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La créature du docteur Frankestein fait partie des mythes que notre modernité ne
cesse de réinvestir. En assemblant des morceaux de cadavres, Victor Frankenstein a
réussi à créer un être vivant, mais hideux. La créature est livrée à elle-même dans un
monde qui l’exclut et la condamne à commettre des crimes pour survivre. Elle est pourtant
sans doute moins monstrueuse que l’homme qui, dans sa démesure et son orgueil, a
voulu rivaliser avec Dieu en manipulant la nature.
Dans cet extrait, Frankenstein, narrateur de sa propre histoire, se retrouve, au
milieu de la mer de glace à Chamonix, face à l’être dont il est le père.
« Monstre abhorré ! Diable que tu es ! Les tortures de l’enfer sont une vengeance trop
douce pour tes crimes. Misérable démon ! Tu me reproches de t’avoir créé : avance donc, que je
puisse éteindre l’étincelle que j’ai donnée avec tant de négligence. »
Ma rage était extrême ; je lui sautai dessus, poussé par tous les sentiments capables
d’armer un être pour détruire la vie d’un autre.
Il m’évita aisément, et dit :
« Calme-toi ! Je te supplie de m’entendre avant de donner libre cours à ta haine à
l’encontre de cette tête vouée à l’infortune. N’ai-je donc pas assez souffert, pour que tu cherches à
me rendre encore plus malheureux ? La vie m’est chère, bien qu’elle ne soit peut-être qu’une
accumulation d’angoisses, et je la défendrai. Souviens-toi que tu m’as fait plus fort que toi ; je suis
d’une taille supérieure à la tienne ; mes articulations sont plus souples. Mais je ne veux pas être
tenté de m’opposer à toi. Je suis ta créature, et je veux même être doux et docile envers celui qui,
par nature, est mon seigneur et mon roi – dès lors que tu acceptes aussi de jouer ton rôle et de
faire ton devoir envers moi. Ah, Frankenstein, ne te montre pas équitable envers tous les autres,
tandis que je suis le seul que tu foules aux pieds, moi qui ai droit au plus haut point à ton esprit de
justice, et même à ta clémence et à ton affection. Souviens-toi que je suis ta créature ; je devrais
être ton Adam, mais je suis plutôt l’ange déchu que tu chasses d’un monde de joie, alors que je
n’ai point commis de méfait. Je vois que partout règne la félicité, et moi seul en suis
irrévocablement exclu. J’étais bienveillant et bon ; le malheur a fait de moi un diable. Rends-moi
heureux, et je serai derechef vertueux. »