sens, pâmoison
dans l’écho des mots » (Mahmoud Darwich)
Il a souvent été possible, du moins en théorie, de séparer les aspects infra-
verbaux du langage, généralement liés au corps, de son contenu et donc du sens

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de ce qui est communiqué. Cela peut s’avérer utile pour les recherches et
l’étude. Mais « in situ », il n’est guère possible de séparer, ni même de distin-
guer ces niveaux. La langue maternelle est Une, intriquant sensorialité, kines-
thésie, perception, affectivité, imaginaire, symbolisation. La Dynamique Natu-
relle de la Parole, dont il est question ici reprend à son compte cette dimension
unitaire de la parole. Dans ses propositions de travail, elle permet cependant un
brassage de tous ces aspects, n’éclairant l’un que pour mieux amener l’autre. Si
elle les sépare, ce n’est que pour mieux ouvrir une « boîte à outils » qui peut
s’avérer utile dans bien des situations cliniques délicates. Si donc d’un point de
vue développemental, il n’est guère possible de séparer l’infra-verbal du verbal,
la Dynamique Naturelle de la Parole, suite aux recherches de Madeleine
Dunoyer s’est cependant donnée comme objectifs :
- de répertorier les constituants de la parole, à ces deux niveaux, comme
autant de « portes d’entrée » possibles pour un travail (ré)éducatif ;
- de les visiter et de déployer au sein de chacun une activité ludique et artisti-
que permettant au sujet de mieux s’approprier sa parole, ce qui a permis de
constater des effets intéressants d’un point de vue éducatif et/ou thérapeuti-
que. (M. Dunoyer, 1991).

♦ Parole et langage en DNP


Ces constituants fondamentaux de la parole explorés en Dynamique
Naturelle de la Parole, exposés largement dans des numéros précédents de cette
revue seront ici rapidement rappelés
• La parole est tout d’abord rayonnement de l’affectivité de la voyelle qui
exprime divers sentiments à elle seule (le [a] marquant la surprise, la peur… – le
[o] l’admiration, la réprobation…), aux colorations nuancées, ce qui a donné le
« soleil des voyelles » de la DNP, du [i] en vert foncé au [ou] jaune, en passant
par le [a] rouge.

Plateau du soleil des voyelles

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• La parole est ensuite mouvement, à la suite de tous les travaux des verbo-
tonalistes, mais également selon les recherches anthropologiques du professeur
Marcel Jousse (1974). Pour Madeleine Dunoyer, après avoir intégré toute la
dimension corporelle que cela implique (productions sonores générées par de
grands mouvements du corps entier, massages des sons, chorégraphies phonéti-
ques…), cela s’est prolongé par les traces en peinture au bout des doigts de ces
mêmes mouvements. Il s’agit d’une véritable calligraphie phonétique mettant à
portée de mains jusqu’à la complexité du groupe consonantique.

Soleil des voyelles dans l’espace

Soleil des voyelles à la peinture aux doigts

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Syllabes [so-su-sou] tracées à la peinture aux doigts

• L’imaginaire en Dynamique Naturelle de la Parole est quant à lui très


vite convoqué et stimulé. Par le sketch, qui prend une notion à travailler dans un
contexte et l’y remet ; par les petits albums confectionnés où le mot tracé en
peinture, voire l’onomatopée, seront mis en correspondance avec l’image. Quant
à l’« image pulsée », elle fait jaillir sous les doigts enduits de peinture l’image

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du mot à partir des mouvements des sons qui le composent. Magie de la créa-
tion quand, comme dans la poésie, le mot devient la chose, et la chose le mot.

Image pulsée de « cerise »

• Un niveau de sens et de contenu plus complexe est également abordé par


la Dynamique Naturelle de la Parole à travers la syntaxe qui déroule les syllabes
des mots. Ils sont déposés selon leur rythme par des tapotis du bout des doigts,
signifiants renfermant de plus un signifié visualisable. Ces « mimogrammes »
permettent de visualiser à la fois contenant et contenu du groupe nominal ou de
la phrase.

Tapotis de « un hérisson/le hérisson »

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♦ Rythme en Dynamique Naturelle de la Parole


Les tapotis des syllabes sur la table pour déposer ces mimogrammes indi-
quent donc que la parole est aussi fondamentalement rythme. La Dynamique
Naturelle de la Parole en a fait un aspect central et omniprésent dans sa démar-
che. Paradoxalement pourtant, c’est peut-être un aspect moins connu de sa
contribution. C’est pourquoi nous allons nous y arrêter davantage. Comme tou-
jours dans cette approche multi-sensorielle qu’est la Dynamique Naturelle de la
Parole, il s’agit de visualiser et de faire toucher du doigt la réalité du rythme de
la parole dans le mot et dans la phrase.

Rythme de la comptine informelle amenant l’articulation de « le chapeau »

Concernant ce rythme, quatre caractéristiques sont mises en évidence.

Le rythme des voyelles qui portent les sons.


Rappelons que la voyelle est rayonnante, qu’elle a une force. C’est elle
qu’on entend de loin. C’est elle que la montagne renvoie en écho. Chacune a
son timbre et sa coloration particulière. L’émission des voyelles ne représente
pas bien sûr à proprement parler le timbre de la voix. Celui-ci est en effet lié à la
résonance particulière des cavités intra-corporelles, et également à des caracté-
ristiques physiques des cordes vocales. Disons que c’est dans l’émission de la
voyelle que le timbre est le plus significatif, les formes de la cavité buccale
variant pour chacune. Nous retenons ici cinq voyelles ayant chacune sa couleur
([i] vert foncé – [a] rouge – [o] ocre – [u] bleu – [ou] jaune). Pour représenter
ces unités sonores, Madeleine Dunoyer leur a donné une forme ayant un lien
avec la position de la bouche lorsqu’elle les dit. Et pour pouvoir les manipuler
dans des jeux de rythme, elle les a découpées dans le bois selon le « jeu de
rythme Zic et Zac ».

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Pièces du jeu de rythme Zic et Zac en lien avec la forme


de la bouche pour l’articulation des voyelles

Le rythme des durées de ces sons.


Le développement du langage étant lié chez l’enfant au développement
psychomoteur, il est notable que la durée des sons correspond aux durées des
pas de la marche. Une durée longue correspond au pas lent (dénommée « lon-
gue ») ; une durée moyenne à un pas normal (dénommée « marche ») ; une
durée brève à un pas rapide (dénommée « vite »). C’est ainsi que trois durées
fondamentales ont été retenues pour les sons. Leur représentation dans le jeu de
rythme est rendue par trois dimensions différentes. En plus de les visualiser,
l’enfant pourra les toucher du doigt en suivant les jetons dans leur longueur,
opérant ainsi une véritable coordination oculo-manuelle des sons représentés.

Visualisation des différentes durées

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Le rythme des intensités


Il est quant à lui, visualisé par un point noir, au centre du jeton de bois
(chacun en possédant un sur l’une de ses faces). Il suffit de retourner le jeton de
la syllabe accentuée. Lors du passage du doigt pour la lecture du rythme, l’ac-
centuation est rendue par un geste de renforcement de la main libre, par-dessus.

Illustration par les pièces de rythme de la localisation différente de l’intensité,


qui devient alors signifiante : « Je lui demande / Je lui demande

Le rythme des hauteurs des sons


Correspondant à la mélodie de la phrase, il est tout simplement rendu par
l’utilisation de la portée musicale (réduite aux cinq lignes réglementaires, en do
majeur avec clé de sol sous entendue). Ainsi l’enfant, par la visualisation asso-
ciée à la perception auditive, peut-il prendre conscience du sens inhérent aux
variations de hauteur.

Visualisation de différentes hauteurs pour différencier « demain ? / demain »

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Les pauses
Il faudrait également ajouter à ces caractéristiques physiques du rythme de
la parole un élément très important, quoiqu’immatériel : le positionnement des
silences à l’intérieur de la phrase, les temps de suspension qui permettent un
découpage en rhèses. En négatif, elles donnent au rythme de la phrase tout son
relief. Elles possèdent en elles-mêmes une valeur signifiante et ajoutent à l’expres-
sivité du langage. Un simple espace entre les jetons permettra de les visualiser.

Visualisation des différentes rhèses dans les phrases « le lapin


mange la carotte / le lapin grignote la carotte »
Le rythme musical du langage est ainsi rendu visualisable et manipulable à souhait

♦ Dynamique Naturelle de la Parole, rythme et communication infra-


verbale

La combinaison de ces caractéristiques du rythme dans le langage donne


des possibilités illimitées d’expression pour une même phrase. M. Dunoyer rap-
porte dans son livre que pour la seule petite expression, « ah bon ! », selon que
l’on joue sur les durées, les intensités, les hauteurs, les nuances expressives vont
être nombreuses et très sensiblement différenciées. Cet exemple permet de
situer l’importance de ces différents rythmes dans la communication infra-ver-
bale. Nous pouvons les ranger au registre des « signifiants formels » décrits par
Didier Anzieu (1987). En deçà de la formulation, la forme (ici rythmique) est
signifiante et support de communication. Nous savons maintenant que le nour-
risson possède une hypersensibilité à ces signifiants formels qu’il décode de
manière immédiate. C’est par eux qu’il est directement renseigné sur les quali-

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tés de son environnement. C’est aussi ce que nous montrent les enfants autistes,
attachés bien plus aux qualités expressives de la voix plutôt qu’au contenu de
notre discours.
Quand l’une de ces formes (ou combinaison de formes) vient à se fixer
pour donner une musique particulière, chanson ou comptine, elle acquiert une
force expressive et cohésive telle qu’elle va entrer pour longtemps en mémoire.
Les musiques dont nous nous sommes imprégnés sont comme incrustées en nous
(les chansons et musiques de notre enfance, de notre jeunesse). Or nous pouvons
imaginer jouer à essayer de varier ces formes, pourtant si fortement ancrées.
Essayer par exemple de varier les durées des sons dans « au clair de la lune »,
ou varier les intensités, ou les hauteurs. Pour mettre en évidence ces caractéristi-
ques du rythme du langage, nous proposons ce travail aux enfants qui peuvent
accéder à cette subtilité. Parvenir à déjouer ce puissant pouvoir d’attraction que
représente la musicalité de la parole s’avère effectivement très jubilatoire.
Nous avons vu les éléments fondamentaux de la parole que la Dynamique
Naturelle de la Parole se propose de mettre en jeu, afin de développer ou d’amé-
liorer le langage. Trouvant leurs racines dans l’activité corporelle, ils sont inti-
mement liés à l’affectivité et possèdent une valeur de communication très puis-
sante. Raviver leur pouvoir expressif dans l’éducation et la rééducation est un
enjeu majeur, car ils sont en mesure de réveiller et de nourrir une certaine vita-
lité de nature à entraîner davantage l’enfant dans la communication et le lan-
gage. Madeleine Dunoyer, d’abord en tant qu’enseignante puis comme forma-
trice, en a toujours été un exemple vivant, et sa pédagogie est toute imprégnée
de cette grande importance accordée à l’expressivité. Concernant plus précisé-
ment le rythme, il s’agit bien avec lui d’intervenir sur les éléments prosodiques
du langage. Il est bien connu, par exemple, que lors du démarrage d’une confé-
rence, au moment des toutes premières phrases de l’orateur, l’auditeur n’est que
peu disponible au contenu, pris qu’il est par les qualités des messages sublimi-
naux envoyés. Comment est la voix, son timbre, son rythme, les accents, le
phrasé, les silences, le tonus du locuteur ? Tous ces signaux infra-verbaux qui
vont conditionner justement l’écoute à venir de l’auditeur.
Parole chantée et/ou parole spontanée
M. Jousse nous rappelle que, historiquement, c’est la musique qui est
issue du langage. Elle en est jaillie. « C’est du tréfonds même d’une langue que
jaillit originellement la mélodie » (Jousse, M., 1974).
L’amplification de la musicalité d’une langue donne la musique. Et il y a
autant de musiques différentes que de langues. Quand on sait comment la musi-

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que peut atteindre l’âme humaine, on comprend que la musicalité de la parole


est bien du côté de la langue maternelle, de l’affectivité, du langage non verbal
et de la communication.
Il est donc naturel, pour aborder le rythme de la parole, de revenir à la
parole chantée. C’est ce qu’a fait Madeleine Dunoyer lorsqu’elle a mis au point
ses outils pédagogiques avec les enfants sourds. C’est aussi ce que nous faisons
spontanément avec les plus petits ou avec les enfants en grande difficulté. C’est
au symbolisme de ce rythme mesure de la parole chantée que correspond la
création du premier jeu de rythme Zic et Zac avec jetons de bois manipulables.
Cependant, très vite Madeleine Dunoyer a souhaité disposer d’un support maté-
riel concret pour jouer aussi avec le rythme libre qui est l’ossature de la parole
spontanée. C’est ainsi qu’elle a créé « les 100 menus ».
« 100 menus pour une parole spontanée »
A partir des mêmes formes du jeu de rythme Zic et Zac (jetons de bois
aux couleurs de cinq voyelles, dans trois dimensions – cf. § Le rythme des
voyelles qui portent les sons), il s’agit de cent fiches présentant chacune une
séquence rythmique. C’est un moule rythmique avec lequel on va jouer de diffé-
rentes manières. Le carnet comprend vingt-quatre propositions de jeu allant de
l’imprégnation par une longue écoute du rythme en question, joué au tambour, à
des jeux moteurs, des percussions corporelles, instrumentales, des pas de dan-
ses… Leur emploi journalier (d’où le nom des 100 menus) les rend légers d’uti-
lisation, ludiques, pragmatiques. Ce sont cent moules rythmiques « prêts à
l’emploi » destinés au bout du compte (et c’est l’ultime proposition) à recevoir
des petites expressions de la vie courante.

Exemple de menu du jour

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Le moule rythmique a été préparé par l’écoute, le jeu. La répétition qui en


résulte ramène cette séquence à une pulsation dont nous avons montré par ail-
leurs le caractère rassurant et facilitateur : « Il faut en effet distinguer le rythme
de la pulsation, cette dernière étant caractérisée par la répétition monotone d’un
élément … qui n’instaure pas une communication mais une fusion … alors que
le rythme peut être une organisation temporelle très complexe… R. Sigelle attri-
bue à la pulsation une fonction maternelle…et propose de voir le rythme comme
« signifiant du nom du père » (Fumex, G., 1996). Ainsi en atteste les résultats
intéressants obtenus avec cette approche dans certains cas de bégaiement. Cette
répétition n’usurpe cependant pas le caractère spontané et libérateur de la petite
phrase qui comme « une surprise » vient se glisser à la fin dans ce moule. Il
faut voir les jaillissements qui surviennent alors et la joie des enfants face à
leurs trouvailles.
Ainsi la progression d’un travail sur le rythme du langage en Dynamique
Naturelle de la Parole pourrait se résumer dans ces trois phases :
- Le rythme corporel basé sur la motricité, l’expression corporelle, le mas-
sage rythmique dans le dos. C’est une phase d’imprégnation pour l’enfant
des rythmes de la langue, de ressenti, absolument fondamentale.
- Le passage au symbolisme du rythme mesure représenté avec les jetons de
bois aux différentes couleurs et dimensions (jeu de rythme Zic et Zac). Le
rythme se voit, se touche, se manipule.
- Le passage rapide (voire simultané, en tous cas complémentaire) au rythme
libre de la parole spontanée avec le jeu des « 100 menus ».

♦ Illustrations cliniques
Le rythme qui se déploie dans le langage renvoie à la constitution du
temps comme fonction. Celle-ci se développe à travers l’histoire relationnelle
du sujet dans une matrice qui allie les niveaux sensoriel, affectif, et représenta-
tionnel. Le travail du rythme s’avère être un puissant organisateur psychique s’il
peut se relier (et cela de manière forcément régressive) à cette matrice. C’est ce
que favorise la Dynamique Naturelle de la Parole comme psycho-pédagogie en
proposant une re-création par le jeu et l’art.
C’est également ce que propose la thérapie, qu’elle soit du langage ou de
la psychomotricité, prise qu’elle est dans la réalité du transfert (au sens psycha-
nalytique du terme).
Dans ma pratique de psychomotricien en hôpital de jour pour enfants, je
suis confronté à des pathologies dans lesquelles la question du rythme et de la
temporalité en général s’avère centrale.

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Psychose, rythme et temporalité


Dans la psychose, l’espace est clos sur lui-même et ne supporte aucun
espace de séparation. De la même manière, le temps apparaît fermé, sans césure
possible. La vie psychique du psychotique est atemporelle, et sa (re)mise en
rythme constitue un objectif thérapeutique.
Nassim, figé dans une relation symbiotique à sa mère, vit des angoisses
trop fortes pour quitter cet univers, rassurant mais fermé, et aller de l’avant. Son
fonctionnement psychique semble monolithique, inaltérable, formant un bloc
unitaire avec celui de sa mère (force indivisible du UN). Il n’accède pas à la
relation duelle qui implique une distanciation (valeur différenciatrice du
DEUX). Et il est encore loin d’une référence au tiers (valeur séparatrice du
TROIS). S’il possède à priori un bon langage, il ne s’en sert pas vraiment pour
communiquer mais pour se conforter et repousser l’autre. Son corps semble
comme englué, avec une gestualité pauvre et rétrécie. Il se montre totalement
arythmique. Il ne peut marcher sur un tempo donné, même lent. Le temps de
suspension du pied entre deux pas s’apparente ici au chiffre DEUX, différencié
du temps fort de l’appui au sol.
C’est par un travail sur le ressenti, puis la visualisation d’une série de
durées de sons longs que Nassim a pu entrer dans la réalité du rythme. Dédou-
blement du son par la répétition, premier élément distanciateur, prolongé par le
travail sur les semi-brèves puis les brèves, avant d’en arriver à des rythmes com-
binant plusieurs durées. Ici les enveloppes rythmiques, inexistantes dès le début,
sont à constituer. Dans le cadre privilégié des séances, instaurant lui-même dans
la durée un rythme présence/absence (se retrouver/se quitter), corps et langage
ont commencé lentement à se réunifier chez Nassim, au sein d’une relation de
confiance et de plaisir partagé.
Autisme, rythme et temporalité
Dans l’autisme, qui tend à figer des zones de compétence, parfois remar-
quables, dans des recoins désertés de tout enjeu relationnel, et qui impose un
temps immuable, toute surprise et tout changement possible sont écartés.
Ainsi Maxence, à la motricité disloquée et diffuse, déconnecté de son
centre corporel comme de la relation à l’Autre, et à la voix impersonnelle et
haut perchée. La précision et la vitesse hors normes de ses repérages visuels ont
valeur chez lui de maîtrise de son entourage pour une mise à distance de tout
impact émotionnel et donc relationnel. Les enveloppes rythmiques sont consti-
tuées, fort bien perçues, mais vidées de leur contenu expressif. Le travail de la
pulsation, de l’ancrage au sol à l’écoute des percussions l’ont nettement aidé à
se rassembler, à habiter son centre corporel. Les caractéristiques du rythme

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(comme les intensités) introduites sous forme de jeu et non intrusives pour lui
ont pu être introduites dans le travail. Paradoxalement, le travail des 100 menus
a pu être abordé assez vite avec lui. Les petites phrases glissées dans les moules
rythmiques à la fin du travail de préparation corporelle, ont été pleines de surpri-
ses autant pour lui que pour nous, déjouant au passage une expression langa-
gière habituellement impersonnelle.
Pathologies limites, rythme et temporalité
Dans ces pathologies limites, à composantes narcissiques essentielles,
que nous trouvons par ailleurs en nette augmentation actuellement, le sujet
recherche un flux continu de sensations, fortes si possible, sensées lui apporter
une pseudo sensation de « continuité d’être ». Cantonnés quantitativement
dans le plus et le tout, le vécu du temps est ici condensé dans l’immédiat, le per-
pétuel présent, sans référence au passé ni projection dans l’avenir. La tension
ainsi générée est toujours menacée d’effondrement.
Valentin, malgré un bon niveau d’efficience, reste très fragile et son adap-
tation en milieu scolaire est conditionnée à un étayage constant (présence d’une
A.V.S. dans la classe). Sa dysphasie sévère est-elle la cause ou la conséquence de
sa très grande fragilité ? Dès qu’il est en situation de confrontation, ou même par
le simple regard de l’autre, Valentin se sent menacé d’une perte de reconnais-
sance irrémédiable. Toute relation ne peut s’engager chez lui que sur un mode
agressif détourné, sensé colmater une grande faille narcissique non partageable.
Sa tension corporelle est permanente, pour être le premier toujours et partout.
Elle se retrouve au niveau de son langage ou une seule syllabe peut condenser un
mot et un mot agglutiner toute une phrase. Est-ce le temps qui pouvait structurer
son langage ? Ou le langage qui pouvait structurer son temps ?
Toujours est-il qu’avec Valentin, le travail du rythme s’est avéré fonda-
mental, tout d’abord par la notion de plaisir qu’il a pu introduire (accession au
UN qui rassure et qui comble son narcissisme défaillant). Pour la dimension
régressive souhaitable ici, nous avons débuté par le rythme de la parole chantée,
en insistant sur la phase de préparation corporelle, de ressenti des différentes
durées des sons avec le massage rythmique sur le dos par exemple. La visualisa-
tion, la symbolisation du rythme par les jetons de bois ne lui posaient pas vrai-
ment problème, mais introduisaient là encore la notion de jeu, propice à la
détente visée dans tout ce suivi.
Alors la convocation des différents sens (ouïe – vue - toucher), la coordi-
nation oculo-manuelle dans le déroulement spatio-temporel des différents ryth-
mes posés sur la table ont pu jouer leur rôle, l’aider de manière détournée à

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mieux déployer sa parole comme sa pensée dans le temps. Les progrès ont été
significatifs, tant sur le plan corporel que du langage. Ils se sont caractérisés
aussi et concomitamment par une plus grande souplesse dans ses engagements
relationnels.

♦ Conclusion
A travers la question du rythme peut se dévoiler le niveau de constitution
de la fonction temporelle, fonction psychique majeure qui se trouve inscrite tant
dans le langage que dans le corps. La fluidité et les possibilités de variations
caractérisent une temporalité aboutie, avec des correspondances aux niveaux
corporel, langagier et comportemental. Les nuances se mettent en place, le lan-
gage se déploie, le geste s’assouplit, et le comportement s’ajuste à chaque nou-
velle situation.
Par son approche globale, reliant corps et parole aux sources du langage,
la Dynamique Naturelle de la Parole favorise largement et joyeusement la
découverte de ces qualités du phrasé (verbal ou gestuel), des accentuations
(vocales ou toniques), des crescendos et décrescendos, des suspensions…bref
des nuances qui caractérisent une langue maternelle sachant s’ajuster de
manière unique, donc subjectivante.
Si la Dynamique Naturelle de la Parole a situé le rythme au cœur de sa
démarche, s’il est présent de part en part de sa progression, c’est qu’il est
comme une « toile de fond » qui va mettre en valeur et en perspective tous les
autres apports. Nous sommes avec lui aux sources du vivant. La Dynamique
Naturelle de la Parole y plonge généreusement ses racines. Chaque spécialité y
trouve un enrichissement et une vitalité propre. Psychomotriciens, orthophonis-
tes, éducateurs, enseignants, sans oublier les parents eux-mêmes, tous viennent
y puiser et forger leurs propres outils.

REFERENCES
ANZIEU, D. (1987). Les signifiants corporels et le Moi-peau. In D. ANZIEU (Dir). Les enveloppes psy-
chiques. Paris : Dunod.
BILLMANN, F. S. (2001). Pour une lecture psychanalytique du rythme et une vision anthropologique de
la danse. In F. Schott-Billmann. Le besoin de danser. Paris : Odile Jacob.
CICCONE, A., MELLIER, D. (2007). Pour une conception de la temporalité comme fonction psychique.
In Collectif d’auteurs. Le bébé et le temps. Paris : Dunod.
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L’usage des gestes conventionnels chez l’enfant


dont le langage est absent ou réduit
A l’interface de la théorie et de la clinique
Fabienne Bigouret, Monique Plaza

Résumé
L’utilisation et la compréhension des gestes est indispensable au développement langagier.
En orthophonie, de nombreux tests évaluent quantitativement et qualitativement les aspects
formels du langage oral, mais aucun ne propose une évaluation spécifique de certaines
compétences de communication préverbale ou non verbale. En particulier, les outils diag-
nostiques habituellement utilisés par les orthophonistes ne tiennent pas compte de compé-
tences prédictives essentielles, comme la communication gestuelle, et ne sont donc pas
adaptés aux enfants dont le langage productif et réceptif est limité du fait de leur très jeune
âge ou de leur pathologie. De plus, la majorité des travaux sur les gestes conventionnels -
définitions et répertoire - concernent les adultes et non les enfants. Aussi, les enfants sans
langage réceptif et productif, notamment lorsqu’ils ne disposent pas d’un mode de commu-
nication non verbal, posent des problèmes majeurs de diagnostic.
Or le repérage précoce des troubles représente un enjeu de taille puisqu’il ouvre des pers-
pectives de prise en charge à un âge où certains processus de développement peuvent
encore être modifiés.
Mots clés : évaluation orthophonique, autisme, trouble du langage oral, gestes convention-
nels, communication non verbale.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Social gestures in a population of young children with reduced or no


language
Abstract
The use and understanding of social gestures are necessary for language development.
In the field of speech and language therapy, many tests provide a quantitative and qualita-
tive evaluation of formal aspects of speech, but no test provides a specific evaluation of pre-
verbal or nonverbal communication skills. More specifically, diagnostic tools routinely used
by speech therapists do not assess essential predictive skills such as gestural communica-
tion, and are therefore not adapted to children with limited expressive and receptive lan-
guage skills due to their very young age or to the existence of some pathology. Furthermore,
most studies on conventional gestures (definitions and repertoire) concern adults rather
than children. As a result, diagnosis is difficult with children who do not master a verbal
mode of communication. Yet, the early screening of disorders is crucial since it permits the
implementation of therapy at an age when certain developmental processes can still be
modified.
Key Words : speech and language evaluation, autism, specific language impairment, social
gestures, nonverbal communication.

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Fabienne BIGOURET
Orthophoniste
Doctorante en psychologie
Directrice de Thèse Monique PLAZA
Service de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent du Professeur D. Cohen
CHU Pitié-Salpêtrière
75013 Paris
Monique PLAZA
Docteur en Psychologie
Chargée de Recherches au CNRS
Rattachée au Service de Psychopathologie
de l’enfant et de l’adolescent du Professeur
D. Cohen
CHU Pitié-Salpêtrière
75013 Paris

N
ous exposons ici l’intérêt d’un outil d’évaluation de la compréhension et
de la production de gestes conventionnels chez des enfants dont le lan-
gage est peu, ou non, développé. Cet outil, en cours d’élaboration, vise
sur le plan théorique à mieux analyser le développement du geste à valeur de
communication et sur le plan clinique à en objectiver et différencier les dysfonc-
tionnements, notamment dans le cadre des diagnostics différentiels entre des
enfants présentant des troubles pragmatiques premiers ou secondaires, des trou-
bles relevant de la dysphasie sémantico-pragmatique et de l’autisme.

♦ La communication comme précurseur du langage oral


Il est nécessaire de distinguer les comportements non verbaux de la com-
munication non verbale. En effet, les comportements non verbaux ne sont pas
toujours communicatifs.

La littérature distingue (a) les mouvements de la main qui accompa-


gnent la parole sans signification précise (par exemple se toucher les che-
veux), appelés « illustrateurs, régulateurs ou adaptateurs » par Ekman et Frie-
sen (1969), et (b) les gestes dits « conventionnels, emblèmes » (Ekman, 1976),
« gestes autonomes » (Payrato, 1993), « gestes quasi linguistiques » (Dahan
& Cosnier, 1977), qui peuvent se substituer au langage et sont compris par les
membres d’un même groupe culturel. L’outil d’évaluation porte sur les gestes
conventionnels.

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L’utilisation des gestes conventionnels est possible quand un émetteur et


un récepteur ont un message à transmettre sans recourir à la parole ou seulement
à elle (Jakobson, 1963). Les concepts linguistiques sont d’abord réalisés en
actions, ce qui justifie l’intérêt d’étudier l’usage de la langue, et non seulement
sa forme (Bruner, 1975).
L’apprentissage d’un système de communication dépend des usages
sociaux, mettant en jeu la pragmatique de la communication (Bernicot et al,
1998 ; Gauchotte, 1992 ; Vygotski, 1985).
Les gestes conventionnels seraient donc une condition nécessaire à la
mise en mots qui émergera quelques années plus tard. Le répertoire de ces ges-
tes (comme poser l’index sur les lèvres pour signifier le silence), qui dépend de
la culture, permet aussi de communiquer lorsque la situation extra-contextuelle
ne permet pas de recourir au langage parlé. Les gestes sont parfois utilisés pour
renforcer le langage verbal, le contredire (comme dans le second degré) ou le
contextualiser (indiquer une direction par exemple).
En dépit de leur importance, toutes ces conduites sociales antérieures au
langage parlé n’ont pas fait l’objet de standardisations dans des épreuves clini-
ques.

♦ Les codages des gestes à valeur de communication


Le geste conventionnel, qui peut coexister ou se substituer au langage, est
parfois considéré comme un moyen expressif plus efficace que le langage ver-
bal, du fait de sa rapidité, de son caractère silencieux, et de sa capacité à être
produit à de grandes distances (Kendon, 1981). Il est même doté par certains
d’un caractère autonome : entièrement lexicalisé, il semble fonctionner indépen-
damment du langage, et être utilisé de la même manière par tous les individus
partageant la même culture (McNeil, 1987).
Les gestes conventionnels doivent être distingués des langues gestuelles
employées par les sourds, qui possèdent, elles, une véritable syntaxe. Ils peuvent
être codés selon différents principes : le codage arbitraire et le codage iconique
(Ekman, 1976). Dans le cas de l’arbitraire, le lien entre le geste et le concept
n’est pas repérable (par exemple le « au revoir »). Certains gestes convention-
nels semblent se développer pour illustrer un message verbal, puis ils devien-
nent des actes non linguistiques à valeur de communication, indépendants du
verbal (Payrato, 1993 ; Kendon, 1995). Pour le code iconique, le lien est motivé
entre le geste et son référent ; par exemple, pour le geste de « boire », la posi-
tion de la main en demi-cercle évoque le référent « verre ». Les gestes à codage

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iconique sont souvent présents dans diverses cultures, surtout lorsqu’ils ren-
voient à des activités corporelles réalisées de la même façon pour des raisons
anatomiques, comme manger, dormir, jouer d’un instrument etc. (Bernicot et al,
1998).
Dans l’outil d’évaluation en question, nous tiendrons compte des deux
types de codages, en prévoyant une grille pour les gestes conventionnels et une
autre pour le codage iconique.

♦ Le développement des gestes chez l’enfant


Les études sur les gestes conventionnels chez l’enfant sont peu nombreu-
ses, car le système de communication par le geste est souvent conçu comme une
simple étape préliminaire avant le développement du langage oral. Tous les ges-
tes produits par le jeune enfant ne seraient qu’une transition pour accéder au
stade du mot phrase puis à la combinaison de deux mots. Les enfants commen-
ceraient à produire des gestes vers la fin de leur première année, voire vers 6/8
mois pour certains, et la diminution de la production gestuelle s’amorcerait vers
20/22 mois. Ces gestes produits par l’enfant avant l’accès au langage seraient
donc ponctuels et disparaîtraient quand la mise en mots devient possible (par
exemple /tendre les bras/ pour être pris). Ces observations accréditent la thèse
du statut purement transitoire du geste (Acredolo & Goodwyn, 1988 ; Bates et
al, 1977 ; Carpici et al, 1996 ; Volterra & Erting, 1990).
Pourtant, d’autres études montrent que le répertoire des quelques gestes à
visée de renforcement ou de substitution du langage parlé (comme pointer du
doigt, refuser, acquiescer de la tête, saluer, indiquer le silence et applaudir) s’ac-
croît au cours du développement de l’enfant. Dans cette perspective, le nombre
de gestes est prédictif de la production vocale ultérieure ; il permet donc d’iden-
tifier les enfants à risque de troubles du langage (Capirci et al, 1994).
Des travaux portant sur la compréhension et la production des gestes dans
des populations d’enfants d’âge préscolaire montrent que la connaissance de la
gestualité s’accroît avec l’âge, la compréhension restant toujours supérieure à la
production. Les enfants confrontés à deux environnements culturels différents
apprennent les gestes des deux groupes. La maîtrise du code gestuel semble
indépendante de celle du langage, mais elle serait liée à l’adaptation scolaire
dès le CP (Guidetti, 1988 ; Kumin & Lazar, 1974 ; Michael & Willis, 1968,
1969 ; Pearce & Caltabiano, 1982).
L’usage des gestes conventionnels pendant la période préverbale met en
jeu une pragmatique, les messages constitués à partir d’un répertoire de signaux

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gestuels et verbaux étant interprétés en fonction de leur qualité et du contexte


social où ils sont produits. Les catégories d’actes de langage comprennent les
assertifs, les directifs, et les expressifs ; les promissifs et les déclaratifs sont
absents en raison de leur niveau d’abstraction trop élevé. Les trois actes de lan-
gage présents en période préverbale induisent des conduites précises de commu-
nication comme les pointages accompagnés de vocalisations, les dénominations,
les énoncés, parfois réduits à un seul mot, concernant un objet ou un évènement
communs à deux interlocuteurs. Un même geste peut remplir plusieurs fonc-
tions. Ainsi, le geste de pointer du doigt peut être un directif, ou un moyen
d’établir une attention conjointe avec un adulte ou ses pairs.
Toutes ces études, qui mettent en évidence l’importance de l’imitation,
l’influence de la familiarité et de la redondance sur l’acquisition des gestes,
montrent également la fonction jouée par le feedback de l’adulte. Ainsi, les
mouvements corporels et faciaux du bébé seront retenus et renforcés par les
parents s’ils font écho à une forme sociale établie (Van der Straten, 1991). L’en-
fant dispose donc au départ d’un registre de gestes potentiels, dont quelques-
uns seront reconnus et valorisés par la société où il vit.
Pour expliquer les contextes d’émergence des gestes conventionnels chez
l’enfant, Garvey (1974) a introduit la notion de « format », qui a été reprise par
Bruner (1983). L’apprentissage des moyens de communication se déroule au
cours des interactions avec l’adulte qui interprète en permanence les comporte-
ments de l’enfant et permet la standardisation des formes d’action conjointe,
appelée « format ». Ils sont le produit d’une activité conjointe entre l’enfant et
son partenaire adulte, et permettent l’élaboration de la communication verbale
et non verbale. Ces contextes standardisent l’ensemble des moyens de commu-
nication, l’enfant acquérant pour communiquer des codes qu’il tente d’adapter
au contexte social.

♦ La compréhension des gestes en et hors contexte


Certains travaux mettent en évidence la dimension communicative des
gestes, leur diversité et leur complexité, en utilisant des méthodologies où les
gestes sont insérés en contexte, dans un support animé.
Aussi, l’observation multimodale de récits parlés produits par des enfants
âgés de 6 à 11 ans fait apparaître une évolution de la capacité à raconter, tant
pour les aspects verbaux que non verbaux (Colletta, 2000, 2005). En effet, au fil
de l’âge, le récit enfantin s’allonge, s’enrichit de détails narratifs et de propos
rapportés, et se complexifie. Cette complexité nécessite davantage de marquages
comme des gestes représentationnels et des mimiques expressives dont les usa-

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ges se spécialisent et s’affinent au cours du temps.


Ces observations conduisent à nuancer la manière dont on conçoit l’ac-
quisition du langage. Non seulement la compréhension et la production des pre-
miers emblèmes et gestes représentationnels constituent des étapes clés dans le
développement des capacités communicatives du jeune enfant, mais ces usages
mimo-gestuels constituent des précurseurs des acquisitions linguistiques ulté-
rieures, qu’il s’agisse des premières acquisitions de l’enfant en matière de lexi-
que ou en matière de syntaxe.
Plus tard, alors qu’émergent de nouvelles acquisitions cognitives (se
décentrer de la situation immédiate, penser des objets, des relations ou des
concepts abstraits comme le temps) et que l’enfant commence à utiliser le lan-
gage dans ses formes discursives, textuellement organisées (raconter, expliquer,
etc.), on le voit recourir de plus en plus aux mouvements corporels ; son réper-
toire mimo-gestuel s’enrichit de nouveaux types de signaux.
Dans notre projet, nous reprenons les notions de mouvement et de
contexte qui sous-tendent la production des gestes dans les récits, afin d’évaluer
le versant réceptif des gestes. Nous utilisons des petites scénettes animées avec
un personnage exprimant des gestes conventionnels dans un contexte simple et
familier à l’enfant.
Dans l’une des conditions que nous proposons, nous isolons les modalités
visuelles et auditives et supprimons les indices verbaux, afin de déterminer la
capacité de compréhension non verbale d’enfants ayant un trouble du langage
avéré. Il s’agit d’évaluer si les gestes conventionnels à codage arbitraire sont
mieux compris lorsqu’ils sont intégrés à un contexte, que lorsqu’ils sont présen-
tés seuls sur un fond neutre. Dans pareil cas, on peut supposer que les enfants
présentent des difficultés d’accès à l’abstraction, indispensable au langage, mais
perçoivent des éléments de l’ordre de la communication.
La compréhension des gestes conventionnels avec ou sans contexte per-
met de mettre en place une grille d’acquisition des gestes à valeur de communi-
cation, afin de situer les capacités cognitives d’abstraction de l’enfant ayant un
trouble du langage. La prise en charge orthophonique n’en sera que plus adap-
tée, en dissociant les troubles de la représentation cognitive des troubles de la
communication.

♦ L’étude des gestes dans une population d’enfants avec autisme


Les recherches menées sur les enfants dont le développement est typique
ont permis de décrire une courbe de développement des gestes conventionnels et

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de mettre en évidence des formes apparentées qui apparaissent plus tôt au cours
du développement. Selon les auteurs, cette évolution semble liée à, ou indépen-
dante de, l’acquisition du langage oral.
Dans le cadre de l’autisme, les gestes conventionnels n’ont été que par-
tiellement étudiés. Seul le pointage déclaratif a donné lieu à des recherches, son
absence apparaissant comme un indice précoce du syndrome autistique. Cepen-
dant les études n’ont pas analysé spécifiquement les gestes conventionnels et
leurs apparentés dans le développement précoce des enfants autistes, avant que
le diagnostic d’autisme ne soit posé.
Dans la description initiale de l’autisme, le déficit de communication a
été d’abord envisagé en rapport avec l’expression verbale. Kanner (1943) a évo-
qué le mutisme ou l’existence d’un langage n’ayant pas valeur de communica-
tion (écholalie, stéréotypies vocales et verbales). Puis on a introduit dans cette
pathologie la dimension non verbale de la communication. Ainsi, le DSM-IV
(A.P.A., 1996) fait référence pour le trouble autistique aux gestes en général,
soit comme régulateurs des interactions sociales, soit comme phénomènes com-
pensatoires de l’absence de communication verbale. L’absence de pointage
apparaît comme l’indice d’une «Altération qualitative des interactions sociales».
Plusieurs outils d’évaluation des comportements autistiques prennent en
compte cet aspect.
L’échelle ERCA-N – Echelle d’Evaluation Résumée du Comportement
Autistique du Nourrisson - (Sauvage et al, 1987; Adrien et al, 1990 ; Adrien et
al, 1992) évoque des gestes et/ou attitudes expressifs : « Ne communique pas à
l’aide de gestes : ne désigne pas du doigt, ne fait pas ‘au revoir’».
La Liste de Catégories Fonctionnelles permet à Bernabei et al (1998)
d’analyser des vidéos d’enfants avec autisme. La catégorie « Communication »
comprend des aspects verbaux et non verbaux, comme les «gestes ritualisés de
demande», le pointage impératif, le pointage et la présentation déclaratifs, et les
gestes conventionnels (gestes et sons de refus, « au revoir », « bravo »).
La Grille de Codage des Actions et Gestes Communicatifs et de la
Direction du Regard, élaborée par Camaioni et al (1997), inclut des « gestes
référentiels » c’est-à-dire des « gestes représentant des référents spécifiques et
dont le contenu sémantique de base ne change pas avec le contexte». Sous cette
rubrique, les auteurs notent des gestes conventionnels comme « non », « au
revoir », « tant pis ».
Dans les recherches sur l’autisme, l’intérêt pour les gestes conventionnels
est lié à l’attention conjointe. Les troubles de l’attention conjointe avec l’adulte

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ne concerneraient pas les gestes impératifs mais les gestes déclaratifs (Mundy et
al, 1986 ; Loveland & Landry, 1986), l’enfant autiste semblant conserver la
capacité à produire des gestes proto-impératifs (Baron-Cohen, 1989a, 1989b).
L’analyse du « faire semblant » et celle du pointage proto-déclaratif chez des
enfants de 18 mois permettraient ainsi d’anticiper un diagnostic d’autisme
(Baron-Cohen et al, 1996).
Pour identifier des signes précoces d’autisme, certains chercheurs ont
recouru à l’analyse de films familiaux (pour une revue, voir Saint-Georges et al,
2010). Ils ont noté de façon récurrente l’absence, entre 0 et 2 ans, des gestes en
direction d’un objet convoité, de pointage et du geste « au revoir » (Adrien et al,
1991a ; Adrien et al, 1991b ; Adrien et al, 1992 ; Adrien et al, 1992 ; Adrien et
al, 1993). L’absence de pointage du doigt ferait partie des quatre comportements
permettant de porter un diagnostic d’autisme dès l’âge d’un an (Osterling &
Dawson, 1994). Les gestes conventionnels, dont la fréquence totale est directe-
ment liée au Quotient de Développement Global, sont présents entre 12 et 23
mois. Ils témoignent d’une capacité relationnelle gestuelle, dont la disparition
après 23 mois serait un signe clinique notable d’autisme (Bernard et al, 2002).

♦ Elaboration d’un outil d’évaluation de la compréhension des gestes


Notre objectif est d’élaborer, d’étalonner et de valider cliniquement un
outil d’évaluation de la compréhension de gestes conventionnels, prenant en
compte deux conditions. Dans la première, les gestes sont présentés isolément.
Dans la seconde, ils sont présentés dans un contexte d’action mettant en jeu des
personnages.
L’étalonnage de l’outil chez des enfants dont le développement est nor-
mal permettra d’analyser la courbe développementale de l’acquisition des gestes
et d’établir des données de référence. La validation auprès de patients sans lan-
gage oral (TSLO, TED) permettra d’en montrer la pertinence clinique dans le
cadre diagnostique. Afin d’analyser les liens entre la compréhension de gestes,
le langage oral réceptif et les processus cognitifs, nous testerons également cer-
taines capacités non verbales (compréhension orale et processus de conceptuali-
sation) chez tous les enfants.
Hypothèses
1 - On devrait observer, dans la population contrôle des 36-66 mois, un accrois-
sement des performances, et un raccourcissement des temps de traitement, en
fonction de l’âge. La compréhension des gestes en contexte devrait précéder
celle des gestes isolés. Cette progression devrait être parallèle à celles du lan-

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gage oral réceptif et des processus de symbolisation.


2 - Si l’on suit l’hypothèse selon laquelle la gestualité conventionnelle serait
indépendante du langage, on s’attend à ce que ce mode de communication ne se
développe pas, ou se développe de façon troublée, chez des enfants qui ont de
sévères troubles relationnels. On pourrait alors observer, outre un retard ou une
atypie dans la compréhension de gestes dans les deux conditions, des dissocia-
tions entre les capacités symboliques, de langage réceptif, et de traitement des
gestes.
3 - Si l’on suit l’hypothèse selon laquelle la gestualité serait liée au langage, on
s’attend à ce que les difficultés d’acquisition du langage oral soient accompa-
gnées de difficultés similaires d’acquisition des gestes conventionnels et des for-
mes apparentées, et également des capacités symboliques, dont on connaît le
lien avec l’émergence du langage.
4 - En comparant les différents groupes pathologiques, on s’attend à ce que :
- a) les enfants avec autisme produisent plus de réponses littérales que les
enfants tout-venants et avec dysphasie ;
- b) les gestes à codage iconique soient mieux compris par les enfants avec
autisme et avec dysphasie que les gestes arbitraires ;
- c) les gestes réalisés en contexte soient mieux compris que les gestes iso-
lés, et moins bien compris chez les enfants avec autisme que chez les
enfants avec dysphasie ;
- d) les enfants bénéficiant de l’enseignement d’un code soient plus perfor-
mants que les enfants qui en sont totalement dépourvus.

♦ Conclusion
Les gestes à valeur de communication, qui interviennent au cours du
développement cognitif de l’enfant, reflètent sa capacité à élaborer des représen-
tations des objets de son environnement ou des intentions de communication de
ses interlocuteurs. L’accès aux représentations étant prédictif de l’entrée dans le
langage oral, nous pourrons, à la lumière du niveau de compréhension des ges-
tes chez l’enfant, affiner le diagnostic différentiel chez des enfants dont le lan-
gage est absent ou peu développé – dysphasie versus trouble envahissant du
développement. Cela permettra un repérage précoce et ouvrira des perspectives
de prise en charge à un âge où certains processus de développement peuvent
encore être modifiés.
La compréhension des gestes et leur investigation systématique permet-
tront d’améliorer les pratiques professionnelles des orthophonistes avec des

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enfants dont le langage est absent ou réduit, et d’accroître les connaissances sur
la façon dont ils comprennent certains modes de communication. L’outil per-
mettra de comprendre ce que l’enfant saisit de son environnement, s’il peut don-
ner une valeur d’échange aux gestes ou s’il les perçoit comme des mouvements

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Signes d’amour et amour de signes


Virginie Minniti

Résumé
Quel parent n’a jamais rêvé de pouvoir lire dans les pensées de son tout-petit afin de com-
prendre ses pleurs, ses frustrations avant qu’il en ait la capacité de les formuler oralement.
Communiquer gestuellement avec un bébé non pathologique, comment est-ce possible ?
Pourquoi est-ce enthousiasmant ? Outre le fait d’être en mesure de comprendre les sou-
haits immédiats et souvent impérieux de l’enfant, existe-t-il d’autres intérêts moins
évidents ? Cette méthode fonctionne-t-elle avec tous les enfants ? Au travers de mon
témoignage maternel, de petites anecdotes, je vais essayer de vous faire découvrir une
technique plutôt innovante en France.
Mots clés : communication, petit enfant (0 à 3 ans), langue des signes.

Signs of love and love of signs

Abstract
All parents have dreamt of being able to read their toddler’s mind in order to understand
why he/she cries or is frustrated, long before the baby can verbalize these states of mind.
How is it possible to communicate with a “normal” baby through gestures? Why is it exci-
ting? Beyond the fact that it helps understand the immediate and often pressing wishes of
the child, are there other less obvious advantages to it? Does this method work with all chil-
dren? Drawing on my experience as a mother and on anecdotic situations, I will attempt to
present a technique which is rather novel in France.
Key Words : communication, young child (0 to 3 years), sign language.

Rééducation Orthophonique - N° 246 - juin 2011


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Virginie MINNITI
Maman de deux enfants entendants
Codeuse en Langue française Parlée
Complétée (LPC)
Interface de communication en Langue des
Signes Française (LSF)
Formatrice LPC / Baby signes – La parole
au bout des doigts
Courriel : paroloboutdesdoigts@free.fr

L
a problématique est de réussir à communiquer efficacement avec son
tout-petit, pouvoir comprendre en retour les envies, les désirs qu’il
exprime, tout ceci avant qu’il ait la maturité physiologique de le faire avec
son appareil phonatoire. Une réponse appropriée peut sans doute être apportée
par l’utilisation de gestes ponctuant la parole.
Le principe est simple, il suffit de conserver une communication verbale
naturelle en intégrant à des moments pertinents des gestes signifiants. Cette
technique qui a fait ses preuves, est très répandue aux Etats-Unis, en Grande-
Bretagne ainsi qu’au Canada. Le fait que la démarche soit assez peu développée
en France s’explique sans doute par le lourd tribut payé par la Langue des
Signes. En effet, ce mode de communication des personnes déficientes auditi-
ves, interdit en France durant une centaine d’années, est encore connoté péjora-
tivement.
Cette technique d’accompagnement du verbe par le geste, souffre de
quelques comparaisons de par ses origines alors qu’elle ne prétend pas devenir
une langue à part entière à la différence de la Langue des Signes qui en possède
tous les critères.
Mais alors quels intérêts et comment procède-t-on ?
Il existe de nombreux avantages à utiliser la parole ponctuée de signes
avec les bébés. Je vais tenter après un petit détour historique, de vous amener
quelques éclairages à travers des apports théoriques, d’observations plus empiri-
ques et de mon vécu de parent.

♦ Quelle idée !
Fin des années 70, José Garcia étudiant à l’Université d’Alaska, constate
lors de son cursus d’éducateur spécialisé que les enfants entendants grandissant
avec des parents déficients auditifs signeurs (utilisant la langue des signes) s’ap-
proprient la gestuelle de façon spontanée. De cette gestuelle, ils tirent immédia-

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tement la capacité d’entretenir une communication efficace avec leur environne-


ment et ce plus précocement que leurs petits camarades « ne bénéficiant pas »
du handicap de papa et maman.
A sa suite, dans les années 80, Linda Acredolo et Susan Goodwyn effec-
tuent des recherches sur les apports du signe sur la communication globale des
tout-petits et de ses effets à long terme pour le département de psychologie de
l’Université de Californie.
Ainsi un même constat va déboucher sur deux approches d’accompagne-
ment de la parole par le geste chez les bébés ne présentant aucune pathologie
particulière.
José Garcia devenu interprète en American Sign Langage (ALS), soit
l’équivalent de la Langue des Signes Française (LSF) chez nous, développe sa
méthode en s’appuyant uniquement sur les signes issus de l’ALS. Son raisonne-
ment repose sur l’idée que lorsque les signes utilisés avec l’enfant proviennent
de la langue des signes, ils sont internationalement reconnus et qu’ainsi la pas-
sation des signes entre les différents acteurs gravitant autour de l’enfant sera
plus aisée. Cette méthode est connue sous le nom de « Sign with your baby® ».
Susan Goodwyn et Linda Acredolo s’inspirent également de l’ALS.
Cependant, elles ajoutent une dimension de simplification pour certains signes
afin de les rendre plus adéquats au développement psychomoteur des bébés.
Elles invitent également les parents à être moteurs dans la création des signes.
L’objectif affiché est de ne pas restreindre le vocabulaire familial et de s’adapter
au mieux à la situation particulière de chaque enfant. De nos jours, il est de bon
ton que le doudou préféré de notre chérubin ressemble à un ours ou à un lapin
mais que se passe-t-il si cet incontournable objet de transition est un ornithoryn-
que ? C’est à l’adulte de proposer un signe le plus iconique possible. Cette
approche laisse également une place à la création de l’enfant qui peut-être l’ini-
tiateur une fois le système appréhendé. Leur méthode est appelée
« Babysigns® ».
Ces deux courants cohabitent et défendent chacun leurs avantages mais
partagent les intérêts principaux du signe avec bébé. Ils sont victimes également
des mêmes a priori des personnes non initiées.
Dans notre entourage familial, les grands parents notamment nous ont
mis en garde : « Si vous utilisez des gestes avec lui alors il aura un retard du
langage ». Mais quelques mois plus tard, les mêmes méfiants venaient quéman-
der des signes pour communiquer avec mon petit dernier, Titouan, surtout pour
le comprendre car il avait plein de choses à dire. Il était presque devenu le petit

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singe savant à qui on demandait, sans contexte, de faire « chien », « chat »,


« eau » … Il se prêtait volontiers au jeu. Le côté ludique était pleinement
exploité des deux côtés. Par ce biais, ils ont pu également observer que Titouan
ne se contentait pas de reproduire machinalement le geste, mais qu’il essayait
aussi de prononcer les syllabes accompagnant le signe, favorisant ainsi son
entrée dans l’oral.
Deux mots m’ont particulièrement marquée : « coccinelle » et « croco-
dile ». Ce sont des thèmes souvent abordés avec les enfants mais la longueur du
mot et la complexité des syllabes à prononcer en font de petites montagnes à
escalader. Pourtant, grâce à la rythmicité du signe, Titouan s’est imprégné
immédiatement des 3 syllabes et même si au départ, elles n’étaient pas précises,
elles étaient présentes. Le signe de « coccinelle » s’effectue le point gauche
serré avec en application à 3 reprises successives la forme d’un rond réalisée à
l’aide du pouce et de l’index de la main droite donnant « coc-ci-nelle ». Il en est
de même pour « crocodile », où l’adulte va frapper à 3 reprises ses mains l’une
contre l’autre « cro-co-dile » en repliant les premières phalanges donnant un
aspect féroce à l’animal en symbolisant ses grandes dents.
Pourquoi ? Pourquoi pas !
Cet article n’a pas la prétention de trancher sur « la meilleure méthode ».
Fondamentalement, elles sont sœurs et visent à sensibiliser les enfants à un
mode d’interactions, qui les amènera progressivement vers la langue parlée.
Elles sont si proches à mon sens, qu’en qualité de professionnelle de la surdité,
maîtrisant la langue des signes, je ne me suis posée aucune question déontologi-
que quant à la simplification des signes pour les rendre plus accessibles à mes
enfants. Cela m’a paru très naturel, comme on le fait à l’oral avec la langue
adaptée à l’enfant (LAE), utilisée par toutes les mamans du monde. De plus,
cette manière d’allier le geste à la parole avec les tout-petits existe dans toutes
les cultures du monde à travers l’utilisation des comptines.
L’idée de conserver le référentiel unique de la LSF afin que l’enfant
puisse éventuellement communiquer avec son entourage en grandissant, me
paraît utopique.
Les signes de la LSF ne possèdent pas toujours de caractère national et
encore moins international. Même si la syntaxe des Langues des Signes garde
une construction quasiment similaire, leur lexique aussi iconique soit-il, n’est
pas universel car historiquement et culturellement dépendant.
Nous avons été très touchés lorsque Titouan a extrapolé seul, le signe de
« baleine ». C’est un signe que nous n’avions pas investi à la maison. Par

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contre, à la crèche, haut lieu de pratique pour les comptines, Titouan a entendu
et vu de nombreuses fois « la baleine qui tourne qui vire », avec comme gestuel,
l’index de la main droite effectuant en rythme, un slalom entre les doigts de la
main gauche. Aussitôt, le signe de « baleine » lui a paru évident et il le réalisait
ainsi. Ce qui en réalité a pu causer des moments d’incompréhension car nous
avons dû deviner (à chacun son tour) en fonction du contexte. Le jour où j’ai
donné la bonne réponse, il m’a gratifiée d’un « bravo » de soulagement. C’était
à mourir de rire. A cet instant, je ne me voyais pas lui infliger un changement de
signe pour lui en imposer un plus conventionnel.

Titouan signe « chien »

La question de « l’universalité » du signe s’est posée à moi plus tardive-


ment. Malgré l’idée développée plus haut, selon laquelle le signe était pour
nous, un moyen de communication plutôt familial, il est intéressant de réfléchir
à l’aspect consensuel du signe pour les professionnels de la petite enfance qui
doivent garantir une stabilité lexicale. L’entrée en crèche de Titouan fut détermi-
nante sur ce point. Il faisait des demandes gestuées comme le signe « eau » pour
« je voudrai boire ». Malheureusement, l’équipe n’était pas formée et ne com-
prenait pas ses requêtes. Aussi, j’ai distillé chaque jour à chaque membre de
l’équipe les gestes en cours d’acquisition ou acquis par Titouan. Les éducatrices
ont trouvé le système fort enthousiasmant, notamment lorsqu’elles ont remarqué
que les petits copains avaient repéré eux aussi le signe et le réutilisaient à bon
escient. En conséquence, certaines d’entre elles ont suivi une formation com-
plète. Aujourd’hui, la crèche a pour projet de former l’ensemble du personnel et
tous les nouveaux parents désireux de participer à l’aventure.

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Dans quels buts ?


En premier lieu, la démarche permet d’améliorer ou d’impulser une com-
munication ludique et pratique avec bébé en l’accompagnant au quotidien dans
ses découvertes.
Le signe va donner la possibilité à l’enfant de pouvoir évoquer ses ressen-
tis, de « dire » ce qu’il perçoit et même de faire partager une expérience anté-
rieure en se remémorant une situation passée.
En second lieu, cette démarche favorise la diminution des petites frustra-
tions de part et d’autre et permet à bébé d’exprimer ses émotions, ses états. Il est
parfois difficile de gérer des demandes insistantes qui restent sans réponse adé-
quate faute de compréhension des parents. Cela aboutit souvent à des cris, des
pleurs…
Ensuite, elle tisse un lien parent-enfant particulier. Ce qui m’a plu dans
l’utilisation du signe, c’est non seulement de pouvoir comprendre, être comprise
mais aussi d’instaurer un espace de communication privilégié. La voix peut être
perçue sans regard. Je peux parler à quelqu’un en lui tournant le dos. Le signe
nous oblige à prendre le temps de se mettre à la hauteur et à la portée visuelle de
l’enfant. Instaurer cet espace – temps permet une attention conjointe porteuse de
moments de plaisir valorisants pour les deux interlocuteurs.
Enfin, elle donne aux parents l’opportunité d’effectuer un meilleur déco-
dage des premiers mots en charabia, qui sont phonétiquement proche comme
« manger - changer », « encore - dehors »…
D’autres intérêts ont été soulevés par les recherches de Linda Acredolo et
Susan Goodwyn. Selon leurs travaux, les enfants utilisant les signes appren-
draient à parler plus rapidement et posséderaient à l’âge de 8 ans un QI plus
élevé que les enfants ne pratiquant pas le signe. Sur ce dernier point, l’absence
de confirmation de ces résultats par d’autres études scientifiques ou encore le
fait que les études soient menées par les « vendeurs de la méthode » soulève
bien des questionnements. Aussi, je laisse au lecteur le soin de se forger sa pro-
pre opinion.
Dans notre projet familial, nous avons pris le signe comme un moyen de
communication qualitatif et non pas augmentatif…peut-être à tort. En effet
aujourd’hui, le seul constat que je puisse faire est que mon petit bonhomme pos-
sède un vocabulaire et une syntaxe bien au-dessus de sa tranche d’âge, en com-
paraison de ses petits copains de crèche… sans que je puisse en déterminer les
causes exactes.

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Titouan signe « eau »

Quand commencer ?
Certains préconisent de mettre en place le signe, le plus rapidement possi-
ble, dès la naissance. Cette démarche est largement réalisable et possède de
nombreux avantages. Elle permet, par exemple, un apprentissage précoce afin
que les parents soient prêts aux moments propices, en accomplissant les gestes
sans appréhension, de manière naturelle grâce à la répétition. En effet, il n’est
pas toujours évident de s’exposer au regard de l’autre en exécutant des gestes. Il
faut parfois un temps d’adaptation.
De plus, l’enfant, ne verra pas cette gestualité apparaître un beau matin,
comme par magie, juste après la formation de ses parents. Il aura le temps tout
comme avec la langue orale de passer par le stade d’écoute, d’imprégnation
pour arriver au stade de l’assimilation qui l’amènera au stade ultime de l’utili-
sation.
Mon choix de commencer dès la naissance était sans doute un peu biaisé
par le fait de connaître la LSF bien en amont d’avoir des enfants. En consé-
quence, dès les premiers jours de vie, le signe fût présent, relayé et renforcé par
le papa. Son adhésion fût immédiate et je pense même qu’il pratique plus que
moi. Cette dernière remarque m’invite à insister sur le caractère quantitatif de
présentation du signe à l’enfant. Il pourra tirer bénéfice de cette mimogestualité
à condition d’être dans un bain de langage suffisant.
Toutefois, cette démarche hâtive peut être décourageante, les effets sur la
communication ne seront pas immédiats, l’enfant n’étant pas en capacité physi-
que de répondre.

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Les enfants pourront généralement entreprendre des gestes réponses entre


l’âge de 6 à 10 mois. De ce fait, certains préfèreront enclencher le processus des
signes à ce moment là. Dans tous les cas, il ne faut pas se démotiver, comme
pour le langage oral, nos enfants ne sont pas tous égaux et ne développent pas
les mêmes compétences ou appétences au même moment.
Mon vécu de parent est un bel exemple de ces différences interindividuel-
les. J’ai deux beaux enfants qui n’ont pas réagi de la même façon à la stimula-
tion gestuelle. La première, Ivana, précoce dans l’articulation des mots et l’ap-
prentissage du lexique n’a pas été très réceptive aux signes. Son oralisation
prématurée vers 12 – 14 mois sans amphigouri y est sans doute pour quelque
chose. Cependant, à l’arrivée de son petit frère, elle était ravie de les découvrir à
nouveau.
Le second, Titouan, a commencé à reproduire ses premiers gestes vers 8 –
9 mois. Evidemment, pas des réalisations précises mais dans le contexte, les
parents comprennent que le signe se dessine. On observe un phénomène identi-
que à l’arrivée des premiers mots inintelligibles mais néanmoins compris par la
cellule familiale. Le signe naissant est brouillon mais tellement joli !
Le fait de voir émerger cette entrée en matière renforce l’envie de conti-
nuer et d’élargir la gamme de la mimogestualité. Quelles émotions de se voir
reconnaître avec les signes de « papa » et « maman ». Quel plaisir de le voir
rapidement exprimer le « encore », qui marque ses propres volontés et ses pre-
mières demandes précises. D’ailleurs, petite confidence, même si maintenant à
l’âge de 30 mois les signes ne sont plus prégnants dans son quotidien, ce signe à
l’art de perdurer (avec ou sans voix) au moment de solliciter à nouveau un petit
morceau de pain ou un aliment chocolaté. Le même phénomène se passe avec le
« je t’aime », il l’utilise toujours et nous lui répondons sur le même mode avec
un plaisir non dissimulé.

Leelou signe « je t’aime »

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Par quoi débuter ?


Les méthodes évoquées précédemment recommandent de commencer
avec 3 à 5 signes basiques et très représentatifs du quotidien de l’enfant. Les
bébés ont tous un point commun, c’est le temps consacré aux soins et au som-
meil.
Les signes sont introduits progressivement dans la vie de bébé en fonc-
tion de ses besoins et de vos envies. Les choix initiaux se portent généralement
sur la tétée, le biberon, le changement de couche, le coucher. Puis le lexique va
s’étoffer au fur et à mesure des nouvelles expériences de bébé.
Il est nécessaire d’évoquer que la règle majeure de l’apprentissage des
gestes se fait en contexte. Cette utilisation en situation favorisera l’association
entre les évènements qui se déroulent et le signe présenté.
J’insiste ici, sur l’idée que la communication gestuée avec le bébé normo-
entendant doit s’accompagner de la voix. C’est aussi, à ce prix qu’il dévelop-
pera correctement son langage oral.
Comment continuer ?
Les signes suivants dépendront de l’environnement de bébé et de son évo-
lution. La présentation du signe pourra se décliner sur la conversation spontanée
mais aussi sur les activités comme la lecture, les jeux moteurs…
Lorsque Titouan a maîtrisé tous les signes d’animaux présentés dans ses
livres, et qu’il a commencé à vouloir les produire vocalement, j’ai pris les
mêmes supports pour introduire les signes des couleurs. Il a intégré les couleurs
à vitesse grand V. A 18 mois, il connaissait tout le panel coloré du gris jusqu’au
violet. Il ne pouvait se rendre à la crèche sans me signer avec une grande préci-
sion les couleurs des voitures que nous croisions. Je pouvais apercevoir dans son
regard, le plaisir, la satisfaction de me montrer ce qu’il savait. Pouvons-nous
vraiment déterminer ce genre d’acquis chez nos enfants non signeurs ? Peut-
être sont-ils compétents dans de nombreux domaines mais que nous ne pouvons
pas les évaluer faute de communication verbale.
Une autre manifestation nous a incités à poursuivre dans cette voie. Nous
connaissions notre enfant joueur mais nous l’avons découvert plein d’humour.
Une fois les signes des animaux acquis, le jeu de lecture d’album, avec papa, se
transformait en « je te montre une image d’éléphant, je te signe « girafe » et
j’attends ta réaction voire ta correction….. ». Titouan tenait aussi bien le rôle
du piégeur que du piégé. Un réel jeu de rôle s’est installé. Les éclats de rire
étaient garantis.

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Enfin, le choix de continuer peut être le souhait de l’enfant lui-même, il


va cheminer en fonction de ses besoins et de son vécu.
Titouan connaît donc les couleurs, il est maintenant résolu, du haut de ses
30 mois, à les apprendre en anglais. Nous avons accédé à sa revendication. Mais
en fait, sa demande a été double : le terme anglais et le signe. En effet, sachant
identifier et oraliser ses couleurs depuis quelques mois déjà, il avait totalement
oublié les signes correspondants. Il les réinvestit pleinement comme s’ils lui
donnaient une sécurité dans ce qu’il veut dire tout en se donnant la permission
de développer d’autres compétences. Ce n’est pas grave s’il se trompe, il arri-
vera toujours à se faire comprendre avec les signes et donc à acquérir les notions
qui lui plaisent. C’est un appui ludique dans ses acquisitions. J’ai le sentiment
que Titouan utilise le signe comme moyen mnémotechnique. Que le signe lui
permet d’ancrer en lui une image sonore.

Leelou signe « ours »


Là encore, point de recette mais un cheminement personnel sur l’intro-
duction précoce ou tardive du signe.

♦ Conclusion
Pour conclure sur cette présentation des signes avec bébé, je pense que
l’idée essentielle à retenir est le plaisir de la communication. Cette notion de
plaisir est primordiale. Il ne faut pas se forcer si l’idée nous rebute pour diffé-
rentes raisons.
L’expérience est agréable à vivre. Mais le fait de ne pas y adhérer ne fera
pas de nous de mauvais parents, de mauvais éducateurs. Il s’agit d’une démar-
che spécifique qui demande un investissement particulier.
De plus, certains obstacles peuvent entraver la démarche. Même une per-
sonne motivée, désireuse de se former sur notre territoire français n’aura que

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peu d’opportunités pour le moment. En conséquence, il m’apparaît que le choix


déontologique (langue des signes pure ou adaptée) ne sera peut être pas un cri-
tère de sélection de la formation « in vivo ».
La formation se fera ordinairement avec les moyens de proximité.
Il reste ensuite l’apprentissage du signe en trois dimensions par le biais de livres
qui ne peuvent en retranscrire que deux. Cet aspect peut lui aussi compliquer la
réalisation du projet.
Enfin, j’achèverai mon modeste témoignage en vous faisant partager
quelques réflexions de parents « adeptes » de la méthode.
« Cela a enrichi ma relation avec ma fille. Je peux me faire comprendre et la
comprendre sur des choses précises » exprime Laurent.
« J’ai eu l’impression de ne plus détenir le pouvoir absolu, mais d’avoir face à
moi, une personne en capacité de demander. Que ma fille sache exprimer un
besoin est une valeur prépondérante du Baby signes. Les colères se sont atté-
nuées car elle a su formuler ses demandes, elle est devenue actrice dans notre
relation » déclare Stéphanie.
Bonnes réflexions à toutes et à tous…

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Revue éditée par la Fédération Revue créée par l’A.R.P.L.O.E.V. DERNIERS NUMÉROS PARUS
Nationale des Orthophonistes Paris
Rédaction - Administration : N° 243 : VOIX ET CANCER - Editorial : Jean-Claude Farenc, Orthophoniste, Toulouse, — Rencontre : Etre
76, rue Jean Jaurès, 62330 ISBERGUES Directeur de la publication : la Présidente de la F.N.O. : orthophoniste dans un service de cancérologie ORL : technique et relation d’aide. Réflexions personnelles,
— Tél. : 03 21 61 94 96 — (Christophe TESSIER) - Histoire d’un parcours, (Jean-Louis BRUN) — Connaissances Actuelles : Voix et
Nicole Denni-Krichel chirurgie dans le traitement des cancers des voies aéro-digestives supérieures, (Jérôme SARINI) — Examen
— Fax : 03 21 61 94 95 —
et interventions : La prise en charge orthophonique vocale des patients opérés d’une laryngectomie partielle,
e-mail : reeducation.orthophonique@wanadoo.fr (Christophe TESSIER, Alexandra SAUVIGNET-POULAIN, Grégoire VIALATTE DE PEMILLE) - La voix
oro-œsophagienne : apprentissage, avantages et limites, (Evelyne BRETAGNE) - Conséquences de la laryn-
Abonnement normal : 98 euros gectomie totale, de la radiothérapie et de la pose d’un implant phonatoire. Rôle de l’orthophoniste, (André
Membres fondateurs du comité de lecture : ALLALI) - Voix trachéo-oesophagienne, de la technique à la pratique ou la distorsion entre « le pouvoir-par-
Abonnement réduit : 75 euros
réservé aux adhérents F.N.O., ler et le vouloir-dire ». Expérience clinique de 20 ans à propos de 472 laryngectomisés totaux, (Annick
Pr ALLIERES • A. APPAIX • S. BOREL-MAISONNY LUQUET, Francis DALIPHARD) - La voix trachéo-oesophagienne avec valve automatique, (Jean-Claude
ou d’une association européenne
membre du CPLOL G. DECROIX • R. DIATKINE • H. DUCHÊNE FARENC) - Réhabilitation olfactive après laryngectomie totale, (André ALLALI) - Les traitements ortho-
Abonnement étudiant : 48 euros phoniques du trismus, (Maya BOU-HAYLA, André ALLALI) - Cancers de la sphère oro-pharyngo-laryn-
M. DUGAS • J. FAVEZ-BOUTONNIER • J. GERAUD
gée : l’intervention orthophonique en libéral, (Jean-Marc KREMER, Philippe BÉTRANCOURT) —
(joindre copie de la carte) R. GRIMAUD • L. HUSSON • Cl. KOHLER • Cl. LAUNAY Perspectives : Intérêts et limites de l’analyse acoustique dans la prise en charge orthophonique
Abonnement étudiant étranger : 58 euros des pathologies vocales d’origine cancéreuse, (Arlette OSTA) - La qualité de vie après une laryngectomie
(joindre copie de la carte d’étudiant) F. LHERMITTE • L. MICHAUX • P. PETIT
totale : trouble de la communication et perturbation des relations sociales, (Marianne BREL, Jean-Claude
Abonnement étranger : 108 euros G. PORTMANN • M. PORTMANN • B. VALLANCIEN. FARENC, Jérôme SARINI)
Vente au numéro : 33 euros
N° 244 : L’ÉMERGENCE DE LA COMMUNICATION ET DU LANGAGE - Introduction : Françoise Coquet
— Rencontre : L'émergence du langage et la métaphore de l'araignée, (Bernard GOLSE) - S'attacher pour
Comité scientifique mieux se détacher : l'impact des interactions précoces sur l'émergence du langage, (Dominique
CRUNELLE) - Quelles relations entre l'émergence du langage et le développement de la théorie de l'esprit ?
Aline d’ALBOY (Evelyne TOMMEN) - Jeu et langage en développement : entre fonction sémiotique et théorie de l'esprit (Edy
Dr Guy CORNUT VENEZIANO) - Rôle des représentations culturelles dans l'émergence du langage, (Paulette ANTHEUNIS,
Françoise ERCOLANI, Stéphanie ROY) — Données Actuelles : L’accompagnement orthophonique à l’aube
Ghislaine COUTURE de la vie : Du lien entre oralité alimentaire et oralité verbale, (Catherine THIBAULT) - Du gazouillis au pre-
Dominique CRUNELLE mier mot : rôle des compétences préverbales dans l’accès au langage, (Karine MARTEL, Marie LEROY-
COLLOMBEL) - Démarrer l’acquisition de la syntaxe (Séverine MILLOTTE, Perrine BRUSINI, Elodie
Pierre FERRAND CAUVET, Anne-Caroline FIEVET, Anne CHRISTOPHE) - Les comportements précurseurs de la communi-
cation : précurseurs pragmatiques, précurseurs formels, précurseurs sémantiques (Béatrice THÉROND) - Ce
Lya GACHES que le pointage du jeune enfant nous dit du développement cognitif et langagier (Emmanuelle MATHIOT) -
Olivier HERAL Premières découvertes à propos du monde et des objets (Françoise COQUET) - Les premiers mots du jeune
enfant français : Analyse quantitative et qualitative du vocabulaire réceptif et expressif des deux premières
Jany LAMBERT années de vie (Sophie KERN) — Examen et interventions : Le bilan multidisciplinaire des jeunes enfants :
Frédéric MARTIN quand ?, comment ?, pourquoi ? Avantages et limites (Naïma DEGGOUJ, Françoise ESTIENNE, Fabienne
VANDER LINDEN) - Comment évaluer les compétences langagières chez les jeunes enfants avec l’ECSP
Alain MENISSIER (Evaluation de la Communication Sociale Précoce), (Michèle GUIDETTI) - Observation / Evaluation du
Pr Marie-Christine MOUREN-SIMEONI développement du jeune enfant avec les Protocoles 20 et 27 mois d’EVALO BB, (Françoise COQUET) -
Conduites d’étayage maternel en situation de lecture partagée avec des enfants âgés de 24 mois, (Agnès
Bernard ROUBEAU WITKO) — Perspectives : Un nouvel outil de soutien à la parentalité pour le développement de la commu-
Anne-Marie SIMON nication et du langage (Paulette ANTHEUNIS, Françoise ERCOLANI, Stéphanie ROY)

Monique TOUZIN
N° 245 : DÉGLUTITION ET CANCER - Introduction : (Jean-Claude FARENC) — Connaissances Actuelles :
Chirurgie carcinologique des voies aéro-digestives supérieures et troubles de déglutition, (Adil
Rédacteur en chef BENLYAZID) - Traitements non chirurgicaux des cancers ORL, (Michel RIVES) - Prise en charge bucco-
dentaire et radiothérapie cervico-faciale, (Maryalis GUICHARD) - Les douleurs de la déglutition au cours
Jacques ROUSTIT des cancers, (Jacques POUYMAYOU, Philippe IZARD, Pierre ROUGÉ) — Examen et interventions :
Stimulations électriques et dysphagie oro-pharyngée, (Virginie WOIZARD) - Déglutition et canules,
Secrétariat de rédaction (Christine GOETGHELUCK) - Sonde naso-gastrique et gastrostomie ? Réflexions d’un orthophoniste…,
(Jean-Claude FARENC) - Intérêt du soutien nutritionnel dans la prise en charge des cancers des voies aéro-
Marie-Dominique LASSERRE digestives supérieures, (Muriel RICHL) - Propulsion oropharyngée (Michèle PUECH) - De l’autre côté des
lèvres … des plaisirs aux souffrances. Bouches cousues, les langues se délient, (Annick LUQUET) - Cancers
Abonnements de la face : impacts sur la relation au monde, communication, alimentation : rôle et limites de l’orthopho-
niste à travers trois cas, (Isabelle EYOUM) - La prise en charge orthophonique de la déglutition après laryn-
Sylvie TRIPENNE gectomie partielle, (Christophe TESSIER, Alexandra SAUVIGNET-POULAIN, Grégoire VIALATTE DE
PEMILLE, Virginie SIMEONE) - Troubles de la déglutition après laryngectomie totale, (André ALLALI) —
Réalisation TORI Perspectives : Addictions et prise en charge orthophonique en cancérologie, (Arlette OSTA) - Déglutition et
01 43 46 92 92 cancers de la sphère ORL : curatif et palliatif, (Philippe BÉTRANCOURT, Jean-Marc KREMER, Didier
Commission paritaire : 1110 G 82026 Impression : CIA Bourgogne
LEROND)

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