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L'ESSENTIEL DU COURS
Avec la collaboration de :
Aurélie Briquet
Valérie Corrège
Alain Malle
En partenariat avec
AVANT-PROPOS
sur Lemonde.fr/campus.
. de f,ches de cours claires et synthétiques, assorties des mots clés et repères essentlels à retenir ;
. de sulets de bac analysés et commentés pas à pas pour une meilleure compréhensron.
Sans oublier la méthodologie des épreuves et les conseils pour s'y préparer.
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Tout-en-un : Ies sujets corrigés st oommentés des 5 dernières années,
les conseils des enseignants, Ia méthodologie et le programme.
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que le découvreur et l'éditeur. Cela permet, bien sûr, de contourner Grillet, Duras, Sarraute) ne livrent que l'extérieur des choses et des
Définition(s) et évolution du genre romanesque la censure ou la condamnation (pour immoralité ou irréligion), mais êtres, laissant au lecteur le soin de « construire » un personnage et
cela offre également Ia possibilité de faire entrer plus facilement le un univers.
du xvrre siècle à nos iours Iecteur dans un univers dont il pense qu'il est « vrai
En outre, Ie roman a autant de
».
6 Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours J
UN SUJET PAS À PAS UN SUJET PAS A PAS
II. Les romans traduisent une certaine vision de la société, par Illustration de I'ambition, de I'ar-
EXTRAIT§ CLÉS
REPÈ RES
GAVROCHE espèce d'ubiquité presque irri- de velours rouge. Sur le trône, en bande descendait avec un élan
« La
bergh, devenu président, signe lumes présentée comme « LHis- . La guerre de r4-r8 : Barbusse, Ie Feu ; Gavroche participe à l'émeute pa- tante ; pas d'arrêt possible avec dessous, était assis un prolétaire superbe, irrésistible. Rien de plus
Romans et histofue.
un traité de non-agression avec toire naturelle et sociale d'une Roland Dorgelès, Les Croix de bois. risienne de juin t832. Iui. L'énorme barricade le sentait à barbe noire, la chemise entrou- terriblement grandiose que l'ir-
ANTICIPATIOI{ lAllemagne nazie - Éric-Emma- famille sous le Second Empire ». . La guerre civile espagnole de « Gavroche, complètement en- sur sa croupe. » verte, l'air hilare et stupide comme ruption de ces quelques milliers
. Romans de |ules Verne anti- oi . Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1936 : Malraux ,l'Espoir. volé et radieux, s'était chargé de (Victor Hugo, Les Misérables, un magot. D'autres gravissaient d'hommes dans la paix morte et
nuel Schmitt, I a Part de l'autre,
cipant sur des techniques in- Hitler réussit son examen d'en- « Chronique de r83o ». . Liunivers concentrationnaire Ia mise en train. Il allait, venait, 1862.) l'estrade pour s'asseoir à sa place. glacée de l'horizon [...]. Quand les
connues à son époque : voyage pendant la Seconde Guerre mon- montait, descendait, remontait, "Quel mythe ! dit Hussonnet. Voilà derniers bataillons apparurent, il
trée aux Beaux-Arts de Vienne, W*b{heW§Wr§ry*KZæüX§ y eut un éclat assourdissant. La
spatial dans De la terre à la Lune, diale : forge Semprurl Le Grand bruissait, étincelait. I1 semblait le peuple souverain l" »
sous-marin dans Vingt mille
bouleversant ainsi l'histoire de la . Lépoque de Louis XIII :
Voyage et L'Écriture ou la Vie. être Ià pour l'encouragement de Frédéric assiste au saccage du pa- Marseillaise emplit le ciel, comme
seconde moitié du xx" siècle.
(Gustave Flaubert, L'Education
Alexandre Dum as, Le s Trois Mous - . Le, colonialisme en Afrique du tous. Avait-il un aiguillon ? oui lais des Tuileries au cours de la ré- soufflée par des bouches géantes
lieues sous les mers, télévision sentimentale, tS6g.\
dans Le Château des Carpathes.
quetaires.
Nord : Driss Chraïbi, Le Passé certes, sa misère ; avait-il des volution de 1848. dans de monstrueuses trom-
. Principe de l'uchronie : Philipe . Les gueres de religion, le mas- oui certes, sa joie. Gavroche « Tous les visages étalent rouges ; pettes qui la ietaient, vibrante,
Simple et Les Boucs ; en Afrique ailes ?
Roth, IeComplot contre LAmé- . Balzac, La Comédie humaine, po:ur sacre de la Saint-Barthélemy :
noire : Sembène Ousmane, Ies était un tourbillonnement. On la sueur en coulait à larges gouttes avec des sécheresses de cuivre, à
Alexandre Dum as, La Reine Marg ot. Ie voyait sans cesse, on l'enten- [...]. Et poussés malgré eux, ils en- Le coup d'État du z décembre t85t tous les coins de la vallée. »
rique, part de l'idée que Franklin «faire concurrence à l'état civil ». Bouts de bois de Dieu.
Roosevelt n'a pas remporté les . Zo\a, Les Rougon-Macquart, yârtçryzwg*qs&{rsrip.§ . la révolution communiste en Chine : dait toujours. Il remplissait l'air, trèrent dans un appartement ou suscite des insurrections républi- (Émile Zola, La Fortune des
éIections en 1941. Charles Lind- somme romanesque de vingt vo- w'"*/§Nx},&§wrswesryryw*us§ Malraux, Ia Condition humaine. étant partout à Ia fois. C'était une s'étendait, au plafond, un dais caines en Provence. Rougon,r87r.)
Modiano, prix par surprise en compagnie de qui elle se trouvait (...). C'est là son secret. Un pauvre
et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites
(t993) à L'Horizon (zoto), semblent se superposer (comme la réunion
en Quarto, en zor3, de dix de ses livres les plus « autobiographiques »
dbccupation,Ie Dépôt,les casernes,les camps,l'Histoire, Ie temps - tout permettaient d'en prendre conscience). Ils créent un temps à part :
Le romancier français, auteur d'une trentaine d'ouvrages marqués par I'identité ce qui vous souille et vous détruit - nlauront pas pu lui voler. » celui des lecteurs de Modiano. Celui auquel les iurés Nobel ont pro-
et Ia perte, a été récompensé, à 69 ans, du Nobel de littérature, jeudi 9 octobre. Chez Modiano, on court derrière des ombres, des silhouettes dispa- posé de mettre Ie monde entier, avec leur récompense. Un temps
raissent à peine entraperçues, d'autres rôdent, menaçantes... Presque « bizarre », sans doute, mais dont on n'a guère envie de s'extraire. ffi
tous ses livres dégagent comme une ambiance de roman noir. Ainsi
de Rue des boutiques obscures (tgZ8), où lbn voit un détective mener Raphaëlle Leyris, Le Monde d.até du u.to.zor4
Bien sûr, Patrick Modiano a trouvé « bizarre » de recevoir le prix homme (ami de Raymond Queneau, qui lui donna des cours de maths
une enquête sur son propre passé - qui ramène à l'Occupation -, après
Nobel de littérature, comme il l'a dit à son éditeur, Antoine Gallimard et qui sera son témoin de mariage, en r97o) se plonge dans Ie Paris de
un épisode amnésique, et après s'être vu assigner une fausse identité.
- « irréel », aussi, a ajouté l'écrivain
lors d'une conférence de presse. l'Occupation avec une forme de rage froide. Suivant les pas de Raphaël
Comme un concentré d'atmosphère « modianesque », qui lui vaut, à
« Bizarre », d'abord parce que c'est sans doute Ie mot qui revient Schlemiloütch, ce roman est, par bien des aspects, différent des livres
33 ans, le prix Goncourl - « pour I'ensemble de son æuvre », précise
le plus dans Ia bouche de cet homme à la timidité et à la modestie à venir - dans sa narration virtuose et hallucinée, son recours à une À l'occasion de l'attribution du prix Nobel de littérature à Patrick
aussi et c'est exceptionnel, I'académie.
presque légendaires, inquiet « d'écrire toujours un peu Ie même forme de grotesque -, mais il pose nombre de pierres de l'æuvre Modiano enzo14, Raphaëlle Leyris dresse un portrait de l'auteur et
Cette æuvre est alors déià, et ne cessera d'être, d'une remarquable propose une analyse de son ceuvre. Marqué dans son enfance par
Iivre ». « Bizarre », aussi, parce que nul ou presque n'imaginait que Ia qu'elle annonce : l'évocation de l'Occupation, I'errance dans Paris, le
cohérence, dans la beauté de son écriture, dans sa volonté de fixer le un sentiment d'insécurité dû au quasi-abandon de ses parents et
récompense puisse de nouveau revenir à un écrivain français, six ans mélange de personnages flctifs et de personnages réels. En zoo7, Iors aux déménagements incessants, Modiano n'a eu de cesse, dans la
tremblé des choses, de rendre avec netteté une atmosphère de flou, de
après ]ean-Marie-Gustave Le Clézio. Mais les membres de l'académie de Iaparution de Dans le café de la jeunesse perdue, il nous disail : « | ai trentaine de romans qui ont suivi Ia Place de l'étoile (son premier
même que sa manière d'évoquer les rues de Paris, à force de précision, roman, paru en tg68), de revenir sur la période de l'Occupation,
suédoise, n'aimant rien tant que surprendre, en ont décidé autrement. toujours incorporé, sans forcément le faire exprès, des silhouettes de
leur fait accéder à une dimension irréelle. Ecrivain du lieu, obsédé par pendant laquelle ses parents se sont rencontrés. Le candidat au
ont couronné ce grand écrivain de 69 ans à I'æuvre
Le 9 octobre, ils personnes réelles, anonymes ou célèbres, qui étaient comme une greffe bac trouvera ici un parcours chronologique de son æuvre, avec
la topographie, Modiano est aussi, et peut-être surtout, un écrivain du
entêtante, lumineusement crépusculaire, en raison, de « lart de sur lafiction. le trouve que cela renforce Iafiction, que cela lui donne ses thèmes récurrents : le Paris de l'Occupation, les personnages
temps, ou, plutôt, de l'intemporalité: « | ail'impression, nous disait-il en quête d'identité et leurs errances citadines. I1 en retiendra
Ia mémoire avec lequel iI a évoqué les destinées humaines les plus une profondeur de champ plus intéressante, comme au cinéma. »
en zoo7, qu'il y a parfois comme des superpositions du passé, du présent également ie procédé du méiange entre personnages flctifs et per-
insaisissables et dévoilé Ie monde de I'Occupation ». Ce procédé se retrouve dans ses deux livres suivants, avec lesquels
et même duJutur, et que cette surtmpression des époques aboutit à une sonnages réels, dont les destins sont suggérés dans les coupures
Cette période de I'histoire française est en effet centrale chez le La Place de l'étoile constitue ce que I'on appellera une « trilogie de de vieux journaux, tel celui de Dora Bruder, héroiine éponyme du
sorte de transparence temporelle. C'est cette sensation que j'essaie de
romancier né en 1945 à Boulogne-Billancourt, auteur d'une trentaine l'Occupation >» : La Ronde de nuit (rg6g) - sur un personnage qui roman paru eî7997. L'article offre également une approche de la
restituer dans mes romans. » musique si caractéristique des romans de Modiano, dont i'écriture
d'ouvrages travaillés par l'identité et par la perte, qui dira avoir travaille tout à Ia fois pour Ia Gestapo et pour Ia Résistance, et semble
Des romans qui, eux aussi, de Iivret defamille (t977) à Accident noc- réussit à « rendre avec netteté une atmosphère de flou » et - jouant
« toujours l'impression d'être une plante née de cefumier » - même annoncer le fllm Lacombe Lucien, dont Modiano coécrira le scénario des superpositions du passé, du présent et du futur - aboutit, selon
turne (zoo3), deRemise de peine (t988) àPour que tu ne te perdes pas
si son æuvre est loin d'être réductible à ce sujet. Ses parents se sont avec Louis Malle * et Ies Boulevards de ceinture (1972), enquête sur le ses propres termes, « à une sorte de transparence temporelle ».
dans Ie quartier (Gallimard, 16o p., 16,9o €), de Chien de printemps
rencontrés en 1942 : elle est une actrice flamande ; lui, Albert Modiano, passé d'un père, qui lui vaudra Ie Grand Prix de lAcadémie française.
juif d'origine italienne, fréquente des individus aux activités louches,
et pratique, sous une fausse identité, le marché noir pendant la guerre. Affection du public
Le personnage de roman, du xvtr" siècle à nos jours Le personnage de roman, du xvn" siècle à nos iours 11
LES ARTT.LES DU f]ftonûo LES ARTICLES DU J]IIONûE
Simon et de Robbe-Grillet est à évoquer à propos de M. Butor ; c'est un homme, sa femme et sa maîtresse, suiet d'étude psychologique jeune couple de nouveaux mariés, Pierre et Agnès, Ia vieille dame, le cription des choses médiocres, qui n'éclairent rier! qui n'ajoutent rien.
lui jusqu'ici qui a réussi ce que ces messieurs, ses compagnons des plus courants, ici renouvelé du tout au tout par I'abondance de la prêtre rougeaud qui lit son bréviaire, mais est-ce qu'il croit ? La belle Ces pesants défauts sont d'autant plus sensibles et plus regrettables que
d'armes ou d'équipe, voulaient faire, et je ne le dis pas pour jeter Ia vie intérieure du personnage principal et Ia casuistique ingénieuse Italienne montée en cours de route, qui le fait penser à Cécile, les deux dans l'analyse des sentiments et des passages d états d'âme Michel Butor
discorde au camp dAgramant et, dès Ieur départ, brouiller entre eux du narrateur. ouvriers avec leur musette et leur litre... Tout cela rêve, attend, se laisse se révèle ici un romancier de premier ordre et un psychologue hors de
ces concurrents. Je constate sans plus que M. Michel Butor vient de Ce n'est pas le héros du livre qui y raconte son histoire ; c'est l'auteur porter, se lève, bouge, remue, change de place et revient s'asseoir. Les pair. ]e ne le rends pas responsable de la veulerie de son héros, qui se
prendre une forte avance, et que sa Modification, à lire, à faire lire et qui mène le récit, mais au lieu de dire léon pour désigner son person- visages parlent cependant, il n'est que d'imaginer ce que ces gens ont laisse en somme si facilement « modifier » par des influences étrangères,
à discuter, à relire si on en a le temps pour en apprécier les richesses nage, ou de I'appelerll, M. Butor use du vocatif de présentation (si cette dans Ia tête, de soucis, de besoins, d'espoirs ou de vide. pour un homme qui aime ou qui croit aimer. C'est en vérité que Ie
profondes, est un des livres les plus attachants et les plus importants catégorie existe), qui consiste à interpeller Ia personne que l'on a en En même temps Léon examine les composantes de sa vie. Il travaille pointilleux Léon naime pas tellement que cela sa belle maîtresse ro-
de l'année, l'un des importants de ces années-ci. J'aurai des réserves vue et à laquelle on apprend en somme qui elle est et ce qu'elle fait, dans une compagnie de machines à écrire. Il a une situation aisée. Il maine, tout iuste bonne àlui donnerl'illusion de la passion, dela liberté,
à faire sur la nourriture compacte que cette sorte de romans nous à titre d'avertissement, comme dans une phrase de ce genre : « Vous s'est autrefois marié par amour avec une aimable Henriette, devenue du roman, dans les brefs séjours qu'il fait à ses côtés dans la Ville éternelle.
apporte. Amateurs de gaufrettes et de petits fours, les estomacs légers fumez trop, vous aurez des embêtements avec votre gorge. » ; à titre hargneuse avec I'âge et qu'il a décidé de quitter pour épouser Cécile, la On l'a indiqué en passant qu'il aime. Et dans
: à travers Cécile, c'est Rome
ne s'accommoderont pas encore de ce robuste et massif kougelhof. de reproches récapitulatifs, comme ceux du magistrat instructeur à un belle et intelligente Romaine qu'il a connue lors d'un de ses précédents ce liwe aux pages étriquées sous leur accumulation de petits détails
M. Butor est, de formation ou de profession, philosophe. Plus que l'art, inculpé :« Vous avez assommé votre victime et vous I'avez découpée voyages à Rome, où l'appellent plusieurs fois par an ses affaires. Cette misérables, toutes les fois qu'il y a de l'air, du ciel, de Ia grandeur, de la
c'est sa pensée, l'expression butorienne de sa pensée qui l'intéresse ; et ensuite pour la mettre dans une malle. » C'est vous, lecteur, que dès liaison lointaine et coupée de longs intervalles l'exaspère. II veut Cécile poésie, une respiration large et ürile, c'est que c'est de Rome et de
il goût invétéré du système et de son système, comme s'il n'était
a le la première ligne dela Modificafion M. Butor paraît avoir directement toute à lui, il a trouvé pour elle une place à Paris ; et, sans la prévenir de I'« énorme rêve de Rome » qu'il s'agit. Peu décrivains, je crois, connaissent
pas sûr d'avoir assez raison s'il ne s'appuyait pas sur un système. pris à partie : << Vous avez mis le pied gauche sur Ia rainure de cuivre, et son arrivée, pour lui en faire la surprise, c'est cela qu'il va lui annoncer Rome aujourd'hui comme M. Butor ; la connaissent aussi bien dans son
Celui-ci consiste à tout regarder, à tout enregistrer, à tout mettre sur de votre épaule droite ÿous essayez en vain de pousser un peu plus le dans ce voyage. Vingt et une heures et demie de rêverie sur ce pro- pittoresque actuel, son passé grandiose, ses ruines parlantes, sa beauté
Ie même plan ; à ne rien sacrifier de ce qui, existant, a été vu ; non panneau coulissant. » L illusion se poursuit dans la phrase suivante. gramme, sur ces souvenirs, sur cet avenir ; altemée de rappels anciens. mêlée, son caractère souverain d'un des hauts lieux de l'homme et de
seulement à ne rien sacrifier, mais à tout répéter dix fois, au cours du C'est vous qui montez dans le train, c'est à votre main que vofre valise Il est déjà venu à Rome avec Henriette, ieune femme, dans le temps l'humanité. Peu, l'aimant d'un pareil amour, seraient capables d'en
livre, à faire revenir dix fois, vingt fois, le même objet sous une lumière pèse, c'est vous qui avez pour épouse une Henriette grinchue et gri qu'elIe était charmante. Cécile est aussi venue Ie rejoindre à Paris, et il parler avec cette intelligence, cette pénétration et cette chaleur. Qui une
différente, Ie même bout de phrase, pour montrer de nouveau ce qui sonnante, c'est vous qui habitez place du Panthéon au n' 15, et qui vous Ia reçue dans son ménage. Elle était moins belle à Paris qu'à Rome. Il fois a vécu à Rome et y est entré profondément, qui garde à iamais ce
se répète, la même notation d'une sensation, d'un souvenir ; et par ces mettez en route pour aller retrouver à Rome une maîtresse charmante, évoque aussi ses précédents séjours romains, Cécile mêlée à toutes les grand souvenir, sera fou de joie comme je l'ai été en lisant les pages ro-
retours voulus et cherchés créer pour le lecteur un état d'obsession à qui vous avez l'intention d'annoncer que vous divorcez et que vous images de la ülle admirable, dont elle est pourlui le symbole, pourn'en maines de Michel Butor. En dépit de ses petites manies et de ses intentions
et d'envoûtement, à la limite de I'hypnose. Mais gare au sommeil, la ramènerez à Paris pour l'épouser. C'est vous qu'à cette heureuse devenir bientôt à ses yeux que l'accessoire. À travers elle, au fond, c'est tatillonnes, elles le classent au premier rang, et il s'est mis lui-même, par
monsieur Butor ! Lextrême répétition y conduit, c'est le principe du nouvelle l'Italienne et brune Cécile prend avec fougue dans ses bras, Rome qui l'attire, Ia vacance et Ia liberté dont il y iouit, Ia vie héroiQue et elles, du bon côté, du seul bon côté ; du côté des maîtres. ffi
compte des moutons pour les insomniaques. Un autre écueil sera de c'est vous que d'une bouche ardente, elle couvre de baisers romains. sublime quévoquent ses ruines, les amusements de la rue, ses couleurs,
vous aliéner des lecteurs, exaspérés et irrités par ce qui fâche Ie plus Une fois l'illusion établie et Ie système mis en marche, il continuera sa lumière, ses fontaines et ses trattorias. Que sera-t-elle à Paris, Cécile Emile Henriot, de lAcadémie française, Ie Monde daté dur3.rt.t957
des esprits vifs et qui comprennent vite : la rengaine. Quand dans à tourner comme Ie satellite, et c'est en cours de route seulement, changée de décor, Cécile détachée de ce grandiose arrière-fond ?
votre description de voyage vous nous avez parlé dix fois, vingt fois, vers le deuxième tiers de l'ouvrage, que sera appelé Léon le vous mis En cours de route les sentiments de Léon se modiflent, et voilà « la mo-
de la perle de lumière bleue au centre de la lampe plafonnière dont en cause, qui flnalement n'était pas vous. L artiflce est d'avoir, sous Ie diflcation annoncée : sous l'action des souvenirs et la dent rongeuse du
»
on a fermé pour la nuit Ie voile obturateur, dans le compartiment, ou couvert de ce vous généralisateur, feint de prêter à beaucoup d'autres temps, au contact de ces compagnons de voyage falots, chacun vu dans
sa vérité différente, à l'usure de ce lent déplacement d'heure en heure, Qu'est-ce que Ie « nouveau roman », souvent présenté comme
décrit vingt fois les losanges du parquet de métal grillé du wagon à la situation, Ies sentiments et les desseins d'un autre, qui répond au une des évolutions majeures du genre romanesque dans les an-
travers lequel monte la chaleur, ou annoncé de la même facon « une nom de Léon, et auquel en somme, par la banalité de son aventure, il tandis que Ie retour des stations connues évoque des déplacements an- nées r95o ? La iecture de cet article appoflera au candidat au bac de
gare passe » ou « le train entre dans un tunnel », chaque fois que se se peut que vous ressembliez. térieurs, Henriette jeune, Cécile plus aimée autrefois, Léon s'aperçoit qu'il français des éléments de réponse précis et clairs avec cette critique
ne croit plus viable l'avenir qu'il avait rêvé ; que c'est Rome qu'il aime et de La Modificafion, roman de Michel Butor paru en 1957. La voie
produit un tel événement ferroviaire au cours de la marche du train Voilà donc notre homme dans le train, partant pour Rome. II a quitté
du nouveau roman est alors déià ouverte par les æuvres d'Alain
du Panthéon, sa femme acariâtre, ses enfants peu aimables non Cécile ; que sa décision de changer de vie ne tient pas. Arrivé aubout
- je vous assure que, chaque fois, on a la tentation d'écrire dans la sa place Robbe-Grillet et de Claude Simon, cités en introduction comme
du voyage, il passera deux jours à Rome sans voir Cécile, sans lui laisser les initiateurs d'une nouvelle écriture romanesque. Émile Henriot
}matge: encore ! ou: c,ava, onle sait ! ; et le plus fâcheux, si vous tenez et qui lui donnent du souci. II s'est installé dans son compartiment de
savoir qu'il est Ià. À quoi bon ! Il faudrait lui mentir : et vous ne vous propose de la nommer l'« école du regard ». Récit d'un voyage en
à être lu, c'est qu'on a envie de passer, en tournant la page. troisième classe, et il effectuera son voyage de jour, alors qu'il voyage
train entre Paris et Rome, La Modrfrcation accorde en effet une part
sentiriez pas Ie courage de I'affronter, d'esquiver son manque de conflance
)'adresse ces reproches l'auteur delaModification (sans aucun espoir
à habituellement en première et dans un train de nuit. Il doit mettre importante à la description des perceptions visuelles du personnage
et ses reproches sur vofre indécision, vofre üe double, votre lâcheté. ÿous central dans le wagon oir ii a pris place. Les détails de cette descrip-
de succès, car ce doit être un homme têtu) parce que ces défauts vingt et une heures et demie, partant à 8 h. 10 de la gare de Lyon, pour
ne sortiriez pas de votrehôtel, etvousycommenceriez même un roman tion reviennent à de multiples reprises, créant chez ie Iecteur un
intentionnels me paraissent nuisibles à son audience ; et qu'en fait ils arriver le lendemain, à 5 h. 45, à Roma-Termini. Vingt et une heures et
« état d'obsession et d'envoûtement, à la limite de l'hypnose ». Un
sur le thème de « la modification », dont le mystérieux et térébrant travail
n'ajoutent rien l'apport considérable de son livre, que lbn voudrait
à demie de réflexion sur soi, sans lecture, malgré le roman acheté avant autre procédé narratif original expliqué dans i'article est I'emploi de
destructeur vous aura donné la vocation d'écrire, jusque{à pour vous Ia deuxième personne du pluriel, qui semble forcer l'identification
Iu, admiré et même aussi aimé pour son apport, dans ce qu'il a de le départ, qui pas une fois ne sera ouvert, mais qui servira à marquer
inattendue. Vous reprendrez le train à son heure et vous rentrerez dans entre le lecteur et le personnage dès l'incipit, évoquant l'entrée du
vrai, d'humain et, spirituellement, d'évocateur à travers les choses sa place dans le compartiment quand le voyageur ira se dégourdir les
votre vie plate,la même qu'autrefois ; redevenu presque malgré vous un voyageur dans le compartiment : « Vous avez mis le pied gauche sur
décrites, quand elles méritent de I'être. Ie disais ce livre important, iambes dans le couloir ou prendre un repas au wagon-restaurant ; le la rainure de cuivre et de votre épaule droite vous essayez en vain
homme très moral, yous étant remis à aimer votre femme. Je ne mêle
dans Ia mesure précisément où, dépassant la peinture obsédante des Iivre remis dans le filet, quand l'amant de Cécile reviendra s'asseoir de pousser un plus 1e panneau coulissant... » La conduite du récit
aucune ironie à ce constat, on ne peut plus moral lui aussi. M. Michel en focalisation interne renforce cette identiflcation. Perceptions vi-
choses, il ramène à l'essentiel de toute littérature, qui est la peinture dans son coin. Entre tant d'allées et venues, de pensées, de cogitations,
Butor en est totalement dépourvu. Nulle trace d'humour dans son sé- suelles de f intérieur du wagon, paysages entrevus, traits des autres
de I'homme, de son esprit, de ses sentiments, de ses mæurs, de ses Léon regarde défiler le paysage dans laïitre du wagon. Habitué de la passagers se mêient aux pensées du personnage pour constituer un
rieux, très sérieux livre. ]'ai dit qu'il contenait quelque chose d'irritant,
rêves, de ses aventures. Il y a cela dans la Modification, et c'est cet ligne, il connaît le parcours, les noms des stations, l'arrivée prochaine voyage intérieur. Au terme de ce voyage s'est accomplie Ia « modi-
dans son caractère en quelque sorte mécanique, dans ses répétitions, sa flcation » annoncée dans le titre, le voyageur renonce à quitter sa
essentiel qui l'emporte finalement sur l'accessoire et le décor et Ies dans une gare importante ; il sait les pays qu'il traverse, et l'auteur
minutie, ses retours d'images identiques, ses formules ; dans ses alinéas femme pour sa maîtresse romaine. Sans ménager ses reproches sur
manies de M. Butor écrivain. Et s'il faut en résumer Ie suiet terrestre nous décrit I'image qu'il en a. Il dévisage ses voisins, Ies regarde, Ies ce qu'il nomme la « rengaine » des descriptions répétitives, le cri-
commandés par de simples ürgules, un bon truc pour mettre ses inci-
et sentimental en deux mots : il s'agit de l'histoire d'une rupture entre étudie, Ieur invente des noms, suppose ce qu'ils sont, où ils vont : le tique place Michel Butor au premier rang des « maîtres » du roman.
dentes à la ligne ; dans Ia place excessive donnée à Ia méticuleuse des-
Toutefois la peur ne venait chez lui qu'en seconde ligne ; il était surtout més pour lutter ou manquent de
Le personnage de roman : du héros à l'antihéros scandalisé par ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. » (Stendhal,
fait apparaître
Ia grandeur. Claude Lantier, dans
Chartreuse de Parme, t838) Lemploi de « nous, notre » L'CEuvre deZola, se suicide après
Un roman est une æuvre en prose, assez longue, retraÇant le parcours d'un « héros ». un narrateur qui peut être identiflé à Stendhal lui-même en train de avoir compris qu'il n'atteindrait
jamais son idéal. Ieanne, dans
Comment se constitue I'identité du personnage, et que recouvre précisément créer son « héros ».
en scène un personnage qui est face au monde, un être nuancé, aux du romancier qui veut « donner à voir » son personnage. Les images également à ce que l'on pourrait
réactions complexes et diverses. (comparaisons et métaphores) sont également essentielles pour appeler Ia « mort du héros » :
Selon le genre du roman ou Ie mouvement littéraire auquel il ap- concrétiser un trait de caractère, par exemple. Quant à la focalisation, - du fait des deux guerres mondiales, le doute s'installe sur la capacité
partient, Ie personnage ne sera pas le même et s'adressera, ainsi, à elle permet des variations dans la présentation et la découverte du de l'homme à maîtriser Ie monde. La foi dans le progrès (le positi-
différents sentiments ou aspirations de son lecteur : héros, engageant parfois le sens de l'æuvre tout entière. Il en existe visme) est battue en brèche et la notion de personnage s'en ressent.
- le héros incarne les désirs d'exploration et l'ambition dans les trois types : la focalisation « zéro » où le narrateur est omniscient, la Loin d'être un surhomme, ou même un homme ordinaire, le héros
romans d'aventures et d'action; focalisation interne qui fait entrer le lecteur dans 1a conscience d'un des romans du xx" siècle se délite et se décompose ;
le personnage est soumis aux affres de la passion et est pris dans les
personnage ou, au contraire, la focalisation externe qui le place en - selon les auteurs du Nouveau roman (mouvance née dans les années
-
contradictions ou les doutes de ses sentiments et de ses désillusions situation d'observateur. r95o, à Paris), le roman n'est pas un moyen de connaissance. Il est,
dans Ie roman d'analyse et le mouvement littéraire du romantisme ;
avant tout (et peut-être seulernent), une écriture. Beckett, par exemple,
protagoniste cherche à affronter le monde et est avide d'ascension propose, dans ses romans, de longs monologues, ou discours, de per-
- Ie
Comme on l'a vu, contrairement au sens etymologique, le héros de sonnages dont on ne sait presque rien. Les consciences sont impossibles
sociale dans le roman réaliste ;
roman n'est pas un demi-dieu de iégende, il est plus proche de la à explorer, tout est opaque ou morcelé, les points de vue sur un même
- Ie personnage interroge le monde et l'individu dans les ceuvres
réalité. Il a donc la capacité, d'une part, d'exprimer les nuances des obiet se multiplient sans former une image nette ; le personnage n'est
du xx" siècle, etc.
Cosette chez les Thénardier par Emile Bayard (1837-1891). individus et, d'autre part, d'incarner différentes conceptions de plus qu'une conscience sans certitudes, il est presque englouti. ffi
Dans le roman réaliste traditionnel, il arrive que I'auteur lui-même
l'homme, selon les époques.
intervienne dans le récit et que voix recouvre celle du narrateur.
sa
Les personnages de romans portent encore parfois les valeurs des
Le personnage principal du roman sbppose au héros antique ou Lanaÿse littéraire désigne habituellement ce phénomène sous Ie nom
héros chevaleresques, ils sont alors des « modèles » dans Ie domaine
à celui du théâtre tragique : il n'a pas la grandeur et Ia noblesse des d' « intrusion d'auteur ». Mais s'agit-il bien de I'auteur ? La question
social, moral, spirituel, etc.
héros légendaires, il ne représente pas la lutte digne face à un destin reste en suspens.
Cependant, ils peuvent tout aussi bien être des héros « médiocres ». . La Peste d'Albert Camus
implacable. De manière nettement moins glorieuse ou grandiose, « Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Enfermés dans leur condition sociale ou familiale, iis ne sont pas ar- (Émile Henriot, de lAcadémie française,
Le Monde daté du t8.o6.t947)
1{ Le personnage de roman, du xvn" siècle à nos iours Le personnage de roman, du xvrr" siècle à nos iours 1§
UN SUIET PAS A PAS
UN SUIET PAS A PAS
a À intitulée La Promesse de Iaube, publiée en 196o. Le dernier est un emmène dans son exil. Monsieur Linh incarne donc une figure à la
#\Â*%T"kffiw lxYYskmæ-§r *
§§ ! - ^ !"
: extrait tiré d'un roman de Philippe Claudel publié en 2oo5, La Petite fois tragique et pathétique ; il est I'image souffrante et sublime de la
Fille de Monsieur Linh. guerre civile et de l'exil ; il est également le héros qui, malgré I'horreur
REPÈRES
zooM suR...
Les problématiques Jules Verne, Vingt mille lieues sous HEROS ROMANTTPUES PERSONN.AGE DE CONTE,
tine et martyrlsent Cosette. « Ces à l'air vivace et maiadif. Il allait, d'autres personnages. les mers,t869 ET LE « MOI » EN EMOI AU SERVICE DE LAVIS§E
Les personnages desMisérables
êtres appartenaient à cette classe venait, chantait [...] volait un peu, (le capitaine Nemo). Chateaubriand , Atala, rSor ; ARGUMENTATIVE
ile Victor Hugo, sont devenus, Cosette, la fllle de Fantine, mai-
bâtarde composée de gens gros- mais comme les chats et les Pas- ew"§gyâ§i?,æ § wqJ xx* §nxer.x René,t9oz. Yoltaire, Zadig, t747 ;
traitée par les Thénardier qui 1'ont WXî'&î,&§§§ATA,LX§
pour la plupart, des figures em' siers parvenus et de gens intel- sereaux, gaiement, riait quand Sartre,La Nausée,t938 (Roquentin) ; Candide, t759.
recueillie. Mérimée, Carmen,1845;
blématiques, ligents déchus, qui est entre la on l'appelait galopin, se fâchait Camts, L'Etranger, rg4z (Meursault). TIBERTINS
« Ses grands yeux enfoncés dans Zola, Nana,188o ; Flaubert, RAFTINEMENTS DE tA PSY.
classe dite moyenne et Ia classe quand on l'appelait voyou. » p^wwlY LxTlx xT &&§,§w x§T w§ Laclos, Ies liaisons dangereuses,
rA §rrrr-MÈRE HÉR0ÏQL,§ une sorte dbmbre étaient Presque Salammbô, t86z (Salomé). CHOLOGIE AMOUREUSE
Fantine, belle et naiVe ouvrière éteints à force d'avoir pleuré. Les dite inférieure, et qui combine r78z (Merteuil et Valmont).
quelques-uns des défauts de la se-
Balzac, La Comédie humaine
w*wwwx§ crAssrguE
abandonnée avec une enfant Pour coins de sa bouche avaient cette Javert qui traque )ean Valjean. (Rastignac) MONSTRES qUI EN DISENï M'" de Lafayette, La Princesse
courbe de l'angoisse habituelle, conde avec presque tous les vices « Quand Javert riait, [...] ses lèvres
;
Balzac, La
Comédie humaine,
BEAUCOUP SUR tA NATURE
Iaquelle elle fera tous les sacriflces. Maupassant, Bel-Ami, t885 de Clèves, t678.
de ia première (...). » 1830-1856 (Vautrin sous ses di-
« Fantine était belle et resta pure le qu'on observe chez les condamnés minces s'écartaient, et laissaient (Georges Duroi). HUMAINE
verses identités). sÉDUCTEURS
plus longtemps qu'elle put. Cétait et chez les maiades désespérés. » voir, non seulement ses dents, Rabelais, Gargantua, t534 ;
flls Thénardier, meurt mais ses gencives, et il se faisait &wxNTuÿ,lK§"§ w'*x*§T3§.L&.er.&§§x Mérimée,Ies âmes du purgatoire,
une iolieblonde avec debelles dents. Gavroche, Hvgq Notre-Dame de Paris, r83r
autour de son nez un Plissement Dumas père, Le Comte de Monte- v*Y§JL&ZX§, 1834 (Don luan) ;
Elle avait de lbr et des perles Pour glorieusement sur une barricade. (Quasimodo).
« C'était un garçon bruyant, épaté et sauvage comme sur un Cisto, tB 45-t846 (Édmond Dantès) Zola, Germinal, t885 Stendhal, Ie Rouge etle Noir,r83o
dot, mais son or était sur sa tête et Les Thénardier qui exploitent ;
blême, leste, éveillé, goguenard, mufle de bête fauve. (Étienne Lantier). (Iulien Sorel).
ses perles étaient dans sabouche. » odieusement la naiveté de Fan- »
« La Peste » dAlbert Camus finir, et dont on ne pourrait prétendre en analyser les thèmes et
épuiser la riche substance en un feuilleton. f 'en ai dit jusqu'ici I'essen-
tiel. Il y aurait beaucoup à souligner, pour admirer ou pour discuter.
Pour Ie candidat au bac de français, cet article, tiré des archives du
journal Le Monde, est un document exceptionnel. C'est Ia critique Quelques personnages accessoires me paraissent relever encore de la
Le prix des critiques
a été décerné ces iours-ci au nouveau livre de visible, une multitude d'hommes innocents sont atteints d'un mal du roman dAlbert Camus, La Peste, au moment de sa parution en philosophie nihiliste de I'Etranger. Tel vieux toqué qui s'amuse, par
iuin 1947. Lécrivain Émile Henriot le perçoit d'emblée comme « l'un exemple, à approcher des chats pour leur cracher dessus. Tel autre
M. Albert Camus,LaPeste,qlre je n'hésite pas à considérer comme un sans remède, contre lequel ils ne pouvaient rien. Quelques-uns d'entre
des ouvrages les plus importants non de l'année mais de l'époque ».
des ouvrages les plus importants non de I'année mais de I'époque. On eux se redressent pour tenter de secourir Ies autres, et s'y emploient Sept décennies ans plus tard, ce iugement paraît pleinement iusti- encore qui a un secret à cacher et se trouve bien de l'état d'exception
garde présents à I'esprit les écrits précédents de M. Camus, son noir avec une générosité et un courage magnifiques. Au nom de quel flé, tant cette æuvre a été, au fll des ans, rééditée et commentée. Le de Ia peste pour être à l'abri des gendarmes, et qui, le fléau dominé,
lecteur s'y trouve au cæur de la problématique du « héros » roma- devient fou et tire sur la foule... Ie n'entends rien à ces fantoches et ne
et terribleroman,l'Etranger,son essai capital, le Mythe de Sisyphe,et idéal Ie font-ils Quel idéal est-il capable de le leur inspirer ? Voilà le
?
nesque. À l'opposé de L'Étranger et de son antihéros indifférent
dans lbrdre plus immédiat du jugement sur I'actualité politique ses sujet de la Peste, et l'important de ce grand livre, actuel, moral, sans dans un monde absurde, La Peste a pour narrateur une figure de vois guère ce qu'ils prouvent. Mais il est un autre thème du livre ex-
lumineux articles de Combat. Ce romancier est au premier chef un métaphysique, purement et simplement humain. I'engagement, le docteur Rieux, qui mène la lutte contre l'épidémie trêmement émouvant pour nous, témoins rescapés de la guerre, de
de peste qui ravage la ville d'Oran. D'autres personnages risquent I'occupation, de l'exode : ce thème de l'exil, de la séparation et de la
moraliste, et c'est à ce titre qlue La Peste présente un intérêt essentiel Les personnages de M. Camus sont des hommes dépourvus d'espoir.
avec lui leur vie pour porter secours aux victimes. Le suiet du ro-
et marque une avancée considérable sur I'Etranger.Onvoyait dans ce IIs n'attendent aucune survie, aucune récompense posthume. IIs ne solitude, et de Ia longue macération dans Ie malheur où nous avons
man tient dans une interrogation : « au nom de quel idéal le font-
premier roman l'histoire d'un homme, assassin par hasard, étranger à savent ni d'où vient le monde ni où il va ; comme Sisyphe et l'Étran- ils ? » Larticle dtMonde propose une analyse détaillée de cette ques- vécu comme les pestiférés d'Oran dans leur effrayante quarantaine,
tout et à lui-même dans un monde absurde et fermé. Mais rejoignant ger, ils se voient pris sans sortie possible dans un cercle terrestre tion, mettant au jour Ia dimension universelle de la réflexion de qui joue de page en page à travers le livre, comme on vit, menacé, sans
camus sur l'homme, qui se fait au moyen d'un récit allégorique
Pascal sur Ia grandeur de l'homme, qui sait que l'univers l'écrase, alors et rigoureusement clos. Mais autour d'eux ils voient des hommes espoir, baignant dans le désastre et l'idée de la mort, séparé de ce que
oir l'épidémie représente un mal contre lequel chacun doit trouver
que l'univers n'en sait rien,le Sisyphe de M. Camus assurait aux âmes condamnés, iniustement frappés, voués aux misères, à la mort. Sym- sa propre raison de le combattre. Ibn aime, incapable d'aucun bonheur, impuissant contre le malheur ;
déterminées un arrangement tourours possible avec le désespoir : Ie boliquement aussi, c'est Ià la peste, dont nous sommes tous tributaires. et à la fln, le fléau vaincu, à moitié rompu, dolent et dominé par le
destin étant affaire d'hommes, disait-il, qui doit être réglée entre les Esprit critique délié, attentif à peser Ies mots qu'il emploie, se méflant souvenir de l'épreuve, au milieu d'êtres comme nous marqués et
hommes. En dépit des dieux, qu'il nie, Sisyphe touiours soulève les d'eux, et surtout des mots majuscules, dont il suspecte le conformisme même Paneloux, d'ailleurs, se dévouera comme les autres au secours inquiets, ainsi que l'héroi'que Rieux, qui sait que « Ie bacille de la peste
rochers. Ce sont d'autres sisyphes que, cette fois, M. Albert Camus et Ie tout fait sous une apparence éloquente, on aperçoit, tout au Iong terrestre des pestiférés, et il en mourra. Le journaliste Rambert est ne meurt ni ne disparaît jamais... ». La fln du livre cependant m'a fait
montre et met en scène dans la Peste, où, pour conclure affirmative- de son liwe, M. Àlbert Camus, cæur généreux, se donner beaucoup de pareillement un de ces hommes de bonne volonté en qui M. Camus a penser au squelette de Ligier Ricier, qui d'un bras décharné élève vers
ment, il pose le problème de savoir si lbn peut être saint sans Dieu. peine pour trouver un nom aux vertus, aux efforts actifs de ses héros : conflance : bloqué à Oran à l'intérieur du cordon sanitaire qui isole la le ciel son cæur, dans l'église de Bar-le-Duc. C'est enlisant ces quelques
Il y a quelques années, la peste a éclaté dans la ville d'Oran. La le docteur Rieux et ses acolytes, les volontaires, Tarrou,le bonhomme ville, où il n'était que de passage, il cherche d'abord à s'enfuir, et, quand lignes où M. Camus montre Ie docteur Rieux se décidant à écrire son
chronique rapportée par M. Camus, d'après son témoignage supposé Grand, le journaliste Rambert, l'abbé Paneloux, dévoués avec lui à il en a trouvé le moyen, il y renonce ; il aurait honte de quitter dans récit de la peste, « pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoi-
et les renseignements fournis par Ies témoins, commence sur une la Iutte contre le fléau. Il refuse de leur appliquer le mot héroïque, ces circonstances le petit groupe de soigneurs et de médecins auquel gner en faveur de ces pestiférés, pour Iaisser du moins un souvenir
description objective du fléau : I'invasion de la ville par les rats, pre- entaché de grandiloquence et d'intention spectaculaire. Comme c'est il s'est volontairement agrégé. Lui aussi il est de ces « médecins » de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire
mières victimes du mal et qui, chassés de leurs demeures souterraines, l'un de ces personnages qui fait ce récit de la peste et rapporte le zèle spirituels en la mission de qui M. Camus voit à iuste titre I'honneur simplement ce qubn apprend au milieu des fléaux : qu'il y a dans les
viennent mourir sur la place, au grand jour, répandant d'abord I'éton- de ses compagnons au secours des pestiférés, sans souci du danger de l'homme, dans ce monde absurde oir Ia seule raison d'être et la hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser... ». &§t
nement, puis la terreur,l'infection s'attaquant aux hommes et, de I'un couru, on admet sa pudeur à ne pas se considérer comme un héros. seule noblesse sont de servir l'homme et de l'aider contre ce qui le tue.
à I'autre, établissant son règne affreux dans la cité. Je ne m'attarderai Mais enfln l'héroiime existe, qui consiste à se dévouer, et même sans La Peste de M. Camus est de ces livres avec lesquels on n'en saurait Emile Henriot, de lAcadémie française,Ie Monde daté du 18.o6.1947
pas à souligner I'art saisissant du peintre en ce tableau, digne de Poe que ce soit pour Ia gloire... Passons.
et plus encore du Daniel de Foe dt lournal de I'année de la peste :le M. Camus risquera ici le mot charité, ailleurs le mot plus vague de
talent n'est ici que l'excipient propre à véhiculer bien autre chose que sympathie. Il fera même dire à l'un de ses porte-parole que c'est
Ia relation pathétique d'une catastrophe. Déflni dans ses circonstances par honnêteté qu'il fait périlleusement ce qu'il fait. Et il fera aussi
et dans son horreur avec une précision quasi médicale, ce malheur demander à un autre si lbn peut être saint sans Dieu. Pourquoi pas, si
public n'intéresse I'auteur que dans sa répercussion morale à travers Ia sainteté, même sans espoir de récompense, est un état de perfection
les esprits, et par lbccasion symbolique qu'il y trouve d'étudier le volontaire, comme chez celui qui par bonté, par altruisme, par amour,
comportement d'une société frappée d'interdit par un cataclysme. sbffre, se dévoue et s'expose pour ce qui Ie dépasse, idée ou prochain ?
Le dessein de M. Camus ne fait pas de doute : s'il s'en tient, tout au Dogme à part, Ie christianisme a gardé des racines profondes dans le
long de son dramatique récit, à ne faire état que de la peste imaginaire cæur de I'homme moderne ; la religion de l'humanité pure et simple,
d'Oran, il est éüdent que lbbjet de son livre est, sous cette romanesque à laquelle aboutit M. Camus, est un héritage chrétien, quoi qu'il en
transposition, une allusion constante au fléau de Ia guerre dont nous ait dit ; et sans. doute il n'a pas manqué de l'apercevoir quand, dans
sommes encore abattus, quoiqu'elle ait pour l'instant cessé de frap- son dialogue entre le docteur Rieux et Ie père jésuite Paneloux, il n'a
per, sans qu'elle ait pour cela cessé de nous maintenir par ses suites pu s'empêcher de faire intervenir le mot grâce. Lui aussi, Ie docteur
dans l'angoisse et le désarroi. fe noterai seulement, en passant, l'art Rieux, est un chrétien de comportement, à qui seulement manque la
extrême mis par I'écrivain à soutenir son allégorie sans tricherie ni grâce. C'est cequi justifie sa révolte, nettement professée, son refus
coup de pouce : nous ne sommes jamais qu'à Oran, et c'est de cette formel d'adhésion à une création qui permet la mort et la souffrance
seule peste qu'il s'agit. Mais c'est tout naturellement le lecteur, comme de l'innocent. Le problème est vaste, et M. Camus, honnêtement,
l'intention del'auteur l'y invite, qui s'élève au-dessus des données du ne l'élude pas. Il a très exactement enregistré le sermon vengeur et
Iivre et en dégage la haute portée dominante et philosophique. Telles scandaleux du père Paneloux, qui voit dans le fléau la main de Dieu
conditions rassemblées, les choses étant dites qui rendent ce malheur et une chance donnée au pécheur et au mécréant de se convertir. Le
t B fe personnage de roman, du xvl' siècle à nos jours Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours 1ÿ
L'ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS
Personnage romanesque et vision(s) du monde L'æuvre peut également être porteuse d'une réflexion philosophique,
débouchant soit sur un constat lucide (et parfois pessimiste) soit sur
une révolte.
Le roman est la création d'un univers qui fonctionne comme un reflet du monde réel. Que Toute l'æuvre romanesque de Maupassant est ainsi porteuse d'une
ce reflet soit déformé ou qu'il ait lieu dans un espace ou un temps différents des nôtres, le philosophie pessimiste, qui voit en l'homme un prédateur égoïste. À
lecteur effectue des « allers-retours » entre ces deux univers qui le mènent à une réf lexion l'inverse, Malraux, dans l?spoir comme d ans La Condition humaine,
révèle la faculté d'union et de solidarité des hommes.
sur notre monde. Le roman est porteur d'une ou plusieurs « visions du monde »,
Héritier du conte philosophique de l'époque des Lumières (xvrrr") où
s'est illustré Voltair e (C andide, Zadi g, Mi cromé g a s...), le roman à thèse
À la croisée de plusieurs visions du monde illustre un système philosophique ou une idéologie politique dans
Le personnage est rarement seul dans un roman. De fait, le roman Ies éléments d'un récit. Ainsi, Aragon, dan s Les Communistes, fresque
Un personnage de roman est, ne délivre pas un « message » simpliste et univoque, mais permet, romanesque en 6 volumes, publiés d,e t949 à r95r, rend hommage à
Gargouille surmontant Paris.
en quelque sorte, « plus que au contraire, une confrontation de perspectives. l'action courageuse des communistes dans les années tragiques de la
lui-même ». Le héros, pivot de Lexemple de La Peste est à cet égard éclairant : Rieux, incarnant « drôle de guerre » (1939) et de la défaite (r94o). Camus, dansL'Etranger,
Le romancier peut également critiquerla société dans laquelle il place ses
l'ceuvre, acquiert un statut qui illustre la philosophie de l'absurde exposée dans Ie Mythe de Sisyphe
Ia lutte contre le fléau, rencontre un iournaliste qui, lui, est prêt personnages dansUneVie,deMaupassant, Jeanne se trouve confrontée
:
est davantage que celui d'un et Sartre, dans Ia Nausée, donne une expression romanesque de
à tout pour quitter la ville, où la peste s'est déclarée, et rejoindre à la violence de son mari, à la cruauté d'une société de classes, sans
simple individu. Il peut alors, l'existentialisme développé dans L'Être et le néant.
sa bien-aimée. Pour lui, l'amour est plus important que la solida- pouvoir trouver d'autre « remède » que sa matemité. I-auteur, ici, ne
dans le roman, être le vecteur Le roman peut également être une vision du monde, non pas au sens
rité avec les habitants. Mais Rieux ne le condamne pas. Les deux iuge pas forcément sonpersonnage, mais ildéliweunevision du monde
d'une conception du monde. politique ou philosophique, mais au sens esthétique du terme. Une
perspectives sont ainsi données au lecteur, comme deux choix pessimiste en décrivant « objectivement » une vie ordinaire.
Le protagoniste, à travers son æuvre est faite de mots autant que de personnages, de rythmes et
Statue de Voltaire, à Ferney. personnels, engageant deux modes de comportement et deux
parcours, devient peu à peu le Le roman commê vision du monde de sons, autant que de thèmes. Cet entrecroisement des motifs et
visions du monde.
symbole d'une qualité : il incarne une vertu, un vice, ou une façon de Lesüsions du monde qui s'expriment à travers un roman sont portées, de l'écriture permet de transmettre au lecteur un autre regard sur
De plus, chaque personnage est un « composé » qui possède de
se positionnerparrapport au monde. Certains héros deviennent ainsi non seulement par les personnages et le narrateur, mais également le monde.
point que leur nom peut donner naissance
multiples facettes. Le romancier ne se contente pas de caricatures, il
des « §rpes », au à un terme par tous les motifs qui s'entrecroisent dans l'æuvre. Certains romans laissent ainsi une empreinte en nous par leurs
désignant un comportement général (Exemple : le « bovarysme »). construit un personnage riche qui sera sensible aux situations qu'il
Le romanpeut interrogerles modes de connaissance et les croyances descriptions, ou par l'imaginaire qu'ils nous offrent. Certains romans
Un héros romanesque peut, de même, révéler une vision du monde rencontrera et ses réactions ne seront pas toujours prévisibles. Dans
d'une époque. À Ia fin du xx" siècle, Zola (et tout le mouvement nous marquent par leurs descriptions, ou par l'imaginaire qu'ils nous
lorsque son itinéraire est à l'image de celui de tout un groupe. Lantier, LesMisérables, |ean Valiean est celui qui lutte contre les préjugés et
naturaliste) s'inspire de la biologie et des sciences expérimentales : offrent : Le Grand Meaulnes (Alain-Fournier), AuréIia (Gérard de Ner-
dans Germinal, représente ainsi les mineurs, la classe ouvrière : il vient en aide aux plus démunis, Ie père rêvé pour Cosette... mais il val), Au Château dArgol (Julien Gracq), ou encore ÀIa recherche du
tout en critiquant la société, il montre par là qu'il est en accord avec
donne au lecteur la possibilité de considérer la société selon un angle est également celui qui ne supporte pas d'être « dépossédé » de sa temps perdu (Marcel Proust) sont autant d'exemples d'æuvres dans
une vision « scientiflque » et progressiste du monde.
particulier, celui des opprimés. fille adoptive lorsque celle-ci tombe amoureuse : son amour paternel Iesquelles Ie monde est transformé par un regard. Le Iecteur est invi-
À l'inverse, Ia littérature romanesque du début du xx" siècle met en
Le personnage peut également être le symbole d'une cause àdéfendre. est à la fois admirable et abusif. té à se déplacer légèrement, à faire un pas de côté pour considérer,
doute cette notion de progrès. Céline s'inscrit en faux contre la vision
Il rassemble alors des hommes autour de lui, réunis par une même En outre, cette complexité est encore ampliflée par le « duo » formé plus qu'une « vision du monde », un monde « re-vu ».
du monde selon laquelle l'homme serait capable de maîtriser ses
vision du monde, et s'oppose éventuellement à ceux pour qui cette par le romancier et ses personnages. Ni le narrateur, ni le romancier,
inventions et ses connaissances.
vision est inopérante. Dans Ia Peste,le docteur Rieux estime qu'il n'y ne sont forcément en accord avec les visions du monde portées par
Dans un style d'écriture différent, le roman noir, apparu à la fin du
a qu'une seule attitude possible : lutter contre la maladie. Il est rejoint les personnages : I'ironie de Flaubert, dans L'Éducation sentimentale, vérité nous
xvrn" siècle, rejette I'idée selon laquelle la transparence et Ia
par un certain nombre de personnages, tandis que d'autres préfèrent fait éclater aux yeux du Iecteur l'aspect illusoire de Ia conception du seraient accessibles : des zones d'ombre entourent les personnages. . Marie NDiaye, vibrante solitude
se replier sur eux-mêmes : deux visions du monde se dessinent ainsi. monde de Frédéric Moreau. Le monde y est un labyrinthe obscur et effrayant. (Raphaëlle Rérolle, Ie Monde daté du z8.o8.zoo9)
. Michel Houellebecq, même pas mort !
(Raphaëlle Rérolle, Le Monde des livres daté du o3.o9.zoro)
zooM suR... CITATIONS
Le suicide dansleromary conscients d'avoir vécu 1'acmé de par |ean Valjean, l'homme qu'il a
leuramour, choisissent de mourir La protagoniste de Madame traqué sans répit, il se noie dans la . « On ne peut créer des person- mouvement dans le récit, de la . « Le thème de tout roman, c'est Admiration et pitié, telle est la de-
unefin de parcours tragique.
ensemble en ingérant une dose Bovaty, de Flaubert, publié en Seine pour mettre fin au dilemme nages que lorsqubn a beaucoup couleur, de la vie remuante. » le conflit d'un personnage roma- vise du roman. »
La vision du monde que laisse
massive de morphine. 1857, est la plus celèbre « suici- qui l'accable. étudié les hommes, comme on (Maupassant, préface de Pierre et nesque avec des choses et des (Duhamel, Essa i sur le roman, 1925.)
transparaître un personnage de
ne peut parler une langue qu'à la Iean,1887.) hommes qu'il découvre en pers-
roman trouve une signification dée » du roman français. Aban- KYOETTCH§N . « Les héros ont notre langage,
condition de l'avoir sérieusement pective à mesure qu'il avance,
particulièrement Iourde quand donnée par ses amants, affolée La Condition humaine de Malraux, .
Dans L'(Euvre d'Émile Zola, t886, apprise. » « C'est touiours nous que nous qu'il connaît d'abord mal, et qu'il nos faiblesses, nos forces. Leur
son « parcours » s'achève par le peintre Claude Lantier, mar-
par les dettes qu'elle a réussi à 1933, propose des flgures de suici-
(Dumas fils,Ia Dame auxcamélias, montrons dans le corps d'un roi, ne comprend jamais tout à fait. » univers n'est ni plus beau, ni plus
un suicide. cacher a son mari, elle s'empoi- dés héroiques, desrévolutionnaires
qué par l'hérédité alcooiique r8+8.) d'un assassin, d'un voleur ou d'un (ItJaiq ÿ st ème de s Be arx- Arts, tgzo.) édiflant que le nôtre. Mais eux, du
sonne avec de l'arsenic dérobé cor4munistes dans le contexte de honnête homme. » moins, courent iusqu'au bout de
ARIANE EÏ SOLAL qui lie les personnages des Rou-
Belle du Seigneur, de Cohen, 1968, gon-Macquart, est à la recherche
chez le pharmacien Homais. Ia guerre civile en Chine : Kyo qui . Pour le romancier obiectif, « la (Maupassant, ibidem.) . « Le but suprême du roman- leur destin et il n'est iamais de si
se suicide pour éüter la torture ; psychologie doit être cachée dans cier est de nous rendre sensible bouleversant héros que ceux qui
s'achèvepar Ie double suicide de la perfection. Incapable de ré- Tcheq blessé dans I'attentat contre .
le livre comme elle est cachée en « Le peintre qui fait notre portrait l'âme humaine, de nous la faire vont iusqu'à l'extrémité de leurs
simultané dAriane et Solal. aliser l'ceuvre qui représenterait Dans Ies Misérables de Victor Tchang-Kai'-Shek, qui se tire une
réalité sous les faits dans l'exis- ne montre pas notre squelette. » connaître et aimer dans sa gran- passions. »
C'est une sorte d'apothéose la Femme, il se pend devant le Hugo, publié en 1862, le policier balle dans la bouche. (Albert Camus, L'Homme révolté,
tence. Le roman conçu de cette (Maupassant, ibid.) deur comme dans sa misère, dans
paradoxale, les deux amants, tableau inachevé. Javefi a dédié sa vie à la loi. Sauvé manière y gagne de l'intérêt, du ses victoires et dans ses défaites. 1951.)
2O Le personnage de roman, du xvrr" siècle à nos iours Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours 21
UN SUJET PAS A PAS
UN SUJET PAS A PAS
36ooo Châteauroux de Ie rendre moins sombre. Votre lettre n'est d'ailleurs pas exempte de présupposés discutables : vous paraissez ainsi penser que mes romans ne
à Émilien Aloz sont qu'une photographie banale de la vie, que ce que ie raconte est nécessairement le fruit d'une expérience humaine authentique. Or, à f instar
r, rue de lAssommoir du romancier réaliste défini par Maupassant, dans sa préfac e à Pierre et lean, je prétends qu'un véritable travail artistique préside à l'effet de réel.
De la même façon, si je vous propose un univers pessimiste, c'est peut-être pour vous conduire implicitement vers une certaine forme d'idéal.
75o2o Paris
Prenez l'exemple du fameux roman de Maupassant, Urle vie : chaque aventure, chaque incartade coniugale, précipite l'héroine plus avant dans la
Monsieur, déception et l'amertume. Pourtant, la dernière page s'éclaire d'un espoir nouveau, à travers la présence d'un enfant, ce qui fait dire à Ia servante :
Je termine à l'instant le dernier roman que vous avez publié, intitulé Adieu Ia Vie. le I'ai lu avec beaucoup d'intérêt, et il me faut reconnaître la « La vie, ['..] ça n'est iamais si bon ni si mauvais qubn croit. » Les romans peuvent parler de la perte des illusions pour mieux appréhender la
qualité de votre style. Cependant, 1'e suis sorti totalement déprimé par la lecture de ce récit, qui impose une vision très pessimiste de la vie et du réalité et l'améliorer. Pensez-vous que, pour ma part, je n'ai pas d'idéal ? Croyez-vous que mon approche de Ia réalité reflète un dégoût de la vie ?
monde. |e ne partage pas du tout votre approche de la flction. l'attends de mes lecteurs autre chose qu'une simple réception passive de mes récits. certes, comme vous Ie sous-entendez, ie n'arrache pas mes
Pour moi, un roman est destiné à des lecteurs ordinaires, à la vie banale et sans relief. J'attends d'une flction littéraire qu'elle me fasse oublier, lecteurs à leur quotidien en leur proposant un univers parfois banal et réaliste. Cependant, j'ose croire que certains peuvent trouver du plaisir à
le temps d'une histoire palpitante, la morosité de mon quotidien. Or, à travers votre histoire sombre, vous nous renvoyez violemment à notre la lecture de mes æuvres ; non pas ce plaisir que vous décrivez, celui, un peu enfantin, d'avoir un désir immédiatement satisfait, mais le plaisir,
propre univers. Vos personnages nous ressemblent trop, avec leurs faiblesses et leurs vices. Ils sont « humains, trop humains ». Ne croyez-vous plus intellectuel celui-là, d'avoir l'impression de détenir des clés pour déchiffrer le monde. Ce genre de satisfaction dure bien au-delà de la lecture :
pas, pourtant, que l'écriture romanesque doit plonger le lecteur dans un univers où dominent la rêverie et une certaine forme d'idéal ? Songez mes romans sont là pour déranger, changer, bousculer le lecteur; celui qui se laisse prendre au,eu de Ia réflexion sur le monde, et qui n'évalue
donc à ces magniflques aventures racontées par Dumas, comme Ie Comte de Monte-Cristo. Le héros arrive par exemple à se sortir de situations pas un roman en fonction de sa capacité à susciter des émotions artificielles, comprendra sans doute que
ie suis un incorrigible optimiste. En
incroyables, à l'image du chapitre où il s'évade dans un cercueil, que deux gardiens vont précipiter dans lbcéan. Le lecteur ne songe plus aux tracas effet, ie vous fais conflance pour penser qu'il est urgent de bâtir un monde différent de celui que mes romans dépeignent.
qui encombrent son existence : il s'est identifié au héros, et iI sait que ce héros sortira vainqueur des épreuves qu'iI doit affronter. Pensez également
aux romans des chevaliers de la Table ronde, au cycle arthurien : bien sûr, il y a des morts, des traîtres, mais des personnages comme Lancelot du Je vous salue bien cordialement,
Lac, par leur haute valeur, tant guerrière que morale, s'affirment comme des exemples à suivre. Imposer un dénouement triste, mettre en scène Émilien Aloz
des personnages banals, c'est donner à vos lecteurs l'impression qu'it n'y a pas de possibilité d'un monde meilleur, que la création flctionnelle n'est
là que pour accentuer notre désespérance. Le roman doit-il être le miroir de notre monde ? fe suis certain du contraire : s'il peut être intéressant
de prendre appui sur la réalité socio-historique, le romancier se doit de transposer le réel pour Ie magnifier, de proposer un univers auquel nous
avons envie d'appartenir. Vous êtes écrivain, mais vous êtes sans doute vous^même un lecteur ; pensez-vous que lbn puisse lire si le plaisir est Ce qu'il ne faut pas faire
absent ? La vision du monde que vous nous soumettez renvoie à une réalité trop dure, trop noire, et transforme la lecture non en plaisir, mais en Présenter successivement deux exposés abstraits opposant opti-
douleur d'assister au spectacle d'une réalité toujours décevante, comme d.ans lllusions perdues, deBalzac. mismê et pessimisme, sans faire référence à des æuvres.
Dissertations
Monsieur 1'écrivain, méditez ces humbles remontrances avant la rédaction de votre prochain ouvrage : ie ne vous demande pas de faire des romans
-En conclusion du roman de Guy de Maupassant, Une vie, Rosalie
à l'eau de rose ; on peut faire de Ia bonne littérature avec de bons sentiments. Ie vous demande de porter un regard différent sur le monde. Les
déclare : « La vie, voyez-vous, ca n'est iamais si bon ou si mauvais
hommes nbnt pas besoin de vous pour être désespérés... qu'on croit ». Pensez-vous qu'un roman doit ouvrir les yeux du
lecteur sur la vie ou bien au contraire permettre d'échapper à la
Bien respectueusement, réalité ? (Sujet national, 2oo8, séries technologiques)
Guy des Gares - Le roman est-il « une feinte pour tenter d'échapper à l'intolé-
rable », comme l'affirme Romain Gary ? (Amérique du Sud, zoo9,
séries S et ES)
ton ange gardien Rudy, quel est son nom et quel est son rang dans comme un gros vautour « aux ailes repliées sous sa chemise ».
rvrarre r\ uLdye, vlDraIILe §olrLuqe la hiérarchie angélique ?» C'est quand ils parviennent enfin à voir Mais ce qui rassemble vraiment ces textes, ce qui leur donne
(en eux-mêmes et autour d'eux), quand le « masque de Ia cruauté » force et cohérence, c'est évidemment l'écriture de Marie Ndiaye.
Avec « Trois femmes puissantes », la romancière signe un roman saisissant sur le mal est enfin arraché, que les individus sont, en quelque sorte, sauvés. A la fois introspective et précise (l'utilisation des adjectifs et des
Pris dans ce rythme de flux et de reflux, les personnages finissent adverbes est étonnante de justesse), tour à tour éruptive et conte-
et la conscience de soi.
par appartenir à une même famille. Par un jeu de construction nue, cette langue ouvre sur le monde mystérieux des pensées les
Même très entouré, le critique est (ou devrait être) un marcheur les gagner, puis comment ils peuvent reprendre possession de très savant, l'auteur a fait de ces histoires iuxtaposées trois pièces plus secrètes - là où nichent, tels de grands oiseaux inquiétants,
solitaire. Un voyageur tenu de se fier à son propre jugement, à Ieur propre vie. d'un même ensemble, comme les volets d'un triptyque. Bien que le surnaturel et la magie qui naissent à l'intérieur de l'homme et
son expérience et, pour non objectif que cela puisse paraître, à D'une histoire à l'autre, le livre est traversé par deux courants sans lien apparent, ces femmes sont rattachées par des signes non pas en dehors de lui.
la boussole de son goût, marqueur du nord absolu. On imagine, souterrains, l'un descendant, l'autre ascendant. Le premier marque discrets, qui les font, en quelque sorte, moins seules. D'abord Ia En explorant cette part d'outre-monde que portent ses person-
dès lors, Ie léger vertige que peut déclencher en lui l'expédition I'invasion du mal, qui prend des formes très variées, bien qu'il récurrence de certains noms (Dara Salam, Ia prison de Rebeuss, le nages, en la faisant affleurer, Marie NDiaye la donne en partage.
collective, rituelle et largement médiatisée vers le maquis griffu s'incarne presque toujours dans des hommes (des mâles s'entend) prénom Fanta) et puis Ia présence insistante des oiseaux : Ia buse Et d'une certaine façon, par Ia grâce de sa littérature, parvient à
de la rentrée littéraire - avalanche de livres, brouhaha plus ou et emprunte la plupart du temps le chemin du mensonge. qui, s'élevant au-dessus de Rudy, « lui écorchalefront au passage », entamer un peu Ia solitude des êtres - du bout de I'aile.
moins orchestré, attentes fiévreuses, magnétisme contradictoire Pour Norah, l'avocate qui retourne au Sénégal après des années les corbeaux « noir et blanc volant bas » devant Khady et même
des ieux de pouvoir. Et son contentement (presque de l'euphorie) d'absence, c'est Ia personne du père et sa fausseté, son égoisme, I'ange gardien ou Ie père de Norah, perché dans un flamboyant, Raphaëlle Rérolle, Le Monde daté du z8.o8.zoo9
quand il découvre un livre tel que celui de Marie NDiaye : évident. son double crime caché. Pour Fanta, la femme de Rudy Descas,
Clairement, puissamment, élégamment évident. c'est le mensonge encore : celui de son mari qui, ayant « depuis
Il faut dire, et cela rend modeste, que l'effet de surprise est assez longtemps perdu tout honneur »,lui a caché les véritables motifs
faible. Depuis ses débuts précoces (elle a publié son premier livre à de leur départ du Sénégal et les conditions dans lesquelles ils
I'âge de 17 ans), Marie NDiaye a très souvent suscité I'admiration. La rentreraient en France. Pour Khady enfin, la jeune femme rejetée
beauté de sa langue, l'étrange force de son inspiration, sa maîtrise
du récit lbnt même imposée comme l'une des flgures importantes
par sa belle-famille, c'est la cupidité, la violence et l'humiliation,
mais aussi les trahisons auxquelles sont soumis ceux qui tentent
Michel Houellebecq
de la littérature française. A 4z ans, cette femme est donc, de
façon certaine, un écrivain. Sa voix s'élève, parfaitement nette,
de passer les frontières sans papiers.
Même pas mort !
singulière, au-dessus de tous les bavardages. Et Iaisse derrière elle
un écho vibrant, comme le montre fort bien son dernier roman, C'est au point le plus bas du malheur que s'amorce le deuxième
Troisfemmes puissantes,véritable concentré de toutes les qualités mouvement : l'émergence d'une conscience, au milieu des Houellebecq est mort. Assassiné. Tout s'est passé dans une maison électrise périodiquement la scène plutôt morne du débat d'idées,
dont elle avait fait preuve iusque-là. décombres. Comme souvent, les personnages de Marie NDiaye du Loiret, où l'écrivain vivait retiré, après avoir longtemps séiourné dans l'Hexagone.
Ces qualités ne se rattachent pas à un courant, une école, une gé- sont pris dans des phases de doute qui les conduisent au bord de en lrlande. L homme a été sauvagement déchiqueté, en compagnie Comment ? Par une stratégie romanesque deneutralité qui conflne
nération. Comme la plupart des véritables écrivains, Marie NDiaye l'égarement. Où passent les frontières entre le bien et le mal ? Qui de son chien. Leurs corps ont été découpés en lanières et mélangés à la violence. Un ton glacé, une froideur de jugement déroutante,
est seule. A peu près aussi seule que les femmes de son titre et, par est bon, qui est mauvais ? Qui est faux, qui est vrai ? Et surtout, de telle manière qu'il est devenu impossible de les distinguer. un manque d'affect que ne lui pardonnent pas ses adversaires. Sans
extension, que I'ensemble de ses personnages - ceux de son pre- comment discerner Ie démon qui se cache peut-être derrière le Interrogés, ses proches se sont montrés peu loquaces. Il « avait paraître s'en émouvoir, mais avec une intense vitalité, Houellebecq
mier roman Quqnt au riche avenir (Minuit, rg8S), de sa pièce Papa visage le plus angélique ? beaucoup d'ennemis », disent-ils seulement, et « on s'était montré pointe les dérives et les monstruosités de la modernité, faisant
doit manger,qui figure au répertoire de Ia Comédie-Française, ou Lasilhouette de l'ange, installée de façon plus ou moins grotesque avec lui injustement agressif, cruel ». surgir une grande étrangeté sous le quotidien trivial de la société
de Rosie Carpe (Minuit), Ie roman qui a reçu Ie prix Femina en zoor. dans la vie de Rudy Descas, est en fait une flgure tutélaire: « Qui est Fascinante mise en abyme : ces scènes, extraites de La Carte et le de consommation.
Cette solitude est même absolument centrale dans Troisfemmes Territoire, à paraÎtre ces jours-ci, mettent en évidence le paradoxe Derrière son masque, M. Tout-le-Monde est un « alien », et Michel
puissantes. C'est elle qui fonde le destin des êtres et, presque, leur du « cas » Houellebecq. Pour ce qu'on en connaît, voilà un homme Houellebecq un écrivain puissant, quoi qu'on en dise : loin des mille
humanité. Elle qui ravage et met en miettes, elle qui suscite Ia qui cultive un environnement personnel d'une extrême banalité (en livres bien polis qui, chaque année, ne font finalement ni chaud ni
douleur et l'incompréhension, mais elle aussi qui permet de se Après Ie prix Femina pour Rosie Carpe (zoor),la romancière Irlande, notamment). Un intellectuel qui se tient à l'écart de toutes les froid, les siens dérangent, révulsent ou ébranlent - ils agissent. Et
construire : à partir du balcon que leur solitude avance au-dessus francaise Marie Ndiaye obtint en 2oo9 le prix Goncourt pour son formes de glamour, de la bohème chic et des discours qui vont avec. s'ils provoquent, chaque fois, une réaction chimique sur l'esprit du
du vide, les humains peuvent prendre conscience d'eux-mêmes romanTroisfemmes puissantes, paru la même année. Quelques Un romancier qui traque les symptômes de la modernité à travers Iecteur, c'est parce que leurs questions sont, au fond, touiours les
et de leur existence. mois à peine avant cette distinction, Raphaëlle Rérolle avait les lieux, les objets, les pratiques et Ies pensées les plus ordinaires, nôtres - même et surtout quand elles soulèvent le cæur. Houellebecq
Ce qui ne signifie pas être heureux, du moins pas au sens doux proposé cette critique dans Ie Monde des livres. Composée de trois les moins dignes (en apparence) de susciter I'intérêt. n'est pas humaniste ? Il est humain. Et bien vivant.
et confortable du terme. On peut même dire que les personnages récits qui ne possèdent au premier abord que des liens extrême- Etvoilà pourtant l'écrivain qui attire, sur sa personne comme sur ses Lhomme Houellebecq est vivant, donc, mais son personnage meurt,
de ce livre nbnt du bonheur qu'une idée plutôt vague, voire pas ment ténus, l'æuvre de Marie NDiaye mérite pourtant le titre de textes, la plus violente explosion de critique et de haine dont la vie comme meurent un certain nombre des « personnalités » française
d'idée du tout. EIIes sont trois femmes, toutes trois originaires du roman si l'on accepte d'y voir avec la journaliste « trois pièces d'un littéraire française soit capable. L'homme aux procès retentissants, mises en scène dans le livre. Rien d'étonnant, puisqu'il s'agit, pour
Sénégal (c'est le pays du père de Marie NDiaye), au moins par l'un même ensemble, comme les volets d'un triptyque ». Troisfemmes celui que les jurés Goncourt n'ont touché que du bout des doigts, partie au moins, d'un roman d'anticipation, censé se conclure dans
de leurs parents. Deux sont vues de face et la troisième de profil puissantes rapporte en effet les destins divers, mais pareillement de peur de se salir les mains. Celui dont les changements d'éditeur un futur proche (une grosse vingtaine,d'années). Le personnage
ou carrément de dos, à travers le regard de son mari, Rudy Descas. marqués par la lutte contre l'influence pernicieuse du mal, de font parier presque autant que ceux d'un joueur du Real Madrid, principal, pourtant, n'est pas l'écrivain promis au carnage, mais un
A sa manière, chacune pose la question de la perversité, du mal et femmes solitaires et farouches. Le candidat au baccalauréat dont chaque livre est guetté comme I'arrivée d'un cyclone et dont ;'eune peintre, Jed Martin, qui pourrait être une sorte de double de
de Ia liberté. Autrement dit, de la manière dont les êtres peuvent trouvera ainsi dans cet article de quoi éclairer sa lecture de ces Ies rares apparitions sont passées aux rayons X, en France comme Houellebecq. Une silhouette très « houellebecquienne », en tout cas :
laisser le malaise des autres s'infiltrer en eux, la « corruption » vibrants portraits de personnages vigoureusement dessinés. ailleurs. Lécrivain qui, suscitant l'enthousiasme ou le dégoût, comme d'autres personnages croisés dans de précédents romans, fed
L évolution des formes th éàtrales Deux noms, en dehors des « philosophes », s'imposent dans ce Un théâtre de la « subversion » apparaît simultanément : Alfred farry,
xvrrr" siècle : Marivaux et Beaumarchais. Chez Marivaux, les per- avec tJbu roi, t9g6, présente une pièce faite pour choquer. Dans une
sonnages ne sont plus des types comiques ou des héros tragiques, certaine proximité avec le mouvement Dada ou le surréalisme, ce
mais des individus aux prises avec un questionnement sur leur théâtre reiette toute psychologie des personnages pour préférer une
identité. Ainsi, dans plusieurs comédies (par exemple La Double représentation brute, presque abstraite, de l'homme.
Le terme « théâtre » vient du grec theatron et signifie « le lieu où I'on regarde ». Le inconstance),les personnages cachent leur identité à Ieur promis(e), D'autres auteurs, comme Eugène lonesco, Samuel Beckett, Margue-
théâtre est ainsi, avant tout, un espace de spectacle. Né dans lAntiquité grecque, il en prenant Ie costume de son valet (ou de sa suivante). Chacun veut rite Duras, mettent en question dans leurs æuvres le personnage
en effet connaître son promis de façon masquée, mais c'est aussi théâtral,le genre des pièces, et le langage même. Des cris, des répliques
est devenu un genre littéraire (le texte des pièces) qui s'est épanoui de manière diver-
lui-même qu'il découvre dans ce jeu de masques. Beaumarchais, apparemment dénuées de sens se succèdent pour donner une image
sifiée selon les époques. A son origine, le théâtre est lié au sacré (culte de Dionysos fois drôle et effrayante de l'humanité.
avec Ie Barbier de Séville ouLe Mariage de Figaro, donne au per- à Ia
à Athènes, de Bacchus à Rome), caractère que I'on retrouve dans les mystères, qui La première moitié du xx" siècle marque aussi le retour du tragique
sonnage du valet une importance cruciale. Davantage que chez
:
reprennent, au Moyen Âg.,des épisodes bibliques ou des vies de saints, ei qui seront Molière (Scapin, Sganarelle...), il est, chez Beaumarchais, porteur de fean Cocteau, fean Anouilh, |ean Giraudoux reprennent, tout en les
condamnés par I'Eglise au milieu du xvr" siècle. revendications de iustice et d'égalité sociale : nous sommes dans modernisant, des mythes antiques comme celui d'Gdipe, dAntigone
un théâtre « pré-révolutionnaire ». ou d'Électre. IIs montrent ainsi, d'une part, la permanence des inter-
rogations humaines et, d'autre part, le sens nouveau que l'on peut
Si latragédie est le genre « noble » par excellence, Molière défendra
donner à ces mythes dans le contexte d'affrontement idéologique de
Le xvrr" siècle voit s'amorcer plusieurs nouveautés. Le métier de comé- avec beaucoup d'ardeur la comédie, et en exploitera toutes les res-
Au xrxu siècle, les règles du xvrr" siècle (les trois unités, Ia bienséance) l'après-guerre. À cette période également, des auteurs à la fois philo-
dien, même s'il est méprisé par l'Église et une part de l'opinion, fascine sources : de la farce à la « grande comédie », c'est-à-dire des comédies
sont déflnitivement abandonnées. Les auteurs romantiques veulent sophes et dramaturges proposent un théâtre « engagé » : Sartre (Ies
de plus en plus. Les femmes peuvent, quant à elles, enfln monter sur en vers, offrant des personnages nuancés, autour de suiets importants
un théâtre capable de mettre en scène l'histoire et le pouvoir, dans Mains sales, r9+8) et Camus (Les lustes, tg49).
scène. Enfln, en 163o, le théâtre est reconnu comme un art officiel par (cf. Tartuffe, Le Misanthrope).
Richelieu. Quelques décennies plus tard, Louis XIV agira en mécène et La règle dite des « trois unités » impose que le suiet traité par une une dramaturgie ample et un style qui ne soit plus soumis aux
pièce ait lieu en z4 heures, dans un seul lieu, et soit uni par une bienséances. Victor Hugo parle des unités comme d'une « cage ».
de nombreuses pièces seront créées à la cour du roi. Toutefois, le clergé
cohérence forte (on ne raconte pas plusieurs « histoires » à Ia fois). Dans cette mouvance, on peut également citer Alfred de Vigny ou
est, en majorité, hostile au théâtre et considère que les comédiens
On doit également observer la règle de bienséance : pas de sang ni de Alexandre Dumas, auteur des premiers drames romantiques (Henri
doivent être excommuniés.
Dans ce siècle dominé par le classicisme, la distinction entre les genres scène choquante sur scène. lll et sa cour,tSzg). Ce nouveau type de pièces engendre de véritables
Les auteurs les plus célèbres de ce siècle sont Molière pour la comédie, combats entre leurs partisans et leurs détracteurs. L'un de ces combats
théâtraux est nette : la tragédie et la comédie ont des caractéristiques
Corneille et Racine pour la tragédie. est resté célèbre sous Ie nom de la « bataille d'Hernani », en r83o,
propres et l'auteur se doit de les respecter. Il existe cependant quelques
quand de violentes altercations secouent la première représentation
formes « mêlées » : Le Cid, de Corneille, est ainsi une tragi-comédie.
de la pièce d'Hugo.
Les Comédiens italiens. Monsieur Ubu, Le Cardinal Richelieu
Les « unités », reconnues au xvrre comme essentielles pour la vraisem- Antoine Watteau, dAlfred JarrY.
c.1720.
blance, apparaissent peu à peu comme des carcans et les auteurs
cherchent à s'en défaire. De plus, les philosophes des Lumières Au xx" siècle, le théâtre emprunte différentes voies, encore creusée et
f,b prennent violemment parti contre le clergé et son attitude autoritaire diversifiées par Ies auteurs d'aulourd'hui.
Certaines pièces poursuivent dans la veine de la comédie de mæurs,
DEUX ARTICTES DUMONDT'A CONSUTTIR
. Le chemin qui conduit à la mort p. 32-33
§ envers le théâtre. Les « esprits libres » estiment que Ie théâtre est non
(Colette Godard, Le Monde daté dtt zt.o4.r99o)
seulement un divertissement innocent, mais également un moyen déjà présente au xvuo siècle, et qui avait connu un regain de succès à
. Patrice Chéreau, un théâtre de la vie p. 33-35
pédagogique : Voltaire et Diderot soutiennent l'idée selon laquelle la fin du xrx" siècle, avec Georges Feydeau et Eugène Labiche (auteurs (Brigitte Salino, Ie Mon de daté du o9.ro.zor3)
la représentation des vices et des vertus peut « éclairer » les hommes. de vaudevilles).
Molière. Jean Racine Pierre Corneille.
28 te texte théâtral et sa représentation, du xvn" siècle à nos jours Le texte théâtral et sa représentation, du xvtl" siècle à nos jours 2ÿ
UN SUJET PAS A PAS UN SU]ET PAS A PAS
b) ta libre expression des sentiments face à une mort âttendue provocateurs décrits dans une longue didascalie « Caligula se relève,
Commentaire de texte : Albert Camus, « Caligula » Relever la progression des sentiments : peur/ dégoût de sa lâcheté.
D'où son abandon à la mort libératrice : « |e vais retrouver ce grand
[...] lance son siège à toute volée en hurlant. » Meurtre de Caligula par
les coniurés = scène d'action violente, Ioin de la règle de bienséance du
vide oùr Ie cæur s'apaise. » périphrase = aveu de son athéisme, absence théâtre classique. Unanimité des coniurés souliSnée par les pluriels,
À I'histoire, Caligula, à l'histoire. d'un au-delà. Néant = apaisement espéré et anticipé dans la didascalie : les pronoms indéflnis « toutes », « tous » ; oir se distinguent « le vieux
Le miroir se brise et, dans le même moment, par toutes les issues, « Il semble plus calme. » patricien le frappe dans le fl6s » et Chéréa qui le frappe « en pleine
Caligula, empereur romain dé-
entrent les conjurés en armes. Caligula leurJait face avec t)n rire Jou. c) Face au miroir, le bilan négatif flgure », comme s'il voulait détruire un symbole.
ment et sanguinaire, esf assas-
Le vieux patricien lefrappe dans le dos, Chéréa en pleinefigure. Le rire Aveu de son erreur dans sa quête de l'impossible, dans son exigence b) La mort du héros de I'absurde : « un suicide supérieur »
siné en 41 après lésus-Christ par
d'absolu symbolisé par la lune. Mise en relief en tête de phrase du mot Rôle révélateur du miroir. Caligula brise son image en brisant le miroir.
une conjuration Jormée par les de Caligula se transforme en hoquets. Tousfrappent. Dans un dernier
« impossible » - ponctuation exclamative - emploi du passé comPosé Forme de suicide symbolique qui préflgure son abandon aux couPs
chefs de la noblesse et du sénat. hoquet, Caligula, riant et râlant hurle :
des conjurés. Courage et grandeur de Caligula : il « leur fait face, avec
Hélicon est son fidèle confident. Je suis encore vivant ! = quête appartenant au passé, vouée à l'échec. Gradation descendante
« limites du monde/ confins de moi-même) = rétrécissement de un rire fou ». Excite leur haine du tyrân fou et de I'absurde qu'il a
Cet extrait est le dénouement. Rideau.
1'espace, anéantissement de ses rêves. incarné : « Caligula, riant et râlant, hurle. »
(Albert Camus, Caligula,tg44,acte IV, scène 4.)
Analyse des raisons de son échec : quête insensée, contradiction c) Le testament de Caligula, en deux phrases riches de sens
Il tourne sur lutmême, hagard,
La première , n À l'histoire, Caligula, à l'histoire. » est un appel à la
va vers Ie miroir.
soulignée par l'antithèse compliqué/ simple. Goût de l'absolu ne
pouvant être satisfait par l'amour humain, imparfait, ni par l'amour postérité : désormais, Caligula appartient à I'histoire. La seconde : « )e
Caucwe(des bruits darmes)- 1...) Caligula, est un drame en quatre actes dAlbert Camus, publié en 1944 suis encore vivant ! » = cri paradoxal puisque Caligula meurt en même
C'est l'innocence qui prépare son d'un dieu. Questions purement rhétoriques, « Mais où étancher cette
Buste de Caligula et inspiré du destin du ieune empereur romain assassiné en 4r après temps sous Ies coups des coniurés (cri historique selon Suétone). Ce cri
triomphe. Que ne suis-ie à leur soif ? Quel cæur, quel dieu aurait pour moi la profondeur d'un lac ? »
Iésus-Christ. Mais l'auteur en fait un héros de I'absurde, aux côtés de Métaphore filée de la « soif » que ne peuvent étancher ni l'amour, ni prend surtout une dimension philosophique : par-delà sa mort, ce qu'il
place | |'ai peur. Quel dégoùt, après avoir méprisé les autres, de se
Sisyphe, de Meursault (L'Étranger) et de Jan, victime dtt Malentendu, la religion. Constat négatif, amer et résigné : « Rien dans ce monde, incarne, à savoir I'absurde, perdurera, s'incarnera sous d'autres visages.
sentir la même lâcheté dans l'âme. Mais cela ne fait rien. La peur non pour constituer ce qu'il a appelé « le cycle de l'absurde ». Par les hu-
plus ne dure pas. le vais retrouver ce grand vide où le cæur s'apaise. ni dans l'autre, qui soit à ma mesure. »
miliations infligées aux patriciens, les meurtres gratuits, il a réussi à d) La reconnaissance de l'échec inspire culpabilité et haine
Il recule un peu, revient vers le miroir. Il semble plus calme. Il recom- provoquer une révolte contre lui-même, contre l'absurde qu'il incarne.
mence à parler, mais d'une voix plus basse et plus concentrée. Reconnaissance explicite de son erreur dans l'exercice du pouvoir : Scène de dénouement très symbolique. Scène très théâtrale aussi,
Il n'a rien fait pour empêcher le complot qui se trame contre lui, parce « le n'ai pas pris la voie... ». Dernier sursaut : appel désespéré à son d'une grande intensité dramatique. Caligula = personnage maieur de
Tout a l'air si compliqué. Tout est si simple pourtant. Si j'avais eu la
qu'il a aussi pris conscience que « tuer n'est pas la solution ». Cette prise confldent Hélicon (deux occurrences exclamatives). Trois phrases l'æuvre de Camus qui fait écho à d'autres héros épris d'absolu : Hamlet
lune, si l'amour suffisait, tout serait changé. Mais où étancher cette
de conscience annonce et iustifie le dénouement : il ne lui reste plus qu'à négatives et l'adverbe « rien » = aveu d'échec total. Prise de conscience chez Shakespeare, dom |uan chez Molière. Enfin, en concluant à travers
soif ? Quel cæur, quel dieu aurait pour moi la profondeur d'un lac ?
(Shgenouillant et pleurant.) Rien dans ce monde, ni dans l'autre, qui iouer le dernier acte de cette tragédie qu'il a lui-même montée. Caligula, de sa culpabilité radicale et de celle d'Hélicon qui l'a soutenu dans son personnage qui n'a pas pris la voie qu'il fallait, Camus laisse en-
d'abord seul en scène devant son miroir, se lance dans un long mono- cette folie : « [...] nous serons coupables ». Comparaison soulignant tendre qu'il reste d'autres voies à essayer : celle de la révolte humaniste
soit à ma mesure. fe sais pourtant, et tu le sais aussi (il tend les mains
logue, qui occupe les deux tiers de la scène. Il y fait le bilan désespéré le poids de la faute et de la douleur qui l'accompagne. Généralisation et constructive contre l'absurde (cf celle du docteur Rieux et de Tarrou
vers Ie miroir en pleurantl, qu'il sufflrait que l'impossible soit. Limpos-
sible I Je l'ai cherché aux limites du monde, aux conflns de moi-même.
de son action, puis il s'offre aux coups des coniurés qui surgissent. On traduisant aussi l'écrasement de I'homme qui ne peut échapper à sa dans La Peste).
assiste à la mort de Caligula et de son fldèle confident, Hélicon. condition. Didascalies marquant sa capitulation et son désespoir :
J'ai tendu mes mains, (criant:) je tends mes mains et c'est toi que ie
Nous étudierons tout d'abord le face-à-face de Caligula avec lui-même, « s'agenouillant et pleurant », « il tend les mains vers Ie miroir en
rencontre, toujours toi en face de moi, et ie suis pourtoi plein de haine.
occasion pour lui de faire le bilan de son action, puis nous nous pleurant » avec des verbes qui soulignent son âccablement, son
fe n'ai pas pris la voie qu'il fallait, je n'aboutis à rien. Ma liberté n'est
pas la bonne. Hélicon ! Hélicon ! Rien ! Rien encore. Oh ! Cette nuit attacherons à l'étude de la dimension tragique et spectaculaire de la effondrement. Il ne reste plus à Caligula qu'à mourir, à se laisser tuer.
mort de Caligula, héros de l'absurde. II. Un dénouement tragique, spectaculaire et riche de sens Dissertations
est lourde ! Hélicon ne viendra pas : nous serons coupables à jamais ! Dans quelle mesure le costume de théâtre ioue-t-il un rôle impor-
a) Une scène d'action spectaculaire -
Cette nuit est lourde comme la douleur humaine. tant dans la représentation d'une pièce et contribue-t-il à l'élabora-
Des bruits d'armes et des chuchotements s'entendent en coulisse. Méditation interrompue par l'arrivée quasi simultanée des coniurés
tion de son sens pour le spectateur ? (Suiet national, 2oo4, S et ES)
(didascalies) et le retour précipité du confldent pour le protéger.
Hélicon (s urg is sant au Jond) L Le face-à-face de Caligula avec lui-même : le bilan de son action
« Garde-toi, Caïus ! Garde-toi ! » : impératif de mise en garde répétée et
- Dans quelle mesure le spectateur est-il partie prenante de la
Garde-toi, Caius ! Garde-toi I a) Caligula, seul face au miroir : situation symbolique et révélatrice représentation théâtrale ? (Sujet national, 2oo9, S et ES)
Une main invisible poignarde Hélicon. Caligula se relève, prend un siège
désespérée = fldélité d'Hélicon. Réaction surprenante de Caligula, - Dans quelle mesure peut-on affirmer, comme Eugène Ionesco,
Dégager la valeur symbolique de la situation en analysant les didascalies
bas dans la main et approche du miroir en soufflant. Il s'observe, simule
aucune surprise, aucun geste de défense. Mise en scène de soi, que le théâtre « reioignant une vérité universelle », « me renvoie
indiquant Ia gestuelle. Faux-monologue (= dialogue avec soi, alternance
(théâtre dans le théâtre), « il s'observe, simule », semble iouer. Gestes mon image » et qu'il est « miroir » ? (Polynésie,2oo9, séries S, ES)
un bond en avant et, devant le mouvement symétrique de son double des pronoms de première et de deuxième personne du singulier : « /e
dans la glace, lance son siège à toute volée en hurlant : sais pourtant, et tu le sais aussi. ») permettant un retour sur soi.
REPÈRES
REPÈ RES
Trois dramaturges I'art moderne et de l'art contem- Ce qu'il ne faut
porain. En ianvier zoo8, elle pas Iarre
té dont il découvrira pour finir d'un règne iuste et libéral, il de- infernale, créée en 1934: variation contemporains. Également auteur de romans et de
met en scène sa nouvelle pièce, Choisir cet exercice si vous
qu'elle n'est pas la bonne. Il ré- vient tyrannique et incarne la poétique inspirée de I'Gdipe roi récits, Yasmina Reza fait preuve
Le Dieu du carnage, au théâtre ne connaissez pas Ie thème
Créée en 1945, avec Gérard Philipe cuse l'amitié et l'amour, la simple figure d'un « empereur fou ». Il de Sophocle. d'un pessimisme voilé d'humour.
Né en t96o, il est à la fois drama- Antoine, à Paris. de la pièce ni sa place dans
dans le rôle titre, Caligula aeutne solidarité humaine, le bien et le ridiculise le Sénat et les consuls, . |ean Giraudoux, Ia guerre de Les personnages de ses pièces re-
l'æuvre de Camus !
première version, en 1921. Camus mal. Il prend au mot ceux qui l'en- fait assassiner ses proches. Une
turge, nouvelliste, romancier et flètent les défauts et le ridicule de
Troie n'aura pas lieu, 1935 : sur
présente l'argument : « Caligu- tourent, il les force à la logique, il coniuration le fait assassiner par réalisateur de cinéma. A.u théâtre, notre époque. Art $ggql a connu
l'impossibilité d'échapper à la
il a notamment créé La Nuit de
Jean-Michel Ribes, né en 1946, est
la, prince relativement aimable nivelle tout autour de lui par la des soldats de sa garde, en l'an 4r. un succès immédiat en France et acteur, dramaturge, metteur en
jusque là, s'aperçoit à la mort de force de son refus et par la rage de
guerre.
. Valognes (tggt), Variations énig- aux États-Unis. Lintrigue s'orga- scène de théâtre, réalisateur et
MOTS CLÉS
fean Anouilh, Euridyce, t94z :
Drusilla, sa sceur et sa maîtresse, destruction ou l'entraîne sa pas- matiques (t996) avec Alain Delon, nise autour d'un tableau blanc, scénariste au cinéma. Parmi ses
version modernisée du mythe
que "les hommes meurent et ils sion de vivre. » Monsieur lbrahim et les Jleurs du avec de flns liserés transversaux, créations : Théàtre sans animaux, « Il n'y a de théâtre vivant que si
Genre dominant du théâtre clas- d'Orphée eT d'Antigone, 1944, ins-
ne sont pas heureux". Dès lors, ob- Caligula, personnage historique, sique, la tragédie renaît au xx" pirée de Sophocle, elle devient Coran (1999), La Tectonique des que Serge vient d'acheter. Les en 2oo1, au Théâtre Tristan Ber- des auteurs y sont attachés. Ce
sédé par la quête de l'absolu, em- est connu notamment par La vie siècle avec la création de pièces l'allégorie de la Résistance. sentiments (zoo8). Kiki van Bee- avis de ses amis, Marc et Yvan, nard, Musée haut, musée bas, en sont les auteurs autant que les
poisonné de mépris et d'horreur, des douze Césars de l'historien qui renouvellent l'approche de . Henri de Montherlant, La Reine thoven (zoto\ est l'adaptation de sont partagés. Les trois amis vont 2oo4, au Théâtre du Rond-Point, troupes qui font les théâtres ».
il tente d'exercer, par le meurtre Suétone. Descendant dAuguste, son essai Quand je pense que Bee- s'entre-déchirer autour de ce ta- René l'énervé, opéra bouffe et tu- (|ean-Louis Barrault, Hommage à
grandes flgures des mythes et de morte, tg4z: évoque un épisode
et la perversion systématique successeur de Tibère, il devient l'histoire antiques. de la vie à la cour du Portugal au thoven est mort alors que tant de bleau blanc en invoquant des ar- multueux, en 2011, au Théâtre du Albert Camus, La Nouvelle revue
de toutes les valeurs, une liber- empereur en 3t. Après six mois . fean Cocteau, La Machine xrv'siècle. crétins vivent. guments qui tournent autour de Rond-Point. française, r96o.)
texte théâtral et sa représentation, du xvrr" siècle Le texte théâtral et sa représentation, du xvttu siècle à nos iours ]1
JO Le à nos iours
LES ARTTcLES DU Ï]r[on,ûe LES ARTICLES DU
Sans doute pourrait-on imaginer une vision moins coupante Démarche souple, jeunesse sans âge, Max Tidof, comédien de la
Le chemin qui « du texte de Koltès, texte formidablement dense et aérien, qui télévision qui fait ses débuts sur scène, est exactement le garçon
concentre l'essentiel d'une vie en mots simples, en phrases lumi- crédule et futé, indifférent à Ia vie comme à la mort, allant son
La dernière pièce de Bernard-Marie Koltès, « RobertoZucco », a été créée à Berlin à la neuses, en poésie pudique, en souffrance contenue, en rires un chemin sans tenir compte des obstacles. Il est presque pâle, et
Schaubühne, dans la mise en scène de Peter Stein. peu timides. Peter Stein balaie toute menace d'émotion équivoque. absolument présent : personnage d'un autre monde, contraire-
Avec une force inexorable, et bien entendu une intelligence, ment à « la gamine » Drie Lyssewski, blonde, charnue, magnifi-
une cohérence remarquables, il montre Ia marche d'un homme quement charnelle. Une enfant amoureuse, obsédée par son
Le t5 avril 1989, Bernard-Marie Koltès mourait. Exactement un an conséquence, de façon plus ou moins poussée, qui parfois tourne à
cerné de toute part, un tueur sans doute, un associal qui n'a pas amour. Ce n'est pas par inconscience qu'elle le trahit. Pour elle, Ie
après avait lieu à Berlin Ia troisième représentation de sa dernière Ia caricature quand il s'agit des filles et des voyous du Petit Chicago,
sa place dans ce monde qu'il ne comprend pas, et que cette sorte trahir serait ne pas Ie reconnaître et ses mots alors sont un can-
pièce, Roberto Zucco, en création mondiale à la Schaubühne, ou des gendarmes - qui portent un képi.
d'innocence place au- delà de l'amour et des lois. tique des cantiques. Roberto Zucco est une pièce faite d'amour.
version allemande de Simon Werle, mise en scène de Peter Stein. Ils arborent les signes de leurs stéréotypes, à I'exception de Ro-
Lhistoire suit celle d'un personnage réel, Roberto Succo, qui sans berto Zucco, et aussi de « la gamine », de son frère « le frangin »,
Colette Godard, Le Monde daté du 21.04.1'99c
motif apparent a tué père et mère, a été enfermé dans un asile du vieux monsieur, rencontré dans Ia nuit du métro et qui, de
psychiatrique, dont il s'est évadé. En fait, il avait Ie droit de sortir ce garçon dont le visage traqué s'affiche sur le mur, ne veut rien
et un iour n'est pas revenu. Il a fui, a tué plusieurs personnes dont d'autre qu'une voix sans identité. « Aidez-moi, dit-il, à I'heure ott
En r962, les Chéreau sont passés sur la rive droite, qu'ils nbnt plus 1966, L'Héritier de village, de Marivaux, qui créé l'événement au il devient mondialement connu. Il est saisissant, auiourd'hui, de
jamais quittée. Le père a repris la peinture, qu'il avait abandonnée Festival des jeunes compagnies de Nancy. constater qu'il avait 32 ans quand il a été appelé à Bayreuth.
pendant presque vingt ans, et la mère a continué ses travaux. Quel est ce ieune homme qui n'hésite pas à tordre Ie cou aux Après Ie Ring, personne ne peut rien lui refuser : il est au faîte de sa
Brigitte Salino retrace ici le parcours du metteur en scène et
Largent n'était pas toujours au rendez-vous mais les parents le textes et déploie un sens de l'image aussi sidérant ? Le mot de gloire, et il en profite quand Ia gauche, qu'il a toujours soutenue,
cinéaste Patrice Chéreau, décédé en octobre zor3. Elle évoque
cachaient délicatement aux enfants. Ils vécurent de la vente de surdoué vient aussitôt sur les lèvres, et la fameuse mise en scène arrive au pouvoir, en 1981. fack Lang, ministre de la culture, Iui
notamment la façon dont il a modernisé la mise en scène
trois tableaux de Rodin reçus en héritage : la grand-mère de la de liAffaire de la rue de Lourcine, de Labiche, confirme la même propose la direction d'un théâtre à Paris. Chéreau impose son
théâtrale par des choix esthétiques novateurs et un travail de
mère de Patrice Chéreau avait été un modèle du peintre. Le père n'a année que, oui, Patrice Chéreau et son théâtre violent, virulent et choix : Nanterre-Amandiers. Avec ses amis, Catherine Tasca, précision sur les décors, souvent fastueux. Héritier de Bertolt
jamais connu de véritable notoriété, quels que furent les efforts de somptueux, est sans pareil. Cela est si évident qu'il se voit confler, Alain Crombecque, Richard Peduzzi, il invente un proiet sans
Brecht comme dAntonin Artaud, Patrice Chéreau a su plonger
son fils, qui a tenu à reproduire son atelier dansCeux quimhiment toujours en 1966, la direction du Théâtre de Sartrouville. À zz ans. précédent : une sorte de Bauhaus où toutes les disciplines sont
les spectateurs dans une nouvelle dimension artistique et scé-
prendront train, vn f,lm largement autobiographique, comme
Ie Il entraîne avec lui fean-Pierre Vincent, et rencontre un jour un conviées, théâtre, musique, opéra, cinéma. Sans oublier I'école
nique, où le lyrisme et l'expressivité ont la part belle.
toute son æuvre d'ailleurs, puisée dans Ie cours des jours, des jeune homme qui frappe à la porte : Richard Peduzzi. À l'époque, des Amandiers, où se formeront Valeria Bruni Tedeschi, Vincent
rages et des sentiments. Perez, Laurent Grévill, Marianne Denicourt, Agnès )aoui... Patrice
Patrice Chéreau fait tout, mises en scène et décors. Désormais,
Et des rages, il y en eut beaucoup, chez Patrice Chéreau. À com- Richard Peduzzi sera, pour toujours, son décorateur. Plus même :
Chéreau revendique l'orgueil d'un proiet qui veut embrasser Ie théâtre. Entre-temps, il aura une nouvelle fois créé une æuvre
mencer par se trouver pire que laid, moche, à I'adolescence. Il ne monde et peut se le permettre. de Koltès : Retour au désert,joué non pas à Nanterre-Amandiers,
un frère dans le travail, incarnant des visions à vous damner
savait pas alors qu'il dégageait déjà une incandescence qui a frappé Le z3 février t983, Nanterre-Amandiers ouvre avec un coup d'éclat : mais au Théâtre du Rond-Point, à Paris. Avec facqueline Maillan et
l'âme. À Sartrouville, l'équipe milite pour que le théâtre sorte
tous ceux qui lbnt rencontré, dès ces années oir il était au Lycée la création de Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Michel Piccoli, frère et sæur ennemis dans Ia province française,
de la salle, aille dans les écoles, Ies usines. Sans lésiner sur les
Louis-le-Grand, et où tout a changé. Ou tout change, pour être Koltès. fusqu'alors, Patrice Chéreau a monté très peu d'auteurs au moment de la guerre dAlgérie.
moyens financiers qui, très vite, explosent. C'est Ia faillite, malgré
juste : car l'histoire de Patrice Chéreau s'écrit au présent, à partir contemporains. Il n'en cherchait pas, « parce que c'est comme en Si les créations des pièces de Koltès ont marqué les années
la réussite flamboyante des Soldafs de Lenz. Patrice Chéreau s'en
du moment où il découvre le théâtre, grâce à l'atelier du lycée. Il amour : quand on cherche, on ne trouve pas. Quand on arrête de Nanterre-Amandiers, elles ne les résument pas. Ce fut un temps
va. Il mettra quinze ans à rembourser les dettes, de sa poche. Et le
y passe son temps, s'essaye au jeu, mais très vite découvre que ce chercher... » une pièce peut vous arriver entre les mains, et vous à un phalanstère, ou flottait un
unique, où le théâtre ressemblait
voilà en Italie, ou Giorgio Strehler l'invite à rejoindre son Piccolo
qu'il aime, c'est organiser. Donc mettre en scène, diriger Ies autres. sidérer. Chéreau l'est totalement avec cette pièce de Koltès, dont parfum d'utopie : Jean Genet, dont Chéreau a mis en scène les
Teatro, à Milan.
II trouve alors sa place :« l'étaisfermé, dur, agressif. Le théatre mh il est impossible d'oublier Ia première scène. Vous êtes assis sur Paravents, est venu; Peter Stein a présenté les plus belles lrois
En avril 1970, sa première mise en scène, Splendeur et mort de
aidé à vivre », confiait-il. des gradins, face à un sable iaune et une bretelle d'autoroute sæurs, de Tchekhov, qu'on ait jamais vues ; Luc Bondy a fait ses
loaquin Murieta, de Pablo Neruda, lui vaut vingt-deux rappels
Dans l'atelier du lycée, il y a férôme Deschamps, facques Schmidt, interrompue net, et noyée dans les fumigènes. Une voiture arrive débuts fracassants en France avecTerre étrangère, de Schnitzler ;
d'une salle debout. Un an plus tard, il signe à Spolète, toujours
qui deviendra le costumier de Patrice Chéreau, et Iean-Pierre en crissant. Il en sort Ia musique de Caravan, de Duke Ellington. Alain Crombecque a fait entendre des musiques du Maghreb ;
en Italie, La Finta Serva (La Fausse suivante\, un Marivaux « scns
Vincent, qui pleure auiourd'hui un ami. Lépoque est intense. Il y a Puis la voix de Michel Piccoli, chef d'un chantier en Afrique où les Klaus Michael Grüber magnifiéLa Mort de Danton, de Büchner...
a
marivaudage, brutal et désespéré », écrit Colette Godard, dans
le théâtre, avec le TNP de Jean Vilar, à Chaillot, et Ia découverte, fon- Blancs écrasent les Noirs... Nanterre-Amandiers a été une école du regard, qui donnait envie
Le Monde. Puis c'est Lulu, de Wedekind, au Piccolo. Une autre
datrice, du Berliner Ensemble de Brecht, dans le cadre du Théâtre En 1983, Bernard-Marie Koltès a 35 ans. Avec Combat de nègre et de d'aimer le théâtre.
somptueuse critique sociale, un nouveau triomphe.
des Nations, à Paris, un festival qui fut aussi une université pour chiens, son nom est enfin associé à celui de Patrice Chéreau, qu'il Patrice Chéreau sut partir à temps. En 199o, il quitte les Amandiers.
C'est alors que le directeur du TNP de Villeurbanne, le metteur
toute sa génération. La troupe allemande, et ses fabuleux acteurs, veut absolument comme metteur en scène de ses pièces. Et Patrice Il lui faut respirer, se retrouver, prendre un nouvel élan. Il travaille
en scène Roger Planchon, un de ses maîtres, appelle Chéreau en
en particulier Helene Weigel, l'épouse de Brecht, marque tant Chéreau Ie veut absolument comme auteur. Ainsi se noue une his- d'un théâtre à l'autre, à l'Odéon pour Ie Temps et Ia Chambre, de
Chéreau qu'il fera souvent Ie voyage à Berlin, et qu'il apprendra
lui disant : « Tu ne crois pas que ce serait bien que tu reviennes poursuit, en 1986, avec la création
toire rare dans le théâtre. Elle se Botho Strauss, inaugurant les Ateliers Berthier avec Phèdre, de
en France ? » Lexpérience milanaise prend fin. Commence celle
l'allemand, à l'université. deQuaiOuesf. Un désastre. Lépoque s'est durcie, des illusions sont Racine, jouée par Dominique Blanc, et laissant, pour finir, ceRêve
Et puis, il y a Giorgio Strehler, qui vient à Paris avec L'Opéra de de Villeurbanne. Le premier spectacle, Massacre à Paris, de Jean
tombées, et le sida commence à faire des ravages. Cette collusion d'automne au Louvre, et I Am the Wind, au Théâtre de la Ville. Ces
quat'sous. Un autre choc esthétique. Et le cinéma, avec I'expres- Vauthier, d'après Marlowe, inspire à Bertrand Poirot-Delpech
de la vie et de Ia mort gagne le théâtre de Nanterre-Amandiers. deux créations lui ressemblent tant que leur souvenir contient
sionnisme allemand, et Ingmar Bergman. Patrice Chéreau dévore une critique assassine et une réponse tout aussi assassine du La drogue s'en mêle. Pour Quai Ouest, « tout le monde pète les toutes les autres : personne ne savait comme Patrice Chéreau
tout. En même temps, il se bat contre la guerre dAlgérie, qui lbuvre metteur en scène dans Ie Monde. Lépoque n'a pas peur du débat, plombs selon I'administrateur Philippe Coutant. Même le sage
», mettre en scène les visages et les corps, leur solitude intempestive
à l'engagement politique. Il est de toutes les manifestations, dont qui porte sur la conception du théâtre populaire, dans la France Richard Peduzzi, qui invente un décor de conteneurs portuaires et leur désir effréné de s'approcher, de se combattre ou de
celle de Charonne, Ie 8 février r9 62, avec son Bailly et son Gffiot, d'après-tg68. Et Chéreau n'a pas peur de défendre sa ligne, qui est dans lequel les comédiens se perdent. La presse n'est pas tendre. s'étreindre, dans la haine comme dans l'amour. À chaque fois, ces
ses dictionnaires de grec et de latin qui servent d'armes contre celle du renouvellement. Quitte à se faire traiter de dispendieux, Mais Chéreau ne lâche pas : il décide de monter une autre pièce visages et ces corps laissaient une part d'eux-mêmes, et vous,
qu'il vit alors, dans la rue, le marque
Ies forces de la police. Ce ce qu'il est : la beauté a un prix, et il se paye. de Koltès, Dans Ia solitude des champs de coton, en 1987, avec déchirée. Ainsi fut-il. Ainsi soit-il.
d'une manière indélébile, et explique pourquoi il sera beaucoup Ses années dans Ia banlieue lyonnaise marquent un tournant. Tout Laurent Malet et Isaac de Bankolé. En 1995, il reprendra la pièce,
moins actif, en r968 : l'enjeu lui semblera moins important que en faisant du théâtre, dont Ia mythique Dispute, de Marivaux, et la jouant avec Pascal Greggory. Ce sera un acmé du désir et du Brigitte Salino, Le Monde daté du o9.1o.2o13
l'indépendance d'une ancienne colonie française. un Peer Gynt, d'Ibsen, qui reste un de ses plus beaux spectacles, il
Ainsi, en trois ans, de 1959 à 1962, Patrice Chéreau trouve le signe son premier film,Ia Chair de I'orchidée,en974. Puis c'est la
socle sur lequel il va se construire. Deux ans plus tard, il signe sa Tétralogie de Wagner, à Bayreuth, en Allemagne, qui commence
première mise en scène, au lycée : L'Intervention, de Victor Hugo, sous les huées, en 1976, et s'achève, à sa dernière reprise, en 1980,
couplée avec les Scènes populaires dessinées àlaplume, par Henry par quatre-vingt-sept minutes d'applaudissements. Ce R ing fait en-
Monnier. Suivent, en 1965, Fuenteovejuna, de Lope de Vega et, en trer Patrice Chéreau dans la légende : de « superstar » européenne,
texte, mais aussi les lieux (décors), l'époque, les classes sociales des
ues personnages, etc. Il y a ainsi convergence entre la pièce telle qu'elle a
été écrite et la représentation.
Le théâtre est un genre littéraire, mais aussi un spectacle ; cette double dimension Cependant, le respect du texte et des conditions de création initiale
pose la question des rapports entre le texte et la mise en scène. n'empêchent pas que deux metteurs en scène donneront, pour la
même æuvre, un spectacle différent. En effet, Ies costumes, Ie ton ou
Ies déplacements des acteurs, Ie choix même des acteurs (connus ou
spéciflcité peut donner lieu à de ieux, si le spectateur en sait davantage inconnus, plus ou moins ieunes, de physiques différents, etc.) sont
qu'un personnage, comme dans le cas du quiproquo par exemple. autant d'éléments qui donneront au spectacle sa spéciflcité. Chaque
En prose ou en vers, Ie texte théâtral diffère toujours de la communica- metteur en scène offre donc un apport personnel âu texte initial.
tion de la « vie réelle ». En effet, il s'agit d'un texte littéraire, qui vise à Enfln, certains metteurs en scène choisissent de s'écarter délibérément
l'efficacité : les paroles prononcées doivent avoir un lien avec l'action del'un ou l'autre des aspects du texte initial : il y a alors divergence. on
représentée sur scène. D'autre part, dans les répliques, les rythmes peut ainsi transposer le sujet dans une autre époque (par exemple,
et les sonorités ont autant d'importance que le sens : il s'agit pour faire iouer une æuvre de Marivaux par des comédiens en fean) : Ie
le dramaturge d'engendrer des émotions chez le spectateur, de le Dans tous les cas, la convention choisie est acceptée par le sPectateur. texte est le même - cependant, il prend, par cette modernisation,
frapper, et de créer un univers. Cependant, chacune engendre des émotions différentes. un sens nouveau. Un metteur en scène peut également envisager
Les didascalies sont les indications scéniques que l'auteur donne au La musique, la lumière, Ies costumes, les décors..' sont autant d'élé- Ia pièce selon un angle original. Ainsi, le monologue de lÀvare, de
metteur en scène, aux acteurs, et éventuellement au lecteur, mais pas ments de mise en scène laissés à la discrétion du metteur en scène. Molière, dans lequel le personnage se plaint d'avoir été volé et de ne
au spectateur. EIIes sont souvent présentées en italiques, et signalent À chaque moment d'une pièce existent donc des choix à faire, qui pas retrouver sa « cassette », est d'un registre comique ; mais on peut
d'emblée qu'une pièce ne se réduit pas aux échanges verbaux entre engagent le sens de l'æuvre. le dire avec lenteur, sur un ton pathétique, comme Ie flt, par exemple,
Personnages. Les acteurs sont dirigés par le metteur en scène : leur travail commun Jouvet. Dans ce dernier cas, il n'y a pas « trahison » de I'auteur : le
permet de faire émerger une diction, un débit, des intonations, mais metteur en scène met soudain en relief un aspect du personnage qui
Si lbn excepte la commedia dellhrte (jouée aux xvr" et xvrr" siècles, en disparaissait sous le comique. Harpagon reste ridicule, certes, mais
aussi des gestes, des déplacements... Là encore, les choix effectués
Italie et en France), oir le texte est réduit à un canevas sur lequel les devient aussi émouvant et révèle le mal dont il souffre.
Une pièce de théâtre - sauf cas exceptionnel, comme Musset et son donneront une couleur spéciflque à Ia pièce.
acteurs improvisent, une pièce de théâtre est écrite par un auteur Spectacle dans unfauteuil par exemple - est écrite pour être iouée,
dramatique. Ce texte est composé de deux éléments distincts : Ie c'est-à-dire pour être mise en scène. Les didascalies restent des in-
dialogue, et les didascalies. dications, même si elles sont essentielles. Le metteur en scène a donc Le spectacle théâtral est à la fois « représentation » et « re-création » ;
Ainsi, Ie metteur en scène n'est pas un simple exécutant ; il ne peut
Le dialogue est le discours direct entre les personnages. Il permet un rôle décisifdans le passage du texte à la représentation concrète. par ces deux aspects, il permet la redécouverte de l'ceuvre originale.
pas se contenter de transposer les didascalies en éléments réels. D'une
au spectateur : Au xvrr" siècle, la règle des trois unités impose un seul lieu, un temps
part, parce qu'elles n'étaient pas fréquentes iusqu'au xrx" siècle ; d'autre
- de connaître les pensées et les sentiments des personnages ; réduit à z4 heures et une seule action. Le lieu peut être une pièce
part, parce que ces indications laissent encore de la place pour une
- de connaître les informations nécessaires à la compréhension de dans un palais, un intérieur bourgeois, une place, etc. que le metteur
la pièce
interprétation ; enfin, parce que chaque mise en scène est unique UN ARTICTE DU MONDE À CONSUTTEN
; en scène meuble et décore.
de ressentir des émotions.
et que Ie théâtre est un art « vivant ». La mise en scène est donc
- Au xrx" et xx" siècles, les lieux sont multiples, ce qui impose des change- . Les « quatre versants » de La Colline selon Waidi Mouawad
Le texte théâtral se distingue ainsi par une « double énonciation » « création », à partir de l'æuvre de l'auteur dramatique.
: ments de décors. Le metteur en scène peut choisir des décors réalistes p.4r-42
les acteurs se parlent entre eux (premier niveau d'énonciation), mais En règle générale, la représentation s'attache à rendre visible, par des (Propos recueillis par Brigitte Salino, Le Monde daté du r9.o 4.2cl6)
ou stylisés, voire de simples écriteaux indiquant la nature du lieu
ils s'adressent aussi au public (second niveau d'énonciation). Cette (renouant ainsi avec les procédés du Moyen Âge et de Ia Renaissance). signes, le sens de l'æuvre écrite. Les metteurs en scène respectent le
RE PÈRES
ZOOM SUR...
Lesformes du dialogue théâtral. le décor (exemple : « Devant le à lui-même. Il peut prendre la Les dffirents ÿpes de comique COMIqUË DE GESTES verra pas... le comique de si- mique qui consiste à traiter un
chateau. Perdican »), les bruits, la forme de stances, si le style en est réplique est une prise de parole tuation repose touiours sur un sujet héroique ou sérieux en des
La et les registres. Le comique de gestes fait la part
musique (exemple : << On entend poétique ; il peut être un aparté, par un personnage. belle à Ia mimique, à la grimace, à
« piège » dans lequel un person- termes vulgaires ou populaires.
Ces précieuses indications pour
soudain la valse qui recommence, si d'autres personnages sont sur nage, au moins, doit tomber. Le Le burlesque peut être rapproché
la lecture et la mise en scène l'exubérance gestuelle. Le comique
accompagnée de rires, de vivats, du scène mais ne sont pas censés Un avare, un misanthrope ne sont de gestes est « transformiste » : on
rire naît du bonheur de cette de la parodie, du pastiche ou de la
sont proposées dans le texte de Cette longue réplique, souvent catastrophe différée. Telle est la
bruit des verres entrechoqués. Puis entendre ce que dit le premier pas comiques en soi. Pourtant, ils rit de voir le corps de l'acteur s'apla- caricature en ce qu'il relève d'une
la pièce. Elles donnent des infor- argumentative, peut également situation de base, que l'auteur tra- imitation : l'idée est de travestir
tout s'arrête brusquement. »l ou personnage. le deviennent quand ce trait de
tir, s'allonger, diminuer, s'envoler...
mations sur le nom des person- appartenir à un registre lyrique. vaille ensuite à son gré, au moyen
encore les accessoires (exemple : caractère devient une folie qui les un modèle en mettant l'accent
nages, le découpage en actes et tragique, épique, etc. COMIQUE D[ MOTS du quiproquo, de la péripétie, du sur l'inversion des valeurs (le haut
« Caligula se relève, prend un siège aveugle et fait d'eux des Proies
scènes, le lieu, l'époque, les gestes, Il est employé pour donner à en- Mots déformés ou tronqués, al- coup de théâtre. Ainsi, dans le Tar- devient le bas opérant une démY-
bas dans la main et approche du faciles. C'est ce que l'on appelle le
les mimiques, le ton d'un person- tendre des faits qui ne sont pas Il s'agit d'une succession rapide liance de mots, réparties qui font tuffe de Molière, Orgon est caché thiflcation de l'héroïsme). Le rire
miroir en soufflant »). comique de caractère. Le naiT Or-
nage (exemple : « Figaro (seul, se représentés sur scène, soit parce de répliques dans laquelle les mouche, tels sont les ressorts du sous la table pendant que Tartuffe burlesque prend ainsi une signi-
gon, par exemple, sort de sous la
promenant dans I'obscurité, dit que la bienséance s'y oppose, soit personnages se répondent vers comique de mots. fait la cour à sa femme. flcation politique : il rabaisse l'or-
table ou il s'était caché et, au lieu
du ton le plus sombre.) »), l'énon- Le monologue est un faux dia- parce qu'ils se déroulent dans un par vers. Elle révèle un moment gueil des grands qui deviennent
de chasser Tartuffe de chez lui, COMIQUE DË SITUATION
ciation (exemple : « en aparté »), logue où le personnage se parle autre lieu ou une autre époque. intense d'échange. Le burlesque est un type de co- obiets de risée.
s'attendrit à ses discours. Tombera ? tombera pas ? Verra ?
16 te texte théâtral et sa représentation, du xvn" siècle à nos iours Le texte théâtral et sa rePrésentation, du xvrt" siècle à nos lours ]J
UN SU]ET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS
un ton trop brusque. |e n'ai qu'à n'y plus penser ; il est clair que ie autres ignorent mon identité. f'ai tellement d'identités différentes !
Questions liminaires : ne I'aime pas. Cela est certain qu'elle est iolie ; mais pourquoi cette
conversation d'hier ne veut-elle pas me sortir de Ia tête ? En vérité,
C'est-à-dire que lbn me prend pour ce que je ne suis pas.
Le crime - car il y aura un crime - n'est pas encore consommé. Et
Le monologue chez Molière, Beaumarchais, Musset et Tardieu j'ai passé la nuit à radoter. Où vais-ie donc ? - Ah ! ie vais au village. pourtant, chose étrange, moi Ie détective, me voici déià sur les lieux
Il sort. mêmes oir il doit être perpétré !... Pourquoi ? Vous Ie saurez plus tard.
(Alfred de Mussel,Onnebadine pas aveclhmour,aclelll, scène t, t834.) )e vais disparaître un instant, pour me mêler incognito à la foule
va, d'après lui, céder au Comte à qui elle a donné un rendez-vous secret.
étincelante des invités. Que de pierreries ! Que de bougies ! Que de
Texte r promenant dans lbbscurité, dit du ton le plus sombre.)
Frctno (seul, se
Texte 4 satins ! Que de chignons ! Mais on vient !... Chut !... |e m'éclipse. Ni
George Dandin, riche paysan qui a - femme
Ô ! femme ! femme ! créature faible et décevante !... nul Ilnbal est donné au château du Baron de 2... Les invités viennent tour à vu ni connu !
épousé la noble Angélique, paraît animal créé ne peut manquer à son instinct ; le tien est-il donc de
$
tour se présenter sur scène. Le premier d'entre eux est Dubois-Dupont. ll sort, par la droite, sur Ia pointe des pieds, un doigt sur les lèvres.
tromper ?... Après m'avoir obstinément refusé quand ie l'en pressais
seul sur scène. Dusors-DupoNr (il est vêtu d'un « plaid » à pèlerine et à grands carreaux (Jean Tardieu, Il y avait foule
<< ,nsn6lr », Id Comédie du langage,1987.)
devant sa maîtresse, à l'instant qu'elle me donne sa parole, au milieu ",,
Groncr Druorr - Ah ! qu'une
même de la cérémonie... Il riait en lisant, le perfide ! et moi comme un
et coffi d'une casquette assortie « genre anglais ». ll tient à la main
femme demoiselle est une étrange une branche dhrbre enfleur) Je me présente : ie suis le détective
benêt... non, Monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne I'aurez
-
affaire ! et que mon mariage est privé Dubois. Surnommé Dupont, à cause de ma ressemblance avec
pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand r. Àqui s'adressent les personnâges dans les différents monologues
une leçon bien parlante à tous Ie célèbre policier anglais Smith. Voici ma carte : Dubois-Dupont,
génie !... noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fler ! du corpus ?
les paysans qui veulent s'élever homme de confiance et de méflance. Trouve Ia clé des énigmes et des
z. À quoi servent, selon vous, les monologues proposés ?
au-dessus de leur condition, et s'al- Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine coffres-forts. Brouille les ménages ou les raccommode, à la demande.
de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire I tandis
lier, comme j'ai fait, à la maison Prix modérés.
que moi, morbleu ! perdu dans Ia foule obscure, il m'a fallu déployer r. La scène r de I'acte| de George Dandin de Molière, Ia scène 3 de l'acte
d'un gentilhomme ! La noblesse, Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses autant que... mysté-
plus de science et de calculs pour subsister seulement, qubn n'en a Y du Mariage de Figaro de Beaumarchais, la scène r de I'acte III de On
Alfred de Musset par de soi, est bonne ; c'est une chose rieuses... Mais vous les connaîtrez tout à l'heure. Je n'en dis pas plus.
Charles Landelle. 1854 mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez ne badine pas avec lamour de Musset et l'exposition de « Il y avait
considérable, assurément : mais |e me tais. Motus.
iouter... On vient... c'est elle... ce n'est personne. - La nuit est noire en foule au manoir » de Tardieu sont quatre monologues.
elle est accompagnée de tant de Qu'il me suffise de vous indiquer que nous nous trouvons, par un beau
diable, et me voilà faisant le sot métier de mari quoique ie ne le sois À chaque fois, un personnage seul sur scène prononce une tirade
mauvaises circonstances, qu'il est très bon de ne s'y point frotter. soir de printemps (il montre la branche), dans le manoir du baron de
qu'à moitié | Il shssied sur un banc. -Est-il rien de plus bizarre que qui peut être destinée à différents interlocuteurs. George Dandin,
Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connais le style des 2... Zède comme Zèbre, comme Zéphyr... (il rit bêtemenfl Mais chut !
ma destinée 7 [...] le personnage éponyme de la comédie de Molière, et Perdican, dans
nobles, lorsqu'ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. Cela pourrait vous mettre sur la voie.
(Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, La Folle lournée ou le drame de Musset, s'adressent tout d'abord à eux-mêmes. Ainsi, le
Lalliance qu'ils font est petite avec nos personnes : c'est notre bien seul Comme vous pouvez l'entendre, le baron et sa charmante épouse
Le Mariage de Figaro, acte ÿ scène 3,1784.) premier s'apostrophe lui-même en s'écriant « George Dandin ! vous
qu'ils épousent ; et j'aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de donnent, ce soir, un bal somptueux. La fête bat son plein. Il y a foule
avez fait une sottise », alors que le second s'interroge et déclare : « ie
m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme au manoir.
qui se tient au-dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense Texte 3
On entend soudain la valse qui recommence, accompagnée de rires, de
voudrais bien savoir si je suis amoureux » ou se demande à Ia fln : « Oit
qu'avec tout mon bien je n'ai pas assez acheté la qualité de son mari.
Perdican est amoureux de sa cousine Camille, qu'il doit épouser. Mais
vivats, du bruit des verres entrechoqués. Puis tout s arrête brusquement. vais-ie donc ? » Figaro, lui, s'adresse plutôt aux autres personnages de
George Dandin ! George Dandin ! vous avez fait une sottise, la plus
elle repousse son amour car elle a décidé d'entrer au couvent. Les deux
Vous avez entendu ? C'est prodigieux ! Le bruit du bal s'arrête net Ia comédie, bien qu'ils ne soient pas à ses côtés. Le début de l'extrait
jeunes gens ont eu une discussion animée. Seul sur scène, Perdican semble destiné à Suzanne à travers l'apostrophe u Ô femme ! », alors
grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et ie n'y quand ie parle. Quand ie me tais, il reprend.
s'interroge. que la suite prend directement à partie le Comte ; Figaro interpelle son
rentre point sans y trouver quelque chagrin. Dès qu'il se tait, en effet,les bruits de bal recommencent, puis s'arrêtent.
Devant le châfeau. Prnorclr.r )e voudrais bien savoir si je suis amou- maître et utilise le pronom « vous » comme si celui-ci était présent :
(Molière, George Dandin ou Le Mari confondu,acte I, scène r, 1668.) - Vous voyez ?...
reux. D'un côté, cette manière d'interroger est tant soit peu cavalière, « non, Monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas », déclare-t-il. Enfln,
Une bouffée de bruits de bal.
pour une fllle de dix-huit ans ; d'un autre, les idées que ces nonnes lui Dubois-Dupont s'adresse explicitement, et de façon déroutante, au
Texte z Vous entendez ?...
ont fourrées dans la tête auront de la peine à se corriger. De plus, elle public. Après s'être présenté, il amorce l'intrigue en ménageant un
Le valet du Comte Almaviva, Figaro, doit épouser Suzanne, servante Bruits de bal.
doit partir auiourd'hui. Diable, je l'aime, cela est sûr. Après tout, qui certain suspense, il suscite I'intérêt du spectateur en annonçant :
de la Comtesse. ll apprend que le Comte nh pas renoncé au « droit de Quand ie me tais... (bruits de bal)... ça recommence quand ie com-
sait ? peut-être elle répétait une leçon, et d'ailleurs il est clair qu'elle « Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses [...] Mais vous les
cuissage », ancienne coutume qui permet au maître de passer Ia nuit mence, cela se tait. C'est merveilleux ! Mais, assez causé ! fe suis Ià pour
ne se soucie pas de moi. D'une autre part, elle a beau être jolie, cela connaîtrez tout à l'heure. »
de noces avec Ia mariée. Figaro se plaint de son sort et de Suzanne qui accomplir une mission périlleuse. Quelqu'un sait qui ie suis. Tous les
n'empêche pas qu'elle n'ait des manières beaucoup trop décidées et
]8 fe texte théâtral et sa représentation, du xvrro siècle à nos iours Le texte théâtral et sa représentation, du xvlt" siècle à nos iours ]ÿ
UN SUJET PAS A PAS L,ARTICLE DU TIIIONTûC
Même si cette manière d'interpel- Par ailleurs, les monologues servent également à exprimer les senti-
ler le public est assez surprenante
et originale, il est évident que les
ments des personnages, à dresser une sorte de bilan et à révéler une
tension intérieure. Ainsi, George Dandin fait le constat de son erreur, sa
Les « quatre versants » de La Colline
autres monologues s'adressent
également au spectateur. En effet,
« sottise », et souligne sa souffrance en déclarant : « Ma ma'son m'est
effroyable maintenant [...] ». Surtout, les monologues de Figaro et de
selon Waidi Mouawad
selon le principe de la double des- Perdican mettent en valeur la grande agitation des personnages : Ies
tination théâtrale, toute parole questions et les exclamations y sont particulièrement nombreuses. Le nouveau directeur du théâtre parisien entend replacer « I'auteur au centre de la
prononcée sur scène est destinée Figaro exprime son amertume et sa colère, il est bouleversé à l'idée
à un personnage mais également
création ».
que Suzanne l'ait trahi et s'indigne de l'attitude du Comte qu'il traite
au public. De ce fait, George Dan- de « perfide ». Il revient également sur sa vie : « Est-il rien de plus
din, Figaro et Perdican s'adressent bizarre que ma destinée ? » Les propos de Perdican révèlent encore Le 6 avril, Wajdi Mouawad a été nommé à la direction du Théâtre na- intime. Il y avait dans ce théâtre, et dans ce théâtre seulement, la
aussi au public - qui a alors accès davantage le désarroi du ieune homme : il ne se rappelle plus oir il se tional de Ia Colline, à Paris, où il succède à Stéphane Braunschweig. possibilité de m'impliquer dans un proiet qui coniuguerait des
aux pensées du personnage - rend et s'interroge : « Ou vais-je donc ? » Son monologue est nettement Né au Liban en 1968, émigré en France avec sa famille en 1978, démarches artistiques personnelles et une implication publique
en ayant parfois un destinataire délibératif, il ne sait pas ce qu'il éprouve pour Camille et se contredit dont je rêve.
puis au Québec en 1983, l'auteur, acteur et metteur en scène s'est
plus spéciflque. George Dandin en affirmant tour à tour : « Diable, ie l'aime, cela est sûr » puis « il est
imposé comme un artiste de renommée internationale. Depuis La Colline est consacrée à l'écriture contemporaine. Je pourrais lui
vise par ses propos les paysans, clair que je ne l'aime pas ». Ces monologues permettent donc aux
Pierre Augustin Caron de 2072,11 vit de nouveau en France. Son histoire et son expérience apporter ce que j'ai expérimenté dans mon parcours, en tenant
auxquels il s'identifie en parlant personnages de se livrer à une introspection.
Beaumarchais par Jean-Marc compte des questions qui se sont posées ces deux dernières années
Nattier, 1755.
de « nous autres », et les nobles Enfln, le monologue peut également avoir une dimension critique. nourrissent son projet pour La Colline, qu'il dévoile au Monde.
dont il est question dans son C'est le cas, en particulier, de celui de Figaro, qui critique avec une dans Ie monde occidental sur « I'autre », étant moi-même cet
monologue. De même, Figaro, à travers le Comte, s'adresse particuliè- grande vivacité le Comte, il oppose son propre mérite aux privilèges « autre », évidemment bien intégré mais ne pouvant oublier ne
Pour quelles raisons êtes-vous revenu vivre en France, en 2012 ?
rement aux nobles, surtout lorsque ses paroles se font généralisantes : dont le Comte a simplement hérité en affirmant : « Vous vous êtes serait-ce que Ia prononciation de mon prénom.
« noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fler ! ».
Des raisons tout à fait personnelles - ie suis tombé amoureux
donné la peine de naître, et rien de plus. »
Les personnages de ces monologues ont donc différents destinataires. d'une femme française -, et d'autres très professionnelles. En
France, j'avais la possibilité comme artiste de me déployer de Autour de quoi avez-vous articulé votre proiet ?
2. Les quatre monologues du corpus remplissent différentes fonctions. manière plus libre, plus tranquille et plus discrète qu'au Québec, En partant de la notion de colline. Une colline a quatre versants.
Ces extraits servent en premier lieu à informer. Les monologues des où tout est centralisé à Montréal, dans un milieu très dense. Pour moi, l'un d'eux, c'est celui de l'adolescence, sur laquelle j'ai
comédies de Molière et de Tardieu, en particulier, sont situés dans Dissertations
il y a plusieurs réseaux, on peut tourner un véritable désir de travailler, comme ie n'ai pas cessé de le faire
l'exposition, ils informent donc le spectateur sur les personnages et
- Le monologue, souvent utilisé au théâtre, paraît peu naturel. En France, dans des
En prenant appui sur les textes du corpus, sur différentes pièces depuis dix ans. Il faut amener des adolescents au théâtre, pas
la situation, amorcent l'intrigue à venir et le genre de la pièce. George théâtres un peu partout, on peut à un moment donné faire un
que vous avez pu lire ou voir et en vous référant à divers éléments
nécessairement en programmant des spectacles pour eux, mais
Dandin apprend au public que, paysan enrichi, il a fait un mariage propres au théâtre (costumes, décor, éclairages, les gestes, la voix, événement important comme Avignon, puis revenir dans un
malheureux : il a épousé une ieune fllle de la petite noblesse qui le etc.), vous vous demanderez si le théâtre est seulement un art de en les invitant à suivre des répétitions, en leur proposant des
endroit plus humble. Cette diversité d'exposition et de production
méprise et considère cette union comme une mésalliance. Le thème l'artifice et de l'illusion. (Sujet national, zoog, séries technolo- ateliers d'écriture, en leur offrant des prises de parole. fe veux
giques) me convenait beaucoup mieux que la situation au Québec, où cela
et les personnages annoncent la comédie. De même, le monologue de faire en sorte qu'ils se sentent bien à La Colline, et qu'ainsi ils en
- On emploie parfois l'expression « créer un personnage » au suiet devenait très difficile parce que Ia moindre chose que ie disais ou
Dubois-Dupont joue un rôle d'exposition. Le personnage décline son d'un acteur qui endosse le rôle pour la première fois. Selon vous, deviennent les ambassadeurs auprès de leurs parents ou d'autres
identité et sa profession - détective privé - précise le lieu et l'époque peut-on dire que c'est l'acteur qui crée le personnage ? (Suiet natio- faisais pouvait provoquer des débats. Et puis, en France, je retrouve
adolescents qu'on n'arrive pas à rejoindre.
de la scène : « un beau soir de printemps [...] dans le manoir du baron nal, zoo9, série L) une culture qui m'est plus proche, celle de la Méditerranée.
- Selon quels critères, selon vous, une scène d'exposition est-elle Le deuxième versant, c'est celui des artistes. Je voudrais qu'ils aient
deZ... », et annonce une intrigue policière : « il y aura un crime » sur
réussie et remplit-elle sa fonction ? (Suiet national, zou, séries des moments oi.r ils puissent mener des recherches, dans les salles
un mode burlesque. Par ses jeux de mots, par sa mise à distance de technologiques) Vous avez dirigé deux théâtres, à Montréal et à Ottawa. Vous
l'illusion théâtrale, lorsque Ie personnage souligne les ieux sur le équipées et avec les équipes techniques, sans avoir à présenter un
- Au théâtre le rôle du metteur en scène peut-il être plus important aviez envie d'en diriger un en France ?
bruitage, le monologue annonce Ià aussi une comédie. que celui de l'auteur ? (Sujet national, zorr, séries L) spectacle à la fln. Je sais, pour l'avoir pratiqué, à quel point ce travail
Pas du tout.qui est merveilleux, dans cette histoire de nomi-
Ce
nation à La Colline, c'est qu'avant, j'ai dû refuser peut-être huit
RE PÈRES fois de poser ma candidature à des théâtres. Quand le ministère
appelait pour dire qu'un poste de directeur se libérait et me de-
Cet entretien avec Waidi Mouawad s'est tenu à l'occasion de sa
Quelques metteurs en scène du mandait si j'en avais envie, je répondais non. Avec ma compagnie,
xf siècle. lean-Louis Barrault (r9ro-r994) Antoine Vitez (1930-199o), pro- Ariane Mnouchkine (1939-), qui nomination au poste de directeur du théâtre de La Colline, à Paris,
a fondé en t946, avec sa femme fesseur au Conservatoire d'art anime depuis 1964 la troupe
je faisais les spectacles que je voulais faire, on tournait comme en 2o16. Celui qui s'était déjà rendu célèbre par son activité d'au-
Madeleine Renaud, la Compagnie dramatique, a eu une influence du Théâtre du Soleil donne une on voulait, on était peu nombreux et très fldèles les uns aux teur, metteur en scène, comédien mais aussi cinéaste présente
Roger Planchon (r93r-zoog) est une
Renaud-Barrault. Il accorde une déterminante sur le théâtre fran- importance particulière aux di-
flgure majeure du Théâtre national autres. Et on a eu des associations avec des théâtres, à Chambéry et explique ici son projet. En exposant sa conception des quatre
populaire, héritier de )ean Vilar. Il a
importance particulière au lan- çais d'après-guerre. Traducteur mensions visuelles (décors en
gage du corps, découvert grâce des auteurs russes - Tchekhov (Ia mouvement) et sonores (bande- puis à Nantes, qui ont été fortes. Le fait d'être artiste associé au versants de la Colline, voués respectivement aux adolescents,
mis en scène Brecht, Molière (Iar-
au mime. Directeur du Théâtre Mouette), Maïakovski (Ies Bains) -, son). Ses créations évoquent des aux artistes, à l'écriture et au public, Wajdi Mouawad révèle son
tuffe, George Dandin, LAvare, dont Festival dAvignon, en 2oo9, a été aussi très important pour toute
de l'Odéon, il monte les grandes il monte également des pièces du problèmes actuels : Le Dernier
ii interprète lui-même le rôle titre), désir d'élargir l'accès à ce lieu important de la scène dramatique.
Shakespeare (Henri lV, Falstffi, Cal-
et les pièces
ceuvres classiques répertoire grec avec notamment Caraÿansérail sur la vie quoti- la compagnie. On vivait donc dans une grande légèreté, qui me
les plus modernes : Rhinocéros un ÉIectre très personnel et des dienne en Afghanistan et celle Cet entretien permet donc au candidat au baccalauréat d'aborder
deron (la vie est un songe), et des convenait parfaitement.
créations d'auteurs contemporains
d'lonesco, Oh les beaux jours de æuvres contemporaines : Mère des migrants clandestins ; Ies le théâtre et sa mise en scène par un biais original qui met en
Beckett, Des fou rnées entières dans Courage, La Vie de Galilée de Bre- Éphémères, tranches de vie dans Mais quand le ministère a appelé pour La Colline, i'ai marqué
tels Arthur Adamov (Le Sens de la lumière la vie de cet espace culturel, en tant qu'elle se mêle à
les arbres de Marguerite Duras. cht, Le Soulier de satin de Claudel. Ia société d'aujourd'hui, alternant un arrêt, très troublant, avant de répondre. Je me suis demandé
marche, Paolo Paoli) et Michel Vi- la vie de la cité.
naver (Par- dessus bord). scènes comiques et pathétiques.
pourquoi. |'ai commencé à réfléchir, d'une manière extrêmement
{O Le texte théâtral et sa représentation, du xvrr" siècle à nos iours Le texte théâtral et sa représentation, du xvtf siècle à nos jours {1
L'ARTICLE DU]]IÛONûT
de laboratoire est important, que lbn soit un artiste débutant ou évidemment la programmation. J'ai un vrai désir de prendre
connu. |e voudrais aussi qu'il y ait à La Colline une équipe volante en compte l'histoire de La Colline qui, avec Jorge Lavelli, Alain Fran-
de dramaturges, à l'allemande. C'est important, surtout pour un çon et Stéphane Braunschweig, les précédents directeurs, a suivi
jeune créateur, d'avoir quelqu'un qui accompagne, nourrit d'un la ligne de l'écriture contemporaine. Mais je voudrais un peu
savoir, pose des questions... déplacer cette ligne : à côté de la création d'auteurs à découvrir,
c'est bien de présenter des chefs-d'æuvre reconnus, mais pas
Et les troisième et quatrième versants, qubffriront-ils ? nécessairement dans la grande salle ; il faut aussi reprendre des
Le troisième, c'est l'écriture. Je veux replacer l'auteur au centre de pièces d'auteurs vivants, c'est aussi important que d'en créer. Je
la dynamique de Ia création. Souvent, dans les théâtres, on invite veux également que soient présents des auteurs du monde entier,
d'abord un metteur en scène en lui demandant quel texte il veut en français ou dans leur langue originale.
monter. C'est très bien, mais j'aimerais un peu rééquilibrer les
choses, et partir vraiment de I'auteur. Je vais donc repenser les A quels auteurs pensez-vous particulièrement ?
comités de lecture, accompagner les jeunes auteurs, Ieur donner la fe préfère ne pas les nommer maintenant, parce que je ne veux pas
possibilité de tester ce qu'ils écrivent. Cela revient à faire avec eux créer trop d'attente. Mais je peux donner deux exemples d'écri-
ce que j'aurais voulu qu'on fasse avec moi quand j'ai commencé. tures contemporaines qui ne sont pas seulement des écritures
« diversité »: il ne fait que rappeler une différence et suppose qu'il son et de la vidéo. DU MOYEN ÂCE À NOS JOURS
existe un public qui n'est pas diversifié, ce qui est tout à fait faux,
chacun dans une assemblée étant différent de son voisin. Vous avez de nombreux engagements dans l'année qui vient.
,*;..I-Ï&*
pas sinon. En associant les habitants du quartier oir est située créer, d'ici là, un nouveau spectacle, il faut que j'en trouve un
qui permette de me présenter comme artiste au public. J'ai deux
La Colline manifestations. f'aimerais, par exemple, les inviter
à des
semaines pour finir la programmation.
à se retrouver une fois par an dans la rue, au cours d'une fête po-
Ensuite, je vais me concentrer sur l'équipe de La Colline. Parler
pulaire, où la parole des morts du cimetière du Père-Lachaise, qui
avec eux, voir comment on va travailler. Cette équipe passe d'un
est à côté du théâtre, serait reprise par les vivants. Cette manière
directeur-metteur en scène à un directeur-auteur. Ce n'est vrai-
dont ie rêve dbuvrir Ie théâtre, à travers des outils, des événements,
ment pas Ia même chose en termes de pensée. Dès que i'ai été
des spectacles, les adolescents, pourrait à moyen terme amener
nommé, j'ai rencontré cette équipe. Je lui ai beaucoup parlé d'une
un déplacement, une ouverture du public. |e serais heureux si j'y
notion qui me tient à cæur et me vient de ma Méditerranée natale :
arrivais au cours de mon mandat.
celle de l'hospitalité. C'est une notion importante, quand on dirige
un théâtre.
Vous n'avez pas parlé de la programmation. Quelle inflexion
voulez-vous lui donner ?
Oui, j'ai plutôt parlé de l'arborescence, qui va donner à I'arbre Propos recueillis par Brigitte Salino, Le Monde daté
sa beauté, comme je l'imagine. Mais le tronc principal, c'est dut9.o4.zot6
Place et fonction du poète au fil des époques Il se fait ainsi proche de chacun : le lyrisme de l'auteur renvoie le
lecteur à ses propres expériences et sensations. Les Romantiques ont
particulièrement revendiqué cette facette de la poésie.
if 't \lr.)\.r t 11" lt.f \\.\4[u)i
u"t
.
-^
q_,
Un poète est un écrivain qui compose de la poésie. Certes, mais au-delà de cette défi- Mais si le poète est proche de chacun lorsqu'il exprime ainsi ses émo- n
tions, il est en même temps différent des autres parce qu'il cherche à
nition standard, le terme de « poète » évoque une manière de voir la vie et de la vivre, qu'il éprouve et transforme des expériences vécues en mots
traduire ce
une faÇon d'appréhender le monde qui se marque par une certaine distance avec le caçables d altervers tes autres.I[a donc une sensibilité exacerbée d'une
« commun des mortels ». Quels rapports le poète a-t-il entretenu avec la société, au fil part et, d'autre part, le désir d'aller vers l'art. La fonction du poète peut
des époques ? alors devenir une fonction « éclairante ». Par son attention aux obiets
ou aux êtres, il nous révèle le quotidien sous un autre ,our. Ainsi, à la fln
« magiques » : lorsque nous donnons un nom à quelque chose ou du xrx" siècle, Rimbaud se déflnit comme un « voyant ». Partant du mot,
de sa polysémie et de ses sonorités, il cherche à dire, dans sa poésie, la
En Grèce, le poète (l'« aède », à quelqu'un, nous lui donnons en quelque sorte naissance, et nous
ffi
reconnaissons son existence. Enfln, Ia capacité qu'a le poète de faire
multiplicité du monde que notre langage quotidien tend à nier. Tandis
ou chanteur) est un artiste qui
que Ie langage commun reiette Ia complexité et Ie mystère, le langage
reçoit l'inspiration et chante les vibrer cette part « non-utile » du langage se traduit également par
poétique doit allervers l'inconnu, rechercher l'inédit afin d'élargirla
exploits des dieux (ou des héros, une forme de virtuosité. Il est celui qui fait rimer les mots entre eux,
pensée et la faire naître, telle est l'ambition des poètes symbolistes.
a c'est-à-dire des demi-dieux) en qui fait chanter la phrase selon un rythme : il redonne aux mots leurs
Le poète acquiert ainsi le statut de celui qui dit une vérité non'soup-
s'accompagnant d'une lyre. Le sonorités, et leur beauté. Tandis que le langage courant confond Ie
mot et Ia chose, le langage poétique fait retrouver aux mots les plus çonnée. La vérité poétique n'est pas une vérité scientifique, elle est
poète latin est lui aussi inspi-
un voile qui se lève, une découverte - parfois autour d'un élément
ré des dieux, puisqu'il en est banals leur « image sonore ».
qui semblait pourtant très familier. « Voilà pourquoi/ Je dis Ia vérité
f interprète. Être désigné, il se
sans la dire » (Paul Éluard, « L Habitude », Capitale de la douleur,r9z6.)
distingue du reste des humains
l^i: pr.:mf:* +t l* r:ltary*n
Enfln Ie poète est celui qui, par les mots, essaie d'entrevoir le monde
par ce « don » qui lui est fait, Le poète occupe une place spéciflque dans la société. Artiste, c'est un
homme « inutile » : dont I'ceuvre n'apporte rien de matériellement autrement. II peut aussi être celui qui guide ses lecteurs (et plus
Arthur Rimbaud par Étienne mais reste profondément un Pierre de Ronsard par l'école de Blois, xv e siècle.
Carjat, vers 1872. généralement Ia société) vers des idées ou un engagement. La poésie
nécessaire à la société. Et en même temps, c'est un homme nécessaire,
« homme », avec des faiblesses.
a alors une fonction politique : « Je serai, sous le sac de cendre qui me
son æuvre parle au cæur et aux sens, elle apporte un enrichissement
couvre, La voix qui dit : malheur ! La bouche qui dit : non ! » (Victor
émotionnel ou spirituel. C'est cette ambivalence qui explique les
Hugo, « Ultima Verba », Les Châtimenfs, t853.) ; « Et c'est assez pour le DEUX ARTICTES DU MONDE À COTTSUTTTN
différentes fonctions que Ie poète a pu se voir attribuer, ou qu'il a pu
poète d'être la mauvaise conscience de son temps » (Saint John Perse,
Le terme « poète », utilisé en français, a été formé à partir de la racine revendiquer lui-même. . Le cercle des poètes amateurs p. 4Z-48
discours de Stockholm, prononcé lors de la remise du prix Nobel, en
grecque « poieïn », qui signifie « faire, créer ». Un poète est donc avant Le poète prend en charge l'histoire d'un peuple, ou les grands (Anne Dujin,Ie Monde daté du or.o7.zot6)
décembre 196o) ; « La poésie est une insurrection » (Pablo Neruda, . Un rouspéteur de génie p. 48-49
tout un créateur, celui qui fait æuvre - mais la matière qu'il travaille événements qui lbnt marquée, et il les porte par sa voix. Il les fait
lhvoue que jhi vécu,tg87.). (A,lain Bosquet,Le Monde dalé du t3.o4.r977)
est spécifique, puisqu'il s'agit des mots. II se distingue des autres résonner, les magnifie grâce à l'ornement poétique, et les transmet :
créateurs pour plusieurs raisons. En effet, le poète est en partie lié au la poésie appartient alors au registre épique (Ronsard,, La Franciade).
sacré (à distinguer du religieux), à une manière enchantée, spirituelle À l'inverse, il joue également un autre rôle qui lui fait dire les mou-
Le poète joue donc des rôles non seulement variables, mais surtout
de voir le monde. Le langage, à la fois outil banal de communication vements les plus intimes du cæur. Dans ce cas, le poète n'est plus
antithétiques en apparence : dans et avec la société lorsqu'il est porteur
CHRONOLOGIE
et forme la plus haute de la spécificité humaine, est son instrument. l'interprète d'un groupe : il cherche par son lyrisme à exprimer les de sa mémoire et de son histoire ; exilé de cette société par une sen-
Aussi est-il très proche de chacun d'entre nous, mais nous avons tous sentiments et émotions qui l'étreignent (Ronsard, Sonnets pour Des æuvres littéraires symbolÎstes
sibilité personnelle ; proche de chacun à travers le lyrisme : ou encore
l'intuition que les mots, malgré leur utilité dans le quotidien, sont Hélène). «à l'avant » de la société, comme Ia proue d'un navire, quand il cherche 1873 1887
Une saison en enfer, Poésies,
à entrevoir ce qui n'est pas encore.
Arthur Rimbaud (poésie) Stéphane Mallarmé
zooM suR... 1874 1889
Orphée. serpent et meurt, Orphée est in- double de la figure du poète : il poème dresse un portrait plein zooM suR... Romances sans paroles,
Paul Verlaine (poésie)
Tête d'or,
Paul Claudel (théâtre)
consolable. Il se rend à l'entrée des est celui qui reÇoit un don, et qui d'esprit d'un animal.
Enfers et, grâce à son chant et à sa est proche des dieux, en même . Jean Cocteau : Orphée en tg5o et déchiffrements. » (Mallarmé, ré- 1876 1891
Selon la légende, Apollon aurait I\,{ALLARMÉ
musique, réussit à attendrir Cha- temps celui qui est profondément Le Testament d'Orphée en 196o. ponse à l'enquête de Jules Huret LAprès-midi d'un Faune, Cæur double,
fait don d'une lyre à Orphée, et ET tE SYMBoLISMË.
ron, le passeur, le chien Cerbère, homme. I1 permet également de Le mythe y est transposé dans le sur l'évolution littéraire.) Mallarmé (poésie) Marcel Schwob (roman)
« Nommer un obiet, c'est suppri-
les Muses lui auraient appris à en et Hadès qui permet à Orphée de mettre l'accent sur une fonction monde contemporain. mer les trois quarts de la iouis- L'ceuvre de Mallarmé se compose r883 1892
jouer. II devient ainsi capable de ramener Eurydice à la vie, à une fondamentale du
poète, celle . Marcel Camus : OrJeu Negro (t959) .
sance du poète qui est faite du de nombreux poèmes, appréciés Contes cruels, Pelléas et Mélisande,
charmer les animaux, les arbres et condition : il ne doit pas se retour- de l'enchanteur grâce à la puis- Le mythe est transposé de Thrace à de son vivant par un cercle res- Villiers de l'lsle-Adam (roman) Maurice Maeterlinck (théâtre)
bonheur de deviner peu à peu ;
les rochers. Il participe d'ailleurs à ner vers elle avant d'avoir revu sance du lyrisme et aux liens qui Rio de Janeiro lors du camaval. treint de connaisseurs. Parmi les
le suggérer, voilà le rêve. C'est le 1885 1897
l'expédition des Argonautes, et la lumière du iour. Mais Orphée unissent poésie et musique. . Marguerite Yourcenar : La Nou- membres de la ieune école sym-
parfait usage de ce mystère qui Les Complaintes, Iln coup de dés jamais nhbolira le
son chant parvient à charmer le ne parvient pas à respecter cette velle Eurydice (t93t). Roman privi- constitue le symbole : évoquer pe- boliste, fascinés par la profondeur
. lules Laforgue (poésie) hasard,
serpent gardien de la Toison d'Or. condition : iuste avant d'arriver à Ovide :
Les Métamorphoses légiant la figure d'Eurydice. tit à petit un obiet pour montrer de ses propos sur la poésie et la
Stéphane Mallarmé (poésie)
Lorsque son épouse Eurydice, la lumière, il se retourne - et perd (Livres X et XI - texte de référence). . lean Anouilh : Eurydice (t942). un état d'âme, ou, inversement, musique et qui viennent l'écouter r886
voulant échapper aux avances défi nitivement Eurydice. . Apollinaire : Le Bestiaire ou Lhéroihe est actrice dans une choisir un obiet et en dégager chez lui, on retrouve Paul Claudel Lesllluminations,
d'un dieu, est mordue par un Orphée donne ainsi une image cortège d'Orphée, r9tt. Chaque troupe de comédiens. un état d'âme par une série de et Paul Valéry. Arthur Rimbaud (poésie)
{{ Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours {§
UN SUJET PAS A PAS LES ARTICLES DU J]IIONûO
inépuisable. Quand les deux vertus coincident, Ia très grande poétiques de lbccultation : « La vie est une cerise / La mort
d'avance il châtie, se moque, tourne en dérision, grince, ricane,
poésie est atteinte. » Les poètes amateurs privilégient la pente P(}ur{QuCIt cIrT A}iTICI",E ? est un noyau / L amour un cerisier. »
refuse de rien prouver et ne promet rien.
de l'inépuisable, celle de la puissance de l'image. IIs sont, c'est
ii Délaissé des intellectuels, ce persifleur apparaît aujourd'hui
Le candidat au bac de français trouvera dans cet article un témoi- Cet existentialisme populiste connaît la célébrité en 1945,
certain, moins sensibles à Ia question de l'inaltérable, que seul comme un ancêtre de la poésie et de la contestation perpé-
gnage sur la vitalité de la pratique poétique dans la société actuelle. avec la publication de Paroles, le best-seller de la poésie au
permet d'atteindre Ie travail exigeant de la langue. Comme chaque année, la RATP a organisé, en zot6, son Grand Prix tuelle. Bien plus que la génération beatnik américaine, il a
vingtième siècle, au même titre que Toi et moi, de Paul Géraldy,
Reste que Ia pratique de I'écriture poétique est incontes- poésie et reçu plus de 8 ooo poèmes. La remise des prix est lbcca- exercé sur les poètes de mai 1968 une influence capitale, qu'ils
sion de dessiner un panorama de la poésie « amateur ». Anne Duiin la bible des midinettes. Ce succès n'était peut-être pas de bon
tablement vivante, et que la diversité des poètes amateurs répugnent d'ailleurs à reconnaître, étant ennemis de toute
y discerne trois registres dominants : le lyrique des éternels ro- aloi. En tout cas, les foules y découvraient un langage direct,
mériterait d'être beaucoup mieux cernée, entre des « poètes mantiques, l'épique dans la lignée des poètes de la Résistance, le historicité. Ce qu'il y a de spontané, de négligeant mais de
voire brutal, et une manière on ne peut plus tonique de tuer
du dimanche » qui s'adonnent occasionnellement à I'écriture ludique inspiré des exemples de Queneau. Il est certes facile d'op- puissant, dans notre lyrisme, doit son insolence à cet homme
poser à cette « production », qui reste soumise à une esthétique an- Ie sentimentalisme tout en ayant l'air de Ie défendre. L Europe
et des auteurs qui s'y consacrent de longue date, participent à sans idéal apparent et sans préiugés, dont le seul dessein avoué
cienne et marquée par la contrainte de Ia rime, la grande « poésie » de Ia victoire sans illusions trouve chez Prévert de quoi se
des ateliers d'écriture et cherchent activement à être publiés. a été de déranger un peu tout Ie monde, Ie bourgeois comme
des vrais auteurs. Il reste que la poésie des amateurs, stimulée par justifler et de quoi se fustiger. Prosaïsme, art du sketch plutôt
Car, outre les concours tels que celui qu'organise Ia RATP, de la facilité de la publication numérique sur les réseaux sociaux, est Ie prolétaire.
un signe encourageant de l'intérêt du grand public pour un genre que poème, tract plein de pieds de nez, chanson facile à boire
nouveaux vecteurs numériques de diffusion de la poésie ama-
devenu marginal dans l'édition. et à vomir : c'est tout cela qui émeut les milliers de lecteurs LE GARDIEN DE PHARE AIMETROP LES OISEAUX
teur apparaissent et accroissent la visibilité du phénomène,
chez cet homme libre, qui a des tendresses révulsées et des Des oiseaux par milliers volent vers les feux
naiVetés intactes sous les invectives. par milliers ils tombent, par milliers ils se cognent
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine. par milliers aveuglés, par milliers assommés
I Disait le père d'une voix courroucée par milliers ils meurent
À sonfils Prosper, sous l'armoire allongé, Le gardien ne peut supporter des choses pareilles
Un rouspéteur de génie A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine. les oiseaux il les aime trop
alors il dit : Tant pis je m'enfous !
Tu ne veux pas aller,
pourquoi donc ?
Et Et il éteint tout
Bien qu'il fasse partie du mouvement surréaliste, facques de description d'un dîner de têtes à Paris-France, paru dans pourquoi donc que j'irais pêcher une bête
Et Au loin un cargofait naufrage
Prévert y joue à ses débuts un rôle mineur et un peu gêné. II Commercel'année suivante, qui attire l'attention- Ie montrent un cargo venant des îIes
Qui ne m'a rienfait, papa,
n'est nullement un inconditionnel de l'écriture automatique, déjà soucieux d'une attitude sociale etasociale qui, à l'époque, Va la pêpê, va la pêcher toi-même, un cargo chargé d'oiseaux
et Ie royaume des rêves l'attire distraitement. Il ne va ni dans n'est pas celle des surréalistes. Descendant du dadaïsme, Puisque ça te plaît.. des milliers d'oiseaux des îles
Ia direction de Breton ni dans celle d'Eluard ou dAragon. Ce il tient
à souligner combien le comportement de l'homme La recette de Prévert n'est pas toujours si simple. Une fois Ia des milliers d'oiseaux noyés.
sont plutôt les jongleries de Robert Desnos qui I'attirent. Ses occidental est sot, ridicule, sans excuse. rengaine bien huilée, il faut la faire dérailler. Ce qui n'était
premiers textes - on en trouve dès r93o, mais c'est Tentative D'une certaine manière, il découvre I'absurde avant Sartre et Alain Bosquet, Le Monde daté du B.o4.tg77
que romance se termine en blague hénaurme. Ceux qui ont
I tt :-l fo rmes poétiq ues D'autre part, le rythme est également donné par la correspondance,
ou la discordance, entre le vers et la syntaxe (la phrase). En effet, un
vers ne correspond pas forcément à une phrase. Lorsque la phrase se
Le vers s'oppose,par définition, à la prose. On s'en sert lorsque le langage quotidien poursuit, il y a alors des phénomènes d'enjambement et de rejet.
n'est pas suffisant pour s'exprimer, notamment dans un contexte religieux, mais aussi
pour évoquer tout ce qui ne relève pas de la conversation ordinaire. On trouve ainsi, de
Les différents décomptes et les règles permettent d'établir des types
lAntiquité au xvrrr' siècle, des traités de physique ou de philosophie écrits en vers. La de poèmes, appelés poèmes à forme fixe.
poésie, étant elle aussi, un discours « autre », a souvent recours au vers. llfaut donc Quelques poèmes à forme fixe :
savoir en reconnaître les spécificités. -le rondeau se compose de trois strophes (un quintil, un tercet, un
quintil) et chaque strophe est formée sur deux rimes seulement ;
dées sur les mêmes rimes, plus un « envoi », strophe plus courte (la plus
La versiflcation francaise est héritée de la versification latine, mais, beau/ château (son [o]).
fréquente est formée de trois huitains d'octosyllabes et d'un quatrain) ;
en français, le décompte (la base de la versification) prend la syllabe Plusieurs dispositions possibles :
MOTS CLÉS
complexe.
« Murs, ville/ Et port,/ Asile/ De
tion et signification : le mètre uti-
lisé augmente d'une syllabe au fur
ENJAI\{BËMEr{:r
On appelle eniambement le fait
Sa position le met en valeur.
Le contre-rejet est le phénomène
zooM suR...
mort,/ Mer grise/ Où brise/ La et à mesure qu'est évoquée l'ap- inverse : un élément bref apparaît
proche des diinns (esprits mal- que la phrase déborde le vers distique est une strophe de deux
nérèse ; soit il désire une pronon- brise/ Tout dort. (sans insistance sur un élément). en fln de vers, alors qu'il est lié par La strophe
Dans la plaine/ Naît un bruit./ faisants) dans un crescendo oir le vers ; un tercet, de trois vers ;
Elles influent sur le comptage des ciation en deux syllabes, nommée le sens au vers suivant. Ensemble de vers séparé par un
C'est l'haleine/ De la nuit./ Elle bruit est de plus en plus effrayant. RE JEÏ' [T CONTITE"RE un quatrain, de quatre vers ; un
syllabes. Elles concernent l'âsso- diérèse. JE « Voilà le souvenir enivrant qui blanc constituant une unité poé-
brame/ Comme une âme/ Qu'une Ainsi, la première strophe est en I1y a un rejet lorsqu'un élément quintil, de cinq vers ; un dizain,
ciation de deux voyelles, dont la Exemple : « Vous êtes mon lion voltige/ Dans l'air troublé ; les tique, à la façon d'un paragraphe
flamme/ Touiours suit. dissyllabes, la deuxième en trisyl- bref, lié du point de vue du sens de dix vers. On ne trouve que
première est un i, u ou ou. Dans superbe et généreux » (Victor yeux se ferment ; le Vertige/ Sai- dans un texte de prose. Le mot
Hugo) La voix plus haute/ Semble un labes, puis le mètre passe au qua- à un vers, est reieté au début du sit l'âme vaincue... » (Baudelaire, appartient, à l'origine, à la poésie rarement des septains ou des
le langage courant, on prononce grelot./ D'un nain qui saute/ C'est drisyllabe et continue à s'ampli- vers suivant. negvains.
ces associations en une seule syl- On n'obtient les douze syllabes ibid.) lyrique : elle forme en effet une
le galop./ Il fuit, s'élance,/ Puis en fier lusqu'à un décasyllabe dans « Il est de forts parfums pour qui
Dans cet extrait, la partie en ita- cellule rythmique reproduite à Une strophe est isométrique
labe (synérèse) : nuit en une syl- de cet alexandrin que si l'on pro-
cadence/ Sur un pied danse/ Au la strophe centrale. Puis vient le toute matière/ Est poreuse. On di- l'identique au fil du poème et quand elle est constituée de vers
nonce li/on en deux syllabes lique est cette fois en position de
labe, union en deux syllabes, etc. bout d'un flot. [...] » decrescendo : le mètre diminue rait qu'ils pénètrent le verre » ayant tous le même mètre. Dans
(diérèse). contre-reiet : elle occupe la fin du peut, s'apparenter au couplet ou
En versiflcation, le poète a le (« Les Diinns », Les Orientales, de dans un mouvement inverse et (Baudelaire, « le Flacon », Ies le cas contraire, (fréquent dans
vers z, alors qu'elle est liée par le au refrain ou d'une chanson.
choix : soit il adopte le mode Victor Hugo, t829.) symétrique au précédent, symbo- Fleurs du Mal, t857.) les I'ables de La Fontaine) elle est
sens au vers 3. Il y a autant de types de strophe
courant, effectuant âinsi une sy- Nombre de syllabes d'un vers. lisant la menace qui s'éloigne. Lélément en italique est un reiet. que de formes poétiques. Un dite hétérométrique.
§O Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen Agt Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours §1
UN SUJET PAS A PAS UN SUIET PAS A PAS
Questions liminaires
EIle est partie, elle I Elle est bien partie. Elle ne revient pas attachement des poètes à une structure strophique
Est ainsi révélé un
: Est-ce qu'elle reviendra ? fe ne crois pas fe ne crois pas qu'elle revienne classique. Même si celle-ci est bousculée, elle demeure ici une base
Toi, tu es là Est-ce que tu es là ? Quelquefois tu n'es pas là. d'écriture.
Hugo, Éluard, Cadou et Tardieu Ils s'en vont, eux. Ils vont ils viennent
Ils partent ils ne partent pas ils reviennent ils ne reviennent plus
Les quatre poèmes du présent corpus s'inscrivent dans un registre Iy-
rique. Les textes 1, 3 et 4 mettent ce lyrisme au service d'une expression
Si le partais, est-ce qu'ils reviendraient ? personnelle des sentiments. Dans l'extrait des Contemplations, le poète
Au nom des femmes déportées Si ie restais, est-ce qu'ils partiraient ? exprime f intensité de sa souffrance au moyen d'exclamations et d'in-
Au nom de tous nos camarades Si je pars, est-ce que tu pars ? terjections qui ressemblent à des cris de souffrance (« Non ! » ; « oh ! »)
Texte r
Dans la seconde partie du recueil Les Contemplations, Victor Hugo Martyrisés et massacrés Est-ce que nous allons partir ? et d'interrogations dans lesquelles il apostrophe ceux qui ont pu
Pour n'avoir pas accepté I'ombre Est-ce que nous allons rester ? connaître la douleur du deuil d'un enfant : « Pères, mères [...] / Tout ce
évoque sa douleur de père après la mort de safille.
II nous faut drainer la colère Est-ce que nous allons partir ? que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ? ». Le poète a également recours
Oh ! ie fus comme fou dans le premier moment,
Et faire se lever Ie fer (lean Tardieu, « Formeries », L'accent grave et l'accent aigu, t976.) au discours direct, et rend ainsi sensible au lecteur une souffrance qui
Hélas ! et le pleurai trois iours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pour préserver l'image haute conflne à la folie : « Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé ! » Le
Des innocents partout traqués poème de René-Guy Cadou (texte z) évoque une rencontre et la nais-
Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,
Et qui partout vont triompher. sance du sentiment amoureux à travers un ieu complexe d'analogies,
Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ? Quelles remarques pouvez-vous faire sur la forme poétique de chacun
(laul Éluard, « Au rendez-vous allemand », Sept poèmes d'amour en mêlant comparaisons (« Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires »),
fe voulais me briser Ie front sur le pavé ; de ces poèmes ? Quelles fonctions les poètes attribuent-ils à la poésie
guerre, 1943.) allégories (« cette solitude / qui posait ses mains de feuilles »), méta-
Puis je me révoltais, et, par moments, terrible, dans chacun des textes du corpus ? Vous iustiflerez votre réponse en
phores (« pas brûlant ») et personniflcations (« ces millions d'astres qui
Je flxais mes regards sur cette chose horrible, vous fondant sur les procédés d'écriture qui vous semblent les plus
Et ie n'y croyais pas, et ie m'écriais : Non
Texte 3 se levaient »). On observe également un abondant lexique de la nature,
! remarquables.
Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires notamment celui du mondevégétal : « blé » ; « herbe » ; « feuille »,
- Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom Dans les années de sécheresse quand le blé associé au motif de l'eau (u pluie » ; « vin ») ou à f idée de son absence
Qui font que dans le cceur le désespoir se lève ?
II me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve, Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe (u sécheresse » ; « sèche » ; « brûlant »). Le poème de Tardieu exprime,
Qui écoute apeurée la grande voix du temps Les questions portent sur les formes poétiques et les fonctions du au moyen de tournures grammaticales et verbales, le lien amoureux
Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,
Je t'attendais et tous les quais toutes les routes poète, qu'il faut identifier de manière précise. La référence aux pro- autour du thème de la rupture (« je partirai ») et de l'absence (« 1u n'sg
Que ie l'entendais rire en Ia chambre à côté,
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait cédés d'écriture implique de les nommer précisément. pas là »). Derrière la fantaisie verbale - le poète s'amuse à décliner
Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,
Vers toi que ie portais déjà sur mes épaules des verbes et à jouer avec diverses tournures de phrases -, le poète
Et que i'allais la voir entrer par cette porte !
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais interroge (« interrogations ») les rapports amoureux, les diverses
Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !
Tu ne remuais encore que par quelques paupières formes de « conjugaisons » entre les hommes, notamment entre lui
Tenez I voici le bruit de sa main sur la clé ! Les différents poèmes de ce corpus, composés entre Ie xrx" et le
Attendez ! elle vient ! Iaissez-moi, que l'écoute ! Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées xx" siècles, présentent des formes poétiques variées. Le poème extrait et l'être aimé. Pour cela, il construit son poème sur un système de
Car elle est quelque part dans la maison sans doute ! ]e ne voyais en toi que cette solitude des Contemplatfons de Victor Hugo renvoie à la forme classique de répétitions et de variations légères (« Toi tu es là Est-ce que tu es là ?
Jersey, 4 septembre r852. Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou l'écriture versifiée, avec deux strophes de longueur inégale (seize vers Quelquefois tu n'es pas là. »). Dans la dernière strophe, l'anaphore
(Victor Hugo, Ies Contemplations, Iÿ r856.) Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie de Ia tournure interroga tive « Est-ce que [...] ? » trahit, au-delà du jeu
et un quatrain) constituées d'alexandrins disposés en rimes plates.
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait verbal, l'angoisse obsessionnelle du poète. Dans son poème (texte 4),
Dans le texte 2, Paul Éluard adopte une structure classlque avec cinq
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays Éluard attribue une fonction différente à la poésie : le lyrisme est bien
Texte z quatrains, et des vers octosyllabiques. Cependant, la rime est quasi-
Ces astres ces millions d'astres qui se levaient présent, mais il est mis au service d'un engagement politique clair et
Au nom du front parfait profond ment absente : on ne trouve qu'une rime suffisante (« colère »/ « fer »)
Au nom des yeux que je regarde Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres d'un appel à la résistance contre lbppresseur. Pour cela, il a recours
et une rime pauvre (« traqués »/ « triomphés »). René-Guy Cadou (texte
Et de la bouche que j'embrasse
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau à l'anaphore « Au nom de » et au lexique de l'émotion : « larmes » ;
3) utilise, lui aussi, une forme poétique traditionnelle : son poème
Pour auiourd'hui et pour tou- Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères est constitué de cinq quatrains, et les vers sont des alexandrins. Là « plaintes » ; « rires » ; « peur ». La femme aimée est également évoquée
jours Otr nous allions tous deux enlacés par les rues.
non plus, les vers ne sont pas rimés, si l'on excepte deux couples de sous laforme d'unblason :« front »;« yeux, ;u bouche ». Lidée de
t
(René-Guy Cadou, « Quatre poèmes d'amour à Hélène >», (Euvres révolte est, quant à elle, exprimée par la métonymie « se lever le fer ».
Au nom de l'amour enterré rimes pauvres. La forme du poème de fean Tardieu (texte 4) est la plus
poétiques complète s, r97 6.) On peut donc voir que Ie lyrisme poétique, dans sa variété, permet
Au nom des larmes dans le noir éloignée de Ia structure classique : un tercet et un sizain encadrent
Au nom des plaintes qui font rire trois strophes déstructurées, dans lesquelles on peut reconnaître la d'exprimer des sentiments personnels, mais qu'il peut également
Texte 4 devenir parole d'engagement dans le réel.
Au nom des rires qui font peur base de deux tercets et d'un distique. Sur le plan métrique, Tardieu
Conjugaisons et interrogations
Au nom des rires dans la rue s'applique également à mêler tradition et modernité : la première
[7 r§ De la douceur qui lie nos mains |'irai je n'irai pas ie n'irai pas
reviendrai Est-ce que je reviendrai ?
strophe est constituée de décasyllabes rythmés 2/ l4//4 et 4//6, puis
I Au nom des fruits couvrant les
fleurs
)e
)e reviendrai |e ne reviendrai pas
les suivantes sont en vers libres ; enfln, dans la dernière strophe, on
revient à des mètres identiflables (décasyllabes et heptasyllabes). Les
Ce qu'il ne faut pas faire
Présenter un relevé des procédés d'écriture sans les relier au sens du
Pourtant ie partirai (serais-le déjà parti ?)
Sur une terre belle et bonne rimes, quant à elles, sont absentes, mais le poète joue sur des effets de texte et à l'intention de 1'auteur qui les utilise.
Érato, muse de la poésie Au nom des hommes en prison
Parti reviendrai-je ?
répétitions et dbppositions (« ie n'irai pas »/ « Je ne reviendrai pas »).
lyrique et érotique. Et si ie partais ? Et si je ne partais pas ? Et si ie ne revenais pas ?
,
MOTS CLES MOTS CLÉS
ANAPHORE cher, dans le même énoncé, deux la rose/ Tétin plus beau que mille « une lame » pour dire « une
Quelque s pro cé dé s d' é cr itur e. avoir le sens plus vague de « res- sans que leur comparé soit exprimé. pensées, deux expressions, deux choses... » (Clément Marot, « Le épée »). La synecdoque est une va-
Une anaphore est un procédé qui
semblance » entre ces deux réalités. Il s'agit d'une flgure qui consiste Lorsque le comparé et Ie compa- mots opposés pour mettre en va- Blason du beau tétin », r535.) riété de métonymie qui élargit ou
consiste à commencer les divers
à désigner un obiet ou une idée rant sont présents dans Ia phrase, leur un contraste fort. restreint le sens d'un mot.
Figuration d'une abstraction membres d'une phrase par le
(exemples : l'amour, la mort) par Une comparaison rapproche deux
par un mot qui convient pour on parle de métaphore in praesen-
même mot. « Rome, l'unique ob- Elle consiste à désigner un obiet
un autre objet ou une autre idée fia ; quand seul le comparant est Le blason, très répandu ou une idée par un autre terme
une image, un tableau, souvent idées ou deux obiets (ou un obiet iet de mon ressentiment !/ Rome, au
Le registre lyrique est I'expression
liés aux précédents par analogie. présent dans la phrase, on parle est un poème à rimes que celui qui lui convient. La com-
par un être vivant. et une idée) et un rapport d'ana- à qui vient ton bras d'immoler xvre siècle,
des états d'âme et des émotions,
La métaphore fusionne, donc, les de métaphore in absentia. plates qui Ioue ou qui dénigre (qui préhension se fait grâce à une
logie est établi entre ces deux élé- mon amant !/ Rome qui t'a vu positifs ou négatifs : bonheur,
deux termes de la comparaison en « blasonne ») un obiet. Ce peut relation de cause à effet entre les
ments. Elle comprend touiours au naître, et que ton cæur adore !/
Lanalogie est une identité de un seul ; il s'agit d'une comparai- être la guerre ou l'amour, mais, le deux notions (exemple : « boire ioiè, espoir, plainte, regret, nostal-
fonctionnement ou un modèle moins deux termes (un comparé Cette figure de style confère à Rome enfln que je hais parce gie, etc. Un texte lyrique peut être
son sans terme comparatil d'une plus souvent, il s'agit d'une partie la mort » pour (( boire le poi-
et un comparant) et s'opère grâce des entités abstraites, ou à des qu'elle t'honore ! » (Corneille, Ho- qualifié d'élégiaque s'il exprime
commun entre deux réalités dif- comparaison implicite. du corps féminin que chante le 5en »), ou de contenant à contenu
à un terme comparant (ainsi que, inanimés, des traits de comporte- race, acte IV scène 6, 6qo.\ la mélancolie. Le thème en est
férentes. En général, elle implique La métaphore est dite fllée quand le poète : son ceil, son sourcil, son (exemple : « boire un verre » pour
un raisonnement (raisonnement comme, de même que, pareil à, comparant est développé par plu- ment, de sentiment ou de pensée ANTTTHÈSE/ OPPOSTTTON front, etc. « Tétin de satin blanc « boire le contenu d'un vslvg ») ou souvent Ie malheur en amour ou
par analogie) mais elle peut aussi tel, etc.). sieurs mots qui lui sont apparentés, propres aux êtres humains. Une antithèse consiste à rappro- tout neuf/ Tétin qui fait honte à encore de partie à tout (exemple : la mort d'un être cher.
§2 Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Age à nos iours §],
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de cet amour mais le motif même de son incandescence. Voyant il reverra une dernière fois, brièvement, la jeune femme libérée la place virile du seigneur et maître. En fait, c'est une véritable
mourir leurs camarades dans les déluges du feu et de la mitraille, et volage. Il continuera à lui écrire, occasionnellement, jusqu'à Ia vision solidairement mystique et érotique qu'il élabore à me-
sure. Sa morale prend une allure paradoxale Peu de gens se
Pour le candidat au baccalauréat, la correspondance
les soldats de la Grande Guerre devaient penser en tremblant fin de l'année, mais ce n'est plus que « l'ombre de [son] amour ». :«
sont aimés ou ceux qui I'ontfait ont agi illégitimement et dans amoureuse dApollinaire offre un éclairage précieux
à l'heureux hasard qui les laissait encore en vie. Et sans doute, Dans le train donc, il rencontre Madeleine Pagès, qui va prendre le
le vice. Il importe que deux esprits comme nous agissent sur son inspiration poétique. Moins connues que les
lorsque l'existence ne tient qu'à un fiI, est-il encore plus urgent bateau à Marseille pour rentrer chez elle, près d'Oran, oir elle est dans
Ia vertu mais d'une façon aussi complète, aussi passionnée que
Lettres à Lou, celles que le poète adressa à Madeleine
de vivre avec intensité et passion. professeur de lettres. Elle a zz ans, est la fllle aÎnée d'une famille
ceux qui sont dans le vice. » Laurence Campa, dans la préface Pagès entre 1915 et 1918 n'en demeurent pas moins
A la lecture de ces lettres, qui constituent, avec celles à Lou, l'autre nombreuse. II est grand, oui, plutôt grand, avec des iambes un
«
de cette nouvelle édition complétée des Lettres à Madeleine, a
révélatrices. Larticle que Patrick Kéchichian donna en
grand massif amoureux de la correspondance dApollinaire, on ne peu courtes et un buste importanT ; il porte un képi trop petit rejeté
raison de parler de « l'intuition fondamentale de la poétique 2oo5, à l'occasion d'une édition revue et augmentée
peut que lier ces deux réalités, la guerre et l'amour. Alors que la en arrière. » Ainsi le décrit-elle dans la préface de la première
apollinarienne '. I'union de l'ordre et de l'aventure ».
par Laurence Campa de ces Lettres à Madeleine,leur
première est visible, aveuglante, douloureusement vécue chaque édition des lettres (incomplète et notablement expurgée par elle),
Enfin, le z6 décembre, une permission autorise les deux amants
accorde la place qu'elles méritent. À travers leur « fer-
jour, l'autre reste virtuelle, en perpétuelle attente d'accomplis- qui date der95z.
virtuels à se retrouver. Apollinaire restera en Algérie, auprès de veur érotique » et l'intensité mystique de leur prose, ces
sement et en désir fébrile d'incarnation. A la guerre qui déchire A partir de cette seule, chaste et fugace rencontre ferroviaire,
Madeleine et de famille, jusqu'au
janvier r9r6. Que se passe- missives, qui incluent également des poèmes versifiés
la chair, répondent l'amour et les mots qui l'exaltent. Et ce Iien Apollinaire, dès le printemps 1915, engage avec Ia « petite voya- sa 7
t-il alors ? Le rêve entretenu avec tant d'ardeur et de hardiesse et où plane l'ombre de Ia guerre menaçante, viennent
d'urgence absolue, qui donne des ailes à I'écriture formidablement geuse diserte aux longs ci/s » une correspondance qui va très vite
résiste-t-il à la réalité et aux limites ordinaires du sentiment ? Il avantageusement compléter les recueils Alcools (t9ry)
libre du poète, est simplement bouleversant. prendre des dimensions conformes à son appétit amoureux,
est probable que non.
et C alli g ramme s (t9t8).
« Le théatre même ne peut donner une idée du bombardement sexuel, presque ogresque. La guerre même devient une source oÙt il Apollinaire regagne le front, en Champagne.
effroyable qui empourpre soudain le ciel, du sifflement des obus puise son énergie et attise son désir :« L'horreur tragique, horrible
qui passent en l'air comme des autos passant sur Ie sol dans une obscure du corps-à-corps infernal dans les tranchées, les boyaux
course, de l'éclatement déchirant des bombes et des torpilles, du les entonnoirs augmente ma volupté à t'aimer... » « Le fracas des
crépitement insensé de fusillade dominé par le tac tac tac tout
la marées/Le tonnerre des artilleries où la.forme obscène des canons
proche de la mitrailleuse », écrit Apollinaire le ro décembre t9r5 accomplit Ie terrible amour des peuples... », écrit-il dans l'un des
à Madeleine. Cette référence au « théatre » est significative : l'es- « Poèmes secrets » qu'il destine, dans le même mouvement que
thétique fait partie de la perception du poète. Toutes ses lettres, ses lettres, à la jeune femme. Dans un autre poème, « Ia tranchée »
à un degré ou à un autre, témoignent d'une vision, la portent sur se métamorphose en chairblanche et dessine un fantastique sexe
la scène de l'écriture. féminin, « plus long que le plus long serpent, long comme tous les
En première ligne, sous-lieutenant d'infanterie, Apollinaire corps des morts mis l'un devant l'autre ». Ou encore cette rêverie
savait de quoi il parlait. Quelques mois plus tard, Ie U mars 1916, mélancolique du guerrier amoureux : « Ta toison est la seule
il Il ne retournera pas
est blessé à la tête, et Ie 9 mai trépané. végétation dont je me souvienne ici où il n'y a pas de végétation. »
au front et ne sera plus jamais le même Guillaume. Il meurt le Apollinaire s'échauffe, s'emballe, parle de tout, de rien, de
9 novembre r9t8, à l'âge de 38 ans. littérature, d'art, de « Picasso, grand artiste mais sans scrupule
Tout se passe donc en très peu d'années, et dans le bruit inin- aucun », et surtout du corps inlassablement blasonné de son
terrompu de Ia guerre. Revenons un instant en arrière, où tout amante épistolaire. Il le rêve, ce corps, le compare à celui de
est encore plus rapide, marqué par I'accélération du temps. Le lAimée du Cantique des Cantiques, ou à ceux de Ia mythologie,
z janvier t9t5, incorporé moins d'un mois auparavant, Apollinaire Aphrodite, Hermione, Phèdre..., le reconstitue, Ie possède,
se trouve dans Ie train qui Ie conduit de Nice à Marseille, puis à l'asservit par la seule force de sa pensée et de son langage
ensuite, il ne pensera pas grand bien, les voyant comme le reflet Rilke et surtout Trakl). S'il reste fidèle à La Fontaine - auquel il Cet article dAlain Salles est un portrait hommage à
d'une période où son inspiration était « plus ou moins à sec ». dédie, malicieusement, son Art poétique en 1989 -, une grande Eugène Guillevic (tgol-rggl).ll donne les repères bio-
Langoisse qui dominait les premiers recueils diminue, sans tout
Pour retrouver sa fertilité poétique - il publiera une vingtaine partie de son travail consiste à se débarrasser de l'épanchement graphiques essentiels en relation avec son évolution
de recueils à partir de t96o -, il revient à la terre de son enfance. lamartinien. Il refuse le lyrisme, les effets poétiques ou plus exac- à fait disparaître, mais elle est emportée par Ia joie retrouvée poétique. Il signale Ia stérilité de son inspiration dans
En t96r, paraît Carnac, long dialogue entre le poète, Ia pierre et tement il tue en lui cette tentation du lyrisme, de l'épanchement d'écrire. Guillevic allie alors une étonnante prolixité - une ving-
ses poèmes politiques, de l'aveu même du poète, pen-
Ia mer, dans lequel il retrouve la poésie élémentaire deTerraqué, qui ne I'a jamais quitté, qui réapparaît parfois dans des poèmes taine de recueils depuis t96o - à un sens de l'économie poétique dant sa période d'adhésion au communisme. L auteur
plus faibles. Il observe les choses et les éléments qui l'entourent. II qui le pousse à rejetter tout mot superflu. Il travaille dans le sens
celle de toute sa vie. souligne, à l'opposé, la fécondité de son inspiration
rugueux, comprendre, de les interroger. d'un plus grand dépouillement, d'une plus grande limpidité :
De Guillevic, on garde l'image d'un visage - assez carré, essaie de les Ce dialogue ne cessera contemplative, initiée avec Terraqué (tg+z) et retrou-
de s'approfondir, de se creuser avec les rocs, la mer, l'étang, l'arbre,
« Aller dans le clair/ Presque comme si/ L'on était chez soi ». Par
avec des sourcils épais -enroulé d'un collier de barbe blanche. Une vée dans Carnac (t96t). Le candidat au bac de français
barbe, au fil des ans, de plus en plus blanche qui rend le visage de
« creusements », par « encoches » pour reprendre des titres de
l'armoire, la chaise... en retiendra les caractéristiques de son écriture : refus
recueils qui définissent bien sa méthode, il poursuit le dialogue,
plus en plus doux. On garde de ses poèmes la même image : une de la rime, métrique régulière, extrême économie
r i ir -'
Iangue âpre qui s'adoucit au fil du temps, qui devient de plus en l'approfondit « pour voir tous les objets/ Comme entre eux ils
de moyens, reietant l'adjectif et la métaphore pour
S'il a presque toujours refusé Ia rime, il est resté attaché à une se voient ».
plus sereine pour former de courts poèmes entourés par Ie blanc mieux aller à l'essentiel : dire sa communion avec le
métrique assez régulière. Il utilise souvent l'alexandrin, quitte à La poésie a envahi toute la vie de Guillevic. EIle est sa respiration.
de la page. monde terrestre.
le couper en deux, trois ou quatre. Son vers est libre mais il reiette Les poèmes découpés en séquences épousent son souffle court.
Ce visage poétique est apparu avec Terraqué, en t942, la même
l'écriture automatique et le surréalisme : « La métaphore n'est
année que Ie Parti pris des choses de Ponge. En tête de ce recueil,
pas, pour moi, I'essence de la poésie. Je procède par comparaison,
en tête de son æuvre, il a placé un court poème intitulé « Choses »
non par métaphore. C'est une des raisons de mon opposition au
: « L'armoire était de chêne /Et n'était pas ouverte. / Peut-être il
surréalisme. » II se borne au constat et s'aperçoit que ce constat
en serait tombé des morts, / Peut-être il en serait tombé du pain.
est sans limites. Sa poésie des éléments est une poésie du recen-
/ Beaucoup de morts. /Beaucoup de pain. » Cinquante ans après,
sement. II faut y voir l'influence de son travail comme inspecteur
dans sonArtpoétique, il écrira : « Si tu cédais, /Tu en reviendrais /
de l'économie nationale, après avoir débuté dans I'administration
Toujours à I'armoire, /A /Ne recommence pas. »
son chêne et
de I'enregistrement. Le code civil a toujours été un de ses livres de
Guillevic ne recommence pas, mais Ia tentation de revenir à
chevet. Il en connaît des articles par coeur, comme de nombreux
cette origine poétique n'étonne pas. Sa poésie est cyclique, et la
poèmes. Ce travail a été déterminant pour son expérience poé-
continuité est grande entreTerraqué ou Exécutoire et les derniers
tique. Il contribue à forger son style, exempt de toute afféterie.
recueils. La parole et la forme poétiques semblent exister d'emblée,
Guillevic utilise peu d'adjectifs, la phrase se limite souvent au nom
n'avoir jamais changé.
et au verbe, au sujet et à l'action, elle va à I'essentiel.
Le chemin fut pourtant loin d'être linéaire. La publication de
Février 1934, Front populaire, guerre d'Espagne, Résistance, sa
ses carnets de jeunesse, en 1994, montre combien il a été long
conscience politique s'est forgée au cours de ces événements,
et laborieux pour parvenir à la forme de Terraqué (Le Monde du
jusqu'à l'adhésion au Parti communiste, en 1943 (jusqu'en t98o).ll
11 mars tgg+). Né le 5 août 19o7 à Carnac, Eugène Guillevic passe
y eut ensuite la guerre froide, l'amitié dlEluard, la reconnaissance
son enfance dans un monde sans livres. Son père est un ancien
dAragon, qu'il n'aimait pas beaucoup. Comme eux, il met sa
marin devenu gendarme, sa mère est très dure : quand il publie
plume au service du parti, aux pires années du stalinisme. Mais
son premier sonnet dans une revue de Mulhouse, à l'âge de dix-
son réseau d'amitié ne se limite pas au PCF. Avec Follain, Frénaud,
sept ans, elle le gifle. Il vit au gré des affectations paternelles en
plus par lbbservation de cadres créer des « images ». Les comparaisons et les métaphores nbnt
redécouvrir le monde déià créés, mais au contraire donc jamais cessé de iouer un rôle essentiel en poésie. Aux xrxu
Le matériau du poète est multiple. Le poète est un artiste quitravaille d'abord avec les
-q.H par lbuverture sur un langage
neuf.
et xx" siècles, le renouvellement touche également cet aspect
de la poésie, avec les poètes symbolistes puis les surréalistes.
mots, mais aussi avec sa sensibilité, sa perception du monde, et la connaissance qu'il Baudelaire, dans les Petifs Ceux-ci recherchent des images les plus étranges possibles, à Ia
en a. Théodore de Banville parle du poète comme d'un « penseur et ouvrier >>, insistant L Poèmes en prose, abandonne suite de Lautréamont qui désirait « la rencontre fortuite, sur une
risL même totalement Ie vers.
ainsi sur le lien essentiel qui existe entre la part intellectuelle et la part « manuelle » du table de dissection, de la machine à coudre et du parapluie ». Ce
travail du poète. Quelle est la nature de ce lien ? En quoi le travail sur les mots ouvre-t-il
une voie d'approche nouvelle du monde ? ffi:"
Un calligramme de Guillaume
Contrairement aux appa-
rences, il ne détruit pas par-là
la poésie : le rythme, les sonori-
faisant, ils ouvrent la voie à une autre façon de voir le monde.
Breton, Desnos, Éluard, sont ainsi de ceux pour qui le rationnel
n'est qu'une façon parmi d'autres d'envisager le réel ; ils estiment
tés, les flgures de style, etc. sont que I'homme est fait autant de ses rêves, de son sommeil, que de
Apollinaire.
Lorsqu'un artiste s'empare de la langue pour y trouver des termes toujours très présentes, mais sa « réalité » ou de son temps de veille. Le rationnel leur semble
DuMoyenÂgeauxrx"siècle, les rares, lorsqu'il écoute les combinaisons sonores obtenues par sont débarrassées du carcan de formes trop usées. ainsi réducteur. Leur travail poétique est donc une exploration de
formes fixes dominent : elles l'enchaînement des vers, il offre au lecteur la possibilité de redé- tout ce que nous négligeons habituellement et, s'il déroute, c'est
couvrir la matérialité des mots. S)ir',,1;'iir :: i':. i :l'rli.i',
respectent des règles précises peut-être iustement pour mieux nous montrer une nouvelle voie.
concernant Ie nombre et le Le poème est le lieu oir l'attention aux mots est portée au pa- Aux xrx" et xx" siècles, la « modernité poétique » se signale certes
roxysme. Nous nous laissons bercer, ou nous sommes frappés, par par des innovations concernant Ia musicalité, mais également par
type de strophes, le type de
vers et de rimes, etc. une émotion musicale parfois même détachée du sens. la dimension visuelle du poème. La poésie ne se cantonne donc pas à des thèmes particuliers, elle
Le poète effectue un travail Certains textes nous touchent d'abord par leur forme, avant même Le renouvellement des formes ouvre vers un aspect pictural. Les peut faire feu de tout bois, consumer même le plus froid, passer
de recherche formelle, afin que nous ne comprenions tout à fait leur sens. Si I'on pousse cette vers libres, Ies formes non fixées de poèmes font que le lecteur du lyrique à l'ironique, de l'émotion à l'humour. Elle est un espace
dbrner Ia pensée ou lbbiet évo- conception plus loin encore, le thème du poème peut alors n'avoir découvre dans chaque recueil une disposition particulière. Les de liberté où la parole n'est réduite ni à une réponse ni à une
qué par le poème. Que ce soit que peu d'importance. La description d'une scène, d'un objet, ou poètes tirent de cette variété de multiples possibilités : passage forme particulière, un espace de liberté ou la parole est acte de
par Ia musicalité et le rythme, l'évocation d'un épisode, deviennent ainsi pour Ie poète des « pré- à Ia ligne ou non, emploi ou abandon des rimes (qui ne sont pas création.
Charles Baudelaire par Étienne textes ». Les poètes parnassiens (comme José-Maria de Heredia) seulement sonores, mais également visuelles), usage des « blancs »
Carjat. qui permettent de rendre les
vers harmonieux, ou par des s'inscrivent notamment dans cette conception. entre des strophes hétérométriques (c'est-à-dire formées de vers
À partir du xrx" siècle, et même si certains poètes avaient déjà ex- de différents types), etc.
images (comparaisons et métaphores), Ie thème du poème est
ploré cette voie auparavant, la recherche esthétique ne passe plus Chaque poème devient ainsi une æuvre singulière et inattendue,
ainsi enrichi et mis en valeur.
Cette conception de la poésie comme « ornement » donne la forcément par la forme fixe. Les romantiques d'abord, puis les et offre une redécouverte du langage, dans son aspect visuel cette
symbolistes, revendiquent une liberté créatrice en opposition avec fois. Ces formes nouvelles sont déstabilisantes puisque le lecteur
priorité à valeur esthétique. Elle correspond à un désir de
sa UN ARTICLI DU MONDE À CONSUTTTN
I'homme refusant Ie seul prosaisme, voulant s'éloigner d'une le respect de règles trop contraignantes. Les poètes assouplissent n'a plus de repères. Mais elles permettent une mise en relief de
réalité vulgaire. Tel est I'idéal qui animera Ie courant du Parnasse. alors le vers et se mettent à employer des vers moins fréquents, certains termes ou attirent l'attention sur le côté graphique du . « Ce que drerche la poesie, c'est à déconstruire les idéologies » p. 6z
(Propos recueillis par Amaury da Cunha, Le Monde daté du
De ce fait, la poésie permet une redécouverte de notre langue. tout en multipliant les ruptures de rythme. langage. C'est le cas, notamment des Calligrammes, dans lesquels
rz.tt.zoto)
Apollinaire écrit selon le dessin même de ce qu'évoque le poème.
liaisori avec Verlaine. Les lllumt sont là des apparences sensibles rêverie, aux soubresauts de la (Rimbaud, Première lettre dite bleu : voyelles,/ le d.irai quelque
forme courte, une syntaxe ryth-
Le Spleen de Paris, (t869), rend destinées à représenter leurs conscience ?» « du Voyant » à son professeur, jour vos naissances latentes :/
mée et des répétitions sonores et nations (t886) , visions halluci-
Vers par sa disposition typogra- compte de la vie moderne « dans affinités ésotériques avec des (Baudelaire, préface des Petits Georges Izambard, le r3 mai t87t.) A, noir corset velu des mouches
lexicales. nées dans une prose poétique aux
phique, il n'a pas de régularité une prose poétique sans rythme Idées primordiales. » Poèmes en prose, t86z.l éclatantes/ Qui bombinent au-
images prodigieuses.
rythmique et n'est pas forcément et sans rime, assez souples et as- (Jean Moréas, Manifeste du sym- « La Nature est un temple oir tour des puanteurs cruelles (...) »
Toute phrase porte en elle des ca- rimé. On le trouve dans la poésie sez heurtée pour s'adapter aux boli s me, le F ig aro, 1886.) « Je veux être poète, et ie tra- de vivants piliers/ Laissent (Arthur Rimbaud, Voyelles, r88g.l
dences et des sons, et donc une moderne. mouvements lyriques de l'âme ». vaille à me rendre voyant : vous parfois sortir de confuses
§ 8 Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Age à nos jours § ÿ
UN SUJET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS
' Commentaire de texte i I'herbe ». Destinataire percue implicitement comme un principe de vie
(cf comparaison du vers 8 avec « une douce pluie qui ne sèche jamais »).
La métaphore végétale est également présente dans Ia troisième
René-Guy Cadou, (( Hélène ou le règne végétal » strophe, sous la forme de I'allégorie de la solitude : Ie poète semble,
dans un premier temps, ne pas prendre la mesure de la vitalité de cette
femme, qu'il perçoit d'abord comme une femme seule qui a besoin de
devait arriver à une date donnée). Idée de fatalité amoureuse conflrmée *d..*ta -./*
y'-
« pos[er] ses mains de feuille sur [s]on cou ». Couple d'abord vu que
dans la seconde strophe, à travers une analogie de la femme avec « une
Vous commenterez Ie texte de René-Guy Cadou « Hélène ou le texte comme l'union de deux solitudes. Lentreprise de séduction féminine
douce pluie » que le poète « portai[t] déià sur [ses] épaules ». Adverbe
végétal » (texte 3, page 5o) en vous intéressant d'abord à la façon dont est également évoquée avec délicatesse par une métaphore qui identifle
« déjà » intemporalité d'un sentiment qui aidait le poète à rester en
le poète évoque la rencontre avec la femme aimée et Ia naissance du
couple ; puis en étudiant comment le poète associe la femme aimée
vie : la pluie « qui ne sèche iamais » empêche le blé de brûler dans la le mouvement de ses paupières en butte à I'indifférence du poète à des
« pattes dbiseaux dans les vitres gelées ». Cette subtile image poétique
.+nêe'{' t ;**rllq;**-*:-/.*fr * an
« sécheresse ». II s'agissait seulement pour le poète de reconnaître la
au monde. renforce l'identification de la femme à la nature.
femme de sa vie. une gradation traduisant l'immensité du pouvoir de Ia femme aimée,
Transition; Principe vital, l'être aimé est également associé au voyage. qui successivement fait « se lev[er] » les « oiseaux », les « vaisseaux »,
Transition : Latournure emphatique « Et pourtant c'était toi » qui ouvre
b) Femme associée au voyage les « pays », puis enfin « ces astres ces millions d'astres ». Tout l'univers
la quatrième strophe met en évidence l'unicité et la singularité de la
l"æuvre du poète René Guy Cadou est résolument marquée par la femme aimée, qui, avant même d'être reconnue parle poète, bouleverse
Le poète identifle la femme objet de son amour à un être qui élargit du poète semble, non pas envahi, mais stimulé, « réveillé » par l'amour.
célébration d'Hélène, qui fut sa femme et sa muse. Dans I'un desQuatre son univers intérieur. « Navire » attendu, elle est associée à tous les La femme aimée devient alors égérie, muse poétique, capable, par son
son univers.
poèmes damour à Hélène,le poète évoque au passé cette rencontre lieux parcourus, ceux qui débouchent sur la mer (« les quais ») ou qui verbe généreux (« Ah que tu parlais bien »), dbuvrir flss « portes », de
c) De la sécheresse au pétillement
vitale avec l'être aimé et la transformation de son existence. En quoi La rencontre de la femme aimée modifle en profondeur I'univers du
conduisent à un ailleurs terrestre (« les routes »). Dès lors, elle oblige le révéler au poète un monde foisonnant dont lui-même semblait ignorer
cette évocation lyrique, adressée directement à la femme aimée, prend- poète à porter son regard, à l'élever vers « le clair de [s]a vie ». Idée de l'existence, et d'apaiser l'homme, « apeuré » par « Ia grande voix du
poète. Deux premières strophes : idée d'un espace sec et stérile (attente
elle Ia dimension d'un hymne amoureux ? Nous nous intéresserons clarté liée à celle de lumière (c/. métaphore des fenêtres éclairées, qui temps » qui passe.
= « sécheresse », « blé » peu fécond, « ne mont[ant] pas plus haut
d'abord à la manière dont le poète rend compte de sa rencontre avec « pétillaient le soir ainsi qu'un vin nouveau »), ou encore à celle dbu-
qu'une oreille dans l'herbe »). Motif de la sécheresse prolongé dans
la femme aimée. Nous nous demanderons ensuite comment le poète verture : la « maison » du couple, c'est-à-dire leur « monde commun »,
la strophe suivante à travers l'image du « pas brûlant », caractérisant
associe cette femme au monde. est faite de « portes [qui] sbuvraient sur des villes légères ». Ainsi, le
l'ardente quête d'amour du poète. Femme identifiée au motif liquide : Ce poème est donc beaucoup plus qu'une simple déclaration d'amour :
« pas brûlant » du voyageur solitaire s'est transformé en voyage à deux,
apparaît comme une « douce pluie » aux pouvoirs perpétuels (« qui ne le poète présente la femme aimée comme l'essence de son existence,
comme l'indique le pronom << nous » adjoint à unverbe de mouvement
sèche jamais »). Thème de l'absence d'eau, complété par celui du faible au point qu'avant de se confondre dans l'union du couple, elle se
I. Rencontre avec l'être aimé et naissance du couple « allions », verbe suggérant l'errance, le vagabondage, ce que souligne
mouvement : Ie poète met beaucoup de temps à dessiller ; c'est un long confond avec la nature et en revêt tous les aspects. Cette « Hélène », trait
a) Une quête amoureuse la syntaxe déstructurée du derniervers : « Ou nous allions tous deux
processus de reconnaissance. La vibration amoureuse est d'abord fragile d'union entre le monde de la nature et l'univers du poète, devient obiet
Motif de la quête amoureuse. Deux premières strophes ouvrant sur la enlacés par les rues. » Lunion accomplie ne signifie donc pas que le
et ténue, cfi, image du remuement de « paupières » et métaphore des d'écriture et muse. Elle est aussi femme irréelle en ce que, faisant corps
déclaration à la femme aimée qui traduit, à I'imparfait duratif, l'idée voyage du poète a pris fin : il a seulement pris une forme nouvelle,
traces de « pattes dbiseaux dans les vitres gelées » = idée de légèreté, avec le monde, elle semble désincarnée. À l'origine du verbe poétique,
d'une frustration que seule I'arrivée de l'être désiré pouvait combler : « Je plus aérienne et insouciante, et à l'exploration des « quais et toutes
mais aussi d'un sentiment encore flgé dans Ie « gel », un « hiver » amou- elle devient une forme paiènne de divinité, que René Guy Cadou célèbre
t'attendais ». Comparaison de cette attente avec celle des « navires » -> Ies routes » s'est substituée la promenade des deux amants « enlacés
reux. Si les « paupières » évoquées appartiennent à Ia femme, il semble avec un lyrisme vibrant.
idée d'un voyage : le poète semble prendre acte de l'altérité radicale de par les rues ».
que l'éveil amoureux soit le fait du poète : son univers est bousculé
la femme attendue, identiflée implicitement à un autre « continent ». par « un grand tapage matinal », et universel : le sentiment amoureux
Transition: Lêtre cher, dans cet enlacement fusionnel, investit l'univers
Cependant quête active : la deuxième strophe suggère un mouvement poétique dans sa totalité. Ce qu'il ne faut pas faire
agit sur la totalité de l'être, comme le suggère le trimètre rythmé par la Présenter un relevé d'observations stylistiques sans les relier au
obsessionnel, un espace terrestre investi dans sa totalité -> répétition c) Une femme muse
reprise anaphorique du déterminant « tous » : « Tous mes oiseaux tous mouvement d'ensemble du poème.
de l'indéflni inscrite dans un trimètre régulier : « le t'attendais // et tous La femme à laquelle s'adresse le poète habite peu à peu le poème.
mes vaisseaux tous mes pays ». Dès lors, l'union devient ouverture (« les
les quais // toutes les routes ». Puis un reiet met en valeur I'unique oblet portes sbuvraient ») ; Ie « t' » et le « je » se résolvent et se confondent en
Lénonciation, organisée à l'origine autour d'un dialogue entre Ie « je »
de cette quête préposition, suivie du pronom désignant la destinataire, du poète et le « tu » de la bien-aimée, met en évidence un effacement
un seul pronom « nous » (« Nous allions tous deux enlacés »).
soulignant encore l'idée de mouvement : « qui s'en allait / Vers toi ». progressif du sujet au proflt de l'objet. Ainsi, au vers 11, la tournure
Transition: La femme aimée éveille le monde intérieur du poète, sans
Transition, À travers ce motif du voyage vers I'autre, le poète semble restrictive « |e ne voyais en toi » indique une perception faussée des
doute parce qu'elle-même est en résonance avec le monde. Écriture d'invention
vouloir donner à son histoire d'amour un caractère prédestiné. choses par le sujet parlant. En écho, le vers t3, charnière du poème,
II. Une femme associée au monde - Vous êtes directeur d'une revue poétique. À un lecteur ou une lec-
b) Un amour prédestiné fait éclater une vérité immémoriale : « c'était toi ». La femme aimée
a) Femme associée à la nature trice qui a affirmé que la poésie était inutile dans notre monde ac-
Poème d'amour structuré par deux mouvements. D'abord le temps de est alors celle qui éveille la conscience du poète par un « grand tapage
Dès la première strophe, motif lié à l'attente du poète, qui s'iden- tuel, vous répondez sous la forme d'une lettre en prenant la défense
l'attente de Ia femme aimée, puis celui de l'union avec elle. Temps de matinal », celle qui commande au monde. Cette idée est amplifiée par de la poésie. Vous présenterez votre travail sous la forme d'une
tifie à du « blé » qui « ne monte pas plus haut qu'une oreille dans
l'attente marqué par I'idée que l'amour du poète préexiste à l'union qui lettre, mais sans la signer. (Pondichéry 2oo7, séries technologiques)
va les lier (cl image qui ouvre le poème : « ainsi qubn attend les navires »
suggère une certitude, comme si l'être aimé, bien qu'encore inconnu, NOTIONS CLÉS zooM suR...
mot ou un groupe de mots d'une Des poètes du x* siècle « fe te l'ai dit pour les nuages/
PERSONNAGE IMPORTANT Succession ordonnée de termes, force expressive exagérée par et leurs muses. Chef de file du mouvement sur- D'abord compagnon des sur- Je te l'ai dit pour l'arbre de la mer/
rapport à l'idée exprimée (hyper- réaliste, Breton (r896-r966) puise réalistes, Éluard (r895-r952) s'est Pour chaque vague pour les oi-
réalisme, et le quotidien, dans sa d'idées ou de sentiments. Elle seaux dans les feuilles/ Pour les
est dite ascendante lorsque les bole). On parle de tournure em- A l'instar de Ronsard pour Hélène,
dans l'écriture automatique, éloigné de ce qu'il nomme une
Homme simple, il mène Ia vie saveur provinciale et rurale. Re- dictée par l'inconscient, des cailloux du bruit/ Pour les mains
termes sont de plus en plus forts, phatique quand une phrase met Aragon (r897-r982) a consacré une « chapelle littéraire » dans une
modeste d'un instituteur de cam- né-Guy Cadou construit une æuvre images qui renouvellent profon- familières/ Pour l'æil qui devient
de plus en plus amples, et descen- en relief un groupe de mots .
partie de son æuvre poétique au lettre de 1938, pour se tourner
pagne, dans lbuest de la France. poétique oir, comme chez Éluard,la dément le lyrisme amoureux. visage ou paysage/ Et le sommeil
dante dans le cas contraire. Dans lyrisme amoureux. Elsa Triolet, vers une poésie plus maîtrisée,
En relation épistolaire avec Max découverte de I'autre féminin oc- « Ma femme aux yeux de savane/ lui rend le ciel de sa couleur/ Pour
le poème de René-Guy Cadou, la Vers formé de trois unités mé- qui fut son épouse, est devenue dans la recherche de la musica-
|acob et Pierre Reverdy, passion- cupe une place essentielle. En 1943, Ma femme âux yeux d'eau pour toute la nuit bue/ Pour la grille
gradation compte quâtre termes triques : « Il fut héros, il fut géant, une des grandes figures de muse. lité et de la structure du poème, des routes/ Pour la fenêtre ou-
né de poésie, il est à lbrigine, en la rencontre d'Hélène Laurent, elle- boire en prison/ Ma femme aux
même poètesse, est suivie d'une
d'amplitude croissante : « Tous il fut génie. » (Victor Hugo). Dans « Que serais-ie sans toi qui vins à organisée par des anaphores et verte pour un front découvert/ Je
r94r, du groupe littéraire connu yeux de bois toujours sous la
mes oiseaux tous mes vaisseaux le cas de l'alexandrin, on l'oppose ma rencontre/ Que serais-ie sans des antithèses. IÀmour de la poé- te l'ai dit pour tes pensées pour
sous le nom d'école de Rochefort. correspondance poétique et amou- hache/ Aux yeux de niveau d'eau
tous mes pavs / Ces astres ces mil- toi qu'un cæur au bois dormant/ sie, r9zg, chante son amour pour
Proche de la Résistance, le groupe reuse. Il l'épouse en 1946 et célèbre au tétramètre qui compte quatre tes paroles/ Toute caresse toute
lions d'astres qui se levaient ». de niveau d'air de terre et de
Gala, son épouse, qui donne un
de poètes se donne pour but un son amour notamment dans « Hé- accents rythmiques : « Décharné, Que cette heure arrêtée au cadran conflance se survivent. »
de la montre/ Que serais-je sans
feu. ,(u Lunion libre », Clair de sens et une réalité au monde. (« Je te l'ai dit »,IAmour de la poé-
langage poétique où se rencontrent lène ou le règne végétal » (publica- dénervé, démusclé, dépoulpé »
terre, tg3t.)
le merveilleux, héritage du sur- tion posthume en t95z). Lemphase consiste à employer un (Ronsard). toi que ce balbutiement. » (Le Ro- sie, rgzg.)
man inachevé, tg56.l
Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours 61
60 Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours
uARrrcLE DU lllton,ûe
ENTRETIEN. Yves Bonnefoy explicite le rapport entre art et pensée dans son æuvre.
influence sur la forme même du texte. 'ffihb. les deux actes peuvent se coniu-
guer. Le xvnr" siècle a lui aussi fait
Littérature et argumentation le détour par la fiction pour dé-
Les objectifs et les procédés du texte
argumentatif Laliste des genres au travers des- fendre les idées des Lumières :
Tout texte comporte un thème, c'est-à-dire un suiet dont il s'empare quels peut se déployer l'argumen- les contes de Voltaire sont des
et qu'il traite. Mais le texte argumentatif comprend également une tation montre que celle-ci n'est pas essais ou des pamphlets rendus
thèse, c'est-à-dire un avis ou un jugement qu'un locuteur défend. réservée aux essais abstraits, aux concrets et vivants grâce aux
Il faut donc, face à ce type de textes, identifler (et distinguer) le thème traités théoriques, ou aux articles. personnages et aux registres
et la thèse. Par exemple, un texte peut traiter du thème de l'école, et L'argumentation a touiours été .S; comique, satirique, etc. Mari-
défendre Ia thèse selon laquelle l'école telle qu'elle existe n'est plus liée à la littérature, et en par- §-T vaux ou Beaumarchais illustrent
adaptée au monde contemporain. Comme le montre cet exemple, le ticulier à la fiction. En effet, â. la réflexion sur I'individu et la
thème peut être reformulé par un mot ou un groupe de mots (ici
I
:
pour transmettre une idée, pour . '.) iustice sociale dans leurs pièces
l'école), tandis que la thèse peut être reformulée par une phrase r; de théâtre : au travers des dialo-
convaincre et persu"d".,
"r. H gues et des confrontations de
verbale (ici : l'école telle qu'elle existe n'est plus adaptée au monde est un auxiliaire extrêmement
contemporain). efficace : la force d'un argument un talent d'écriture. Elle passe parfois par la fiction, c'est-à-dire que, personnages, le spectateur voit
À la thèse soutenue par l'auteur s'oppose Ia thèse adverse, ou thèse est d'autant plus grande qu'il est paradoxalement, elle peut utiliser l'imaginaire afin de soutenir s'incarner des idées et des avis contradictoires.lÎle des esclaves, d.e
réfutée. une opinion sur un élément bien réel. Cette association de l'argu- Marivaux, mêle à Ia fois le genre théâtral et l'utopie. D'autres formes
exprimé de manière séduisante.
Afln de défendre sa thèse, l'auteur du texte emploie des arguments : Ainsi, on comprend l'intérêt que mentation et de la fiction existe dès les premiers récits fondateurs : flctionnelles sont encore convoquées, comme le dialogue, chez Dide-
des idées, des causes, des références. Il les appuie et les rend plus ceux qui cherchent à étayer une dans L'Iliade et L'Odyssée d'Homère, ou encore dans les chansons de rot (Ie Neveu de Rameau).Des origines jusqu'à nos 1'ours, Ia flction est
concrets grâce à des exemples. En effet, un argument est abstrait, thèse portent à la qualité littéraire geste du Moyen Âge, sbpère une alliance entre le récit d'exploits donc toujours I'alliée de l'argumentation : au xxe siècle, Ia contre-uto-
général, et il fait Ie plus souvent appel à Ia logique. En revanche, un de leurs textes. Les -Essais de Mon- et l'exaltation de valeurs, de positions, que l'auteur cherche à faire pie (t984, d'Orwell, t949) et l'apol ogue (Matin Drun, de Franck Pavlofl
exemple est plus concret, plus particulier, voire même anecdotique. taigne, les Pensées de Pascal, les Allégorie de la rhétorique par Hans partager à ses auditeurs ou lecteurs. Pourquoi donc ce « détour » par t998) sont encore bien présents.
Toutefois, un exemple particulièrement frappant peut prendre valeur Sebald Beham'
salons de Diderot, les préfaces de Ia flction ? La Fontaine écrit, dans les Fables, à propos de I'apologue :
d'argument. Hugo, etc. sont encore Ius auiourd'hui, non seulement en raison des « C'est proprement un charme : il rend l'âme attentive,/ Ou plutôt il
Un locuteur cherchant à faire adhérer un lecteur à la thèse qu'il idées et réflexions qu'ils contiennent, mais aussi parce que la force et Ia la tlent captive ».
développe peut emprunter deux directions : beauté de leur écriture nous touchent. Sartre dit que « l'écrivain engagé Selon le fabuliste,la fiction séduit le lecteur, et fonctionne comme un
DEUX ARTICTES DU MONDE À CONSUTTTN
- soit il s'adresse à la raison de son destinataire, il tente alors de Ie sait que la parole est action [...] Il sait que les mots, comme dit Brice appât : elle ensorcelle par le récit du conte ou de la fable, et la moralité
convaincre; (ou la thèse défendue) devient ainsi plus « digeste ». L'essai peut, en . Céline émerge comme un des grands créateurs de son temps p. 68
Parrain, sont des "pistolets chargés". S'il parle, il tire ». Cette citation
(Henri Godard,Le Monde daté du z5.or.zou)
- soit il essaie de toucher les sentiments du récepteur, auquel cas il souligne le pouvoir qu'ont certaines formules - capables de « faire effet, apparaître comme ardu et rebutant. Un récit, au contraire, est . Il faut s'opposer à la célébration d'un auteur antisémite p. 69
passe par la persuasion. mouche » - d'atteindre ce qui est visé et celui qui est destinataire, touiours plaisant par les personnages, les animaux qu'il met en scène, (Patrick Kéchichiat,Le Monde daté du z5.ot.zotr)
En pratique, les textes mêlent le plus souvent ces deux voies, et allient la au-delà même de la littérature dite engagée. Ies dialogues qu'il utilise, etc.
pertinence d'arguments convaincants à un sÿe frappant et persuasif. Mais l'argumentation ne se contente pas de réclamer un « style »,
L'énonciation dans un texte l'auteur s'adresse parfois direc- On trouve également : des liens . Le billet d'humeur est une courte Le s
Jorme s d e l' arg umentation. expose ses opinions (cl Mon- rique, souvent politique, au ton contenant un enseignement : la
argumentatif. tement au lecteur (« vous »), lui logiques de cause, de consé- chronique sur un suiet d'actualité Largumentation peut être directe taigne, Ies Essais, t58o.). virulent. fable et le conte appartiennent au
pose des questions, l'interpelle... quence, de concession, etc. ; une où le rédacteur s'adresse, en son ou indirecte. Elle est dite « indi- . La lettre ouverte est un opuscule . Le plaidoyer est la défense d'une genre de l'apologue.
Comme l'auteur défend une po- ;
- des interrogations rhétoriques, structure logique, visible en par- nom, une ou plusieurs personnes.
à souvent polémique, rédigé sous cause. . Le conte (Perrault, le Petit Chape-
sition, il s'exprime généralement recte » ou « oblique lo-
» lorsque Ie
dont la réponse est, en quelque ticulier dans l'emploi de para- . Léditorial est un article éma- cuteur utilise la flction pour faire forme de lettre. . La préface est un texte placé en ron rouge, 16971 et le conte philo-
dans le registre du discours plus . Le manifeste est une déclara-
sorte, contrainte ; graphes distincts ; des figures de nant de la direction du journal. passer sa thèse ou son message. tête d'un ouvrage pour le pré- sophique (Voltaire, Candide, t759.).
que dans celui du récit (même si Il engage la responsabilité du ré-
des exceptions existent). On trouve,
- le pronom x 6n » qui offre de style (ampliflcation, images, etc.) ; tion écrite, publique et solennelle, senter, en préciser les intentions,
. Le dialogue (parfois dialogue phi-
multiples possibilités (« on » gé- un ou plusieurs registres, suivant dacteur en chef et de l'ensemble LES FORMES DIRECTES dans laquelle un homme, un gou- losophique, c/. Diderot ou Sade).
. Léloge, Ie panégyrique, le dithy- développer ses idées générales
donc, dans le texte argumentatif :
néralisant, permettant de déli- les intentions de l'auteur (iro- du iogrnal, tout en restant une vernement ou un parti expose un . La,fable (La Fontaine).
(préface de Cromwell, ou encore
- la présenceplus ou moins nette- vrer une sentence ; « on » inclusif, nique, polémique, etc.). parole individuelle (celle du iour- rambe sont des textes marquant programme ou une position (on préface dt Demier Jour d'un
. Lutopie (genre littéraire dans
ment marquée du locuteur (<< je », dans lequel l'auteur et/ ou le lec- naliste qui le signe). l'enthousiasme et l'admiration trouve ainsi des manifestes de lequel I'auteur imagine un uni-
condamné, de Victor Hugo).
termes modalisateurs indiquant une teur sont compris ; « on » exclusif, Le s formes d' ar g umentation . Un iournal peut également pu- que leur auteur voue à quelque groupes d'artistes, autour d'un vers idéal, par exemple l'abbaye
. Le réquisitoire est une accusation.
évaluation, une üsion subl'ective, grâce auquel l'auteur se détache Iiées à la presse écrtte. blier une lettre ouverte (cl, le cé- chose ou quelqu'un. programme esthétique : cf . Le Ma- de Thélème, chez Rabelais) et la
mots mélioratifs ou péioratifs...) ; d'un groupe pour montrer que Joumaux et revues accueillent régu- lèbre I'accuse, de Zola, paru dans .Lessai est un ouvrage de forme nifeste du surréalismel. LES FORMES OBLIQUES contre-utopie (t984, de Georges
- la présence de l'interlocuteur ; son opinion diffère). lièrement des textes argumentatifs. IiAurore Ie r3 janvier 1898.) assez libre dans lequel l'auteur . Le pamphlet est un écrit sati- . Lapologue, récit souvent bref Orwell).
64 taquestion de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvf siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de I'argumentation, du xvru siècle à nos lours 6§
UN SUIET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS
Ecriture d'inventiorl :
Proposition de corrigé
Mes confrères, mes amis,
malorité de la population connaît une existence déplorable, et se voit
contrainte de travailler sans relâche pour enrichir quelques privilégiés
Discours a la Chambre des pairs Permettez-moi d'intervenir de façon brutale et d'interrompre quelque qui ne se soucient pas de leur sort. Sans compter ceux que Ia société
a mis au ban, parce que le destin les a fait naître malades ou inflrmes.
peu le cours de vos propos, mais ie ne peux me contenir davantage.
Nous, pairs de France, que faisons-nous ici ? Quelle est notre mission ? Devons-nous oublier ces laissés-pour-compte ? Avons-nous le droit
soleil, d'une révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui de les ignorer sous prétexte qu'ils ne sont pas productifs, et de les
Le texte Ne consiste-t-elle pas à servir de toutes nos forces la France ? Ah ! chers
vient. Autrefois, Ie pauvre coudoyait6 le riche, ce spectre rencontrait confrères, écoutez-moi ! Je viens d'assister à une scène qui m'a pro- laisser mourir dans la misère ? Si nous, pairs du royaume, ne pouvons
Hier, zz février', l'allais à Ia
cette gloire ; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait fondément troublé et que ie souhaite partager avec vous. Là, à l'instant, rien faire pour redonner leur place à ceux qui n'en ont plus, qui le
Chambre des pairs'. II faisait
durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s'aperçoit que je viens de voir un homme, un misérable, l'un de nos semblables pourra ? Qui va lever les yeux vers ces fantômes ? Le constat s'impose :
beau et très froid, malgré le so-
cette femme existe, tandis que cette femme ne s'aperçoit pas que cet pourtant, que l'on emmenait en prison pour un pain volé... le malheu- Ies nantis se contentent de iouir de leurs privilèges, de leur fortune,
leil de midi. Je vis venir rue de
hlf 4[i^ homme est là, Ia catastrophe est inévitable. reux marchait presque pieds nus par le froid qu'il fait et n'était vêtu sans aucune gratitude pour Ies obscurs travailleurs qui leur per-
Tournon un homme que deux
(Victor Hugo, Cho se s Vue s, rB 46) que de haillons. La prison pour un pain volé ! Vous rendez-vous mettent de s'enrichir, sans aucune compassion pour les plus démunis...
soldats emmenaient. Cet homme
l,r** compte ? Et cet homme n'avait pas mangé depuis des iours. C'est Mais soyez sûrs d'une chose : si nous persistons dans notre lndiffé-
était blond, pâle, maigre, hagard ;
Notes pourtant là le quotidien du petit peuple de Paris, mais nous y sommes rence, à ignorer la violence faite aux pauvres de cette nation, à ne
trente ans à peu près, un pan-
r.Le zzfévrier 1846, deux ans avant les émeutes de t848 qui entraîne- aveugles. Le riche ne se soucie pas du pauvre. Les propriétés, les rentes, même pas leur accorder l'aumône d'un regard, alors le vent de la
talon de grosse toile, les pieds
ront l'abdication du roi Louis-Philippe. les titres, les réceptions, voilà ce qui préoccupe le riche, voilà les objets tempête soufflera sur nos têtes ! Si une poignée d'hommes oisifs
nus et écorchés dans des sabots
2. Haute assemblée législative dont Victor Hugo était membre. de ses soins, voilà ce pour quoi il situation ne peut
se bat. Mais cette
possèdent toutes les richesses et que la majorité ne peut vivre décem-
avec des linges sanglants roulés
autour des chevilles pour tenir 3. yoiture à chevaux sur laquelle sont peints les emblèmes d'une se prolonger encore longtemps, le scandale a assez duré et, en notre ment d'un honnête labeur, alors, mes amis, tôt ou tard le peuple se
famille noble. âme et conscience, nous sentons bien que nous ne pouvons plus nous révoltera et jettera à bas les fondements d'une société trop inique.
lieu de bas ; une blouse courte,
4. Cet emblème signale que la passagère est une duchesse. en satisfaire. Pouvons-nous encore tolérer que nos semblables tra- Unissons plutôt nos forces pour prévenir la catastrophe tant qu'il en
Victor Hugo souillée de boue derrière le dos,
5. Étoffe précieuse de couleur iaune. vaillent dans des conditions déplorables pour ramener quelques sous est encore temps, et réformons notre société pour qu'enfln elle soit
ce qui indiquait qu'il couchait
6. Côtoyer. au logis ? Que les enfants soient obligés de travailler, de laisser Ieur plus iuste et plus respectueuse de tous ses membres. Mes amis,
habituellement sur le pavé ; la tête nue et hérissée. Il avait sous Ie
joie, leur santé, parfois leur vie dans un labeur inhumain que bien des agissons pour le bien-être de tous !
bras un pain. Le peuple disait autour de lui qu'il avait volé ce pain
et que c'était à cause de cela qu'on l'emmenait. En passant devant la L'intitulé complet du sujet adultes ne pourraient accomplir ? Pouvons-nous encore tolérer que
caserne de gendarmerie, un des soldats y entra, et I'homme resta à À son arrivée à la Chambre des pairs, le narrateur, sous le coup de Ies femmes livrées à leur propre sort soient réduites aux dernières Les bons outils
l'émotion, prend la parole à la tribune pour faire part de son indigna- extrémités et s'avilissent pour espérer subsister ? Non, assez ! Lexis- Le thème de l'exercice n'étant pas littéraire, l'essentiel réside ici
la porte, gardé par l'autre soldat. Une voiture était arrêtée devant la
dans le style adapté à la situation de communication : multiplier les
porte de la caserne. C'était une berline armoriée3 Portant aux lanternes tion et plaider pour plus de justice sociale. Vous rédigerez ce discours. tence que nous laissons à nos misérables frères est une existence
phrases exclamatives, interrogatives, impliquer les destinataires du
une couronne ducalea, attelée de deux chevaux gris, deux laquais dégradante. Imaginez-vous un instant que I'homme que i'ai vu ait discours par des questions rhétoriques, passer du « ie » au « nous »,
en guêtres derrière. Les glaces étaient levées, mais on distinguait L'analyse du sujet volé par choix, par plaisir ? Non, seuls le désespoir et la faim ont pu utiliser l'impératif à la première personne du pluriel.
l'intérieur, tapissé de damas bouton d'ors. Le regard de l'homme flxé Le sujet fait référence au « narrateur » du texte extrait de Choses vues: conduire cet homme à faire fl de son honneur et de sa dignité. Peut-être
sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans Ia voiture une femme il s'agit donc de Victor Hugo, pair de France (une sorte de « sénateur »). a-t-il une famille à nourrir, peut-être est-ce pour eux qu'il s'est livré à
en chapeau rose, en rose de velours noir, fraîche, blanche, belle, La situation de communication est celle d'un orateur s'adressant à un cet acte... Une fois leur père emprisonné, que vont devenir ces petits ?
SUJETS TOMBÉS AU BAC SUR CE THÈME
éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize public (les pairs de Ia Chambre). Le contexte implique donc une certaine Ils s'en iront mendier par les rues... Cette idée me fait frémir d'horreur.
mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures. Cette femme solennité et un registre de langue soutenu. La tonalité du texte attendu En laissant toute une partie de Ia population vivre dans des conditions Dissertations
ne voyait pas l'homme terrible qui la regardait. |e demeurai pensif. est suggérée par les termes qui font référence à létat d'esprit du locuteur : lamentables, nous les incitons à sombrer dans une déchéance touiours - Les textes littéraires et les formes d'argumentation souvent com-
plus grande, à renoncer peu à peu à tout principe, à perdre toute plexes qu'ils proposent vous paraissent-ils être un moyen efficace de
Cet homme n'était plus pour moi un homme, c'était le spectre de la « sous le coup de l'émotion », « indignation » : on doit donc retrouver,
convaincre et persuader ? Vous présenterez votre travall sous la forme
misère, c'était l'apparition, difforme, lugubre, en plein iour, en plein dans le lexique et les tournures, les marques de cette exaltation. morale. Nous ne pouvons plus ignorer les drames qui se iouent sans
d'une lettre, mais sans la signer. (Sujet national, zooz, séries ES, S)
cesse sous nos yeux. Battons-nous pour plus de fustice sociale ! La
- Dans quelle mesure la forme littéraire peut-elle rendre une argu-
mentation plus efficace ? (Suiet national,2ooT, séries ES, S)
ZOOM SUR...
Victot Hugo : incarnation tique se pose comme un théâtre en France est profondément mar- Ce qu'il ne faut RE PE RES
duromantisme. total opérant le mélange des qué par les horreurs de la Com- pas larre
genres et offrant le spectacle à la mune (IAnnée terrible, t87z). . Revenirtrop longuement sur
Victor Hugo (r8oz-r885) est Sé-
Quelque s procé dés sÿlistiques. rogatif qui traduisent, par exemple, quités,/ Le plus grand scélérat qui LES TERMES PEJORATIFS
peut-être l'auteur qui concentre fois sublime et grotesque de la nateur à partir de 1876, il devient l'anecdote rapportée dans le
la colère et l'indignation du locuteur.
réalité humaine, concentrée dans tE BLÂME iamais ait été.[...] » ET MÉTIORATIFS
une figure emblématique de la texte : elle n'est que le point de
à lui seul le plus de traits du ro- (Molière, Tartuffe, acte lII, scène 6, Un terme péioratif est dévalo-
l'histoire d'un destin brisé. gauche républicaine. départ de l'exercice décriture. Les procédés les plus couram- t EMPHASE
mantisme. Chaque étape de sa r66+.) risant ; un terme mélioratif est
Hugo se lance avec la même Son æuvre littéraire exploite tous
. Attention aux anadronismes : ment utilisés pour blâmer sont : Elle caractérise le ton général d'un
biographie est marquée par son discours enclin à l'exagération valorisant. Une maison (terme
fougue dans l'action politique : les genres et tous les registres : le locuteur se situe en 1848. - un vocabulaire péioratif; ; L'ÉLoGE
engagement, son enthousiasme son contraire est la simplicité. neutre), peut-être appelée pé-
violent pour des idées littéraires,
il devient pair de France en 1845,
auteur de grands romans (Norre- - des figures par amplification Le genre de l'éloge recourt à tous
prononce des discours impor- (hyperbole) ou par opposi- Considérée péjorativement, l'em- les procédés du registre laudatif: iorativement « baraque » ou au
politiques et sociales neuves. Très Dame de Paris, t83t, ou Les Mi- contraire, de façon méliorative,
tants en faveur de Ia liberté de la tion (antithèse) des répétitions phase devient de « l'enflure » ou de - un vocabulaire mélioratif ;
leune, il se lance dans la bataille Pologne, se bat contre la peine de
sérables, t86z), il est également CITATION (anaphore, accumulation...) qui la grandiloquence. Dans cet extrait - des flgures par amplification ou « demeure r.
pour un nouveau théâtre, avec mort et les iniustices sociales, se poète (Ies Chatiments, 18fi, Les accentuent la réprobation, exa- de Tartuffe, le faux dévot, surpris par opposition, des répétitions ; Certains suffixes sont péioratifs :
Hernani (r83o) et Ruy BIas (t838). déchaîne contre Napoléon III. Ses Contemplations, t856) et drama- « Le romantisme "n'est autre gèrent la critique ; en flagrant délit, s'accuse avec une - des métaphores et des compa- -ard (braillardl, -âtreÇaunâtrel,
Il inaugure le drame romantique, choix politiques le contraignent ttrge (Hernani, 1830, Ruy Blas, chose que le courant de la révolu- - des métaphores et des compa- emphase particulièrement hypo- raisons valorisantes ; -aud (lourdaudl, -asse (bavasserl,
véritable machine deguerre à l'exil dans les îles anglo-nor- t$8).ll rédige même une épopée tion dans les idées". » raisons dépréciatives ; crite : « Oui, mon frère, je suis un - un rythme et une syntaxe qui -esque (livresque), -on (souillonl,
contre la tragédie classique qu'il mandes (fersey puis Guernesey) de l'histoire de l'humanité, Ia Ié- (Victor Hugo, William Shake- - une ponctuation expressive, des méchant, un coupable,/ Un mal donnent souvent une allure em- -is (ramassis).
veut détrôner. Le drame roman- pendant dix-neuf ans. Son retour gende des siècles (t8S9-t883). speare,lll, livre II, r864.) phrases de ÿpe exclamatif ou inter- heureux pécheur tout plein d'ini- phatique au discours.
66 taquestion de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvt" siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos ;ours 6/
LES ARTT.LES DU ïffonûe LES ARTTCLES DU llÜonû,e
Céline émerge comme un des grands créateurs Il faut sbpposer à la célébration d'un auteur antisémite
de son temps L'homme est indissociable du romancier,il n'est pas au-dessus de la morale.
Malgré son antisémitisme, l'écrivain méritait d'être célébré. Lécrivain Louis-Ferdinand Céline n'avait pas de sang sur les mains. défense. On s'acharne à me vouloir considérer comme un massacreur
«
Mais il y en avait plus que d'encre dans sa plume. Son usage exalté du de juifs écrira-t-il à |ean Paulhan en avril r948. Il ajoute, brouillant Ies
»,
langage n'excluait pas la roublardise et l'hypocrisie. Sous ses cris de rage, pistes, surlignant les mots 1 « le suis un préservateur patriote acharné
Doit-on, peut-on célébrer Céline ? Les obiections sont trop évidentes. un second pamphlet, en 1938, il va jusqu'à prôner, touiours sur fond ses éructations, il pratiquait en maître raffiné la litote et le syllogisme. de français et d'aryens et en même temps d'ailleurs de juifs. »
Il a été I'homme d'un antisémitisme virulent qui, s'il n'était pas meur- d'antisémitisme, une alliance avec Hitler. Mais une idée, un thème obsédant lui servit de clef magique, toujours et En mars t946, il s'exonérait ainsi : « L'antisémitisme est aussi vieux
trier, était d'une extrême violence verbale. Mais il est aussi l'auteur Après ces deux livres, il ne pouvait, la guerre venue, que se retrouver partout - à vrai dire surtout après 1945 : la victime, le persécuté c'était que le monde et le mien, par saforme outrée, énormément comique,
d'une æuvre romanesque dont il est devenu commun de dire qu'avec du côté des vainqueurs. Mais sa personnalité incontrôlable fait Iui, ce n'était que lui. A partir de ce noyau dur, tout devint possible. La strictement littéraire, n'a jamais persécuté personne. » Dans un mé-
celle de Proust elle domine le roman français de la première moitié du que les lettres qu'il envoie pour qu'ils les publient aux journaux bonne foi, l'honnêteté, la capacité de reconnaître que l'on s'est trompé moire en défense qu'il rédige à cette même date, après avoir affirmé
XX" siècle. (Euvres de même ampleur (quatre volumes chacune dans collaborationnistes y détonnent tantôt par leurs critiques, tantôt par ou fourvoyé, furent balayees par la mauvaise foi la plus éclatante, la plus que « jamais » chasse à l'homme « nefut plus impitoyable que celle
la Bibliothèque de Ia Pléiade), opposées par bien des points mais qui, Ieurs outrances. Il se tient soigneusement à l'écart de la collaboration réfléchie. La littérature conférant à l'écrivain une sorte d'innocence de qui se déroule en ce moment en Europe contre les "collaborateurs" ou
toutes deux, rejetant Ia production de leur temps mais s'enracinant offlcielle. principe. Cela pourrait être comique si l'enjeu de la culpabilité n'était prétendus tels », il écrit ceci : « Il n'y a jamais eu de persécution juive
dans la tradition antérieure, ont apporté à Ia littérature française Cela n'empêche pas que, figure maieure de l'antisémitisme, il doive pas celui qu'il a été, s'il n'avait pas les dimensions de la Shoah. en France. Les juiJs ont toujours été parfaitement libres (comme je ne
quelque chose de radicalement nouveau. fuir Paris à l'approche de la Libération. Son but est de gagner Ie Da- Avant et pendant la guerre, Céline (re)publia plusieurs pamphlets le suis pas) de leur personne et de leurs biens dans la zone de Vichy
Céline n'a réalisé que tard son désir d'écriture, publiant à 38 ans sous nemark, où il a entreposé ce qu'il a pu de ses droits d'auteur. Mais la antisémites. Lepire,Bagatelles pour un massacre,parut à la fln 1937 et pendant toute Ia guerre. Dans la zone Nord ils ont dû arborer pendant
ce pseudonyme son premier roman, Voyage au bout de Ia nuit. Rien situation militaire de cette partie de I'Europe en r944-t945 l'obligera à connut un grand succès. Le livre fut aussitôt traduit dans lAllemagne quelques mois une petite étoile. (Quelle gloire ! Je veux bien en arborer
dans son milieu ne l'y prédestinait. Fils unique d'une mère qui tenait passer d'abord neuf mois à parcourir en zigzag une Allemagne devenue nazie. En France, interdit six mois en mai 1939, il fut réédité avec dix !) On a confisqué quelques biens de juifs (avec quels chichis !) qu'ils
un petit commerce et d'un père employé subalterne dans une compa- tout entière champ de bataille. Ce spectacle était fait pour lui. Son succès en octobre 1943, avec des photos. On ne peut lire auiourd'hui ont récupérés depuis lors et comment ! à intérêts composés (mes biens
gnie d'assurances, ses parents lui avaient fait quitter l'école après Ie imagination en fera la matière de ses derniers romans, D'un château (légalement)ce livre monstrueux, mais on se reportera avec profit à ne me seront jamais rendus) (...) » Commenter, ici, ce serait se salir.
certiflcat d'études. Le dur apprentissage de la vie dans Ia condition de l'autre, Nord et Rigodon. Entre-temps, il aura vécu au Danemark dix- l'ouvrage récent dAndré Derval sur la réception critique de l'ouvrage Comme I'écrivait Isidore Ducasse (Lautréamont) : « Toute I'eau de
commis au temps de la Belle Epoque loint à des lectures d'autodidacte huit mois de détention puis quatre ans d'un exil difflcile. Condamné (éd. Ecriture, zoro). Des iugements réprobateurs certes, mais aussi des Ia mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuel. »
n'avaient pas conduit Louis Destouches plus Ioin qu'un engagement en France par contumace puis amnistié au bénéflce de sa conduite rires et des applaudissements, accueillirent le pamphlet. ]ean-Pierre Martin, dans son Contre-Céline (losé Corti, r997), déflnissait
de trois ans dans Ia cavalerie lorsque, en août t9t4, la guerre vient de t9r4, il s'installe à son retour dans une villa de Meudon d'où il ne
en ces termes le « génie de Céline » : « un génie du maniement tout à la
bouleverser sa vie et les projets d'avenir de ses parents. sort guère, consacrant tout son temps à écrire ses derniers romans, Inutile de citer ici les délires meurtriers et parfaitement contrôlés fois politique et esthétique de Ia langue, une science intuitive du dosage,
Lexpérience du front ne dure que trois mois, mais elle a suffi à ouvrir qui flniront par Iui rendre un public. de Céline, que I'écrivain qualifiait lui-même d' « humoristiques et une mesure éprouvée, aufil des livres, des risques du tout-dire et du
les yeux au ieune homme de zo ans qui, lusqu'alors, ne s'était guère Il n'avait jamais cessé, de livre en livre, d'aller touiours plus loin rabelaisiens et antisémites et surtout pacrfistes ». En revanche, il n'est parlé écrit, un calcul des intensités, des intonations et de l'implicite, un
affranchi de la vision que ses parents se faisaient de la société et de dans les voies ouvertes par son premier roman à la recherche d'un pas vain de rappeler quelques phrases, tirées des Lettres de Céline louvoiement précis entre vindicte et violons, un jeu rusé entre attente
la vie. Cette révélation de la guerre s'achève inopinément sur un fait style. Si, son æuvre achevée, il apparaît comme irremplaçable, c'est (édition Henri Godard, Gallimard, « La Pléiade »,zoo9).En iuin 1944, et déception, relâ.chement exclamatoire et silence salutaire. »
d'héroïsme qui, soldé par de sérieuses blessures, fait de lui, décoré et d'abord pour cette invention d'une manière entièrement nouvelle Céline fuit la France et se réfugie au Danemark. De là, il organise sa En t994, Henri Godard, dans Céline scandale (Gallimard) invitait,
réformé, un homme nouveau. et inimitable d'écrire le français. Le recours au français populaire avec beaucoup de probité, mais sans toujours parvenir à convaincre,
Le voilà en quête d'expériences les plus diverses possible qui, sur n'avait été qu'un point de départ. La rupture qui s'ensuit avec la phrase à considérer ensemble l'esthétique de Céline et son antisémitisme,
POURQUOI CES ARTICTES ?
trois continents, compléteront sa formation. II est médecin dans un grammaticale avait peu à peu débouché sur un nouveau rapport au à ne pas séparer le pamphlétaire et Ie romancier. A Ia dernière page
dispensaire de Ia région parisienne lorsqu'il entreprend, en trois ans temps et au sens. Ce style à son tour était le seul qui pouvait donner En 2011, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, inscrit Louis- de son essai il écrivait néanmoins : « Céline s'est mis à jamais hors de
de travail nocturne, de dire dans un roman qui ne ressemblera à aucun une expression littéraire aux deux guerres qui ont imposé leurs Ferdinand Céline (r894-t96t) dans la liste des personnalités à célébrer toute consécration officielle. »
autre ce que Ia vie Iui a appris. Le livre fait I'effet d'une bombe. Il atteint stigmates à l'Europe de cette première moitié du XX" siècle. Celle de à lbccasion du cinquantenaire de leur disparition, puis l'en retire sous
Plus d'un demi-siècle est passé. De l'eau a coulé sous les ponts et sur
des dizaines de milliers de lecteurs, les uns horriflés de sa brutalité, les tgr4-rgr8, après l'ouverture éclatante deVoyage au bout de la nuit, la pression des nombreuses protestations dénonçant son antisémi-
tisme notoire. Le romancier, qui a connu la célébrité avec son premier les charniers. Céline est mort. Un jour prochain, les pamphlets, dûment
autres y trouvant exprimée, avec soulagement si ce n'est un sentiment imprègne de manière diffuse toute la première moitié de l'æuvre. annotés, devront être à nouveau rendus accessibles. Il est donc temps,
rcman Voyage au bout de la nuit (prix Renaudot 1932), est en effet
de vengeance, Ia révolte qu'ils ne savaient pas touiours enfouie au plus à travers le phénomène nouveau des bombarde-
Celle de 1939-1945 est, l'auteur de pamphlets d'une extrême violence, publiés entre 1937 pensent certains, de passer l'éponge, de faire triompher Ia Iittérature.
profond d'eux-mêmes. Du jour au lendemain écrivain reconnu, Céline ments, Ia dominante des quatre derniers romans. Quelle autre ceuvre, et 1941, qui sont des appels à la haine contre les iuifs et revendiquent Puisque sous l'ignoble individu se cachait un grand écrivain, autant
met pourtant quatre ans à écrire un second roman,Mort à crédit, dans dans la littérature mondiale, est autant que celle-ci à Ia hauteur de ce explicitement leur élimination, en totale connivence avec l'idéologie
fêter celui-ci et passer le premier à la trappe, par pertes et proflts. Car
moment de l'histoire raciste des nazis. Ces deux articles proposent à la réflexion du candi-
lequel il approfondit Ies intuitions que lui avait procurées le premier. ?
c'est bien de cela qu'il s'agit pour ceux qui crient à la censure. Lartiste
dat au bac de français les éléments d'une problématique sur la rela-
Mais 1'accueil est une déception. Ce semi-échec, loint à la découverte Sous ce double aspect, de styliste et de romancier capable de donner
tion entre littérature et idéologie. Faut-il considérer que l'écrivain est au-dessus (ou à côté) de l'impératif moral. Son art lui donne son
des réalités de l'URSS pendant l'été de 1936, cristallisa des sentiments un visage à son époque, Céline, cinquante ans après sa mort, émerge est au-dessus de f impératif moral et accepter en bloc sa vision du envol. Et à le célébrer, on fait triompher cet art, dans un ciel pur de
peu à peu renforcés au cours des années précédentes, mais iusqu'alors comme un des grands créateurs de son temps. Or ce temps est celui monde au nom de son génie littéraire ? C'est ce que soutient Henri toutes mauvaises intentions.
encore sans virulence. où la création artistique est devenue une valeur que nous reconnais- Godard, qui le considère comme l'écrivain qui - avec Proust - domine
Mais non, décidément, 1'opération est impossible. II faut s'y opposer,
sons, même là oir elle ne coincide pas avec nos valeurs morales, voire le roman français dans la première moitié du xx" siècle, pour son « in-
car il y a unité de la personne de l'homme et de l'écrivain. Refuser cette
vention d'une manière entièrement nouvelle et inimitable d'écrire
Aller toujours plus loin les contredit. En célébrant Céline, nous nous inscrivons dans la ligne
le français ». À ce titre, il serait légitime de rendre hommage à son séparation, c'est d'ailleurs une manière de respecter l'écrivain, d'en-
Lannée suivante, avec l'aggravation de Ia menace de guerre, dont il de cette reconnaissance, qui est I'un des abquis du XX" siècle. talent. Patrick Kéchichian récuse cette différenciation entre l'homme visager sa parole comme intégralement responsable et son æuvre
imputait la responsabilité aux iuifs, Céline devint dans Bagatelles et l'ceuvre, entre certains écrits honteux, ses pamphlets antisémites, comme un ensemble cohérent.
pour un massacrelavoix la plus tonitruante de l'antisémitisme. Dans Henri Godard , Le Monde daté du 25.07.2cl1 et d'autres qui révolutionnent I'esthétique romanesque. Il conclut en
reprenant habilement une citation de son contradicteur : « Céline
s'est mis à lamais hors de toute consécration offlcielle. » Patrick Kéchichian, iournaliste,
ancien chef adjoint du Monde des livres, Le Monde daté du z5.ot.zorr
68 La questlon de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvru siècle à nos jours La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos lours 6ÿ
L,ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
Voltaire propose l'utopie réflexion sur le rapport entre soi et l'autre n'a jamais cessé. Les
La réflexion sur l'homme à travers les textes l'Eldorado, dans Candide, il y
montre l'importance des arts et
de La
textes argumentatifs peuvent être directs : Montaigne, dans Ies Essais,
critique l'ethnocentrisme et Levi-Strauss, ethnologue du xx" siècle,
JO La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvro siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos jours /1
UN SUJET PAS A PAS UN SUIET PAS A PAS
des écoles de
. Fondées sur des différends es- brouilla tout, fit un art à sa mode se prolongea dans chaque nu- « Un gros serpent mordit Aurèle
réformateur, portent en germe appréhendent de vivre. » (« Des Lobservation de la valeur :
décrits. Sa verve provocatrice trou- peuple n'a guère d'esprit, et les ment dans des formes variées, de vant, par un retour grotesque,/ une certaine courtoisie. Voltaire Ce fut le serpent qui creva. »
à tout le peuple, que le prince personnage.
vera sa descendance littéraire avec grands n'ont point d'âme : celui- la petite phrase assassine au pam- Tomber de ses grands mots le répliqua par des pièces ridiculi-
fût heureux et comblé de gloire XIX" SIÈCLE
Montesquieu dans ses Lettres per- par lui-même et par les siens, là a un bon fond, et n'a point de phlet outrancier, en passant par faste pédantesque. » sant Fréron, et lui lança cette épi-
(Boileau, Art po étique, t67 4.1
Le succès dAlexandre Dumas lui
sanes, Marivaux et Beaumarchais dehors ; ceux-ci n'ont que des l'épigramme. gramme:
que ma patrie fût puissante et attire bien des critiques. La pire
dans leurs meilleures tirades et formidable, si triste et inqui- dehors et qu'une simple suPer- CITAT!ON XVII" SIÈCLE XVIII'SGCTE « L autre iour au fond d'un vallon, fut celle de Mirecourt qui, dans
Voltaire dans ses contes. On ne et, j'y vivais dans I'oppression ficie. Faut-il opter ? le ne balance Boileau dénigre la poésie de Ennemi (littéraire) des philo- Un serpent piqua fean Fréron; Fabrique de romans : maison
peut cependant réduire La Bruyère ou dans l'indigence ? » (« Du pas : je veux être peuPle. » (« Des « Lagloire ou le mérite de certains Ronsard : sophes, Fréron s'attaqua surtout Que croyez-vous qu'il arriva ? Alexandre Dumas et compagnie
à la seule dimension d'auteur Souverain ou de Ia république ») Grands »). hommes est de bien écrire ; et de « Villon sut le premier, dans ces à Voltaire qu'il avait décrit dans Ce fut le serpent qui creva. » s'attaquait plus à l'homme qu'à
« plaisant ». La Bruyère est l'un des tout Pre- La Bruyère ouvre la voie, avec les quelques autres, c'est de n'écrire siècles grossiers,/ Débrouiller l'art les Lettres sur quelques écrits du Fréron répondit que l'épi- ses ouvrages, ce qui lui vaudra
À côté des maximes et des por- miers à manifester une sensibil- Caractère s, auxgrandes æuvres des point. » (La Bruyère, Les Carac' confus de nos vieux romanciers. temps : « sublime dans quelques- gramme existait depuis belle d'être condamné à 15 iours de pri-
traits, Ies Caractères (t688) con- ité aux souffrances du peuPle : « philosophes » du siècle suivant. tères, t688.) Ronsard, qui le suivit, par une uns de ses écrits, rampant dans lurette, sous la plume de Bruzen son pour diffamation.
/2 La question de l'homme dans les genres de I'argumentation, du xvt" siècle à nos jours La question de I'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos jours /]
L'ARrrcLE DUIII[onûe L'ARTICLE DU IIIIONûE
7 4 tu question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de I'argumentation, du xvr" siècle à nos jours /§
L'ARrrcLE DUIII[omû,t
Enfin, une autre rebelle pas douloureuse, George Sand... de vue juridique. Qu'elles puissent divorcer, gérer leurs biens. Il ne
Elle a eu la durée. Olympe de Gouges est morte à 45 ans, Flora Tris- faut pas qu'elles subissent Ie ioug d'un homme. Le droit de vote
tan 4r ans, elle à 7z ans, ce qui à l'époque était un âge assez avancé.
à doit être la sanction d'une évolution.
Cette durée fait d'elle une sorte de bloc qui traverse le siècle. C'est C'est une vraie rebelle, qui n'hésite pas à passer pour ce qu'on
une figure. « La grande femme », comme dit Victor Hugo. Elle a appelait une femme de mauvaise vie. Elle aime afficher sa posture
tout. Elle veut tout. Les amours, masculines plutôt, féminines de rebelle, dans de multiples dimensions. C'est une personne
aussi. Lamitié est pour elle très importante. Elle se sentait complexe. Très séduisante. Elle avait un goût du bonheur que n'a
mieux hommes car la plupart des femmes de son temps
avec les pas du tout Flora Tristan, qui a plutôt une posture de martyre, ce
étaient conventionnelles et ennuyeuses. Elle se vit comme une qui ne veut pas dire de victime.
bohémienne, ce qui pour elle veut dire à la fois artiste et rebut du Et comment classer les pionnières, Des femmes qui n'ont pas
monde. Les femmes de son milieu la détestent. Comment une fille nécessairement été rebelles, mais ont nourri une certaine
d'aristocrate ose-t-elle se comporter ainsi ! On semble avoir oublié forme de rébellion ? Par exemple Mary Quant, qui a inventé la
que sa grand-mère était femme de théâtre, une femme de salon, miniiupe ? Et, naguère, Brigitte Bardot ?
de conversation. George Sand choque et a choqué longtemps. En effet, elle a provoqué un acte qui n'était pas conforme aux
Elle pose des bases très modernes pour les femmes, l'indépen- normes, donc était une forme de rébellion. Bien strr, dans ma ieu-
nesse, Brigitte Bardot était une flgure de rebelle. Pas une révoltée.
dance financière notamment.
Gagner sa vie était fondamental pour elle. EIle se bagarrait avec ses fe Ia voyais comme une fille insolente, qui, avec sa beauté, au Iieu ENSEIGNEMENT
éditeurs pour être payée correctement. Elle était très mécontente de s'incliner devant les hommes, les maniait. Dans Ia rébellion, il
que sa fille, très jolie, se comporte comme une coquette sans pen- y a généralement une insolence. DE LITTERATURE PREMIERE L
ser à travailler vraiment. Quand elle écrit Consuelo, elle construit Toutefois, Bardot est devenue militante. Pour Ia cause animale. Et
une figure de femme libre, qui parcourt I'Europe en compagnie quand on constate I'importance que prennent les animaux dans
d'un musicien, s'habille en homme, chante avec une voix magni- l'histoire, où ce thème émerge de façon étonnante, on se dit que,
fique, rencontre les hommes de pouvoir. EIle construit Ià son idéal. de nouveau, elle a senti une modernité.
Et une figure de rebelle. Du reste, dans ses romans, il y a beaucoup Où sont les rebelles d'auiourd'hui ?
.,:-.'r.'.
de figures de rebelles. Même si on Ia lit moins aujourd'hui - sauf Dans les pays otr les droits des femmes sont menacés ou n'existent
sesécrits autobiographiques -, elle a une dimension littéraire que pas encore, elles sont nombreuses. Certaines sont très ieunes,
n'ont pas les deux autres. Pour les historiens, sa correspondance comme Ia Pakistanaise Malala Yousafzai, 17 ans, qu'on a voulu t:
est une source précieuse. Elle avait un grand don épistolaire. Et tuer parce qu'elle revendique le droit à l'éducation pour toutes
de l'humour. Ies filles. EIIes sont en Tunisie, en Iran, en Inde... Elles se heurtent
Curieusement, George Sand ne revendique pas le droit de vote à des obstacles, à de terribles frontières.
pour les femmes. La rébellion ne suppose-t-elle pas une certaine oppression ?
Elle a une autre logique. EIle pense que les femmes doivent d'abord fe pense que oui. En Ukraine, Ie geste des Femen, la nudité, est un
se libérer. Si on leur donne Ie droit de vote pour qu'elles mettent signe de rébellion. Dans les pays islamiques aussi. A Paris, ça n'a
dans l'urne le même bulletin que leur mari, ce n'est pas, selon elle, pas Ia même efficacité, c'est presque seulement un happening.
une bonne chose. Elle estime que la priorité pour les femmes est
d'obtenir les droits civils. Il faut d'abord qu'elles s'émancipent Propos recueillis par |osyane Savigneau,
comme individus. Qu'elles soient les égales des hommes du point Le Monde daté du ro.o7.zor4
76 ta question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvru siècle à nos jours
L,ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS
Le Collègeroyal est également la manifestation de l'une des grandes denombreux abus ou dérives de l'Église : conduite indigne de certains
Vers un espace culturel européen : ambitions de l'humanisme : l'ambition pédagogique. En effet, tous
Ies humanistes ont contribué à la diffusion du savoir. Les manuels de
ecclésiastiques, importance trop grande accordée aux rites et surtout
trafic d'indulgences (« commerce » par lequel les pécheurs pouvaient
Renaissance et humanisme
grammaire, les traductions, les dictionnaires sont des outils essentiels racheter leurs erreurs en payant l'Église). Luther lance alors le mou-
mis à la disposition des étudiants, mais aussi des hommes de la bonne vement de la Réforme qui vise le domaine ecclésiastique, mais aussi
société désireux de se cultiver. Plusieurs éléments font l'originalité les structures sociales et politiques. La Réforme reioint l'humanisme
L'humanisme est un mouvement Intellectuel et culturel qui s'est épanoui pendant la de cette pédagogie :
le tyran est un homme comme un autre, pourtant il les domine. . « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »
-:.-,
Le texte lntroduction b) Le tyran, un homme surhumain
.- t t -.-t !--
Celui qui vous maÎtrise tant La Boétie (rSto-rS6l) est resté dans les mémoires comme l'ami de Le tyran semble donc décupler les capacités d'un seul homme (expres- . « Quelle malchance a pu dénaturer l'homme - seul vraiment
Montaigne avec lequel il partage le même idéal de tolérance. né pour vivre libre - au point de lui faire perdre la souvenance
n'a que deux yeux, n'a que sions hyperboliques :« vous maîtrise tant », « tant d'yeux », « tant de
de son premier état et le désir de le reprendre ?»
deux mains, n'a qu'un corPs Dans cette ceuvre de jeunesse, La Boétie réfléchit sur la tyrannie. Elle mains », « les pieds dont il foule vos cités »).
(Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1548.)
et n'a autre chose que ce qu'a ne repose, à ses yeux, que sur le consentement du peuple qui a perdu
I
le moindre homme du grand son aspiration naturelle à Ia liberté. UI. Clé de cette contradiction : les hommes créent eux-mêmes les . « Sur le plus beau trône du monde, on n'est jamais assis que
nombre infini de vos villes ; si- Cet extrait correspond a un discours provocateur Pour montrer que conditions de leur esclavage. sur son cul ! »
' 1 , ,. 1 .
non qu'il a plus que vous tous, Ies hommes sont responsables de leur servitude' a) Le tyran, une création de tous
.,;. Comment La Boétie parvient-il à convaincre les hommes qu'ils sont . « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme
c'est l'avantage que vous lui Phrases renversant le rapport sujet/objet : le « vous » devient agent.
-... .:_--1.,'
tyrannie qui pèse sur eux lui qui fait le tyran. porte la forme entière de l'humaine condition. »
faites, pour vous détruire. D'ot) les propres responsables de la ? C'est donc
. ''', : il a pris tant d'yeux, dont il vous b) Le peuple n'est pas innocent
. « Il n'y a point de bête au monde tant à craindre à I'homme
épie, si vous ne les lui baillez ? Le plan détaillé du déveloPpement Peuple « complice » : expressions supposant un assentiment.
que l'homme. »
Comment a-t-il tant de mains I. Un discours polémique. Lexistence de la tyrannie réside donc dans la seule volonté du peuple (re-
:.. , -. .. .' pour vous frapper, s'il ne Ies a) Les formes du discours levé et analyse des verbes de volonté dans les demières lignes de l extrait). . « Ne cherchons pas hors de nous notre mal, il est chez nous, il
.,,.., prend de vous ? Les pieds dont il Multiples pronoms de 2" personne. L impératif final appelle les est planté en nos entrailles. »
foule vos cités, dbir les a-t-il, s'ils hommes à réagir. Conclusion (Michel Eyquem deMontaigne, Essar's, t58o-t588.)
N,4anuscrit du Drscours de ia b) Inclure les interlocuteurs dans le discours Ce texte provoque le lecteur, en inversant le rapport de responsabili-
ne sont les vôtres ? Comment
servitude volontaire d'Étienne de La . « Comment pourrais-ie gouverner autrui, qui moi-même
Boétie, (1574) a-t-il aucun pouvoir sur vous Recours aux questions rhétoriques, interpellant les lecteurs, tout en té qui iustifle l'existence d'une tyrannie. Cet extrait est caractéristique
gouverner ne saurais ?»
que par vous autres mêmes ? Ieur imposant Ies réponses. de l'esprit humaniste par le souci accordé à la dignité humaine.
(François Rabelais, Gargantua, 1534.)
Comment oserait-il vous courir sus, s'il n'avait intelligence avec vous ? c) Une portée polémique
[...] Vous vous affaiblissez, afin de le faire plus fort et plus roide, à vous Choix d'images frappantes, notamment celle de l'animal, pour Ce qu'il ne faut pas faire . « La tâche de l'homme politique est de tirer d'affaire au moins
. Relever des figures de style sans les mettre en relation avec le sens
choquer, interpeller le lecteur et le faire réagir. quelques individus. »
tenir plus court la bride ; et de tant d'indignités, que les bêtes mêmes du texte.
. Se contenter de reformuler I'idée principale du texte. (Thomas Mor e, Utopie, 1516.)
ou ne sentiraient point, ou n'endureraient point, vous pouvez vous en
Les bons outils
délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement
observer les procédés littéraires de la provocation :
de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. - emploi des pronoms (présence et place du vous en particulier) ;
(Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, t548.) - figures de style (questions rhétoriques, hyperbole) ;
- organisation des phrases renversant le rapport suiet/ objet.
RE PÈRES
PERSON NAGES I M PORTANTS
Dans le texte à commenter, on mettre le contenu de la réPonse. peuple, ce qui est mis en évidence
Deuxfigures de sÿle humaines. Son « relativisme » est
trouve une hyperbole « numé- Dans l'extrait proposé ci-contre, ici, c'est qu'aucun homme n'a tant Grands noms d e l'humanisme. MONTAIGNE (rSlt-rSgz) tA-BOÉTIE (r53o-r562)
essentielles de la provocation.
rique » (« le moindre homme La Boétie accumule Plusieurs d'organes.
fnasnnE $467-196),
un élément fondamental de la ET LES TSSA/S PFÉCURSEUIi DrS n rUffirS,
HYPERBOTE phrases de ce type : « D'où il a pris Comment a-t-il aucun pouvoir pensée de la Renaissance. Édités dans leur première ver-
du grand nombre infni de vos «
A tA SOURCE Le Discours de la servitude volontaire
Lhyperbole est une figure de style villes ») et une hyperbole comPa- tant d'yeux, dont il vous épie, si sur vous que par vous autres DE I.A RENAISSANCE AGEIPPA D'AUBIGNE, sion en r58o, enrichis au fils des de La Boétie, publié en 1574, préfi-
qui consiste à mettre en relief une rative (« tant d'indignités, que les vous ne les lui baillez ? » ; « Com- mêmes?»;«Commentose- INTEttECTUEttE POETE « ENGAGE » années, les tssais de Montaigne gure la philosophie des Lumières.
notion, une idée, par I'exagéra- bêtes mêmes ou ne sentiraient ment a-t-il tant de mains Pour rait-il vous courir sus, s'il n'avait Dbrigine hollandaise, Érasme re- Écrit entre 1577 et 1589, le long inaugurent une nouvelle forme Sa thèse originale, selon laquelle le
tion des termes employés. Ain- vous frapper, s'il ne les prend de intelligence avec vous ? ». Ces prend des études à Paris, à l'âge poème des Tragiques (ro ooo Iittéraire annoncée dans l'avertis- peuple qui se donne un roi ou un
point ou n'endureraient Point »).
si, par exemple, dans « J'ai mille vous ? » ; « Les pieds dont il foule deux autres questions rhéto- de z5 ans, auprès des humanistes vers) n'a pu paraître qu'en 1616, sement au lecteur : « je suis moi- tyran assure volontairement son es-
choses à te dire ! », l'exagération QUESTION RHÉTORIQUE vos cités, d'où les a-t-il, s'ils ne riques s'élèvent du concret (les français. I1 publie en 15oo ses dans une France religieuse paci- même la matière de mon livre ». clavage, a été populaire notamment
passe par le choix de l'adiectif nu- Une question rhétorique (ou sont les vôtres ? » organes) à I'abstrait (Pouvoir, Adages et en 1511, son plus célèbre flée. Sur un ton tour à tour épique, Recueil de réflexions sur son ca- pendant la Révolution. : « Cbst un
méral « mille ». question oratoire) est une Les « yeux » du tyran, qui sur- intelligence) pour énoncer la ouvrage : Éloge de Ia folie. Dans prophétique, parfois violemment ractère et les épisodes de sa vie, extrême malheur que dêtre assujet-
Lhyperbole utilise des superlatifs, question de discours qui in- veillent, les « mains » qui même évidence : c'est Ia sou- cette « déclamation » qui four- satirique, Agrippa dAubigné il s'en dégage une philosophie du ti à un maître, dont on ne peut être
des adverbes, des comparaisons duit une « réponse » évidente. frappent, symboles de la coer- mission, voire la complicité du mille de citations et de références évoque les longues luttes reli- bonheur de portée universelle. jamais assuré qu'il soitbon, puisqu'il
(« s'ennuyer à mourir »), des pré- Elle implique le destinataire du cition, Ies « pieds » qui foulent, peuple qui « fait » le tyran. savantes, Érasme ébranle les fon- gieuses du xvf siècle en pourfen- Leur version définitive paraît à est toujours en sa puissance dêtre
fixes (super-, hyper-, méga-, etc.\. discours sn ls « forçant » à ad- symbole du mépris sont ceux du dements de toutes les certitudes dant l'intolérance catholique. titre posthume en 1595. mauvais quand il voudra. »
Pausanias et Athénée, ces antiquaires si soigneux de consigner les choses indigeste et prétentieux franco-latin et dédaigne « l'usance commune de Certaines pages, comme au liers Iivre la consultation du iuge Bridoye, en la certitude de vivre un âge nouveau, de réinventer la culture, de déflnir une
et de nous en transmettre l'épaisseur : la philologie est tout le contraire
parler ».Mais,à la différence des faux modernes qui ne méprisent que parce nouvelle manière de penser, de parler, d'être au monde. Cette certitude est
sont presque illisibles. Le lecteur d'auiourd'hui les regarde avec respect, dé-
qu'ils ne savent pas, Rabelais plaide pour « notre langue gallique » parce qu'il
de la logophilie, qui aime Ies mots pour eux-mêmes. concerté par ce déferlement. Il ne lui reste, pour en rendre compte, qu'à louer source de gaieté, et les personnages de Rabelais sont gais : c'est la gaieté,
Comme les novateurs de son époque, Rabelais croit à I'éducation, mais, est également chez lui dans l'antiquaille. globalement la science de Maître François, bon représentant de « l'esprit » de l'aptitude à rire de tout, qui sauve ceux{à mêmes que son æuvre tourne
comme eux aussi, il ne la conçoit que comme une sorte de va-et-vient la Renaissance et de sa boulimie intellectuelle, ou, à f inverse, à soupçonner en dérision, pour peu que leur rire ne les épargne pas. Ianotus lui-même
entre l'observation du monde et le témoignage des livres, et ceux-ci ont L'éducation des sphincters Rabelais de parodier un travers de son temps. C'est aller trop vite en besogne. s'associe à l'immense éclat de rire qui accueille sa harangue, et l'amour de
assez d'importance pour que, pendant les repas, on s'informe de la qualité Ce dynamisme d'un savoir tourné vers Ia modernité, vers les tâches du Le rire de Rabelais n'épargne pas l'érudition, sans pourtant qu'il ne faille y soi qui conduit Panurge ne l'empêche pas de savoir souvent garder quelque
des aliments dont on se nourrit en se reportant aux grands auteurs qui monde d'auiourd'hui, d'un savoir qui hérite pour transmettre, innerve voir que dérision. Rire de connivence quand la référence érudite est comme distance avec soi, rire de soi. Pour être sage, il faut savoir être fou.
en ont traité, au point, pour en être plus assuré, de les faire apporter à l'æuvre de Rabelais. C'est lui qui permet de faire du petit Gargantua cet un signe adressé à la complicité du lecteur qui partage le même savoir :
Dans les temps de désenchantement et de crise - et Dieu sait si la Renais-
table. Le savoir des autres est appelé à guider et à contrôler l'expérience ; être apte à commander que révélera la gu'erre picrocholine. Pourtant sa l'Europe culturelle, c'est aussi ce sentiment, très fort chez les humanistes, de sance a connu de profondes crises, dont la phis apparente est I'éclatement
les oreilles sont appelées à guider et à contrôler le témoignage des yeux. nature ne l'y disposait guère ; né flegmatique, il semblait destiné, comme formet une communauté - supranationale, dirions-nous -, qui, constituée de la chrétienté millénaire -, il n'est pas sans fruit de prêter l'oreille à
Ni les yeux ni les oreilles ne suffisent séparément à fonder le savoir ; pour dit un médecin du temps, à se sufflre d'un lit et d'une marmite. Sa petite dans et par une commune passion pour les lettres antiques, fondement lbptimisme vigilant dont témoigne l'æuvre de Rabelais. Né au soir du
l'établir, leur collaboration est nécessaire. Épistémon, entrant dans la chau- enfance le fait voir livré aux manifestations de son naturel, flantant, de l'identité européenne, a conscience de ce que la diversité de ses intérêts xv'siècle, il ignore la mélancolie des flns de siècle.
mine de la sibylle de Panzoust, a tort de s'assurer, au vu de sa seule aPparence, pissant, rendant sa gorge, rotant, éternuant et se morvant en archidiacre, répond à de mêmes enieux. Rire d'espièglerie, quand la référence érudite,
qu'elle est une vraie sibylle. Mais ceux qui se contentent dbuiï ont également peu pressé de quitter le lit et avide de gagner Ia table. plus ou moins truquée, concourt à resserrer cette complicité, mais signale lean Céard, Le Monde daté du 25.03.1994
est d'abord apparu à Gdipe sous les traits d'une jeunefille,lui donne la Dans tous les cas, la création est une inscription dans une lignée
Les réécritures, du xvII" siècle à nos iours solution de l'énigme.) Le Sphinx- [...] fe te demanderais par exemple :
Quel est l'animal qui marche sur quatre pattes Ie matin, sur deux
d'euvres. Cette position est celle de la Renaissance et du xvlr" siècle.
L humanisme, qui redécouvre les textes de lAntiquité, puis le classi-
pattes à midi, sur trois pattes le soir ? Et tu chercherais, tu chercherais. cisme, ne conçoivent pas I'écriture autrement que comme l'imitation
Un écrivain est avant tout un lecteur : il est nourri de littérature. De fait, lorsqu'un À force de chercher, ton esprit se poserait sur une petite médaille de
ton enfance, ou tu répéterais un chiffre, ou tu compterais les étoiles
des Anciens. La valeur d'une æuvre ne réside pas, alors, dans le fait
d'être totalement inédite : elle réside dans sa capacité à redonner vie
auteur décide de prendre la plume, il est déjà imprégné des textes, des histoires et du entre deux colonnes détruites ; et je te remettrais au fait en te dévoi- à l'æuvre ancienne, et à l'enrichir par un style propre.
style de ceux qui I'ont précédé : ilemprunte donc des chemins déjà parcourus. Quelles lant l'énigme. Cet animal est l'homme qui marche à quatre pattes Cependant, on peut également considérer que l'emprunt n'est pas
formes peut prendre cet emprunt ? Comment I'emprunt s'intègre-t-il au texte nou- lorsqu'il est enfant, sur deux pattes quand il est valide, et lorsqu'il est
vieux, avec Ia troisième patte d'un bâton. Gdipe - C'est trop bête ! »
loin du plagiat, c'est-à-dire du « pillage » d'æuwes, et de la répétition,
c'est-à-dire du ressassement sans apport nouveau. De plus, le fait de
veau, et comment en révèle-t-il I'originalité ? La transformation du texte initial a pour conséquence d'ôter à Gdipe penser, comme le faisaient les Classiques, que l'imitation est Ia seule
sa grandeur, sa sagacité, puisque la solution lui est donnée par le voie possible, comporte des risques, en particulier celui de briser un
compte alors sur la culture de son lecteur, avec lequel il tisse un lien Sphinx lui-même. La réplique du personnage « C'est trop bête ! », élan créateur original. Les modèles peuvent alors devenir les gardiens
de connivence. par son registre familier, souligne le prosaisme choisi par Cocteau : d'une prison littéraire.
Exemple : dans le même roman de Robbe-Grillet, on trouve ainsi le le tragique n'est plus le domaine réservé des héros, mais il reioint ici Au xx" siècle, les Romantiques voient la réécriture comme un carcan.
dialogue suivant : « - Dis-moi un peu quel est I'animal qui est parricide la sphère commune. Pour eux, les modèles jusque{à admis sont des prescripteurs de
le matin... - Il ne manquait plus que cet abruti-là, s'écrie Antoine. Tu La traduction est encore un autre mode de réécriture ; le passage normes facteurs de sclérose.
ne sais même pas ce que c'est qu'une oblique, ie parie ? - Tu m'as l'air d'une langue à une autre entraîne de nombreuses transformations, Mais, tout en respectant le désir de nouveauté et en acceptant une
oblique, toi, dit l'ivrogne d'un ton suave. Les devinettes, c'est moi qui et pose des problèmes d'interprétations au traducteur. En effet, il est ouverture, il faut admettre que celui qui écrit ne peut faire autrement
les pose. J'en ai une tout exprès pour mon vieux copain... [...] - Quel délicat de parvenir à traduire le sens exact d'un mot ou d'une phrase, que de puiser dans un fonds (que ce soit au niveau des mots, du
est l'animal qui est parricide Ie matin, inceste à midi et aveugle Ie mais aussi ses connotations, le registre de langue, etc. De plus, chaque lexique, ou des thèmes). La réécriture est créative, dynamique,
soir ? » Il est ainsi fait allusion au mythe d'Gdipe, en le détournant :
langue s'accompagne d'une culture propre, et aucune transposition lorsqu'elle articule l'ancien et l'inédit. Il faut, pour cela, que l'auteur
Les différents modes de la réécriture la forme des questions est la même, mais la réponse attendue n'est n'est jamais parfaite, ce que le proverbe italien « Traduttore, tradit- comprenne et écoute la source qu'il a choisie, mais sans la recopier
Un texte littéraire peut, tout d'abord, contenir un certain nombre plus « l'homme » mais « Gdipe ». Ce dialogue vient donc s'aiouter à tore » (« Traducteur, traître ») met en lumière. servilement. Un angle novateur est nécessaire pour « dépoussiérer »
de fragments venus d'un ou de plusieurs autre(s) texte(s). Dans ce l'épigraphe et forme un réseau souterrain, qui permet au lecteur de La transposition ou l'imitation est une variation littéraire assumée le modèle, de même que le modèle est nécessaire pour donner vie au
cas, l'auteur intègre à son æuvre des éléments propres à l'éclairer ou comprendre que Ie texte qu'il découvre prend sens à partir du mythe à partir d'un suiet, d'un thème déjà exploité par un autre auteur, successeur. C'est le sens de la formule de Paul Valéry : « Le lion est fait
l'enrichir. La citation est un court extrait, reproduit généralement antique. ou encore d'un « mythe » (comme celui d'Gdipe, mais aussi celui de de mouton assimilé. »
entre guillemets ou en italiques. EIIe peut être présente dans le récit, Le pastiche est l'imitation du sÿle d'un auteur. Dans ce cas, I'écrivain Faust, de Dom fuan, etc.). Des auteurs comme Racine ou Corneille, D'autre part, chaque ceuvre d'art est multiple, riche d'interprétations
ou bien dans le discours des personnages, ou encore en épigraphe - B « joue » à écrire comme l'écrivain A, la plupart du temps en ampli- au xvrr" siècle, puisent ainsi dans le fonds antique pour écrire leurs différentes. Les réécrire, c'est finalement leur redonner sa richesse, en
c'est-à-dire au début d'une æuvre ou d'un chapitre. flant certaines marques de son écriture (par exemple, la longueur et tragédies. Le changement de forme, par exemple l'adaptation d'un accentuant un aspect jusqueJà peut-être négligé ou minimisé.
Le sens de la citation influe sur le sens du texte de différentes façons : Ia complexité des phrases de Proust). I/intention peut être comique, roman au cinéma, est également une forme de transposition.
elle peut venir appuyer une argumentâtion ou, au contraire, faire voire satirique, mais elle peut constituer également un simple ieu
lbbjet d'une contestation. Elle permet parfois de caractériser un avec le lecteur, qui prend plaisir à reconnaître le style de l'auteur imité. Les positions face à ces procédés d'écriture TROIS ARTICLES DU MONDE A CONSULTER
personnage (notamment lorsque l'auteur, ou un personnage, qualifie La parodie consiste en une déformation du style, ou du texte On peut d'abord considérer qu'une écriture totalement vierge de toute
Ie héros du nom d'un autre personnage célèbre : un Dom |uan, un d'origine. Il peut y avoir un changement de registre (du tragique au référence à d'autres textes est une illusion. Écrire, c'est forcément . Tout pouvoir est-il criminel ?« Macbett »,
Rastignac, etc.). comique, de l'épique au prosaique, etc.), ou changement de genre réécrire : d'Eugène lonesco p. 88-89
(du théâtre à la chanson). Si Ie plus souvent, la parodie a, comme le (Bertrand Poirot-Delpech , Le Monde d,até du o3.oz.tg7zl
Exemple : l'épigraphe du roman Les Gommes dAlain Robbe-Grillet - soit parce que de façon inconsciente, tout auteur est imprégné de
. La seconde Guerre des boutons p. 89
(1985) est une citation de Sophocle : « Le temps, qui veille à tout, a pastiche, un but comique, elle peut cependant avoir pour obiectif ceux qui l'ont précédé ;
(Nils C. Ahl, Ie Monde des livres daté du ro.o7.zoo9)
donné Ia solution malgré toi ». Cette phrase initiale met Ie lecteur de souligner l'écart entre le texte source et le texte actuel, afin de - soit parce que, de façon volontaire, les auteurs cherchent à rendre . Kamel Daoud double Camus p. 90
sur la piste de la mythologie grecque, et, avec le terme « solution », lui renouveler une réflexion. hommage à leurs prédécesseurs ou, au contraire, à les tourner en (Macha Séry,Le Monde deslivres daté du z7.o6.zo14)
indique que le roman tourne peut-être autour d'une énigme. Exemple : dans Ia Machine infernale, Cocteau s'emPare lui aussi du dérision.
Lallusion permet de faire écho à un texte précédent, mais de façon mythe d'Gdipe ; lorsqu'arrive le moment de l'énigme posée par le
implicite. La source n'est pas donnée de façon claire, et l'auteur Sphinx au héros, voici le dialogue qui nous est livré : « (Le Sphinx, qui
REPERES
Cette diablesse de Madame logie pénétrante et surtout une mande, vient demander des Bouvard et Pécuchet, Baudelaire,
femme trouve la consolation dans À partir des derniers mots chucho- découverts au début de ce siècle
Diffé r ent e s r é é cr it ur e s Bov ary,Lionel Acher, zo or maîtrise de l'écriture qui est un comptes à Flaubert :inversant les frères Goncourt... Lauteur ac-
la relecture de Madame Bovary. tés par Emma : « Assassinée, Pas dans un grenier. La signature, un Alliée au Diable, Madame Bova- défi à Flaubert. fiction et réalité, Raymond Jean
de Madame Bovary. complit le proiet inachevé de son
suicidée. », deux policiers de Rouen «B» énigmatique, pourrait être
Madame Bovary est le roman qui ry ressuscitée, alias Fausta de la s'introduit avec une irrévérence grand-père, son homonyme, qui
. Claro, Madman Bovary, zoo8. sont dépêchés à Yonville afin d élu- celle d'un des acolytes silencieux Vaubyessard, règle ses comptes Madame Bovary sort ses grffis,
a le plus suscité le « désir palimp- affectueuse dans le chef-d'ceuvre avait reçu de Flaubert l'autorisa-
Avec le même point de départ, le cider l'affaire. Plusieurs suspects du narrateur de Madame Bovary, avec tous ces hommes qui furent Patrick Meney, r99r. qu'il admire. tion d'écrire une « suite.
sestueux » (selon le mot de Ge-
narrateur trouve ici dans le ro- possibles : un mari cocufié, un Prê- qui, dans le premier chapitre fait causes de ses malheurs et se Transposition parodique dans le
nette) des réécritures : pastiches, teur sur gages, deux femmes de
man de Flaubert un antidote en entendre sa voix diluée dans le venge de Flaubert lui-même. monde de la publicité, de la spon- Mademoiselle Bovary, Madame Homais,
parodies, transpositions, suites « entrant » dans Ie texte pour en caractère, un cynique libertin, un « nous » d'un sujet pluriel. sorisation et de la privatisation, Maxime Benoît-)eannin, r99r. Sylvère Monod, r988.
et développements romanesques modifler l'intrigue et la structure, pharmacien concupiscent...
Dans cette veine de réécriture Emma, Oh ! Emma !, oit Gustave Flaubert se voit prié Mademoiselle Bovary non seu- Sylvèqe Monod conte la vie de la
sur Ies personnages secondaires en endossant diverses identités :
centrée sur Charles Bovary : Laura facques Cellard, r992. par son éditeur de revoir sa copie. lement redonne vie aux per- femme du pharmacien, avant,
dont voici quelques exemples... puce, voyeur, pique-assiette, rô- Antoine Billot, Monsieur Bovary, Une réécriture iconoclaste
Grimaldi, Monsieur Bovary, 1991' où sonnages du roman précédent pendant et après le séjour des Bo-
deur et passager clandestin de la zoo6. Jacques Cellard donne Ia pleine Mademoiselle Bovary, (Homais, Rodolphe, I'usurier vary à Yonville. Le bon Charles ne
Monsieur Bovary était-il vrai- et JeanAméry Charles Bovary, Mé'
nef flaubertienne en déroute. mesure de ses talents d'auteur Raymond fean, t99t. Lheureux...) mais s'enrichit plus fut pas le seul mari trompé de la
Alain Ferry Mémoire d'un fou ment ce cocu pitoyable, ce prati- decin de campagne, Portrait d'un
romanesque : intrigue sans faille, Berthe, la fllle de Mme Bovary encore de figures inattendues commune.
d'Emma,zoog. Philippe Doumenc, Contre-enquête cien incompétent ? Réponse dans homme simple,t99t.
mouvement dramatique, psycho- ouvrière dans une filature nor- et hautes en couleur telles que
Un homme abandonné par sa sur la mort d'Emma Bwary , zooT . une dizaine de cahiers manuscrits
Commentaire de texte
b) Une récriture amusée discours caractéristiques d'humains confrontés aux « tempêtes )) symbo-
: Allusions à la version de La Fontaine : la tempête se déchaîne <( tout comme Iisant les événements difficiles, les crises de la vie. Évocation explicite des
la première fois ». Les personnages eux-mêmes semblent connaître la fable hommes : « l'humaine nature », « petites gens », « certains orgueilleux ».
Jean Anouilfi, « Le Chêne et le Roseau » de La Fontaine : « N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?/ La morale
en est détestable ».
Ces pluriels et l'usage du « nous » permettent d'ailleurs de donner une
portée générale au discours du roseau, encore renforcée par le verbe au
Lusage que les adultes font des fables de La Fontaine lues aux enfants : « Les présent gnomique : « nous [...] résistons ». La position du narrateur se
radicalement différente : le chêne apparaît noble, alors que le roseau est hommes [sont] bien légers de l'apprendre atrx marmots. » = ton critique + dessine de plus en plus clairement au fil de la fable :
Le texte flnalement plutôt mesquin et haineux. Comment Anouilh reprend-il ici terme familier et péioratif suggèrent avec humour une forme de supériorité, -commentaire entre parenthèses (« Il ne füt jamais permis ce mot avant »
ce récit célèbre pour donner à entendre une morale inattendue ? témoignant ainsi d'une grande distance par rapport à la fable originale. = lâcheté et vindicte du roseau qui apostrophe le chêne en Ie nommant
Le chêne un iour dit au roseau :
Dans un premier temps, nous observerons ce récit vif et plaisant, avant Transition: En effet, même si le chêne meurt aussi dans cette version, la « mon compère ») ;
« N'êtes-vous pas Iassé d'écouter cette fable ?
de nous intéresser aux caractéristiques de la récriture. Nous étudierons morale qui se dégage de l'apologue est bien différente de celle de La Fontaine. - pronom personnel indéfini (( on )), = narrateur témoin (« 9n sentait [...]
La morale en est détestable ; III. La morale haine satisfaite »).
enfin les deux personnages et la morale de I'apologue. sa
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots. Critiquant ainsi le roseau et sa mesquinerie, il laisse le dernier mot au
a) Le roseau
Plier, plier touiours, n'est-ce pas déjà trop Le roseau se caractérise par sa lâcheté. Il se réfugie derrière le groupe qu'il chêne, qui meurt, certes, mais devient par là même héroiQue et garde toute
Le pli de l'humaine nature ? » Le plan détaillé du développement prétend former avec « les petites gens ». Au lieu de parler simplement en sa grandeur iusqu'à la fin. À un homme qui choisirait de se soumettre et
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ; I. Un récit vifet plaisant de courber l'échine, le narrateur préfère l'homme qui résiste et ne renonce
son nom, il utilise le pronom personnel « nous », en affirmant par exemple
Le vent qui secoue vos ramures a) Un récit vif et dense
« nous autres [...] résistons [...] mieux ». Discours revendiquant sa petitesse. pas à son identité et à ses valeurs, quitte à en mourir.
(Si je puis en luger à niveau de roseau) Brièveté, 31 vers, alternance aléatoire octosyllabes/ alexandrins. Variété
Répétition de l'adiectif « petit » ; énumération d'adlectifs : « si faibles, s'
Pourrait vous prouver d'aventure, des rimes utilisées : croisées puis suivies succèdent aux rimes embrassées.
chétifs, si humbles, si prudents ». Répétition de « si » rythme régulier de Conclusion
Que nous autres, petites gens, Peu de détails et absence d'indices spatio-temporels précis « un iour »,
l'alexandrin (quatre groupes de trois syllabes) suggèrent une forme de A.vec « Le Chêne et Ie Roseau »,Anouilh offre une récriture originale de la
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents, dans « les bois ». Les personnages ne sont pas décrits, ils sont simplement
mesquinerie. Méchanceté dans le dénouement, attitude haineuse mise fable de La Fontaine. Déiouant les attentes du lecteur, il transforme les
Dont la petite vie est le souci constant, désignés avec le déterminant défini : « le chêne », « le roseau ». Densité :
en valeur dans la brève phrase nominale : « Son morne regard allumé. » caractéristiques des deux personnages pour livrer une fable plaisante, aux
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde dialogue initial introduit par un seul vers, suivi d'une péripétie narrée en
l,ss « peines » du chêne lui permettent d'exprimer sa « haine », comme le accents parodiques, et surtout nous incite à porter un regard plus critique
que certains orguellleux qui s'imaginent grands. » 4 vers ; dernier dialogue, après la tempête = dénouement agonie du chêne soulignent les deux termes à la rime.
Le vent se Iève sur ces mots, lbrage gronde. et une ultime réplique. sur cette « humaine nature » si encline à « plier ,. À un peuple humble
Transition: Le portrait du roseau est donc bien négatif et s'oppose à celui mais parfois servile, Anouilh oppose la grandeur et la fierté de celui qui
Et le souffle profond qui dévaste les bois, Transition :La concision et la versiflcation de la fable en font donc un texte
du chêne. refuse de céder. Dans cette perspective, le chêne ne rappelle-t-il pas Anti-
Tout comme la première fois, plaisant à lire, d'autant plus qu'il se caractérise aussi par une grande vivacité.
b) Le chêne gone, autre personnage célèbre de l'æuvre dânouilh, auquel il a consacré
Jette le chêne fier qui le narguait par terre. b) Un récit vivant
Le chêne se caractérise par son orgueil et sa fierté. une tragédie ? ii
« Hé bien, dit le roseau, Ie cyclone passé - Récit central de la tempête au présent de narration.
Première réplique : arrogance face au roseau, auquel il reproche implici-
I1 se tenait courbé par un reste de vent - Théâtralité : large part du dialogue, répliques introduites par la répétition tement de « plier ».
Qu'en dites-vous donc mon comPère ? du verbe « dire ». Enchaînement de questions / réponses. Ironie envers lui et envers la morale de La Fontaine : répétition de « plier »,
Ce qu'il ne faut pas faire
(ll ne se fût iamais permis ce mot avant.) Oralité : interiection suivie de I'adverbe « Hé bien », première réponse en iouant sur le mot pour mieux dénoncer cette faiblesse humaine (« le
Choisir de traiter ce suiet sans connaître « Le Chêne et le Roseau »
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ? » du roseau qui semble d'abord décalée par rapport à la question du chêne pli de l'humanité »).
de La Fontaine.
On sentait dans sa voix sa haine mimant ainsi une conversation banale et quotidienne. Transformation du personnage dans le dénouement : devient héroïque
Satisfaite. Son morne regard allumé. MéIange de registres de langue : soutenu (« lassé », « d'aventure » ou et touchant :
Caucase pareil,/ Non content Royaumes du vent./ La nature en- tendons la fln. » Comme il disait pire des Morts. valisent avec de plus puissants.
d'arrêter les rayons du soleil,/ vers vous me semble bien iniuste. ces mots./ Du bout de I'horizon (fean de La Fontaine,,Fables). (Ésope, « Le Roseau et l'Olivier »)
=
86 fnseignement de littérature - première L Enseignement de littérature - première t 8/
LES ARTT.LES DU lÏ[onûe LES ARTICLES DU !]J[ONûC
« Macbett )), d'Eugène lonesco vrai que les liens du pouvoir et du crime méritent d'être montrés dans ce
qui ressemble à une fatalité bouffonne, il est vrai surtout que l'entêtement
probable, que le théâtre est un art d'enfant.
l'ambition du pouvoir n'est autre qu'une envie personnelle sur Ie modèle De la farce au drame
Ce n'estd'ailleurs pas un hasard si Ionesco s'inspire pour la première fois
d'une libido déviée et dévoyée, c'est au cours d'un strip-tease des sorcières
En renvoyant Lebrac (l'un des deux chefs de bande de La Guerre et de la ieunesse, la disparition d'un monde d'ouvriers et d'artisans, la
d'un drame existant, si ses personnages ne sortent pas tout droit de son
des boutons) devant ses iuges (pour enfants), l'auteur prend le risque panne de 1'ascenseur social, l'apparition de la précarité nouvelle.
Imagination, s'il inaugure une carrière d'adaptateur. Car enfin cette pièce que s'afûrme Ia vocation de Macbett au crime politique. Au lieu de masquer
d'affadir considérablement le roman pour se donner les moyens de la Lenfance et la jeunesse nbnt pas tant changé, elles : leurviolence, leur bruta-
n'aurait pas vu Ie jour sans le chef-d'æuvre de Shakespeare. Ducan, Banco, leur ioie de dominer sous des faux-semblants flatteurs, comme dans
démonstration. On aurait ainsi pu lire les longues minutes d'un procès lité, ont Ies mêmes accents, les mêmes codes, la même beauté barbare. Mais
Macbeth, Ies fameuses sorcières, lui ont été donnés, ainsi que leurs forfaits Shakespeare et dans la vie, les tyrans assistent gaiement aux massacres,
banal, comme la presse en rapporte à l'occasion. Heureusement, servi Ies conséquences sont différentes. Parmi d'autres choses passionnantes,
et la leçon à en tirer. les prônent sans vergogne et Ies multiplient à plaisir.
par un style sobre, Bertrand Rothé n'oublie iamais - en basse continue, ceque la traduction contemporaine de La Guerre des boutons mesure avec
Cette jubilation éhontée et cet enchaînement fatal deviennent les thèmes en sourdine - le cantiquel'enfance qu'est le roman de Pergaud. Il nous
à précision, c'est le carcan d'une langue imposé à une autre - et le boulever-
Des poignards dans les sourires essentiels de la pièce. Sans offrir d'alternative, en paraissant les encourager convie à une promenade en compagnie des fantômes. Il compose pour sement social que cela trahit. « Le vocabulaire de l'administration » couvre
La leçon, surtout. En fait d'adaptation, il a plutôt écrit « sous le coup » pour mieux les dénoncer par l'absurde, l'auteur leur applique son sens cé- quatre mains à la quinte juste - les deux voix du passé et du présent ainsi de son ronronnement mécanique le rélouissant tintamarre des an-
de sa lecture de Shakespeare et, au moins autant, du critique polonais Ièbre de Ia prolifération cauchemardesque, son comique de l'énumération sont toujours superposées, mais pas à l'unisson. ciennes saillies et des anciens iurons de Lebrac, lAztec, Camus, Grangibus,
Jan Kott ramenant Macbeth à Ia folie de tout pouvoir (Shakespeare, notre hétéroclite, son goût de l'anachronisme et du calembour - il est question Le plus surprenant, peut-être, c'est que s'il s'agit d'une réécriture, elle ne La Crique et les autres.
contemporain,pages 1oo à rr4, Julliard, édit., 1962). de fuir au Canada, d'exécuter à Ia guillotine et de manger des crêpes... de se fait pas (comme souvent) sur le mode du pastiche ou de la parodie. Ici, Lebrac, trois mois de prison est en vérité le roman d'un regard, le nôtre.
Qu'aucun gouvernant n'échappe à la démence et au crime paraît avoir Chine ! Alors, il n'y a plus à se tromper : c'est bien l'lonesco de touiours pas de Virgile travesti. Si l'undeux livres est trivial, rabelaisien, libéré,
des Dessillé, croit-on, mais surtout désenchanté et aseptisé. La modernité du
tenu lieu d'idée fixe à l'auteur, et l'avoir moins scandalisé - puisque, par c'est celui de Pergaud. A contrario, Lebrac, trois mois de prison célèbre le
que nous reconnaissons, imprévisible et familier, rageur et ingénu, d'une livre de Pergaud résidait dans sa sincérité, dans la justesse d'un ton. Celui
passage de Ia farce au drame, avec une moue dubitative, mais non sans
hypothèse, il n'y a rien à faire là-contre, pas de meurtre qui mette fin aux Iiberté d'invention sans égale. de Bertrand Rothé brille par ce qu'il dit de la flction de l'enfance, de la fiction
ironie. De nos iours, l'hymne à la liberté conduit entre les murs d'une tout court. Ia Guerre des boutons n'est plus un livre pour les enfants, c'est
meurtres - que conforté dans son refus instinctifdes engagements et dans
prison. Les ieux (dangereux) de l'enfance décrits par l'instituteur Louis
Ie sentiment, touiours facile à faire partager, que les dirigeants du monde Un art d'enfant un procès-verbal. C'est une histoire devenue impossible. Impossible à vivre
Pergaud mènent tout droit au tribunal des mineurs. sans que la justice des adultes s'en mêle. Impossible à lire en classe « sans
« se Quant aux hécatombes de lampistes qu'entraînent les
valent tous ». Le cadre aide à le retrouver : ce Théâtre de lAlliance française, oir - il va y
Le lecteur trouvera ici deux livres en un. Non seulement l'ancienne et la soulever un tollé [des] parents
avoir dix ans déià - s'est impo sé. Le roi se meurt,le d,écor de facques NoëI,
», comme Laurent Bonelli le suggère dans
courses au pouvoir, loin de s'en indigner comme l'Hector de Giraudoux nouvelle Guerre des boutons, mais encore un essai et un roman parfai- sa postface. Fausse pudeur ?
dans la Guerre de Troie, il s'en amuse Presque, sans qu'on sache si I'assas- dont Ies lointains en gouffres d'opéra rappellent chaque fois les vertiges tement consubstantiels. C'est un hommage à la flction et à ses pouvoirs. On ne dira pas « Si l'avais su, j'aurais pas venu », comme P'tit Gibus dans
sinat des autres au combat lui paraît à tout prendre moins digne de pitié métaphysiques de l'auteur, Ia mise en scène baroque et le ieu touiours Mieux encore que les instantanés statistiques des articles et des enquêtes l'adaptation d'Yves Robert (196r). « Le Crapaud » de Victor Hugo
que sa propre fin naturelle, lu si son écæurement prend par pudeur Ie étonné de |acques Mauclair, devenu f inteiprète d'lonesco par excellence' consacrés aux relations difficiles de Ia jeunesse et de ses figures d'autorités (La Légende des siècles, XIII, 2) nous avait depuis longtemps prévenus de
masque du cynisme. Si la présence de ieunes et Jolies comédiennes, comme Brigitte Fossey et (policiers, professeurs, juges), la fiction donne à voir la continuité d'un la sauvagerie de l'enfance 2 « l'étais enfant, j'étais petit, j'étais cruel/(...)
Car il y a beaucoup d'humour noir dans ce Macbett. Selon le mot du flIs Geneviève Fontanel, a de quoi surprendre - après la distribution quasi changement inéluctable de société. Lebrac, trois mois de prison ne té- que faire/sinon torturer quelque être malheureux ? » :i
de Duncan, dans ShakespeTls, « il y a des poignards dans les sourires des rituelle de Tsilla Chelton - Alain Mottet, en Duncan aussi veule qu'acharné moigne pas que de l'enfance, mais aussi, et surtout, du monde des adultes.
daggers in men's smiles », II,3). Pour bien montrer que à tuer, se révèle un comédien très « ionescien ». En creux, il brosse le portrait des parents et des professionnels de I'enfance
hommes » (« There's Nils C. Ahl, Ie Monde des livres d.até du 1o.o7.2oo9
r
se
faire contrepoids à l'absurde de notre situation. » Salué par Ia cri-
a-t-il pu ainsi reléguer dans l'ombre le véritable opprimé, au point de lui
confisquer son identité
tique pour son style proche de celui de Camus, sans en être une imi-
tation, le roman de Kamel Daoud pourrait bien lnspirer les auteurs rB
*[F''
?
Assasse. Le ieune homme, peu loquace, possédait un corps maigre et l'aumônier. Il finit donc par lui ressembler trait pour trait.
noueux, un visage anguleux à moitié mangé par une barbe. Que faisait-il I1 en va de même pour Albert Camus et Kamel Daoud. Lui aussi romancier
-
ce jour-là, allongé sur le sable, lorsque Meursault a croisé son chemin ? et iournaliste, Ie second tient, depuis dix-sept ans, une chronique poli-
Son frère cadet, le narrateur de Meursault, contre'enquête l'ignore, tique féroce à l'égard de Bouteflika dans Le Quotidien d'Oran. Sa langue,
malgré ses tentatives de reconstitution. Toute sa vie, Haroun a vécu à la fois classique et neuve par ses métaphores, dense et sensorielle, =
dans le deuil de son aîné, au côté d'une mère assoiffée de vengeance. admirable de clarté et de mystère mêlés, rappelle, sans le copier toutefois,
Au soir de son existence, pareillement à Jean-Baptiste Clamence, le juge le style dAlbert Camus.
pénitent de La Chute (1956), l'homme se confesse dans un bar : un long Comme le gamin de Belcourt, Kamel Daoud est né dans une famille ou
monologue proféré devant un prétendu « universitaire ». C'est, ni plus ni personne ne savait lire. C'est seul qu'il a appris la langue française, seul
moins, une oreille. La nôtre, à l'écoute d'un homme désabusé, prompt à enfant encore de sa fratrie à avoir suivi des études supérieures. « Une
digresser et à remâcher ses souvenirs. Peut-être n'est-il qu'un alcoolique langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors, elle prend
mythomane. Lintéressé, au reste, n'écarte pas cette hypothèse. Lhabitué I'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche
fantôme de la bouteille ».
du bar invoque, en effet, à plusieurs reprises, le «
comme le fait le couple dans le baiser vorace », dit Haroun, le narrateur.
Inversant la perspective dès l'incipit (« Auiourdhui, M'ma est encore Voilà comment écrit Kamel Daoud : magnifiquement. Après Minotaure
vivante »), le récit de Kamel Daoud constitue en quelque sorte le hors- jo4 (Sabine Wespieser, zou), recueil de quatre nouvelles sur la condition
champ de L'Etranger et son double en miroir. Car Haroun est aussi humaine en Algérie, son premier roman flappe par son ambiguité morale
implacablement lucide que l'était Meursault. Sa mère, qui lui préférait et son désespoir politique. A l'avenir, L'Etranger et Meursault, contre-
son frère, lui a toujours témoigné méflance et indifférence. Et, comme enquête se liront tel un diptyque.
Meursault, Haroun a commis un crime sans réel motif. Il avait 27 ans,
c'était le 5 juillet l962,,our de l'indépendance, la guerre venait de prendre Macha Séry, Ie Monde des livres daté du z7.o6.zot4
fin, et son geste manquait de sens aux yeux des autorités. La faute de
LE GUIDE PRATIQUE LE GUIDE PRATIQUE
présenté uniquement en fonction de l'idée qu'il sert. Si vous choisissez en exprimer l'originalité (par rapport aux conventions d'une époque,
Méthodologie et conseils d'introduire des citations (tirées, par exemple, du corpus proposé),
veillez à bien leur attribuer un auteur, à les mettre entre guillemets,
par exemple), dégager une coniugaison ou une opposition de thèmes,
montrer en quoi un premier niveau de lecture est supplanté par un
tuil
à les retranscrire à Ia lettre et à signaler par des crochets ([...]) tout
I -le planthématique organise un raisonnement à l'appui d'une thèse,
tentant d'en dégager tous les aspects de façon cohérente 4 questions
passage supprimé.
second, moins évident mais plus profond, etc.
. seront les différentes parties de votre plan. Deux écueils
Ces axes
. Pensez à soigner la présentation en aérant votre devoir par des principaux sont à éviter :
du type « Qubst-ce que... une æuvre engagée... un dénouement réussi... ?
sauts de lignes. - ne pas tomber dans la paraphrase du texte (« d'abord I'auteur parle
ou « Montrez que... » ;
VI. Rédiger la conclusion ensuite il parle de... ,)
&i
de... ;
- le plan comparatif met en parallèle deux thèmes ou deux concepts . La conclusion est peut-être la dernière étape de la dissertation, mais - ne pas non plus séparer le fond de la forme.
tout au long du devoir et s'achève sur une synthèse qui peut, selon Ie
ce n'est pas la moins importante. C'est sur cette note flnale que le III. Rédiger l'introduction
cas, mettre en évidence les ressemblances, les différences ou Proposer
correcteur restera. Il est conseillé de rédiger au brouillon la conclusion, Lintroduction d'un commentaire procède en trois étapes :
un dépassement.
avant même de commencer le développement. Vous saurez ainsi dès - présenter le texte et son auteur (titre de l'ouvrage, situation dans
. Le plan doit être construit selon une progression Iogique : suivez un
le départ or) vous souhaitez aboutir. l'histoire littéraire, situation de 1'extrait au sein de I'ouvrage, forme,
fil conducteur qui vous mène à une conclusion. Le plan achevé, toutes
. La conclusion a une double fonction : d'une part récapituler le etc.) ;
vos idées doivent y avoir trouvé leur place.
chemin parcouru en mettant l'accent sur ce que vous avez démontré - exposer votre approche du texte ;
IV. Rédiger l'introduction
ou sur I'opinion personnelle que vous avez développée ; d'autre part, - annoncer votre plan (deux ou trois axes de lecture, articulés entre
. Procédez en trois étapes : amenez le suiet, dégagez la problématique,
élargir le sujet, par exemple en évoquant une autre ceuvre du même eux).
La dissertation annoncez le plan.
auteur, un courant littéraire qui s'est opposé par la suite à celui dont IV. Citer le texte
L Lire le corpus de textes . Lesujet : vous devez le resituer dans son contexte (histoire littéraire,
vous avez parlé. . Chacune de vos remarques doit s'appuyer sur Ie texte. Lorsque vous
Les textes proposés vous fourniront un certain nombre de pistes de évolution d'un genre, événements historiques, etc.) en montrant qu'il
faites une citation, veillez à la retranscrire à la lettre et à signaler par
réflexion, d'arguments et d'exemples que vous pourrez réutiliser a un intérêt, qu'il ne sort pas de nulle part. Les phrases trop vagues et
générales (du type « de tous temps, Ies hommes... ») sont à proscrire.
Le commentaire de texte des crochets ([...]) tout passage supprimé.
dans votre dissertation.
I. Lire le corpus de textes . Attention, une citation ne remplace pas une remarque sur le texte,
II. Analyser le suiet Ensuite, citez la phrase du suiet : s'il s'agit d'une citation un peu
. Bien que le commentaire ne porte généralement pas sur Ia totalité mais vient soutenir votre interprétation. En d'autres termes, citer ne
. Abordez le sujet sans idée préconçue. Posez-vous vraiment la longue, vous pouvez la tronquer en conservant les mots essentiels.
. Dégager la problématique revient à montrer en quoi Ia question des textes du corpus, vous pourrez vous appuyer sur ces documents vous dispense pas d'analyser.
question formulée par Ie suiet. S'il s'agit d'une citation, mobilisez vos
pour comprendre le sens du texte à commenter, sa place dans l'histoire . Enfln, utilisez des expressions variées pour
introduire vos citations :
connaissances sur son auteur, l'æuvre dont elle est issue, etc. posée par Ie suiet donne matière à réfléchir. Cette étape doit vous
littéraire, ses enjeux, etc. l'auteur souligne », « évoque », « dépeint », « tourne en dérision »,
«
. Arrêtez-vous sur chaque terme du suiet et demandez-vous ce qu'il permettre d'indiquer dans quel sens va progresser votre argumenta-
II. Dégager des axes de lecture « met en évidence », « met en valeur », etc.
implique. Soyez attentif aux expressions employées : « dans quelle tion. Le plus souvent, on peut formuler la problématique sous forme
. Lisez d'abord Ie texte plusieurs fois, sans vous laisser décourager V. Rédiger la conclusion
mesure... » « peut-on vraiment dire ». Interrogez-vous : s'agit-il de d'une ou plusieurs questions.
. Enfln, vous devez annoncervotre plan, en mettant l'accent surles si vous avez du mal à Ie cerner : appuyez-vous sur les connaissances La conclusion a une double fonction : dresser le bilan de votre lecture
réfuter une thèse ? de la discuter ? de la soutenir ?
que vous avez de I'auteur, du genre, de l'époque à laquelle il a été et faire une ouverture, par exemple en effectuant un rapprochement
. Dès Ia lecture du sujet, notez au brouillon les idées qui vous viennent articulations logiques entre les parties.
écrit. N'hésitez pas annoter le texte au cours de la lecture. Notez au un autre texte du même auteur, ou avec un autre auteur de la
avec
immédiatement à I'esprit : vous en écarterez sûrement certaines, mais V. Rédiger le développement
. Lorganisation générale du développement doit montrer que votre brouillon vos premières impressions, quitte à les retravailler ensuite même période.
cela vous permettra de solliciter rapidement vos ressources.
et à en éliminer certaines.
III. Construire le plan dissertation est cohérente et progresse : chaque partie ou sous-partie
. Puis, analysez Ie texte plus en détail. Vous pouvez commencer par
. On distingue principalement trois types de plan : doit s'achever sur une transition qui récapitule ce qui vient d'être dit ATTENTION !
faire une étude linéaire qui aboutira à une série de remarques que
- le plan dialectique confronte différentes thèses, avant de donner et fait le lien avec Ia partie suivante.
. Il est important d'illustrer chaque idée par des exemples tirés de vous regrouperez ensuite selon les axes de lecture choisis. Ils doivent Laconclusion ne doit jamais vous servir à aiouter, à la dernière
un avis personnel4 suiets du type « Pensez-vous que...? » « Dans quelle
rendre compte des caractéristiques du texte : selon le cas, vous pourrez minute, une idée oubliée.
mesure peut-on dire que...? », etc. ;
votre expérience de lecteur et d'élève. Un exemple doit être concis et
L'écrit d'invention
I. Lire le corpus de textes
f,tr:
--lJ-
breux adjectifs ; une argumen-
tation est structurée par des
connecteurs, etc.
votre explication et montrera l'intérêt du passage étudié. Pour dé-
terminer cet axe, posez-vous des questions : Qui parle ? De quoi ?
relaxer en respirant profondément, puis lisez tranquillement
l'énoncé du sujet.
Notez quelques idées en vrac avant de réfléchir à l'organisation
Quel est I'enjeu du texte ? Quel est son plan (les différents mouve-
Lécrit d'invention n'est pas un exercice de pure imagination : vous . Dans tous les cas de flgure, ments du passage) ? Quel registre et quelle tonalité sont employés ? devotre exposé. Préparez-vous alors un brouillon clair, qui vous
devez vous appuyer fortement sur les textes du corpus, en com- veillez à employer un vocabu- En quoi ce passage est-il caractéristique d'un mouvement ou d'un servira d'appui pendant tout le temps de l'épreuve. N'hésitez
prendre les caractéristiques, les lire à la lumière des genres littéraires laire riche et varié, traquez les genre ?, etc. pas à écrire gros, uniquement sur le recto et en numérotant les
et des obiets d'étude au programme. répétitions maladroites et reli- . Attention à ne pas calquer artificiellement une perspective sur un
pages : cela vous évitera de mélanger vos feuilles et de commen-
sez-vous attentivement. texte en récitant un cours.
cer votre exposé par la conclusion...
IIL Conduire l'explication
. La lecture méthodique est structurée en quatre étapes : Vous n'avez pas le temps de tout rédiger, mais prenez soin
La question liminaire
- l'introduction situe le texte dans l'æuvre et dans l'histoire littéraire ; d'écrire entièrement votre introduction : vous vous sentirez
I. Comprendre la question
. La (ou les) question(s) liminaire(s) s'appuie(nt) directement sur Ie - la lecture à haute voix doit montrer que vous comprenez le sens plus à l'aise pour commencer, sans oublier pour autant de lever
corpus de textes, en vous invitant selon le cas : du texte et respectez son ton, sa forme, etc. (en poésie, faites atten- les yeux vers l'examinateur. De plus, celui-ci aura une meilleure
tion en particulier au mètre du vers) ;
- à situer les documents dans leur contexte (mise en relation avec un impression si vous débutez d'un ton assuré, grâce à votre
mouvement littéraire) - l'analyse proprement dite développe votre axe de lecture en vous
; brouillon rédigé, que si vous vous Iancez dans une improvisation
plusieurs documents appuyant sur le texte ;
- à dégager un thème commun à ;
plus hasardeuse...
- à comparer les différents genres et registres ; - la conclusion récapitule les points les plus importants et tente
une ouverture vers d'autres problématiques ou d'autres textes. Pour le corps de votre exposé, utilisez en revanche la technique
- à confronter les textes pour montrer à la fois leurs points com-
. Pour développer votre axe de lecture, vous pouvez suivre lbrdre de prise de notes, en soulignant les idées phares, et en mettant
muns et leurs spécificités.
. Ces textes ont toujours un rapport avec les genres littéraires et du texte ou choisir une approche synthétique qui examine Ie en avant les transitions entre chaque idée ou chaque partie :
les obiets d'étude au programme : vous devez donc mobiliser les texte en son entier sous différents angles à chaque fois (comme
écrivez les mots de liaison, pour que votre interlocuteur puisse
connaissances acquises au cours de l'année. dans un plan thématique de commentaire composé).
facilement suivre le cheminement de votre pensée.
II. Rédiger et organiser la réponse
II. Respecter les contraintes du sujet . Votre réponse doit se présenter sous Ia forme d'un texte construit Inscrivez sur votre brouillon le mot « conclusion » et, Iors de
. Vous pourrez être invité à rédiger un article (éditorial, article polé- l'oral, n'hésitez pas à employer une formule du type « i'en viens
et correctement rédigé : les notes et les abréviations sont à pros-
mique, article critique - éloge ou blâme, etc.), une lettre (réponse à
crire. à Ia conclusion » ou « en conclusion, on peut dire que... ». Vous
une lettre présentée dans le corpus, courrier des lecteurs, lettre ou- . Bien que Ia question posée nécessite de vous appuyer sur Ies textes, signiflerez ainsi clairement à l'examinateur que votre exposé
verte, lettre fictive d'un personnage tiré d'un texte, etc.), un mono-
prenez garde à ne pas transformer votre réponse en un catalogue de touche à sa fin.
logue délibératif, un dialogue théâtral, un essai, un récit didactique
citations qui n'apporte aucun élément d'analyse. Toute citation doit
(fable, apologue, etc.), une réécriture (parodie, pastiche), etc. Ainsi muni d'un brouillon clair et bien organisé, vous aurez
. Votre devoir devra donc respecter un certain nombre de contraintes
en effet venir à l'appui d'une interprétation.
. Enfln, votre réponse doit être organisée : quel que soit le type de moins de mal à prendre de l'assurance lors de l'épreuve. Car si
liées à la forme et au genre littéraire. Avant de rédiger, récapitulez
rapprochement que vous avez à faire, il faut dégager des points com- 3
a iamais vous perdez un peu le fiI, vous savez que vous pourrez
ce que vous en savez : procédés d'écriture utilisés, registre (comique, I
muns ou des différences, en ne perdant pas de vue la spéciflcité de vous raccrocher à lui. Comme une soupape de sécurité, il vous
tragique, polémique, etc.), point de vue du narrateur, mise en forme
chaque document. évitera de paniquer.
(une lettre ou un texte de théâtre, par exemple, ont des caractéris-
tiques très spécifiques), etc.
COACHING tez ce temps à profit pour élabo- en le regardant. Ne lisez pas vos
6. APPORTEZ VOTRE s'agit là d'une véritable épreuve,
MATÉRIEL rer un plan. Ne rédigez surtout notes car cela donne un ton mo- aussi importante que'l'écrit qui
to conseils pourfaire bonne 2. AVANT DE PASSEB, 3. RESTEZ NATUREL 5. MAÎTRISEZ VOTRE STRESS
Rien de plus agaçant pour un pas l'ensemble de votre réponse, nocorde très ennuyeux à écouter. se prépare avec sérieux et moti-
impression à I'oral. RESTEZ CONCENTRE Choisissez une tenue correcte Le trac, tout le monde l'a, même
notez uniquement quelques Au contraire, n'hésitez pas à im-
'n 1. ARRIVEZ
Avant de passer l'épreuve, vous de- mais dans laquelle vous êtes à ceux qui ont l'air très à l'aise. La
examinateur qu'un candidat qui
n'a pas de quoi noter, qui fouille points de repère et les transitions. proviser pour rendre votre dis-
vation.
',r À t'ltnuRr
wez probablement attendre dans
un couloir, ou dans une salle, le plus
l'aise. Ne forcez pas le ton de difficulté, c'est de le surmonter. Il
dans son sac à la recherche d'une En revanche, réfléchissez aux cours plus vivant.
10. APRÈS L,ÉPREUVE, NE
VOYEZ PAS TOUT EN NOIR
votre voix. existe quelques techniques simples
Cela peut pa- gomme ou - pire - de sa liste de mots que vous allez utiliser et aux Si l'examinateur vous a posé des
souvent avec d'autres candidats. pour essayer : respirez à fond, évi- 9. soYEz CoNFIANT... MAIS
llt
raître évident I Durant ces instants, il est important 4. soYEZ POLI ET SOURIANT textes. Et ne pas avoir ses affaires, différentes questions que I'exa- PASARROGANT questions, ce n'est pas forcément
Sauf cas tez de trop bouger, installez-vous
de de rester concentré, de rassembler Ce n'est pas parce que vous êtes c'est aussi source de stress pour le minateur pourrait vous poser. Il ne faut pas arriver non plus parce que votre exposé était in-
force majeure, stressé, fatigué, angoissé ou au cbrrectement sur votre chaise, par- trop sûr de vous le jour de l'oral.
calmement ses idées. Chercher, candidat... ! suffisant... S'il ne souriait pas, ce
si vous arrivez par exemple, des informations au- contraire trop sûr de vous qu'il Iez calmement. Concentrez-vous 8. SOYEZ INTÉRESSANT Lexaminateur est là pour estimer n'est pas parce qu'il ne vous « ai-
en retard, vous près des autres candidats (sur l'exa- faut en oublier la politesse. Rester sur ce que vous avez à faire et sur 7. UTILISEZ PLEINEMENT tE Pensez que l'examinateur a beau- vos connaissances à leur iuste mait » pas, etc. Faites Ia chasse
correct et aimable, toujours poli ce que vous voulez dire, plutôt que TEMPS DE PRÉPARATION coup de candidats à voir dans la valeur, ni pour vous « aider » ni aux idées sombres et
aurez déià fait mauvaise impres- minateur, les questions qu'il pose, prépa-
sion-.- avant même d'avoir ouvert etc.) ne peut que vous stresser da- sans obséquiosité ne peut que sur l'air plus ou moins « symPa- Vous avez en général autour de iournée, essayez donc de susciter pour vous « sacquer ». En d'autres rez-vous plutôt pour l'écrit s'il n'a
la bouche ! vantage et ne vous apportera rien. vous être favorable. thique » de votre examinateur. zo minutes de préparation. Met- son intérêt. Parlez-lui posément termes, prenez conscience qu'il pas encore eu lieu !
Couverture
Edward John Poynter, Orphée et Eurydice,1832,
@ collection pr\vée/avec I'aimable autorisation de Julian Hartnoll/Bridgeman lmages
La question de I'homme dans les genres de I'argumentation, du xvt" siècle à nos jours
Les formes de I'argumentation
p. 64: Allégorie de Ia rhétorique DR ; p. 65 : Discours @ Hemera/ Ïhinkstock
iStockphoto/ Thinkstock
p. 66 : Victor Hugo @
La réflexion sur I'homme à travers les textes argumentatifs
p. 71 : François Rabelais DR - p. 72: Jean de La Bruyère DR
Le guide pratique
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p. 91 :
p.92 : Élèves @ iStockphoto - p.94: Livres, Oral et Élèves @ istockphoto - p.95 : Diplôme DR
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le boc
FRANÇAIS 1'"
47 questions
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Réviser son boc or"" {rfionût Les tests
[ 4. Roman pastoral : Honoré d'Urfé, ü 3. Mme Bovary (Flaubert) t857 par des circonstances défavorables
(femme aimée mariée à un autre,
L'Astrée n 4. h Condition humaine (Malraux) 1933 Dans les années cinquante, le « nouveau
différence de rang social, etc.).
fl 5. Roman épistolaire : Montesquieu, Question 5 Associez chacun d'entre eux au roman roman » remet en cause les éléments
Lettres persanes À quel courant ou mouvance littéraire dans lequel il flgure. du roman traditionnel : personnage
chacune des ceuvres romanesques A. Lancelot/ B. M. de Nemours/ C. Frédéric avec sa psychologie, Iinéarité du récit,
Question 2 ci-dessous appartient-elle ? Moreau/ D. Saint-Preux/ E. Julien Sorel distinction entre forme et contenu.
Les auteurs de ce courant laissent au
Quelles sont les affirmations vraies A Classicisme/ B. Lumières/
I
Préromantisme/ D. Romantisme/
r. fe Chevalier à Ia charrette lecteur le soin de « construire » un
concernant l'origine médiévale du genre C.
(roman courtois)
E. Réalisme/F. Nouveau roman personnage et un univers.
romanesque ?
4. ]ean-Paul Sartre
Le texte théâtral et sa représentatioil, (Les Mouches, Huis clos, Kean). Associez chaque registre à la définition
qui lui correspond.
du )nrf siècXe à nos purs Le théâtre et la question
de la mise en scène
3. L'Île des esclaves, r7z5
L'évolution des formes r. Registre destiné à apitoyer le
4. Le Mariage de Figaro,1778 récepteur en utilisant le lexique de la
théâtrales depuis 5. Le leu de I'amour et du hasard, r73o compassion : termes évoquant Ia misère et
le xvu" siècle 6, Les Fausses Confidences, t737 Quels sont les procédés de l'écriture la douleur, vocabulaire affectif exprimant
Hlrl!J?Er!;r{ théâtrale définis dans les afflrmations tristesse, lamentation, supplications.
suivantes ?
xvu" siècle à nos iours E r. Homère Perceval ou Ie Conte du Graal) sont des Question B : Michel Tournier.
rllnFiIEtITITI tr z Ésope exemples de ce nouveau genre littéraire). D'autres flgures célèbres, légendaires ou
tr 3. Sophocle historiques deviennent les personnages de
Question 3 : 2. Mme de Lafayette. ses romans : lbgre dans Le Roi des aulnes,
Question 44 Le nom de l'auteur dela Princesse de Clèves les Rois mages dans Gaspard, Melchior et
Associez à chaque mot la définition qui a été longtemps discuté. La Rochefoucauld Balthazar, Castor et Pollux, symboles de la
lui correspond. et Segrais étaient des hommes de gémellité, dans Les Météores.
A. dédicace/ B. allusion/ C. citation lettres proches de Mme de Lafayette.
Mme de Sévigné, réputée pour sa corres- Question 9 : 1..
E r. rigure par laquelle certains mots pondance avec sa fllle, était une amie. Un personnage éponyme donne son nom
au titre du roman. C'est bien le cas de ces
ou tournures éveillent dans I'esprit
Question 4:l;2. trois personnages.
l'idée d'une personne ou d'un fait dont Le roman épistolaire est constitué de Mme Bovary se sücide en ingérant de l'arse-
on ne parle pas expressément. lettres échangées par les personnages. nic. Carmen meurt poignardée par son amânt
Dans le roman de Rousseau, ce sont deux
n ,. r"rr"g. emprunté à un auteur, amants, Julie d'Étange, une ieune fllle de Ia
ialoux (le narrateur de llhistoire dont Mérimée
recueille les confldences en prison). Quant à
que lbn reproduit textuellement, pour noblesse, et Saint-Preux, son précepteur. Nana elle meurtde maladie (syphilis).
illustrer, éclairer ou appuyer un propos. Dans le roman de Laclos, ce sont Valmont Carmen et Nana correspondent au sté-
10 11
Réviser son boc or"" fe]llonde Les corrigés
réotype de la « femme fatale » : elles mis(e) en prenant le costume de son valet Question 18 : 18 ; 2A ; 3t. ainsi la dimension humaine du poète. Le
provoquent autour d'elles des passions (ou de sa suivante). Pathos, en grec, désigne tout ce qui peut mythe d'Orphée sera repris au xx" siècle
destructrices. Beaumarchais (tl1z-rlgg\ donne au per- nous toucher ou nous émouvoir. On exclut par différents auteurs : Marguerite Your-
sonnage du valet une importance cru- du pathétique tout ce qui est mêlé au rire : cenar dans La Nouvelle Eurydice, lean
ciale. Porteur de revendications de iustice gaieté, moquerie, hilarité impliquent en ef- Anouilh d.ans Eurydice, fean Cocteau dans
Les romanciers du nouveau roman ne se
reconnaissent pas dans une « école » litté- et d'égalité sociale, il est un acteur clé du fet un détachement qui est précisément le Orphée et, au cinéma, Marcel Camus dans
théâtre prérévolutionnaire. contraire du sentiment pathétique, où l'on Orfeu Negro.
raire au sens traditionnel, comme les « na-
se met à la place du personnage.
turalistes » du xlx'par exemple. Cependant,
Ubu (dans Ubu roi, de larry) est Ia représen- Question 22 : l;2 : 4.
l'essai intitulé Po ur un nouveau roman (en- En reprenant ies mythes antiques, ces au- Les Fables de La Fontaine appartiennent au
semble d'études littéraires écrites depuis tation burlesque d'un despote qui opprime
teurs montrent la permanence des interro- le peuple. Le burlesque peut être rapproché registre didactique (enseignement d'une
1956) de Robbe-Grillet peut être considéré
gations humaines et le sens nouveau que lbn de la parodie, du pastiche ou de la carica- morale par le récit).
comme le manifeste du nouveau roman,
peut donner à ces mythes dans le contexte ture en ce qu'il relève d'une imitation. Les Méditations poétiques de Lamartine
notamment le chapitre : « Sur quelques no-
agité de la première moitié du xx" siècle. Le registre épique, au théâtre, apparaît sou- sont un recueil lyrique.
tions périmées : le personnage, l'histoire,
l'engagement, la forme et le contenu ». vent dans les récits tel celui de la victoire
du Cid.
Question 23 : L8 ;24;3D ; 4C"
Le Sagouin de Gide est un roman d'appren- Dans Ia poésie lyrique, le poète se fait
Cesauteurs mettent en question dans leurs
tissage dans la veine naturaliste. proche de chacun : son lyrisme renvoie le
æuvres Ie personnage théâtral, le genre des Question 19 :2.
pièces, et le langage même. Des cris, des ré- Les pièces de foël Pommerat sont écrites à lecteur à ses propres expériences et sen-
pliques apparemment dénuées de sens se partir de séances d'improvisations. Celles-ci sations. Les romantiques (Lamartine et
succèdent pour donner une image à la fois sont préparées au moyen des pochettes Hugo) ont particulièrement revendiqué
rte théâtral et drôle et effrayante de l'humanité. de documents constituées en fonction du cette facette de la poésie.
Pour Albert Camus, I'absurde est un thème découpage de Ia pièce.
u fondamental, mais son théâtre (Caligula, |ean-Louis Barrault (rgro-r994) était comé-
Questron i!4 : LB ; ÊC ; 34.
Le Malentendu, Les Les vers pairs comptent un nombre pair de
Justes) reste clas- dien, metteuren scène et directeur de théâtre.
sique dans sa forme, comme celui syllabes. Ex. : hexasyllabe (6), octosyllabe
de Roger Planchon (r93r-zoo9) est une flgure
(8), décasyllabe (ro), alexandrin (rz).
fean-Paul Sartre. ma1'eure du Théâtre national populaire. Il a
mis en scène et ioué des auteurs classiques
Les vers impairs comptent un nombre
marqué par le
Le xvrr" est le siècle classique,
(Shakespeare, Molière) et contemporains impair de syllabes. Ex. : pentasyllabe (S),
règne de Louis XIV
Le quiproquo comporte généralement (Adamov, Vinaver). heptasyllabe (7), ennéasyllabe (9).
Au théâtre, à côté des tragédies de Corneille
trois étapes : la méprise parfaite, l'appari-
et Racine, on retient aussi les grandes réus-
tion progressive du doute, la révélation de Question 25 : une allitération.
sites de Molière dans le genre de la comédie. La répétition d'un même son isÈu de
la méprise.
Le nom « aparté » vient de l'italien a parte consonnes se nomme « allitération ». Le
La tragédie est, au xvrf siècle, le genre noble (« à part, à l'écart »). Ce procédé, qui ma- Écriture poétique son est ici produit par f (frais, parlum,
par excellence. Molière défend avec beau- nifeste clairement la double énonciation flottaient), ff (touffes, soufrles) ou ph
coup d'ardeur un autre genre théâtral : du texte théâtral, permet d'exprimer une et quête du sens, (asphodèles).
la comédie. Il en exploite toutes les res- réaction intime du personnage et crée un La répétitiond'un même son fourni par
sources : de la farce à la grande comédie, lien de connivence avec le public.
du Moyen Âge à des voyelles se nomme « assonance )).
c'est-à-dire des comédies en vers offrant nos iours Cet exemple: « Lélixir de ta bouche
des personnages nuancés, autour de sul'ets
2- r&il où l'amour se pavane » (Baudelaire)
importants (Tartuffe, Le Misanthrope\. Question 20 :3. comporte une assonance en ou et une
La tirade se déflnit par sa longueur, le récit, Un poète est avant tout un créateur, celui qui assonance en d.
par son contenu, le monologue, par sa si- « fait æuwe » ; mais la matière qu'il travaille
Marivaux (t688-t763) crée des personnages tuation d'énonciation. Le récit de la victoire est spécifique puisqu'il s'agit des mots. Question 26:,4.
qui ne sont plus des types comiques ou des sur les Maures dans Ie Cid de Corneille Après Aloysius Bertrand lGaspard de la
héros tragiques, mais des individus aux (acte IV scène 3) est à la fois une tirade, un Question 21 : 2. nuit), Charles Baudelaire a illustré la poésie
prises avec un questionnement sur leur monologue et un récit (« Nous partîmes Orphée ne parvient pas à respecter Ia condi- en prose avec ses Petits Poèmes en prose.
identité. Ainsi, dans plusieurs comédies cinq cents ; mais par un prompt renfort, / tion imposée par Hadès - ne pas regarder Arthur Rimbaud est l'auteur de deux re-
(comme La Double lnconstance), les per- Nous nous vîmes trois mille en arrivant au Eurydice avant d'avoir revu la lumière du cueils de poèmes en prose : Une saison en
sonnages cachent leur identité à leur pro- port... »). iour - et la perd définitivement. Il incarne enfer et Les llluminations.
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Réviser son boc or"" fe fiondt Les corrigés
Question 2.i : 3" droit des Européens à coloniser les peuples Question 42 : 1. la Pléiade
Le terme « surréalisme », inventé dès du Pacifique. Enseignement 2. le sonnet.
;
t9t7 par Guillaume Apollinaire, est repris Les Fables de La Fontaine sont des apolo- À lbrigine, la Pléiade rassemble Ronsard,
par André Breton dans son Manifeste du gues en vers. de littérature Du Bellay, Étienne Jodelle, Pontus de Tyard,
surréalisme, paru en t924.Il y donne l'es- Voltaire est l'auteur de contes philoso- ]acques Peletier du Mans, fean de La Péruse
prit et la méthode du mouvement : révolte phiques, tel Candide oul'Optimisme, qui ré-
fute la thèse de Leibniz selon laquelle Dieu
- première L et Jean-Antoine de Baif.
Le sonnet, introduit en France au début du
contre les conventions morales et esthé-
tiques, libération de I'esprit par l'écriture a créé le meilleur des mondes possible. Question 38:lC ; 2A; 38. xvf siècle, est alors une nouvelle forme poé-
automatique et l'exploration du rêve. François I"' a été le mécène d'artistes tique, brillamment illustrée par Du Bellay
Question 32 : 2. italiens, notamment Léonard de Vinci, avec son premier recueil, I Olive (tS+ù.
Manifeste du surréalisme,d'André Breton,
Qluestior: 28 : 2. Le qu'il a accueilli au Clos Lucé, près de son
Yves Bonnefoy (tgz3-zot6l est une flgure publié en 1924, lance le mouvement surréa-
château dAmboise, pour les dernières Question 43 : lD ;2A;3C;48.
maieure de la poésie des xx" et xxf siècles. liste, dans lequel s'illustreront des poètes Gargantua et Pantagruel de Rabelais sont
années de sa vie.
tels Aragon, Soupault, Éluard, Desnos. des romans parodiques.
Éveillé à la poésie par la découverte des Henri IV a mis fln aux guerres entre catho-
Le recueil Amours de Ronsard relève de la
textes surréalistes, il publie son premier Question 33 : 2. liques et protestants en promulguant l'édit poésie lyrique.
poème, Le Cæur-espace, en 1.946. Paru en Dans les Essais (r58o-r588), Montaigne de Nantes en 1598. Les Essais de Montaigne abordent Ia ré-
iuin 2016, quelques iours avant son dé- tente de se dépeindre pour se comprendre. Sceur de François I"', Marguerite de Navarre, flexion sur soi.
cès, son dernier livre, L'Écharpe rouge, est Lautoportrait prend une valeur argumen- auteur de L'Heptaméron. vit entourée de Le recueil de poésie épique les Tragiques
un essai autobiographique dans lequel le tative lorsqu'il se tourne vers une réflexion poètes et de savants, auxquels elle apporte dAgrippa dAubigné, publié en r6r6, évoque
poète.revient sur un texte resté inédit. théorique à partir de l'observation de
un soutien sans faille. les misères de la guerre civile pour dénon-
Disparu également en 2076, Michel soi-même.
cer la folie persécutrice des catholiques.
Tournier est un romancier.
Question 34: I'utopie. Question 39: l.
Le néologisme de Thomas More signifie lit- Luther (r483-r546), théologien augustinien, Question 44:.LB;2C;34.
excommunié en 1521, est le principal arti- La citation est fréquente dans Ies ouvrages
téralement « qui ne se trouve nulle part ».
de réflexion : les Essais de Montaigne, les
Le titre de son livre en latin est Utopia. san de la Réforme protestante avec, notam-
Pensées de Pascal contiennent des cen-
La question de Question 35 : lB :2C ;3A.
ment, l'édition d'une traduction de la Bible taines de citations latines.
en allemand.
l'homme dans Sur le même thème, fules Renard dit
avec humour dans son lournal (t894)
Question 45 : 18 ; 2A; 3C.
:
Question 40 : 2 et 3. La sensibilité à I'intertexte, notamment
les genres de « Lhomme est un animal qui lève la tête Lordonnance de Villers-Cotterêts, promul- dans le procédé de l'allusion, dépend de la
au ciel et ne voit pas les araignées au guée en 1539, prescrit le français pour la ré- culture du lecteur.
l'argumentation, plafond. »
daction des actes;'udiciaires et Ies registres Le paratexte facilite la compréhension en
d'état civil. Défense et illustration de la donnant des indications sur le contexte de
Question 36 : 3.
du xvr" siècle à Les trois auteurs cités étaient bien avia- langue française, manifeste du groupe de composition.
teurs. Mermoz a écrit un livre de souve- poètes de la Pléiade, se prononce contre
nos iours nirs, Mes vols (t9371. Malraux a combattu l'usage du grec et du latin dans la création
Question 46:.3.
Le pastiche et la parodie sont des réécri-
dans l'aviation républicaine au cours de poétique et prône un enrichissement lexi- tures ludiques, de l'ordre de l'imitation. Le
Question 29 :1. la guerre civile espagnole (tg:6), thème de
La thèse est soutenue par des arguments et cal du français. plagiat est un emprunt pur et simple qui
son roman I Espoir (ty7). constitue un délit.
généralement par des exemples.
Question 41 : 2.
Question 37 :18 ; 2A; 3C. Question 47 : 2.
Question 30 : un apologue. Le thème de l'absurde a également été dé-
Le Discours de la servitude volontaire, prt-
Le nom « apologue » vient du latin apo- blié en t574, soutient une thèse originale La Fontaine a également puisé les sujets de
veloppé au théâtre, au xx" siècle, par des ses fables auprès d'autres fabulistes, parmi
logus (« récit »). Il ne faut pas le confondre selon laquelle le peuple qui se donne un
avec « apologie », qui consiste en la défense
dramaturges tels que Beckett, Ionesco lesquels Phèdre, Abstémius, Pilpay.
ou Duras. roi ou un tyran assure volontairement son
publique de quelqu'un ou de quelque Homère (poète épique, auteur de I?liade et
esclavage.
chose (par exemple, faire l'apologie d'un d,e L'Odyssée) et Sophocle (dramaturge, au-
Le Discours de la méthode (t637) est un trai- tevr d'Antigone, d'Gdipe roi et d'Electre) ne
souverain ou d'un régime politique).
té philosophique de Descartes. sont pâs des fabulistes.
Question 31 : 18 ; 2C ; 34. Le Discours sur l'origine et les fondements
Le Supplément au voyage de Bougainville de I'inégalité parmi les hommes (IZSS) a
de Diderot est un dialogue qui réfute le pour auteur f ean-f acques Rousseau.
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