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SOMMAIRE

Le personnage de roman, du xvlre siècle à nos jours p. 5


chapitre 01 - Définition(s) et évolution du genre romanesque du xvlt'siècle à nos jours p.6

chapitre 02 - Le personnage de roman : du héros à lântihéros p.t4


chapitre 03 - Personnage romanesque et vision(s) du monde p.20

chapitre 04 - L évolution des formes théâtrales depuis le xvrr' siècle p.28

chapitre 05 - Le théâtre et la question de la mise en scène p.36

chapitre 06 - Place et fonction du poète au fil des époques p.44

chapitre 07 - Versification et formes poétiques P.s0


LE PERSONNAGE DE ROMAN,
chapitre 08 - L écriture poétique : redécouvrir la langue, redécouvrir Ie monde P.58 DU XVII. SIÈCLE À NOS JOURS

chapitre 09 - Les formes de l'argumentation p.64 i


i r.'t

chapitre 10 - La réflexion sur l'homme à travers les textes argumentatifs p.70

Enseignement de littérature - première L p,77


chapitre 11 - Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme p.78

chapitre 12 - Les réécritures, du xvtt' siècle à nos jours p.84


L,ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS

que le découvreur et l'éditeur. Cela permet, bien sûr, de contourner Grillet, Duras, Sarraute) ne livrent que l'extérieur des choses et des
Définition(s) et évolution du genre romanesque la censure ou la condamnation (pour immoralité ou irréligion), mais êtres, laissant au lecteur le soin de « construire » un personnage et
cela offre également Ia possibilité de faire entrer plus facilement le un univers.

du xvrre siècle à nos iours Iecteur dans un univers dont il pense qu'il est « vrai
En outre, Ie roman a autant de
».

narrateurs qu'il y a de personnages


Enfln, les frontières entre fiction et réalité se brouillent, avec des
genres comme I'auto-fiction, mêlant autobiographie et flction.
écrivant les lettres. De ce fait, des points de vue divergents sur un Le roman, en offrant un univers fictionnel, permet au lecteur de s'éva-
Le roman a connu des formes et une reconnaissance variables entre le xvtt' siècle et même épisode se confrontent, et le lecteur a le plaisir de saisir les der du réel et de savourer les plaisirs de l'imagination. Mais, parce que
notre époque. Quelles sont les sources du genre romanesque ? Quelles ont été les incompréhensions, de comparer les perceptions de chacun, comme le parcours de personnages individualisés forme le pivot de cet univers,
grandes étapes de son évolution ? s'il observait les faits selon une multiplicité d'angles. le roman est en même temps un révélateur et une évasion de ce réel.
§es formes, extrêmement diverses, en font âinsiun outil prMlégié pour
xrx'siècle : le triomphe du roman réaliste interroger notre monde ainsi que nous-mêmes : notre « condition
d'Urfê (Ii,Astrée) ou Madeleine de Scudéry (CléIie). I1 met en scène, dans
À la suite des Lumières, mais également sous I'influence du dévelop- humaine » pour reprendre le titre d'un roman de Malraux. ilr:
un territoire imaginaire, des personnages en habits de bergers ou de
Avec la Renaissance, les divertissements de Cour, les modes et les pement industriel et de l'essor de la bourgeoisie, le roman connaît,
nymphes dont toute laüe est tendue vers I'amour et l'harmonie. Leurs
comportements se transforment : les spectacles et les arts remplacent au xrx" siècle, un grand succès et s'oriente maioritairement vers une
parcours amoureux donnent des récits très longs, fondés sur le détail
ainsi peu à peu les tournois et autres jeux du Moyen Âge où la violence représentation fidèle de la réalité sociale sans se limiter à Ia classe
primait. Apparaît alors le roman pastoral, genre illustré par Honoré des émotions et des progrès faits par les protagonistes sur la « Carte du
dirigeante.
Tendre ». Cependant, ce type de romans, malgré son succès, se trouve
Le mouvement littéraire du réalisme s'attache ainsi à décrire scru-
discrédité. En effet, les personnages semblent d'une perfection peu
puleusement les faits et gestes de personnages issus du « peuple »
crédible et l'atmosphère est ressentie comme trop idyllique.
ou du « grand monde ».
Le roman d'analyse est un autre genre très en vogue au xvrr" siècle.
Dans la même lignée, le naturalisme poursuit cette ambition mais
La Princesse de Clèves, de M-" de La Fayette, en est une parfaite illus-
avec un aspect scientifique plus marqué. Pour Zola, le roman doit
tration. Chef-d'æuvre du classicisme et du « roman d'analyse » ancré
être une sorte de « laboratoire » grâce auquel on peut étudier les
dans l'histoire récente (et non plus dans une Antiquité lointaine ou
comportements humains, les révéler voire les dénoncer.
une histoire de légende), avec des personnages inspirés de personnes
réelles, Ie roman évoque, dans une langue très pure, les troubles de Ia Vers Ie contemporain
passion amoureuse dont il restitue les plus fines nuances. Aux )§(u et )o«" siècles, Ie roman est touiours un genre particulièrement
Portrait de Montesqureu, 1728 Portrait de Jean-Jacques
Au xvrr" siècle, Ie roman est varié dans ses formes comme dans ses prisé par les auteurs, comme par le public, et Ia variété qui l'a toujours (Musée national du château de Rousseau par Alain Ramsay, 1766.
codes, et a un lectorat divers. Cependant certains points communs se caractérisé s'accroît encore. Versailles).
dégagent : la narration d'épisodes centrés autour de personnages que Certains romanciers creusent Ia veine du xx" siècle et s'attachent à la
le lecteur suit dans leur parcours ; une prose au service de l'action et description du réel. Parmi eux, de nombreux auteurs, marqués par
de la peinture des sentiments. la violence de Ia première moitié du xx" siècle, prennent position par
rapport à l'insupportable (la guerre, le nazisme, toutes les formes de
xvil,e sièelê : l'essor du ronran épistolaire totalitarisme) dans des romans engagés :Céline,avecVoyage aubout . Modiano, prix par surprise
'fê . Dans la seconde moitié du xvrr" siècle, et tout au long du xvrn" siècle, Ie (Raphaëlle Leyris, Le Monde daté du ttlo.zot4l
Malraux, dans L'Espoir, Camus avec La Peste, etc.
de la nuit,
. La Modification de Miche1 Butor
roman par lettres se développe et connaît un grand succès.
Dans les années r95o, le Nouveau roman refuse la psychologie des (Émile Henriot, Le Monde du r3.n.r957)
La forme épistolaire permet à l'auteur de jouer sur les frontières
personnages et toute subjectivité ; les auteurs de ce courant (Robbe-
entre réalité et fiction. Plusieurs de ces romans se présentent ainsi
Mane-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de
La Fayette (1634-1693), auteur du premier « roman psychologique » comme un échange réel de lettres, dont l'auteur afflrme alors n'être

REPE RE§ CEUVRE§ CLɧ


puisque la littérature est profon- . sion - pour mieux révéler les . Les Liaisons dangereuses (1782\, . Flaubert (liÉducation sentimen-
Aux sources du genre : différentes « histoires » -célébrerles .Au xvr' siècle, grâce à la diffu-
dément orale : ses destinataires
troubles et les secousses engen- de Choderlos de Laclos, pré- fale) et Maupassant (Une Vie, Piene
de I' auditeur au lecteur- exploits d'hommes valeureux dans sion de I'imprimerie, le roman drés par la passion amoureuse. sentent les aventures libertines et I e an) cher chent également à mon-
. Le terme « roman » a été utilisé sont des auditeurs et non pas, un temps légendaire et mettre en bénéficie d'un public plus large
comme aujourd'hui, des lecteurs. relief les éléments culturels et reli- Le récit de M*" de Lafayette de deux héros scandaleux. trer auxlecteu$ les parcours de per-
pour Ia première fois au Moyen qui devient lecteur plus qu'audi- sonnages parfois très humbles, en
Cette littérature s'adresse d'ail- gier.rx du rru' siède. Ces trois aspects s'ancre dans l'histoire réelle, le
Âge, pour désigner un récit litté- teur. Les æuvres maieures sont le règne d'Henri II,
xvru siècle, sous . privilégiant une narration obiective.
leurs à un public restreint, celui sont, précisément, les orientations Dans Ies Lettres persanes (t7zt)
raire, généralement écrit en vers,
des seigneurs et de leur cour. qui guident, aujourdhui encore,
les romans satiriques de Rabe- environ 12o ans avant sa rédac- Montesquieu évoque des thèmes . Lambition « totalisante » du . Les Rougon-Macquart ætxre
rédigé en « roman » (en langue lais (Pantagruel, 1532, Gargantua,
notre perception du « roman ». En tion. Les personnages sont ins- maieurs de la philosophie des courant réaliste est illustrée sous-titrée par Zola « Histoire natu-
« vulgaire ») par opposition au la- 1534, suivis de trois autres livres) pirés de personnalités relle gt sociale d'une famille sous le
. À travers ses romans (Le Conte du effet, nous sornmes attentifs à la fa- réelles Lumières par la vision décalée de par le titre que choisit Balzac
tin. C'est cette forme du « roman » Graal Le Chevalier à la charrette,
qui traitent dans un registre de Ia Cour d'alors, mêlant ainsi Persans voyageant en France. pour rassembler ses romans : Ia SecondEmpire », zo romans (Nan4
çon dont chaque auteur module les
que troubadours et trouvères uti- etc.), liun des auteurs les plus cé- spéciflciGs du genre romanesque, burlesque les thèmes maieurs de réalité historique et fiction (ce . La Nouvelle Hélolse (tZ6t) de Comédie humaine. Loin de tra- Germinal, La Bête humaine...) éla'
lisent pendant tout le Moyen Âge, lèbres de cette période, Chrétien au « héros » - motif central du ro- l'humanisme : éducation, reli- qui offre aux lecteurs le plaisir Rousseau est 1a correspondance duire une intention comique, ce borés à partir d'enquêtes très fouil-
afln de raconter les exploits des de Tloyes, a ainsi su créer un genre man- et enfln à lavision du monde gion, guerre. du « décryptage »). La langue est amoureuse entre deux amants. titre signifie la volonté de saisir lées,permettent à l'auteur de dres-
chevaliers. Le récit écrit n'est alors narratif - enchaînant des épi- qui transparaît à travers l'æuwe. extrêmement classique - absence Cette æuvre préfigure les thèmes 1es masques et les divers états ou ser un tableau complet de tous les
qu'un support pour la mémoire, sodes suivis mais aussi entrelacant d'oralité et mesure dans I'expres- du romantisme. conditions des hommes. milieux sociaux.

6 Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours J
UN SUJET PAS À PAS UN SUJET PAS A PAS

II. Les romans traduisent une certaine vision de la société, par Illustration de I'ambition, de I'ar-

Dissertation: une écriture qui reflète la sensibilité et I'univers personnels des


romanciers
rivisme : romans de formation
du xx" : Julien Sorel, Rastignac,
Dans quelle mesure la lecture des romans permet-elle de connaître une a) Les romanciers et l'objectivité BelAmi...
*
Les romanciers ne peuvent prétendre à Ia véracité et lbbjectivité des Exaltation des sens et de la vie
période historique et une société ? historiens. Ils ne peuvent s'empêcher de défendre une vision de I'his- Nourritures terrestres de Gide,
:
{
toire et des événements, de manière assez subiective, voire partisane. avec le personnage de NathanaëI.
L'intitulé complet du sujet Exemple : Vision particulièrement critique du peuple dans L'llducation b) Le roman philosophique
Un philosophe a déclaré qu'il I. Les romans peuvent permettre de connaître une certaine pé-
sentimentale, de Flaubert - à l' opp osé La F ort une de s Roug on, de Zola, Le roman peut également em-
avait beaucoup plus appris sur riode historique, une société donnée.
donne une vision sublimée du peuple. prunter une autre voie, très
l'économie et la politique dans les a) Des romans à vocation « historique »
éloignée des préoccupations
b) L'engagement de l'auteur
romans de Balzac qu'en lisant les Romans historiques : romans se proposant de faire revivre telle ou telle
Le roman peut même devenir un instrument précieux au service de sociales, celle des idées, de la
économistes et les historiens. Dans période de I'histoire à travers les aventures de personnages de flction. philosophie.
l'engagement de l'auteur et doit donc être perçu comme tel et non Gustave Flaubert.
quelle mesure Ia lecture des ro- Exemples : la révolte antirépublicaine des paysans bretons dans Ies Exemple : philosophie existen-
comme un témoignage oblectif sur I'histoire ou la société.
mans permet-elle de connaître une Chouans de Balzac ou Quatre-vingt-treize de Victor Hugo.
Exemples : Germinal deZola est un roman de la lutte des classes - aveç tialiste théorisée dans L'existentialisme est un humanisme (essai) et
période historique et une société ? b) Les romans ancrés dans une situationhistorique
Le Demier lour d'un condamné et Claude Gueux,Yictor Hugo s'engage illustrée dans La Nausée de Sartre.
Vous rédigerez un développement Romans fortement et volontairement ancrés dans une situation Labsurde est « romancé » dans L'Étranger, après avoir été théorisé
contre Ia peine de mort.
structuré, qui s'appuiera sur les historique précise qui leur sert de cadre permettant aux lecteurs de Mythe de Sisyphe (essai) par Camus.
c) La sensibilité des auteurs d,ans Le
textes du corpus, les romans que s'immerger dans une époque, un milieu. D'autres voies romanesques : écriture et ieu
Les romanciers ne se contentent pas de rendre platement compte de c)
vous avez étudiés en classe et vos Exemples : romans réalistes et naturalistes du xlx" siècle tels que Ie Enfin, certains romans s'écartent délibérément de tout ancrage social
la réalité sociale, ce sont avant tout des écrivains qui expriment leur
Honoré de Balzac. lectures personnelles. Rouge et le Noir de Stendhal, sous-titré « Chronique de t83o » - Ma- ou historique, voire de toute vérité historique.
sensibilité et s'adressent à la sensibilité des lecteurs, à travers un style
dame Bovary de Gustave Flaubert, sous-titré « Mceurs de province ». Exemple : Le nouveau roman préfère « l'aventure de l'écriture »
efflcace qui leur est propre et en utilisant les ressources de la création
*'ævruæ§g** *ax wax§*t L'évolution des personnages dans un contexte social
c)
romanesque. à « I'écriture d'une aventure. »» La lalousie, Les Gommes dAlain
Exposerles éléments de la problématique : paradoxe de Ia « flction » Romans construits autour de personnages qui évoluent dans un
Exemples : sublimation des foules révoltées chez Zola, les figures Robbe-Grillet - La Modification de Michel Butor.
romanesque se posant en concurrente de l'histoire. Citer la question contexte social dont le lecteur s'imprègne, presque malgré Iui.
emblématiques du peuple chez Hugo (|ean Valjean, Cosette, Gavroche) |eu des contraintes formelles de l'Oulipo : La Disparition de Georges
et dégager son aspect provocateur. Exemples : Thérèse Desqueyroux deFrunçois Mauriac, l'action se situe
- dans La Condition humaine, Malraux fabrique, avec sa sensibilité et Pérec, sur Ie principe du Iipogramme, en faisant disparaître la lettre e.
dans la bourgeoisie du bordelais, catholique et bien-pensante de la
dans un autre sÿle, le mythe du héros révolutionnaire.
Introduction première moitié du xx" siècle - Les Choses, de Georges Pérec, 1965,
III. Le roman peut avoir d'autres préoccupations que de vouloir
Nous nous attacherons tout d'abord à voir quand et comment les sous-titré « Une histoire des années soixante », restituent les débuts
rendre compte d'une réalité historique ou sociale Il faut récapituler les éléments de Ia réflexion, ouvrir sur la grande
romans peuvent être de bons professeurs d'histoire et d'économie et de la société de consommation.
a) Les situations universelles richesse du genre romanesque qui évolue sans cesse et continue de
permettent de connaître les milieux sociaux dans lesquels évoluent
Le roman manifeste surtout un intérêt pour les situations universelles, solliciter, à la fois, l'histoire et f imaginaire.
les personnages, puis nous verrons en quoi ces enseignements
les passions éternelles, indépendamment de leur contexte historique
trouvés dans les romans peuvent être sujets à caution du fait que le
ou social.
romancier est d'abord un écrivain, un artiste qui exprime sa vision
Question liminaire Passion amoureuse : Ia Pnn cesse de Clèves de M'" de Lafayette-Le Lys Ce qu'il ne faut pas faire
visant un engagement ou dans une perspective essen-
de la société en - Quelles visions du peuple les trois extraits du corpus donnent- dans la vallée de Balzac avec M*" de Morsaq;fl- Ilicume des jours de Développer une argumentation tranchée dans un seul sens, l'ex-
tiellement esthétique. Enfin, nous réfléchirons à d'autres obiectifs des ils ? (Sulet national, zon, séries ES, S) pression u dans quelle mesure » invitant à rechercher des nuances.
Corpus : Victor Hugo, Les Misérables - Gustave Flaubert, L'Educa- Boris Vian avec Colin et Chloé.
romanciers, et attentes des lecteurs de romans, que de s'intéresser à
tion sentimentale - Émile Zola, La Fortune des Rougon.
la dimension historique ou sociale de la vie humaine.

EXTRAIT§ CLÉS
REPÈ RES
GAVROCHE espèce d'ubiquité presque irri- de velours rouge. Sur le trône, en bande descendait avec un élan
« La

bergh, devenu président, signe lumes présentée comme « LHis- . La guerre de r4-r8 : Barbusse, Ie Feu ; Gavroche participe à l'émeute pa- tante ; pas d'arrêt possible avec dessous, était assis un prolétaire superbe, irrésistible. Rien de plus
Romans et histofue.
un traité de non-agression avec toire naturelle et sociale d'une Roland Dorgelès, Les Croix de bois. risienne de juin t832. Iui. L'énorme barricade le sentait à barbe noire, la chemise entrou- terriblement grandiose que l'ir-
ANTICIPATIOI{ lAllemagne nazie - Éric-Emma- famille sous le Second Empire ». . La guerre civile espagnole de « Gavroche, complètement en- sur sa croupe. » verte, l'air hilare et stupide comme ruption de ces quelques milliers
. Romans de |ules Verne anti- oi . Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1936 : Malraux ,l'Espoir. volé et radieux, s'était chargé de (Victor Hugo, Les Misérables, un magot. D'autres gravissaient d'hommes dans la paix morte et
nuel Schmitt, I a Part de l'autre,
cipant sur des techniques in- Hitler réussit son examen d'en- « Chronique de r83o ». . Liunivers concentrationnaire Ia mise en train. Il allait, venait, 1862.) l'estrade pour s'asseoir à sa place. glacée de l'horizon [...]. Quand les
connues à son époque : voyage pendant la Seconde Guerre mon- montait, descendait, remontait, "Quel mythe ! dit Hussonnet. Voilà derniers bataillons apparurent, il
trée aux Beaux-Arts de Vienne, W*b{heW§Wr§ry*KZæüX§ y eut un éclat assourdissant. La
spatial dans De la terre à la Lune, diale : forge Semprurl Le Grand bruissait, étincelait. I1 semblait le peuple souverain l" »
sous-marin dans Vingt mille
bouleversant ainsi l'histoire de la . Lépoque de Louis XIII :
Voyage et L'Écriture ou la Vie. être Ià pour l'encouragement de Frédéric assiste au saccage du pa- Marseillaise emplit le ciel, comme
seconde moitié du xx" siècle.
(Gustave Flaubert, L'Education
Alexandre Dum as, Le s Trois Mous - . Le, colonialisme en Afrique du tous. Avait-il un aiguillon ? oui lais des Tuileries au cours de la ré- soufflée par des bouches géantes
lieues sous les mers, télévision sentimentale, tS6g.\
dans Le Château des Carpathes.
quetaires.
Nord : Driss Chraïbi, Le Passé certes, sa misère ; avait-il des volution de 1848. dans de monstrueuses trom-
. Principe de l'uchronie : Philipe . Les gueres de religion, le mas- oui certes, sa joie. Gavroche « Tous les visages étalent rouges ; pettes qui la ietaient, vibrante,
Simple et Les Boucs ; en Afrique ailes ?

Roth, IeComplot contre LAmé- . Balzac, La Comédie humaine, po:ur sacre de la Saint-Barthélemy :
noire : Sembène Ousmane, Ies était un tourbillonnement. On la sueur en coulait à larges gouttes avec des sécheresses de cuivre, à
Alexandre Dum as, La Reine Marg ot. Ie voyait sans cesse, on l'enten- [...]. Et poussés malgré eux, ils en- Le coup d'État du z décembre t85t tous les coins de la vallée. »
rique, part de l'idée que Franklin «faire concurrence à l'état civil ». Bouts de bois de Dieu.
Roosevelt n'a pas remporté les . Zo\a, Les Rougon-Macquart, yârtçryzwg*qs&{rsrip.§ . la révolution communiste en Chine : dait toujours. Il remplissait l'air, trèrent dans un appartement ou suscite des insurrections républi- (Émile Zola, La Fortune des
éIections en 1941. Charles Lind- somme romanesque de vingt vo- w'"*/§Nx},&§wrswesryryw*us§ Malraux, Ia Condition humaine. étant partout à Ia fois. C'était une s'étendait, au plafond, un dais caines en Provence. Rougon,r87r.)

Le personnage de roman, du siècle à nos,iours


8 Le personnage de roman, du xvn" siècle à nos iours xvrru ÿ
LES ARTT.LES DU 1l]ùonûe LES ARTICLES DU J]IÛomûe

Modiano, prix par surprise en compagnie de qui elle se trouvait (...). C'est là son secret. Un pauvre
et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites
(t993) à L'Horizon (zoto), semblent se superposer (comme la réunion
en Quarto, en zor3, de dix de ses livres les plus « autobiographiques »
dbccupation,Ie Dépôt,les casernes,les camps,l'Histoire, Ie temps - tout permettaient d'en prendre conscience). Ils créent un temps à part :
Le romancier français, auteur d'une trentaine d'ouvrages marqués par I'identité ce qui vous souille et vous détruit - nlauront pas pu lui voler. » celui des lecteurs de Modiano. Celui auquel les iurés Nobel ont pro-

et Ia perte, a été récompensé, à 69 ans, du Nobel de littérature, jeudi 9 octobre. Chez Modiano, on court derrière des ombres, des silhouettes dispa- posé de mettre Ie monde entier, avec leur récompense. Un temps
raissent à peine entraperçues, d'autres rôdent, menaçantes... Presque « bizarre », sans doute, mais dont on n'a guère envie de s'extraire. ffi
tous ses livres dégagent comme une ambiance de roman noir. Ainsi
de Rue des boutiques obscures (tgZ8), où lbn voit un détective mener Raphaëlle Leyris, Le Monde d.até du u.to.zor4
Bien sûr, Patrick Modiano a trouvé « bizarre » de recevoir le prix homme (ami de Raymond Queneau, qui lui donna des cours de maths
une enquête sur son propre passé - qui ramène à l'Occupation -, après
Nobel de littérature, comme il l'a dit à son éditeur, Antoine Gallimard et qui sera son témoin de mariage, en r97o) se plonge dans Ie Paris de
un épisode amnésique, et après s'être vu assigner une fausse identité.
- « irréel », aussi, a ajouté l'écrivain
lors d'une conférence de presse. l'Occupation avec une forme de rage froide. Suivant les pas de Raphaël
Comme un concentré d'atmosphère « modianesque », qui lui vaut, à
« Bizarre », d'abord parce que c'est sans doute Ie mot qui revient Schlemiloütch, ce roman est, par bien des aspects, différent des livres
33 ans, le prix Goncourl - « pour I'ensemble de son æuvre », précise
le plus dans Ia bouche de cet homme à la timidité et à la modestie à venir - dans sa narration virtuose et hallucinée, son recours à une À l'occasion de l'attribution du prix Nobel de littérature à Patrick
aussi et c'est exceptionnel, I'académie.
presque légendaires, inquiet « d'écrire toujours un peu Ie même forme de grotesque -, mais il pose nombre de pierres de l'æuvre Modiano enzo14, Raphaëlle Leyris dresse un portrait de l'auteur et
Cette æuvre est alors déià, et ne cessera d'être, d'une remarquable propose une analyse de son ceuvre. Marqué dans son enfance par
Iivre ». « Bizarre », aussi, parce que nul ou presque n'imaginait que Ia qu'elle annonce : l'évocation de l'Occupation, I'errance dans Paris, le
cohérence, dans la beauté de son écriture, dans sa volonté de fixer le un sentiment d'insécurité dû au quasi-abandon de ses parents et
récompense puisse de nouveau revenir à un écrivain français, six ans mélange de personnages flctifs et de personnages réels. En zoo7, Iors aux déménagements incessants, Modiano n'a eu de cesse, dans la
tremblé des choses, de rendre avec netteté une atmosphère de flou, de
après ]ean-Marie-Gustave Le Clézio. Mais les membres de l'académie de Iaparution de Dans le café de la jeunesse perdue, il nous disail : « | ai trentaine de romans qui ont suivi Ia Place de l'étoile (son premier
même que sa manière d'évoquer les rues de Paris, à force de précision, roman, paru en tg68), de revenir sur la période de l'Occupation,
suédoise, n'aimant rien tant que surprendre, en ont décidé autrement. toujours incorporé, sans forcément le faire exprès, des silhouettes de
leur fait accéder à une dimension irréelle. Ecrivain du lieu, obsédé par pendant laquelle ses parents se sont rencontrés. Le candidat au
ont couronné ce grand écrivain de 69 ans à I'æuvre
Le 9 octobre, ils personnes réelles, anonymes ou célèbres, qui étaient comme une greffe bac trouvera ici un parcours chronologique de son æuvre, avec
la topographie, Modiano est aussi, et peut-être surtout, un écrivain du
entêtante, lumineusement crépusculaire, en raison, de « lart de sur lafiction. le trouve que cela renforce Iafiction, que cela lui donne ses thèmes récurrents : le Paris de l'Occupation, les personnages
temps, ou, plutôt, de l'intemporalité: « | ail'impression, nous disait-il en quête d'identité et leurs errances citadines. I1 en retiendra
Ia mémoire avec lequel iI a évoqué les destinées humaines les plus une profondeur de champ plus intéressante, comme au cinéma. »
en zoo7, qu'il y a parfois comme des superpositions du passé, du présent également ie procédé du méiange entre personnages flctifs et per-
insaisissables et dévoilé Ie monde de I'Occupation ». Ce procédé se retrouve dans ses deux livres suivants, avec lesquels
et même duJutur, et que cette surtmpression des époques aboutit à une sonnages réels, dont les destins sont suggérés dans les coupures
Cette période de I'histoire française est en effet centrale chez le La Place de l'étoile constitue ce que I'on appellera une « trilogie de de vieux journaux, tel celui de Dora Bruder, héroiine éponyme du
sorte de transparence temporelle. C'est cette sensation que j'essaie de
romancier né en 1945 à Boulogne-Billancourt, auteur d'une trentaine l'Occupation >» : La Ronde de nuit (rg6g) - sur un personnage qui roman paru eî7997. L'article offre également une approche de la
restituer dans mes romans. » musique si caractéristique des romans de Modiano, dont i'écriture
d'ouvrages travaillés par l'identité et par la perte, qui dira avoir travaille tout à Ia fois pour Ia Gestapo et pour Ia Résistance, et semble
Des romans qui, eux aussi, de Iivret defamille (t977) à Accident noc- réussit à « rendre avec netteté une atmosphère de flou » et - jouant
« toujours l'impression d'être une plante née de cefumier » - même annoncer le fllm Lacombe Lucien, dont Modiano coécrira le scénario des superpositions du passé, du présent et du futur - aboutit, selon
turne (zoo3), deRemise de peine (t988) àPour que tu ne te perdes pas
si son æuvre est loin d'être réductible à ce sujet. Ses parents se sont avec Louis Malle * et Ies Boulevards de ceinture (1972), enquête sur le ses propres termes, « à une sorte de transparence temporelle ».
dans Ie quartier (Gallimard, 16o p., 16,9o €), de Chien de printemps
rencontrés en 1942 : elle est une actrice flamande ; lui, Albert Modiano, passé d'un père, qui lui vaudra Ie Grand Prix de lAcadémie française.
juif d'origine italienne, fréquente des individus aux activités louches,
et pratique, sous une fausse identité, le marché noir pendant la guerre. Affection du public

Jusqu'à I'âge de &ans, ilparle flamand


Ce couple étrange, entouré de « drôles de comparses », fait vivre
Les livres de Modiano le font d'emblée reconnaître comme un auteur
talentueux, l'imposent comme une flgure littéraire incontournable,
même s'il n'est guère à l'aise devant les caméras et les micros, multi-
« La Modification » de Michel Butor
une enfance ô combien « bizarre » à Patrick Modiano. Né ]ean (ses pliant, de sa belle voix basse et cendreuse, les hésitations et les points flnit
On disait de Courbet, peintre réaliste, que c'était un æil au bout d'un courtoisie que c'est à force dêtre obscur ou de paraître obscur qubn
parents aiouteront « Patrick » par Ia suite) en 1945, il est suivi en 1947 de suspension - qui lui attirent I'affection du public. Mais il apparaît pinceau. On pourrait dire pareillement de M. Michel Butor,le romancier par voir l'invisible. Grand consommateur en fait de lecture et intéressé
par Rudy, qui mourra à l'âge de lo ans. ]usqu'en 1949, ce sont leurs évident qu'il écrit moins pour laisser sa trace que pour garder celle des par tout apport humain nouveau, 1''attends et je continuerai d'attendre
de I'Emploi du temps et de la Modification, quec'est un æil au bout d'un
grands-parents maternels qui sbccupent des enfants : ainsi, le futur autres, pour empêcher leur disparition - l'un de ses livres a pour titre crayon bille. Rendant compte, l'an dernier, del'Emploi du temps po:ur
à M. Claude Simon sur ses résultats. Pour sa part, M. Robbe-Grillet, qui
écrivain français n'a-t-il parlé que le flamand jusqu'à l'âge de 4 ans. Du plus loin de I'oubli (t996). « Jeune, je songeais à tous ces gens qubn est aussi bon théoricien et devra un jour nous donner la doctrine de Ia
en signaler les mérites et en dénoncer Ie système, j'avais comparé son
Ses jeunes années sont marquées par l'absence de ses géniteurs à croise dans des lieux de passage, des gares ou des cafés, et je trouvais appareil optique à celui de la mouche, qui, dit-on, voit tout autourd'elle nouvelle école de roman dont il est manifestement Ie chef de flle, avec le
l'entourage inquiétant, la prégnance d'un sentiment d'insécurité, avec dommage de ne pas pouvoir les répertorier, pour garder une trace de sans perdre de vue devant elle ce qui peut flxer son regard. Le don de Voyeur etlalalousie a démontré la précision et Ia netteté de sa méthode,
des déménagements incessants (< Nous changions si souvent d'adresse leur passage. C'est pour ça aussi que j ai touiours été fasciné par les voir de M. Michel Butor est extraordinaire. De cette disposition physique et comme c'est lui le moniteurde ce qubn pourrait appeler, faute encore
que nous les confondions et nous apercevions toujours trop tard de annuaires, par exemple : Ies gens y figurent, et puis, l'année dhprès, ils méthodiquement dirigée il s'est fait un système, un peu trop pesant à de mieux, l'École du Regard, c'est de lui que nous attendons aussi le
notre méprise », écrira-t-il, eni.g72, dansLes Boulevards de ceinture), disparaissent. C'est bizarre... » mon gré, qu'il partage d'ailleurs avec plusieurs autres, Robbe-Grillet ou dépassement de ses préoccupations techniques pour un franc retour à
avant les séjours en pension, dont il s'évade toujours, lui qui, une fois lécrivain ira chercherles noms de ses personnages, son
De ces BottirL où
Claude Simon, dont j'ai reconnu le loyal effort et même quelquefois l'humain. Jusqu'ici M. Robbe-Grillet porte toute son attention à mettre
inscrit à Ia Sorbonne, sera ce que l'on appelle un « étudiant fantôme » bureau aux hautes bibliothèques ployant sous les volumes, dans son l'intérêt, sans être toujours d'accord avec eux surla réussite de l'æuvre et en évidence les choses, Ies obiets, et ses dons dbbservation matérielle à
- le terme convient à la perfection à celui dont l'æuvre sera hantée grand appartement parisien près du jardin du Luxembourg, est plein.
l'utilité du but qu'ils poursuivent quand ils subordonnent I'importance cet égard sont remarquables. Mais tout de même nous préférons à tous
par tant de spectres. Du poids de cette enfance et cette adolescence, PatrickModiano collectionne aussi Ies coupures de üeux ioumaux. Ain- de la chose à dire à Ia façon nouvelle de la dire, quand ils sacriflent Ie objets, même bien peints et mesurés au millimètre, l'homme et son
il se délestera en les racontant avec une incroyable distance dans Un si, c'est un avis de recherche diffusé dans un Pans Soir du 3r décembre
sujet au mode de présentation et au tour. |'ai reproché l'autre jour à âme. Les plus grands chefs-d'æuvre sont sans accessoires ; ou du moins
pedigree (zoo5), ce texte écrit comme s'il s'agissait de la vie d'un autre, r94r quiluifera rencontrerle nom de Dora Bruder, jeune fille recherchée
M. Simon ses phrases interminables qui n'expriment volontairement I'accessoire y garde son sens étymologique :'qui accompagne l'essentiel
«parce qu'on Ia [lui] a imposée ». par ses parents, dont il découwira qu'elle est morte en 1942 à Drancy, et
que Ia confusion d'un esprit envahi de perceptions entre lesquelles il sans être esthétiquement nécessaire à la composition de l'æuvre d'art,
Car le véritable acte de naissance, pour Patrick Modiano, est la pu- qui lui inspirera, en 1997 l'un de ses plus grands livres, poftant le nom
lui est impossible de choisir (c'est-à-dire de juger I'essentiel, travail qu'il tableau, tragédie ou roman.
blication de La Place de I'étoile, au printemps 1968, chez Gallimard. de Ia jeune femme, aux dernières phrases superbes et déchirantes : Ce n'est pas s'écarter du nouveau roman de M. Michel Butor, Ia
laisse à faire à son lecteur), et je me suis plaint de lbbscurcissement de
Alors que les événements de Mai se préparent, ce grand et beau jeune « l'ignorerai toujours à quoi elle passait ses
iournées, où elle se cachait, Modification, que d'avoir rappelé ce qui précède. Le cas de Claude
son éclairage. À quoi M. Claude Simon m'a répondu avec beaucoup de

Le personnage de roman, du xvtr" siècle à nos jours Le personnage de roman, du xvn" siècle à nos iours 11
LES ARTT.LES DU f]ftonûo LES ARTICLES DU J]IIONûE

Simon et de Robbe-Grillet est à évoquer à propos de M. Butor ; c'est un homme, sa femme et sa maîtresse, suiet d'étude psychologique jeune couple de nouveaux mariés, Pierre et Agnès, Ia vieille dame, le cription des choses médiocres, qui n'éclairent rier! qui n'ajoutent rien.
lui jusqu'ici qui a réussi ce que ces messieurs, ses compagnons des plus courants, ici renouvelé du tout au tout par I'abondance de la prêtre rougeaud qui lit son bréviaire, mais est-ce qu'il croit ? La belle Ces pesants défauts sont d'autant plus sensibles et plus regrettables que
d'armes ou d'équipe, voulaient faire, et je ne le dis pas pour jeter Ia vie intérieure du personnage principal et Ia casuistique ingénieuse Italienne montée en cours de route, qui le fait penser à Cécile, les deux dans l'analyse des sentiments et des passages d états d'âme Michel Butor
discorde au camp dAgramant et, dès Ieur départ, brouiller entre eux du narrateur. ouvriers avec leur musette et leur litre... Tout cela rêve, attend, se laisse se révèle ici un romancier de premier ordre et un psychologue hors de
ces concurrents. Je constate sans plus que M. Michel Butor vient de Ce n'est pas le héros du livre qui y raconte son histoire ; c'est l'auteur porter, se lève, bouge, remue, change de place et revient s'asseoir. Les pair. ]e ne le rends pas responsable de la veulerie de son héros, qui se
prendre une forte avance, et que sa Modification, à lire, à faire lire et qui mène le récit, mais au lieu de dire léon pour désigner son person- visages parlent cependant, il n'est que d'imaginer ce que ces gens ont laisse en somme si facilement « modifier » par des influences étrangères,
à discuter, à relire si on en a le temps pour en apprécier les richesses nage, ou de I'appelerll, M. Butor use du vocatif de présentation (si cette dans Ia tête, de soucis, de besoins, d'espoirs ou de vide. pour un homme qui aime ou qui croit aimer. C'est en vérité que Ie
profondes, est un des livres les plus attachants et les plus importants catégorie existe), qui consiste à interpeller Ia personne que l'on a en En même temps Léon examine les composantes de sa vie. Il travaille pointilleux Léon naime pas tellement que cela sa belle maîtresse ro-
de l'année, l'un des importants de ces années-ci. J'aurai des réserves vue et à laquelle on apprend en somme qui elle est et ce qu'elle fait, dans une compagnie de machines à écrire. Il a une situation aisée. Il maine, tout iuste bonne àlui donnerl'illusion de la passion, dela liberté,
à faire sur la nourriture compacte que cette sorte de romans nous à titre d'avertissement, comme dans une phrase de ce genre : « Vous s'est autrefois marié par amour avec une aimable Henriette, devenue du roman, dans les brefs séjours qu'il fait à ses côtés dans la Ville éternelle.
apporte. Amateurs de gaufrettes et de petits fours, les estomacs légers fumez trop, vous aurez des embêtements avec votre gorge. » ; à titre hargneuse avec I'âge et qu'il a décidé de quitter pour épouser Cécile, la On l'a indiqué en passant qu'il aime. Et dans
: à travers Cécile, c'est Rome

ne s'accommoderont pas encore de ce robuste et massif kougelhof. de reproches récapitulatifs, comme ceux du magistrat instructeur à un belle et intelligente Romaine qu'il a connue lors d'un de ses précédents ce liwe aux pages étriquées sous leur accumulation de petits détails
M. Butor est, de formation ou de profession, philosophe. Plus que l'art, inculpé :« Vous avez assommé votre victime et vous I'avez découpée voyages à Rome, où l'appellent plusieurs fois par an ses affaires. Cette misérables, toutes les fois qu'il y a de l'air, du ciel, de Ia grandeur, de la
c'est sa pensée, l'expression butorienne de sa pensée qui l'intéresse ; et ensuite pour la mettre dans une malle. » C'est vous, lecteur, que dès liaison lointaine et coupée de longs intervalles l'exaspère. II veut Cécile poésie, une respiration large et ürile, c'est que c'est de Rome et de
il goût invétéré du système et de son système, comme s'il n'était
a le la première ligne dela Modificafion M. Butor paraît avoir directement toute à lui, il a trouvé pour elle une place à Paris ; et, sans la prévenir de I'« énorme rêve de Rome » qu'il s'agit. Peu décrivains, je crois, connaissent
pas sûr d'avoir assez raison s'il ne s'appuyait pas sur un système. pris à partie : << Vous avez mis le pied gauche sur Ia rainure de cuivre, et son arrivée, pour lui en faire la surprise, c'est cela qu'il va lui annoncer Rome aujourd'hui comme M. Butor ; la connaissent aussi bien dans son
Celui-ci consiste à tout regarder, à tout enregistrer, à tout mettre sur de votre épaule droite ÿous essayez en vain de pousser un peu plus le dans ce voyage. Vingt et une heures et demie de rêverie sur ce pro- pittoresque actuel, son passé grandiose, ses ruines parlantes, sa beauté
Ie même plan ; à ne rien sacrifier de ce qui, existant, a été vu ; non panneau coulissant. » L illusion se poursuit dans la phrase suivante. gramme, sur ces souvenirs, sur cet avenir ; altemée de rappels anciens. mêlée, son caractère souverain d'un des hauts lieux de l'homme et de
seulement à ne rien sacrifier, mais à tout répéter dix fois, au cours du C'est vous qui montez dans le train, c'est à votre main que vofre valise Il est déjà venu à Rome avec Henriette, ieune femme, dans le temps l'humanité. Peu, l'aimant d'un pareil amour, seraient capables d'en
livre, à faire revenir dix fois, vingt fois, le même objet sous une lumière pèse, c'est vous qui avez pour épouse une Henriette grinchue et gri qu'elIe était charmante. Cécile est aussi venue Ie rejoindre à Paris, et il parler avec cette intelligence, cette pénétration et cette chaleur. Qui une
différente, Ie même bout de phrase, pour montrer de nouveau ce qui sonnante, c'est vous qui habitez place du Panthéon au n' 15, et qui vous Ia reçue dans son ménage. Elle était moins belle à Paris qu'à Rome. Il fois a vécu à Rome et y est entré profondément, qui garde à iamais ce
se répète, la même notation d'une sensation, d'un souvenir ; et par ces mettez en route pour aller retrouver à Rome une maîtresse charmante, évoque aussi ses précédents séjours romains, Cécile mêlée à toutes les grand souvenir, sera fou de joie comme je l'ai été en lisant les pages ro-
retours voulus et cherchés créer pour le lecteur un état d'obsession à qui vous avez l'intention d'annoncer que vous divorcez et que vous images de la ülle admirable, dont elle est pourlui le symbole, pourn'en maines de Michel Butor. En dépit de ses petites manies et de ses intentions
et d'envoûtement, à la limite de I'hypnose. Mais gare au sommeil, la ramènerez à Paris pour l'épouser. C'est vous qu'à cette heureuse devenir bientôt à ses yeux que l'accessoire. À travers elle, au fond, c'est tatillonnes, elles le classent au premier rang, et il s'est mis lui-même, par
monsieur Butor ! Lextrême répétition y conduit, c'est le principe du nouvelle l'Italienne et brune Cécile prend avec fougue dans ses bras, Rome qui l'attire, Ia vacance et Ia liberté dont il y iouit, Ia vie héroiQue et elles, du bon côté, du seul bon côté ; du côté des maîtres. ffi

compte des moutons pour les insomniaques. Un autre écueil sera de c'est vous que d'une bouche ardente, elle couvre de baisers romains. sublime quévoquent ses ruines, les amusements de la rue, ses couleurs,
vous aliéner des lecteurs, exaspérés et irrités par ce qui fâche Ie plus Une fois l'illusion établie et Ie système mis en marche, il continuera sa lumière, ses fontaines et ses trattorias. Que sera-t-elle à Paris, Cécile Emile Henriot, de lAcadémie française, Ie Monde daté dur3.rt.t957

des esprits vifs et qui comprennent vite : la rengaine. Quand dans à tourner comme Ie satellite, et c'est en cours de route seulement, changée de décor, Cécile détachée de ce grandiose arrière-fond ?

votre description de voyage vous nous avez parlé dix fois, vingt fois, vers le deuxième tiers de l'ouvrage, que sera appelé Léon le vous mis En cours de route les sentiments de Léon se modiflent, et voilà « la mo-
de la perle de lumière bleue au centre de la lampe plafonnière dont en cause, qui flnalement n'était pas vous. L artiflce est d'avoir, sous Ie diflcation annoncée : sous l'action des souvenirs et la dent rongeuse du
»

on a fermé pour la nuit Ie voile obturateur, dans le compartiment, ou couvert de ce vous généralisateur, feint de prêter à beaucoup d'autres temps, au contact de ces compagnons de voyage falots, chacun vu dans
sa vérité différente, à l'usure de ce lent déplacement d'heure en heure, Qu'est-ce que Ie « nouveau roman », souvent présenté comme
décrit vingt fois les losanges du parquet de métal grillé du wagon à la situation, Ies sentiments et les desseins d'un autre, qui répond au une des évolutions majeures du genre romanesque dans les an-
travers lequel monte la chaleur, ou annoncé de la même facon « une nom de Léon, et auquel en somme, par la banalité de son aventure, il tandis que Ie retour des stations connues évoque des déplacements an- nées r95o ? La iecture de cet article appoflera au candidat au bac de
gare passe » ou « le train entre dans un tunnel », chaque fois que se se peut que vous ressembliez. térieurs, Henriette jeune, Cécile plus aimée autrefois, Léon s'aperçoit qu'il français des éléments de réponse précis et clairs avec cette critique
ne croit plus viable l'avenir qu'il avait rêvé ; que c'est Rome qu'il aime et de La Modificafion, roman de Michel Butor paru en 1957. La voie
produit un tel événement ferroviaire au cours de la marche du train Voilà donc notre homme dans le train, partant pour Rome. II a quitté
du nouveau roman est alors déià ouverte par les æuvres d'Alain
du Panthéon, sa femme acariâtre, ses enfants peu aimables non Cécile ; que sa décision de changer de vie ne tient pas. Arrivé aubout
- je vous assure que, chaque fois, on a la tentation d'écrire dans la sa place Robbe-Grillet et de Claude Simon, cités en introduction comme
du voyage, il passera deux jours à Rome sans voir Cécile, sans lui laisser les initiateurs d'une nouvelle écriture romanesque. Émile Henriot
}matge: encore ! ou: c,ava, onle sait ! ; et le plus fâcheux, si vous tenez et qui lui donnent du souci. II s'est installé dans son compartiment de
savoir qu'il est Ià. À quoi bon ! Il faudrait lui mentir : et vous ne vous propose de la nommer l'« école du regard ». Récit d'un voyage en
à être lu, c'est qu'on a envie de passer, en tournant la page. troisième classe, et il effectuera son voyage de jour, alors qu'il voyage
train entre Paris et Rome, La Modrfrcation accorde en effet une part
sentiriez pas Ie courage de I'affronter, d'esquiver son manque de conflance
)'adresse ces reproches l'auteur delaModification (sans aucun espoir
à habituellement en première et dans un train de nuit. Il doit mettre importante à la description des perceptions visuelles du personnage
et ses reproches sur vofre indécision, vofre üe double, votre lâcheté. ÿous central dans le wagon oir ii a pris place. Les détails de cette descrip-
de succès, car ce doit être un homme têtu) parce que ces défauts vingt et une heures et demie, partant à 8 h. 10 de la gare de Lyon, pour
ne sortiriez pas de votrehôtel, etvousycommenceriez même un roman tion reviennent à de multiples reprises, créant chez ie Iecteur un
intentionnels me paraissent nuisibles à son audience ; et qu'en fait ils arriver le lendemain, à 5 h. 45, à Roma-Termini. Vingt et une heures et
« état d'obsession et d'envoûtement, à la limite de l'hypnose ». Un
sur le thème de « la modification », dont le mystérieux et térébrant travail
n'ajoutent rien l'apport considérable de son livre, que lbn voudrait
à demie de réflexion sur soi, sans lecture, malgré le roman acheté avant autre procédé narratif original expliqué dans i'article est I'emploi de
destructeur vous aura donné la vocation d'écrire, jusque{à pour vous Ia deuxième personne du pluriel, qui semble forcer l'identification
Iu, admiré et même aussi aimé pour son apport, dans ce qu'il a de le départ, qui pas une fois ne sera ouvert, mais qui servira à marquer
inattendue. Vous reprendrez le train à son heure et vous rentrerez dans entre le lecteur et le personnage dès l'incipit, évoquant l'entrée du
vrai, d'humain et, spirituellement, d'évocateur à travers les choses sa place dans le compartiment quand le voyageur ira se dégourdir les
votre vie plate,la même qu'autrefois ; redevenu presque malgré vous un voyageur dans le compartiment : « Vous avez mis le pied gauche sur
décrites, quand elles méritent de I'être. Ie disais ce livre important, iambes dans le couloir ou prendre un repas au wagon-restaurant ; le la rainure de cuivre et de votre épaule droite vous essayez en vain
homme très moral, yous étant remis à aimer votre femme. Je ne mêle
dans Ia mesure précisément où, dépassant la peinture obsédante des Iivre remis dans le filet, quand l'amant de Cécile reviendra s'asseoir de pousser un plus 1e panneau coulissant... » La conduite du récit
aucune ironie à ce constat, on ne peut plus moral lui aussi. M. Michel en focalisation interne renforce cette identiflcation. Perceptions vi-
choses, il ramène à l'essentiel de toute littérature, qui est la peinture dans son coin. Entre tant d'allées et venues, de pensées, de cogitations,
Butor en est totalement dépourvu. Nulle trace d'humour dans son sé- suelles de f intérieur du wagon, paysages entrevus, traits des autres
de I'homme, de son esprit, de ses sentiments, de ses mæurs, de ses Léon regarde défiler le paysage dans laïitre du wagon. Habitué de la passagers se mêient aux pensées du personnage pour constituer un
rieux, très sérieux livre. ]'ai dit qu'il contenait quelque chose d'irritant,
rêves, de ses aventures. Il y a cela dans la Modification, et c'est cet ligne, il connaît le parcours, les noms des stations, l'arrivée prochaine voyage intérieur. Au terme de ce voyage s'est accomplie Ia « modi-
dans son caractère en quelque sorte mécanique, dans ses répétitions, sa flcation » annoncée dans le titre, le voyageur renonce à quitter sa
essentiel qui l'emporte finalement sur l'accessoire et le décor et Ies dans une gare importante ; il sait les pays qu'il traverse, et l'auteur
minutie, ses retours d'images identiques, ses formules ; dans ses alinéas femme pour sa maîtresse romaine. Sans ménager ses reproches sur
manies de M. Butor écrivain. Et s'il faut en résumer Ie suiet terrestre nous décrit I'image qu'il en a. Il dévisage ses voisins, Ies regarde, Ies ce qu'il nomme la « rengaine » des descriptions répétitives, le cri-
commandés par de simples ürgules, un bon truc pour mettre ses inci-
et sentimental en deux mots : il s'agit de l'histoire d'une rupture entre étudie, Ieur invente des noms, suppose ce qu'ils sont, où ils vont : le tique place Michel Butor au premier rang des « maîtres » du roman.
dentes à la ligne ; dans Ia place excessive donnée à Ia méticuleuse des-

12 Le personnage de roman, du xvlt" siècle à nos jours


Le personnage de roman, du pvn" siècle à noi fours 1J
L'ESSENTIEL DU COURS L ESSENTIEL DU COURS

Toutefois la peur ne venait chez lui qu'en seconde ligne ; il était surtout més pour lutter ou manquent de
Le personnage de roman : du héros à l'antihéros scandalisé par ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. » (Stendhal,
fait apparaître
Ia grandeur. Claude Lantier, dans
Chartreuse de Parme, t838) Lemploi de « nous, notre » L'CEuvre deZola, se suicide après

Un roman est une æuvre en prose, assez longue, retraÇant le parcours d'un « héros ». un narrateur qui peut être identiflé à Stendhal lui-même en train de avoir compris qu'il n'atteindrait
jamais son idéal. Ieanne, dans
Comment se constitue I'identité du personnage, et que recouvre précisément créer son « héros ».

Une Vie, de Maupassant, est lit-


le terme héros ? téralement écrasée par la société.
Le romancier crée, dans son ceuvre, un être de papier » : cet être de
« Ces personnages sont ce que l'on
flction n'a, par déflnition, aucune existence réelle (ce qui 1'oppose aux appelle des « antihéros ». Les
ffi;,ffiÏ:ff'sentimentsetunparcoursquipourraientêtreceux personnages de l'autobiographie). romanciers peuvent à travers
Bien sûr, Ie protagoniste peut vivre des aventures extraordinaires ou Toutefois, afin que le lecteur puisse s'identifler au personnage, Ie eux exprimer toute une veine
faire preuve d'une grandeur admirable. Mais, depuis le xvu" siècle, les romancier doit donner i'illusion du réel. Il utilise, pour ce faire, de satirique et effectuer, parfois,
romanciers cherchent à faire viwe des personnages qui soient proches nombreux « outils » grâce auxquels Ie personnage prend chair dans une véritable charge contre la
de leurs lecteurs et de leur quotidien. Le « héros » est alors dénommé I'épaisseur du livre. société.
Jeanne Le Perthuis des Vauds, Une
comme tel en tant qu'il est le pivot du roman, et non plus selon la La caractérisation du personnage se fait par l'intermédiaire de plu- Au xx" siècle, l'antihéros est tou- yle, dessin dA. Leroux, gravure de
déflnition étymologique : il n'est plus un demi-dieu. Le roman met sieurs « techniques ». La description est, bien sûr, l'outil privilégié jours présent, mais on assiste G. Lemoine, 1883.

en scène un personnage qui est face au monde, un être nuancé, aux du romancier qui veut « donner à voir » son personnage. Les images également à ce que l'on pourrait
réactions complexes et diverses. (comparaisons et métaphores) sont également essentielles pour appeler Ia « mort du héros » :

Selon le genre du roman ou Ie mouvement littéraire auquel il ap- concrétiser un trait de caractère, par exemple. Quant à la focalisation, - du fait des deux guerres mondiales, le doute s'installe sur la capacité
partient, Ie personnage ne sera pas le même et s'adressera, ainsi, à elle permet des variations dans la présentation et la découverte du de l'homme à maîtriser Ie monde. La foi dans le progrès (le positi-
différents sentiments ou aspirations de son lecteur : héros, engageant parfois le sens de l'æuvre tout entière. Il en existe visme) est battue en brèche et la notion de personnage s'en ressent.
- le héros incarne les désirs d'exploration et l'ambition dans les trois types : la focalisation « zéro » où le narrateur est omniscient, la Loin d'être un surhomme, ou même un homme ordinaire, le héros
romans d'aventures et d'action; focalisation interne qui fait entrer le lecteur dans 1a conscience d'un des romans du xx" siècle se délite et se décompose ;

le personnage est soumis aux affres de la passion et est pris dans les
personnage ou, au contraire, la focalisation externe qui le place en - selon les auteurs du Nouveau roman (mouvance née dans les années
-
contradictions ou les doutes de ses sentiments et de ses désillusions situation d'observateur. r95o, à Paris), le roman n'est pas un moyen de connaissance. Il est,
dans Ie roman d'analyse et le mouvement littéraire du romantisme ;
avant tout (et peut-être seulernent), une écriture. Beckett, par exemple,
protagoniste cherche à affronter le monde et est avide d'ascension propose, dans ses romans, de longs monologues, ou discours, de per-
- Ie
Comme on l'a vu, contrairement au sens etymologique, le héros de sonnages dont on ne sait presque rien. Les consciences sont impossibles
sociale dans le roman réaliste ;
roman n'est pas un demi-dieu de iégende, il est plus proche de la à explorer, tout est opaque ou morcelé, les points de vue sur un même
- Ie personnage interroge le monde et l'individu dans les ceuvres
réalité. Il a donc la capacité, d'une part, d'exprimer les nuances des obiet se multiplient sans former une image nette ; le personnage n'est
du xx" siècle, etc.
Cosette chez les Thénardier par Emile Bayard (1837-1891). individus et, d'autre part, d'incarner différentes conceptions de plus qu'une conscience sans certitudes, il est presque englouti. ffi
Dans le roman réaliste traditionnel, il arrive que I'auteur lui-même
l'homme, selon les époques.
intervienne dans le récit et que voix recouvre celle du narrateur.
sa
Les personnages de romans portent encore parfois les valeurs des
Le personnage principal du roman sbppose au héros antique ou Lanaÿse littéraire désigne habituellement ce phénomène sous Ie nom
héros chevaleresques, ils sont alors des « modèles » dans Ie domaine
à celui du théâtre tragique : il n'a pas la grandeur et Ia noblesse des d' « intrusion d'auteur ». Mais s'agit-il bien de I'auteur ? La question
social, moral, spirituel, etc.
héros légendaires, il ne représente pas la lutte digne face à un destin reste en suspens.
Cependant, ils peuvent tout aussi bien être des héros « médiocres ». . La Peste d'Albert Camus
implacable. De manière nettement moins glorieuse ou grandiose, « Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Enfermés dans leur condition sociale ou familiale, iis ne sont pas ar- (Émile Henriot, de lAcadémie française,
Le Monde daté du t8.o6.t947)

zosM 5uR... RE PÈ RT§


Le narrateur et les points sur le principe que l'auteur du l'intériorité des personnages, nages. Le lecteur ne surplombe
de vue narratifs. Iivre raconte sa propre vie (c'est le romancier a 1e choix entre plus la u population » du roman, Les techniques de tera à ces éléments la notion d'hé- ments « indirects » : ses gestes, ses
ce que lbn appelle le « pacte auto- trois points de vue narratifs ou il est avec l'un d'entre eux et dé- caract é risat ion du p er s onnag e. rédité avec des personnages de actions, son comportement. De
biographique »). « focalisations ». couvre, en même temps que lui, plusieurs générations différentes plus, les dialogues insérés dans le Le personnage de roman évo-
Ilest celui qui narre, c'est-à-dire . Dans un récit à la troisième per- et de l'extérieur, comme lui, les appartenant à la même famille. récit sont également porteurs d'in- lue constamment, au cours de
qui raconte l'histoire. sonne, le narrateur n'est pas un Le héros est d'abord caractérisé Une caractérisation psycholo- dications sur le personnage. l'æuvre. Dans Le Rouge et le Noir,
réactions des autres personnages.
. Dans un récit à la première personnage de I'histoire : il s'efface
Également appelée point de vue
Ce mode de focalisation facilite
par sa designation : un prénom gique peut également être utili- Enfin, un obiet ou un vêtement Stendhal montre un Julien Sorel
personne, il est le « je » qui s'ex- omniscient. Le romancier est et un nom. Certains patronymes peuvent parfois fonctionner d'abord totalement absorbé par
derrière les événements narrés. f identiflcation au héros. sée. Chez Balzac, le physique et le
« tout-puissant » : i.l sait tout de
prime et peut intervenir dans Pourtant, tout récit est forcément donnent ainsi un « indice » sur le
caractère sont souvent liés : Ma- comme des symboles, donnant ses ambitions sociales, prêt à
l'histoire en tant que person- son héros et des personnages du caractère ou 1a condition sociale
raconté à partir d'un certain point dame d'Espard, femme du monde un éclairage essentiel sur le hé- tout pour « réussir ». Puis, à la fin
nage. Attention, cependant, à ne
roman et livre leurs pensées les fait du romancier une « ca-
E1le du personnage. ros. Flaubert, par exemple, dans du roman, un homme se rappro-
de vue : bien que le narrateur ne cruelle et intéressée, est ainsi do-
plus intimes. méra » enregistrant l'extérieur
pas le confondre avec l'auteur, dise pas « je », il peut manifester sa Son identité est complétée par un le portrait de Charles Bovary en- chant, au contraire, de ses pairs,
tée d'un « profil d'aigle ».
qul a écrit le livre. Cette distinc- présence (son jugement, ses senti- des choses. Cette technique laisse physique, des vêtements, l'appar- fant, qu'il affuble d'une invrai- rejetant l'hypocrisie et l'ambi
tion entre auteur et narrateur ne ments), par exemple, à travers des Elle permet de connaître 1es émo- le lecteur construire lui-même ses tenance à un certain milieu, l'en- semblable casquette, signe, dès tion au profit de l'amour et de la
s'abolit que dans les récits auto- modalisateurs. tions ou les jugements du héros, interprétations, et affirme que le vironnement familial, etc. Zola, Le héros peut aussilivrerdes aspects les premières pages de l'æuvre, la solidarité.
biographiques, fondés iustement . Pour faire partager au lecteur mais pas ceux d'autres person- monde est opaque, impénétrable. dans les Rougon-Macquart, ajou- de sa personnalité à travers des élé- condamnation de ce personnage.

1{ Le personnage de roman, du xvn" siècle à nos iours Le personnage de roman, du xvrr" siècle à nos iours 1§
UN SUIET PAS A PAS
UN SUIET PAS A PAS

a À intitulée La Promesse de Iaube, publiée en 196o. Le dernier est un emmène dans son exil. Monsieur Linh incarne donc une figure à la

#\Â*%T"kffiw lxYYskmæ-§r *
§§ ! - ^ !"

: extrait tiré d'un roman de Philippe Claudel publié en 2oo5, La Petite fois tragique et pathétique ; il est I'image souffrante et sublime de la
Fille de Monsieur Linh. guerre civile et de l'exil ; il est également le héros qui, malgré I'horreur

ffiæ§3* zzmmg* #.z*.Yz*w** &* Y*TTï'&T3' chacun de ces textes propose-t-il ?


Ces trois extraits donnent diverses images du héros confronté à l'ad- et la peine endurées, se place du côté de la vie, en jetant ses dernières
versité. Dans La Peste,le docteur Rieux assiste, impuissant, à la mort de forces dans l'éducation de sa petite-fllle.
mère la récompense de ses peines et Ie couronnement de sa vie. Je son ami Tarrou. Le narrateur-personnage de IaPromesse delhube,pour Le personnage d,e La Promesse de I'aube est présenté par son narrateur
m'attelai d'arrache-pied à labesogne. Avec l'accord de ma mère, i'aban- plaire à sa mère malade, entreprend de se lancer dans I écriture. Dans le avec plus de distance. II semble incarner davantage un héros de roman
donnai provisoirement le ÿcée, et, m'enfermant une fois de plus dans roman de Philippe Claudel, le personnage de Monsieur Linh doit fuir son d'apprentissage : d'abord adolescent fougueux et naif, il cherche à
ma chambre, me ruai à l'assaut. )e plaçai devant moi trois mille feuilles pays en bateau, portant dans ses bras sa petite-fllle âgée de six semaines. écrire un « chef-d'ceuvre immortel » pour consoler sa mère malade
de papierblanc, ce qui était, d'après mes calculs, I'équivalentdeGuerre de ses peines et se rêve d'emblée sn « plus jeune Tolstoi de tous les
et Paix,etmamère mbffrit une robe de chambre très ample, modelée Développement temps ». À partir de Ià, il s'applique les clichés de l'écrivain forçat, qui,
sur celle qui avait fait déià la réputation de Balzac. Cinq fois par joul Le docteur Rieux et Monsieur Linh incarnent, chacun à leur manière, avec la respectueuse complicité de sa mère, s'enferme dans sa chambre
elle entrouvrait la porte, déposait sur la table un plateau de victuailles des héros tragiques, impuissants mais dignes face à un événement et veut noircir « trois mille feuilles de papier blanc ». Cependant, cette
et ressortait sur la pointe des pieds. douloureux. Le narrateur du roman de Camus insiste sur l'impuis- naiVeté initiale semble amener le héros à prendre conscience de sa vé-
(Romain Gary La Promesse de lhube,r96o.) sance du médecin : il juge « impossible » dbuvrir les ganglions de son ritable vocation d'écrivain, et des enieux profonds de son désir d'écrire.
Les textes
ami agonisant ; « il ne [peut] rien » contre le « naufrage » de Tarrou; Le jeune homme mue progressivement vers une forme d'humanisme,
Texte 1
Texte 3 enfln, ce sont les « larmes de l'impuissance » qu'il verse quand son « étreint par un besoin de justice pour l'homme tout entier ».
Une épidémie de peste sévit à Oran, en Algérie, dans les années qua-
Monsieur Linhfuit son pays dAsie en guerre et s'exile en Occident avec ami expire. Rieux est également un héros « révolté », qui, malgré
rante. Alors que Ie JIéau disparaît, il fait une demière victime en la
sa petite-fille, Sang Diû. l'absurdité du monde et « le silence de la défaite », s'est efforcé de
personne de Tarrou, l'ami du médecin Rieux, héros du roman.
C'est un vieil homme debout à l'arrière d'un bateau. Il serre dans livrer des « combats » contre la peste. Dans Ia scène présentée dans Ie Les personnages de ce corpus illustrent bien la flgure dominante du
Cette forme humaine qui lui avait été si proche, percée maintenant de
ses bras une valise tégère et un nouveau-né, plus léger encore que la
premier texte, Rieux donne aussi l'image d'un héros pathétique, qui héros dans 1a littérature moderne : doté, à l'instar des héros « tradition-
coups d'épieu, brûlée par un mal surhumain, tordue par tous les vents
valise. Le vieil homme se nomme Monsieur Linh. Il est seul à savoir vient de perdre un ami « qui lui avait été si proche », alors même que nels », de vertus positives - courage, dignité -, il reste cependant humain
haineux du ciel, s'immergeait à ses yeux dans les eaux de la peste et
qu'il s'appelle ainsi car tous ceux qui le savaient sont morts autour de Ia ville vient d'être « Cette situation douloureuse
libérée de la peste ». dans son impuissance à changer Ie monde, sa faiblesse ou sa naiïeté.
il ne pouvait rien contre ce naufrage. Il devait rester sur le rivage, les
Iui. Debout à la poupe du bateau, il voit s'éloigner son pays, celui de Ie conduit à un exil moral : « il n'y aurait plus jamais de paix possible
mains vides et le cæur tordu, sans armes et sans recours, une fois de
l'impuis- ses ancêtres et de ses morts, tandis que dans ses bras l'enfant dort. Le
pour lui-même ». Ce qu'il ne faut pas faire
plus, contre ce désastre. Et à Ia fln, ce furent bien les larmes de
Dans le roman de Philippe Claudel, nous n'accédons pas avec autant Collei une étiquette générale sur le personnage sans prendre en
sance qui empêchèrent Rieux de voir Tarrou se tourner brusquement pays s'éloigne, devient infiniment petit, et Monsieur Linh le regarde
compte sa spéciflcité dans l'extrait.
disparaître à l'horizon, pendant des heures, malgré le vent qui souffle de précision aux pensées du héros, mais Ia dignité du personnage de
contre Ie mur, et expirer dans une plainte creuse, comme si, quelque
et le chahute comme une marionnette. Le voyage dure longtemps. Des Monsieur Linh est déià suggérée par la manière dont il est présenté :
part en lui, une corde essentielle s'était rompue' La nuit qui suivit ne
jours et des iours. Et tout ce temps, le vieil homme le passe à l'arrière « debout à I'arrière d'un bateau ». Comme Rieux, sa douleur n'est
fut pas celle de la lutte, mais celle du silence.
du bateau, les yeux dans le sillage blanc qui flnit par s'unir au ciel, à
jamais explicitée, mais elle est sensible à travers l'évocation du
(Albert Camus, Ia Peste,1947.)
fouiller le lointain pour y chercher encore les rivages anéantis. massacre de ses proches : ceux qui « savaient [son nom] sont morts
Dissertations
(Philippe Claudel, La Petite Fille de Monsieur Linh, zoo5.) autour de lui ». On comprend également que l'exil qu'il subit est un - En partant des textes du corpus, vous vous demanderez si la
Texte z
arrachement insupportable, par lbbstination avec laquelle il flxe son tâche du romancier, quand il crée des personnages, ne consiste
Romain, alors qu'il est lycéen, découvre un iour sa mère en proie à un qu'à imiter le réel. (Suiet national, zoo8, séries ES, S)
malaise et apprend ainsi quelle est diabétique.
lntroduction pays qui s'éloigne inexorablement, puis l'horizon, alors que son pays
- Un roman doit-il chercher à faire oublier au lecteur que ses per-
Les textes du présent corpus sont tous trois extraits de récits des xx" n'est plus visible, mais aussi par des signes tels que sa valise, dont sonnages sont flctifs 7 (Suiet national, zoo8, série L)
|e sentis qu'il fallait me dépêcher, qu'il me fallait en toute hâte écrire le
et xx" siècles. Le premier esttiré de La Peste de Camus, roman publié le contenu dérisoire laisse deviner une fuite précipitée, et, bien sûr, - Un personnage de roman doit-il nécessairement surmonter des
chef-d'æuvre immortel, lequel, en faisant de moi le plus ieune Tolstoi
extrait de l'autobiographie de Romain Gary sa petite-fllle de six semaines, probable rescapée du massacre, qu'il épreuves pour être considéré comme un héros de fiction ? (Centres
permettrait d'apporter immédiatement à ma en 1947. Le deuxième est
de tous les temps, me étrangers, zorr, séries ES, S)

REPÈRES
zooM suR...
Les problématiques Jules Verne, Vingt mille lieues sous HEROS ROMANTTPUES PERSONN.AGE DE CONTE,
tine et martyrlsent Cosette. « Ces à l'air vivace et maiadif. Il allait, d'autres personnages. les mers,t869 ET LE « MOI » EN EMOI AU SERVICE DE LAVIS§E
Les personnages desMisérables
êtres appartenaient à cette classe venait, chantait [...] volait un peu, (le capitaine Nemo). Chateaubriand , Atala, rSor ; ARGUMENTATIVE
ile Victor Hugo, sont devenus, Cosette, la fllle de Fantine, mai-
bâtarde composée de gens gros- mais comme les chats et les Pas- ew"§gyâ§i?,æ § wqJ xx* §nxer.x René,t9oz. Yoltaire, Zadig, t747 ;
traitée par les Thénardier qui 1'ont WXî'&î,&§§§ATA,LX§
pour la plupart, des figures em' siers parvenus et de gens intel- sereaux, gaiement, riait quand Sartre,La Nausée,t938 (Roquentin) ; Candide, t759.
recueillie. Mérimée, Carmen,1845;
blématiques, ligents déchus, qui est entre la on l'appelait galopin, se fâchait Camts, L'Etranger, rg4z (Meursault). TIBERTINS
« Ses grands yeux enfoncés dans Zola, Nana,188o ; Flaubert, RAFTINEMENTS DE tA PSY.
classe dite moyenne et Ia classe quand on l'appelait voyou. » p^wwlY LxTlx xT &&§,§w x§T w§ Laclos, Ies liaisons dangereuses,
rA §rrrr-MÈRE HÉR0ÏQL,§ une sorte dbmbre étaient Presque Salammbô, t86z (Salomé). CHOLOGIE AMOUREUSE
Fantine, belle et naiVe ouvrière éteints à force d'avoir pleuré. Les dite inférieure, et qui combine r78z (Merteuil et Valmont).
quelques-uns des défauts de la se-
Balzac, La Comédie humaine
w*wwwx§ crAssrguE
abandonnée avec une enfant Pour coins de sa bouche avaient cette Javert qui traque )ean Valjean. (Rastignac) MONSTRES qUI EN DISENï M'" de Lafayette, La Princesse
courbe de l'angoisse habituelle, conde avec presque tous les vices « Quand Javert riait, [...] ses lèvres
;
Balzac, La
Comédie humaine,
BEAUCOUP SUR tA NATURE
Iaquelle elle fera tous les sacriflces. Maupassant, Bel-Ami, t885 de Clèves, t678.
de ia première (...). » 1830-1856 (Vautrin sous ses di-
« Fantine était belle et resta pure le qu'on observe chez les condamnés minces s'écartaient, et laissaient (Georges Duroi). HUMAINE
verses identités). sÉDUCTEURS
plus longtemps qu'elle put. Cétait et chez les maiades désespérés. » voir, non seulement ses dents, Rabelais, Gargantua, t534 ;
flls Thénardier, meurt mais ses gencives, et il se faisait &wxNTuÿ,lK§"§ w'*x*§T3§.L&.er.&§§x Mérimée,Ies âmes du purgatoire,
une iolieblonde avec debelles dents. Gavroche, Hvgq Notre-Dame de Paris, r83r
autour de son nez un Plissement Dumas père, Le Comte de Monte- v*Y§JL&ZX§, 1834 (Don luan) ;
Elle avait de lbr et des perles Pour glorieusement sur une barricade. (Quasimodo).
« C'était un garçon bruyant, épaté et sauvage comme sur un Cisto, tB 45-t846 (Édmond Dantès) Zola, Germinal, t885 Stendhal, Ie Rouge etle Noir,r83o
dot, mais son or était sur sa tête et Les Thénardier qui exploitent ;

blême, leste, éveillé, goguenard, mufle de bête fauve. (Étienne Lantier). (Iulien Sorel).
ses perles étaient dans sabouche. » odieusement la naiveté de Fan- »

16 Le personnage de roman, du xvtt" siècle à nos jours


Le personnage de roman, du xvrr" siècle à nos iours 1/
L'ARTICLE DUÏIIONûO L'ARTICLE DU IJ|IOMûC

« La Peste » dAlbert Camus finir, et dont on ne pourrait prétendre en analyser les thèmes et
épuiser la riche substance en un feuilleton. f 'en ai dit jusqu'ici I'essen-
tiel. Il y aurait beaucoup à souligner, pour admirer ou pour discuter.
Pour Ie candidat au bac de français, cet article, tiré des archives du
journal Le Monde, est un document exceptionnel. C'est Ia critique Quelques personnages accessoires me paraissent relever encore de la
Le prix des critiques
a été décerné ces iours-ci au nouveau livre de visible, une multitude d'hommes innocents sont atteints d'un mal du roman dAlbert Camus, La Peste, au moment de sa parution en philosophie nihiliste de I'Etranger. Tel vieux toqué qui s'amuse, par
iuin 1947. Lécrivain Émile Henriot le perçoit d'emblée comme « l'un exemple, à approcher des chats pour leur cracher dessus. Tel autre
M. Albert Camus,LaPeste,qlre je n'hésite pas à considérer comme un sans remède, contre lequel ils ne pouvaient rien. Quelques-uns d'entre
des ouvrages les plus importants non de l'année mais de l'époque ».
des ouvrages les plus importants non de I'année mais de I'époque. On eux se redressent pour tenter de secourir Ies autres, et s'y emploient Sept décennies ans plus tard, ce iugement paraît pleinement iusti- encore qui a un secret à cacher et se trouve bien de l'état d'exception
garde présents à I'esprit les écrits précédents de M. Camus, son noir avec une générosité et un courage magnifiques. Au nom de quel flé, tant cette æuvre a été, au fll des ans, rééditée et commentée. Le de Ia peste pour être à l'abri des gendarmes, et qui, le fléau dominé,
lecteur s'y trouve au cæur de la problématique du « héros » roma- devient fou et tire sur la foule... Ie n'entends rien à ces fantoches et ne
et terribleroman,l'Etranger,son essai capital, le Mythe de Sisyphe,et idéal Ie font-ils Quel idéal est-il capable de le leur inspirer ? Voilà le
?
nesque. À l'opposé de L'Étranger et de son antihéros indifférent
dans lbrdre plus immédiat du jugement sur I'actualité politique ses sujet de la Peste, et l'important de ce grand livre, actuel, moral, sans dans un monde absurde, La Peste a pour narrateur une figure de vois guère ce qu'ils prouvent. Mais il est un autre thème du livre ex-
lumineux articles de Combat. Ce romancier est au premier chef un métaphysique, purement et simplement humain. I'engagement, le docteur Rieux, qui mène la lutte contre l'épidémie trêmement émouvant pour nous, témoins rescapés de la guerre, de
de peste qui ravage la ville d'Oran. D'autres personnages risquent I'occupation, de l'exode : ce thème de l'exil, de la séparation et de la
moraliste, et c'est à ce titre qlue La Peste présente un intérêt essentiel Les personnages de M. Camus sont des hommes dépourvus d'espoir.
avec lui leur vie pour porter secours aux victimes. Le suiet du ro-
et marque une avancée considérable sur I'Etranger.Onvoyait dans ce IIs n'attendent aucune survie, aucune récompense posthume. IIs ne solitude, et de Ia longue macération dans Ie malheur où nous avons
man tient dans une interrogation : « au nom de quel idéal le font-
premier roman l'histoire d'un homme, assassin par hasard, étranger à savent ni d'où vient le monde ni où il va ; comme Sisyphe et l'Étran- ils ? » Larticle dtMonde propose une analyse détaillée de cette ques- vécu comme les pestiférés d'Oran dans leur effrayante quarantaine,
tout et à lui-même dans un monde absurde et fermé. Mais rejoignant ger, ils se voient pris sans sortie possible dans un cercle terrestre tion, mettant au jour Ia dimension universelle de la réflexion de qui joue de page en page à travers le livre, comme on vit, menacé, sans
camus sur l'homme, qui se fait au moyen d'un récit allégorique
Pascal sur Ia grandeur de l'homme, qui sait que l'univers l'écrase, alors et rigoureusement clos. Mais autour d'eux ils voient des hommes espoir, baignant dans le désastre et l'idée de la mort, séparé de ce que
oir l'épidémie représente un mal contre lequel chacun doit trouver
que l'univers n'en sait rien,le Sisyphe de M. Camus assurait aux âmes condamnés, iniustement frappés, voués aux misères, à la mort. Sym- sa propre raison de le combattre. Ibn aime, incapable d'aucun bonheur, impuissant contre le malheur ;
déterminées un arrangement tourours possible avec le désespoir : Ie boliquement aussi, c'est Ià la peste, dont nous sommes tous tributaires. et à la fln, le fléau vaincu, à moitié rompu, dolent et dominé par le
destin étant affaire d'hommes, disait-il, qui doit être réglée entre les Esprit critique délié, attentif à peser Ies mots qu'il emploie, se méflant souvenir de l'épreuve, au milieu d'êtres comme nous marqués et
hommes. En dépit des dieux, qu'il nie, Sisyphe touiours soulève les d'eux, et surtout des mots majuscules, dont il suspecte le conformisme même Paneloux, d'ailleurs, se dévouera comme les autres au secours inquiets, ainsi que l'héroi'que Rieux, qui sait que « Ie bacille de la peste
rochers. Ce sont d'autres sisyphes que, cette fois, M. Albert Camus et Ie tout fait sous une apparence éloquente, on aperçoit, tout au Iong terrestre des pestiférés, et il en mourra. Le journaliste Rambert est ne meurt ni ne disparaît jamais... ». La fln du livre cependant m'a fait
montre et met en scène dans la Peste, où, pour conclure affirmative- de son liwe, M. Àlbert Camus, cæur généreux, se donner beaucoup de pareillement un de ces hommes de bonne volonté en qui M. Camus a penser au squelette de Ligier Ricier, qui d'un bras décharné élève vers
ment, il pose le problème de savoir si lbn peut être saint sans Dieu. peine pour trouver un nom aux vertus, aux efforts actifs de ses héros : conflance : bloqué à Oran à l'intérieur du cordon sanitaire qui isole la le ciel son cæur, dans l'église de Bar-le-Duc. C'est enlisant ces quelques
Il y a quelques années, la peste a éclaté dans la ville d'Oran. La le docteur Rieux et ses acolytes, les volontaires, Tarrou,le bonhomme ville, où il n'était que de passage, il cherche d'abord à s'enfuir, et, quand lignes où M. Camus montre Ie docteur Rieux se décidant à écrire son
chronique rapportée par M. Camus, d'après son témoignage supposé Grand, le journaliste Rambert, l'abbé Paneloux, dévoués avec lui à il en a trouvé le moyen, il y renonce ; il aurait honte de quitter dans récit de la peste, « pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoi-
et les renseignements fournis par Ies témoins, commence sur une la Iutte contre le fléau. Il refuse de leur appliquer le mot héroïque, ces circonstances le petit groupe de soigneurs et de médecins auquel gner en faveur de ces pestiférés, pour Iaisser du moins un souvenir
description objective du fléau : I'invasion de la ville par les rats, pre- entaché de grandiloquence et d'intention spectaculaire. Comme c'est il s'est volontairement agrégé. Lui aussi il est de ces « médecins » de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire
mières victimes du mal et qui, chassés de leurs demeures souterraines, l'un de ces personnages qui fait ce récit de la peste et rapporte le zèle spirituels en la mission de qui M. Camus voit à iuste titre I'honneur simplement ce qubn apprend au milieu des fléaux : qu'il y a dans les
viennent mourir sur la place, au grand jour, répandant d'abord I'éton- de ses compagnons au secours des pestiférés, sans souci du danger de l'homme, dans ce monde absurde oir Ia seule raison d'être et la hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser... ». &§t
nement, puis la terreur,l'infection s'attaquant aux hommes et, de I'un couru, on admet sa pudeur à ne pas se considérer comme un héros. seule noblesse sont de servir l'homme et de l'aider contre ce qui le tue.
à I'autre, établissant son règne affreux dans la cité. Je ne m'attarderai Mais enfln l'héroiime existe, qui consiste à se dévouer, et même sans La Peste de M. Camus est de ces livres avec lesquels on n'en saurait Emile Henriot, de lAcadémie française,Ie Monde daté du 18.o6.1947
pas à souligner I'art saisissant du peintre en ce tableau, digne de Poe que ce soit pour Ia gloire... Passons.
et plus encore du Daniel de Foe dt lournal de I'année de la peste :le M. Camus risquera ici le mot charité, ailleurs le mot plus vague de
talent n'est ici que l'excipient propre à véhiculer bien autre chose que sympathie. Il fera même dire à l'un de ses porte-parole que c'est
Ia relation pathétique d'une catastrophe. Déflni dans ses circonstances par honnêteté qu'il fait périlleusement ce qu'il fait. Et il fera aussi
et dans son horreur avec une précision quasi médicale, ce malheur demander à un autre si lbn peut être saint sans Dieu. Pourquoi pas, si
public n'intéresse I'auteur que dans sa répercussion morale à travers Ia sainteté, même sans espoir de récompense, est un état de perfection
les esprits, et par lbccasion symbolique qu'il y trouve d'étudier le volontaire, comme chez celui qui par bonté, par altruisme, par amour,
comportement d'une société frappée d'interdit par un cataclysme. sbffre, se dévoue et s'expose pour ce qui Ie dépasse, idée ou prochain ?
Le dessein de M. Camus ne fait pas de doute : s'il s'en tient, tout au Dogme à part, Ie christianisme a gardé des racines profondes dans le
long de son dramatique récit, à ne faire état que de la peste imaginaire cæur de I'homme moderne ; la religion de l'humanité pure et simple,
d'Oran, il est éüdent que lbbjet de son livre est, sous cette romanesque à laquelle aboutit M. Camus, est un héritage chrétien, quoi qu'il en
transposition, une allusion constante au fléau de Ia guerre dont nous ait dit ; et sans. doute il n'a pas manqué de l'apercevoir quand, dans
sommes encore abattus, quoiqu'elle ait pour l'instant cessé de frap- son dialogue entre le docteur Rieux et Ie père jésuite Paneloux, il n'a
per, sans qu'elle ait pour cela cessé de nous maintenir par ses suites pu s'empêcher de faire intervenir le mot grâce. Lui aussi, Ie docteur
dans l'angoisse et le désarroi. fe noterai seulement, en passant, l'art Rieux, est un chrétien de comportement, à qui seulement manque la
extrême mis par I'écrivain à soutenir son allégorie sans tricherie ni grâce. C'est cequi justifie sa révolte, nettement professée, son refus
coup de pouce : nous ne sommes jamais qu'à Oran, et c'est de cette formel d'adhésion à une création qui permet la mort et la souffrance
seule peste qu'il s'agit. Mais c'est tout naturellement le lecteur, comme de l'innocent. Le problème est vaste, et M. Camus, honnêtement,
l'intention del'auteur l'y invite, qui s'élève au-dessus des données du ne l'élude pas. Il a très exactement enregistré le sermon vengeur et
Iivre et en dégage la haute portée dominante et philosophique. Telles scandaleux du père Paneloux, qui voit dans le fléau la main de Dieu
conditions rassemblées, les choses étant dites qui rendent ce malheur et une chance donnée au pécheur et au mécréant de se convertir. Le

t B fe personnage de roman, du xvl' siècle à nos jours Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours 1ÿ
L'ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS

Personnage romanesque et vision(s) du monde L'æuvre peut également être porteuse d'une réflexion philosophique,
débouchant soit sur un constat lucide (et parfois pessimiste) soit sur
une révolte.
Le roman est la création d'un univers qui fonctionne comme un reflet du monde réel. Que Toute l'æuvre romanesque de Maupassant est ainsi porteuse d'une
ce reflet soit déformé ou qu'il ait lieu dans un espace ou un temps différents des nôtres, le philosophie pessimiste, qui voit en l'homme un prédateur égoïste. À
lecteur effectue des « allers-retours » entre ces deux univers qui le mènent à une réf lexion l'inverse, Malraux, dans l?spoir comme d ans La Condition humaine,
révèle la faculté d'union et de solidarité des hommes.
sur notre monde. Le roman est porteur d'une ou plusieurs « visions du monde »,
Héritier du conte philosophique de l'époque des Lumières (xvrrr") où
s'est illustré Voltair e (C andide, Zadi g, Mi cromé g a s...), le roman à thèse
À la croisée de plusieurs visions du monde illustre un système philosophique ou une idéologie politique dans
Le personnage est rarement seul dans un roman. De fait, le roman Ies éléments d'un récit. Ainsi, Aragon, dan s Les Communistes, fresque
Un personnage de roman est, ne délivre pas un « message » simpliste et univoque, mais permet, romanesque en 6 volumes, publiés d,e t949 à r95r, rend hommage à
Gargouille surmontant Paris.
en quelque sorte, « plus que au contraire, une confrontation de perspectives. l'action courageuse des communistes dans les années tragiques de la
lui-même ». Le héros, pivot de Lexemple de La Peste est à cet égard éclairant : Rieux, incarnant « drôle de guerre » (1939) et de la défaite (r94o). Camus, dansL'Etranger,
Le romancier peut également critiquerla société dans laquelle il place ses
l'ceuvre, acquiert un statut qui illustre la philosophie de l'absurde exposée dans Ie Mythe de Sisyphe
Ia lutte contre le fléau, rencontre un iournaliste qui, lui, est prêt personnages dansUneVie,deMaupassant, Jeanne se trouve confrontée
:
est davantage que celui d'un et Sartre, dans Ia Nausée, donne une expression romanesque de
à tout pour quitter la ville, où la peste s'est déclarée, et rejoindre à la violence de son mari, à la cruauté d'une société de classes, sans
simple individu. Il peut alors, l'existentialisme développé dans L'Être et le néant.
sa bien-aimée. Pour lui, l'amour est plus important que la solida- pouvoir trouver d'autre « remède » que sa matemité. I-auteur, ici, ne
dans le roman, être le vecteur Le roman peut également être une vision du monde, non pas au sens
rité avec les habitants. Mais Rieux ne le condamne pas. Les deux iuge pas forcément sonpersonnage, mais ildéliweunevision du monde
d'une conception du monde. politique ou philosophique, mais au sens esthétique du terme. Une
perspectives sont ainsi données au lecteur, comme deux choix pessimiste en décrivant « objectivement » une vie ordinaire.
Le protagoniste, à travers son æuvre est faite de mots autant que de personnages, de rythmes et
Statue de Voltaire, à Ferney. personnels, engageant deux modes de comportement et deux
parcours, devient peu à peu le Le roman commê vision du monde de sons, autant que de thèmes. Cet entrecroisement des motifs et
visions du monde.
symbole d'une qualité : il incarne une vertu, un vice, ou une façon de Lesüsions du monde qui s'expriment à travers un roman sont portées, de l'écriture permet de transmettre au lecteur un autre regard sur
De plus, chaque personnage est un « composé » qui possède de
se positionnerparrapport au monde. Certains héros deviennent ainsi non seulement par les personnages et le narrateur, mais également le monde.
point que leur nom peut donner naissance
multiples facettes. Le romancier ne se contente pas de caricatures, il
des « §rpes », au à un terme par tous les motifs qui s'entrecroisent dans l'æuvre. Certains romans laissent ainsi une empreinte en nous par leurs
désignant un comportement général (Exemple : le « bovarysme »). construit un personnage riche qui sera sensible aux situations qu'il
Le romanpeut interrogerles modes de connaissance et les croyances descriptions, ou par l'imaginaire qu'ils nous offrent. Certains romans
Un héros romanesque peut, de même, révéler une vision du monde rencontrera et ses réactions ne seront pas toujours prévisibles. Dans
d'une époque. À Ia fin du xx" siècle, Zola (et tout le mouvement nous marquent par leurs descriptions, ou par l'imaginaire qu'ils nous
lorsque son itinéraire est à l'image de celui de tout un groupe. Lantier, LesMisérables, |ean Valiean est celui qui lutte contre les préjugés et
naturaliste) s'inspire de la biologie et des sciences expérimentales : offrent : Le Grand Meaulnes (Alain-Fournier), AuréIia (Gérard de Ner-
dans Germinal, représente ainsi les mineurs, la classe ouvrière : il vient en aide aux plus démunis, Ie père rêvé pour Cosette... mais il val), Au Château dArgol (Julien Gracq), ou encore ÀIa recherche du
tout en critiquant la société, il montre par là qu'il est en accord avec
donne au lecteur la possibilité de considérer la société selon un angle est également celui qui ne supporte pas d'être « dépossédé » de sa temps perdu (Marcel Proust) sont autant d'exemples d'æuvres dans
une vision « scientiflque » et progressiste du monde.
particulier, celui des opprimés. fille adoptive lorsque celle-ci tombe amoureuse : son amour paternel Iesquelles Ie monde est transformé par un regard. Le Iecteur est invi-
À l'inverse, Ia littérature romanesque du début du xx" siècle met en
Le personnage peut également être le symbole d'une cause àdéfendre. est à la fois admirable et abusif. té à se déplacer légèrement, à faire un pas de côté pour considérer,
doute cette notion de progrès. Céline s'inscrit en faux contre la vision
Il rassemble alors des hommes autour de lui, réunis par une même En outre, cette complexité est encore ampliflée par le « duo » formé plus qu'une « vision du monde », un monde « re-vu ».
du monde selon laquelle l'homme serait capable de maîtriser ses
vision du monde, et s'oppose éventuellement à ceux pour qui cette par le romancier et ses personnages. Ni le narrateur, ni le romancier,
inventions et ses connaissances.
vision est inopérante. Dans Ia Peste,le docteur Rieux estime qu'il n'y ne sont forcément en accord avec les visions du monde portées par
Dans un style d'écriture différent, le roman noir, apparu à la fin du
a qu'une seule attitude possible : lutter contre la maladie. Il est rejoint les personnages : I'ironie de Flaubert, dans L'Éducation sentimentale, vérité nous
xvrn" siècle, rejette I'idée selon laquelle la transparence et Ia
par un certain nombre de personnages, tandis que d'autres préfèrent fait éclater aux yeux du Iecteur l'aspect illusoire de Ia conception du seraient accessibles : des zones d'ombre entourent les personnages. . Marie NDiaye, vibrante solitude
se replier sur eux-mêmes : deux visions du monde se dessinent ainsi. monde de Frédéric Moreau. Le monde y est un labyrinthe obscur et effrayant. (Raphaëlle Rérolle, Ie Monde daté du z8.o8.zoo9)
. Michel Houellebecq, même pas mort !
(Raphaëlle Rérolle, Le Monde des livres daté du o3.o9.zoro)
zooM suR... CITATIONS
Le suicide dansleromary conscients d'avoir vécu 1'acmé de par |ean Valjean, l'homme qu'il a
leuramour, choisissent de mourir La protagoniste de Madame traqué sans répit, il se noie dans la . « On ne peut créer des person- mouvement dans le récit, de la . « Le thème de tout roman, c'est Admiration et pitié, telle est la de-
unefin de parcours tragique.
ensemble en ingérant une dose Bovaty, de Flaubert, publié en Seine pour mettre fin au dilemme nages que lorsqubn a beaucoup couleur, de la vie remuante. » le conflit d'un personnage roma- vise du roman. »
La vision du monde que laisse
massive de morphine. 1857, est la plus celèbre « suici- qui l'accable. étudié les hommes, comme on (Maupassant, préface de Pierre et nesque avec des choses et des (Duhamel, Essa i sur le roman, 1925.)
transparaître un personnage de
ne peut parler une langue qu'à la Iean,1887.) hommes qu'il découvre en pers-
roman trouve une signification dée » du roman français. Aban- KYOETTCH§N . « Les héros ont notre langage,
condition de l'avoir sérieusement pective à mesure qu'il avance,
particulièrement Iourde quand donnée par ses amants, affolée La Condition humaine de Malraux, .
Dans L'(Euvre d'Émile Zola, t886, apprise. » « C'est touiours nous que nous qu'il connaît d'abord mal, et qu'il nos faiblesses, nos forces. Leur
son « parcours » s'achève par le peintre Claude Lantier, mar-
par les dettes qu'elle a réussi à 1933, propose des flgures de suici-
(Dumas fils,Ia Dame auxcamélias, montrons dans le corps d'un roi, ne comprend jamais tout à fait. » univers n'est ni plus beau, ni plus
un suicide. cacher a son mari, elle s'empoi- dés héroiques, desrévolutionnaires
qué par l'hérédité alcooiique r8+8.) d'un assassin, d'un voleur ou d'un (ItJaiq ÿ st ème de s Be arx- Arts, tgzo.) édiflant que le nôtre. Mais eux, du
sonne avec de l'arsenic dérobé cor4munistes dans le contexte de honnête homme. » moins, courent iusqu'au bout de
ARIANE EÏ SOLAL qui lie les personnages des Rou-
Belle du Seigneur, de Cohen, 1968, gon-Macquart, est à la recherche
chez le pharmacien Homais. Ia guerre civile en Chine : Kyo qui . Pour le romancier obiectif, « la (Maupassant, ibidem.) . « Le but suprême du roman- leur destin et il n'est iamais de si
se suicide pour éüter la torture ; psychologie doit être cachée dans cier est de nous rendre sensible bouleversant héros que ceux qui
s'achèvepar Ie double suicide de la perfection. Incapable de ré- Tcheq blessé dans I'attentat contre .
le livre comme elle est cachée en « Le peintre qui fait notre portrait l'âme humaine, de nous la faire vont iusqu'à l'extrémité de leurs
simultané dAriane et Solal. aliser l'ceuvre qui représenterait Dans Ies Misérables de Victor Tchang-Kai'-Shek, qui se tire une
réalité sous les faits dans l'exis- ne montre pas notre squelette. » connaître et aimer dans sa gran- passions. »
C'est une sorte d'apothéose la Femme, il se pend devant le Hugo, publié en 1862, le policier balle dans la bouche. (Albert Camus, L'Homme révolté,
tence. Le roman conçu de cette (Maupassant, ibid.) deur comme dans sa misère, dans
paradoxale, les deux amants, tableau inachevé. Javefi a dédié sa vie à la loi. Sauvé manière y gagne de l'intérêt, du ses victoires et dans ses défaites. 1951.)

2O Le personnage de roman, du xvrr" siècle à nos iours Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours 21
UN SUJET PAS A PAS
UN SUJET PAS A PAS

Écriture d'invention : Émilien Aloz


r, rue de lAssommoir
§.3
75o2o Paris
à Guy des Gares
tz rue du Château-d'If
*'**a,;.i'tZ*L* Ur;Zffrpl*?: rl1* X;*|tZ?. sa position. Rédigez successivement Ia lettre du lecteur et celle du
36ooo Châteauroux
Après avoir lu un roman, un lecteur adresse un courrier au romancier romancier. Ne signez pas les lettres de vos noms et prénoms, mettez
pour lui reprocher Ia vision très pessimiste qu'il donne de la réalité. un pseudonyme et indiquez une fausse adresse. Monsieur,
l'ai bien reçu votre lettre, que j'ai lue avec le même intérêt que celui que vous avez eu à me lire. Si je prends la peine de vous répondre, c'est que
Quelques jours plus tard, il reçoit la réponse du romancier qui défend Corpus : Honoré de Balzac, Flaubert, Guy de Maupassant, Huysmans.
votre critique relève d'une conception de l'écriture romanesque que je ne partage pas complètement.
Vous avez certes totalement raison : mon dernier roman témoigne d'une perception assez noire de l'existence. Toutefois, vous vous méprenez
Guy des Gares quand vous dites qu'il y a dans cette vision une complète désespérance. Faire comprendre la réalité du monde dans toute sa cruauté n'est pas un
rz rue du Château-d'lf message négatif envoyé au lecteur. Il ne s'agit pas de le renvoyer à la noirceur de son propre univers, mais de I'inciter à changer te quotidien afin

36ooo Châteauroux de Ie rendre moins sombre. Votre lettre n'est d'ailleurs pas exempte de présupposés discutables : vous paraissez ainsi penser que mes romans ne

à Émilien Aloz sont qu'une photographie banale de la vie, que ce que ie raconte est nécessairement le fruit d'une expérience humaine authentique. Or, à f instar
r, rue de lAssommoir du romancier réaliste défini par Maupassant, dans sa préfac e à Pierre et lean, je prétends qu'un véritable travail artistique préside à l'effet de réel.
De la même façon, si je vous propose un univers pessimiste, c'est peut-être pour vous conduire implicitement vers une certaine forme d'idéal.
75o2o Paris
Prenez l'exemple du fameux roman de Maupassant, Urle vie : chaque aventure, chaque incartade coniugale, précipite l'héroine plus avant dans la
Monsieur, déception et l'amertume. Pourtant, la dernière page s'éclaire d'un espoir nouveau, à travers la présence d'un enfant, ce qui fait dire à Ia servante :
Je termine à l'instant le dernier roman que vous avez publié, intitulé Adieu Ia Vie. le I'ai lu avec beaucoup d'intérêt, et il me faut reconnaître la « La vie, ['..] ça n'est iamais si bon ni si mauvais qubn croit. » Les romans peuvent parler de la perte des illusions pour mieux appréhender la
qualité de votre style. Cependant, 1'e suis sorti totalement déprimé par la lecture de ce récit, qui impose une vision très pessimiste de la vie et du réalité et l'améliorer. Pensez-vous que, pour ma part, je n'ai pas d'idéal ? Croyez-vous que mon approche de Ia réalité reflète un dégoût de la vie ?
monde. |e ne partage pas du tout votre approche de la flction. l'attends de mes lecteurs autre chose qu'une simple réception passive de mes récits. certes, comme vous Ie sous-entendez, ie n'arrache pas mes
Pour moi, un roman est destiné à des lecteurs ordinaires, à la vie banale et sans relief. J'attends d'une flction littéraire qu'elle me fasse oublier, lecteurs à leur quotidien en leur proposant un univers parfois banal et réaliste. Cependant, j'ose croire que certains peuvent trouver du plaisir à
le temps d'une histoire palpitante, la morosité de mon quotidien. Or, à travers votre histoire sombre, vous nous renvoyez violemment à notre la lecture de mes æuvres ; non pas ce plaisir que vous décrivez, celui, un peu enfantin, d'avoir un désir immédiatement satisfait, mais le plaisir,
propre univers. Vos personnages nous ressemblent trop, avec leurs faiblesses et leurs vices. Ils sont « humains, trop humains ». Ne croyez-vous plus intellectuel celui-là, d'avoir l'impression de détenir des clés pour déchiffrer le monde. Ce genre de satisfaction dure bien au-delà de la lecture :
pas, pourtant, que l'écriture romanesque doit plonger le lecteur dans un univers où dominent la rêverie et une certaine forme d'idéal ? Songez mes romans sont là pour déranger, changer, bousculer le lecteur; celui qui se laisse prendre au,eu de Ia réflexion sur le monde, et qui n'évalue
donc à ces magniflques aventures racontées par Dumas, comme Ie Comte de Monte-Cristo. Le héros arrive par exemple à se sortir de situations pas un roman en fonction de sa capacité à susciter des émotions artificielles, comprendra sans doute que
ie suis un incorrigible optimiste. En
incroyables, à l'image du chapitre où il s'évade dans un cercueil, que deux gardiens vont précipiter dans lbcéan. Le lecteur ne songe plus aux tracas effet, ie vous fais conflance pour penser qu'il est urgent de bâtir un monde différent de celui que mes romans dépeignent.
qui encombrent son existence : il s'est identifié au héros, et iI sait que ce héros sortira vainqueur des épreuves qu'iI doit affronter. Pensez également
aux romans des chevaliers de la Table ronde, au cycle arthurien : bien sûr, il y a des morts, des traîtres, mais des personnages comme Lancelot du Je vous salue bien cordialement,
Lac, par leur haute valeur, tant guerrière que morale, s'affirment comme des exemples à suivre. Imposer un dénouement triste, mettre en scène Émilien Aloz
des personnages banals, c'est donner à vos lecteurs l'impression qu'it n'y a pas de possibilité d'un monde meilleur, que la création flctionnelle n'est
là que pour accentuer notre désespérance. Le roman doit-il être le miroir de notre monde ? fe suis certain du contraire : s'il peut être intéressant
de prendre appui sur la réalité socio-historique, le romancier se doit de transposer le réel pour Ie magnifier, de proposer un univers auquel nous
avons envie d'appartenir. Vous êtes écrivain, mais vous êtes sans doute vous^même un lecteur ; pensez-vous que lbn puisse lire si le plaisir est Ce qu'il ne faut pas faire
absent ? La vision du monde que vous nous soumettez renvoie à une réalité trop dure, trop noire, et transforme la lecture non en plaisir, mais en Présenter successivement deux exposés abstraits opposant opti-
douleur d'assister au spectacle d'une réalité toujours décevante, comme d.ans lllusions perdues, deBalzac. mismê et pessimisme, sans faire référence à des æuvres.
Dissertations
Monsieur 1'écrivain, méditez ces humbles remontrances avant la rédaction de votre prochain ouvrage : ie ne vous demande pas de faire des romans
-En conclusion du roman de Guy de Maupassant, Une vie, Rosalie
à l'eau de rose ; on peut faire de Ia bonne littérature avec de bons sentiments. Ie vous demande de porter un regard différent sur le monde. Les
déclare : « La vie, voyez-vous, ca n'est iamais si bon ou si mauvais
hommes nbnt pas besoin de vous pour être désespérés... qu'on croit ». Pensez-vous qu'un roman doit ouvrir les yeux du
lecteur sur la vie ou bien au contraire permettre d'échapper à la
Bien respectueusement, réalité ? (Sujet national, 2oo8, séries technologiques)
Guy des Gares - Le roman est-il « une feinte pour tenter d'échapper à l'intolé-
rable », comme l'affirme Romain Gary ? (Amérique du Sud, zoo9,
séries S et ES)

REPÈ RE5 CITATION§


Quelques romanciers nette- Crisfo, Édmond Dantès, innocent vertus de l'amitié. Ses thèmes Une vie, r883,), prostituées reietées . « Perrichon - Madame, je vou- (André Gide, Cahiers dAndré WaI- . « Le livre est l'ami de la solitude. Il (Louis Aragon, J'abats mon jeu,
ment catactérisés par la tona- condamné sur Ia dénonciation favoris - la Normandie rurale, le (Boule de suif, t88o).. drais un livre pour ma femme et ter, t89t.) nourrit l'individualisme libérateur. 1959.)
lité optimiste ou pessimîste de calomnieuse d'un jaloux, se re- monde des employés de bureau ma fille... un livre qui ne parle ni Dans la lecture solitaire, l'homme
leurs æuvres. trouve enterré vivant au château parisiens, les maisons closes - de galanterie, ni d'argent, ni de po- . bien que la littéra-
« Dites-vous qui se cherche lui-même a quelque . « le ne dirai jamais de mal de la lit-
d'lf. Il renverse pourtant la situa-
Lui-meme pilote à lépoque litique, ni de mariage, ni de mort. »
sont traités avec un réalisme héroique de l'aviation civile,
ture est un des plus tristes che- chance de se rencontrer. » térature. Aimer lire est une passion,
DUMA§ pÊA§ (XIx" §ûCrE) tion, s'évade, devient immensé- (Eugène Labiche, Le Voyage de mins qui mènent à tout. » (Georges Duhamei, Défense des
excluant toute idéalisation. Les Saint-Exupéry célèbre dans ses un espoir de viwe davantage, autre-
Les héros des Trois Mousquetaires ment riche et traque ses ennemis monsieur Perrichon, t86o.\ (André Breton, Manifeste du sur-
(DArtagnan, Athos, Porthos et hommes y apparaissent le plus récits - Courrier Sud (t93o\, Vol
Lettres, t937.\ ment mais davantage que prévu. »
pour se venger. souvent sous leurs pires travers : réalisme, tg34.\ (Georges Perros, Papiers collés, tg6r.)
Aramis) sont des hommes d'ac- de nuit (t93t), Terre des hommes . « Un roman est comme un ar- . « Un roman n'est jamais qu'une
tion, jamais à court de ressources bêtise, égoïsme, cupidité, cruauté. (t939) - le courage et 1'abnégation chet, la caisse du violon qui rend . tiens que le romancier est l'his-
« ]e philosophie mise en images. » . « C'est vrai, avec les bons senti-
ni de témérité pour surmonter Le plus célèbre pessimiste de la Dans des récits (essentiellement de ces hommes qui risquaient des sons, c'est l'âme du lecteur. » torien du présent, alors que l'histo- (Albert Camus, Le Mythe de ments on ne fait pas de la bonne
les obstacles : leçon d'optimisme littérature française ! Athée, il ré- des nouvelles) qui flnissent rare- leur vie pour transporter le cour- (Stendhal, ÿre de Henry Brulard, t8go.\ rien est le romancier du passé. » Sisyphe, 194z.l littérature. On en fait de l'excel-
malgré l'échec de leurs « aven- cuse toute providence ou trans- ment « bien », les femmes sont rier. Un humanisme que l'on re- (Georges Duhamel, La Nuit de la iente : Balzac et Shakespeare. »
tures » amoureuses. cendance, il ne croit ni aux pro- presque touiours leurs victimes : trouve dans son célèbre conte Ie . « ]'appelle un livre manqué celui Saint-lean, 1935.) . « L'art du roman est de savoir (lacques de Bourbon Busset, Ies
. Le héros du Comte de Monte- flts du « progrès » ni même aux épouses bafouées (|eanne dans Petit Prince (t943\. qui laisse intact le lecteur. » mentir. » Arbres et les jours, t967.)

roman, du xvu" sièr persor


Le
L'ARrrcLE DUlllûonû,re L'ARTICLE DU T]I[@irUûC

ton ange gardien Rudy, quel est son nom et quel est son rang dans comme un gros vautour « aux ailes repliées sous sa chemise ».
rvrarre r\ uLdye, vlDraIILe §olrLuqe la hiérarchie angélique ?» C'est quand ils parviennent enfin à voir Mais ce qui rassemble vraiment ces textes, ce qui leur donne
(en eux-mêmes et autour d'eux), quand le « masque de Ia cruauté » force et cohérence, c'est évidemment l'écriture de Marie Ndiaye.
Avec « Trois femmes puissantes », la romancière signe un roman saisissant sur le mal est enfin arraché, que les individus sont, en quelque sorte, sauvés. A la fois introspective et précise (l'utilisation des adjectifs et des
Pris dans ce rythme de flux et de reflux, les personnages finissent adverbes est étonnante de justesse), tour à tour éruptive et conte-
et la conscience de soi.
par appartenir à une même famille. Par un jeu de construction nue, cette langue ouvre sur le monde mystérieux des pensées les
Même très entouré, le critique est (ou devrait être) un marcheur les gagner, puis comment ils peuvent reprendre possession de très savant, l'auteur a fait de ces histoires iuxtaposées trois pièces plus secrètes - là où nichent, tels de grands oiseaux inquiétants,
solitaire. Un voyageur tenu de se fier à son propre jugement, à Ieur propre vie. d'un même ensemble, comme les volets d'un triptyque. Bien que le surnaturel et la magie qui naissent à l'intérieur de l'homme et
son expérience et, pour non objectif que cela puisse paraître, à D'une histoire à l'autre, le livre est traversé par deux courants sans lien apparent, ces femmes sont rattachées par des signes non pas en dehors de lui.
la boussole de son goût, marqueur du nord absolu. On imagine, souterrains, l'un descendant, l'autre ascendant. Le premier marque discrets, qui les font, en quelque sorte, moins seules. D'abord Ia En explorant cette part d'outre-monde que portent ses person-
dès lors, Ie léger vertige que peut déclencher en lui l'expédition I'invasion du mal, qui prend des formes très variées, bien qu'il récurrence de certains noms (Dara Salam, Ia prison de Rebeuss, le nages, en la faisant affleurer, Marie NDiaye la donne en partage.
collective, rituelle et largement médiatisée vers le maquis griffu s'incarne presque toujours dans des hommes (des mâles s'entend) prénom Fanta) et puis Ia présence insistante des oiseaux : Ia buse Et d'une certaine façon, par Ia grâce de sa littérature, parvient à
de la rentrée littéraire - avalanche de livres, brouhaha plus ou et emprunte la plupart du temps le chemin du mensonge. qui, s'élevant au-dessus de Rudy, « lui écorchalefront au passage », entamer un peu Ia solitude des êtres - du bout de I'aile.
moins orchestré, attentes fiévreuses, magnétisme contradictoire Pour Norah, l'avocate qui retourne au Sénégal après des années les corbeaux « noir et blanc volant bas » devant Khady et même
des ieux de pouvoir. Et son contentement (presque de l'euphorie) d'absence, c'est Ia personne du père et sa fausseté, son égoisme, I'ange gardien ou Ie père de Norah, perché dans un flamboyant, Raphaëlle Rérolle, Le Monde daté du z8.o8.zoo9
quand il découvre un livre tel que celui de Marie NDiaye : évident. son double crime caché. Pour Fanta, la femme de Rudy Descas,
Clairement, puissamment, élégamment évident. c'est le mensonge encore : celui de son mari qui, ayant « depuis
Il faut dire, et cela rend modeste, que l'effet de surprise est assez longtemps perdu tout honneur »,lui a caché les véritables motifs
faible. Depuis ses débuts précoces (elle a publié son premier livre à de leur départ du Sénégal et les conditions dans lesquelles ils
I'âge de 17 ans), Marie NDiaye a très souvent suscité I'admiration. La rentreraient en France. Pour Khady enfin, la jeune femme rejetée
beauté de sa langue, l'étrange force de son inspiration, sa maîtrise
du récit lbnt même imposée comme l'une des flgures importantes
par sa belle-famille, c'est la cupidité, la violence et l'humiliation,
mais aussi les trahisons auxquelles sont soumis ceux qui tentent
Michel Houellebecq
de la littérature française. A 4z ans, cette femme est donc, de
façon certaine, un écrivain. Sa voix s'élève, parfaitement nette,
de passer les frontières sans papiers.
Même pas mort !
singulière, au-dessus de tous les bavardages. Et Iaisse derrière elle
un écho vibrant, comme le montre fort bien son dernier roman, C'est au point le plus bas du malheur que s'amorce le deuxième
Troisfemmes puissantes,véritable concentré de toutes les qualités mouvement : l'émergence d'une conscience, au milieu des Houellebecq est mort. Assassiné. Tout s'est passé dans une maison électrise périodiquement la scène plutôt morne du débat d'idées,
dont elle avait fait preuve iusque-là. décombres. Comme souvent, les personnages de Marie NDiaye du Loiret, où l'écrivain vivait retiré, après avoir longtemps séiourné dans l'Hexagone.
Ces qualités ne se rattachent pas à un courant, une école, une gé- sont pris dans des phases de doute qui les conduisent au bord de en lrlande. L homme a été sauvagement déchiqueté, en compagnie Comment ? Par une stratégie romanesque deneutralité qui conflne
nération. Comme la plupart des véritables écrivains, Marie NDiaye l'égarement. Où passent les frontières entre le bien et le mal ? Qui de son chien. Leurs corps ont été découpés en lanières et mélangés à la violence. Un ton glacé, une froideur de jugement déroutante,
est seule. A peu près aussi seule que les femmes de son titre et, par est bon, qui est mauvais ? Qui est faux, qui est vrai ? Et surtout, de telle manière qu'il est devenu impossible de les distinguer. un manque d'affect que ne lui pardonnent pas ses adversaires. Sans
extension, que I'ensemble de ses personnages - ceux de son pre- comment discerner Ie démon qui se cache peut-être derrière le Interrogés, ses proches se sont montrés peu loquaces. Il « avait paraître s'en émouvoir, mais avec une intense vitalité, Houellebecq
mier roman Quqnt au riche avenir (Minuit, rg8S), de sa pièce Papa visage le plus angélique ? beaucoup d'ennemis », disent-ils seulement, et « on s'était montré pointe les dérives et les monstruosités de la modernité, faisant
doit manger,qui figure au répertoire de Ia Comédie-Française, ou Lasilhouette de l'ange, installée de façon plus ou moins grotesque avec lui injustement agressif, cruel ». surgir une grande étrangeté sous le quotidien trivial de la société
de Rosie Carpe (Minuit), Ie roman qui a reçu Ie prix Femina en zoor. dans la vie de Rudy Descas, est en fait une flgure tutélaire: « Qui est Fascinante mise en abyme : ces scènes, extraites de La Carte et le de consommation.
Cette solitude est même absolument centrale dans Troisfemmes Territoire, à paraÎtre ces jours-ci, mettent en évidence le paradoxe Derrière son masque, M. Tout-le-Monde est un « alien », et Michel
puissantes. C'est elle qui fonde le destin des êtres et, presque, leur du « cas » Houellebecq. Pour ce qu'on en connaît, voilà un homme Houellebecq un écrivain puissant, quoi qu'on en dise : loin des mille
humanité. Elle qui ravage et met en miettes, elle qui suscite Ia qui cultive un environnement personnel d'une extrême banalité (en livres bien polis qui, chaque année, ne font finalement ni chaud ni
douleur et l'incompréhension, mais elle aussi qui permet de se Après Ie prix Femina pour Rosie Carpe (zoor),la romancière Irlande, notamment). Un intellectuel qui se tient à l'écart de toutes les froid, les siens dérangent, révulsent ou ébranlent - ils agissent. Et
construire : à partir du balcon que leur solitude avance au-dessus francaise Marie Ndiaye obtint en 2oo9 le prix Goncourt pour son formes de glamour, de la bohème chic et des discours qui vont avec. s'ils provoquent, chaque fois, une réaction chimique sur l'esprit du
du vide, les humains peuvent prendre conscience d'eux-mêmes romanTroisfemmes puissantes, paru la même année. Quelques Un romancier qui traque les symptômes de la modernité à travers Iecteur, c'est parce que leurs questions sont, au fond, touiours les
et de leur existence. mois à peine avant cette distinction, Raphaëlle Rérolle avait les lieux, les objets, les pratiques et Ies pensées les plus ordinaires, nôtres - même et surtout quand elles soulèvent le cæur. Houellebecq
Ce qui ne signifie pas être heureux, du moins pas au sens doux proposé cette critique dans Ie Monde des livres. Composée de trois les moins dignes (en apparence) de susciter I'intérêt. n'est pas humaniste ? Il est humain. Et bien vivant.
et confortable du terme. On peut même dire que les personnages récits qui ne possèdent au premier abord que des liens extrême- Etvoilà pourtant l'écrivain qui attire, sur sa personne comme sur ses Lhomme Houellebecq est vivant, donc, mais son personnage meurt,
de ce livre nbnt du bonheur qu'une idée plutôt vague, voire pas ment ténus, l'æuvre de Marie NDiaye mérite pourtant le titre de textes, la plus violente explosion de critique et de haine dont la vie comme meurent un certain nombre des « personnalités » française
d'idée du tout. EIIes sont trois femmes, toutes trois originaires du roman si l'on accepte d'y voir avec la journaliste « trois pièces d'un littéraire française soit capable. L'homme aux procès retentissants, mises en scène dans le livre. Rien d'étonnant, puisqu'il s'agit, pour
Sénégal (c'est le pays du père de Marie NDiaye), au moins par l'un même ensemble, comme les volets d'un triptyque ». Troisfemmes celui que les jurés Goncourt n'ont touché que du bout des doigts, partie au moins, d'un roman d'anticipation, censé se conclure dans
de leurs parents. Deux sont vues de face et la troisième de profil puissantes rapporte en effet les destins divers, mais pareillement de peur de se salir les mains. Celui dont les changements d'éditeur un futur proche (une grosse vingtaine,d'années). Le personnage
ou carrément de dos, à travers le regard de son mari, Rudy Descas. marqués par la lutte contre l'influence pernicieuse du mal, de font parier presque autant que ceux d'un joueur du Real Madrid, principal, pourtant, n'est pas l'écrivain promis au carnage, mais un
A sa manière, chacune pose la question de la perversité, du mal et femmes solitaires et farouches. Le candidat au baccalauréat dont chaque livre est guetté comme I'arrivée d'un cyclone et dont ;'eune peintre, Jed Martin, qui pourrait être une sorte de double de
de Ia liberté. Autrement dit, de la manière dont les êtres peuvent trouvera ainsi dans cet article de quoi éclairer sa lecture de ces Ies rares apparitions sont passées aux rayons X, en France comme Houellebecq. Une silhouette très « houellebecquienne », en tout cas :
laisser le malaise des autres s'infiltrer en eux, la « corruption » vibrants portraits de personnages vigoureusement dessinés. ailleurs. Lécrivain qui, suscitant l'enthousiasme ou le dégoût, comme d'autres personnages croisés dans de précédents romans, fed

Le personnage de roman, du xvu" siècle à nos jours 2§


n'est pas empathique, pas solidaire. Il ne se reconnaît guère dans la
communauté des hommes, ou plutôt, il n'appartient pas - ni à lui-
même ni aux autres. Il se contente de traverser le monde à sa façon Michel Houellebecq est le plus « médiatique» des romanciers
désenchantée, absolument « neutre », pour ne pas dire dépressive. contemporains. Les thèmes de ses romans le mettent au centre
« Le regard qu'il porte sur Ia société de son temps, écrit I'auteur, est de polémiques virulentes : ravages du libéralisme, tourisme
sexuel, clonage de l'être humain, islamisation de la société
celui d'un ethnologue bien plus que d'un commentateur politique. »
(Soumission, paru en zor5, évoque dans un futur proche une
Promis à la célébrité grâce à une exposition dont un certain Michel France dirigée par un parti musulman).
Houellebecq rédigera le catalogue, |ed approchera Ies passions Cet article date de zoto, année de l'attribution du prix Goncourt à
La Carte et Ie Territoire, son cinquième roman. Raphaëlle Rérolle
creuses de la gloire, avant de s'en détourner tout à fait.
met ici en évidence une caractéristique essentielle de I'écriture de
C'est à partir du décalage entre son absence d'émotion et les mirages Michel Houellebecq : sa « stratégie de neutralité », qui lui permet de
produits par Ia célébrité que Michet Houellebecq (le vrai) construit faire ressortir l'étrangeté de notre société marquée par la consom-
un récit d'une force, d'un humour et d'une inventivité évidents. Tout mation. Le traitement des personnages est un élément déterminant
de cette strâtégie. Dans Ia Carte et le Territoire, un certain Michel
est mis à plat, méticuleusement déplié, froidement regardé : tel un Houellebecq, écrivain, fait partie des personnages : la narration
encyclopédiste, |ed a entrepris de « fixer sur la toile » des objets, puis à la troisième personne permet ainsi à Houellebecq - l'auteur -
des métiers, puis des hommes en voie de disparition. Son ambition de raconter son propre assassinat ! Le personnage principal, un
ieune peintre asocial, porte sur la société un regard d'ethnologue.
n'est pas d'attraper Ie détail ou de s'attarder sur le pittoresque, mais
Ce |ed Martin s'inscrit dans la lignée des antihéros présents
de chercher la structure. Considérant Ie portrait que Jed a fait de lui, dans les précédents romans de l'auteur (Extension du domaine

LE TEXTE TUÉÂTRAL ET SA REPRÉSENTATION,


le personnage Houellebecq commence par déclarer qu'il le verrait de la lutte, tgg4, Les Particules élémentaires, t998, Plateforme,
zoor, La Possibilité d'une île, zoo').
bien au-dessus de sa cheminée, puis, quelques verres de chablis
plus tard : « Pourtant, j'aime bien vos derniers tableaux, même s'ils
représentent des êtres humains. lls ont quelque chose... de général, ie
Claire Chazal, Patrick Le Lay, Iulien Lepers), mais chacun d'entre eux
DU XVII. SIÈCLE À ruOS JOURS
dirais, qui va au-delà de l'anecdote. »
n'est qu'un type, pas une personne réelle. Certaines scènes, comme
« La carte est plus importante que le territoire », observe flnalement
la soirée de nouvel an chez Jean-Pierre Pernaut, donnent d'ailleurs
l'auteur, en référence au travail de Jed sur des cartes Michelin. Des
Iieu à de véritables farces, plus proches de la pochade que d'une
cartes de France, bien sûr, puisque c'est de cela qu'il s'agit : la France,
quelconque fresque naturaliste.
dans sa géographie spatiale et sociale, celle dont Michel Houellebecq
L'ensemble renvoie l'image d'une société décadente, pour ne pas
(le vrai) parle avec acuité, de livre en livre. Ce pays et, au-delà, cette
dire à bout de souffle. Un monde à ce point dépourvu de colonne
modernité frénétique, polarisée autour de ses grandes surfaces et de
vertébrale peut-il survivre ? Considérant les cadavres de l'écrivain
ses «people» plus ou moins glorieux, tournant comme un derviche
et du chien, un policier, le commissaire |asselin, se souvient d'une
autour de son centre vide. De ce territoire, l'écrivain brosse un
phrase apprise dans un monastère sri-lankais où il a pratiqué la
portrait précis (descriptions de lieux, de comportements, de pensées
« méditation sur le cadavre » : « Ceci est mon destin, le destin de
stéréotypées, de tics de langage ou simplement de Ia notice d'un
I'humanité entière, je ne peux y échapper. » Cette non-pérennité de
appareil photo, riche d'enseignements sur les normes familiales en
toute chose revient à plusieurs reprises, dans le livre. II ne s'agit pas
vigueur), cruel, réaliste à sa façon.
seulement de la mort, sujet de prédilection de nombreux écrivains,
Peut-on dire pour autant qu'il est un auteur réaliste ? Sans doute pas.
mais du fait que l'éternité n'existe pas. « L'individualité n'est guère
toiles du peintre américain Edward Hopper qui
En le lisant, ce sont les
qu' unefiction brève », observe Jed.
viennent à l'esprit : précises, elles aussl, mais muettes et porteuses
Tout indifférent soit-il à l'ensemble du vivant, fed est confronté, par
d'une énigmatique neutralité. Hopper qui, comme Houellebecq dans
son art, à la question de Ia pérennité : comment représenter le monde
ce livre, était captivé par les maisons (il est beaucoup question de
et pourquoi ? pour quelle durée ?
logements, dans Ia Carte et le Territoire). Considéré comme « le »
Faut-il seulement le représenter ? Du seul fait qu'il existe, le livre
peintre de l'« American way of life », Hopper avait mis les outils du
répond par l'affirmative. Houellebecq, Iui, s'afflrme comme un
réalisme au service, non pas de la réalité proprement dite (ce qu'il
moraliste et pas seulement comme I'entomologiste qui se promène
flnissait par peindre n'était iamais ce qu'il avait eu sous les yeux),
au milieu de ses semblables, la loupe à la main. Mais un moraliste
mais d'un état d'esprit - d'une idée de la réalité. un peu nostalgique, alternativement féroce et presque attendri, qui
flxerait soigneusement « sur sa toile » les dernières images d'un
monde voué à I'extinction - comme une sorte d'inventaire loufoque
Les éléments de réalité dont Houellebecq se sert pour alimenter son et méticuleux, avant liquidation.
livre sont le plus souvent des artefacts. Bien sûr, il parsème son his-
toire de noms « vrais », qu'il s'agisse d'écrivains (Frédéric Beigbeder,
Philippe Sollers) ou de gens de télévision (Jean-Pierre Pernaut, Raphaëlle Rérolle, Le Monde des livres daté du o3.o9.2o1o
L'ESSENTIEL DU COURS L.ESSENTIEL DU COURS

L évolution des formes th éàtrales Deux noms, en dehors des « philosophes », s'imposent dans ce Un théâtre de la « subversion » apparaît simultanément : Alfred farry,

xvrrr" siècle : Marivaux et Beaumarchais. Chez Marivaux, les per- avec tJbu roi, t9g6, présente une pièce faite pour choquer. Dans une

sonnages ne sont plus des types comiques ou des héros tragiques, certaine proximité avec le mouvement Dada ou le surréalisme, ce
mais des individus aux prises avec un questionnement sur leur théâtre reiette toute psychologie des personnages pour préférer une
identité. Ainsi, dans plusieurs comédies (par exemple La Double représentation brute, presque abstraite, de l'homme.
Le terme « théâtre » vient du grec theatron et signifie « le lieu où I'on regarde ». Le inconstance),les personnages cachent leur identité à Ieur promis(e), D'autres auteurs, comme Eugène lonesco, Samuel Beckett, Margue-

théâtre est ainsi, avant tout, un espace de spectacle. Né dans lAntiquité grecque, il en prenant Ie costume de son valet (ou de sa suivante). Chacun veut rite Duras, mettent en question dans leurs æuvres le personnage
en effet connaître son promis de façon masquée, mais c'est aussi théâtral,le genre des pièces, et le langage même. Des cris, des répliques
est devenu un genre littéraire (le texte des pièces) qui s'est épanoui de manière diver-
lui-même qu'il découvre dans ce jeu de masques. Beaumarchais, apparemment dénuées de sens se succèdent pour donner une image
sifiée selon les époques. A son origine, le théâtre est lié au sacré (culte de Dionysos fois drôle et effrayante de l'humanité.
avec Ie Barbier de Séville ouLe Mariage de Figaro, donne au per- à Ia
à Athènes, de Bacchus à Rome), caractère que I'on retrouve dans les mystères, qui La première moitié du xx" siècle marque aussi le retour du tragique
sonnage du valet une importance cruciale. Davantage que chez
:

reprennent, au Moyen Âg.,des épisodes bibliques ou des vies de saints, ei qui seront Molière (Scapin, Sganarelle...), il est, chez Beaumarchais, porteur de fean Cocteau, fean Anouilh, |ean Giraudoux reprennent, tout en les
condamnés par I'Eglise au milieu du xvr" siècle. revendications de iustice et d'égalité sociale : nous sommes dans modernisant, des mythes antiques comme celui d'Gdipe, dAntigone
un théâtre « pré-révolutionnaire ». ou d'Électre. IIs montrent ainsi, d'une part, la permanence des inter-
rogations humaines et, d'autre part, le sens nouveau que l'on peut
Si latragédie est le genre « noble » par excellence, Molière défendra
donner à ces mythes dans le contexte d'affrontement idéologique de
Le xvrr" siècle voit s'amorcer plusieurs nouveautés. Le métier de comé- avec beaucoup d'ardeur la comédie, et en exploitera toutes les res-
Au xrxu siècle, les règles du xvrr" siècle (les trois unités, Ia bienséance) l'après-guerre. À cette période également, des auteurs à la fois philo-
dien, même s'il est méprisé par l'Église et une part de l'opinion, fascine sources : de la farce à la « grande comédie », c'est-à-dire des comédies
sont déflnitivement abandonnées. Les auteurs romantiques veulent sophes et dramaturges proposent un théâtre « engagé » : Sartre (Ies
de plus en plus. Les femmes peuvent, quant à elles, enfln monter sur en vers, offrant des personnages nuancés, autour de suiets importants
un théâtre capable de mettre en scène l'histoire et le pouvoir, dans Mains sales, r9+8) et Camus (Les lustes, tg49).
scène. Enfln, en 163o, le théâtre est reconnu comme un art officiel par (cf. Tartuffe, Le Misanthrope).

Richelieu. Quelques décennies plus tard, Louis XIV agira en mécène et La règle dite des « trois unités » impose que le suiet traité par une une dramaturgie ample et un style qui ne soit plus soumis aux
pièce ait lieu en z4 heures, dans un seul lieu, et soit uni par une bienséances. Victor Hugo parle des unités comme d'une « cage ».
de nombreuses pièces seront créées à la cour du roi. Toutefois, le clergé
cohérence forte (on ne raconte pas plusieurs « histoires » à Ia fois). Dans cette mouvance, on peut également citer Alfred de Vigny ou
est, en majorité, hostile au théâtre et considère que les comédiens
On doit également observer la règle de bienséance : pas de sang ni de Alexandre Dumas, auteur des premiers drames romantiques (Henri
doivent être excommuniés.
Dans ce siècle dominé par le classicisme, la distinction entre les genres scène choquante sur scène. lll et sa cour,tSzg). Ce nouveau type de pièces engendre de véritables
Les auteurs les plus célèbres de ce siècle sont Molière pour la comédie, combats entre leurs partisans et leurs détracteurs. L'un de ces combats
théâtraux est nette : la tragédie et la comédie ont des caractéristiques
Corneille et Racine pour la tragédie. est resté célèbre sous Ie nom de la « bataille d'Hernani », en r83o,
propres et l'auteur se doit de les respecter. Il existe cependant quelques
quand de violentes altercations secouent la première représentation
formes « mêlées » : Le Cid, de Corneille, est ainsi une tragi-comédie.
de la pièce d'Hugo.
Les Comédiens italiens. Monsieur Ubu, Le Cardinal Richelieu
Les « unités », reconnues au xvrre comme essentielles pour la vraisem- Antoine Watteau, dAlfred JarrY.
c.1720.
blance, apparaissent peu à peu comme des carcans et les auteurs
cherchent à s'en défaire. De plus, les philosophes des Lumières Au xx" siècle, le théâtre emprunte différentes voies, encore creusée et

f,b prennent violemment parti contre le clergé et son attitude autoritaire diversifiées par Ies auteurs d'aulourd'hui.
Certaines pièces poursuivent dans la veine de la comédie de mæurs,
DEUX ARTICTES DUMONDT'A CONSUTTIR
. Le chemin qui conduit à la mort p. 32-33
§ envers le théâtre. Les « esprits libres » estiment que Ie théâtre est non
(Colette Godard, Le Monde daté dtt zt.o4.r99o)
seulement un divertissement innocent, mais également un moyen déjà présente au xvuo siècle, et qui avait connu un regain de succès à
. Patrice Chéreau, un théâtre de la vie p. 33-35
pédagogique : Voltaire et Diderot soutiennent l'idée selon laquelle la fin du xrx" siècle, avec Georges Feydeau et Eugène Labiche (auteurs (Brigitte Salino, Ie Mon de daté du o9.ro.zor3)
la représentation des vices et des vertus peut « éclairer » les hommes. de vaudevilles).
Molière. Jean Racine Pierre Corneille.

zooM suR... zooM suR...


Le théâtre au xvrf siècle : LA TRAGEDIE tour des tréteaux du Pont-Neuf à son jeu inspiré de la commedia
comédie, tragédie . Personnages nobles. Paris. Des troupes ambulantes y dellhrte. Romantique s e t ré aliste s il écrit des drames
vénitienne,
et représentation. . Sujets : pouvoir, politique, donnent essentiellement des Dans la salle, on retrouve la sé-
du xr>( siècle, Hugo a exposé sa théorie du romantiques (Lorenzaccio), des Dans la même veine, Dumas fils
amour (sphère publique). pièces comiques, des farces et grégation sociale dans la sépa- drame romantique dans la pré- drames et des comédies, en prose, donne Ia
Dame aux camélias
. Forme stricte : cinq actes ; texte des saynètes. Certaines troupes ration entre le public populaire, face de Cromwell (t827) où il ré- mêlant des jeunes gens amou- rapports difficiles avec
(1852). Ses
. Personnages principalement
en vers. sont dites « résidentes » : c'est qui se tient debout au parterre, Le ro février 1829, il donne au cuse les règles du théâtre clas- reux et des personnages vieillis- son père inspirent la probléma-
bourgeois. . Registre et dénouement tra- le cas de celle de l'Hôtel de et les spectateurs aisés, bourgeois théàtre Henri III et sa cour, drame sique. Il revendique le droit de sants, grotesques et autoritaires.
tique familiale de nombreuses
. Suiets : famille, mariage,
giques. Bourgogne, qui joue des et aristocrates, qui occupent les en prose évoquant les machina- mêler grotesque au sublime ».
« le pièces : La Question dhrgent
vie sociale, argent, amour . Unité de lieu, de temps, d'action. te Fils naturel (t858)...
tragédies de Racine ou encore sièges des galeries et des loges. La tions de Catherine de Médicis et Hernani (r83o) et Ruy Blas (t838) (1857),
(sphère privée).
de celle du Marais, qui présente granàe révolution du lieu théâ- illustrent brillamment ce renou- Ses comédies de mæurs connaissent
. Forme assez libre : vers ou prose, tA REPRÉSENTATION osant toutes les ressources d'une
. Registre comique THÉÂTRALE des farces avant de créer certains tral survient avec la création de théâtralité totale : potion sopori- veau du genre. le succès. Il y dépeint ironique- Il propose son observation des
et fin heureuse.
Au xvrr" siècle, le théâtre répond chefs-d'ceuvre de Corneille
(Ie la scène « à l'italienne », inspirée fique, porte secrète... sans omettre ment les travers de la bourgeoisie mæurs dans la veine comique du
Unité de lieu, de temps, d'action.
à un véritable besoin social en Cid, Horace...). La troupe des Ita- des salles installées dans les palais les « mignons » du roi pour la Ii distingue en ce qu'il renonce
se du second Empire : Le Gendre de vaudeville : Le Voyage de Monsieur
attirant un public populaire liens, installée au Palais-Royal, princiers, tel que le théâtre Far- parodie. C'est le triomphe du Pre- assez vite à faire représenter ses Monsieur Poiner $854\, Les Lionnes Perrichon (t86o), Ia Cagnotte
dans les théâtres de foire et au- est réputée pour les audaces de nèse, inauguré, à Parme, en 1619. pièces. Après I'échec de La Nuit pauvres (t858)... (r86a).
mier drame romantique.

28 te texte théâtral et sa représentation, du xvn" siècle à nos jours Le texte théâtral et sa représentation, du xvtl" siècle à nos jours 2ÿ
UN SUJET PAS A PAS UN SU]ET PAS A PAS

b) ta libre expression des sentiments face à une mort âttendue provocateurs décrits dans une longue didascalie « Caligula se relève,
Commentaire de texte : Albert Camus, « Caligula » Relever la progression des sentiments : peur/ dégoût de sa lâcheté.
D'où son abandon à la mort libératrice : « |e vais retrouver ce grand
[...] lance son siège à toute volée en hurlant. » Meurtre de Caligula par
les coniurés = scène d'action violente, Ioin de la règle de bienséance du
vide oùr Ie cæur s'apaise. » périphrase = aveu de son athéisme, absence théâtre classique. Unanimité des coniurés souliSnée par les pluriels,
À I'histoire, Caligula, à l'histoire. d'un au-delà. Néant = apaisement espéré et anticipé dans la didascalie : les pronoms indéflnis « toutes », « tous » ; oir se distinguent « le vieux
Le miroir se brise et, dans le même moment, par toutes les issues, « Il semble plus calme. » patricien le frappe dans le fl6s » et Chéréa qui le frappe « en pleine
Caligula, empereur romain dé-
entrent les conjurés en armes. Caligula leurJait face avec t)n rire Jou. c) Face au miroir, le bilan négatif flgure », comme s'il voulait détruire un symbole.
ment et sanguinaire, esf assas-
Le vieux patricien lefrappe dans le dos, Chéréa en pleinefigure. Le rire Aveu de son erreur dans sa quête de l'impossible, dans son exigence b) La mort du héros de I'absurde : « un suicide supérieur »
siné en 41 après lésus-Christ par
d'absolu symbolisé par la lune. Mise en relief en tête de phrase du mot Rôle révélateur du miroir. Caligula brise son image en brisant le miroir.
une conjuration Jormée par les de Caligula se transforme en hoquets. Tousfrappent. Dans un dernier
« impossible » - ponctuation exclamative - emploi du passé comPosé Forme de suicide symbolique qui préflgure son abandon aux couPs
chefs de la noblesse et du sénat. hoquet, Caligula, riant et râlant hurle :
des conjurés. Courage et grandeur de Caligula : il « leur fait face, avec
Hélicon est son fidèle confident. Je suis encore vivant ! = quête appartenant au passé, vouée à l'échec. Gradation descendante
« limites du monde/ confins de moi-même) = rétrécissement de un rire fou ». Excite leur haine du tyrân fou et de I'absurde qu'il a
Cet extrait est le dénouement. Rideau.
1'espace, anéantissement de ses rêves. incarné : « Caligula, riant et râlant, hurle. »
(Albert Camus, Caligula,tg44,acte IV, scène 4.)
Analyse des raisons de son échec : quête insensée, contradiction c) Le testament de Caligula, en deux phrases riches de sens
Il tourne sur lutmême, hagard,
La première , n À l'histoire, Caligula, à l'histoire. » est un appel à la
va vers Ie miroir.
soulignée par l'antithèse compliqué/ simple. Goût de l'absolu ne
pouvant être satisfait par l'amour humain, imparfait, ni par l'amour postérité : désormais, Caligula appartient à I'histoire. La seconde : « )e
Caucwe(des bruits darmes)- 1...) Caligula, est un drame en quatre actes dAlbert Camus, publié en 1944 suis encore vivant ! » = cri paradoxal puisque Caligula meurt en même
C'est l'innocence qui prépare son d'un dieu. Questions purement rhétoriques, « Mais où étancher cette
Buste de Caligula et inspiré du destin du ieune empereur romain assassiné en 4r après temps sous Ies coups des coniurés (cri historique selon Suétone). Ce cri
triomphe. Que ne suis-ie à leur soif ? Quel cæur, quel dieu aurait pour moi la profondeur d'un lac ? »
Iésus-Christ. Mais l'auteur en fait un héros de I'absurde, aux côtés de Métaphore filée de la « soif » que ne peuvent étancher ni l'amour, ni prend surtout une dimension philosophique : par-delà sa mort, ce qu'il
place | |'ai peur. Quel dégoùt, après avoir méprisé les autres, de se
Sisyphe, de Meursault (L'Étranger) et de Jan, victime dtt Malentendu, la religion. Constat négatif, amer et résigné : « Rien dans ce monde, incarne, à savoir I'absurde, perdurera, s'incarnera sous d'autres visages.
sentir la même lâcheté dans l'âme. Mais cela ne fait rien. La peur non pour constituer ce qu'il a appelé « le cycle de l'absurde ». Par les hu-
plus ne dure pas. le vais retrouver ce grand vide où le cæur s'apaise. ni dans l'autre, qui soit à ma mesure. »
miliations infligées aux patriciens, les meurtres gratuits, il a réussi à d) La reconnaissance de l'échec inspire culpabilité et haine
Il recule un peu, revient vers le miroir. Il semble plus calme. Il recom- provoquer une révolte contre lui-même, contre l'absurde qu'il incarne.
mence à parler, mais d'une voix plus basse et plus concentrée. Reconnaissance explicite de son erreur dans l'exercice du pouvoir : Scène de dénouement très symbolique. Scène très théâtrale aussi,
Il n'a rien fait pour empêcher le complot qui se trame contre lui, parce « le n'ai pas pris la voie... ». Dernier sursaut : appel désespéré à son d'une grande intensité dramatique. Caligula = personnage maieur de
Tout a l'air si compliqué. Tout est si simple pourtant. Si j'avais eu la
qu'il a aussi pris conscience que « tuer n'est pas la solution ». Cette prise confldent Hélicon (deux occurrences exclamatives). Trois phrases l'æuvre de Camus qui fait écho à d'autres héros épris d'absolu : Hamlet
lune, si l'amour suffisait, tout serait changé. Mais où étancher cette
de conscience annonce et iustifie le dénouement : il ne lui reste plus qu'à négatives et l'adverbe « rien » = aveu d'échec total. Prise de conscience chez Shakespeare, dom |uan chez Molière. Enfin, en concluant à travers
soif ? Quel cæur, quel dieu aurait pour moi la profondeur d'un lac ?
(Shgenouillant et pleurant.) Rien dans ce monde, ni dans l'autre, qui iouer le dernier acte de cette tragédie qu'il a lui-même montée. Caligula, de sa culpabilité radicale et de celle d'Hélicon qui l'a soutenu dans son personnage qui n'a pas pris la voie qu'il fallait, Camus laisse en-
d'abord seul en scène devant son miroir, se lance dans un long mono- cette folie : « [...] nous serons coupables ». Comparaison soulignant tendre qu'il reste d'autres voies à essayer : celle de la révolte humaniste
soit à ma mesure. fe sais pourtant, et tu le sais aussi (il tend les mains
logue, qui occupe les deux tiers de la scène. Il y fait le bilan désespéré le poids de la faute et de la douleur qui l'accompagne. Généralisation et constructive contre l'absurde (cf celle du docteur Rieux et de Tarrou
vers Ie miroir en pleurantl, qu'il sufflrait que l'impossible soit. Limpos-
sible I Je l'ai cherché aux limites du monde, aux conflns de moi-même.
de son action, puis il s'offre aux coups des coniurés qui surgissent. On traduisant aussi l'écrasement de I'homme qui ne peut échapper à sa dans La Peste).
assiste à la mort de Caligula et de son fldèle confident, Hélicon. condition. Didascalies marquant sa capitulation et son désespoir :
J'ai tendu mes mains, (criant:) je tends mes mains et c'est toi que ie
Nous étudierons tout d'abord le face-à-face de Caligula avec lui-même, « s'agenouillant et pleurant », « il tend les mains vers Ie miroir en
rencontre, toujours toi en face de moi, et ie suis pourtoi plein de haine.
occasion pour lui de faire le bilan de son action, puis nous nous pleurant » avec des verbes qui soulignent son âccablement, son
fe n'ai pas pris la voie qu'il fallait, je n'aboutis à rien. Ma liberté n'est
pas la bonne. Hélicon ! Hélicon ! Rien ! Rien encore. Oh ! Cette nuit attacherons à l'étude de la dimension tragique et spectaculaire de la effondrement. Il ne reste plus à Caligula qu'à mourir, à se laisser tuer.
mort de Caligula, héros de l'absurde. II. Un dénouement tragique, spectaculaire et riche de sens Dissertations
est lourde ! Hélicon ne viendra pas : nous serons coupables à jamais ! Dans quelle mesure le costume de théâtre ioue-t-il un rôle impor-
a) Une scène d'action spectaculaire -
Cette nuit est lourde comme la douleur humaine. tant dans la représentation d'une pièce et contribue-t-il à l'élabora-
Des bruits d'armes et des chuchotements s'entendent en coulisse. Méditation interrompue par l'arrivée quasi simultanée des coniurés
tion de son sens pour le spectateur ? (Suiet national, 2oo4, S et ES)
(didascalies) et le retour précipité du confldent pour le protéger.
Hélicon (s urg is sant au Jond) L Le face-à-face de Caligula avec lui-même : le bilan de son action
« Garde-toi, Caïus ! Garde-toi ! » : impératif de mise en garde répétée et
- Dans quelle mesure le spectateur est-il partie prenante de la
Garde-toi, Caius ! Garde-toi I a) Caligula, seul face au miroir : situation symbolique et révélatrice représentation théâtrale ? (Sujet national, 2oo9, S et ES)
Une main invisible poignarde Hélicon. Caligula se relève, prend un siège
désespérée = fldélité d'Hélicon. Réaction surprenante de Caligula, - Dans quelle mesure peut-on affirmer, comme Eugène Ionesco,
Dégager la valeur symbolique de la situation en analysant les didascalies
bas dans la main et approche du miroir en soufflant. Il s'observe, simule
aucune surprise, aucun geste de défense. Mise en scène de soi, que le théâtre « reioignant une vérité universelle », « me renvoie
indiquant Ia gestuelle. Faux-monologue (= dialogue avec soi, alternance
(théâtre dans le théâtre), « il s'observe, simule », semble iouer. Gestes mon image » et qu'il est « miroir » ? (Polynésie,2oo9, séries S, ES)
un bond en avant et, devant le mouvement symétrique de son double des pronoms de première et de deuxième personne du singulier : « /e
dans la glace, lance son siège à toute volée en hurlant : sais pourtant, et tu le sais aussi. ») permettant un retour sur soi.

REPÈRES
REPÈ RES
Trois dramaturges I'art moderne et de l'art contem- Ce qu'il ne faut
porain. En ianvier zoo8, elle pas Iarre
té dont il découvrira pour finir d'un règne iuste et libéral, il de- infernale, créée en 1934: variation contemporains. Également auteur de romans et de
met en scène sa nouvelle pièce, Choisir cet exercice si vous
qu'elle n'est pas la bonne. Il ré- vient tyrannique et incarne la poétique inspirée de I'Gdipe roi récits, Yasmina Reza fait preuve
Le Dieu du carnage, au théâtre ne connaissez pas Ie thème
Créée en 1945, avec Gérard Philipe cuse l'amitié et l'amour, la simple figure d'un « empereur fou ». Il de Sophocle. d'un pessimisme voilé d'humour.
Né en t96o, il est à la fois drama- Antoine, à Paris. de la pièce ni sa place dans
dans le rôle titre, Caligula aeutne solidarité humaine, le bien et le ridiculise le Sénat et les consuls, . |ean Giraudoux, Ia guerre de Les personnages de ses pièces re-
l'æuvre de Camus !
première version, en 1921. Camus mal. Il prend au mot ceux qui l'en- fait assassiner ses proches. Une
turge, nouvelliste, romancier et flètent les défauts et le ridicule de
Troie n'aura pas lieu, 1935 : sur
présente l'argument : « Caligu- tourent, il les force à la logique, il coniuration le fait assassiner par réalisateur de cinéma. A.u théâtre, notre époque. Art $ggql a connu
l'impossibilité d'échapper à la
il a notamment créé La Nuit de
Jean-Michel Ribes, né en 1946, est
la, prince relativement aimable nivelle tout autour de lui par la des soldats de sa garde, en l'an 4r. un succès immédiat en France et acteur, dramaturge, metteur en
jusque là, s'aperçoit à la mort de force de son refus et par la rage de
guerre.
. Valognes (tggt), Variations énig- aux États-Unis. Lintrigue s'orga- scène de théâtre, réalisateur et
MOTS CLÉS
fean Anouilh, Euridyce, t94z :

Drusilla, sa sceur et sa maîtresse, destruction ou l'entraîne sa pas- matiques (t996) avec Alain Delon, nise autour d'un tableau blanc, scénariste au cinéma. Parmi ses
version modernisée du mythe
que "les hommes meurent et ils sion de vivre. » Monsieur lbrahim et les Jleurs du avec de flns liserés transversaux, créations : Théàtre sans animaux, « Il n'y a de théâtre vivant que si
Genre dominant du théâtre clas- d'Orphée eT d'Antigone, 1944, ins-
ne sont pas heureux". Dès lors, ob- Caligula, personnage historique, sique, la tragédie renaît au xx" pirée de Sophocle, elle devient Coran (1999), La Tectonique des que Serge vient d'acheter. Les en 2oo1, au Théâtre Tristan Ber- des auteurs y sont attachés. Ce
sédé par la quête de l'absolu, em- est connu notamment par La vie siècle avec la création de pièces l'allégorie de la Résistance. sentiments (zoo8). Kiki van Bee- avis de ses amis, Marc et Yvan, nard, Musée haut, musée bas, en sont les auteurs autant que les
poisonné de mépris et d'horreur, des douze Césars de l'historien qui renouvellent l'approche de . Henri de Montherlant, La Reine thoven (zoto\ est l'adaptation de sont partagés. Les trois amis vont 2oo4, au Théâtre du Rond-Point, troupes qui font les théâtres ».

il tente d'exercer, par le meurtre Suétone. Descendant dAuguste, son essai Quand je pense que Bee- s'entre-déchirer autour de ce ta- René l'énervé, opéra bouffe et tu- (|ean-Louis Barrault, Hommage à
grandes flgures des mythes et de morte, tg4z: évoque un épisode
et la perversion systématique successeur de Tibère, il devient l'histoire antiques. de la vie à la cour du Portugal au thoven est mort alors que tant de bleau blanc en invoquant des ar- multueux, en 2011, au Théâtre du Albert Camus, La Nouvelle revue
de toutes les valeurs, une liber- empereur en 3t. Après six mois . fean Cocteau, La Machine xrv'siècle. crétins vivent. guments qui tournent autour de Rond-Point. française, r96o.)

texte théâtral et sa représentation, du xvrr" siècle Le texte théâtral et sa représentation, du xvttu siècle à nos iours ]1
JO Le à nos iours
LES ARTTcLES DU Ï]r[on,ûe LES ARTICLES DU

Sans doute pourrait-on imaginer une vision moins coupante Démarche souple, jeunesse sans âge, Max Tidof, comédien de la
Le chemin qui « du texte de Koltès, texte formidablement dense et aérien, qui télévision qui fait ses débuts sur scène, est exactement le garçon
concentre l'essentiel d'une vie en mots simples, en phrases lumi- crédule et futé, indifférent à Ia vie comme à la mort, allant son
La dernière pièce de Bernard-Marie Koltès, « RobertoZucco », a été créée à Berlin à la neuses, en poésie pudique, en souffrance contenue, en rires un chemin sans tenir compte des obstacles. Il est presque pâle, et
Schaubühne, dans la mise en scène de Peter Stein. peu timides. Peter Stein balaie toute menace d'émotion équivoque. absolument présent : personnage d'un autre monde, contraire-
Avec une force inexorable, et bien entendu une intelligence, ment à « la gamine » Drie Lyssewski, blonde, charnue, magnifi-
une cohérence remarquables, il montre Ia marche d'un homme quement charnelle. Une enfant amoureuse, obsédée par son
Le t5 avril 1989, Bernard-Marie Koltès mourait. Exactement un an conséquence, de façon plus ou moins poussée, qui parfois tourne à
cerné de toute part, un tueur sans doute, un associal qui n'a pas amour. Ce n'est pas par inconscience qu'elle le trahit. Pour elle, Ie
après avait lieu à Berlin Ia troisième représentation de sa dernière Ia caricature quand il s'agit des filles et des voyous du Petit Chicago,
sa place dans ce monde qu'il ne comprend pas, et que cette sorte trahir serait ne pas Ie reconnaître et ses mots alors sont un can-
pièce, Roberto Zucco, en création mondiale à la Schaubühne, ou des gendarmes - qui portent un képi.
d'innocence place au- delà de l'amour et des lois. tique des cantiques. Roberto Zucco est une pièce faite d'amour.
version allemande de Simon Werle, mise en scène de Peter Stein. Ils arborent les signes de leurs stéréotypes, à I'exception de Ro-
Lhistoire suit celle d'un personnage réel, Roberto Succo, qui sans berto Zucco, et aussi de « la gamine », de son frère « le frangin »,
Colette Godard, Le Monde daté du 21.04.1'99c
motif apparent a tué père et mère, a été enfermé dans un asile du vieux monsieur, rencontré dans Ia nuit du métro et qui, de
psychiatrique, dont il s'est évadé. En fait, il avait Ie droit de sortir ce garçon dont le visage traqué s'affiche sur le mur, ne veut rien
et un iour n'est pas revenu. Il a fui, a tué plusieurs personnes dont d'autre qu'une voix sans identité. « Aidez-moi, dit-il, à I'heure ott

Patrice Chéreau, ull théâtre de Ia vie


un inspecteur de police. Recherché d'abord sous Ie nom dAndré, le bruit envahira ce lieu. Aidez-moi, accompagnez le vieil homme
il a finalement été reconnu par une jeune fille qui l'avait aimé. Il a perdu que je suis, jusqu'à la sortie ; et au-delà peut-être »... Les néons
été repris, a juré qu'il s'évaderait, est monté sur le toit de la prison, clignotent, s'allument, le vrombissement du métro s'enfle, deux
est tombé, a été soigné et s'est suicidé. phares roulent à toute vitesse vers le public jusqu'au moment où Le metteur en scène est mort lundi 7 octobre 2013 à Paris. ll avait 68 ans.
Bernard-Marie Koltès s'inspire de quelques-uns de ces épisodes, le noir se fait, ou les deux parois qui forment le rideau de scène
mais ne s'intéresse nullement au « cas Succo », ne cherche pas Ia glissent l'une vers I'autre et se referment.
vérité sur le personnage. Simplement un iour, dans le métro, il a Le spectacle imbrique et en même temps oppose naturalisme II court. Il porte une chemise blanche qui gonfle sous Ie vent, un comme son écriture, minuscule, qui couvrait de commentaires
vu afflché un avis de recherche, et a commencé de rêver. Il était et théâtralité. Le décor (de |ürgen Rose, ainsi que les costumes) jean et des lunettes noires. Ses pieds semblent à peine toucher Ie les textes, Ies partitions et les scénarios. Il y a quelques années, il
malade et le savait, il a écrit en état d'urgence, se doutant bien - gris comme les murs gris de l'ennui et des prisons, - s'étale sol, sa tête dessine un angledroit avec son corps. Elle regarde dans avait déposé toutes ses archives à l'lnstitut Mémoires de l'édition
que le temps était devenu précieux, et que la pièce devrait porter en largeur, se divise en trois parties alternativement découvertes une direction qu'on ne voit pas, sur cette petite photo en noir et contemporaine (IMEC), à Caen. Et cela lui ressemblait : il n'aimait
tout ce qu'il avait à dire. EIle est une sorte de chemin de croix en par le glissement des parois légèrement courbes. Côté cour, c'est la blanc oir Patrice Chéreau est tel qu'il a touiours été : dans un élan, pas regarder en arrière. Seul aujourd'hui comptait.
quinze stations, un chemin qui conduit à l'évasion suprême, à la maison de « la gamine » étriquée, écrasée. Côté jardin, c'est d'abord tendu vers un but, Ia nuque solide. Que faisait-il sur cet étrange Avec le désir des garçons, la passion du travail, l'obstination à forcer
mort enfin acceptée. la maison de la mère, puis le Petit Chicago, tout aussi écrasé. Entre sol sablonneux barré d'un rideau d'arbres ? Quel désir Ie poussait Ies événements pour ne pas vivre dans le rêve, mais créer, encore
Sur le toit de Ia prison, Roberto Zucco se carapatte. Il va chez sa les deux, un espace au contraire étiré, que lbn pourrait appeler à courir ainsi, droit devant ? Désir des acteurs, comme toujours et toujours. Et la création revenait touiours à un postulat simple,
mère, tendrement l'étrangle, change sa tenue de prisonnier pour espace d'évasion : toit de la prison, quai du métro et de la gare, dans sa vie. C'était en 1986, et il tournait Hôtel de France, un film en apparence : raconter une histoire, « parce que ça peut contenir
un treillis. iardin public. Mais il n'y a pas de ciel, mais Ie décor est encerclé adapté de PIafonov, de Tchekhov, qu'il avait mis en scène pour les le monde, Ça peut nous contenir, nous et les problèmes qu'on a à
On le retrouve chez « la gamine » qu'il a séduite, qui vit entre un par les murs toujours gris de la scène avec, au-dessus des portes élèves de l'école de Nanterre-Amandiers. Auiourd'hui, c'est cette affronter, et lafaçon dont on est au monde », comme il Ie dit dans
frère et une sæur, à côté de parents enlisés dans leur médiocrité. closes, la clarté verte, diffuse, du panneau Ausgang. image qui s'impose : Patrice Chéreau vivant. Les Visages et les Corps,le beau livre écrit au moment où Patrice
Elle s'évade elle aussi pour le chercher dans ie Petit Chicago. Il Le cancer, qui l'a emporté lundi 7 octobre, ne changera rien. Peu Chéreau a été le « grand invité » du Louvre, en 2o1o.
rencontre un vieil homme dans le métro, prend une femme d'hommes et d'artistes ont vécu aussi intensément et laissé un Par une étrange coincidence de Ia vie, ce fut au moment oir il
en otage et, toujours sans raison aucune, abat son enfant. Il s'en- héritage aussi impérieux : il y avait tous les metteurs en scène, préparait son exposition et ses deux mises en scène au Louvre,
fuit, est en quelque sorte dénoncé par I'amour de « la gamine ». Larticle proposé ici est une critique contemporainedeRoberto et Patrice Chéreau. Non qu'il fût touiours le meilleur mais il a dhutomne, de Jon Fosse, et La Nuit iuste avant les forêts, de
Rêve
Sur Ie toit de la prison, silhouette en contre-jour il s'accroche au Zucco,ladernière pièce de Bernard-Marie Koltès, dans la mise touiours été à côté, Ià où on ne l'attendait pas. (Euvrant sur tous Bernard-Marie Koltès, que Patrice Chéreau a appris qu'il était
cercle éblouissant d'un soleil qui tourne, « et devient aveuglant en scène de Peter Stein à Ia Schaubühne de Berlin. À travers Ies fronts - théâtre, opéra, cinéma -, il a révolutionné la vision du malade. Comme si une boucle se bouclait : le Louvre avait été
comme l'éclat d'une bombe atomique. On ne voit plus rien », écrit le parcours chaotique et violent du personnage inspiré par Ring, de Wagner, offert quelques très beaux fllms, dont L'Homme son terrain d'enfance, c'est là qu'il s'est formé à I'art, emmené
Koltès. Une voix crie « II tombe ! » C'est fini, Roberto Zucco, comme un criminel réel, cette critique invite à redécouvrir l'æuvre blessé,LaReine Margot,Ceux qui mhiment prendrontle train... et des par son père.
un oiseau noir s'est élancé. Le soleil n'est plus qu'un immense lyrique, pudique et lumineuse du dramaturge mort en r989. spectacles de théâtre inoubliables, dela DisputeàI amtheWind,en C'était au début des années 1950, sa famille vivait à l'angle de Ia
projecteur. » Le candidat au baccalauréat y trouvera en outre une analyse passant par D ans la solitude des champs de coton.Dans son bureau rue de Seine et de Ia rue des Beaux-Arts. Il n'y avait que le pont à
assez précise de cette mise en scène à la « rigueur tran- de son appartement du Marais, à Paris, il y avait plusieurs tables : traverser. Patrice Chéreau avait cinq ans, quand il est arrivé dans
chante » dans son choix des costumes, ses jeux de lumière chacune était consacrée à un projet et Patrice Chéreau en avait cet appartement, avec son frère aîné et aimé, et ses parents. IIs
Le lyrisme grandiose de cette scène contraste avec la rigueur et son décor structuré mais presque uniformément gris. touiours plusieurs en cours. Il passait de l'une à l'autre, commentait venaient de Lézigné (Maine-et-Loire), àu it est né, le z novembre
tranchante du spectacle. Peter Stein s'intéresse à Roberto Zucco, Lévocation des acteurs enfin, de leur jeu immatériel ou, au 1944. À cette époque, son père et sa mère dessinaient des tissus pour
d'une manière incisive, avec son regard vert tranchant'
mais sans compassion pour lui, le seul à porter un nom, les autres contraire, pleinement charnel, ouvre une porte stimulante les couturiers. Ils lui apprirent à dessiner, et ce fut essentiel, parce
Tout allait vite avec Patrice Chéreau. Il fallait Ie voir manger,
rôles sont désignés par ce qu'ils représentent : Ia dame élégante, sur les questions que pose la représentation théâtrale. apprendre à regarder », affirmait-il.
voracement. II avait un sourire cinglant et un phrasé rapide, que « apprendre à dessiner, c'est
l'inspecteur mélancolique, la pute affolée... et sont habillés en
)1
)')
LES ARTTcLES DU Ï]r[onû,t LES ARTICLES DU T]TIONûE

En r962, les Chéreau sont passés sur la rive droite, qu'ils nbnt plus 1966, L'Héritier de village, de Marivaux, qui créé l'événement au il devient mondialement connu. Il est saisissant, auiourd'hui, de
jamais quittée. Le père a repris la peinture, qu'il avait abandonnée Festival des jeunes compagnies de Nancy. constater qu'il avait 32 ans quand il a été appelé à Bayreuth.
pendant presque vingt ans, et la mère a continué ses travaux. Quel est ce ieune homme qui n'hésite pas à tordre Ie cou aux Après Ie Ring, personne ne peut rien lui refuser : il est au faîte de sa
Brigitte Salino retrace ici le parcours du metteur en scène et
Largent n'était pas toujours au rendez-vous mais les parents le textes et déploie un sens de l'image aussi sidérant ? Le mot de gloire, et il en profite quand Ia gauche, qu'il a toujours soutenue,
cinéaste Patrice Chéreau, décédé en octobre zor3. Elle évoque
cachaient délicatement aux enfants. Ils vécurent de la vente de surdoué vient aussitôt sur les lèvres, et la fameuse mise en scène arrive au pouvoir, en 1981. fack Lang, ministre de la culture, Iui
notamment la façon dont il a modernisé la mise en scène
trois tableaux de Rodin reçus en héritage : la grand-mère de la de liAffaire de la rue de Lourcine, de Labiche, confirme la même propose la direction d'un théâtre à Paris. Chéreau impose son
théâtrale par des choix esthétiques novateurs et un travail de
mère de Patrice Chéreau avait été un modèle du peintre. Le père n'a année que, oui, Patrice Chéreau et son théâtre violent, virulent et choix : Nanterre-Amandiers. Avec ses amis, Catherine Tasca, précision sur les décors, souvent fastueux. Héritier de Bertolt
jamais connu de véritable notoriété, quels que furent les efforts de somptueux, est sans pareil. Cela est si évident qu'il se voit confler, Alain Crombecque, Richard Peduzzi, il invente un proiet sans
Brecht comme dAntonin Artaud, Patrice Chéreau a su plonger
son fils, qui a tenu à reproduire son atelier dansCeux quimhiment toujours en 1966, la direction du Théâtre de Sartrouville. À zz ans. précédent : une sorte de Bauhaus où toutes les disciplines sont
les spectateurs dans une nouvelle dimension artistique et scé-
prendront train, vn f,lm largement autobiographique, comme
Ie Il entraîne avec lui fean-Pierre Vincent, et rencontre un jour un conviées, théâtre, musique, opéra, cinéma. Sans oublier I'école
nique, où le lyrisme et l'expressivité ont la part belle.
toute son æuvre d'ailleurs, puisée dans Ie cours des jours, des jeune homme qui frappe à la porte : Richard Peduzzi. À l'époque, des Amandiers, où se formeront Valeria Bruni Tedeschi, Vincent
rages et des sentiments. Perez, Laurent Grévill, Marianne Denicourt, Agnès )aoui... Patrice
Patrice Chéreau fait tout, mises en scène et décors. Désormais,
Et des rages, il y en eut beaucoup, chez Patrice Chéreau. À com- Richard Peduzzi sera, pour toujours, son décorateur. Plus même :
Chéreau revendique l'orgueil d'un proiet qui veut embrasser Ie théâtre. Entre-temps, il aura une nouvelle fois créé une æuvre
mencer par se trouver pire que laid, moche, à I'adolescence. Il ne monde et peut se le permettre. de Koltès : Retour au désert,joué non pas à Nanterre-Amandiers,
un frère dans le travail, incarnant des visions à vous damner
savait pas alors qu'il dégageait déjà une incandescence qui a frappé Le z3 février t983, Nanterre-Amandiers ouvre avec un coup d'éclat : mais au Théâtre du Rond-Point, à Paris. Avec facqueline Maillan et
l'âme. À Sartrouville, l'équipe milite pour que le théâtre sorte
tous ceux qui lbnt rencontré, dès ces années oir il était au Lycée la création de Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Michel Piccoli, frère et sæur ennemis dans Ia province française,
de la salle, aille dans les écoles, Ies usines. Sans lésiner sur les
Louis-le-Grand, et où tout a changé. Ou tout change, pour être Koltès. fusqu'alors, Patrice Chéreau a monté très peu d'auteurs au moment de la guerre dAlgérie.
moyens financiers qui, très vite, explosent. C'est Ia faillite, malgré
juste : car l'histoire de Patrice Chéreau s'écrit au présent, à partir contemporains. Il n'en cherchait pas, « parce que c'est comme en Si les créations des pièces de Koltès ont marqué les années
la réussite flamboyante des Soldafs de Lenz. Patrice Chéreau s'en
du moment où il découvre le théâtre, grâce à l'atelier du lycée. Il amour : quand on cherche, on ne trouve pas. Quand on arrête de Nanterre-Amandiers, elles ne les résument pas. Ce fut un temps
va. Il mettra quinze ans à rembourser les dettes, de sa poche. Et le
y passe son temps, s'essaye au jeu, mais très vite découvre que ce chercher... » une pièce peut vous arriver entre les mains, et vous à un phalanstère, ou flottait un
unique, où le théâtre ressemblait
voilà en Italie, ou Giorgio Strehler l'invite à rejoindre son Piccolo
qu'il aime, c'est organiser. Donc mettre en scène, diriger Ies autres. sidérer. Chéreau l'est totalement avec cette pièce de Koltès, dont parfum d'utopie : Jean Genet, dont Chéreau a mis en scène les
Teatro, à Milan.
II trouve alors sa place :« l'étaisfermé, dur, agressif. Le théatre mh il est impossible d'oublier Ia première scène. Vous êtes assis sur Paravents, est venu; Peter Stein a présenté les plus belles lrois
En avril 1970, sa première mise en scène, Splendeur et mort de
aidé à vivre », confiait-il. des gradins, face à un sable iaune et une bretelle d'autoroute sæurs, de Tchekhov, qu'on ait jamais vues ; Luc Bondy a fait ses
loaquin Murieta, de Pablo Neruda, lui vaut vingt-deux rappels
Dans l'atelier du lycée, il y a férôme Deschamps, facques Schmidt, interrompue net, et noyée dans les fumigènes. Une voiture arrive débuts fracassants en France avecTerre étrangère, de Schnitzler ;
d'une salle debout. Un an plus tard, il signe à Spolète, toujours
qui deviendra le costumier de Patrice Chéreau, et Iean-Pierre en crissant. Il en sort Ia musique de Caravan, de Duke Ellington. Alain Crombecque a fait entendre des musiques du Maghreb ;
en Italie, La Finta Serva (La Fausse suivante\, un Marivaux « scns
Vincent, qui pleure auiourd'hui un ami. Lépoque est intense. Il y a Puis la voix de Michel Piccoli, chef d'un chantier en Afrique où les Klaus Michael Grüber magnifiéLa Mort de Danton, de Büchner...
a
marivaudage, brutal et désespéré », écrit Colette Godard, dans
le théâtre, avec le TNP de Jean Vilar, à Chaillot, et Ia découverte, fon- Blancs écrasent les Noirs... Nanterre-Amandiers a été une école du regard, qui donnait envie
Le Monde. Puis c'est Lulu, de Wedekind, au Piccolo. Une autre
datrice, du Berliner Ensemble de Brecht, dans le cadre du Théâtre En 1983, Bernard-Marie Koltès a 35 ans. Avec Combat de nègre et de d'aimer le théâtre.
somptueuse critique sociale, un nouveau triomphe.
des Nations, à Paris, un festival qui fut aussi une université pour chiens, son nom est enfin associé à celui de Patrice Chéreau, qu'il Patrice Chéreau sut partir à temps. En 199o, il quitte les Amandiers.
C'est alors que le directeur du TNP de Villeurbanne, le metteur
toute sa génération. La troupe allemande, et ses fabuleux acteurs, veut absolument comme metteur en scène de ses pièces. Et Patrice Il lui faut respirer, se retrouver, prendre un nouvel élan. Il travaille
en scène Roger Planchon, un de ses maîtres, appelle Chéreau en
en particulier Helene Weigel, l'épouse de Brecht, marque tant Chéreau Ie veut absolument comme auteur. Ainsi se noue une his- d'un théâtre à l'autre, à l'Odéon pour Ie Temps et Ia Chambre, de
Chéreau qu'il fera souvent Ie voyage à Berlin, et qu'il apprendra
lui disant : « Tu ne crois pas que ce serait bien que tu reviennes poursuit, en 1986, avec la création
toire rare dans le théâtre. Elle se Botho Strauss, inaugurant les Ateliers Berthier avec Phèdre, de
en France ? » Lexpérience milanaise prend fin. Commence celle
l'allemand, à l'université. deQuaiOuesf. Un désastre. Lépoque s'est durcie, des illusions sont Racine, jouée par Dominique Blanc, et laissant, pour finir, ceRêve
Et puis, il y a Giorgio Strehler, qui vient à Paris avec L'Opéra de de Villeurbanne. Le premier spectacle, Massacre à Paris, de Jean
tombées, et le sida commence à faire des ravages. Cette collusion d'automne au Louvre, et I Am the Wind, au Théâtre de la Ville. Ces
quat'sous. Un autre choc esthétique. Et le cinéma, avec I'expres- Vauthier, d'après Marlowe, inspire à Bertrand Poirot-Delpech
de la vie et de Ia mort gagne le théâtre de Nanterre-Amandiers. deux créations lui ressemblent tant que leur souvenir contient
sionnisme allemand, et Ingmar Bergman. Patrice Chéreau dévore une critique assassine et une réponse tout aussi assassine du La drogue s'en mêle. Pour Quai Ouest, « tout le monde pète les toutes les autres : personne ne savait comme Patrice Chéreau
tout. En même temps, il se bat contre la guerre dAlgérie, qui lbuvre metteur en scène dans Ie Monde. Lépoque n'a pas peur du débat, plombs selon I'administrateur Philippe Coutant. Même le sage
», mettre en scène les visages et les corps, leur solitude intempestive
à l'engagement politique. Il est de toutes les manifestations, dont qui porte sur la conception du théâtre populaire, dans la France Richard Peduzzi, qui invente un décor de conteneurs portuaires et leur désir effréné de s'approcher, de se combattre ou de
celle de Charonne, Ie 8 février r9 62, avec son Bailly et son Gffiot, d'après-tg68. Et Chéreau n'a pas peur de défendre sa ligne, qui est dans lequel les comédiens se perdent. La presse n'est pas tendre. s'étreindre, dans la haine comme dans l'amour. À chaque fois, ces
ses dictionnaires de grec et de latin qui servent d'armes contre celle du renouvellement. Quitte à se faire traiter de dispendieux, Mais Chéreau ne lâche pas : il décide de monter une autre pièce visages et ces corps laissaient une part d'eux-mêmes, et vous,
qu'il vit alors, dans la rue, le marque
Ies forces de la police. Ce ce qu'il est : la beauté a un prix, et il se paye. de Koltès, Dans Ia solitude des champs de coton, en 1987, avec déchirée. Ainsi fut-il. Ainsi soit-il.
d'une manière indélébile, et explique pourquoi il sera beaucoup Ses années dans Ia banlieue lyonnaise marquent un tournant. Tout Laurent Malet et Isaac de Bankolé. En 1995, il reprendra la pièce,
moins actif, en r968 : l'enjeu lui semblera moins important que en faisant du théâtre, dont Ia mythique Dispute, de Marivaux, et la jouant avec Pascal Greggory. Ce sera un acmé du désir et du Brigitte Salino, Le Monde daté du o9.1o.2o13
l'indépendance d'une ancienne colonie française. un Peer Gynt, d'Ibsen, qui reste un de ses plus beaux spectacles, il
Ainsi, en trois ans, de 1959 à 1962, Patrice Chéreau trouve le signe son premier film,Ia Chair de I'orchidée,en974. Puis c'est la
socle sur lequel il va se construire. Deux ans plus tard, il signe sa Tétralogie de Wagner, à Bayreuth, en Allemagne, qui commence
première mise en scène, au lycée : L'Intervention, de Victor Hugo, sous les huées, en 1976, et s'achève, à sa dernière reprise, en 1980,
couplée avec les Scènes populaires dessinées àlaplume, par Henry par quatre-vingt-sept minutes d'applaudissements. Ce R ing fait en-
Monnier. Suivent, en 1965, Fuenteovejuna, de Lope de Vega et, en trer Patrice Chéreau dans la légende : de « superstar » européenne,

34 Le texte théâtral et sa représentation, du xvrf siècle à nos jours J§


L ESSENTIEL DU COURS L ESSENTIEL DU COURS

texte, mais aussi les lieux (décors), l'époque, les classes sociales des
ues personnages, etc. Il y a ainsi convergence entre la pièce telle qu'elle a
été écrite et la représentation.
Le théâtre est un genre littéraire, mais aussi un spectacle ; cette double dimension Cependant, le respect du texte et des conditions de création initiale
pose la question des rapports entre le texte et la mise en scène. n'empêchent pas que deux metteurs en scène donneront, pour la
même æuvre, un spectacle différent. En effet, Ies costumes, Ie ton ou
Ies déplacements des acteurs, Ie choix même des acteurs (connus ou
spéciflcité peut donner lieu à de ieux, si le spectateur en sait davantage inconnus, plus ou moins ieunes, de physiques différents, etc.) sont
qu'un personnage, comme dans le cas du quiproquo par exemple. autant d'éléments qui donneront au spectacle sa spéciflcité. Chaque
En prose ou en vers, Ie texte théâtral diffère toujours de la communica- metteur en scène offre donc un apport personnel âu texte initial.
tion de la « vie réelle ». En effet, il s'agit d'un texte littéraire, qui vise à Enfln, certains metteurs en scène choisissent de s'écarter délibérément
l'efficacité : les paroles prononcées doivent avoir un lien avec l'action del'un ou l'autre des aspects du texte initial : il y a alors divergence. on
représentée sur scène. D'autre part, dans les répliques, les rythmes peut ainsi transposer le sujet dans une autre époque (par exemple,
et les sonorités ont autant d'importance que le sens : il s'agit pour faire iouer une æuvre de Marivaux par des comédiens en fean) : Ie
le dramaturge d'engendrer des émotions chez le spectateur, de le Dans tous les cas, la convention choisie est acceptée par le sPectateur. texte est le même - cependant, il prend, par cette modernisation,
frapper, et de créer un univers. Cependant, chacune engendre des émotions différentes. un sens nouveau. Un metteur en scène peut également envisager
Les didascalies sont les indications scéniques que l'auteur donne au La musique, la lumière, Ies costumes, les décors..' sont autant d'élé- Ia pièce selon un angle original. Ainsi, le monologue de lÀvare, de
metteur en scène, aux acteurs, et éventuellement au lecteur, mais pas ments de mise en scène laissés à la discrétion du metteur en scène. Molière, dans lequel le personnage se plaint d'avoir été volé et de ne
au spectateur. EIIes sont souvent présentées en italiques, et signalent À chaque moment d'une pièce existent donc des choix à faire, qui pas retrouver sa « cassette », est d'un registre comique ; mais on peut
d'emblée qu'une pièce ne se réduit pas aux échanges verbaux entre engagent le sens de l'æuvre. le dire avec lenteur, sur un ton pathétique, comme Ie flt, par exemple,
Personnages. Les acteurs sont dirigés par le metteur en scène : leur travail commun Jouvet. Dans ce dernier cas, il n'y a pas « trahison » de I'auteur : le
permet de faire émerger une diction, un débit, des intonations, mais metteur en scène met soudain en relief un aspect du personnage qui
Si lbn excepte la commedia dellhrte (jouée aux xvr" et xvrr" siècles, en disparaissait sous le comique. Harpagon reste ridicule, certes, mais
aussi des gestes, des déplacements... Là encore, les choix effectués
Italie et en France), oir le texte est réduit à un canevas sur lequel les devient aussi émouvant et révèle le mal dont il souffre.
Une pièce de théâtre - sauf cas exceptionnel, comme Musset et son donneront une couleur spéciflque à Ia pièce.
acteurs improvisent, une pièce de théâtre est écrite par un auteur Spectacle dans unfauteuil par exemple - est écrite pour être iouée,
dramatique. Ce texte est composé de deux éléments distincts : Ie c'est-à-dire pour être mise en scène. Les didascalies restent des in-
dialogue, et les didascalies. dications, même si elles sont essentielles. Le metteur en scène a donc Le spectacle théâtral est à la fois « représentation » et « re-création » ;
Ainsi, Ie metteur en scène n'est pas un simple exécutant ; il ne peut
Le dialogue est le discours direct entre les personnages. Il permet un rôle décisifdans le passage du texte à la représentation concrète. par ces deux aspects, il permet la redécouverte de l'ceuvre originale.
pas se contenter de transposer les didascalies en éléments réels. D'une
au spectateur : Au xvrr" siècle, la règle des trois unités impose un seul lieu, un temps
part, parce qu'elles n'étaient pas fréquentes iusqu'au xrx" siècle ; d'autre
- de connaître les pensées et les sentiments des personnages ; réduit à z4 heures et une seule action. Le lieu peut être une pièce
part, parce que ces indications laissent encore de la place pour une
- de connaître les informations nécessaires à la compréhension de dans un palais, un intérieur bourgeois, une place, etc. que le metteur
la pièce
interprétation ; enfin, parce que chaque mise en scène est unique UN ARTICTE DU MONDE À CONSUTTEN
; en scène meuble et décore.
de ressentir des émotions.
et que Ie théâtre est un art « vivant ». La mise en scène est donc
- Au xrx" et xx" siècles, les lieux sont multiples, ce qui impose des change- . Les « quatre versants » de La Colline selon Waidi Mouawad
Le texte théâtral se distingue ainsi par une « double énonciation » « création », à partir de l'æuvre de l'auteur dramatique.
: ments de décors. Le metteur en scène peut choisir des décors réalistes p.4r-42
les acteurs se parlent entre eux (premier niveau d'énonciation), mais En règle générale, la représentation s'attache à rendre visible, par des (Propos recueillis par Brigitte Salino, Le Monde daté du r9.o 4.2cl6)
ou stylisés, voire de simples écriteaux indiquant la nature du lieu
ils s'adressent aussi au public (second niveau d'énonciation). Cette (renouant ainsi avec les procédés du Moyen Âge et de Ia Renaissance). signes, le sens de l'æuvre écrite. Les metteurs en scène respectent le

RE PÈRES
ZOOM SUR...
Lesformes du dialogue théâtral. le décor (exemple : « Devant le à lui-même. Il peut prendre la Les dffirents ÿpes de comique COMIqUË DE GESTES verra pas... le comique de si- mique qui consiste à traiter un
chateau. Perdican »), les bruits, la forme de stances, si le style en est réplique est une prise de parole tuation repose touiours sur un sujet héroique ou sérieux en des
La et les registres. Le comique de gestes fait la part
musique (exemple : << On entend poétique ; il peut être un aparté, par un personnage. belle à Ia mimique, à la grimace, à
« piège » dans lequel un person- termes vulgaires ou populaires.
Ces précieuses indications pour
soudain la valse qui recommence, si d'autres personnages sont sur nage, au moins, doit tomber. Le Le burlesque peut être rapproché
la lecture et la mise en scène l'exubérance gestuelle. Le comique
accompagnée de rires, de vivats, du scène mais ne sont pas censés Un avare, un misanthrope ne sont de gestes est « transformiste » : on
rire naît du bonheur de cette de la parodie, du pastiche ou de la
sont proposées dans le texte de Cette longue réplique, souvent catastrophe différée. Telle est la
bruit des verres entrechoqués. Puis entendre ce que dit le premier pas comiques en soi. Pourtant, ils rit de voir le corps de l'acteur s'apla- caricature en ce qu'il relève d'une
la pièce. Elles donnent des infor- argumentative, peut également situation de base, que l'auteur tra- imitation : l'idée est de travestir
tout s'arrête brusquement. »l ou personnage. le deviennent quand ce trait de
tir, s'allonger, diminuer, s'envoler...
mations sur le nom des person- appartenir à un registre lyrique. vaille ensuite à son gré, au moyen
encore les accessoires (exemple : caractère devient une folie qui les un modèle en mettant l'accent
nages, le découpage en actes et tragique, épique, etc. COMIQUE D[ MOTS du quiproquo, de la péripétie, du sur l'inversion des valeurs (le haut
« Caligula se relève, prend un siège aveugle et fait d'eux des Proies
scènes, le lieu, l'époque, les gestes, Il est employé pour donner à en- Mots déformés ou tronqués, al- coup de théâtre. Ainsi, dans le Tar- devient le bas opérant une démY-
bas dans la main et approche du faciles. C'est ce que l'on appelle le
les mimiques, le ton d'un person- tendre des faits qui ne sont pas Il s'agit d'une succession rapide liance de mots, réparties qui font tuffe de Molière, Orgon est caché thiflcation de l'héroïsme). Le rire
miroir en soufflant »). comique de caractère. Le naiT Or-
nage (exemple : « Figaro (seul, se représentés sur scène, soit parce de répliques dans laquelle les mouche, tels sont les ressorts du sous la table pendant que Tartuffe burlesque prend ainsi une signi-
gon, par exemple, sort de sous la
promenant dans I'obscurité, dit que la bienséance s'y oppose, soit personnages se répondent vers comique de mots. fait la cour à sa femme. flcation politique : il rabaisse l'or-
table ou il s'était caché et, au lieu
du ton le plus sombre.) »), l'énon- Le monologue est un faux dia- parce qu'ils se déroulent dans un par vers. Elle révèle un moment gueil des grands qui deviennent
de chasser Tartuffe de chez lui, COMIQUE DË SITUATION
ciation (exemple : « en aparté »), logue où le personnage se parle autre lieu ou une autre époque. intense d'échange. Le burlesque est un type de co- obiets de risée.
s'attendrit à ses discours. Tombera ? tombera pas ? Verra ?

16 te texte théâtral et sa représentation, du xvn" siècle à nos iours Le texte théâtral et sa rePrésentation, du xvrt" siècle à nos lours ]J
UN SU]ET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS

un ton trop brusque. |e n'ai qu'à n'y plus penser ; il est clair que ie autres ignorent mon identité. f'ai tellement d'identités différentes !

Questions liminaires : ne I'aime pas. Cela est certain qu'elle est iolie ; mais pourquoi cette
conversation d'hier ne veut-elle pas me sortir de Ia tête ? En vérité,
C'est-à-dire que lbn me prend pour ce que je ne suis pas.
Le crime - car il y aura un crime - n'est pas encore consommé. Et
Le monologue chez Molière, Beaumarchais, Musset et Tardieu j'ai passé la nuit à radoter. Où vais-ie donc ? - Ah ! ie vais au village. pourtant, chose étrange, moi Ie détective, me voici déià sur les lieux
Il sort. mêmes oir il doit être perpétré !... Pourquoi ? Vous Ie saurez plus tard.
(Alfred de Mussel,Onnebadine pas aveclhmour,aclelll, scène t, t834.) )e vais disparaître un instant, pour me mêler incognito à la foule
va, d'après lui, céder au Comte à qui elle a donné un rendez-vous secret.
étincelante des invités. Que de pierreries ! Que de bougies ! Que de
Texte r promenant dans lbbscurité, dit du ton le plus sombre.)
Frctno (seul, se
Texte 4 satins ! Que de chignons ! Mais on vient !... Chut !... |e m'éclipse. Ni
George Dandin, riche paysan qui a - femme
Ô ! femme ! femme ! créature faible et décevante !... nul Ilnbal est donné au château du Baron de 2... Les invités viennent tour à vu ni connu !
épousé la noble Angélique, paraît animal créé ne peut manquer à son instinct ; le tien est-il donc de

$
tour se présenter sur scène. Le premier d'entre eux est Dubois-Dupont. ll sort, par la droite, sur Ia pointe des pieds, un doigt sur les lèvres.
tromper ?... Après m'avoir obstinément refusé quand ie l'en pressais
seul sur scène. Dusors-DupoNr (il est vêtu d'un « plaid » à pèlerine et à grands carreaux (Jean Tardieu, Il y avait foule
<< ,nsn6lr », Id Comédie du langage,1987.)
devant sa maîtresse, à l'instant qu'elle me donne sa parole, au milieu ",,
Groncr Druorr - Ah ! qu'une
même de la cérémonie... Il riait en lisant, le perfide ! et moi comme un
et coffi d'une casquette assortie « genre anglais ». ll tient à la main
femme demoiselle est une étrange une branche dhrbre enfleur) Je me présente : ie suis le détective
benêt... non, Monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne I'aurez
-
affaire ! et que mon mariage est privé Dubois. Surnommé Dupont, à cause de ma ressemblance avec
pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand r. Àqui s'adressent les personnâges dans les différents monologues
une leçon bien parlante à tous Ie célèbre policier anglais Smith. Voici ma carte : Dubois-Dupont,
génie !... noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fler ! du corpus ?
les paysans qui veulent s'élever homme de confiance et de méflance. Trouve Ia clé des énigmes et des
z. À quoi servent, selon vous, les monologues proposés ?
au-dessus de leur condition, et s'al- Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine coffres-forts. Brouille les ménages ou les raccommode, à la demande.
de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire I tandis
lier, comme j'ai fait, à la maison Prix modérés.
que moi, morbleu ! perdu dans Ia foule obscure, il m'a fallu déployer r. La scène r de I'acte| de George Dandin de Molière, Ia scène 3 de l'acte
d'un gentilhomme ! La noblesse, Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses autant que... mysté-
plus de science et de calculs pour subsister seulement, qubn n'en a Y du Mariage de Figaro de Beaumarchais, la scène r de I'acte III de On
Alfred de Musset par de soi, est bonne ; c'est une chose rieuses... Mais vous les connaîtrez tout à l'heure. Je n'en dis pas plus.
Charles Landelle. 1854 mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez ne badine pas avec lamour de Musset et l'exposition de « Il y avait
considérable, assurément : mais |e me tais. Motus.
iouter... On vient... c'est elle... ce n'est personne. - La nuit est noire en foule au manoir » de Tardieu sont quatre monologues.
elle est accompagnée de tant de Qu'il me suffise de vous indiquer que nous nous trouvons, par un beau
diable, et me voilà faisant le sot métier de mari quoique ie ne le sois À chaque fois, un personnage seul sur scène prononce une tirade
mauvaises circonstances, qu'il est très bon de ne s'y point frotter. soir de printemps (il montre la branche), dans le manoir du baron de
qu'à moitié | Il shssied sur un banc. -Est-il rien de plus bizarre que qui peut être destinée à différents interlocuteurs. George Dandin,
Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connais le style des 2... Zède comme Zèbre, comme Zéphyr... (il rit bêtemenfl Mais chut !
ma destinée 7 [...] le personnage éponyme de la comédie de Molière, et Perdican, dans
nobles, lorsqu'ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. Cela pourrait vous mettre sur la voie.
(Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, La Folle lournée ou le drame de Musset, s'adressent tout d'abord à eux-mêmes. Ainsi, le
Lalliance qu'ils font est petite avec nos personnes : c'est notre bien seul Comme vous pouvez l'entendre, le baron et sa charmante épouse
Le Mariage de Figaro, acte ÿ scène 3,1784.) premier s'apostrophe lui-même en s'écriant « George Dandin ! vous
qu'ils épousent ; et j'aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de donnent, ce soir, un bal somptueux. La fête bat son plein. Il y a foule
avez fait une sottise », alors que le second s'interroge et déclare : « ie
m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme au manoir.
qui se tient au-dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense Texte 3
On entend soudain la valse qui recommence, accompagnée de rires, de
voudrais bien savoir si je suis amoureux » ou se demande à Ia fln : « Oit
qu'avec tout mon bien je n'ai pas assez acheté la qualité de son mari.
Perdican est amoureux de sa cousine Camille, qu'il doit épouser. Mais
vivats, du bruit des verres entrechoqués. Puis tout s arrête brusquement. vais-ie donc ? » Figaro, lui, s'adresse plutôt aux autres personnages de
George Dandin ! George Dandin ! vous avez fait une sottise, la plus
elle repousse son amour car elle a décidé d'entrer au couvent. Les deux
Vous avez entendu ? C'est prodigieux ! Le bruit du bal s'arrête net Ia comédie, bien qu'ils ne soient pas à ses côtés. Le début de l'extrait
jeunes gens ont eu une discussion animée. Seul sur scène, Perdican semble destiné à Suzanne à travers l'apostrophe u Ô femme ! », alors
grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et ie n'y quand ie parle. Quand ie me tais, il reprend.
s'interroge. que la suite prend directement à partie le Comte ; Figaro interpelle son
rentre point sans y trouver quelque chagrin. Dès qu'il se tait, en effet,les bruits de bal recommencent, puis s'arrêtent.
Devant le châfeau. Prnorclr.r )e voudrais bien savoir si je suis amou- maître et utilise le pronom « vous » comme si celui-ci était présent :
(Molière, George Dandin ou Le Mari confondu,acte I, scène r, 1668.) - Vous voyez ?...
reux. D'un côté, cette manière d'interroger est tant soit peu cavalière, « non, Monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas », déclare-t-il. Enfln,
Une bouffée de bruits de bal.
pour une fllle de dix-huit ans ; d'un autre, les idées que ces nonnes lui Dubois-Dupont s'adresse explicitement, et de façon déroutante, au
Texte z Vous entendez ?...
ont fourrées dans la tête auront de la peine à se corriger. De plus, elle public. Après s'être présenté, il amorce l'intrigue en ménageant un
Le valet du Comte Almaviva, Figaro, doit épouser Suzanne, servante Bruits de bal.
doit partir auiourd'hui. Diable, je l'aime, cela est sûr. Après tout, qui certain suspense, il suscite I'intérêt du spectateur en annonçant :
de la Comtesse. ll apprend que le Comte nh pas renoncé au « droit de Quand ie me tais... (bruits de bal)... ça recommence quand ie com-
sait ? peut-être elle répétait une leçon, et d'ailleurs il est clair qu'elle « Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses [...] Mais vous les
cuissage », ancienne coutume qui permet au maître de passer Ia nuit mence, cela se tait. C'est merveilleux ! Mais, assez causé ! fe suis Ià pour
ne se soucie pas de moi. D'une autre part, elle a beau être jolie, cela connaîtrez tout à l'heure. »
de noces avec Ia mariée. Figaro se plaint de son sort et de Suzanne qui accomplir une mission périlleuse. Quelqu'un sait qui ie suis. Tous les
n'empêche pas qu'elle n'ait des manières beaucoup trop décidées et

MOTS CLÉS zooM suR...


continue, les ellipses étant situées LAvare, Marianne, qu'Harpagon de Shakespeare ou de Ia vie est un s'est identifié totalement à 1699), Ia passion pousse les héros
Les trois plus grands drama- sa
Dans la dramaturgie classique, entre les actes. Le temps de l'acte veut épouser à la barbe de son fils, Le terme dramaturgie peut désigner es de notre histoire littéraire.
turg songe de Calderon. passion pour le théâtre. Il sera à à tous les excès : ialousie, avidité,
une pièce de théâtre est divisée en est alors une représentation en se révèle être la fille de son ami An- soit l'activité du dramaturge (c'est- . t636 : Le Cid ; t64o I Horace , Cinna et la fois auteur, acteur, metteur en haine, cruauté. Cette passion les
actes. Au xvrr" siècle, on descendait, temps réel, tandis que l'entracte, selme et la sæur de Valère, l'amou- scène et directeur de troupe. Sa conduit à une déchéance lucide
à-dire l'écrivain de théâtre), soit 1643 : Polyeucte,tragédies classiques.
entre chaque acte, les lustres éclai- aussi court soit-il, représente une reux d'Élise, sa fllle. Il peut être le toutes les possibilités scéniques que Dramaturge très novateur, . t64g : Don Sanche dAragon pré- production très abondante inclut et sans rémission. Dès le lever du
rant la scène afln de renouveler les durée indéterminée. fruit d'un deus ex machina, c'est-à- Corneille (16o6-1684) s'illustre figure le drame romantique. toutes les variantes du théâtre co- rideau, ils sont « en sursis », face
contient un texte de théâtre. Étudier
chandelles : par conséquent, un dire procéder d'une « intervention une pièce sous un « angle dramatur- dans différents registres. . 165o : Andromède ; 165c : La mique : farces (Ies Fourberies de à des conflits insolubles qui les
acte dure le temps qu'il faut pour Événement inattendu qui pro- divine » (les dieux, dans le théâtre gique », c'est alors la penser comme . 7635 : Médée, première tragédie conquête de la toison d'or e|166r: Scapin, t67t\, comédies de mceurs conduisent inéluctablement à la
baroque sur un thème mytholo- Psychd (montée avec Molière en (Les Précieuses ridicules, t65g), de
brûler une chandelle (trois quarts voque un brusque revirement du Grec Euripide, descendent du un teIte, non à lire, mais à iouer. mort ou à la folie.
d'heure). De nos iours, on baisse ciel suspendus à une grue que gique. r67r), pièces à grand spectacle. caractère (Le Misanthrope, t666), . t667 , Andromaque.
dans l'intrigue. Chez Molière, par Attention, dans le théâtre actuel, on
le rideau à Ia fin d'un acte pour le lbn appelle une « machine »). Par . t636 : L'lllusion comique, chef- comédies ballets (Ie Bourgeois . t66g : Britannicus.
exemple, cet événement est très appelle dramaturge la personne qui
d'æuvre du théâtre baroque. Gentilhomme, t67o\ et pièce à , 767c : Bérénice.
relever ensuite. La règle classique souvent une reconnaissance qui extension métaphorique, lèx- aide le metteur en scène à élucider
grand spectacle (Psyché, t67t). .1.672: Bajazet.
de la vraisemblance impose, au vient rompre, d'un coup, le næud pression désigne une intervention les enieux scéniques d'un texte de L'intrigue inclut Ie procédé du lean-Baptiste Poquelin (t6zz-t673l,
milieu du xvrr" siècle, que l'acte soit dramatique et qui permet une providentielle et totalement exté- « théâtre dans le théâtre », à rap- devient Molière pour incarner, . 1677 : Phèdre,
théâtre (ce n'est donc ni l'auteur, ni
une unité temporelle absolument réconciliation. Ainsi, à la fin de rieure à l'intrigue. procher dt Songe d'une nuit d'été au plus haut degré, l'homme qui Dans les pièces de Racine (t639- . 1691. I Athalie.
le metteur en scène).

]8 fe texte théâtral et sa représentation, du xvrro siècle à nos iours Le texte théâtral et sa représentation, du xvlt" siècle à nos iours ]ÿ
UN SUJET PAS A PAS L,ARTICLE DU TIIIONTûC

Même si cette manière d'interpel- Par ailleurs, les monologues servent également à exprimer les senti-
ler le public est assez surprenante
et originale, il est évident que les
ments des personnages, à dresser une sorte de bilan et à révéler une
tension intérieure. Ainsi, George Dandin fait le constat de son erreur, sa
Les « quatre versants » de La Colline
autres monologues s'adressent
également au spectateur. En effet,
« sottise », et souligne sa souffrance en déclarant : « Ma ma'son m'est
effroyable maintenant [...] ». Surtout, les monologues de Figaro et de
selon Waidi Mouawad
selon le principe de la double des- Perdican mettent en valeur la grande agitation des personnages : Ies
tination théâtrale, toute parole questions et les exclamations y sont particulièrement nombreuses. Le nouveau directeur du théâtre parisien entend replacer « I'auteur au centre de la
prononcée sur scène est destinée Figaro exprime son amertume et sa colère, il est bouleversé à l'idée
à un personnage mais également
création ».
que Suzanne l'ait trahi et s'indigne de l'attitude du Comte qu'il traite
au public. De ce fait, George Dan- de « perfide ». Il revient également sur sa vie : « Est-il rien de plus
din, Figaro et Perdican s'adressent bizarre que ma destinée ? » Les propos de Perdican révèlent encore Le 6 avril, Wajdi Mouawad a été nommé à la direction du Théâtre na- intime. Il y avait dans ce théâtre, et dans ce théâtre seulement, la
aussi au public - qui a alors accès davantage le désarroi du ieune homme : il ne se rappelle plus oir il se tional de Ia Colline, à Paris, où il succède à Stéphane Braunschweig. possibilité de m'impliquer dans un proiet qui coniuguerait des
aux pensées du personnage - rend et s'interroge : « Ou vais-je donc ? » Son monologue est nettement Né au Liban en 1968, émigré en France avec sa famille en 1978, démarches artistiques personnelles et une implication publique
en ayant parfois un destinataire délibératif, il ne sait pas ce qu'il éprouve pour Camille et se contredit dont je rêve.
puis au Québec en 1983, l'auteur, acteur et metteur en scène s'est
plus spéciflque. George Dandin en affirmant tour à tour : « Diable, ie l'aime, cela est sûr » puis « il est
imposé comme un artiste de renommée internationale. Depuis La Colline est consacrée à l'écriture contemporaine. Je pourrais lui
vise par ses propos les paysans, clair que je ne l'aime pas ». Ces monologues permettent donc aux
Pierre Augustin Caron de 2072,11 vit de nouveau en France. Son histoire et son expérience apporter ce que j'ai expérimenté dans mon parcours, en tenant
auxquels il s'identifie en parlant personnages de se livrer à une introspection.
Beaumarchais par Jean-Marc compte des questions qui se sont posées ces deux dernières années
Nattier, 1755.
de « nous autres », et les nobles Enfln, le monologue peut également avoir une dimension critique. nourrissent son projet pour La Colline, qu'il dévoile au Monde.
dont il est question dans son C'est le cas, en particulier, de celui de Figaro, qui critique avec une dans Ie monde occidental sur « I'autre », étant moi-même cet
monologue. De même, Figaro, à travers le Comte, s'adresse particuliè- grande vivacité le Comte, il oppose son propre mérite aux privilèges « autre », évidemment bien intégré mais ne pouvant oublier ne
Pour quelles raisons êtes-vous revenu vivre en France, en 2012 ?
rement aux nobles, surtout lorsque ses paroles se font généralisantes : dont le Comte a simplement hérité en affirmant : « Vous vous êtes serait-ce que Ia prononciation de mon prénom.
« noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fler ! ».
Des raisons tout à fait personnelles - ie suis tombé amoureux
donné la peine de naître, et rien de plus. »
Les personnages de ces monologues ont donc différents destinataires. d'une femme française -, et d'autres très professionnelles. En
France, j'avais la possibilité comme artiste de me déployer de Autour de quoi avez-vous articulé votre proiet ?
2. Les quatre monologues du corpus remplissent différentes fonctions. manière plus libre, plus tranquille et plus discrète qu'au Québec, En partant de la notion de colline. Une colline a quatre versants.
Ces extraits servent en premier lieu à informer. Les monologues des où tout est centralisé à Montréal, dans un milieu très dense. Pour moi, l'un d'eux, c'est celui de l'adolescence, sur laquelle j'ai
comédies de Molière et de Tardieu, en particulier, sont situés dans Dissertations
il y a plusieurs réseaux, on peut tourner un véritable désir de travailler, comme ie n'ai pas cessé de le faire
l'exposition, ils informent donc le spectateur sur les personnages et
- Le monologue, souvent utilisé au théâtre, paraît peu naturel. En France, dans des
En prenant appui sur les textes du corpus, sur différentes pièces depuis dix ans. Il faut amener des adolescents au théâtre, pas
la situation, amorcent l'intrigue à venir et le genre de la pièce. George théâtres un peu partout, on peut à un moment donné faire un
que vous avez pu lire ou voir et en vous référant à divers éléments
nécessairement en programmant des spectacles pour eux, mais
Dandin apprend au public que, paysan enrichi, il a fait un mariage propres au théâtre (costumes, décor, éclairages, les gestes, la voix, événement important comme Avignon, puis revenir dans un
malheureux : il a épousé une ieune fllle de la petite noblesse qui le etc.), vous vous demanderez si le théâtre est seulement un art de en les invitant à suivre des répétitions, en leur proposant des
endroit plus humble. Cette diversité d'exposition et de production
méprise et considère cette union comme une mésalliance. Le thème l'artifice et de l'illusion. (Sujet national, zoog, séries technolo- ateliers d'écriture, en leur offrant des prises de parole. fe veux
giques) me convenait beaucoup mieux que la situation au Québec, où cela
et les personnages annoncent la comédie. De même, le monologue de faire en sorte qu'ils se sentent bien à La Colline, et qu'ainsi ils en
- On emploie parfois l'expression « créer un personnage » au suiet devenait très difficile parce que Ia moindre chose que ie disais ou
Dubois-Dupont joue un rôle d'exposition. Le personnage décline son d'un acteur qui endosse le rôle pour la première fois. Selon vous, deviennent les ambassadeurs auprès de leurs parents ou d'autres
identité et sa profession - détective privé - précise le lieu et l'époque peut-on dire que c'est l'acteur qui crée le personnage ? (Suiet natio- faisais pouvait provoquer des débats. Et puis, en France, je retrouve
adolescents qu'on n'arrive pas à rejoindre.
de la scène : « un beau soir de printemps [...] dans le manoir du baron nal, zoo9, série L) une culture qui m'est plus proche, celle de la Méditerranée.
- Selon quels critères, selon vous, une scène d'exposition est-elle Le deuxième versant, c'est celui des artistes. Je voudrais qu'ils aient
deZ... », et annonce une intrigue policière : « il y aura un crime » sur
réussie et remplit-elle sa fonction ? (Suiet national, zou, séries des moments oi.r ils puissent mener des recherches, dans les salles
un mode burlesque. Par ses jeux de mots, par sa mise à distance de technologiques) Vous avez dirigé deux théâtres, à Montréal et à Ottawa. Vous
l'illusion théâtrale, lorsque Ie personnage souligne les ieux sur le équipées et avec les équipes techniques, sans avoir à présenter un
- Au théâtre le rôle du metteur en scène peut-il être plus important aviez envie d'en diriger un en France ?
bruitage, le monologue annonce Ià aussi une comédie. que celui de l'auteur ? (Sujet national, zorr, séries L) spectacle à la fln. Je sais, pour l'avoir pratiqué, à quel point ce travail
Pas du tout.qui est merveilleux, dans cette histoire de nomi-
Ce
nation à La Colline, c'est qu'avant, j'ai dû refuser peut-être huit
RE PÈRES fois de poser ma candidature à des théâtres. Quand le ministère
appelait pour dire qu'un poste de directeur se libérait et me de-
Cet entretien avec Waidi Mouawad s'est tenu à l'occasion de sa
Quelques metteurs en scène du mandait si j'en avais envie, je répondais non. Avec ma compagnie,
xf siècle. lean-Louis Barrault (r9ro-r994) Antoine Vitez (1930-199o), pro- Ariane Mnouchkine (1939-), qui nomination au poste de directeur du théâtre de La Colline, à Paris,
a fondé en t946, avec sa femme fesseur au Conservatoire d'art anime depuis 1964 la troupe
je faisais les spectacles que je voulais faire, on tournait comme en 2o16. Celui qui s'était déjà rendu célèbre par son activité d'au-
Madeleine Renaud, la Compagnie dramatique, a eu une influence du Théâtre du Soleil donne une on voulait, on était peu nombreux et très fldèles les uns aux teur, metteur en scène, comédien mais aussi cinéaste présente
Roger Planchon (r93r-zoog) est une
Renaud-Barrault. Il accorde une déterminante sur le théâtre fran- importance particulière aux di-
flgure majeure du Théâtre national autres. Et on a eu des associations avec des théâtres, à Chambéry et explique ici son projet. En exposant sa conception des quatre
populaire, héritier de )ean Vilar. Il a
importance particulière au lan- çais d'après-guerre. Traducteur mensions visuelles (décors en
gage du corps, découvert grâce des auteurs russes - Tchekhov (Ia mouvement) et sonores (bande- puis à Nantes, qui ont été fortes. Le fait d'être artiste associé au versants de la Colline, voués respectivement aux adolescents,
mis en scène Brecht, Molière (Iar-
au mime. Directeur du Théâtre Mouette), Maïakovski (Ies Bains) -, son). Ses créations évoquent des aux artistes, à l'écriture et au public, Wajdi Mouawad révèle son
tuffe, George Dandin, LAvare, dont Festival dAvignon, en 2oo9, a été aussi très important pour toute
de l'Odéon, il monte les grandes il monte également des pièces du problèmes actuels : Le Dernier
ii interprète lui-même le rôle titre), désir d'élargir l'accès à ce lieu important de la scène dramatique.
Shakespeare (Henri lV, Falstffi, Cal-
et les pièces
ceuvres classiques répertoire grec avec notamment Caraÿansérail sur la vie quoti- la compagnie. On vivait donc dans une grande légèreté, qui me
les plus modernes : Rhinocéros un ÉIectre très personnel et des dienne en Afghanistan et celle Cet entretien permet donc au candidat au baccalauréat d'aborder
deron (la vie est un songe), et des convenait parfaitement.
créations d'auteurs contemporains
d'lonesco, Oh les beaux jours de æuvres contemporaines : Mère des migrants clandestins ; Ies le théâtre et sa mise en scène par un biais original qui met en
Beckett, Des fou rnées entières dans Courage, La Vie de Galilée de Bre- Éphémères, tranches de vie dans Mais quand le ministère a appelé pour La Colline, i'ai marqué
tels Arthur Adamov (Le Sens de la lumière la vie de cet espace culturel, en tant qu'elle se mêle à
les arbres de Marguerite Duras. cht, Le Soulier de satin de Claudel. Ia société d'aujourd'hui, alternant un arrêt, très troublant, avant de répondre. Je me suis demandé
marche, Paolo Paoli) et Michel Vi- la vie de la cité.
naver (Par- dessus bord). scènes comiques et pathétiques.
pourquoi. |'ai commencé à réfléchir, d'une manière extrêmement

{O Le texte théâtral et sa représentation, du xvrr" siècle à nos iours Le texte théâtral et sa représentation, du xvtf siècle à nos jours {1
L'ARTICLE DU]]IÛONûT

de laboratoire est important, que lbn soit un artiste débutant ou évidemment la programmation. J'ai un vrai désir de prendre
connu. |e voudrais aussi qu'il y ait à La Colline une équipe volante en compte l'histoire de La Colline qui, avec Jorge Lavelli, Alain Fran-
de dramaturges, à l'allemande. C'est important, surtout pour un çon et Stéphane Braunschweig, les précédents directeurs, a suivi
jeune créateur, d'avoir quelqu'un qui accompagne, nourrit d'un la ligne de l'écriture contemporaine. Mais je voudrais un peu
savoir, pose des questions... déplacer cette ligne : à côté de la création d'auteurs à découvrir,
c'est bien de présenter des chefs-d'æuvre reconnus, mais pas
Et les troisième et quatrième versants, qubffriront-ils ? nécessairement dans la grande salle ; il faut aussi reprendre des
Le troisième, c'est l'écriture. Je veux replacer l'auteur au centre de pièces d'auteurs vivants, c'est aussi important que d'en créer. Je
la dynamique de Ia création. Souvent, dans les théâtres, on invite veux également que soient présents des auteurs du monde entier,
d'abord un metteur en scène en lui demandant quel texte il veut en français ou dans leur langue originale.
monter. C'est très bien, mais j'aimerais un peu rééquilibrer les
choses, et partir vraiment de I'auteur. Je vais donc repenser les A quels auteurs pensez-vous particulièrement ?

comités de lecture, accompagner les jeunes auteurs, Ieur donner la fe préfère ne pas les nommer maintenant, parce que je ne veux pas
possibilité de tester ce qu'ils écrivent. Cela revient à faire avec eux créer trop d'attente. Mais je peux donner deux exemples d'écri-
ce que j'aurais voulu qu'on fasse avec moi quand j'ai commencé. tures contemporaines qui ne sont pas seulement des écritures

ÉcRrruRE PoÉleuE ET euÊrc DU sENS,


Le dernier versant, évidemment pas dans une hiérarchie de littéraires : Sébastien Barrier, chez qui tout passe par Ia parole et la
l'énoncé, c'est celui du public. ]'aimerais que le public s'ouvre, se relation au public, et Robert Lepage, dont l'écriture polyphonique
transforme. ]e ne dirais pas qu'il se diversifie, je déteste le mot passe par le texte, le son et Ia vidéo, qui sont davantage que du

« diversité »: il ne fait que rappeler une différence et suppose qu'il son et de la vidéo. DU MOYEN ÂCE À NOS JOURS
existe un public qui n'est pas diversifié, ce qui est tout à fait faux,
chacun dans une assemblée étant différent de son voisin. Vous avez de nombreux engagements dans l'année qui vient.
,*;..I-Ï&*

Comment allez-vous procéder pour élargir pour le public ?


Comment allez-vous faire ?
J'ai annulé certaines tournées qui pouvaient l'être ; pour d'autres, "ftq
En choisissant des auteurs qui fassent entendre des écritures très c'était impossible. Je vais donc faire des sauts de puce. Mais
différentes, qui renvoient à tous les niveaux, sociaux, ethniques pour le moment, je me concentre sur les priorités : combler les ,fÆ
.t s
et autres. En travaillant aussi sur Ia communication, la visibilité quelques trous qu'il y a dans la programmation mise en place
pour zor6-zot7 par Stéphane Braunschweig, qui devait faire une t\
et la lisibilité des programmes : il y a des façons de présenter les .7, /r*-a-"-*
spectacles qui peuvent donner envie à des gens qui ne viendraient
mise en scène en ouverture de Ia saison. ]e n'ai pas le temps de

pas sinon. En associant les habitants du quartier oir est située créer, d'ici là, un nouveau spectacle, il faut que j'en trouve un
qui permette de me présenter comme artiste au public. J'ai deux
La Colline manifestations. f'aimerais, par exemple, les inviter
à des
semaines pour finir la programmation.
à se retrouver une fois par an dans la rue, au cours d'une fête po-
Ensuite, je vais me concentrer sur l'équipe de La Colline. Parler
pulaire, où la parole des morts du cimetière du Père-Lachaise, qui
avec eux, voir comment on va travailler. Cette équipe passe d'un
est à côté du théâtre, serait reprise par les vivants. Cette manière
directeur-metteur en scène à un directeur-auteur. Ce n'est vrai-
dont ie rêve dbuvrir Ie théâtre, à travers des outils, des événements,
ment pas Ia même chose en termes de pensée. Dès que i'ai été
des spectacles, les adolescents, pourrait à moyen terme amener
nommé, j'ai rencontré cette équipe. Je lui ai beaucoup parlé d'une
un déplacement, une ouverture du public. |e serais heureux si j'y
notion qui me tient à cæur et me vient de ma Méditerranée natale :
arrivais au cours de mon mandat.
celle de l'hospitalité. C'est une notion importante, quand on dirige
un théâtre.
Vous n'avez pas parlé de la programmation. Quelle inflexion
voulez-vous lui donner ?
Oui, j'ai plutôt parlé de l'arborescence, qui va donner à I'arbre Propos recueillis par Brigitte Salino, Le Monde daté
sa beauté, comme je l'imagine. Mais le tronc principal, c'est dut9.o4.zot6

Q2 Le texte théâtral et sa représentation, du xvu" siècle à nos iours


L'ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS

Place et fonction du poète au fil des époques Il se fait ainsi proche de chacun : le lyrisme de l'auteur renvoie le
lecteur à ses propres expériences et sensations. Les Romantiques ont
particulièrement revendiqué cette facette de la poésie.
if 't \lr.)\.r t 11" lt.f \\.\4[u)i
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Un poète est un écrivain qui compose de la poésie. Certes, mais au-delà de cette défi- Mais si le poète est proche de chacun lorsqu'il exprime ainsi ses émo- n
tions, il est en même temps différent des autres parce qu'il cherche à
nition standard, le terme de « poète » évoque une manière de voir la vie et de la vivre, qu'il éprouve et transforme des expériences vécues en mots
traduire ce
une faÇon d'appréhender le monde qui se marque par une certaine distance avec le caçables d altervers tes autres.I[a donc une sensibilité exacerbée d'une
« commun des mortels ». Quels rapports le poète a-t-il entretenu avec la société, au fil part et, d'autre part, le désir d'aller vers l'art. La fonction du poète peut
des époques ? alors devenir une fonction « éclairante ». Par son attention aux obiets
ou aux êtres, il nous révèle le quotidien sous un autre ,our. Ainsi, à la fln

« magiques » : lorsque nous donnons un nom à quelque chose ou du xrx" siècle, Rimbaud se déflnit comme un « voyant ». Partant du mot,
de sa polysémie et de ses sonorités, il cherche à dire, dans sa poésie, la
En Grèce, le poète (l'« aède », à quelqu'un, nous lui donnons en quelque sorte naissance, et nous

ffi
reconnaissons son existence. Enfln, Ia capacité qu'a le poète de faire
multiplicité du monde que notre langage quotidien tend à nier. Tandis
ou chanteur) est un artiste qui
que Ie langage commun reiette Ia complexité et Ie mystère, le langage
reçoit l'inspiration et chante les vibrer cette part « non-utile » du langage se traduit également par
poétique doit allervers l'inconnu, rechercher l'inédit afin d'élargirla
exploits des dieux (ou des héros, une forme de virtuosité. Il est celui qui fait rimer les mots entre eux,
pensée et la faire naître, telle est l'ambition des poètes symbolistes.
a c'est-à-dire des demi-dieux) en qui fait chanter la phrase selon un rythme : il redonne aux mots leurs
Le poète acquiert ainsi le statut de celui qui dit une vérité non'soup-
s'accompagnant d'une lyre. Le sonorités, et leur beauté. Tandis que le langage courant confond Ie
mot et Ia chose, le langage poétique fait retrouver aux mots les plus çonnée. La vérité poétique n'est pas une vérité scientifique, elle est
poète latin est lui aussi inspi-
un voile qui se lève, une découverte - parfois autour d'un élément
ré des dieux, puisqu'il en est banals leur « image sonore ».
qui semblait pourtant très familier. « Voilà pourquoi/ Je dis Ia vérité
f interprète. Être désigné, il se
sans la dire » (Paul Éluard, « L Habitude », Capitale de la douleur,r9z6.)
distingue du reste des humains
l^i: pr.:mf:* +t l* r:ltary*n
Enfln Ie poète est celui qui, par les mots, essaie d'entrevoir le monde
par ce « don » qui lui est fait, Le poète occupe une place spéciflque dans la société. Artiste, c'est un
homme « inutile » : dont I'ceuvre n'apporte rien de matériellement autrement. II peut aussi être celui qui guide ses lecteurs (et plus
Arthur Rimbaud par Étienne mais reste profondément un Pierre de Ronsard par l'école de Blois, xv e siècle.
Carjat, vers 1872. généralement Ia société) vers des idées ou un engagement. La poésie
nécessaire à la société. Et en même temps, c'est un homme nécessaire,
« homme », avec des faiblesses.
a alors une fonction politique : « Je serai, sous le sac de cendre qui me
son æuvre parle au cæur et aux sens, elle apporte un enrichissement
couvre, La voix qui dit : malheur ! La bouche qui dit : non ! » (Victor
émotionnel ou spirituel. C'est cette ambivalence qui explique les
Hugo, « Ultima Verba », Les Châtimenfs, t853.) ; « Et c'est assez pour le DEUX ARTICTES DU MONDE À COTTSUTTTN
différentes fonctions que Ie poète a pu se voir attribuer, ou qu'il a pu
poète d'être la mauvaise conscience de son temps » (Saint John Perse,
Le terme « poète », utilisé en français, a été formé à partir de la racine revendiquer lui-même. . Le cercle des poètes amateurs p. 4Z-48
discours de Stockholm, prononcé lors de la remise du prix Nobel, en
grecque « poieïn », qui signifie « faire, créer ». Un poète est donc avant Le poète prend en charge l'histoire d'un peuple, ou les grands (Anne Dujin,Ie Monde daté du or.o7.zot6)
décembre 196o) ; « La poésie est une insurrection » (Pablo Neruda, . Un rouspéteur de génie p. 48-49
tout un créateur, celui qui fait æuvre - mais la matière qu'il travaille événements qui lbnt marquée, et il les porte par sa voix. Il les fait
lhvoue que jhi vécu,tg87.). (A,lain Bosquet,Le Monde dalé du t3.o4.r977)
est spécifique, puisqu'il s'agit des mots. II se distingue des autres résonner, les magnifie grâce à l'ornement poétique, et les transmet :

créateurs pour plusieurs raisons. En effet, le poète est en partie lié au la poésie appartient alors au registre épique (Ronsard,, La Franciade).
sacré (à distinguer du religieux), à une manière enchantée, spirituelle À l'inverse, il joue également un autre rôle qui lui fait dire les mou-
Le poète joue donc des rôles non seulement variables, mais surtout
de voir le monde. Le langage, à la fois outil banal de communication vements les plus intimes du cæur. Dans ce cas, le poète n'est plus
antithétiques en apparence : dans et avec la société lorsqu'il est porteur
CHRONOLOGIE
et forme la plus haute de la spécificité humaine, est son instrument. l'interprète d'un groupe : il cherche par son lyrisme à exprimer les de sa mémoire et de son histoire ; exilé de cette société par une sen-
Aussi est-il très proche de chacun d'entre nous, mais nous avons tous sentiments et émotions qui l'étreignent (Ronsard, Sonnets pour Des æuvres littéraires symbolÎstes
sibilité personnelle ; proche de chacun à travers le lyrisme : ou encore
l'intuition que les mots, malgré leur utilité dans le quotidien, sont Hélène). «à l'avant » de la société, comme Ia proue d'un navire, quand il cherche 1873 1887
Une saison en enfer, Poésies,
à entrevoir ce qui n'est pas encore.
Arthur Rimbaud (poésie) Stéphane Mallarmé
zooM suR... 1874 1889

Orphée. serpent et meurt, Orphée est in- double de la figure du poète : il poème dresse un portrait plein zooM suR... Romances sans paroles,
Paul Verlaine (poésie)
Tête d'or,
Paul Claudel (théâtre)
consolable. Il se rend à l'entrée des est celui qui reÇoit un don, et qui d'esprit d'un animal.
Enfers et, grâce à son chant et à sa est proche des dieux, en même . Jean Cocteau : Orphée en tg5o et déchiffrements. » (Mallarmé, ré- 1876 1891
Selon la légende, Apollon aurait I\,{ALLARMÉ
musique, réussit à attendrir Cha- temps celui qui est profondément Le Testament d'Orphée en 196o. ponse à l'enquête de Jules Huret LAprès-midi d'un Faune, Cæur double,
fait don d'une lyre à Orphée, et ET tE SYMBoLISMË.
ron, le passeur, le chien Cerbère, homme. I1 permet également de Le mythe y est transposé dans le sur l'évolution littéraire.) Mallarmé (poésie) Marcel Schwob (roman)
« Nommer un obiet, c'est suppri-
les Muses lui auraient appris à en et Hadès qui permet à Orphée de mettre l'accent sur une fonction monde contemporain. mer les trois quarts de la iouis- L'ceuvre de Mallarmé se compose r883 1892
jouer. II devient ainsi capable de ramener Eurydice à la vie, à une fondamentale du
poète, celle . Marcel Camus : OrJeu Negro (t959) .
sance du poète qui est faite du de nombreux poèmes, appréciés Contes cruels, Pelléas et Mélisande,
charmer les animaux, les arbres et condition : il ne doit pas se retour- de l'enchanteur grâce à la puis- Le mythe est transposé de Thrace à de son vivant par un cercle res- Villiers de l'lsle-Adam (roman) Maurice Maeterlinck (théâtre)
bonheur de deviner peu à peu ;
les rochers. Il participe d'ailleurs à ner vers elle avant d'avoir revu sance du lyrisme et aux liens qui Rio de Janeiro lors du camaval. treint de connaisseurs. Parmi les
le suggérer, voilà le rêve. C'est le 1885 1897
l'expédition des Argonautes, et la lumière du iour. Mais Orphée unissent poésie et musique. . Marguerite Yourcenar : La Nou- membres de la ieune école sym-
parfait usage de ce mystère qui Les Complaintes, Iln coup de dés jamais nhbolira le
son chant parvient à charmer le ne parvient pas à respecter cette velle Eurydice (t93t). Roman privi- constitue le symbole : évoquer pe- boliste, fascinés par la profondeur
. lules Laforgue (poésie) hasard,
serpent gardien de la Toison d'Or. condition : iuste avant d'arriver à Ovide :
Les Métamorphoses légiant la figure d'Eurydice. tit à petit un obiet pour montrer de ses propos sur la poésie et la
Stéphane Mallarmé (poésie)
Lorsque son épouse Eurydice, la lumière, il se retourne - et perd (Livres X et XI - texte de référence). . lean Anouilh : Eurydice (t942). un état d'âme, ou, inversement, musique et qui viennent l'écouter r886
voulant échapper aux avances défi nitivement Eurydice. . Apollinaire : Le Bestiaire ou Lhéroihe est actrice dans une choisir un obiet et en dégager chez lui, on retrouve Paul Claudel Lesllluminations,
d'un dieu, est mordue par un Orphée donne ainsi une image cortège d'Orphée, r9tt. Chaque troupe de comédiens. un état d'âme par une série de et Paul Valéry. Arthur Rimbaud (poésie)

{{ Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours {§
UN SUJET PAS A PAS LES ARTICLES DU J]IIONûO

Dissertation : Le cercle des poètes amateurs


On associe souvent poésie et lyrisme. La poésie consiste-t-elle
Les dilettantes se pressent dans les concours, s'affichent sur les réseaux sociaux. Car
seulement pour les poètes à exprimer leurs sentiments personnels ? taquiner la muse est une pratique aujourd'hui bien vivante - et plus visible que jamais.
Dianefrançaise dAragon (la diane est à la fois la musique militaire destinée à Suivez la rime !
réveiller les soldats et une référence à la déesse grecque de la chasse).
Le suietpart du constat suivant : la poésie, genre littéraire, est souvent associée
III. La poésie, du sentiment à l'universalité
au registre lyrique. Linterrogation qui suit met en question ce constat, défi-
nissant le lyrisme comme l'expression des sentiments personnels. L adverbe
a) L'expression sublimée de I'expérience personne[e Un silence tendu règne dans la salle bondée de la Maison de qui a inspiré son travail. Un autre lauréat, auteur du poème
Lécriture ÿique peut métamorphoser l'expérience personnelle pour lbuvrir
« seulement » implique que le constat général est valide mais qu'il faut en Ia RATP, dans le 12" arrondissement de Paris, oir a lieu, jeudi « Le silence est d'or,/ Alors, ie me suis ruiné,/ A te l'expliquer »,
surle monde. Ex. : Baudelaire, décrivant son « Spleen » dépasse le narcissisme,
cerner les limites. Le plan dialectique canonique est donc bien adapté à la
et communique une expérience. 16 iuin, la remise du Grand Prix poésie RATP 2016. Ils sont une revendique l'influence du slam. Mais Ia plupart de ceux qui
problématique.
b) Le lyrisme réinventé centaine de finalistes à être venus, souvent accompagnés de montent sur scène ce soir-là disent plutôt « écrire par période »,
Milieu du xrx" siècle : les Parnassiens remettent complètement en cause le leur famille. L actrice et réalisatrice Zabou Breitman préside la laisser libre cours à des « fulgurances », sans revendiquer ni
moi lyrique, au profit d'une recherche du Beau dans l'impersonnel. La poésie
Le rôle de la poésie est-il exclusivement d'être le miroir des sentiments du cérémonie. Deux élèves du Conservatoire national supérieur travail de longue haleine ni influences particulières.
devient une forme pure, un obiet sculptural qui n'a d'autre but que lui-même.
poète ? Le moi du poète habite-t-il nécessairement l'écriture poétique ? Ne Ex. : la poésie contemporaine fait preuve de fantaisie verbale et explore le d'art dramatique récitent, un par un, les treize poèmes lauréats. Pourtant, au vu de Ia centaine de poèmes retenus en flnale, des
peut-il exister une poésie détachée de son auteur, qui se donne pour but langage dansl'accent grave etlaccent aigu(leanTardieu). Apparence de jeux Les yeux de leurs auteurs s'allument quand ils en reconnaissent inclinations pour certaines traditions poétiques ressortent.
d'explorer le réel ? autour de la conjugaison et de la forme interrogative ou transparaît l'angoisse
Ies premiers mots et découvrent qu'ils font partie des élus. Celle du lyrisme d'abord, qui domine Ia sélection, voire
du poète derrière les questions : « Est-ce que nous allons partir ?/ Est-ce que
nous allons rester ? ». D'édition en édition, I'organisation du concours se rode et les l'ensemble des contributions, selon l'équipe organisatrice :
I. La poésie,territoire priülégié de l'expression du moi Transition:Dèslors,le lyrisme, quoique déguisé, devient non plus expression candidats affluent. Cette année, 8 t5o poèmes ont été reçus, « L'amour, Ia mort, Ia séparation... Oui, beaucoup de poèmes
a) Lesentiment personnel comme source d'inspiration conventionnelle des sentiments, mais un véritable dialogue, presque méta- dont r 2oo écrits par des auteurs de moins de r8 ans. Une investissent ces thématiques intimes, souvent qssociées à la poé-
Mieux que toute autre forme littéraire ou artistique, la poésie permet physique, amorcé avec le lecteur.
centaine a d'abord été retenue par un comité de lecture, avant sie », dit Pierre Audiger. Sans s'en revendiquer explicitement,
d'exprimer Ia part intime de soi. On peut ainsi se référer à de nombreux
recueils ou poèmes se rapportant à l'expression des sentiments personnels, d'être soumise au iury. de nombreux auteurs sont de sensibilité romantique, où la
à des expériences vécues. Par exemple, dans les Regrets, Du Bellay évoque II est donc fondé de penser que le lyrisme est un registre maieur, voire fon- Christophe Morelière pour le Grand Prix adultes, Thomas poésie est avant tout une effusion, mais une effusion mise en
l'expérience décevante de son séiour à Rome (le poème « Heureux qui comme dateur du genre poétique. Il serait cependant erroné de réduire celui-ci à la Lefevre pour la catégorie jeunes et Luigi Cantali pour celle des forme par le vers, et plus encore Ia rime.
Ulysse » traduit sa nostalgie du pays natal).Ies Contemplations (Yictor Hugo) : seule expression d'une sensibilité et d'une sublectivité. Le poète, homme dans
poèmes exprimant la douleur du poète à la mort de sa fllle. enfants, ainsi que les dix autres lauréats, reioignent ainsi Ia Une seconde veine s'inscrit plutôt dans une tradition que l'on
le monde, cherche aussi à habiter le monde par l'écriture, tentant parfois, par
b) L'écriture poétique, « l5ne » accordée à l'expression des sentiments. les mots, d'en alléger les maux. Les poètes ont su dépasser cette stérile dicho- liste maintenant conséquente des auteurs qui auront vu, pour peut qualifier d'épique, où Ie poème exprime des aspirations
Lécriture poétique est comme une lyre pour l'épanchement du moi. Les tomie impliquée par le suiet : beaucoup ont su donner à leur sensibilité une quelques mois, leurs poèmes affichés dans le métro parisien. collectives dans une situation de grande adversité, telle que la
contraintes métriques et formelles sont le moyen de dire avec intensité des dimension universelle ; beaucoup ont su mêler leur voix intérieure à la réa- Le premier concours date de 1997, instauré dans la continuité guerre ou Ia révolution. Les attentats de zor5 ont semble-t-il
sentiments parfois diffi cilement exprimables. lité du monde. Beaucoup, enfln, ont tenté de masquer la force émotionnelle
II. La poésie, lieu d'exploration du réel de leur « ie » par le « ieu », tant il est vrai que la poésie doit donner à entendre
d'une autre action culturelle de la RATP également liée à Ia favorisé cette expression pour cette édition. Un des lauréats
a) La poésie comme miroir du réel une conscience : conscience d'une âme ou conscience du monde. poésie, celle de l'afflchage de poèmes dans le métro, qui com- évoque ainsi Paris : << Sa dame de fer pétille et danse/ Sa robe
Certains poètes s'attachent davantage à « réfléchir » ie monde (à la fois à le
mence en 1993. Le succès de I'initiative auprès des voyageurs de pierre joue l'indécence/ Son cæ.ur titi est immense/ Paname
refléter et à le penser). Dans Le Parti pris des choses, Ponge porte un regard Ce qu'il ne faut pas faire pénard, panards géants,/ Inébranlable, Paris vaillanf. » On
nouveau sur les obiets de notre environnement quotidien, tels que « le pain », est immédiat. Les usagers demandent bientôt quel est I'auteur
Restreindre la notion de lyrisme à l'expression du sentiment amou-
« le cageot », etc. Claude Roy, dansla France de profl, tente de saisir le monde
reux. d'un poème aperçu dans une rame, pourquoi ne pas afflcher tel retrouve ici une fonction maieure du verbe poétique : celle de
sous des angles nouveaux dans des textes accompagnés de photographies faire communier les hommes dans une expérience du langage
autre... et, bientôt, s'il ne serait pas possible de soumettre leurs
(« La fenêtre fermée n'en réfléchit pas moins/ Le monde qu'elle tient à l'écart
d'elle-même »).
propres poèmes pour les voir placardés dans Ie métro. L idée aux heures les plus graves. Cette flgure du « poète prophète »
Transition; Mais quand ce monde transpire l'injustice ou la violence, cette d'organiser un concours fait son chemin : « On est un service fut celle de Lamartine et Hugo dans le sillage des révolutions
voix peut aussi devenir cri de révolte et parole engagée. Dissertation public, c'est important de répondre aux aspirations de nos de r83o et 1848. Ce fut aussi, plus tard, celle des poètes dits
b) La poésie comme arme de combat -Est-il iuste de dire que la poésie permet d'échapper aux espaces
usagers », explique Michel Garret, responsable des partenariats de Ia Résistance - Aragon, Eluard, Prévert... -, très connus
Le genre poétique peut être une arme de combat, une écriture de l'engage- qui emprisonnent ? (Sujet national, zoro, séries ES, S)
ment. Ex. Les Tragiques dAgrippa dAubigné contre le fanatisme religieux ; Ia
:
et animations à la RATP. La poésie, un genre « à lafois élitiste du grand public aujourd'hui, encore marqué par Ies vers de
et populaîre », mérite que les institutions fassent à son égard Liberté, d'Eluard.
RE PÈ RES CITATIONS un travail de passeur : Ia faire connaître et vivre auprès d'un Il y a enfln les poèmes dont l'objet principal est le ieu avec le
. « Ah ! frappe-toi
.,t public le plus large possible. Les actions culturelles de la RATP langage. Le ieu de mots qui prête à sourire, le calembour, les
Quelques æuvres essentielle s.
. Les Trophées (t893), losé Maria le cæur, c'est là
. De I'angélus de l'aube à I'angélus de Heredia : galerie de tableaux quèst le génie ! » (Alfred de Musset) s'inscrivent à cet égard dans Ia plus pure tradition de l'éduca- télescopages sémantiques incongrus, otr l'on entend Raymond
du soi (t89fl, Francis Jammes : le parnassienne.
. « Entrez en vous-même / Sondez tion populaire telle qu'elle s'est déployée dans Ies années r95o, Queneau et l'Oulipo, sont bien représentés, notamment par Ie
. Les Tragiques (r6r6-r63o), Agrippa les profondeurs ou votre vie prend
monde de la campagne resti- et qui s'appuie sur deux piliers également importants : donner poème couronné du Grand Prix adultes.
dAubigné : poète humaniste, pro-
tué en vers libres par un « poète sa source. » (Rainer Maria Rilke,
testant engagé, dénonce les hor- paysan ».
. Méditations poétiques (tBzo),
Les Lettre à un jeune poète, rgzg.) accès aux æuvres de référence d'une part, et encourager la Les influences qui nourrissent les poètes amateurs frappent
reurs de la guerre civile. . Le parti-pris des choses (tg4zl, Alphonse de Lamartine : premier . « La poésie est un moyen de pratique des amateurs d'autre part. par leur caractère classique et consensuel. A ce titre, Ieurs
. Les Chatiments, (1853), Victor grand recueil lyrique romantique. connaissance, un moyen d'ap-
Hugo : poésie de combat contre
Francis Ponge : l'oblet devient . Les Regrets (rjj8l, Joachim Du prenQre le monde. » (Eugène Quel panorama de la poésie dite amateur se dégage à l'issue poèmes sont de puissants révélateurs de ce qu'est la poésie
« obieu », le poète disparaît de-
Napoléon III. Bellay :
recueil de sonnets ex- Guillevic) de ce concours ? De quoi parle cette poésie, à quoi ressemble- pour le grand public aujourd'hui : trn moyen d'expression de
vant la plénitude des choses.
. Poésie et vérité (1942), Paul primant la déception devant les . « la poésie dévoile [...] les choses t-elle ? Seul Christophe Morelière, qui a reçu le Grand Prix l'intime,qu'ilsoitindividueloucollectif,unvecteurd'effusion
Éluard , grand recueil de poesie mceurs romaines et la nostalgie surprenantes qui nous envi- adultes pour « L'homme était animal/ Et puis, coup de théâtre,/ du sentiment à travers le respect de contraintes formelles telles
de la Résistance pendant l'occupa- , Emaux et camées (1852), Théo- du pays natal. ronnent et que nos sens enregis-
tion (tg+z), s'ouvrant sur « Liber- phile Gautier : adepte de « lArt traient machinalement. » (lean Lezoodevintscènel »,s'estexplicitementsituédanslaconti- que Ia rime, ou encore une approche ludique et décalée du
té » (« ...f 'écris ton nom »). pour lArt ». Cocteau) nuité d'un << maître en poésie », |ean LAnselme (r9r9-zon), Iangage. On est bien loin des débats esthétiques qui ont tra-
A'7
S6 Écrlturepoétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours +t
LES ARTTcLES DU Ï]ùomûe LES ARTICLES DU ÏIONûE
versé Ia création poétique depuis la fin du XIX'siècle et qui ont voire Ie nourrissent. Le réseau social Instagram a vu fleurir
profondément remis en question ces approches. Et en premier Ies photos avec un Post-it jaune oîr est griffonné un poème, l'ûi"lFli,.;'iir,:l ( TIT ,tllï](li i, : compris, il s'agit de les en punir. L anarchiste Prévert ajoute
son grain de sel sadique. Il dit : « Y en a qui tuent / d'autres qui
Iieu Ia rupture que }es poètes de la modernité - Baudelaire, donnant son nom aux « Instapoètes ». Twitter est également
|acques Prévert (tgoo-t977\ est sans conteste le poète qui, pour le
Mallarmé et Rimbaud - ont consommée avec le romantisme. un espace de circulation intense des vers. sont tués / il faut bien que tout le monde vive. » Et il se répond
grand public, incarne la poésie du xx" siècle. Paru à l'occasion de sa
disparition, en 1977, cet article permet au candidat au bac de français avec la même désinvolture : « |e viens de tuer quelqu'un / il
Cette relative imperméabilité des amateurs aux propositions Le New York Times a consacré, en novembre 2015, un article
de connaître l'essentiel de I'esprit Prévert. Il retrace son parcours faut bien que tout le monde meure. » Le principal c'est que
esthétiques des XIX" et XX" siècles nourrit régulièrement les à ces « poètes du Web » qui, outre-Atlantique, redonnent un
artistique, de son appartenance initiale au mouvement surréaliste bardé de vulgarités et de sarcasmes, Prévert reste libre, donc
jugements critiques, pour ne pas dire acerbes, de Ia part des second souffle, non seulement à Ia pratique mais également à à son « existentialisme populiste », révélé dans le recueil Paroles
poètes consacrés. Dans Caisse à outils. Un panorama de la poé- Ialecture de poésie. Certes, l'absence de technique se manifeste (1945), cas unique de recueil poétique devenu un vrai best-sel- inannexable. « Notre Père qui êtes aux cieux », hurle-t-il,
Ier. Larticle dAlain Bosquet analyse finement l'esprit frondeur du « restez-y. » À une époque où la poésie française se veut de
siefrançaise aujourd'hui (Pocket, zon), fean-Michel Espitallier dans Ie « parfum brut de leurs vers », qui paraissent souvent
poète, rétif à toutes les idéologies. II propose des exemples de ses colère, de rachat ou de civisme. Prévert déchire le tricolore
consacre un chapitre à « l'artisanaf » en matière de poésie, où « arrachés aux pages d'un journal intime ». Mais certains ont jongleries verbales, qui - avec un humour souvent grinçant - bou-
il évoque « un esthétisme sc.ns invention, la réutilisation sans été repérés par des maisons d'édition et ont connu de beaux leversent les codes du langage poétique par un foisonnement de - son beau poème contre une rue rebaptisée Guynemer, par
recyclage de propositions antérieures [qui] ne produit que du succès éditoriaux. C'est Ie cas de Tyler Knott Gregson, dont formes incluant le sketch, le tract et la chanson. Ce style unique exemple - non point parce qu'il est moins patriote à ses heures
cliché, et épuise la langue àforce de la gonfler ». Il s'agit moins le premier recueil, Chasers of the Light (« A la poursuite de
fait de Prévert la figure tutélaire de l'expression contestataire. qu'un autre, mais parce qu'il se réserve le droit de trouver
d'une défense élitiste d'un certain savoir-faire que de la volonté Ia lumière », non traduit), a atteint les tzo ooo exemplaires toute société abusive, sans pour autant vouloir la remplacer
d'affirmer que la poésie, comme toute démarche artistique, ne vendus, une performance exceptionnelle. Camus. Et, au lieu de consigner ses recherches en un langage par une autre forme d'organisation sociale.
Iittéraire, châtié, intellectuel, il descend dans la rue comme Le ton est définitif, et le tour d'esprit ne changera plus. Prévert
saurait se limiter à une expression. EIIe nécessite un travail Aux Etats-Unis comme en France, Ies poètes amateurs sont
pour accéder au rang de création : son matériau, Ie langage, encore loin de bousculer le paysage éditorial et littéraire. Mais aucun poète n'a osé le faire depuis François Coppée et |ehan reste égal à lui-même, c'est-à-dire qu'il ne s'écartera pas du
paraît pouvoir être manié par tout un chacun, sans travail, ils témoignent d'un désir de poésie qui n'a sans doute pas été Rictus. II cueille à même le trottoir les soupirs de Margot, les chemin marqué par Paroles. Sa verve et ses discours ont les
sans apprentissage. Il n'en est rien. aussi vivace depuis longtemps. Et, ce faisant, ils travaillent à eortrepèteries, tes tieur cor«<nurrs, tes rouspétances sans mêmes bonheurs dans Hisfoires, en 1946 et Spectacle en 1951,
Dans L'Art poétique (Gallimard, 1958), Roger Caillois (t9r3- son avenir et au renouvellement de ses modes d'existence et queue ni tête. C'est qu'il est, dans la vie, ennemi de tout tandis que Ia Pluie et le Beau Temps, en 1955, fait la part plus
1978) - qui n'avait pas de mots assez durs envers Ia poésie de diffusion. Or quoi de plus important pour un genre, quel aristocratisme, et que son parler, il l'emprunte aussi bien grande à des dialogues qui peuvent se jouer. Parfois, Ie poème
amateur - déclarait : « La poésie est à Iafois l'art du vers et I'art qu'il soit, que la vitalité de sa pratique ? a des résonances tragiques d'une incontestable ampleur.
aux bistrots qu'aux studios ou il fait tourner. Les surréalistes
de I'image. EIIe peut être l'un ou I'autre, ou les deux en même Parfois, parmi trop d'évidences crispantes, apparaît un certain
sont des poètes de la révolution et de l'espoir, à condition de
temps. Par le vers, elle tente d'être inaltérable, par I'image d'être Anne Dujin, Le Monde daté du ot.o7.zot6 mobiliser le subconscient. Prévert n'a pas cette ambition mystère comme si tout à coup Prévert se rappelait les vertus
ll :

inépuisable. Quand les deux vertus coincident, Ia très grande poétiques de lbccultation : « La vie est une cerise / La mort
d'avance il châtie, se moque, tourne en dérision, grince, ricane,
poésie est atteinte. » Les poètes amateurs privilégient la pente P(}ur{QuCIt cIrT A}iTICI",E ? est un noyau / L amour un cerisier. »
refuse de rien prouver et ne promet rien.
de l'inépuisable, celle de la puissance de l'image. IIs sont, c'est
ii Délaissé des intellectuels, ce persifleur apparaît aujourd'hui
Le candidat au bac de français trouvera dans cet article un témoi- Cet existentialisme populiste connaît la célébrité en 1945,
certain, moins sensibles à Ia question de l'inaltérable, que seul comme un ancêtre de la poésie et de la contestation perpé-
gnage sur la vitalité de la pratique poétique dans la société actuelle. avec la publication de Paroles, le best-seller de la poésie au
permet d'atteindre Ie travail exigeant de la langue. Comme chaque année, la RATP a organisé, en zot6, son Grand Prix tuelle. Bien plus que la génération beatnik américaine, il a
vingtième siècle, au même titre que Toi et moi, de Paul Géraldy,
Reste que Ia pratique de I'écriture poétique est incontes- poésie et reçu plus de 8 ooo poèmes. La remise des prix est lbcca- exercé sur les poètes de mai 1968 une influence capitale, qu'ils
sion de dessiner un panorama de la poésie « amateur ». Anne Duiin la bible des midinettes. Ce succès n'était peut-être pas de bon
tablement vivante, et que la diversité des poètes amateurs répugnent d'ailleurs à reconnaître, étant ennemis de toute
y discerne trois registres dominants : le lyrique des éternels ro- aloi. En tout cas, les foules y découvraient un langage direct,
mériterait d'être beaucoup mieux cernée, entre des « poètes mantiques, l'épique dans la lignée des poètes de la Résistance, le historicité. Ce qu'il y a de spontané, de négligeant mais de
voire brutal, et une manière on ne peut plus tonique de tuer
du dimanche » qui s'adonnent occasionnellement à I'écriture ludique inspiré des exemples de Queneau. Il est certes facile d'op- puissant, dans notre lyrisme, doit son insolence à cet homme
poser à cette « production », qui reste soumise à une esthétique an- Ie sentimentalisme tout en ayant l'air de Ie défendre. L Europe
et des auteurs qui s'y consacrent de longue date, participent à sans idéal apparent et sans préiugés, dont le seul dessein avoué
cienne et marquée par la contrainte de Ia rime, la grande « poésie » de Ia victoire sans illusions trouve chez Prévert de quoi se
des ateliers d'écriture et cherchent activement à être publiés. a été de déranger un peu tout Ie monde, Ie bourgeois comme
des vrais auteurs. Il reste que la poésie des amateurs, stimulée par justifler et de quoi se fustiger. Prosaïsme, art du sketch plutôt
Car, outre les concours tels que celui qu'organise Ia RATP, de la facilité de la publication numérique sur les réseaux sociaux, est Ie prolétaire.
un signe encourageant de l'intérêt du grand public pour un genre que poème, tract plein de pieds de nez, chanson facile à boire
nouveaux vecteurs numériques de diffusion de la poésie ama-
devenu marginal dans l'édition. et à vomir : c'est tout cela qui émeut les milliers de lecteurs LE GARDIEN DE PHARE AIMETROP LES OISEAUX
teur apparaissent et accroissent la visibilité du phénomène,
chez cet homme libre, qui a des tendresses révulsées et des Des oiseaux par milliers volent vers les feux
naiVetés intactes sous les invectives. par milliers ils tombent, par milliers ils se cognent
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine. par milliers aveuglés, par milliers assommés
I Disait le père d'une voix courroucée par milliers ils meurent
À sonfils Prosper, sous l'armoire allongé, Le gardien ne peut supporter des choses pareilles

Un rouspéteur de génie A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine. les oiseaux il les aime trop
alors il dit : Tant pis je m'enfous !
Tu ne veux pas aller,
pourquoi donc ?
Et Et il éteint tout
Bien qu'il fasse partie du mouvement surréaliste, facques de description d'un dîner de têtes à Paris-France, paru dans pourquoi donc que j'irais pêcher une bête
Et Au loin un cargofait naufrage
Prévert y joue à ses débuts un rôle mineur et un peu gêné. II Commercel'année suivante, qui attire l'attention- Ie montrent un cargo venant des îIes
Qui ne m'a rienfait, papa,
n'est nullement un inconditionnel de l'écriture automatique, déjà soucieux d'une attitude sociale etasociale qui, à l'époque, Va la pêpê, va la pêcher toi-même, un cargo chargé d'oiseaux
et Ie royaume des rêves l'attire distraitement. Il ne va ni dans n'est pas celle des surréalistes. Descendant du dadaïsme, Puisque ça te plaît.. des milliers d'oiseaux des îles
Ia direction de Breton ni dans celle d'Eluard ou dAragon. Ce il tient
à souligner combien le comportement de l'homme La recette de Prévert n'est pas toujours si simple. Une fois Ia des milliers d'oiseaux noyés.
sont plutôt les jongleries de Robert Desnos qui I'attirent. Ses occidental est sot, ridicule, sans excuse. rengaine bien huilée, il faut la faire dérailler. Ce qui n'était
premiers textes - on en trouve dès r93o, mais c'est Tentative D'une certaine manière, il découvre I'absurde avant Sartre et Alain Bosquet, Le Monde daté du B.o4.tg77
que romance se termine en blague hénaurme. Ceux qui ont

Écriture poétique et quête du sens. du Moyen Age a nos iours .tfÿ


L'ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS

I tt :-l fo rmes poétiq ues D'autre part, le rythme est également donné par la correspondance,
ou la discordance, entre le vers et la syntaxe (la phrase). En effet, un
vers ne correspond pas forcément à une phrase. Lorsque la phrase se
Le vers s'oppose,par définition, à la prose. On s'en sert lorsque le langage quotidien poursuit, il y a alors des phénomènes d'enjambement et de rejet.
n'est pas suffisant pour s'exprimer, notamment dans un contexte religieux, mais aussi
pour évoquer tout ce qui ne relève pas de la conversation ordinaire. On trouve ainsi, de
Les différents décomptes et les règles permettent d'établir des types
lAntiquité au xvrrr' siècle, des traités de physique ou de philosophie écrits en vers. La de poèmes, appelés poèmes à forme fixe.
poésie, étant elle aussi, un discours « autre », a souvent recours au vers. llfaut donc Quelques poèmes à forme fixe :

savoir en reconnaître les spécificités. -le rondeau se compose de trois strophes (un quintil, un tercet, un
quintil) et chaque strophe est formée sur deux rimes seulement ;

- la ballade comporte trois strophes d'un même nombre de vers, fon-


-une rime est pauvre si elle ne comporte qu'un son en commun :

dées sur les mêmes rimes, plus un « envoi », strophe plus courte (la plus
La versiflcation francaise est héritée de la versification latine, mais, beau/ château (son [o]).
fréquente est formée de trois huitains d'octosyllabes et d'un quatrain) ;
en français, le décompte (la base de la versification) prend la syllabe Plusieurs dispositions possibles :

. le sonnet est la forme qui a connu le plus de succès à partir de la


pour unité. - les rimes plates ou suivies se succèdent selon le schéma aabb ;
Renaissance. Il se compose de deux quatrains (en rimes embrassées)
I1 existe différents types de vers. Les plus courants sont « pairs », - les rimes croisées sont alternées et suivent le schéma abab ;
et de deux tercets fondés sur deux autres rimes. Le schéma des rimes
c'est-à-dire qu'ils sont formés d'un nombre pair de syllabes (six - pour les rimes embrassées, les rimes externes encadrent les rimes
internes selon le schéma abba. du sonnet est le suivant : abba abba ccd ede ;
syllabes = hexasyllabe ; huit = octosyllabe ; dix = décasyllabe; douze L'lnspiration du poète, Nicolas Poussin, vers 1629-1630. . le pantoum, apparu au xrx" siècle, est une forme fondée sur l'entre-
alexandrin). Toutefois, certains poètes, comme Verlaine, emploient I1 arrive que la rime soit remplacée par une assonance, c'est-à-dire la
=
similitude d'une voyelle d'un vers à l'autre, mais avec une différence croisement ; les rimes se croisent, le z" et le 4" vers de chaque strophe
des vers impairs (cinq syllabes = pentasyllabe ; sept = heptasyllabe). souvent en deux hémistiches (moitié de vers), autour d'une césure
de consonne : dans le couplefarine/ pastille, on a ainsi une assonance
deviennent les 1"'et 3" vers de Ia strophe suivante, Ie 1"'vers du poème
Pour compter correctement les syllabes (scansion), il faut tenir (milieu du vers). Par exemple, le vers suivant : « Tout m'afflige et me
est aussi le dernier. Le plus célèbre pantoum français est « Harmonie
compte de la règle dite des e muets : en i. Lassonance était pratiquée au Moyen Âge, et certains poètes il:jt // et conspire à me nuire » est composé de deux hémistiches, de
modernes l'emploient de nouveau. Exemple d'un vers comprenant du soir » de Baudelaire.
- on compte le e lorsqu'il est placé devant une consonne ; six syllabes chacun.
une assonance en ou et une assonance en a : « Lélixir de ta bouche La césure est alors une pause, un repos de la voix (qui peut corres-
- on ne le compte pas lorsqu'il est placé devant une voyelle, ou bien
lorsqu'il est en fln de vers. où l'amour se pavane » (Baudelaire ; « Sed non satiata », Les Fleurs pondre à une reprise du souffle, mais n'est pas nécessairement placée
La versiflcation est ainsi un ensemble de règles permettant de donner
Exemple : « Demain, dès l'aube, à l'heure otr blanchit la campagne »
du Mal,1857.\. à la fln d'un mot). Cette césure centrale donne donc un 4rthme binaire
un rythme, un cadre, au poème. Toutefois, les poètes ont touiours
(Victor Hugo). L'allitération, c'est-à-dire la répétition d'un son donné par des à I'alexandrin.
oscillé entre l'observation de ces règles et leur mise à distance : la
Dans ce vers, Ies trois e sont muets : Ies deux premiers sont suivis consonnes, contribue également à la musicalité du vers et aux jeux Toutefois, certains poètes ne marquent pas la césure, et préfèrent
poésie est un art vivant, qui ne peut se résumer à I'observation de
d'une voyelle, le troisième est situé en fln de vers. sur les sonorités. donner un rythme ternaire au vers. « Touiours aimer, toujours « recettes ». Les Romantiques, en particulier, mais aussi les poètes
En français, les vers s'associent entre eux, selon une récurrence de Exemple d'allitération enlf : « Un frais parfum sortait des touffes souffrir, touiours mourir » (Corneille) est également un alexandrin,
contemporains, exploitent ainsi de nombreuses directions, abandon-
sons dont la rime est la principale représentante. On peut classer les d'asphodèles » (Victor Hugo, « Booz endormi »,LaLégende des siècles, mais la césure, tombant sur le second « touiours », n'est pas marquée
nant parfois même la notion de vers, c'est le cas, par exemple, des
rimes suivant leur richesse :
r859-r883). par la voix. Les virgules et la répétition de l'adverbe imposent de dire
Petits Poèmes en prose, de Baudelaire.
Un vers correspond à une certaine dictlon. La manière dont les mots l'alexandrin en trois mesures de quatre syllabes chacune. Le vers est
- une rime est dite riche lorsque trois sons, au moins, sont en commun
entre les deux vers : sombre/ ombre (son [5] + son [b]+ son [n], le e
et syllabes s'enchaînent, dans le cadre du vers, donne le rythme du alors appelé « trimètre » ; « Toujours aimer, / touiours // souffrir, /
final étant muet) ; vers et donc celui de la poésie. toujours mourir ».
orage/ Les vers longs, (décasyllabes et alexandrins), se partagent le plus
- une rime est suffisante lorsque deux sons sont en comm:un: . Apollinaire, Ie guerrier amoureux
ravage (son [a] + son [5], le e flnal étant touiours muet) ; (Patrick Kéchichian, Le Monde daté du z9.o7.zoo5)
. Eugène Guillevic, une vie en poésie
zooM suR... .L
(Alain Salles, Ie Monde daté du 22.o31997)
MOTS CLÉS
Un exemple de versification Hugo fait correspondre versifica-

MOTS CLÉS
complexe.
« Murs, ville/ Et port,/ Asile/ De
tion et signification : le mètre uti-
lisé augmente d'une syllabe au fur
ENJAI\{BËMEr{:r
On appelle eniambement le fait
Sa position le met en valeur.
Le contre-rejet est le phénomène
zooM suR...
mort,/ Mer grise/ Où brise/ La et à mesure qu'est évoquée l'ap- inverse : un élément bref apparaît
proche des diinns (esprits mal- que la phrase déborde le vers distique est une strophe de deux
nérèse ; soit il désire une pronon- brise/ Tout dort. (sans insistance sur un élément). en fln de vers, alors qu'il est lié par La strophe
Dans la plaine/ Naît un bruit./ faisants) dans un crescendo oir le vers ; un tercet, de trois vers ;
Elles influent sur le comptage des ciation en deux syllabes, nommée le sens au vers suivant. Ensemble de vers séparé par un
C'est l'haleine/ De la nuit./ Elle bruit est de plus en plus effrayant. RE JEÏ' [T CONTITE"RE un quatrain, de quatre vers ; un
syllabes. Elles concernent l'âsso- diérèse. JE « Voilà le souvenir enivrant qui blanc constituant une unité poé-
brame/ Comme une âme/ Qu'une Ainsi, la première strophe est en I1y a un rejet lorsqu'un élément quintil, de cinq vers ; un dizain,
ciation de deux voyelles, dont la Exemple : « Vous êtes mon lion voltige/ Dans l'air troublé ; les tique, à la façon d'un paragraphe
flamme/ Touiours suit. dissyllabes, la deuxième en trisyl- bref, lié du point de vue du sens de dix vers. On ne trouve que
première est un i, u ou ou. Dans superbe et généreux » (Victor yeux se ferment ; le Vertige/ Sai- dans un texte de prose. Le mot
Hugo) La voix plus haute/ Semble un labes, puis le mètre passe au qua- à un vers, est reieté au début du sit l'âme vaincue... » (Baudelaire, appartient, à l'origine, à la poésie rarement des septains ou des
le langage courant, on prononce grelot./ D'un nain qui saute/ C'est drisyllabe et continue à s'ampli- vers suivant. negvains.
ces associations en une seule syl- On n'obtient les douze syllabes ibid.) lyrique : elle forme en effet une
le galop./ Il fuit, s'élance,/ Puis en fier lusqu'à un décasyllabe dans « Il est de forts parfums pour qui
Dans cet extrait, la partie en ita- cellule rythmique reproduite à Une strophe est isométrique
labe (synérèse) : nuit en une syl- de cet alexandrin que si l'on pro-
cadence/ Sur un pied danse/ Au la strophe centrale. Puis vient le toute matière/ Est poreuse. On di- l'identique au fil du poème et quand elle est constituée de vers
nonce li/on en deux syllabes lique est cette fois en position de
labe, union en deux syllabes, etc. bout d'un flot. [...] » decrescendo : le mètre diminue rait qu'ils pénètrent le verre » ayant tous le même mètre. Dans
(diérèse). contre-reiet : elle occupe la fin du peut, s'apparenter au couplet ou
En versiflcation, le poète a le (« Les Diinns », Les Orientales, de dans un mouvement inverse et (Baudelaire, « le Flacon », Ies le cas contraire, (fréquent dans
vers z, alors qu'elle est liée par le au refrain ou d'une chanson.
choix : soit il adopte le mode Victor Hugo, t829.) symétrique au précédent, symbo- Fleurs du Mal, t857.) les I'ables de La Fontaine) elle est
sens au vers 3. Il y a autant de types de strophe
courant, effectuant âinsi une sy- Nombre de syllabes d'un vers. lisant la menace qui s'éloigne. Lélément en italique est un reiet. que de formes poétiques. Un dite hétérométrique.

§O Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen Agt Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours §1
UN SUJET PAS A PAS UN SUIET PAS A PAS

Questions liminaires
EIle est partie, elle I Elle est bien partie. Elle ne revient pas attachement des poètes à une structure strophique
Est ainsi révélé un
: Est-ce qu'elle reviendra ? fe ne crois pas fe ne crois pas qu'elle revienne classique. Même si celle-ci est bousculée, elle demeure ici une base
Toi, tu es là Est-ce que tu es là ? Quelquefois tu n'es pas là. d'écriture.
Hugo, Éluard, Cadou et Tardieu Ils s'en vont, eux. Ils vont ils viennent
Ils partent ils ne partent pas ils reviennent ils ne reviennent plus
Les quatre poèmes du présent corpus s'inscrivent dans un registre Iy-
rique. Les textes 1, 3 et 4 mettent ce lyrisme au service d'une expression
Si le partais, est-ce qu'ils reviendraient ? personnelle des sentiments. Dans l'extrait des Contemplations, le poète
Au nom des femmes déportées Si ie restais, est-ce qu'ils partiraient ? exprime f intensité de sa souffrance au moyen d'exclamations et d'in-
Au nom de tous nos camarades Si je pars, est-ce que tu pars ? terjections qui ressemblent à des cris de souffrance (« Non ! » ; « oh ! »)
Texte r
Dans la seconde partie du recueil Les Contemplations, Victor Hugo Martyrisés et massacrés Est-ce que nous allons partir ? et d'interrogations dans lesquelles il apostrophe ceux qui ont pu
Pour n'avoir pas accepté I'ombre Est-ce que nous allons rester ? connaître la douleur du deuil d'un enfant : « Pères, mères [...] / Tout ce
évoque sa douleur de père après la mort de safille.
II nous faut drainer la colère Est-ce que nous allons partir ? que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ? ». Le poète a également recours
Oh ! ie fus comme fou dans le premier moment,
Et faire se lever Ie fer (lean Tardieu, « Formeries », L'accent grave et l'accent aigu, t976.) au discours direct, et rend ainsi sensible au lecteur une souffrance qui
Hélas ! et le pleurai trois iours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pour préserver l'image haute conflne à la folie : « Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé ! » Le
Des innocents partout traqués poème de René-Guy Cadou (texte z) évoque une rencontre et la nais-
Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,
Et qui partout vont triompher. sance du sentiment amoureux à travers un ieu complexe d'analogies,
Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ? Quelles remarques pouvez-vous faire sur la forme poétique de chacun
(laul Éluard, « Au rendez-vous allemand », Sept poèmes d'amour en mêlant comparaisons (« Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires »),
fe voulais me briser Ie front sur le pavé ; de ces poèmes ? Quelles fonctions les poètes attribuent-ils à la poésie
guerre, 1943.) allégories (« cette solitude / qui posait ses mains de feuilles »), méta-
Puis je me révoltais, et, par moments, terrible, dans chacun des textes du corpus ? Vous iustiflerez votre réponse en
phores (« pas brûlant ») et personniflcations (« ces millions d'astres qui
Je flxais mes regards sur cette chose horrible, vous fondant sur les procédés d'écriture qui vous semblent les plus
Et ie n'y croyais pas, et ie m'écriais : Non
Texte 3 se levaient »). On observe également un abondant lexique de la nature,
! remarquables.
Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires notamment celui du mondevégétal : « blé » ; « herbe » ; « feuille »,
- Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom Dans les années de sécheresse quand le blé associé au motif de l'eau (u pluie » ; « vin ») ou à f idée de son absence
Qui font que dans le cceur le désespoir se lève ?
II me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve, Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe (u sécheresse » ; « sèche » ; « brûlant »). Le poème de Tardieu exprime,
Qui écoute apeurée la grande voix du temps Les questions portent sur les formes poétiques et les fonctions du au moyen de tournures grammaticales et verbales, le lien amoureux
Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,
Je t'attendais et tous les quais toutes les routes poète, qu'il faut identifier de manière précise. La référence aux pro- autour du thème de la rupture (« je partirai ») et de l'absence (« 1u n'sg
Que ie l'entendais rire en Ia chambre à côté,
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait cédés d'écriture implique de les nommer précisément. pas là »). Derrière la fantaisie verbale - le poète s'amuse à décliner
Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,
Vers toi que ie portais déjà sur mes épaules des verbes et à jouer avec diverses tournures de phrases -, le poète
Et que i'allais la voir entrer par cette porte !
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais interroge (« interrogations ») les rapports amoureux, les diverses
Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !
Tu ne remuais encore que par quelques paupières formes de « conjugaisons » entre les hommes, notamment entre lui
Tenez I voici le bruit de sa main sur la clé ! Les différents poèmes de ce corpus, composés entre Ie xrx" et le
Attendez ! elle vient ! Iaissez-moi, que l'écoute ! Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées xx" siècles, présentent des formes poétiques variées. Le poème extrait et l'être aimé. Pour cela, il construit son poème sur un système de
Car elle est quelque part dans la maison sans doute ! ]e ne voyais en toi que cette solitude des Contemplatfons de Victor Hugo renvoie à la forme classique de répétitions et de variations légères (« Toi tu es là Est-ce que tu es là ?
Jersey, 4 septembre r852. Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou l'écriture versifiée, avec deux strophes de longueur inégale (seize vers Quelquefois tu n'es pas là. »). Dans la dernière strophe, l'anaphore
(Victor Hugo, Ies Contemplations, Iÿ r856.) Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie de Ia tournure interroga tive « Est-ce que [...] ? » trahit, au-delà du jeu
et un quatrain) constituées d'alexandrins disposés en rimes plates.
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait verbal, l'angoisse obsessionnelle du poète. Dans son poème (texte 4),
Dans le texte 2, Paul Éluard adopte une structure classlque avec cinq
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays Éluard attribue une fonction différente à la poésie : le lyrisme est bien
Texte z quatrains, et des vers octosyllabiques. Cependant, la rime est quasi-
Ces astres ces millions d'astres qui se levaient présent, mais il est mis au service d'un engagement politique clair et
Au nom du front parfait profond ment absente : on ne trouve qu'une rime suffisante (« colère »/ « fer »)
Au nom des yeux que je regarde Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres d'un appel à la résistance contre lbppresseur. Pour cela, il a recours
et une rime pauvre (« traqués »/ « triomphés »). René-Guy Cadou (texte
Et de la bouche que j'embrasse
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau à l'anaphore « Au nom de » et au lexique de l'émotion : « larmes » ;
3) utilise, lui aussi, une forme poétique traditionnelle : son poème
Pour auiourd'hui et pour tou- Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères est constitué de cinq quatrains, et les vers sont des alexandrins. Là « plaintes » ; « rires » ; « peur ». La femme aimée est également évoquée

jours Otr nous allions tous deux enlacés par les rues.
non plus, les vers ne sont pas rimés, si l'on excepte deux couples de sous laforme d'unblason :« front »;« yeux, ;u bouche ». Lidée de

t
(René-Guy Cadou, « Quatre poèmes d'amour à Hélène >», (Euvres révolte est, quant à elle, exprimée par la métonymie « se lever le fer ».
Au nom de l'amour enterré rimes pauvres. La forme du poème de fean Tardieu (texte 4) est la plus
poétiques complète s, r97 6.) On peut donc voir que Ie lyrisme poétique, dans sa variété, permet
Au nom des larmes dans le noir éloignée de Ia structure classique : un tercet et un sizain encadrent
Au nom des plaintes qui font rire trois strophes déstructurées, dans lesquelles on peut reconnaître la d'exprimer des sentiments personnels, mais qu'il peut également
Texte 4 devenir parole d'engagement dans le réel.
Au nom des rires qui font peur base de deux tercets et d'un distique. Sur le plan métrique, Tardieu
Conjugaisons et interrogations
Au nom des rires dans la rue s'applique également à mêler tradition et modernité : la première
[7 r§ De la douceur qui lie nos mains |'irai je n'irai pas ie n'irai pas
reviendrai Est-ce que je reviendrai ?
strophe est constituée de décasyllabes rythmés 2/ l4//4 et 4//6, puis
I Au nom des fruits couvrant les
fleurs
)e
)e reviendrai |e ne reviendrai pas
les suivantes sont en vers libres ; enfln, dans la dernière strophe, on
revient à des mètres identiflables (décasyllabes et heptasyllabes). Les
Ce qu'il ne faut pas faire
Présenter un relevé des procédés d'écriture sans les relier au sens du
Pourtant ie partirai (serais-le déjà parti ?)
Sur une terre belle et bonne rimes, quant à elles, sont absentes, mais le poète joue sur des effets de texte et à l'intention de 1'auteur qui les utilise.
Érato, muse de la poésie Au nom des hommes en prison
Parti reviendrai-je ?
répétitions et dbppositions (« ie n'irai pas »/ « Je ne reviendrai pas »).
lyrique et érotique. Et si ie partais ? Et si je ne partais pas ? Et si ie ne revenais pas ?

,
MOTS CLES MOTS CLÉS
ANAPHORE cher, dans le même énoncé, deux la rose/ Tétin plus beau que mille « une lame » pour dire « une
Quelque s pro cé dé s d' é cr itur e. avoir le sens plus vague de « res- sans que leur comparé soit exprimé. pensées, deux expressions, deux choses... » (Clément Marot, « Le épée »). La synecdoque est une va-
Une anaphore est un procédé qui
semblance » entre ces deux réalités. Il s'agit d'une flgure qui consiste Lorsque le comparé et Ie compa- mots opposés pour mettre en va- Blason du beau tétin », r535.) riété de métonymie qui élargit ou
consiste à commencer les divers
à désigner un obiet ou une idée rant sont présents dans Ia phrase, leur un contraste fort. restreint le sens d'un mot.
Figuration d'une abstraction membres d'une phrase par le
(exemples : l'amour, la mort) par Une comparaison rapproche deux
par un mot qui convient pour on parle de métaphore in praesen-
même mot. « Rome, l'unique ob- Elle consiste à désigner un obiet
un autre objet ou une autre idée fia ; quand seul le comparant est Le blason, très répandu ou une idée par un autre terme
une image, un tableau, souvent idées ou deux obiets (ou un obiet iet de mon ressentiment !/ Rome, au
Le registre lyrique est I'expression
liés aux précédents par analogie. présent dans la phrase, on parle est un poème à rimes que celui qui lui convient. La com-
par un être vivant. et une idée) et un rapport d'ana- à qui vient ton bras d'immoler xvre siècle,
des états d'âme et des émotions,
La métaphore fusionne, donc, les de métaphore in absentia. plates qui Ioue ou qui dénigre (qui préhension se fait grâce à une
logie est établi entre ces deux élé- mon amant !/ Rome qui t'a vu positifs ou négatifs : bonheur,
deux termes de la comparaison en « blasonne ») un obiet. Ce peut relation de cause à effet entre les
ments. Elle comprend touiours au naître, et que ton cæur adore !/
Lanalogie est une identité de un seul ; il s'agit d'une comparai- être la guerre ou l'amour, mais, le deux notions (exemple : « boire ioiè, espoir, plainte, regret, nostal-
fonctionnement ou un modèle moins deux termes (un comparé Cette figure de style confère à Rome enfln que je hais parce gie, etc. Un texte lyrique peut être
son sans terme comparatil d'une plus souvent, il s'agit d'une partie la mort » pour (( boire le poi-
et un comparant) et s'opère grâce des entités abstraites, ou à des qu'elle t'honore ! » (Corneille, Ho- qualifié d'élégiaque s'il exprime
commun entre deux réalités dif- comparaison implicite. du corps féminin que chante le 5en »), ou de contenant à contenu
à un terme comparant (ainsi que, inanimés, des traits de comporte- race, acte IV scène 6, 6qo.\ la mélancolie. Le thème en est
férentes. En général, elle implique La métaphore est dite fllée quand le poète : son ceil, son sourcil, son (exemple : « boire un verre » pour
un raisonnement (raisonnement comme, de même que, pareil à, comparant est développé par plu- ment, de sentiment ou de pensée ANTTTHÈSE/ OPPOSTTTON front, etc. « Tétin de satin blanc « boire le contenu d'un vslvg ») ou souvent Ie malheur en amour ou
par analogie) mais elle peut aussi tel, etc.). sieurs mots qui lui sont apparentés, propres aux êtres humains. Une antithèse consiste à rappro- tout neuf/ Tétin qui fait honte à encore de partie à tout (exemple : la mort d'un être cher.

§2 Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Age à nos iours §],
LES ARTICLES DU ]]I[omûe LES ARTICLES DU J]IIIONûE

flamboyant. Il vaticine, se projette dans I'union durable avec


\nr Madeleine, tout en faisant, à distance, son éducation sentimen-
Il écrira encore des lettres à son « amour adoré ». Mais un fil s'est
mystérieusement rompu. La blessure de mars suivant et cette
tale et sensuelle. On ne possède pas les lettres de Madeleine, guerre qui à la fois se prolonge et qui se termine pour lui change-
Avec les « Lettres à Lou », les « Lettres à Madeleine » constituent I'autre grand massif mais on devine que, d'abord réticente (elle est aussi réservée ront radicalement toutes les perspectives. Comme si ce merveil-
amoureux de la correspondance du poète. Dans les deux cas, la guerre, avec la réalité que Lou est délurée), elle ne tarde pas à approuver, consentant leux pôle charnel et amoureux que représentait Madeleine avait
et le spectacle de ses misères, est omniprésente. à cette audace des mots, partageant au moins une part de la cessé d'exercer son attraction.
ferveur érotique de son correspondant. A ce propos, on a pu
Les lettres de Guillaume Apollinaire à Madeleine Pagès sont indis- Nîmes pour rejoindre son régiment d'artillerie. A Nîmes juste- s'étonner des conceptions matrimoniales un peu normatives Patrick Kéchichian, Le Monde daté du zg.o7.zoo5
sociablement d'amour et de guerre. Une guerre, celle de t9t4-t9t8, ment, il vient de passer, avec Louise de Coligny-Châtillon (Lou), de I'écrivain, ou encore de sa propension à lier sa compagne par
qui n'est pas seulement le cadre terrible et la circonstance fortuite une semaine de passion érotique brùlante, exaltée. A la fin mars, Ies chaînes de l'esclavage amoureux, à revendiquer résolument

de cet amour mais le motif même de son incandescence. Voyant il reverra une dernière fois, brièvement, la jeune femme libérée la place virile du seigneur et maître. En fait, c'est une véritable

mourir leurs camarades dans les déluges du feu et de la mitraille, et volage. Il continuera à lui écrire, occasionnellement, jusqu'à Ia vision solidairement mystique et érotique qu'il élabore à me-
sure. Sa morale prend une allure paradoxale Peu de gens se
Pour le candidat au baccalauréat, la correspondance
les soldats de la Grande Guerre devaient penser en tremblant fin de l'année, mais ce n'est plus que « l'ombre de [son] amour ». :«
sont aimés ou ceux qui I'ontfait ont agi illégitimement et dans amoureuse dApollinaire offre un éclairage précieux
à l'heureux hasard qui les laissait encore en vie. Et sans doute, Dans le train donc, il rencontre Madeleine Pagès, qui va prendre le
le vice. Il importe que deux esprits comme nous agissent sur son inspiration poétique. Moins connues que les
lorsque l'existence ne tient qu'à un fiI, est-il encore plus urgent bateau à Marseille pour rentrer chez elle, près d'Oran, oir elle est dans
Ia vertu mais d'une façon aussi complète, aussi passionnée que
Lettres à Lou, celles que le poète adressa à Madeleine
de vivre avec intensité et passion. professeur de lettres. Elle a zz ans, est la fllle aÎnée d'une famille
ceux qui sont dans le vice. » Laurence Campa, dans la préface Pagès entre 1915 et 1918 n'en demeurent pas moins
A la lecture de ces lettres, qui constituent, avec celles à Lou, l'autre nombreuse. II est grand, oui, plutôt grand, avec des iambes un
«
de cette nouvelle édition complétée des Lettres à Madeleine, a
révélatrices. Larticle que Patrick Kéchichian donna en
grand massif amoureux de la correspondance dApollinaire, on ne peu courtes et un buste importanT ; il porte un képi trop petit rejeté
raison de parler de « l'intuition fondamentale de la poétique 2oo5, à l'occasion d'une édition revue et augmentée
peut que lier ces deux réalités, la guerre et l'amour. Alors que la en arrière. » Ainsi le décrit-elle dans la préface de la première
apollinarienne '. I'union de l'ordre et de l'aventure ».
par Laurence Campa de ces Lettres à Madeleine,leur
première est visible, aveuglante, douloureusement vécue chaque édition des lettres (incomplète et notablement expurgée par elle),
Enfin, le z6 décembre, une permission autorise les deux amants
accorde la place qu'elles méritent. À travers leur « fer-
jour, l'autre reste virtuelle, en perpétuelle attente d'accomplis- qui date der95z.
virtuels à se retrouver. Apollinaire restera en Algérie, auprès de veur érotique » et l'intensité mystique de leur prose, ces
sement et en désir fébrile d'incarnation. A la guerre qui déchire A partir de cette seule, chaste et fugace rencontre ferroviaire,
Madeleine et de famille, jusqu'au
janvier r9r6. Que se passe- missives, qui incluent également des poèmes versifiés
la chair, répondent l'amour et les mots qui l'exaltent. Et ce Iien Apollinaire, dès le printemps 1915, engage avec Ia « petite voya- sa 7
t-il alors ? Le rêve entretenu avec tant d'ardeur et de hardiesse et où plane l'ombre de Ia guerre menaçante, viennent
d'urgence absolue, qui donne des ailes à I'écriture formidablement geuse diserte aux longs ci/s » une correspondance qui va très vite
résiste-t-il à la réalité et aux limites ordinaires du sentiment ? Il avantageusement compléter les recueils Alcools (t9ry)
libre du poète, est simplement bouleversant. prendre des dimensions conformes à son appétit amoureux,
est probable que non.
et C alli g ramme s (t9t8).
« Le théatre même ne peut donner une idée du bombardement sexuel, presque ogresque. La guerre même devient une source oÙt il Apollinaire regagne le front, en Champagne.
effroyable qui empourpre soudain le ciel, du sifflement des obus puise son énergie et attise son désir :« L'horreur tragique, horrible
qui passent en l'air comme des autos passant sur Ie sol dans une obscure du corps-à-corps infernal dans les tranchées, les boyaux
course, de l'éclatement déchirant des bombes et des torpilles, du les entonnoirs augmente ma volupté à t'aimer... » « Le fracas des
crépitement insensé de fusillade dominé par le tac tac tac tout
la marées/Le tonnerre des artilleries où la.forme obscène des canons
proche de la mitrailleuse », écrit Apollinaire le ro décembre t9r5 accomplit Ie terrible amour des peuples... », écrit-il dans l'un des
à Madeleine. Cette référence au « théatre » est significative : l'es- « Poèmes secrets » qu'il destine, dans le même mouvement que
thétique fait partie de la perception du poète. Toutes ses lettres, ses lettres, à la jeune femme. Dans un autre poème, « Ia tranchée »
à un degré ou à un autre, témoignent d'une vision, la portent sur se métamorphose en chairblanche et dessine un fantastique sexe
la scène de l'écriture. féminin, « plus long que le plus long serpent, long comme tous les
En première ligne, sous-lieutenant d'infanterie, Apollinaire corps des morts mis l'un devant l'autre ». Ou encore cette rêverie
savait de quoi il parlait. Quelques mois plus tard, Ie U mars 1916, mélancolique du guerrier amoureux : « Ta toison est la seule
il Il ne retournera pas
est blessé à la tête, et Ie 9 mai trépané. végétation dont je me souvienne ici où il n'y a pas de végétation. »

au front et ne sera plus jamais le même Guillaume. Il meurt le Apollinaire s'échauffe, s'emballe, parle de tout, de rien, de
9 novembre r9t8, à l'âge de 38 ans. littérature, d'art, de « Picasso, grand artiste mais sans scrupule
Tout se passe donc en très peu d'années, et dans le bruit inin- aucun », et surtout du corps inlassablement blasonné de son
terrompu de Ia guerre. Revenons un instant en arrière, où tout amante épistolaire. Il le rêve, ce corps, le compare à celui de
est encore plus rapide, marqué par I'accélération du temps. Le lAimée du Cantique des Cantiques, ou à ceux de Ia mythologie,
z janvier t9t5, incorporé moins d'un mois auparavant, Apollinaire Aphrodite, Hermione, Phèdre..., le reconstitue, Ie possède,
se trouve dans Ie train qui Ie conduit de Nice à Marseille, puis à l'asservit par la seule force de sa pensée et de son langage

du Moyen Àge à nos iours


LES ARTICLES DU TIITTONûE LES ARTICLES DU !]Ii[ONûE

il Ils marquent son approbation au monde, sa communion avec ce


Guil YI It
Queneau, Tardieu, Tortel, au-delà de toute école et de tout parti,
partage « une réellefraternité poétique ». qui l'entoure. Cette communion vient de l'adéquation progressive
A propos de ses poèmes politiques, Frénaud lui dit : « Quand je entre une forme poétique parfaitement maÎtrisée et une façon de
pense que tu as écritTerraqué et que maintenant tu écris des conne' vivre et d'être au monde : « Tu n'as pas réussi/ A faire de tous les
Eugène Guillevic, né le 5 août r9o7 à Carnac, est mort à son Bretagne, dans le Nord puis en Alsace. Dans un environnement ries ! »ll avouera plus tard que dans cette période, les années 5o, instants de ta vie/ un miracle./ Essaie encore. »
domicile parisien, mercredi 19 mars. II était âgé de quatre-vingt- ou le français n'est pas nécessairement la première langue, son son inspiration était « plus ou moins à sec ». Pour retrouver sa
neuf ans. Ce fils d'un marin devenu gendarme, Breton barbu au rapport au langage est difficile, ambigu : « Les mots, les mots,/ Ne fertilité poétique, il revient à la terre de son enfance. En r96t il Alain Salles, Le Monde daté du 22.03.1997
visage carré, avait fait son entrée parmi les poètes français avec se laissent pasfaire/ Comme des catafalques,/ Et toute langue est publie Carnac, Iong dialogue entre Ie poète, la pierre et la mer,
Terraqué, en 1942 - année oir Francis Ponge (mort en t988) publiait étrangère. »
dans lequel il retrouve Ia poésie élémentaire de Terraqué : « Mer
Le Parti pris des choses.Il adhère au Parti communiste français en Il aime La Fontaine et Lamartine qu'il récite dans les forêts dAlsace. au bord du néant,/ Qui se mêle au néant,/ Pour mieux savoir le
tÿzg ; il le quittera en 1980. Il écrivit des poèmes politiques dont, Plus tard, il découvre le vers libre et la poésie allemande (Hôderlin, ciel,/ Les plages, Ies rochers,/ Pour mieux les recevoir. »

ensuite, il ne pensera pas grand bien, les voyant comme le reflet Rilke et surtout Trakl). S'il reste fidèle à La Fontaine - auquel il Cet article dAlain Salles est un portrait hommage à
d'une période où son inspiration était « plus ou moins à sec ». dédie, malicieusement, son Art poétique en 1989 -, une grande Eugène Guillevic (tgol-rggl).ll donne les repères bio-
Langoisse qui dominait les premiers recueils diminue, sans tout
Pour retrouver sa fertilité poétique - il publiera une vingtaine partie de son travail consiste à se débarrasser de l'épanchement graphiques essentiels en relation avec son évolution
de recueils à partir de t96o -, il revient à la terre de son enfance. lamartinien. Il refuse le lyrisme, les effets poétiques ou plus exac- à fait disparaître, mais elle est emportée par Ia joie retrouvée poétique. Il signale Ia stérilité de son inspiration dans
En t96r, paraît Carnac, long dialogue entre le poète, Ia pierre et tement il tue en lui cette tentation du lyrisme, de l'épanchement d'écrire. Guillevic allie alors une étonnante prolixité - une ving-
ses poèmes politiques, de l'aveu même du poète, pen-
Ia mer, dans lequel il retrouve la poésie élémentaire deTerraqué, qui ne I'a jamais quitté, qui réapparaît parfois dans des poèmes taine de recueils depuis t96o - à un sens de l'économie poétique dant sa période d'adhésion au communisme. L auteur
plus faibles. Il observe les choses et les éléments qui l'entourent. II qui le pousse à rejetter tout mot superflu. Il travaille dans le sens
celle de toute sa vie. souligne, à l'opposé, la fécondité de son inspiration
rugueux, comprendre, de les interroger. d'un plus grand dépouillement, d'une plus grande limpidité :
De Guillevic, on garde l'image d'un visage - assez carré, essaie de les Ce dialogue ne cessera contemplative, initiée avec Terraqué (tg+z) et retrou-
de s'approfondir, de se creuser avec les rocs, la mer, l'étang, l'arbre,
« Aller dans le clair/ Presque comme si/ L'on était chez soi ». Par
avec des sourcils épais -enroulé d'un collier de barbe blanche. Une vée dans Carnac (t96t). Le candidat au bac de français
barbe, au fil des ans, de plus en plus blanche qui rend le visage de
« creusements », par « encoches » pour reprendre des titres de
l'armoire, la chaise... en retiendra les caractéristiques de son écriture : refus
recueils qui définissent bien sa méthode, il poursuit le dialogue,
plus en plus doux. On garde de ses poèmes la même image : une de la rime, métrique régulière, extrême économie
r i ir -'
Iangue âpre qui s'adoucit au fil du temps, qui devient de plus en l'approfondit « pour voir tous les objets/ Comme entre eux ils
de moyens, reietant l'adjectif et la métaphore pour
S'il a presque toujours refusé Ia rime, il est resté attaché à une se voient ».
plus sereine pour former de courts poèmes entourés par Ie blanc mieux aller à l'essentiel : dire sa communion avec le
métrique assez régulière. Il utilise souvent l'alexandrin, quitte à La poésie a envahi toute la vie de Guillevic. EIle est sa respiration.
de la page. monde terrestre.
le couper en deux, trois ou quatre. Son vers est libre mais il reiette Les poèmes découpés en séquences épousent son souffle court.
Ce visage poétique est apparu avec Terraqué, en t942, la même
l'écriture automatique et le surréalisme : « La métaphore n'est
année que Ie Parti pris des choses de Ponge. En tête de ce recueil,
pas, pour moi, I'essence de la poésie. Je procède par comparaison,
en tête de son æuvre, il a placé un court poème intitulé « Choses »
non par métaphore. C'est une des raisons de mon opposition au
: « L'armoire était de chêne /Et n'était pas ouverte. / Peut-être il
surréalisme. » II se borne au constat et s'aperçoit que ce constat
en serait tombé des morts, / Peut-être il en serait tombé du pain.
est sans limites. Sa poésie des éléments est une poésie du recen-
/ Beaucoup de morts. /Beaucoup de pain. » Cinquante ans après,
sement. II faut y voir l'influence de son travail comme inspecteur
dans sonArtpoétique, il écrira : « Si tu cédais, /Tu en reviendrais /
de l'économie nationale, après avoir débuté dans I'administration
Toujours à I'armoire, /A /Ne recommence pas. »
son chêne et
de I'enregistrement. Le code civil a toujours été un de ses livres de
Guillevic ne recommence pas, mais Ia tentation de revenir à
chevet. Il en connaît des articles par coeur, comme de nombreux
cette origine poétique n'étonne pas. Sa poésie est cyclique, et la
poèmes. Ce travail a été déterminant pour son expérience poé-
continuité est grande entreTerraqué ou Exécutoire et les derniers
tique. Il contribue à forger son style, exempt de toute afféterie.
recueils. La parole et la forme poétiques semblent exister d'emblée,
Guillevic utilise peu d'adjectifs, la phrase se limite souvent au nom
n'avoir jamais changé.
et au verbe, au sujet et à l'action, elle va à I'essentiel.
Le chemin fut pourtant loin d'être linéaire. La publication de
Février 1934, Front populaire, guerre d'Espagne, Résistance, sa
ses carnets de jeunesse, en 1994, montre combien il a été long
conscience politique s'est forgée au cours de ces événements,
et laborieux pour parvenir à la forme de Terraqué (Le Monde du
jusqu'à l'adhésion au Parti communiste, en 1943 (jusqu'en t98o).ll
11 mars tgg+). Né le 5 août 19o7 à Carnac, Eugène Guillevic passe
y eut ensuite la guerre froide, l'amitié dlEluard, la reconnaissance
son enfance dans un monde sans livres. Son père est un ancien
dAragon, qu'il n'aimait pas beaucoup. Comme eux, il met sa
marin devenu gendarme, sa mère est très dure : quand il publie
plume au service du parti, aux pires années du stalinisme. Mais
son premier sonnet dans une revue de Mulhouse, à l'âge de dix-
son réseau d'amitié ne se limite pas au PCF. Avec Follain, Frénaud,
sept ans, elle le gifle. Il vit au gré des affectations paternelles en

Ecriture poétique et quête du sens du Moyen Age à nos jours §/


L'ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS

L'écriture po étique : redécouvrir la langue, À partir de cette époque, la


perfection formelle ne passe
La dimension visuelle du langage n'est pas seulement graphique
elle tient également à la capacité qubnt les mots de se lier pour
:

plus par lbbservation de cadres créer des « images ». Les comparaisons et les métaphores nbnt
redécouvrir le monde déià créés, mais au contraire donc jamais cessé de iouer un rôle essentiel en poésie. Aux xrxu

Le matériau du poète est multiple. Le poète est un artiste quitravaille d'abord avec les
-q.H par lbuverture sur un langage
neuf.
et xx" siècles, le renouvellement touche également cet aspect
de la poésie, avec les poètes symbolistes puis les surréalistes.
mots, mais aussi avec sa sensibilité, sa perception du monde, et la connaissance qu'il Baudelaire, dans les Petifs Ceux-ci recherchent des images les plus étranges possibles, à Ia
en a. Théodore de Banville parle du poète comme d'un « penseur et ouvrier >>, insistant L Poèmes en prose, abandonne suite de Lautréamont qui désirait « la rencontre fortuite, sur une
risL même totalement Ie vers.
ainsi sur le lien essentiel qui existe entre la part intellectuelle et la part « manuelle » du table de dissection, de la machine à coudre et du parapluie ». Ce

travail du poète. Quelle est la nature de ce lien ? En quoi le travail sur les mots ouvre-t-il
une voie d'approche nouvelle du monde ? ffi:"
Un calligramme de Guillaume
Contrairement aux appa-
rences, il ne détruit pas par-là
la poésie : le rythme, les sonori-
faisant, ils ouvrent la voie à une autre façon de voir le monde.
Breton, Desnos, Éluard, sont ainsi de ceux pour qui le rationnel
n'est qu'une façon parmi d'autres d'envisager le réel ; ils estiment
tés, les flgures de style, etc. sont que I'homme est fait autant de ses rêves, de son sommeil, que de
Apollinaire.
Lorsqu'un artiste s'empare de la langue pour y trouver des termes toujours très présentes, mais sa « réalité » ou de son temps de veille. Le rationnel leur semble
DuMoyenÂgeauxrx"siècle, les rares, lorsqu'il écoute les combinaisons sonores obtenues par sont débarrassées du carcan de formes trop usées. ainsi réducteur. Leur travail poétique est donc une exploration de
formes fixes dominent : elles l'enchaînement des vers, il offre au lecteur la possibilité de redé- tout ce que nous négligeons habituellement et, s'il déroute, c'est
couvrir la matérialité des mots. S)ir',,1;'iir :: i':. i :l'rli.i',
respectent des règles précises peut-être iustement pour mieux nous montrer une nouvelle voie.
concernant Ie nombre et le Le poème est le lieu oir l'attention aux mots est portée au pa- Aux xrx" et xx" siècles, la « modernité poétique » se signale certes
roxysme. Nous nous laissons bercer, ou nous sommes frappés, par par des innovations concernant Ia musicalité, mais également par
type de strophes, le type de
vers et de rimes, etc. une émotion musicale parfois même détachée du sens. la dimension visuelle du poème. La poésie ne se cantonne donc pas à des thèmes particuliers, elle

Le poète effectue un travail Certains textes nous touchent d'abord par leur forme, avant même Le renouvellement des formes ouvre vers un aspect pictural. Les peut faire feu de tout bois, consumer même le plus froid, passer

de recherche formelle, afin que nous ne comprenions tout à fait leur sens. Si I'on pousse cette vers libres, Ies formes non fixées de poèmes font que le lecteur du lyrique à l'ironique, de l'émotion à l'humour. Elle est un espace

dbrner Ia pensée ou lbbiet évo- conception plus loin encore, le thème du poème peut alors n'avoir découvre dans chaque recueil une disposition particulière. Les de liberté où la parole n'est réduite ni à une réponse ni à une

qué par le poème. Que ce soit que peu d'importance. La description d'une scène, d'un objet, ou poètes tirent de cette variété de multiples possibilités : passage forme particulière, un espace de liberté ou la parole est acte de
par Ia musicalité et le rythme, l'évocation d'un épisode, deviennent ainsi pour Ie poète des « pré- à Ia ligne ou non, emploi ou abandon des rimes (qui ne sont pas création.
Charles Baudelaire par Étienne textes ». Les poètes parnassiens (comme José-Maria de Heredia) seulement sonores, mais également visuelles), usage des « blancs »
Carjat. qui permettent de rendre les
vers harmonieux, ou par des s'inscrivent notamment dans cette conception. entre des strophes hétérométriques (c'est-à-dire formées de vers
À partir du xrx" siècle, et même si certains poètes avaient déjà ex- de différents types), etc.
images (comparaisons et métaphores), Ie thème du poème est
ploré cette voie auparavant, la recherche esthétique ne passe plus Chaque poème devient ainsi une æuvre singulière et inattendue,
ainsi enrichi et mis en valeur.
Cette conception de la poésie comme « ornement » donne la forcément par la forme fixe. Les romantiques d'abord, puis les et offre une redécouverte du langage, dans son aspect visuel cette
symbolistes, revendiquent une liberté créatrice en opposition avec fois. Ces formes nouvelles sont déstabilisantes puisque le lecteur
priorité à valeur esthétique. Elle correspond à un désir de
sa UN ARTICLI DU MONDE À CONSUTTTN
I'homme refusant Ie seul prosaisme, voulant s'éloigner d'une le respect de règles trop contraignantes. Les poètes assouplissent n'a plus de repères. Mais elles permettent une mise en relief de

réalité vulgaire. Tel est I'idéal qui animera Ie courant du Parnasse. alors le vers et se mettent à employer des vers moins fréquents, certains termes ou attirent l'attention sur le côté graphique du . « Ce que drerche la poesie, c'est à déconstruire les idéologies » p. 6z
(Propos recueillis par Amaury da Cunha, Le Monde daté du
De ce fait, la poésie permet une redécouverte de notre langue. tout en multipliant les ruptures de rythme. langage. C'est le cas, notamment des Calligrammes, dans lesquels
rz.tt.zoto)
Apollinaire écrit selon le dessin même de ce qu'évoque le poème.

NOTIONS CLÉS REPÈRES CITATIONS


métrique et une prosodie (ana-
Au xrx'siècle, Aloysius Bertrand, lyse du rythme et des sonorités). Quelque s p oète s nov at e ur s « Le caractère essentiel de l'art . « Quel est celui de nous qui ne comprendrez pas du tout, et paroles ;/ L homme y passe à tra-
La puissance poétique ne se li- du xf siècle. Les Chants de Maldoror, (t869) symbolique consiste à ne iamais n'a pas, dans ses jours d'ambi- ie ne saurais presque vous expli- vers des forêts de symboles/ Qui
puis Baudelaire, refusent la
poèmes en prose constituant le
contrainte trop forte de la rime mite pas au respect de règles préé- aller jusqu'à la conception de tion, rêvé le miracle d'une prose quer. Il s'agit d'arriver à l'incon- l'observent avec des regards
tablies. Une définition moderne récit épique de la révolte et des l'ldée en soi. Ainsi, dans cet art, poétique, musicale sans rythme nu par le dérèglement de tous familiers. »
et du vers. lls donnent ainsi nais- Gaspard de la nuif (1842), tableaux
sance au poème en prose. Le et beaucoup plus large de la poé- en prose poétique inspirés du fan-
transgressions d'un héros du Mal. les tableaux de la nature, Ies ac- et sans rime, assez souple et les sens. Les souffrances sont (Charles Baudelaire, « Correspon-
poète invente alors ses propres sie surgit, la forme linguistique tastique allemand et du gothique tions des humains, tous les phé- assez heurtée pour s'adapter énormes, mais il faut être fort, dances », Les Fleurs du mal, t8S7)
contraintes formelles. Néan- elle-même (le signifiant) devient anglais. Une saison en enfer (t873), récit nomènes concrets ne sauraient aux mouvements lyriques de être né poète, et ie me suis re-
moins, ces textes conservent une l'obiet d'attention. énigmatique et flamboyant de la se manifester eux-mêmes ; ce l'âme, aux ondulations de la connu poète. » « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O

liaisori avec Verlaine. Les lllumt sont là des apparences sensibles rêverie, aux soubresauts de la (Rimbaud, Première lettre dite bleu : voyelles,/ le d.irai quelque
forme courte, une syntaxe ryth-
Le Spleen de Paris, (t869), rend destinées à représenter leurs conscience ?» « du Voyant » à son professeur, jour vos naissances latentes :/
mée et des répétitions sonores et nations (t886) , visions halluci-
Vers par sa disposition typogra- compte de la vie moderne « dans affinités ésotériques avec des (Baudelaire, préface des Petits Georges Izambard, le r3 mai t87t.) A, noir corset velu des mouches
lexicales. nées dans une prose poétique aux
phique, il n'a pas de régularité une prose poétique sans rythme Idées primordiales. » Poèmes en prose, t86z.l éclatantes/ Qui bombinent au-
images prodigieuses.
rythmique et n'est pas forcément et sans rime, assez souples et as- (Jean Moréas, Manifeste du sym- « La Nature est un temple oir tour des puanteurs cruelles (...) »
Toute phrase porte en elle des ca- rimé. On le trouve dans la poésie sez heurtée pour s'adapter aux boli s me, le F ig aro, 1886.) « Je veux être poète, et ie tra- de vivants piliers/ Laissent (Arthur Rimbaud, Voyelles, r88g.l
dences et des sons, et donc une moderne. mouvements lyriques de l'âme ». vaille à me rendre voyant : vous parfois sortir de confuses

§ 8 Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Age à nos jours § ÿ
UN SUJET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS

' Commentaire de texte i I'herbe ». Destinataire percue implicitement comme un principe de vie
(cf comparaison du vers 8 avec « une douce pluie qui ne sèche jamais »).
La métaphore végétale est également présente dans Ia troisième
René-Guy Cadou, (( Hélène ou le règne végétal » strophe, sous la forme de I'allégorie de la solitude : Ie poète semble,
dans un premier temps, ne pas prendre la mesure de la vitalité de cette
femme, qu'il perçoit d'abord comme une femme seule qui a besoin de
devait arriver à une date donnée). Idée de fatalité amoureuse conflrmée *d..*ta -./*
y'-
« pos[er] ses mains de feuille sur [s]on cou ». Couple d'abord vu que
dans la seconde strophe, à travers une analogie de la femme avec « une
Vous commenterez Ie texte de René-Guy Cadou « Hélène ou le texte comme l'union de deux solitudes. Lentreprise de séduction féminine
douce pluie » que le poète « portai[t] déià sur [ses] épaules ». Adverbe
végétal » (texte 3, page 5o) en vous intéressant d'abord à la façon dont est également évoquée avec délicatesse par une métaphore qui identifle
« déjà » intemporalité d'un sentiment qui aidait le poète à rester en
le poète évoque la rencontre avec la femme aimée et Ia naissance du
couple ; puis en étudiant comment le poète associe la femme aimée
vie : la pluie « qui ne sèche iamais » empêche le blé de brûler dans la le mouvement de ses paupières en butte à I'indifférence du poète à des
« pattes dbiseaux dans les vitres gelées ». Cette subtile image poétique
.+nêe'{' t ;**rllq;**-*:-/.*fr * an
« sécheresse ». II s'agissait seulement pour le poète de reconnaître la
au monde. renforce l'identification de la femme à la nature.
femme de sa vie. une gradation traduisant l'immensité du pouvoir de Ia femme aimée,
Transition; Principe vital, l'être aimé est également associé au voyage. qui successivement fait « se lev[er] » les « oiseaux », les « vaisseaux »,
Transition : Latournure emphatique « Et pourtant c'était toi » qui ouvre
b) Femme associée au voyage les « pays », puis enfin « ces astres ces millions d'astres ». Tout l'univers
la quatrième strophe met en évidence l'unicité et la singularité de la
l"æuvre du poète René Guy Cadou est résolument marquée par la femme aimée, qui, avant même d'être reconnue parle poète, bouleverse
Le poète identifle la femme objet de son amour à un être qui élargit du poète semble, non pas envahi, mais stimulé, « réveillé » par l'amour.
célébration d'Hélène, qui fut sa femme et sa muse. Dans I'un desQuatre son univers intérieur. « Navire » attendu, elle est associée à tous les La femme aimée devient alors égérie, muse poétique, capable, par son
son univers.
poèmes damour à Hélène,le poète évoque au passé cette rencontre lieux parcourus, ceux qui débouchent sur la mer (« les quais ») ou qui verbe généreux (« Ah que tu parlais bien »), dbuvrir flss « portes », de
c) De la sécheresse au pétillement
vitale avec l'être aimé et la transformation de son existence. En quoi La rencontre de la femme aimée modifle en profondeur I'univers du
conduisent à un ailleurs terrestre (« les routes »). Dès lors, elle oblige le révéler au poète un monde foisonnant dont lui-même semblait ignorer
cette évocation lyrique, adressée directement à la femme aimée, prend- poète à porter son regard, à l'élever vers « le clair de [s]a vie ». Idée de l'existence, et d'apaiser l'homme, « apeuré » par « Ia grande voix du
poète. Deux premières strophes : idée d'un espace sec et stérile (attente
elle Ia dimension d'un hymne amoureux ? Nous nous intéresserons clarté liée à celle de lumière (c/. métaphore des fenêtres éclairées, qui temps » qui passe.
= « sécheresse », « blé » peu fécond, « ne mont[ant] pas plus haut
d'abord à la manière dont le poète rend compte de sa rencontre avec « pétillaient le soir ainsi qu'un vin nouveau »), ou encore à celle dbu-
qu'une oreille dans l'herbe »). Motif de la sécheresse prolongé dans
la femme aimée. Nous nous demanderons ensuite comment le poète verture : la « maison » du couple, c'est-à-dire leur « monde commun »,
la strophe suivante à travers l'image du « pas brûlant », caractérisant
associe cette femme au monde. est faite de « portes [qui] sbuvraient sur des villes légères ». Ainsi, le
l'ardente quête d'amour du poète. Femme identifiée au motif liquide : Ce poème est donc beaucoup plus qu'une simple déclaration d'amour :
« pas brûlant » du voyageur solitaire s'est transformé en voyage à deux,
apparaît comme une « douce pluie » aux pouvoirs perpétuels (« qui ne le poète présente la femme aimée comme l'essence de son existence,
comme l'indique le pronom << nous » adjoint à unverbe de mouvement
sèche jamais »). Thème de l'absence d'eau, complété par celui du faible au point qu'avant de se confondre dans l'union du couple, elle se
I. Rencontre avec l'être aimé et naissance du couple « allions », verbe suggérant l'errance, le vagabondage, ce que souligne
mouvement : Ie poète met beaucoup de temps à dessiller ; c'est un long confond avec la nature et en revêt tous les aspects. Cette « Hélène », trait
a) Une quête amoureuse la syntaxe déstructurée du derniervers : « Ou nous allions tous deux
processus de reconnaissance. La vibration amoureuse est d'abord fragile d'union entre le monde de la nature et l'univers du poète, devient obiet
Motif de la quête amoureuse. Deux premières strophes ouvrant sur la enlacés par les rues. » Lunion accomplie ne signifie donc pas que le
et ténue, cfi, image du remuement de « paupières » et métaphore des d'écriture et muse. Elle est aussi femme irréelle en ce que, faisant corps
déclaration à la femme aimée qui traduit, à I'imparfait duratif, l'idée voyage du poète a pris fin : il a seulement pris une forme nouvelle,
traces de « pattes dbiseaux dans les vitres gelées » = idée de légèreté, avec le monde, elle semble désincarnée. À l'origine du verbe poétique,
d'une frustration que seule I'arrivée de l'être désiré pouvait combler : « Je plus aérienne et insouciante, et à l'exploration des « quais et toutes
mais aussi d'un sentiment encore flgé dans Ie « gel », un « hiver » amou- elle devient une forme paiènne de divinité, que René Guy Cadou célèbre
t'attendais ». Comparaison de cette attente avec celle des « navires » -> Ies routes » s'est substituée la promenade des deux amants « enlacés
reux. Si les « paupières » évoquées appartiennent à Ia femme, il semble avec un lyrisme vibrant.
idée d'un voyage : le poète semble prendre acte de l'altérité radicale de par les rues ».
que l'éveil amoureux soit le fait du poète : son univers est bousculé
la femme attendue, identiflée implicitement à un autre « continent ». par « un grand tapage matinal », et universel : le sentiment amoureux
Transition: Lêtre cher, dans cet enlacement fusionnel, investit l'univers
Cependant quête active : la deuxième strophe suggère un mouvement poétique dans sa totalité. Ce qu'il ne faut pas faire
agit sur la totalité de l'être, comme le suggère le trimètre rythmé par la Présenter un relevé d'observations stylistiques sans les relier au
obsessionnel, un espace terrestre investi dans sa totalité -> répétition c) Une femme muse
reprise anaphorique du déterminant « tous » : « Tous mes oiseaux tous mouvement d'ensemble du poème.
de l'indéflni inscrite dans un trimètre régulier : « le t'attendais // et tous La femme à laquelle s'adresse le poète habite peu à peu le poème.
mes vaisseaux tous mes pays ». Dès lors, l'union devient ouverture (« les
les quais // toutes les routes ». Puis un reiet met en valeur I'unique oblet portes sbuvraient ») ; Ie « t' » et le « je » se résolvent et se confondent en
Lénonciation, organisée à l'origine autour d'un dialogue entre Ie « je »
de cette quête préposition, suivie du pronom désignant la destinataire, du poète et le « tu » de la bien-aimée, met en évidence un effacement
un seul pronom « nous » (« Nous allions tous deux enlacés »).
soulignant encore l'idée de mouvement : « qui s'en allait / Vers toi ». progressif du sujet au proflt de l'objet. Ainsi, au vers 11, la tournure
Transition: La femme aimée éveille le monde intérieur du poète, sans
Transition, À travers ce motif du voyage vers I'autre, le poète semble restrictive « |e ne voyais en toi » indique une perception faussée des
doute parce qu'elle-même est en résonance avec le monde. Écriture d'invention
vouloir donner à son histoire d'amour un caractère prédestiné. choses par le sujet parlant. En écho, le vers t3, charnière du poème,
II. Une femme associée au monde - Vous êtes directeur d'une revue poétique. À un lecteur ou une lec-
b) Un amour prédestiné fait éclater une vérité immémoriale : « c'était toi ». La femme aimée
a) Femme associée à la nature trice qui a affirmé que la poésie était inutile dans notre monde ac-
Poème d'amour structuré par deux mouvements. D'abord le temps de est alors celle qui éveille la conscience du poète par un « grand tapage
Dès la première strophe, motif lié à l'attente du poète, qui s'iden- tuel, vous répondez sous la forme d'une lettre en prenant la défense
l'attente de Ia femme aimée, puis celui de l'union avec elle. Temps de matinal », celle qui commande au monde. Cette idée est amplifiée par de la poésie. Vous présenterez votre travail sous la forme d'une
tifie à du « blé » qui « ne monte pas plus haut qu'une oreille dans
l'attente marqué par I'idée que l'amour du poète préexiste à l'union qui lettre, mais sans la signer. (Pondichéry 2oo7, séries technologiques)
va les lier (cl image qui ouvre le poème : « ainsi qubn attend les navires »
suggère une certitude, comme si l'être aimé, bien qu'encore inconnu, NOTIONS CLÉS zooM suR...
mot ou un groupe de mots d'une Des poètes du x* siècle « fe te l'ai dit pour les nuages/
PERSONNAGE IMPORTANT Succession ordonnée de termes, force expressive exagérée par et leurs muses. Chef de file du mouvement sur- D'abord compagnon des sur- Je te l'ai dit pour l'arbre de la mer/
rapport à l'idée exprimée (hyper- réaliste, Breton (r896-r966) puise réalistes, Éluard (r895-r952) s'est Pour chaque vague pour les oi-
réalisme, et le quotidien, dans sa d'idées ou de sentiments. Elle seaux dans les feuilles/ Pour les
est dite ascendante lorsque les bole). On parle de tournure em- A l'instar de Ronsard pour Hélène,
dans l'écriture automatique, éloigné de ce qu'il nomme une
Homme simple, il mène Ia vie saveur provinciale et rurale. Re- dictée par l'inconscient, des cailloux du bruit/ Pour les mains
termes sont de plus en plus forts, phatique quand une phrase met Aragon (r897-r982) a consacré une « chapelle littéraire » dans une
modeste d'un instituteur de cam- né-Guy Cadou construit une æuvre images qui renouvellent profon- familières/ Pour l'æil qui devient
de plus en plus amples, et descen- en relief un groupe de mots .
partie de son æuvre poétique au lettre de 1938, pour se tourner
pagne, dans lbuest de la France. poétique oir, comme chez Éluard,la dément le lyrisme amoureux. visage ou paysage/ Et le sommeil
dante dans le cas contraire. Dans lyrisme amoureux. Elsa Triolet, vers une poésie plus maîtrisée,
En relation épistolaire avec Max découverte de I'autre féminin oc- « Ma femme aux yeux de savane/ lui rend le ciel de sa couleur/ Pour
le poème de René-Guy Cadou, la Vers formé de trois unités mé- qui fut son épouse, est devenue dans la recherche de la musica-
|acob et Pierre Reverdy, passion- cupe une place essentielle. En 1943, Ma femme âux yeux d'eau pour toute la nuit bue/ Pour la grille
gradation compte quâtre termes triques : « Il fut héros, il fut géant, une des grandes figures de muse. lité et de la structure du poème, des routes/ Pour la fenêtre ou-
né de poésie, il est à lbrigine, en la rencontre d'Hélène Laurent, elle- boire en prison/ Ma femme aux
même poètesse, est suivie d'une
d'amplitude croissante : « Tous il fut génie. » (Victor Hugo). Dans « Que serais-ie sans toi qui vins à organisée par des anaphores et verte pour un front découvert/ Je
r94r, du groupe littéraire connu yeux de bois toujours sous la
mes oiseaux tous mes vaisseaux le cas de l'alexandrin, on l'oppose ma rencontre/ Que serais-ie sans des antithèses. IÀmour de la poé- te l'ai dit pour tes pensées pour
sous le nom d'école de Rochefort. correspondance poétique et amou- hache/ Aux yeux de niveau d'eau
tous mes pavs / Ces astres ces mil- toi qu'un cæur au bois dormant/ sie, r9zg, chante son amour pour
Proche de la Résistance, le groupe reuse. Il l'épouse en 1946 et célèbre au tétramètre qui compte quatre tes paroles/ Toute caresse toute
lions d'astres qui se levaient ». de niveau d'air de terre et de
Gala, son épouse, qui donne un
de poètes se donne pour but un son amour notamment dans « Hé- accents rythmiques : « Décharné, Que cette heure arrêtée au cadran conflance se survivent. »
de la montre/ Que serais-je sans
feu. ,(u Lunion libre », Clair de sens et une réalité au monde. (« Je te l'ai dit »,IAmour de la poé-
langage poétique où se rencontrent lène ou le règne végétal » (publica- dénervé, démusclé, dépoulpé »
terre, tg3t.)
le merveilleux, héritage du sur- tion posthume en t95z). Lemphase consiste à employer un (Ronsard). toi que ce balbutiement. » (Le Ro- sie, rgzg.)
man inachevé, tg56.l
Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours 61
60 Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours
uARrrcLE DU lllton,ûe

« Ce que cherche la poésie, c'est à déconstruire


les idéologies ))

ENTRETIEN. Yves Bonnefoy explicite le rapport entre art et pensée dans son æuvre.

Y a-t-il une limite entre votre euwe poétique et ce que vous en


t-'
dites dans les nombreux textes (essais, entretiens) publiés ? Quel
est le statut de ces échappées du champ poétique ?
Nul autre poète contemporain n'illustre mieux qu'Yves Bon-
Une limite, vous voulez dire un cloisonnement ? f'espère bien que
nefoy I'idée que Ia langue poétique est un moyen de « redé-
non, ce serait trahir la poésie. Car son travail se doit d'être écriture et
couvrir Ie monde ». En zoto, dans un entretien avec Ie iourna-
pensée dans le même élan. Lécriture déborde l'approche conceptuelle
liste Amaury da Cunha, le poète exprime la profonde unité
des choses mais tout aussitôt la pensée observe la situation, pour
dégager des voies dans cet espace entre représentations transgres-
sées et présences jamais pleinement vécues. Et cela dans ce que les
de ses poèmes et de ses essais sur l'art. II rend hommage
à André Breton, rappelant l'apport du surréalisme dans la LA QUESTION DE L'HOMME DANS
rénovation de la parole poétique. II réaffirme sa croyance
poèmes ont de tout à fait personnel, puisque c est touiours dans Ie
rapport à soi le plus singulier que l'universel a le plus de chance de
en une poésie Iibératrice : « Ce que cherche la poésie, c'est
à déconstruire les idéologies, et celles-ci sont actives, autant
LES GENRES DE LARGUMENTATION,
se réinventer, de se ressaisir.
La poésie est une pensée. Non par des formules qu'elle offrirait dans
des textes, mais par sa réflexion, au moment même où elle prend
qu'elles sont nocives dans toutes les relations humaines. »
De ce « chant qui régénère les mots » il dit aussi : « la poésie
DU XVI. SIÈCLE À NOS JOURS
n'est que la préservation de ce sentiment de présence de tout
forme. Et il faut entendre cette pensée Ià ou elle est, dans les æuvres.
à tout qui faisait le bonheur, et aussi l'angoisse, des "iour-
Ecrire sur Giacometti, sur Goya, sur bien d'autres, ie ne I'ai voulu,
nées enfantes" ». Beaux suiets de dissertation pour le bac !
pour ma part, qu'afin de retrouver posés peut-être autrement, par
ces poètes, Ies problèmes que Ia poésie nous demande de décider.
Non, pas déchappées du champ poétique ! Plutôt suggérer que toutes pas attention à des besoins de la vie dont le savoir conceptualisé,
les pensées d'une société devraient prendre place dans celui-ci, même rationalisé, ne sait plus que le dehors. Alors que, croyait-il, le rêve en
Ies conseils de la science, même le débat politique. Ce que cherche ':tirri;; '.-l
garde mémoire. j
la poésie, c'est à déconstruire les idéologies, et celles-ci sont actives, Comment êtes-vous parvenu à préserver votre regard d'enfant ?
autant qu'elles sont nocives dans toutes les relations humaines. Cette question, oui, c'est bien ce qu'appelle tout de suite ce que je
Contrairement à une modernité pour qui le réel fut du côté de viens de vous dire, car cette idée de Ia chose comme un interlocu-
« l'impossible » (Georges Bataille) ou à fuir en toute urgence (le teur, c'est rappeler I'expérience de l'enfant avant que peu à peu il
surréalisme), vous défendez une poésie accessible au monde. ne se laisse convaincre, par l'exemple et l'enseignement des
Comment en êtes-vous arrivé là ? adultes, d'appréhender le monde comme une donnée passive,
En passant par ceux mêmes que vous citez ! J'ai grande sympathie, manipulable : comme du réifié et non du vivant. fe crois que la
en effet, pour I'âpre intensité avec laquelle Bataille a perçu - comme poésie n'est que la préservation de ce sentiment de présence de
déjà Goya l'avait fait dans ce qubn a nommé ses « peintures noires » tout à tout qui faisait le bonheur, et aussi I'angoisse, des « iournées
- le dehors du lieu humain, cette nuit des vies qui s'entre-dévorent
enfantes ». La mémoire de ce fait, aussi fondamental qubublié en
pour rien, dans l'abîme de la matière, ce néant. Mais s'effrayer de ce ce siècle obsédé de technologie, épris de savoirs quantifiables, que
dehors, et aussi bien dans la personne qubn est, ou que lbn croit être, nous ne vivons pas parmi des choses mais des êtres. Et comment
n'est-ce pas que la conséquence de cet emploi des mots qui, cher- préserver cette expérience première, cela peut être, c'est même à
chant à connaître les choses par leurs aspects quantifiables, en fait mon sens la principale façon, par Ia perception dans les vocables
aussitôt autant d'énigmes ? Mieux vaut reconnaître dans Ia parole cet de leur son, leur son comme tel, qui est au delà, dans chacun, des
événement qui l'institua, le besoin d'établir avec d'autres êtres, ainsi signifiés par lesquels la pensée conceptualisée voile en eux Ia
reconnus des proches, un champ de projets et de partages. A bord de présence possible de ce qu'ils nomment. On écoute ce son lointain,
la barque dans la tempête mieux vaut ne pas s'inquiéter de I'horreur écho dans le langage de l'unité de ce qui est, on l'accueille dans
des hautes vagues, décider plutôt que cette barque, c'est I'être même, notre esprit par des rythmes qui montent du corps, c'est-à-dire du
qu'il importe de préserver. Ce que le surréalisme, c'est-à-dire André besoin, non de posséder, mais d'être ; et c'est alors ce chant par
Breton, qui fut à peu près le seul qui aura compté dans ce groupe, en lequel le fait humain s'est établi sur la terre, dès les premiers pas
tout cas pour la pensée, savait bien. Je m'étonne de vous entendre du langage. Ce chant qui régénère les mots ; et qui, je l'espère bien,
dire que Ie surréalisme a été une fuite « en toute urgence ». famais n'a pas cessé et ne cessera jamais de hanter les instants anxieux
Breton n'a cessé de vouloir intervenir dans le devenir de la société. de nos grandes décisions.
Et il I'a même fait sur le plan le plus immédiatement politique, et
avec beaucoup de lucidité, dans une époque de toutes les illusions. Propos recueillis par Amaury da Cunha, Ie Monde daté du
Simplement rappelait-il qubn va droit au désastre si on ne prête t2.tt.zoto
L,ESSENTIEL DU COURS L,ESSENTIEL DU COURS

Les formes de l'argumentation Conclusion


Les auteurs classiques, au
@prr xvrr" siècle, avaientpour devise
Un texte dit « argumentatif » est un texte qui défend une thèse et tente de la faire « instruire et plaire », et l'apo-
partager à son lecteur. Cet objectif particulier ne concerne pas que le « fond », il a une Iogue est précisément le lieu oùt

influence sur la forme même du texte. 'ffihb. les deux actes peuvent se coniu-
guer. Le xvnr" siècle a lui aussi fait
Littérature et argumentation le détour par la fiction pour dé-
Les objectifs et les procédés du texte
argumentatif Laliste des genres au travers des- fendre les idées des Lumières :

Tout texte comporte un thème, c'est-à-dire un suiet dont il s'empare quels peut se déployer l'argumen- les contes de Voltaire sont des
et qu'il traite. Mais le texte argumentatif comprend également une tation montre que celle-ci n'est pas essais ou des pamphlets rendus
thèse, c'est-à-dire un avis ou un jugement qu'un locuteur défend. réservée aux essais abstraits, aux concrets et vivants grâce aux
Il faut donc, face à ce type de textes, identifler (et distinguer) le thème traités théoriques, ou aux articles. personnages et aux registres
et la thèse. Par exemple, un texte peut traiter du thème de l'école, et L'argumentation a touiours été .S; comique, satirique, etc. Mari-
défendre Ia thèse selon laquelle l'école telle qu'elle existe n'est plus liée à la littérature, et en par- §-T vaux ou Beaumarchais illustrent
adaptée au monde contemporain. Comme le montre cet exemple, le ticulier à la fiction. En effet, â. la réflexion sur I'individu et la
thème peut être reformulé par un mot ou un groupe de mots (ici
I
:
pour transmettre une idée, pour . '.) iustice sociale dans leurs pièces
l'école), tandis que la thèse peut être reformulée par une phrase r; de théâtre : au travers des dialo-
convaincre et persu"d".,
"r. H gues et des confrontations de
verbale (ici : l'école telle qu'elle existe n'est plus adaptée au monde est un auxiliaire extrêmement
contemporain). efficace : la force d'un argument un talent d'écriture. Elle passe parfois par la fiction, c'est-à-dire que, personnages, le spectateur voit
À la thèse soutenue par l'auteur s'oppose Ia thèse adverse, ou thèse est d'autant plus grande qu'il est paradoxalement, elle peut utiliser l'imaginaire afin de soutenir s'incarner des idées et des avis contradictoires.lÎle des esclaves, d.e
réfutée. une opinion sur un élément bien réel. Cette association de l'argu- Marivaux, mêle à Ia fois le genre théâtral et l'utopie. D'autres formes
exprimé de manière séduisante.
Afln de défendre sa thèse, l'auteur du texte emploie des arguments : Ainsi, on comprend l'intérêt que mentation et de la fiction existe dès les premiers récits fondateurs : flctionnelles sont encore convoquées, comme le dialogue, chez Dide-
des idées, des causes, des références. Il les appuie et les rend plus ceux qui cherchent à étayer une dans L'Iliade et L'Odyssée d'Homère, ou encore dans les chansons de rot (Ie Neveu de Rameau).Des origines jusqu'à nos 1'ours, Ia flction est
concrets grâce à des exemples. En effet, un argument est abstrait, thèse portent à la qualité littéraire geste du Moyen Âge, sbpère une alliance entre le récit d'exploits donc toujours I'alliée de l'argumentation : au xxe siècle, Ia contre-uto-
général, et il fait Ie plus souvent appel à Ia logique. En revanche, un de leurs textes. Les -Essais de Mon- et l'exaltation de valeurs, de positions, que l'auteur cherche à faire pie (t984, d'Orwell, t949) et l'apol ogue (Matin Drun, de Franck Pavlofl
exemple est plus concret, plus particulier, voire même anecdotique. taigne, les Pensées de Pascal, les Allégorie de la rhétorique par Hans partager à ses auditeurs ou lecteurs. Pourquoi donc ce « détour » par t998) sont encore bien présents.
Toutefois, un exemple particulièrement frappant peut prendre valeur Sebald Beham'
salons de Diderot, les préfaces de Ia flction ? La Fontaine écrit, dans les Fables, à propos de I'apologue :
d'argument. Hugo, etc. sont encore Ius auiourd'hui, non seulement en raison des « C'est proprement un charme : il rend l'âme attentive,/ Ou plutôt il
Un locuteur cherchant à faire adhérer un lecteur à la thèse qu'il idées et réflexions qu'ils contiennent, mais aussi parce que la force et Ia la tlent captive ».
développe peut emprunter deux directions : beauté de leur écriture nous touchent. Sartre dit que « l'écrivain engagé Selon le fabuliste,la fiction séduit le lecteur, et fonctionne comme un
DEUX ARTICTES DU MONDE À CONSUTTTN
- soit il s'adresse à la raison de son destinataire, il tente alors de Ie sait que la parole est action [...] Il sait que les mots, comme dit Brice appât : elle ensorcelle par le récit du conte ou de la fable, et la moralité
convaincre; (ou la thèse défendue) devient ainsi plus « digeste ». L'essai peut, en . Céline émerge comme un des grands créateurs de son temps p. 68
Parrain, sont des "pistolets chargés". S'il parle, il tire ». Cette citation
(Henri Godard,Le Monde daté du z5.or.zou)
- soit il essaie de toucher les sentiments du récepteur, auquel cas il souligne le pouvoir qu'ont certaines formules - capables de « faire effet, apparaître comme ardu et rebutant. Un récit, au contraire, est . Il faut s'opposer à la célébration d'un auteur antisémite p. 69
passe par la persuasion. mouche » - d'atteindre ce qui est visé et celui qui est destinataire, touiours plaisant par les personnages, les animaux qu'il met en scène, (Patrick Kéchichiat,Le Monde daté du z5.ot.zotr)
En pratique, les textes mêlent le plus souvent ces deux voies, et allient la au-delà même de la littérature dite engagée. Ies dialogues qu'il utilise, etc.
pertinence d'arguments convaincants à un sÿe frappant et persuasif. Mais l'argumentation ne se contente pas de réclamer un « style »,

zooM suR... REPÈRES

L'énonciation dans un texte l'auteur s'adresse parfois direc- On trouve également : des liens . Le billet d'humeur est une courte Le s
Jorme s d e l' arg umentation. expose ses opinions (cl Mon- rique, souvent politique, au ton contenant un enseignement : la
argumentatif. tement au lecteur (« vous »), lui logiques de cause, de consé- chronique sur un suiet d'actualité Largumentation peut être directe taigne, Ies Essais, t58o.). virulent. fable et le conte appartiennent au
pose des questions, l'interpelle... quence, de concession, etc. ; une où le rédacteur s'adresse, en son ou indirecte. Elle est dite « indi- . La lettre ouverte est un opuscule . Le plaidoyer est la défense d'une genre de l'apologue.
Comme l'auteur défend une po- ;

- des interrogations rhétoriques, structure logique, visible en par- nom, une ou plusieurs personnes.
à souvent polémique, rédigé sous cause. . Le conte (Perrault, le Petit Chape-
sition, il s'exprime généralement recte » ou « oblique lo-
» lorsque Ie
dont la réponse est, en quelque ticulier dans l'emploi de para- . Léditorial est un article éma- cuteur utilise la flction pour faire forme de lettre. . La préface est un texte placé en ron rouge, 16971 et le conte philo-
dans le registre du discours plus . Le manifeste est une déclara-
sorte, contrainte ; graphes distincts ; des figures de nant de la direction du journal. passer sa thèse ou son message. tête d'un ouvrage pour le pré- sophique (Voltaire, Candide, t759.).
que dans celui du récit (même si Il engage la responsabilité du ré-
des exceptions existent). On trouve,
- le pronom x 6n » qui offre de style (ampliflcation, images, etc.) ; tion écrite, publique et solennelle, senter, en préciser les intentions,
. Le dialogue (parfois dialogue phi-
multiples possibilités (« on » gé- un ou plusieurs registres, suivant dacteur en chef et de l'ensemble LES FORMES DIRECTES dans laquelle un homme, un gou- losophique, c/. Diderot ou Sade).
. Léloge, Ie panégyrique, le dithy- développer ses idées générales
donc, dans le texte argumentatif :
néralisant, permettant de déli- les intentions de l'auteur (iro- du iogrnal, tout en restant une vernement ou un parti expose un . La,fable (La Fontaine).
(préface de Cromwell, ou encore
- la présenceplus ou moins nette- vrer une sentence ; « on » inclusif, nique, polémique, etc.). parole individuelle (celle du iour- rambe sont des textes marquant programme ou une position (on préface dt Demier Jour d'un
. Lutopie (genre littéraire dans
ment marquée du locuteur (<< je », dans lequel l'auteur et/ ou le lec- naliste qui le signe). l'enthousiasme et l'admiration trouve ainsi des manifestes de lequel I'auteur imagine un uni-
condamné, de Victor Hugo).
termes modalisateurs indiquant une teur sont compris ; « on » exclusif, Le s formes d' ar g umentation . Un iournal peut également pu- que leur auteur voue à quelque groupes d'artistes, autour d'un vers idéal, par exemple l'abbaye
. Le réquisitoire est une accusation.
évaluation, une üsion subl'ective, grâce auquel l'auteur se détache Iiées à la presse écrtte. blier une lettre ouverte (cl, le cé- chose ou quelqu'un. programme esthétique : cf . Le Ma- de Thélème, chez Rabelais) et la
mots mélioratifs ou péioratifs...) ; d'un groupe pour montrer que Joumaux et revues accueillent régu- lèbre I'accuse, de Zola, paru dans .Lessai est un ouvrage de forme nifeste du surréalismel. LES FORMES OBLIQUES contre-utopie (t984, de Georges
- la présence de l'interlocuteur ; son opinion diffère). lièrement des textes argumentatifs. IiAurore Ie r3 janvier 1898.) assez libre dans lequel l'auteur . Le pamphlet est un écrit sati- . Lapologue, récit souvent bref Orwell).

64 taquestion de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvf siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de I'argumentation, du xvru siècle à nos lours 6§
UN SUIET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS

Ecriture d'inventiorl :
Proposition de corrigé
Mes confrères, mes amis,
malorité de la population connaît une existence déplorable, et se voit
contrainte de travailler sans relâche pour enrichir quelques privilégiés

Discours a la Chambre des pairs Permettez-moi d'intervenir de façon brutale et d'interrompre quelque qui ne se soucient pas de leur sort. Sans compter ceux que Ia société
a mis au ban, parce que le destin les a fait naître malades ou inflrmes.
peu le cours de vos propos, mais ie ne peux me contenir davantage.
Nous, pairs de France, que faisons-nous ici ? Quelle est notre mission ? Devons-nous oublier ces laissés-pour-compte ? Avons-nous le droit
soleil, d'une révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui de les ignorer sous prétexte qu'ils ne sont pas productifs, et de les
Le texte Ne consiste-t-elle pas à servir de toutes nos forces la France ? Ah ! chers
vient. Autrefois, Ie pauvre coudoyait6 le riche, ce spectre rencontrait confrères, écoutez-moi ! Je viens d'assister à une scène qui m'a pro- laisser mourir dans la misère ? Si nous, pairs du royaume, ne pouvons
Hier, zz février', l'allais à Ia
cette gloire ; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait fondément troublé et que ie souhaite partager avec vous. Là, à l'instant, rien faire pour redonner leur place à ceux qui n'en ont plus, qui le
Chambre des pairs'. II faisait
durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s'aperçoit que je viens de voir un homme, un misérable, l'un de nos semblables pourra ? Qui va lever les yeux vers ces fantômes ? Le constat s'impose :
beau et très froid, malgré le so-
cette femme existe, tandis que cette femme ne s'aperçoit pas que cet pourtant, que l'on emmenait en prison pour un pain volé... le malheu- Ies nantis se contentent de iouir de leurs privilèges, de leur fortune,
leil de midi. Je vis venir rue de
hlf 4[i^ homme est là, Ia catastrophe est inévitable. reux marchait presque pieds nus par le froid qu'il fait et n'était vêtu sans aucune gratitude pour Ies obscurs travailleurs qui leur per-
Tournon un homme que deux
(Victor Hugo, Cho se s Vue s, rB 46) que de haillons. La prison pour un pain volé ! Vous rendez-vous mettent de s'enrichir, sans aucune compassion pour les plus démunis...
soldats emmenaient. Cet homme
l,r** compte ? Et cet homme n'avait pas mangé depuis des iours. C'est Mais soyez sûrs d'une chose : si nous persistons dans notre lndiffé-
était blond, pâle, maigre, hagard ;
Notes pourtant là le quotidien du petit peuple de Paris, mais nous y sommes rence, à ignorer la violence faite aux pauvres de cette nation, à ne
trente ans à peu près, un pan-
r.Le zzfévrier 1846, deux ans avant les émeutes de t848 qui entraîne- aveugles. Le riche ne se soucie pas du pauvre. Les propriétés, les rentes, même pas leur accorder l'aumône d'un regard, alors le vent de la
talon de grosse toile, les pieds
ront l'abdication du roi Louis-Philippe. les titres, les réceptions, voilà ce qui préoccupe le riche, voilà les objets tempête soufflera sur nos têtes ! Si une poignée d'hommes oisifs
nus et écorchés dans des sabots
2. Haute assemblée législative dont Victor Hugo était membre. de ses soins, voilà ce pour quoi il situation ne peut
se bat. Mais cette
possèdent toutes les richesses et que la majorité ne peut vivre décem-
avec des linges sanglants roulés
autour des chevilles pour tenir 3. yoiture à chevaux sur laquelle sont peints les emblèmes d'une se prolonger encore longtemps, le scandale a assez duré et, en notre ment d'un honnête labeur, alors, mes amis, tôt ou tard le peuple se
famille noble. âme et conscience, nous sentons bien que nous ne pouvons plus nous révoltera et jettera à bas les fondements d'une société trop inique.
lieu de bas ; une blouse courte,
4. Cet emblème signale que la passagère est une duchesse. en satisfaire. Pouvons-nous encore tolérer que nos semblables tra- Unissons plutôt nos forces pour prévenir la catastrophe tant qu'il en
Victor Hugo souillée de boue derrière le dos,
5. Étoffe précieuse de couleur iaune. vaillent dans des conditions déplorables pour ramener quelques sous est encore temps, et réformons notre société pour qu'enfln elle soit
ce qui indiquait qu'il couchait
6. Côtoyer. au logis ? Que les enfants soient obligés de travailler, de laisser Ieur plus iuste et plus respectueuse de tous ses membres. Mes amis,
habituellement sur le pavé ; la tête nue et hérissée. Il avait sous Ie
joie, leur santé, parfois leur vie dans un labeur inhumain que bien des agissons pour le bien-être de tous !

bras un pain. Le peuple disait autour de lui qu'il avait volé ce pain
et que c'était à cause de cela qu'on l'emmenait. En passant devant la L'intitulé complet du sujet adultes ne pourraient accomplir ? Pouvons-nous encore tolérer que
caserne de gendarmerie, un des soldats y entra, et I'homme resta à À son arrivée à la Chambre des pairs, le narrateur, sous le coup de Ies femmes livrées à leur propre sort soient réduites aux dernières Les bons outils
l'émotion, prend la parole à la tribune pour faire part de son indigna- extrémités et s'avilissent pour espérer subsister ? Non, assez ! Lexis- Le thème de l'exercice n'étant pas littéraire, l'essentiel réside ici
la porte, gardé par l'autre soldat. Une voiture était arrêtée devant la
dans le style adapté à la situation de communication : multiplier les
porte de la caserne. C'était une berline armoriée3 Portant aux lanternes tion et plaider pour plus de justice sociale. Vous rédigerez ce discours. tence que nous laissons à nos misérables frères est une existence
phrases exclamatives, interrogatives, impliquer les destinataires du
une couronne ducalea, attelée de deux chevaux gris, deux laquais dégradante. Imaginez-vous un instant que I'homme que i'ai vu ait discours par des questions rhétoriques, passer du « ie » au « nous »,
en guêtres derrière. Les glaces étaient levées, mais on distinguait L'analyse du sujet volé par choix, par plaisir ? Non, seuls le désespoir et la faim ont pu utiliser l'impératif à la première personne du pluriel.
l'intérieur, tapissé de damas bouton d'ors. Le regard de l'homme flxé Le sujet fait référence au « narrateur » du texte extrait de Choses vues: conduire cet homme à faire fl de son honneur et de sa dignité. Peut-être
sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans Ia voiture une femme il s'agit donc de Victor Hugo, pair de France (une sorte de « sénateur »). a-t-il une famille à nourrir, peut-être est-ce pour eux qu'il s'est livré à
en chapeau rose, en rose de velours noir, fraîche, blanche, belle, La situation de communication est celle d'un orateur s'adressant à un cet acte... Une fois leur père emprisonné, que vont devenir ces petits ?
SUJETS TOMBÉS AU BAC SUR CE THÈME
éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize public (les pairs de Ia Chambre). Le contexte implique donc une certaine Ils s'en iront mendier par les rues... Cette idée me fait frémir d'horreur.

mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures. Cette femme solennité et un registre de langue soutenu. La tonalité du texte attendu En laissant toute une partie de Ia population vivre dans des conditions Dissertations
ne voyait pas l'homme terrible qui la regardait. |e demeurai pensif. est suggérée par les termes qui font référence à létat d'esprit du locuteur : lamentables, nous les incitons à sombrer dans une déchéance touiours - Les textes littéraires et les formes d'argumentation souvent com-
plus grande, à renoncer peu à peu à tout principe, à perdre toute plexes qu'ils proposent vous paraissent-ils être un moyen efficace de
Cet homme n'était plus pour moi un homme, c'était le spectre de la « sous le coup de l'émotion », « indignation » : on doit donc retrouver,
convaincre et persuader ? Vous présenterez votre travall sous la forme
misère, c'était l'apparition, difforme, lugubre, en plein iour, en plein dans le lexique et les tournures, les marques de cette exaltation. morale. Nous ne pouvons plus ignorer les drames qui se iouent sans
d'une lettre, mais sans la signer. (Sujet national, zooz, séries ES, S)
cesse sous nos yeux. Battons-nous pour plus de fustice sociale ! La
- Dans quelle mesure la forme littéraire peut-elle rendre une argu-
mentation plus efficace ? (Suiet national,2ooT, séries ES, S)
ZOOM SUR...
Victot Hugo : incarnation tique se pose comme un théâtre en France est profondément mar- Ce qu'il ne faut RE PE RES
duromantisme. total opérant le mélange des qué par les horreurs de la Com- pas larre
genres et offrant le spectacle à la mune (IAnnée terrible, t87z). . Revenirtrop longuement sur
Victor Hugo (r8oz-r885) est Sé-
Quelque s procé dés sÿlistiques. rogatif qui traduisent, par exemple, quités,/ Le plus grand scélérat qui LES TERMES PEJORATIFS
peut-être l'auteur qui concentre fois sublime et grotesque de la nateur à partir de 1876, il devient l'anecdote rapportée dans le
la colère et l'indignation du locuteur.
réalité humaine, concentrée dans tE BLÂME iamais ait été.[...] » ET MÉTIORATIFS
une figure emblématique de la texte : elle n'est que le point de
à lui seul le plus de traits du ro- (Molière, Tartuffe, acte lII, scène 6, Un terme péioratif est dévalo-
l'histoire d'un destin brisé. gauche républicaine. départ de l'exercice décriture. Les procédés les plus couram- t EMPHASE
mantisme. Chaque étape de sa r66+.) risant ; un terme mélioratif est
Hugo se lance avec la même Son æuvre littéraire exploite tous
. Attention aux anadronismes : ment utilisés pour blâmer sont : Elle caractérise le ton général d'un
biographie est marquée par son discours enclin à l'exagération valorisant. Une maison (terme
fougue dans l'action politique : les genres et tous les registres : le locuteur se situe en 1848. - un vocabulaire péioratif; ; L'ÉLoGE
engagement, son enthousiasme son contraire est la simplicité. neutre), peut-être appelée pé-
violent pour des idées littéraires,
il devient pair de France en 1845,
auteur de grands romans (Norre- - des figures par amplification Le genre de l'éloge recourt à tous
prononce des discours impor- (hyperbole) ou par opposi- Considérée péjorativement, l'em- les procédés du registre laudatif: iorativement « baraque » ou au
politiques et sociales neuves. Très Dame de Paris, t83t, ou Les Mi- contraire, de façon méliorative,
tants en faveur de Ia liberté de la tion (antithèse) des répétitions phase devient de « l'enflure » ou de - un vocabulaire mélioratif ;
leune, il se lance dans la bataille Pologne, se bat contre la peine de
sérables, t86z), il est également CITATION (anaphore, accumulation...) qui la grandiloquence. Dans cet extrait - des flgures par amplification ou « demeure r.
pour un nouveau théâtre, avec mort et les iniustices sociales, se poète (Ies Chatiments, 18fi, Les accentuent la réprobation, exa- de Tartuffe, le faux dévot, surpris par opposition, des répétitions ; Certains suffixes sont péioratifs :

Hernani (r83o) et Ruy BIas (t838). déchaîne contre Napoléon III. Ses Contemplations, t856) et drama- « Le romantisme "n'est autre gèrent la critique ; en flagrant délit, s'accuse avec une - des métaphores et des compa- -ard (braillardl, -âtreÇaunâtrel,
Il inaugure le drame romantique, choix politiques le contraignent ttrge (Hernani, 1830, Ruy Blas, chose que le courant de la révolu- - des métaphores et des compa- emphase particulièrement hypo- raisons valorisantes ; -aud (lourdaudl, -asse (bavasserl,
véritable machine deguerre à l'exil dans les îles anglo-nor- t$8).ll rédige même une épopée tion dans les idées". » raisons dépréciatives ; crite : « Oui, mon frère, je suis un - un rythme et une syntaxe qui -esque (livresque), -on (souillonl,
contre la tragédie classique qu'il mandes (fersey puis Guernesey) de l'histoire de l'humanité, Ia Ié- (Victor Hugo, William Shake- - une ponctuation expressive, des méchant, un coupable,/ Un mal donnent souvent une allure em- -is (ramassis).
veut détrôner. Le drame roman- pendant dix-neuf ans. Son retour gende des siècles (t8S9-t883). speare,lll, livre II, r864.) phrases de ÿpe exclamatif ou inter- heureux pécheur tout plein d'ini- phatique au discours.

66 taquestion de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvt" siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos ;ours 6/
LES ARTT.LES DU ïffonûe LES ARTTCLES DU llÜonû,e

Céline émerge comme un des grands créateurs Il faut sbpposer à la célébration d'un auteur antisémite
de son temps L'homme est indissociable du romancier,il n'est pas au-dessus de la morale.

Malgré son antisémitisme, l'écrivain méritait d'être célébré. Lécrivain Louis-Ferdinand Céline n'avait pas de sang sur les mains. défense. On s'acharne à me vouloir considérer comme un massacreur
«
Mais il y en avait plus que d'encre dans sa plume. Son usage exalté du de juifs écrira-t-il à |ean Paulhan en avril r948. Il ajoute, brouillant Ies
»,
langage n'excluait pas la roublardise et l'hypocrisie. Sous ses cris de rage, pistes, surlignant les mots 1 « le suis un préservateur patriote acharné
Doit-on, peut-on célébrer Céline ? Les obiections sont trop évidentes. un second pamphlet, en 1938, il va jusqu'à prôner, touiours sur fond ses éructations, il pratiquait en maître raffiné la litote et le syllogisme. de français et d'aryens et en même temps d'ailleurs de juifs. »
Il a été I'homme d'un antisémitisme virulent qui, s'il n'était pas meur- d'antisémitisme, une alliance avec Hitler. Mais une idée, un thème obsédant lui servit de clef magique, toujours et En mars t946, il s'exonérait ainsi : « L'antisémitisme est aussi vieux
trier, était d'une extrême violence verbale. Mais il est aussi l'auteur Après ces deux livres, il ne pouvait, la guerre venue, que se retrouver partout - à vrai dire surtout après 1945 : la victime, le persécuté c'était que le monde et le mien, par saforme outrée, énormément comique,
d'une æuvre romanesque dont il est devenu commun de dire qu'avec du côté des vainqueurs. Mais sa personnalité incontrôlable fait Iui, ce n'était que lui. A partir de ce noyau dur, tout devint possible. La strictement littéraire, n'a jamais persécuté personne. » Dans un mé-
celle de Proust elle domine le roman français de la première moitié du que les lettres qu'il envoie pour qu'ils les publient aux journaux bonne foi, l'honnêteté, la capacité de reconnaître que l'on s'est trompé moire en défense qu'il rédige à cette même date, après avoir affirmé
XX" siècle. (Euvres de même ampleur (quatre volumes chacune dans collaborationnistes y détonnent tantôt par leurs critiques, tantôt par ou fourvoyé, furent balayees par la mauvaise foi la plus éclatante, la plus que « jamais » chasse à l'homme « nefut plus impitoyable que celle
la Bibliothèque de Ia Pléiade), opposées par bien des points mais qui, Ieurs outrances. Il se tient soigneusement à l'écart de la collaboration réfléchie. La littérature conférant à l'écrivain une sorte d'innocence de qui se déroule en ce moment en Europe contre les "collaborateurs" ou
toutes deux, rejetant Ia production de leur temps mais s'enracinant offlcielle. principe. Cela pourrait être comique si l'enjeu de la culpabilité n'était prétendus tels », il écrit ceci : « Il n'y a jamais eu de persécution juive
dans la tradition antérieure, ont apporté à Ia littérature française Cela n'empêche pas que, figure maieure de l'antisémitisme, il doive pas celui qu'il a été, s'il n'avait pas les dimensions de la Shoah. en France. Les juiJs ont toujours été parfaitement libres (comme je ne
quelque chose de radicalement nouveau. fuir Paris à l'approche de la Libération. Son but est de gagner Ie Da- Avant et pendant la guerre, Céline (re)publia plusieurs pamphlets le suis pas) de leur personne et de leurs biens dans la zone de Vichy
Céline n'a réalisé que tard son désir d'écriture, publiant à 38 ans sous nemark, où il a entreposé ce qu'il a pu de ses droits d'auteur. Mais la antisémites. Lepire,Bagatelles pour un massacre,parut à la fln 1937 et pendant toute Ia guerre. Dans la zone Nord ils ont dû arborer pendant
ce pseudonyme son premier roman, Voyage au bout de Ia nuit. Rien situation militaire de cette partie de I'Europe en r944-t945 l'obligera à connut un grand succès. Le livre fut aussitôt traduit dans lAllemagne quelques mois une petite étoile. (Quelle gloire ! Je veux bien en arborer
dans son milieu ne l'y prédestinait. Fils unique d'une mère qui tenait passer d'abord neuf mois à parcourir en zigzag une Allemagne devenue nazie. En France, interdit six mois en mai 1939, il fut réédité avec dix !) On a confisqué quelques biens de juifs (avec quels chichis !) qu'ils
un petit commerce et d'un père employé subalterne dans une compa- tout entière champ de bataille. Ce spectacle était fait pour lui. Son succès en octobre 1943, avec des photos. On ne peut lire auiourd'hui ont récupérés depuis lors et comment ! à intérêts composés (mes biens
gnie d'assurances, ses parents lui avaient fait quitter l'école après Ie imagination en fera la matière de ses derniers romans, D'un château (légalement)ce livre monstrueux, mais on se reportera avec profit à ne me seront jamais rendus) (...) » Commenter, ici, ce serait se salir.
certiflcat d'études. Le dur apprentissage de la vie dans Ia condition de l'autre, Nord et Rigodon. Entre-temps, il aura vécu au Danemark dix- l'ouvrage récent dAndré Derval sur la réception critique de l'ouvrage Comme I'écrivait Isidore Ducasse (Lautréamont) : « Toute I'eau de
commis au temps de la Belle Epoque loint à des lectures d'autodidacte huit mois de détention puis quatre ans d'un exil difflcile. Condamné (éd. Ecriture, zoro). Des iugements réprobateurs certes, mais aussi des Ia mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuel. »
n'avaient pas conduit Louis Destouches plus Ioin qu'un engagement en France par contumace puis amnistié au bénéflce de sa conduite rires et des applaudissements, accueillirent le pamphlet. ]ean-Pierre Martin, dans son Contre-Céline (losé Corti, r997), déflnissait
de trois ans dans Ia cavalerie lorsque, en août t9t4, la guerre vient de t9r4, il s'installe à son retour dans une villa de Meudon d'où il ne
en ces termes le « génie de Céline » : « un génie du maniement tout à la
bouleverser sa vie et les projets d'avenir de ses parents. sort guère, consacrant tout son temps à écrire ses derniers romans, Inutile de citer ici les délires meurtriers et parfaitement contrôlés fois politique et esthétique de Ia langue, une science intuitive du dosage,
Lexpérience du front ne dure que trois mois, mais elle a suffi à ouvrir qui flniront par Iui rendre un public. de Céline, que I'écrivain qualifiait lui-même d' « humoristiques et une mesure éprouvée, aufil des livres, des risques du tout-dire et du
les yeux au ieune homme de zo ans qui, lusqu'alors, ne s'était guère Il n'avait jamais cessé, de livre en livre, d'aller touiours plus loin rabelaisiens et antisémites et surtout pacrfistes ». En revanche, il n'est parlé écrit, un calcul des intensités, des intonations et de l'implicite, un
affranchi de la vision que ses parents se faisaient de la société et de dans les voies ouvertes par son premier roman à la recherche d'un pas vain de rappeler quelques phrases, tirées des Lettres de Céline louvoiement précis entre vindicte et violons, un jeu rusé entre attente
la vie. Cette révélation de la guerre s'achève inopinément sur un fait style. Si, son æuvre achevée, il apparaît comme irremplaçable, c'est (édition Henri Godard, Gallimard, « La Pléiade »,zoo9).En iuin 1944, et déception, relâ.chement exclamatoire et silence salutaire. »
d'héroïsme qui, soldé par de sérieuses blessures, fait de lui, décoré et d'abord pour cette invention d'une manière entièrement nouvelle Céline fuit la France et se réfugie au Danemark. De là, il organise sa En t994, Henri Godard, dans Céline scandale (Gallimard) invitait,
réformé, un homme nouveau. et inimitable d'écrire le français. Le recours au français populaire avec beaucoup de probité, mais sans toujours parvenir à convaincre,
Le voilà en quête d'expériences les plus diverses possible qui, sur n'avait été qu'un point de départ. La rupture qui s'ensuit avec la phrase à considérer ensemble l'esthétique de Céline et son antisémitisme,
POURQUOI CES ARTICTES ?
trois continents, compléteront sa formation. II est médecin dans un grammaticale avait peu à peu débouché sur un nouveau rapport au à ne pas séparer le pamphlétaire et Ie romancier. A Ia dernière page
dispensaire de Ia région parisienne lorsqu'il entreprend, en trois ans temps et au sens. Ce style à son tour était le seul qui pouvait donner En 2011, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, inscrit Louis- de son essai il écrivait néanmoins : « Céline s'est mis à jamais hors de
de travail nocturne, de dire dans un roman qui ne ressemblera à aucun une expression littéraire aux deux guerres qui ont imposé leurs Ferdinand Céline (r894-t96t) dans la liste des personnalités à célébrer toute consécration officielle. »
autre ce que Ia vie Iui a appris. Le livre fait I'effet d'une bombe. Il atteint stigmates à l'Europe de cette première moitié du XX" siècle. Celle de à lbccasion du cinquantenaire de leur disparition, puis l'en retire sous
Plus d'un demi-siècle est passé. De l'eau a coulé sous les ponts et sur
des dizaines de milliers de lecteurs, les uns horriflés de sa brutalité, les tgr4-rgr8, après l'ouverture éclatante deVoyage au bout de la nuit, la pression des nombreuses protestations dénonçant son antisémi-
tisme notoire. Le romancier, qui a connu la célébrité avec son premier les charniers. Céline est mort. Un jour prochain, les pamphlets, dûment
autres y trouvant exprimée, avec soulagement si ce n'est un sentiment imprègne de manière diffuse toute la première moitié de l'æuvre. annotés, devront être à nouveau rendus accessibles. Il est donc temps,
rcman Voyage au bout de la nuit (prix Renaudot 1932), est en effet
de vengeance, Ia révolte qu'ils ne savaient pas touiours enfouie au plus à travers le phénomène nouveau des bombarde-
Celle de 1939-1945 est, l'auteur de pamphlets d'une extrême violence, publiés entre 1937 pensent certains, de passer l'éponge, de faire triompher Ia Iittérature.
profond d'eux-mêmes. Du jour au lendemain écrivain reconnu, Céline ments, Ia dominante des quatre derniers romans. Quelle autre ceuvre, et 1941, qui sont des appels à la haine contre les iuifs et revendiquent Puisque sous l'ignoble individu se cachait un grand écrivain, autant
met pourtant quatre ans à écrire un second roman,Mort à crédit, dans dans la littérature mondiale, est autant que celle-ci à Ia hauteur de ce explicitement leur élimination, en totale connivence avec l'idéologie
fêter celui-ci et passer le premier à la trappe, par pertes et proflts. Car
moment de l'histoire raciste des nazis. Ces deux articles proposent à la réflexion du candi-
lequel il approfondit Ies intuitions que lui avait procurées le premier. ?
c'est bien de cela qu'il s'agit pour ceux qui crient à la censure. Lartiste
dat au bac de français les éléments d'une problématique sur la rela-
Mais 1'accueil est une déception. Ce semi-échec, loint à la découverte Sous ce double aspect, de styliste et de romancier capable de donner
tion entre littérature et idéologie. Faut-il considérer que l'écrivain est au-dessus (ou à côté) de l'impératif moral. Son art lui donne son
des réalités de l'URSS pendant l'été de 1936, cristallisa des sentiments un visage à son époque, Céline, cinquante ans après sa mort, émerge est au-dessus de f impératif moral et accepter en bloc sa vision du envol. Et à le célébrer, on fait triompher cet art, dans un ciel pur de
peu à peu renforcés au cours des années précédentes, mais iusqu'alors comme un des grands créateurs de son temps. Or ce temps est celui monde au nom de son génie littéraire ? C'est ce que soutient Henri toutes mauvaises intentions.
encore sans virulence. où la création artistique est devenue une valeur que nous reconnais- Godard, qui le considère comme l'écrivain qui - avec Proust - domine
Mais non, décidément, 1'opération est impossible. II faut s'y opposer,
sons, même là oir elle ne coincide pas avec nos valeurs morales, voire le roman français dans la première moitié du xx" siècle, pour son « in-
car il y a unité de la personne de l'homme et de l'écrivain. Refuser cette
vention d'une manière entièrement nouvelle et inimitable d'écrire
Aller toujours plus loin les contredit. En célébrant Céline, nous nous inscrivons dans la ligne
le français ». À ce titre, il serait légitime de rendre hommage à son séparation, c'est d'ailleurs une manière de respecter l'écrivain, d'en-
Lannée suivante, avec l'aggravation de Ia menace de guerre, dont il de cette reconnaissance, qui est I'un des abquis du XX" siècle. talent. Patrick Kéchichian récuse cette différenciation entre l'homme visager sa parole comme intégralement responsable et son æuvre
imputait la responsabilité aux iuifs, Céline devint dans Bagatelles et l'ceuvre, entre certains écrits honteux, ses pamphlets antisémites, comme un ensemble cohérent.
pour un massacrelavoix la plus tonitruante de l'antisémitisme. Dans Henri Godard , Le Monde daté du 25.07.2cl1 et d'autres qui révolutionnent I'esthétique romanesque. Il conclut en
reprenant habilement une citation de son contradicteur : « Céline
s'est mis à lamais hors de toute consécration offlcielle. » Patrick Kéchichian, iournaliste,
ancien chef adjoint du Monde des livres, Le Monde daté du z5.ot.zorr

68 La questlon de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvru siècle à nos jours La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos lours 6ÿ
L,ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS

Voltaire propose l'utopie réflexion sur le rapport entre soi et l'autre n'a jamais cessé. Les
La réflexion sur l'homme à travers les textes l'Eldorado, dans Candide, il y
montre l'importance des arts et
de La
textes argumentatifs peuvent être directs : Montaigne, dans Ies Essais,
critique l'ethnocentrisme et Levi-Strauss, ethnologue du xx" siècle,

argumentatifs des sciences et la possibilité de se


passer de prisons. Au xrx" siècle,
]ules Verne et Charles Fourier
auteur de Tristes Tropiques, montre que ce que nous nommons
«barbarie » est bien plus de notre côté que de celui des « barbares ».
Sartre, dans son texte Orphée noir, préface à La nouvelle poésie nègre
imaginent des villes propres, ra- et malgache de Senghor, évoque Ies mécanismes racistes. D'autres
Un texte argumentatif peut traiter de tout type de sujets. Cependant, on retrouve, au tionnelles et géométriquement auteurs utilisent l'argumentation indirecte. Prévert, Césaire, Senghor,
fil des siècles, une récurrence des thèmes liés à ce que I'homme a de plus proche, parfaites. par exemple, prennent Ia parole et défendent la thèse de l'antiracisme
Le rapport entre individu et
mais parfois de plus mystérieux : lui-même. société peut également passer
à travers la poésie.
Cette réflexion sur l'égalité des hommes s'accompagne de celle
par l'élaboration de codes et de portant sur la justice. De fait, la littérature argumentative s'intéresse
Au xx" siècle, les surréalistes reprendront cette question pour lui François Rabelais « lois » morales, afin de per- aux notions de pouvoir, de tolérance... Le siècle des Lumières a vu
La réflexion sur ce quiconstitue I'identité de I'homme
donner une toute autre interprétation. En effet, ce courant littéraire, mettre une vie commune sans affrontement. Les moralistes du émerger de très nombreux écrits comparant les différents modes de
Le texte argumentatif est la défense, par un écrivain, d'une thèse déià
dont le chef de flle est André Breton, met en avant l'importance de xvrf siècle prônent une conduite mesurée, correspondant aux valeurs gouvernements (Montesqui eu,De l'esprit des Iois, texte théorique ; Ies
formée ; il est également un espace où il peut s'interroger, poser des
l'inconscient. « classiques » de I'époque. Ils admettent l'existence de l'orgueil, des Lettres persanes, roman épistolaire), véritables critiques du fanatisme
questions dont les réponses ne sont pas évidentes et nécessitent une
Certains textes, enfln, sont plus ouvertement philosophiques. Sartre, défauts de chacun mais montrent comment on peut, en respectant les et de l'intolérance. En se basant sur ces éléments, Voltaire et Diderot
réflexion. Lauteury développe des constats, propose une interprétation,
d,ans L'É,tre et le Néant, ot dans L'Existentialisme est-il un humanisme ?, bienséances et en se pliant à des usages de politesse, faire en sorte que ont ainsi fourni de nombreux articles pour L'Encyclopédie.
éventuellement une thèse et, surtout, une pensée en construction.
définit la conscience et reiette l'idée selon laquelle il existerait une les vices ne soient pas invivables. La vision de l'homme qu'ils proposent Cette interrogation sur les modes politiques mène immanquablement
L une des questions fondamentales qui se pose à l'homme est bien sûr
« nature humaine » ou un « caractère » auxquels nous serions soumis. est assez désabusée dans la mesure oîr ils ne croient pas à une amélio- à la réflexion sur l'engagement. Les textes argumentatifs explorent
celle de son identité : qu'est-ce qu'un homme, un individu ?
II sbppose par Ià à tout ce que les moralistes avaient cherché à montrer. ration de l'individu. Pascal dans Ies Trois Discours sur la condition des également Ies thèmes de la guerre, de « l'inhumain », et, au xx" siècle,
Pourtenterde répondre à cette question, certains écrits sbrganisent autour
Cette interrogation sur l'homme est souvent accompagnée d'une Grands, ou La Rochefoucauld dans les Maximes, donnent aux lecteurs de l'univers concentrationnaire. Réfléchir sur I'homme, c'est ainsi
d'une description de soi. Au xvr" siècle, Montaigne, dans Ies Essais, tente
réflexion sur le rapport entre individu et foi, ou indiüdu et croyance. des éléments pour transformer cet état de fait en un univers tolérable. prendre position sur l'horreur de certains événements. L indignation
de se dépeindre pour se comprendre. Iiautoportrait prend une valeur
En effet, qui veut étudier l'homme doit prendre en compte ses Le théâtre prend en charge lui aussi cette réflexion : la pièce de Mo- emprunte diverses voies : la satire ou Ie pamphlet, l'ironie (Candide,
argumentative lorsqu'il se toume vers une réflexion théorique à partir
aspirations et son inclination au sacré. Certains théologiens, comme lière,Le Misanthrope, peut être lue comme une argumentation sur la par exemple), le récit (autobiographies de Primo Levi, de Semprun...), la
de lbbservation de soi-même. Montaigne affirme ainsi « fe ne peins pas
Thomas d'Aquin, ou certains croyants fervents, comme Pascal, franchise et I'hypocrisie. Les pièces de Racine posent la question de la contre-utopie (tg84,d'Orwell). En zoro, Stéphane Hessel a rencontré un
l'homme, ie peins le passage ». fean-tacques Rousseau, au xirn" siècle,
exposent leurs convictions religieuses dans leurs ouvrages. Ce faisant, place à donner aux passions individuelles contre les devoirs sociaux. succès fulgurant avec un appel à l'engagement intitulé In dignez-vous.
donnera à Ia littérature française la première autobiographie au sens strict
ils proposent aussi une conception de l'homme : il est doté d'une âme. Tout au long du xrx" siècle, des auteurs tels que Stendhal, Balzac,
du terme, mais Les Confessionsoffrent de nombreux passages dans lesquels
La réflexion sur l'homme pose alors la question du sens de notre Maupassant ou Zola montrent, dans des articles ou dans leurs romans,
récit de sa propre üe et réflexion sur l'identité se mêlent inextricablement. Conclusion
vie sur terre, de notre devenir, et de la valeur que l'on peut accorder par le biais des réflexions des personnages, Ies difficultés de l'accord
Les >of et xf siècles poursuivront cet effort de compréhension de soi, Le texte argumentatif, direct ou indirect, est le lieu privilégié d'une
aux biens matériels ou spirituels. Tout le xvrrru siècle (en particulier entre I'individu et la société. Certains textes argumentatifs explicitent réflexion anthropologique qui se poursuit au fll des époques. Les
également tentative de compréhension de l'homme.
Voltaire et Diderot) s'attache à cette question en Ia posant sous I'angle cette incompatibilité, par exemple en développant une théorie de
Des textes plus directement argumentatifs s'intéressent également auteurs s'interrogent, et se répondent d'un siècle à l'autre, chaque
du bonheur. Les philosophes des Lumières combattent une religion l'individualisme. Choderlos de Laclos, dans Les Liaisons dang ereuses,
à cette question. Lauteur cherche alors à expliciter ce qu'est Ia vision enrichissant notre vision de nous-même.
répressive et autoritaire, et posent des valeurs nouvelles. ou Sade, dans ses écrits romanesques et philosophiques, montrent des
personnalité ou l'humanité, en tentant de découvrir les rouages du
personnages pour qui la seule voie possible est le reiet des valeurs
cæur comme ceux de la pensée. La réflexion se fait, dans ce cas, plus
large, et même si certains écrivains partent d'un cas particulier, ils L'individu et la société communes et l'exaltation des inclinations personnelles.
dégagent ensuite des Iois ou des thèses générales. Au xvrt" siècle, Pascal Réfléchir sur l'homme, c'est aussi réfléchir sur la société dans Au xx" siècle, nombreux sont les ouvrages argumentatifs sur la société
laquelle il s'insère. En effet, la vie en société engendre des heurts, des de consommation et l'uniformisation issue de la mondialisation qui
pose ainsi, dans Ies Pensées,la question : « Qu'est-ce que le moi ? ».
frustrations... Les textes argumentatifs cherchent donc à comprendre révèlent une réflexion sur les désirs et les frustrations individuels.
Il y répond à l'aide d'un développement théorique révélant que ce
le rapport de l'homme à sa communauté, et élaborent parfois des UN ARTICTE DU MONDE À COruSUTTEN
« moi » n'est réductible ni au corps, ni à la raison, ni aux émotions.
La Rochefoucauld ou La Bruyère livrent, dans les Maximes et dans Ies modèles de sociétés. La réflexion politique . « Olympe de Gouges était une rebelle glorieuse »,
Caractères, une série de descriptions, parfois critiques, qui permettent Le genre de l'utopie (créé par Thomas More au xvr" siècle) est ainsi S'inscrire dans une société, c'est aussi participer à la vie politique. Or,
entretien avec Michelle Perrot p. I +-l 6
de saisir un individu à partir de ce qu'il montre ou de ce qu'il croit un entrelacement du récit et de l'argumentation : il propose un lieu l'argumentation est le type de texte privilégié pour développer des (Propos recueillis par ]osyane Savigneau, Le Monde
être. Ces moralistes cherchent à pénétrer la vérité psychologique d'un idéal, en correspondance avec des valeurs, comme Ie fait Rabelais thèses, faire la critique ou l'éloge de certains modes de pouvoir et daté du ro.o7.zor4)
homme, au-delà des apparences. avec l'abbaye de Thélème. D'autres écrivains utiliseront ce genre. de certaines valeurs.

zooM suR... RE PÈ RES


Les stratégies des écrivains s'adresse à un Européen : « Tu n'es MONTESqUIEU VOLTAIRE
pas esclave : tu souffrirais plutôt Il utilise, dans un essai dont Il a recours au conte, dans Iequel il Le s g enre s arg umentafif* CONTROVERSE ticulièrement littéraire. À partir du des traités philosophiques de Sé-
des Lumières. Discussion argumentée, contes- xx" siècle, la critique est devenue nèque. Le genre trouve son plein
la mort que de l'être, et tu veux l'interprétation fait encore l'objet introduit un témoignage. Candide APOLOGIE
Dans leurs combats pour Ia jus- tant une opinion, un problème, un genre littéraire à part entière, épanouissement au xx"siècle, avec
nous asservir ! Tu crois donc que de discussions, Ie raisonnement rencontre un esclave mutilé qui Iui Désigne, en grec, Ie discours pro-
tice et notamment la dénoncia- un phénomène ou un fait, notam- dont les grands noms sont Sâinte- une floraison d'essais critiques et
le Tahitien ne sait pas défendre sa par l'absurde : « Le sucre serait apprend Ies causes de son malheur: noncé pour défendre quelqu'un.
tion de l'esclavage, les écrivains « On nous donne un caleçon de toile
ment religieux. La controverse de Beuve, Proust (Contre Sainte-Beuve, philosophiques.
liberté et mourir ? [...] quel droit trop cher, si l'on ne faisait travail- Par extension, tout discours qui
des Lumières ont multiplié les Valladolid (tS5o-t55t) porte sur t95$, Pa]JJ Yaléry (Vaiété, t9z4-
as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? ler la plante qui le produit par des pour tout vêtement deux fois l'an- vise à justifier ou à glorifier une MANIFESTE
stratégies d'écriture.
née. Quand nous travaillons aux su-
la légitimité de la colonisation tg44) ottencore Roland Barthes (Es-
Tu es venu ; nous sommes-nous esclaves. Ceux dont il s'agit sont personne ou une doctrine. Il ap- Déclaration écrite, publique et so-
creries, et que la meule nous attrape
de lAmérique par les Espagnols. sais critiques, t964\.
DIDEROT ietés surta personne ? avons-nous noirs depuis les pieds jusqu'à partient alors au vocabulaire de lennelle, dans laquelle une entité
le doigt, on nous coupe la main ; Iean-Claude Carrière en a fait une
Après Ia publication du Voyage pillé ton vaisseau ? t'avons-nous Ia tête ; et ils ont Ie nez si écrasé l'éloge et s'oppose au blâme. Ies ESSAI politique, un artiste ou un groupe
pièce de théâtre en 1992.
autour du monde, relatant l'ex- saisi et exposé aux flèches de nos quand nous voulons nous enfuir, Lettres philosophiques de Voltaire, Texte en prose de longueur va- d'artistes expose une décision,
qu'il est presque impossible de les
pédition de Bougainville et la ennemis ? t'avons-nous associé plaindre. » (Montesquie,,s., De I'es-
on nous coupe la iambe: ie me suis par exemple, sont une apologie CRITIQUE riable qui analyse librement un une position, une conception
prise de possession des îles du dans nos champs au travail de nos trouvé dans les deux cas. C'est à ce du régime parlementaire anglais. Au sens littéraire, activité qui essaie suiet moral, philosophique ou lit- ou un programme, artistique ou
prit des lois, t748.)
Pacifique, Diderot imagine un animaux ? » (Diderot, SuPPIément prix que vous mangez du sucre en de comprendre le fonctionnement téraire. Le genre et le nom ont été non. Exemple : André Breton, le
dialogue dans lequel un Tahitien au Voyage de Bougainville, 1772.\ Europe. » (Voltaire, Candide, tl Sg.) et le sens de l'æuvre d'art, plus par- inventés par Montaigne, imitant Manifeste du surréalisme, tgz4.

JO La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvro siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos jours /1
UN SUJET PAS A PAS UN SUIET PAS A PAS

Commentaire de texte Le plan détaillé du développement III. Un portrait chargé


: I. Un être répugnant a) Une caricature
Moraliste effacé - seul témoin : pronom indéflni (( on ») : dans « on le
Jean de La Bruyère, << De I'homme » a) Un goinfre
Comportement à table (plus de la moitié du texte) : juxtaposition de suit », « on veut ») - évocation obiective laissant tout le champ à son
propositions soulignant sa goinfrerie - accumulation de verbes (n ma- suiet = caricature.
nie, remanie, démembre » etc.) - impression d'activité compulsive Nombreux pluriels et indéflnis à valeur généralisante, en particulier
personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion" et sa
Le texte (« il écure ses dents = fln du repas ? contredit par « et il continue... » avec la répétition de « tous » ou « tout ». La Bruyère le présente, à
bile, ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne,
Gnathon ne vit que Pour soi, table, grimaçant de façon exagérée et ridicule : « il roule les yeux en
qu'il rachèterait volontiers de I'extinction du genre humain. = effet de surprise) - détails triviaux décrivant sa malpropreté - assi-
et tous les hommes ensemble mangeant » et la métaphore du râtelier accentue encore la charge
fean de La Bruyère, « De I'homme », Les Caractères, t688.) milation métaphorique Gnathon/ animal annoncée dans « la trace »
sont à son égard comme s'ils et conflrmée dans « râtelier ». satirique de la description.
n'étaient point. Non content de Transition: La caricature, en forçant les traits de Gnathon, permet au
Notes Transition: Ainsi, à table, Gnathon apparaît déià comme un person-
remplir à une table la première moraliste de donner une portée générale à son texte.
r. Sa propriété. nage fort mal élevé et sans gêne, ce que conflrme, de façon générale,
place, il occupe lui seul celle de b) L'indétermination
z. Se dit pour toute espèce de nourriture. tout son comportement.
deux autres ; il oublie que Ie b) Un homme sans gêne ni scrupule Le portrait de Gnathon n'est pas tant celui d'un personnage que celui
3. Manger bruyamment, en se faisant remarquer.
repas est pour lui et pour toute d'un vice : l'égocentrisme. Nom de flction à consonance grecque
4. Assemblage de barreaux contenant Ie fourrage du bétail.
Relation à l'espace : accaparation (« établissement »)/ église (« ser-
Ia compagnie ; il se rend maître (Gnathon) = abstraire le personnage d'un cadre référentiel trop précis
5. Se curer. mon ») - théâtre - hôtelleries - (trait délà présent dans la description
du plat, et fait son ProPre'de du repas : « place », « maître du plat », « fait son propre ») - exigence et caractérisé. Actions présentées en focalisation externe : emploi du
6. Il fait comme s'il était chez lui.
chaque service : il ne s'attache à présent de l'indicatif, valeur narrative étendue à la dimension de vérité
7. Serré dans la foule.
du meilleur : adj. ordinal « première place » - superlatifs répétés
aucun des mets, qu'il n'ait ache- « meilleure chambre, meilleur lit » - avantages acquis par mensonge générale, intemporelle.
8. Devancer.
vé d'essayer de tous ; il voudrait Transition: Ainsi, à travers le portrait chargé de Gnathon, La Bruyère
(incise : « si on veut l'en croire »).
pouvoir les savourer tous' tout à 9. Bagages.
Jean de La Bruyère, portrait 1o. Tout ce qui est nécessaire pour voyager (chevaux, carrosses, habits, Transition: Le personnage n'a aucun scrupule à sbctroyer ce qu'il y a dépeint Ie tableau d'une facette peu glorieuse de la nature humaine
attribué à Nicola! de Largillière la fois. Il ne se sert à table que de
de mieux et à mépriser tous ceux qui I'entourent, ne songeant qu'à son et non d'un individu particulier.
(1656-1746). ses mains ; il manie les viandes",
etc.).
11. Surcharge d'aliments dans l'appareil digestif. intérêt propre. II révèle par 1à même un repli essentiel sur lui-même.
les remanie, démembre, déchire,
II. Un être égocentrique Conclusion
et en use de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, a) L'égocentrisme À travers son allure de goinfre sans gêne et caricaturé de façon ridicule,
mangent ses restes. I1 ne leur épargne aucune de ces malpropretés lntroduction
Trait central du personnage : l'égocentrisme - marqué par la reprise Gnathon incame un vice humain redoutable, légocentrisme. À une époque
dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés ; Ie ius et les Les Caractères, grande æuvre du moraliste La Bruyère, offre une riche
anaphorique du pronom « Il » dans la plupart des phrases -, réseau oir d'autres moralistes, comme La Rochefoucauld par exemple, dressent
sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût galerie de portraits satiriques. Si les lecteurs du xvrr" siècle voulaient
d'oppositions entre singulier (« II ») et termes au pluriel (« conviés, eux aussi un constat assez sombre de I'amour-propre, La Bruyère, à travers
de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la y voir des allusions à des personnages réels de l'époque et faisaient
autres », tous les hommes »). le portrait de cet individu, vise les hommes en général et donne d'autant
nappe ; on le suit à trace. II mange haut3 et avec Srand bruit ; il roule les même circuler des « clés », ces portraits n'en restent pas moins des
Transition: Gnathon se distingue donc en permanence des autres, il plus de poids à sa satire qu'il semble décrire de facon faussement obiective
yeux en mangeant ; la table est pour lui un râteliera ; il écure5 ses dents, observations d'une grande acuité dans lesquelles La Bruyère épingle
ne songe qu'à lui, ne vit que pour lui-même et reste profondément les faits et gestes de son personnage. Le moraliste a su croquer sur le vif
et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il se trouve, une ma- différents vices de la nature humaine en général. Ainsi, dans le chapitre
indifférent au sort d'autrui. les expressions les plus marquantes d'un défaut toujours üvace. i,'
nière d'établissement6, et ne souffre pas d'être plus pressé7 au sermon « De l'homme », Ie moraliste dresse Ie portrait de Gnathon, un être
b) L'indifférence à autrui
ou au théâtre que dans sa chambre. Il n'y a dans un carrosse que les profondément égoïste, se comportant en gouiat et méprisant autrui'
Négations restrictives (« ne... que ») dans lbuverture et la clôture du
places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l'en Le personnage prend une dimension quasiment allégorique et permet SUJETS TOMBÉS AU BAC SUR CE THÈME
portrait - note flnale de la gradation (« embarrasser », « plaindre »,
croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage avec plusieurs, à l'auteur de dénoncer, par le biais d'une caricature très satirique,
« pleurer »... « maux/ mort ») = hyperbole « extinction du genre Dissertation
il les prévients dans les hôtelleries, et il sait touiours se conserver dans l'égocentrisme. Comment La Bruyère procède-t-il pour mener la
humain ». - En quoi l'évocation d'un monde très éloigné du sien permet-elle
Ia meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses critique de ce défaut ? Nous verrons dans un premier temps que
Transition: La boucle semble bouclée, le portrait est déflnitivement de faire réfléchir le lecteur sur la réalité qui l'entoure ? (Suiet natio-
valets, ceux d'autrui, courent dans le même temps pour son service. Gnathon apparaît comme un être répugnant, avant d'étudier ensuite nal, zoro, séries ES, S)
centré sur un unique personnage, à I'exclusion de tout autre, comme
Tout ce qu'il trouve sous sa main lui est Propre, hardese, équipages'o' son égocentrisme. Enfin, nous observerons comment Ie portrait prend
pour bien symboliser l'égocentrisme absolu d'un être qui ne se pré-
Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint une dimension générale.
occupe que de lui. Le moraliste livre ici une satire particulièrement
vive de ce genre d'individu. Ce qu'il ne faut pas faire
zooM suR... Paraphraser le texte en récapitulant les actions de Gnathon. C'est Ià
le principal défaut des commentaires.
La Bruyère précurseur tiennent des réflexions sur le
pouvoir et sur la société qui,
« Il y a des misères sur la terre
qui saisissent le cæur; il manque
Les bons outils
. Les moralistes du xvrf siècle :
zooM suR...
des Lumières.
sans iamais être les propos d'un à quelques-uns jusqu'aux ali- outre La Bruyère, La Roche-
La Bruyère est un maitre - au sens
ni même d'un ments ; ils redoutent l'hiver, ils Des écrtvains qui se détestent. autre méthode,/ Réglant tout, toutes ses actions ». La critique de La Martinière, et rétorqua
peinture - qui réussit
révolutionnaire foucauld. :

des écoles de
. Fondées sur des différends es- brouilla tout, fit un art à sa mode se prolongea dans chaque nu- « Un gros serpent mordit Aurèle
réformateur, portent en germe appréhendent de vivre. » (« Des Lobservation de la valeur :

l'entrée en scène de ses personnag-


Ies Lumières 4r, 5i!sls. « Que biens de fortune »). Sa vision générale du portrait, cari- thétiques ou personnels, les Mais sa muse, en français parlant méro de LAnnée littéraire, avec Que croyez-vous qu'il arriva ?
es, touiours en action plutôt que « haines » entre écrivains s'expri- grec et latin,/ Vit dans l'âge sui- une causticité qui n'excluait pas QuA,urèle en mourut ? Bagatelle
me servirait en "r,11"
un mot, comme reste celle d'un moraliste : « Le cature du défaut au-delà du !

décrits. Sa verve provocatrice trou- peuple n'a guère d'esprit, et les ment dans des formes variées, de vant, par un retour grotesque,/ une certaine courtoisie. Voltaire Ce fut le serpent qui creva. »
à tout le peuple, que le prince personnage.
vera sa descendance littéraire avec grands n'ont point d'âme : celui- la petite phrase assassine au pam- Tomber de ses grands mots le répliqua par des pièces ridiculi-
fût heureux et comblé de gloire XIX" SIÈCLE
Montesquieu dans ses Lettres per- par lui-même et par les siens, là a un bon fond, et n'a point de phlet outrancier, en passant par faste pédantesque. » sant Fréron, et lui lança cette épi-
(Boileau, Art po étique, t67 4.1
Le succès dAlexandre Dumas lui
sanes, Marivaux et Beaumarchais dehors ; ceux-ci n'ont que des l'épigramme. gramme:
que ma patrie fût puissante et attire bien des critiques. La pire
dans leurs meilleures tirades et formidable, si triste et inqui- dehors et qu'une simple suPer- CITAT!ON XVII" SIÈCLE XVIII'SGCTE « L autre iour au fond d'un vallon, fut celle de Mirecourt qui, dans
Voltaire dans ses contes. On ne et, j'y vivais dans I'oppression ficie. Faut-il opter ? le ne balance Boileau dénigre la poésie de Ennemi (littéraire) des philo- Un serpent piqua fean Fréron; Fabrique de romans : maison
peut cependant réduire La Bruyère ou dans l'indigence ? » (« Du pas : je veux être peuPle. » (« Des « Lagloire ou le mérite de certains Ronsard : sophes, Fréron s'attaqua surtout Que croyez-vous qu'il arriva ? Alexandre Dumas et compagnie
à la seule dimension d'auteur Souverain ou de Ia république ») Grands »). hommes est de bien écrire ; et de « Villon sut le premier, dans ces à Voltaire qu'il avait décrit dans Ce fut le serpent qui creva. » s'attaquait plus à l'homme qu'à
« plaisant ». La Bruyère est l'un des tout Pre- La Bruyère ouvre la voie, avec les quelques autres, c'est de n'écrire siècles grossiers,/ Débrouiller l'art les Lettres sur quelques écrits du Fréron répondit que l'épi- ses ouvrages, ce qui lui vaudra
À côté des maximes et des por- miers à manifester une sensibil- Caractère s, auxgrandes æuvres des point. » (La Bruyère, Les Carac' confus de nos vieux romanciers. temps : « sublime dans quelques- gramme existait depuis belle d'être condamné à 15 iours de pri-
traits, Ies Caractères (t688) con- ité aux souffrances du peuPle : « philosophes » du siècle suivant. tères, t688.) Ronsard, qui le suivit, par une uns de ses écrits, rampant dans lurette, sous la plume de Bruzen son pour diffamation.

/2 La question de l'homme dans les genres de I'argumentation, du xvt" siècle à nos jours La question de I'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos jours /]
L'ARrrcLE DUIII[onûe L'ARTICLE DU IIIIONûE

et les écrits d'Olympe de Gouges, on mesure combien les révolu-


«Olympe de Gouges était une rebelle glorieusê D, tionnaires étaient conformistes dans leur vision des femmes. Ils
Olympe de Gouges a eu un destin terrible, guillotinée à 45 ans,
pourtant, elle n'est pas une rebelle triste, tragique. Beaucoup
avaient une vue rousseauiste, les femmes doivent rester épouses, moins, semble-t-il, que Flora Tristan.
entretien avec Michelle Perrot mères, tenir Ia maison. en un mot, rester dans leur rôle. Pour eux, Flora Tristan est une rebelle douloureuse. EIIe souffre de tout,
il y a deux sexes, deux genres, et chacun doit tenir sa place. Les du rejet paternel. Son mari la bat. C'est un destin sans cesse
Trois femmes ont marqué les XVlll'et XIX'siècles par leur engagement dans la vie femmes nbnt rien à faire, selon eux, en politique. Bien sûr il y a contrarié. Et son apostolat à I'égard des ouvriers est aussi une
politique et leur posltionnement dans la société : Olympe de Gouges, Flora Tristan et une exception, Condorcet, mais il est bien Ie seul. déception. EIIe n'est pas recue comme elle pensait qu'elle le
George Sand. Pour I'historienne et militante féministe, ces rebelles furent des pion- Est-ce que l'entrée en scène, si l'on peut dire, d'Olympe de Gouges, serait. Dans son journal, elle les iuge très sévèrement. EIle a
Ies a vraiment impressionnés ? On n'en est pas certain. Ia le sentiment qu'ils ne la suivent pas. Certains lui reprochent
nières dans la défense de la cause des femmes.
Déclaration des droits de Ia femme et de Ia citoyenne, qui nous de ne pas vraiment connaître Ie monde ouvrier. Elle se sent
paraît désormais un texte extraordinaire, fondateur, ne les a pas refetée, déçue, seule.
frappés comme elle l'aurait du. Ils disaient : « C'est encore elle, Des trois, c'est la plus voyageuse. Elle aime le voyage, elle va au
Quelle différence faites-vous entre les mots « rebelle » et Revenons aux trois femmes de votre livre. Il y a une chose
Ia de Gouges / » EIle placardait beaucoup de textes, elle le faisait Pérou. Et elle s'y comporte comme un grand reporter. Elle a de
« révolté » ? qu'aucune d'elles ne remet en cause, c'est la maternité.
elle-même, elle n'avait pas les moyens de Ie faire faire par d'autres. l'audace. Elle aime observer et écrire. EIle a une curiosité insa-
Larébellion est plus spontanée, plus instinctive. Elle exprime une Non, c'est pourquoi Ia réflexion de Simone de Beauvoir est si
Lironie est qu'Olympe de Gouges était la fille naturelle d'un tiable. Des trois, c'est elle qui a le plus le sens de l'observation.
volonté de se soustraire à une contrainte. Un refus. Un « non ». importante. Ces femmes-là ne l'avaient pas menée.
homme très conventionnel, Lefranc de Pompignan, ennemi de Vol- L'utilisation du mot « paria », dans son livre Pérégrinations
Mais cela peut en rester là. Le sentiment (et Ie ressentiment) joue Ce qui réunit aussi Olympe de Gouges, FloraTristan et George Sand,
taire, qui avouait être son père mais refusait de la reconnaître. Sa d.'une paria, est-elle en soi un acte de rébellion ?
un rôle dans la rébellion. Toutefois, elle ne se limite pas à l'émotion c'est le désir d'écrire.
mère avait épousé un nommé Gouze. A partir de ce nom, elle a fait EIIe reprend à son compte ce mot dépréciatif et le féminise.
à fleur de peau. Pour oser le « non », il faut à la fois du courage et un Pour elles, l'écrivain est le grand personnage. Leur désir n'est pas
son pseudonyme, Olympe de Gouges. Pourquoi cette particule ? Dans Ie dictionnaire, auiourd'hui encore, il est masculin. On
raisonnement. La rébellion peut être un premier pas vers la révolte. seulement d'écrire, c'est d'être publiées. Ecrire a été une frontière
Peut-être en raison de son côté Rastignac, partant à l'assaut de la cite certaines occurrences d'emploi féminin, mais sans men-
La révolte s'inscrit dans la durée. Elle est refus, mais aussi projet. Le difficile à franchir pour les femmes. Mais tant que leur écriture
capitale et de la Révolution. Et aussi de sa filiation non reconnue. tionner Flora Tristan. Elle se revendique comme paria, la paria
révolté veut un changement, il voit plus loin. Et Ie révolutionnaire, reste privée, personne ne trouve à y redire. Qu'elles écrivent des
Et Théroigne de Méricourt (1762-1817), autre figure de la des parias, mais elle s'est déplacée et le dit publiquement. Elle
au moins d'un point de vue conceptuel, plus loin encore. lettres, qu'elles tiennent, dans les compagnonnages par exemple,
Révolution, est-ce une rebelle ? dit au début de son texte que les femmes n'écrivent pas leur
Est-ce qu'un révolté devient nécessairement militant ou révo- Ia comptabilité, c'est parfait. Mais qu'elles veuillent être des
Elle est très militante, elle s'affirme beaucoup, elle fait des actes souffrance et qu'elle va, elle, écrire leur souffrance, leur dou-
lutionnaire ? écrivains, donc être dans Ie public, c'est cela qui choque. Et toutes
spectaculaires, elle est excentrique, un peu folle, ce que n'est pas du leur. Ce qui est déjà un acte rebelle. De ce point de vue-là, elle
Les trois femmes dont vous évoquez le destin dans Des femmes lestrois veulent publier. Veulent qu'on les lise. Olympe de Gouges
tout Olympe de Gouges. La pensée politique d'Olympe de Gouges critique George Sand, qu'elle admire par ailleurs, parce qu'elle
rebelles sont représentatives de tout cela. Olympe de Gouges va placarder des sortes de dazibaos sur les murs, pour être lue,
est plus intéressante. ne s'affirme pas comme femme. EIle, elle veut faire entendre
(rl+8-rlgZ) est rebelle, révoltée, militante, FIora Tristan (r8o3-t844) pour parler au public. Et quand elle écrit des pièces de théâtre,
Ia voix des femmes.
plutôt rebelle, et George Sand (t8o4-t876) rebelle et révoltée... elle veut les faire iouer. De même le pseudonyme masculin de
Simone Weil (r9o9-1943) était-elle une rebelle dans la lignée
Olympe de Gouges est tout à la fois. EIle a une pensée politique. George Sand est une volonté d'être reconnue comme écrivain.
de Flora Tristan ?
Flora Tristan est la plus strictement rebelle des trois. Celle qui va le Et un refus d'être « femme auteure ». Quand elle écrit, elle parle
Oui, et c'est aussi une rebelle souffrante, douloureuse. Sa rébel-
moins loin au-delà de sa rébellion, tout en ayant des projets très al- d'elle en disant « il ». Mais, dans ses lettres familiales, elle redevient POURQUOT CET ARTTCTE ?
Iion est une rébellion par la victimisation. Aller vers les ouvriers,
truistes. Elle n'est pas seulement sensible à la condition des femmes, Aurore, donc « elle ». Elle se dédouble. Flaubert lui disait, « vous
travailler et souffrir avec eux quand elle est à Ia chaîne dans les
mais à celle des ouvriers, à l'esclavage aussi. Elle a une réflexion qui êtes du troisième sexe ». De la figure d'Olympe de Gouges (tl+8-rlgZ), on n'a le plus
usines. Etre rebelle par le martyre, avec Ies insurgés républicains
sociale. C'est cela qui l'unit aux deux autres femmes de ce livre. A travers le destin de ces trois femmes, on voit aussi les avancées souvent retenu, au mieux, que sa Déclaration des droits de la
espagnols, alors qu'elle a une mauvaise vue, ne sait pas comment
Vous vous êtes intéressée à une autre femme qui défendait et les reculs des droits des femmes. Par exemple, Ia Révolution femme et de la citoyenne. Cet entretien mené avec Michelle
tenir un fusil. Elle n'est pas une rebelle glorieuse, contrairement à
la condition ouvrière, Lucie Baud, dans Mélancolie ouvrière. avait introduit le divorce par consentement mutuel et Napoléon Perrot, historienne féministe et auteure d'un essai consacré
Olympe de Gouges, mais une rebelle victime. Olympe de Gouges
Était-ce une rebelle ? le supprime. Dès qu'un régime autoritaire se met en place, les à Des femmes rebelles (zor4), brosse cependant un portrait
est allée à la mort en se parant, elle a défait ses cheveux pour
Assurément. Puis elle a été militante. Mais pas toute sa vie, c'est femmes sont les premières visées. bien plus riche et complexe de celle qui se voulait militante
donner plus de mal au bourreau. Et elle ne pleure pas, contrai-
l'une des énigmes de son existence. Tant que son mari est là, Olympe de Gouges est une grande figure de la Gironde. Pourquoi et révolutionnaire, monarchiste de raison mais « républicaine
rement à ce qu'ont dit ses ennemis, qui auraient voulu qu'elle
on n'entend pas parler d'elle. Peut-être parce que ce mari, garde est-elle devenue girondine ? de cæur ». Grâce à ce texte, I'erreur de ses camarades de la Ré-
soit conforme à l'image qu'ils avaient des femmes.
champêtre, avait une petite position d'autorité, et qu'elle ne Elle est à la fois révolutionnaire et monarchiste. Elle se dit pourtant volution, qui ont négligé cette femme rebelle et combative, se
Et Simone de Beauvoir ?
voulait pas compromettre sa famille. Lui mort, elle met quelques républicaine de cæur. Mais monarchiste de raison. Elle n'aurait pas trouve quelque peu réparée. Avec l'appui d'anecdotes variées,
C'est une rebelle et une révoltée. Une militante, elle ne le sera
semaines avant de se révolter et de fonder un syndicat. Alors elle été défavorable à une monarchie à l'anglaise. Surtout, elle n'aimait cet entretien offre au candidat au baccalauréat un aperçu
que très tard, en soutien des jeunes féministes des années r97o.
va connaître une vie militante d'une intensité exceptionnelle. Dès guère Ies Jacobins, qu'elle trouve trop,sectaires, trop terroristes. saisissant de l'époque des Lumières et de ses ambivalences.
Et comme les trois autres, elle veut écrïre et publier. Etre recon-
qu'elle se rebelle, elle passe à l'action. Elle entraîne aussi dans son EIIe vient du Sud-Ouest, elle est montalbanaise. On voit très bien Dans le même temps et grâce à l'évocation d'autres figures
nue pour cela. Elle est rebelle dès sa jeunesse, ses études. C'est
combat ses filles qui, probablement, lui en ont voulu toute leur tout cela dans l'Histoire des Girondins, de Lamartine, republié féminines partageant une position similaire, il constitue un
seulement en 1924 que les femmes ont eu le même baccalauréat
vie. EIle se retrouve dans le syndicalisme d'action directe. Elle est récemment aux éditions Bouquins, excellent livre sur beaucoup panorama suggestif des luttes pour la cause des femmes
que les hommes. Elle choisit la philosophie. EIIe est dans la
révoltée par l'exploitation des ouvriers, le sort fait aux Italiennes. de rebelles, pas seulement les femmes bien sûr. A travers le combat depuis le xvru" siècle.
première génération d'étudiantes.

7 4 tu question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvr" siècle à nos iours La question de l'homme dans les genres de I'argumentation, du xvr" siècle à nos jours /§
L'ARrrcLE DUIII[omû,t

Enfin, une autre rebelle pas douloureuse, George Sand... de vue juridique. Qu'elles puissent divorcer, gérer leurs biens. Il ne
Elle a eu la durée. Olympe de Gouges est morte à 45 ans, Flora Tris- faut pas qu'elles subissent Ie ioug d'un homme. Le droit de vote
tan 4r ans, elle à 7z ans, ce qui à l'époque était un âge assez avancé.
à doit être la sanction d'une évolution.
Cette durée fait d'elle une sorte de bloc qui traverse le siècle. C'est C'est une vraie rebelle, qui n'hésite pas à passer pour ce qu'on
une figure. « La grande femme », comme dit Victor Hugo. Elle a appelait une femme de mauvaise vie. Elle aime afficher sa posture
tout. Elle veut tout. Les amours, masculines plutôt, féminines de rebelle, dans de multiples dimensions. C'est une personne
aussi. Lamitié est pour elle très importante. Elle se sentait complexe. Très séduisante. Elle avait un goût du bonheur que n'a
mieux hommes car la plupart des femmes de son temps
avec les pas du tout Flora Tristan, qui a plutôt une posture de martyre, ce

étaient conventionnelles et ennuyeuses. Elle se vit comme une qui ne veut pas dire de victime.
bohémienne, ce qui pour elle veut dire à la fois artiste et rebut du Et comment classer les pionnières, Des femmes qui n'ont pas
monde. Les femmes de son milieu la détestent. Comment une fille nécessairement été rebelles, mais ont nourri une certaine
d'aristocrate ose-t-elle se comporter ainsi ! On semble avoir oublié forme de rébellion ? Par exemple Mary Quant, qui a inventé la
que sa grand-mère était femme de théâtre, une femme de salon, miniiupe ? Et, naguère, Brigitte Bardot ?

de conversation. George Sand choque et a choqué longtemps. En effet, elle a provoqué un acte qui n'était pas conforme aux
Elle pose des bases très modernes pour les femmes, l'indépen- normes, donc était une forme de rébellion. Bien strr, dans ma ieu-
nesse, Brigitte Bardot était une flgure de rebelle. Pas une révoltée.
dance financière notamment.
Gagner sa vie était fondamental pour elle. EIle se bagarrait avec ses fe Ia voyais comme une fille insolente, qui, avec sa beauté, au Iieu ENSEIGNEMENT
éditeurs pour être payée correctement. Elle était très mécontente de s'incliner devant les hommes, les maniait. Dans Ia rébellion, il
que sa fille, très jolie, se comporte comme une coquette sans pen- y a généralement une insolence. DE LITTERATURE PREMIERE L
ser à travailler vraiment. Quand elle écrit Consuelo, elle construit Toutefois, Bardot est devenue militante. Pour Ia cause animale. Et
une figure de femme libre, qui parcourt I'Europe en compagnie quand on constate I'importance que prennent les animaux dans
d'un musicien, s'habille en homme, chante avec une voix magni- l'histoire, où ce thème émerge de façon étonnante, on se dit que,
fique, rencontre les hommes de pouvoir. EIle construit Ià son idéal. de nouveau, elle a senti une modernité.

Et une figure de rebelle. Du reste, dans ses romans, il y a beaucoup Où sont les rebelles d'auiourd'hui ?
.,:-.'r.'.
de figures de rebelles. Même si on Ia lit moins aujourd'hui - sauf Dans les pays otr les droits des femmes sont menacés ou n'existent

sesécrits autobiographiques -, elle a une dimension littéraire que pas encore, elles sont nombreuses. Certaines sont très ieunes,
n'ont pas les deux autres. Pour les historiens, sa correspondance comme Ia Pakistanaise Malala Yousafzai, 17 ans, qu'on a voulu t:

est une source précieuse. Elle avait un grand don épistolaire. Et tuer parce qu'elle revendique le droit à l'éducation pour toutes
de l'humour. Ies filles. EIIes sont en Tunisie, en Iran, en Inde... Elles se heurtent
Curieusement, George Sand ne revendique pas le droit de vote à des obstacles, à de terribles frontières.
pour les femmes. La rébellion ne suppose-t-elle pas une certaine oppression ?

Elle a une autre logique. EIle pense que les femmes doivent d'abord fe pense que oui. En Ukraine, Ie geste des Femen, la nudité, est un
se libérer. Si on leur donne Ie droit de vote pour qu'elles mettent signe de rébellion. Dans les pays islamiques aussi. A Paris, ça n'a
dans l'urne le même bulletin que leur mari, ce n'est pas, selon elle, pas Ia même efficacité, c'est presque seulement un happening.

une bonne chose. Elle estime que la priorité pour les femmes est
d'obtenir les droits civils. Il faut d'abord qu'elles s'émancipent Propos recueillis par |osyane Savigneau,
comme individus. Qu'elles soient les égales des hommes du point Le Monde daté du ro.o7.zor4

76 ta question de l'homme dans les genres de l'argumentation, du xvru siècle à nos jours
L,ESSENTIEL DU COURS L'ESSENTIEL DU COURS

Le Collègeroyal est également la manifestation de l'une des grandes denombreux abus ou dérives de l'Église : conduite indigne de certains
Vers un espace culturel européen : ambitions de l'humanisme : l'ambition pédagogique. En effet, tous
Ies humanistes ont contribué à la diffusion du savoir. Les manuels de
ecclésiastiques, importance trop grande accordée aux rites et surtout
trafic d'indulgences (« commerce » par lequel les pécheurs pouvaient

Renaissance et humanisme
grammaire, les traductions, les dictionnaires sont des outils essentiels racheter leurs erreurs en payant l'Église). Luther lance alors le mou-
mis à la disposition des étudiants, mais aussi des hommes de la bonne vement de la Réforme qui vise le domaine ecclésiastique, mais aussi
société désireux de se cultiver. Plusieurs éléments font l'originalité les structures sociales et politiques. La Réforme reioint l'humanisme

L'humanisme est un mouvement Intellectuel et culturel qui s'est épanoui pendant la de cette pédagogie :

- refus du jargon spécialisé et obscur;


dans le refus d'une tradition sclérosée et le désir du retour au sens,
au vrai, à l'aide d'une érudition maîtrisée.
Renaissance. ll a conduit à une nouvelle vision du monde et à de nouveaux modes de - volonté de faire du manuel, non une fin en soi, mais un « passeur »
connaissance à travers une remise en cause des traditions. ll est, en effet, et comme (l'objectif d'une grammaire n'est pas de faire collection des règles mais Humanisme et Europe
son nom le souligne, une affirmation de l'homme et une réflexion sur la place de celui-ci de permettre la lecture directe des auteurs anciens) ;
exercices d'application
Le mouvement humaniste ne peut pas être circonscrit dans un
- ; espace restreint - de l'Italie à lAllemagne, en passant par la France
dans I'univers. - réflexion sur la façon dont l'éducation peut être « efficace » (refus
-, non seulement il a circulé dans I'Europe entière, mais encore il a
de labrutalité et d'une trop grande sévérité au profit d'une attention contribué à la constituer.
Pic de la Mirandole (t+62-tqgq), autre grande flgure des débuts de
Les origines accordée aux enfants, tentative d'abolition des classes sociales, mise Limprimerie permet la diffusion de l'écrit ; les voyages sont
l'humanisme, présente, dans le Discours sur Ia dignité de l'homme des
Au xvf siècle, un humaniste est
I
en place d'un temps de « relâche », d'activités variées, de discussions moyens de connaissance « expérimentale » de l'ailleurs et du différent ;
(r+86), des formules pouvant être prises comme les devises des
un professeur qui enseigne les libres avec le maître, etc.).
humanistes, par exemple : « Dépendre de sa propre conscience plutôt les échanges artistiques et les liens politiques aux xv. et xvr" siècles
« humanités », c'est-à-dire la L humanisme chercher aussi à former des orateurs, c'est-à-dire des
que des iugements extérieurs ». montrent l'humanisme comme un souffle passant au travers des
grammaire, la rhétorique et le hommes maîtres de leur parole et capables d'analyser la parole d'au- frontières. En Angleterre, otr les universités d'Oxford et Cambridge
* commentaire des auteurs. Ces trui : deux conditions qui permettent à chacun de devenir véritable- accueillent l'enseignement nouveau, Thomas More est l'auteur d'une
matières permettent aux étu- Les principes humanistes ment « cjfsysn » et libre. Lhumaniste cherche en effet une expression æuvre novatrice:Utopie lt5l6l. Aux Pays-Bas, Érasme, surnommé « le
diants de devenir des hommes Lhumanisme en France est souvent associé à l'imprimerie. Il est
iuste et précise, mais aussi plaisante et émouvante, une expression prince des humanistes »,publie L'Eloge de lafolie ASog).En Espagne,
au sens noble du mot, c'est-à-dire vrai que les imprimeurs de la Sorbonne, mais aussi ceux de Lyon, imprégnée des modèles des grands auteurs, non pas pour les copier I'humanisme est égalementtrès présent mais doit composeravec Ie dog-
des hommes ayant une connais- sont des savants ou poètes, même si l'humanisme n'a pas « attendu » servilement, mais pour mieux dire la spéciflcité de sa propre voix. matisme catholique, ses contraintes, et son bras effrayant, l'Inquisition.
sance du beau, du vrai et du bien l'imprimerie pour naître, et que la recherche d'une culture nouvelle Le langage est alors à la fois porteur de beauté et de vérité. Capable
à la fois. Lhumanisme corres- a précédé cette invention essentielle. d'humour, usant de tous Ies registres (cl Rabelais), il est manifestation
pond ainsi à un idéal de dignité Guillaume Budé, juriste et érudit, est iustement l'un de ces savants. En de liberté, sans jamais être un pur jeu formel.
Conclusion
r53o, sous I'impulsion de François I"', il fonde le Collège royal, devenu au- Lhumanisme est donc un mouvement qui dépasse le cadre d'un pays.
et de liberté humaine. Le programme du Collège, ou d'autres écoles, révèle également que
jourd'hui Ie Collège de France. Cette institution enseigne non seulement Du point de vue temporel, il est également difficile de lui donner des
Pétrarque O3oq.l-Zlql est un l'humanisme se veut multiple : les sciences accompagnent les lettres,
Érasme par Hans Holbein limites précises. Certains posent la chute de Constantinople comme
poète lyrique nourri de culture les matières traditionnelles, c'est-à-dire Ia grammaire et Ia rhétorique, ainsi que les arts.
le Jeune. 1523.
antique et, en particulier, de mais aussi Ie latin, le grec, l'hébreu, Ia médecine,les mathématiques, etc. point de départ (453) et l'afflchage des articles de protestation de
Comme le montre lbpposition entre le Collège royal et la Sorbonne,
Le Collège royal se démarque de la Sorbonne, et s'oppose même à Luther contre le pape comme limite flnale (r5r7). Ces dates ont cepen-
Cicéron et de Virgile. À partir de ces références, il élabore une æuvre l'humanisme et la religion ont des liens à la fois serrés et lâches.
elle : d'une part en proposant des disciplines nouvelles, d'autre part, dant quelque chose d'artiflciel et de restreint. Elles ne rendent pas
personnelle - à Ia fois en langue latine et en italien - qui va être admi- Serrés, parce que les humanistes entreprennent leurs études pour
et surtout, en osant approcher au plus près des textes sacrés. compte de la multiplicité d'un mouvement qui prend ses racines dans
rée et imitée aux xv" et xvr" siècles, notamment en France. En parallèle, aller plus en profondeur dans la compréhension des textes, et pour
Les savants du Collège traduisent la Bible en français et ils com- le Moyen Âge, pénètre bien avant dans le xvr" siècle, jusqu'à Montaigne
il travaille sur des manuscrits latins et grecs. En effet, l'imprimerie, approfondir leur foi. Lâches, parce que leurs connaissances les mènent
mentent ce texte, ce qui passe aux yeux des tenants de la tradition qui, malgré son scepticisme, reste imprégné des ambitions et des
qui apparaît aux alentours de 1455, facilite la diffusion de la pensée à une mise en doute de l'enseignement traditionnel de la religion, de
pour une quasihérésie. En réalité, les commentaires de la Bible étaient principes humanistes.
grecque dans toute l'Europe. sa doctrine, et de ses pratiques.
Dans la seconde moitié du xv" siècle, Marsile Ficintraduit et commente déjà nombreux au Moyen Âge. Mais la découverte de nouveaux Érasme, humaniste des Pays-Bas, est ainsi l'auteur d'une traduction
les æuvres du philosophe grec Platon. Il cherche, dans ses écrits, à manuscrits et Ia véritable nouveauté est de vouloir ploduire un de la Bible lugée dangereuse par les partisans de la tradition (malgré
texte débarrassé des contresens accumulés par les copistes. Cette UN ARTICLE DU MONDEA CONSUTTER
concilier la philosophie antique et lathéologie chrétienne et exprime l'absence de condamnation du pape).
I'idée selon laquelle la grandeur humaine ne peut se comprendre que volonté entraîne une mise à distance critique de la tradition, que Ies En Allemagne, les croyants éprouvent un sentiment de reiet vis à vis . La leçon de Rabelais, les yeux et les oreilles p. 82-83
dans un univers ordonné par une puissance créatrice : Dieu. théologiens de Ia Sorbonne supportent difficilement. (fean Céard, Ie Monde d,até du zS.o3.tgg4)
REPÈRES
REPÈRES Une étiquette a posteriori. tique, etc.), par opposition aux
Le terme « humanisme » ne dé- dogmes dispensés par l'enseigne- DATES CLÉS
UNE LANGUE OFFICIELTE ? surla poésie française. Au collège de longuement étudié les æuvres, nement de ses rimes, Ie ioyau de signe pas spéciflquement la pen- ment théologique.
Pour simplifier la gestion admi- Coqueret, ils étudient les Anciens mais au contraire pour mieux en l'art poétique, invitant chaque
sée du xvf siècle. Créé en 1765 en Léonard de Vinci (r452-r5r9), à la r44o : Perfectionnement par 1562 : Début des guerres de reli-
sous la conduite de l'humaniste assumer l'héritage. Il propose d'en génération à se dépasser. C'est le plein siècle des Lumières, il signi- fois ingénieur, architecte, peintre Gutenberg des procédés de l'im- gion entre catholiques et protes-
nistrative du royaume de France
érudit Dorat. Ils formeront, avec imiter les « genres » mais dans un cas au xrx' siècle, où, renouvelé et anatomiste, incarne cet idéal primerie (usage des caractères tants.
et assurer sa centralisation, par Baudelaire, il devient la forme
fie alors « philanthropie » (intérêt
de l'humaniste curieux de tout mobiles en plomb et de la presse
cinq confrères, un groupe d'abord français enrichi par les créations 1572 : Massacre de la Saint-Barthé-
François I"' promulgue, en 1535, pour l'homme). Ce n'est que dans
nommé la Brigade, puis la Pléiade, lexicales des auteurs. Lui-même fétiche de la génération parnas- et aux talents multiples. Même à imprimer). lemy : une partie de la noblesse
l'édit de Villers-Cotterêts qui sienne (Leconte De Lisle, Heredia)
la seconde moitié du xrx", au mo-
s'il n'a pas reçu une formation 1492 : Découverte de lAmérique protestante et des milliers d'ano-
en hommage aux poètes grecs de introduit le sonnet dans la poésie,
fait du français Ia langue offi- puis de Mallarmé. Le schéma de
ment oi.r les historiens tentent de
précisément humaniste, Vinci par les Européens.
l'époque alexandrine. Du Bellay avec son premier recueil,I'Olive. nymes sont massacrés sur l'ordre
cielle de iuridiction. Cependant, rimes est en général le suivant :
définir les époques historiques vit dans le même univers de va- t5r5-1547: Règne de François I"'qui de Catherine de Médicis.
aura la charge de rédiger le mani-
le peuple continue à utiliser les tE SONNET et les courants de pensée, qu'on
diverses langues régionales ;
feste du groupe, dont le titre, Dé- - rilnes embrassées (abba) dans leurs que les érudits. Comme ces favorise un développement impor- 1589 ,: Accession d'Henri IV au
D'origine italienne (nétrarque), les quatrains ; l'applique aussi aux idées de la derniers, les artistes sont fasci- tant des arts et des lettres sous l'in- trône de France. Il pacifle le
c'est la Révolution qui décrètera fense et lllustration de la langue
Renaissance. Les « humanistes
le sonnet est introduit en France - schéma (ccd) (ede) ou (ccd) (eed) »
nés par les mystères de l'univers fluence de la Renaissance italienne. royaume.
le français, « langue nationale
française estdélà un programme. Il
».
s'y prononce contre l'usage du grec à l'aube du xvf siècle. Formé de dans Ies tercets. sont ainsi nommés parce qu'ils et cherchent à les approcher. 1535 : Édit de villers-cotterets. 1598 : Publication de l'Édit de
LA PIÉIADE et du latin dans la création poé- 14 vers, répartis en deux qua- font porter leur réflexion sur des Tous désirent mieux connaître le 1549 : Publication de Défense et Nantes qui libéralise le culte de la
La rencontre de RonsardetDu Bellay tique, non par refus des Anciens trains et deux tercets, il est deve- disciplines à dimension « hu- monde, dans sa surface comme illustration de la langue française religion protestante.
aura une influence déterminante dont il a, comme ses compagnons, nu, dans sa concision et le raffl- maine » (philosophie, arithmé- dans sa profondeur. (Du Bellay).

J8 Enseignement de littérature - première L Enseignement de Iittérature - première L Jÿ


UN SUIET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS

Lecture méthodique à I'oral


II. Thèse : l'existence de la tyrannie repose sur une contradiction
: fondamentale. REFLEXIONS SUR LE POUVOIR

Explication d'un extrait dTtienne de La Boétie, « Discours de la a) L'existence d'un tyran


.« qu'une nation ne fasse aucun effort, si elle veut, pour son
Déflnition restrictive du tyran (usage de la négation restrictive « ne...
servitude volontaire » que », adjectifs numéraux, comparaison avec « le moindre homme ») :
bonheur, mais qu'elle ne travaille pas elle-même à sa ruine. »

le tyran est un homme comme un autre, pourtant il les domine. . « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »

-:.-,
Le texte lntroduction b) Le tyran, un homme surhumain
.- t t -.-t !--

Celui qui vous maÎtrise tant La Boétie (rSto-rS6l) est resté dans les mémoires comme l'ami de Le tyran semble donc décupler les capacités d'un seul homme (expres- . « Quelle malchance a pu dénaturer l'homme - seul vraiment
Montaigne avec lequel il partage le même idéal de tolérance. né pour vivre libre - au point de lui faire perdre la souvenance
n'a que deux yeux, n'a que sions hyperboliques :« vous maîtrise tant », « tant d'yeux », « tant de
de son premier état et le désir de le reprendre ?»
deux mains, n'a qu'un corPs Dans cette ceuvre de jeunesse, La Boétie réfléchit sur la tyrannie. Elle mains », « les pieds dont il foule vos cités »).
(Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1548.)
et n'a autre chose que ce qu'a ne repose, à ses yeux, que sur le consentement du peuple qui a perdu
I
le moindre homme du grand son aspiration naturelle à Ia liberté. UI. Clé de cette contradiction : les hommes créent eux-mêmes les . « Sur le plus beau trône du monde, on n'est jamais assis que
nombre infini de vos villes ; si- Cet extrait correspond a un discours provocateur Pour montrer que conditions de leur esclavage. sur son cul ! »
' 1 , ,. 1 .
non qu'il a plus que vous tous, Ies hommes sont responsables de leur servitude' a) Le tyran, une création de tous
.,;. Comment La Boétie parvient-il à convaincre les hommes qu'ils sont . « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme
c'est l'avantage que vous lui Phrases renversant le rapport sujet/objet : le « vous » devient agent.
-... .:_--1.,'
tyrannie qui pèse sur eux lui qui fait le tyran. porte la forme entière de l'humaine condition. »
faites, pour vous détruire. D'ot) les propres responsables de la ? C'est donc

. ''', : il a pris tant d'yeux, dont il vous b) Le peuple n'est pas innocent
. « Il n'y a point de bête au monde tant à craindre à I'homme
épie, si vous ne les lui baillez ? Le plan détaillé du déveloPpement Peuple « complice » : expressions supposant un assentiment.
que l'homme. »
Comment a-t-il tant de mains I. Un discours polémique. Lexistence de la tyrannie réside donc dans la seule volonté du peuple (re-

:.. , -. .. .' pour vous frapper, s'il ne Ies a) Les formes du discours levé et analyse des verbes de volonté dans les demières lignes de l extrait). . « Ne cherchons pas hors de nous notre mal, il est chez nous, il
.,,.., prend de vous ? Les pieds dont il Multiples pronoms de 2" personne. L impératif final appelle les est planté en nos entrailles. »

foule vos cités, dbir les a-t-il, s'ils hommes à réagir. Conclusion (Michel Eyquem deMontaigne, Essar's, t58o-t588.)
N,4anuscrit du Drscours de ia b) Inclure les interlocuteurs dans le discours Ce texte provoque le lecteur, en inversant le rapport de responsabili-
ne sont les vôtres ? Comment
servitude volontaire d'Étienne de La . « Comment pourrais-ie gouverner autrui, qui moi-même
Boétie, (1574) a-t-il aucun pouvoir sur vous Recours aux questions rhétoriques, interpellant les lecteurs, tout en té qui iustifle l'existence d'une tyrannie. Cet extrait est caractéristique
gouverner ne saurais ?»
que par vous autres mêmes ? Ieur imposant Ies réponses. de l'esprit humaniste par le souci accordé à la dignité humaine.
(François Rabelais, Gargantua, 1534.)
Comment oserait-il vous courir sus, s'il n'avait intelligence avec vous ? c) Une portée polémique

[...] Vous vous affaiblissez, afin de le faire plus fort et plus roide, à vous Choix d'images frappantes, notamment celle de l'animal, pour Ce qu'il ne faut pas faire . « La tâche de l'homme politique est de tirer d'affaire au moins
. Relever des figures de style sans les mettre en relation avec le sens
choquer, interpeller le lecteur et le faire réagir. quelques individus. »
tenir plus court la bride ; et de tant d'indignités, que les bêtes mêmes du texte.
. Se contenter de reformuler I'idée principale du texte. (Thomas Mor e, Utopie, 1516.)
ou ne sentiraient point, ou n'endureraient point, vous pouvez vous en
Les bons outils
délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement
observer les procédés littéraires de la provocation :
de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. - emploi des pronoms (présence et place du vous en particulier) ;

(Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, t548.) - figures de style (questions rhétoriques, hyperbole) ;
- organisation des phrases renversant le rapport suiet/ objet.

RE PÈRES
PERSON NAGES I M PORTANTS
Dans le texte à commenter, on mettre le contenu de la réPonse. peuple, ce qui est mis en évidence
Deuxfigures de sÿle humaines. Son « relativisme » est
trouve une hyperbole « numé- Dans l'extrait proposé ci-contre, ici, c'est qu'aucun homme n'a tant Grands noms d e l'humanisme. MONTAIGNE (rSlt-rSgz) tA-BOÉTIE (r53o-r562)
essentielles de la provocation.
rique » (« le moindre homme La Boétie accumule Plusieurs d'organes.
fnasnnE $467-196),
un élément fondamental de la ET LES TSSA/S PFÉCURSEUIi DrS n rUffirS,
HYPERBOTE phrases de ce type : « D'où il a pris Comment a-t-il aucun pouvoir pensée de la Renaissance. Édités dans leur première ver-
du grand nombre infni de vos «
A tA SOURCE Le Discours de la servitude volontaire
Lhyperbole est une figure de style villes ») et une hyperbole comPa- tant d'yeux, dont il vous épie, si sur vous que par vous autres DE I.A RENAISSANCE AGEIPPA D'AUBIGNE, sion en r58o, enrichis au fils des de La Boétie, publié en 1574, préfi-
qui consiste à mettre en relief une rative (« tant d'indignités, que les vous ne les lui baillez ? » ; « Com- mêmes?»;«Commentose- INTEttECTUEttE POETE « ENGAGE » années, les tssais de Montaigne gure la philosophie des Lumières.
notion, une idée, par I'exagéra- bêtes mêmes ou ne sentiraient ment a-t-il tant de mains Pour rait-il vous courir sus, s'il n'avait Dbrigine hollandaise, Érasme re- Écrit entre 1577 et 1589, le long inaugurent une nouvelle forme Sa thèse originale, selon laquelle le
tion des termes employés. Ain- vous frapper, s'il ne les prend de intelligence avec vous ? ». Ces prend des études à Paris, à l'âge poème des Tragiques (ro ooo Iittéraire annoncée dans l'avertis- peuple qui se donne un roi ou un
point ou n'endureraient Point »).
si, par exemple, dans « J'ai mille vous ? » ; « Les pieds dont il foule deux autres questions rhéto- de z5 ans, auprès des humanistes vers) n'a pu paraître qu'en 1616, sement au lecteur : « je suis moi- tyran assure volontairement son es-
choses à te dire ! », l'exagération QUESTION RHÉTORIQUE vos cités, d'où les a-t-il, s'ils ne riques s'élèvent du concret (les français. I1 publie en 15oo ses dans une France religieuse paci- même la matière de mon livre ». clavage, a été populaire notamment
passe par le choix de l'adiectif nu- Une question rhétorique (ou sont les vôtres ? » organes) à I'abstrait (Pouvoir, Adages et en 1511, son plus célèbre flée. Sur un ton tour à tour épique, Recueil de réflexions sur son ca- pendant la Révolution. : « Cbst un
méral « mille ». question oratoire) est une Les « yeux » du tyran, qui sur- intelligence) pour énoncer la ouvrage : Éloge de Ia folie. Dans prophétique, parfois violemment ractère et les épisodes de sa vie, extrême malheur que dêtre assujet-
Lhyperbole utilise des superlatifs, question de discours qui in- veillent, les « mains » qui même évidence : c'est Ia sou- cette « déclamation » qui four- satirique, Agrippa dAubigné il s'en dégage une philosophie du ti à un maître, dont on ne peut être
des adverbes, des comparaisons duit une « réponse » évidente. frappent, symboles de la coer- mission, voire la complicité du mille de citations et de références évoque les longues luttes reli- bonheur de portée universelle. jamais assuré qu'il soitbon, puisqu'il
(« s'ennuyer à mourir »), des pré- Elle implique le destinataire du cition, Ies « pieds » qui foulent, peuple qui « fait » le tyran. savantes, Érasme ébranle les fon- gieuses du xvf siècle en pourfen- Leur version définitive paraît à est toujours en sa puissance dêtre
fixes (super-, hyper-, méga-, etc.\. discours sn ls « forçant » à ad- symbole du mépris sont ceux du dements de toutes les certitudes dant l'intolérance catholique. titre posthume en 1595. mauvais quand il voudra. »

80 Enseignement de littérature - première L Enseignement de littérature - première L 81


L'ARTICLE DUIIIÛONûC L'ARTICLE DU T]IÛONûC

La leçon de Rabelais, les yeux et les oreilles


Voilà l'être qu'une éducation bien conduite va changer en bon roi. Ce n'aura
pas été sans peine, et son père ne commence à placer en lui des espérances POURQUOT CETARTTCTE ?
que lorsque l'enfant l'entretient des diverses méthodes qu'il a essayées pour
mieux se torcher le cul. Léducation d'un flegmatique commence par le Le candidat au bac trouvera dans cet article de lean Céard, grand
Avec sa volonté forcenée d'une ouverture au monde, Rabelais s'inscrit dans I'immense contrôle des sphincters. D'autres progrès, certes, seront nécessaires. Quand spécialiste du xvr" siècle et auteur d'une édition critique de l'ceuvre
le petit Gargantua, d'abord éduqué par des précepteurs sophistes, c'est-à-dire de Rabelais, des éléments de réflexion indispensables pour bien
bouillonnement de la Renaissance. des représentants de l'âge gothique, de la culture gothique, est confronté situer son importance dans le xvI" siècle littéraire et philoso-
au ieune Épistémon, fruit de la culture nouvelle, il ne sait répliquer à un phique. À côté des personnages les ptus connus de son ceuvre, tels
discours parfaitement dominé qu'en se cachant la tête dans son bonnet et Pantagruel, Gargantua et Panurge, |ean Céard convoque ici d'autres
tort : Ouidire, qui tient « école de témoignerie », est « aveugle et paralytique figures significatives : Épistémon le précepteur, Bacbuc l'oracle, Bri-
Que nuit de toujours savoir et toujours apprendre, fût-ce d'un pot, d'une en pleurant comme une vache : « Et ne jut possible de tirer de lui une parole,
doye le juge. Lanalyse des épisodes dont ils sont les protagonistes
guedouJle, d'une moufle, d'une pantoufle 2 » À Epistémon qui hésite à des jambes »; il ne se soucie ni de regarder ni d'aller sur place et se contente non plus qu'un pet d'un âne mort. »
de ragots et de rumeurs. La bibliothèque doit s'ouvrir sur le monde, le monde
montre à quel point Rabelais incarne l'esprit de la Renaissance et de
aller consulter Ia sibylle de Panzoust, soupçonnée d'être un suppôt du Être orateur, maîtriser la parole : voilà le signe d'une bonne éducation, d'un
l'Humanisme : il est f inventeur de « l'encyclopédie » (au sens d'un
diable, Pantagruel réplique par ce plaisant éloge de la curiosité. La nature entrer dans la bibliothèque : ainsi va le savoir de la Renaissance. accès réussi au métier d'homme. Cet idéal d'humanité regarde l'esprit et
savoir maitrisé), partisan d'un retour aux textes débarrassés de leurs
elle-même semble en établir la légitimité ; « non sans cause », dit le Géant, Ce savoir qui fait la part si belle aux Anciens est tout entier tourné vers la le corps ensemble : parler, ce n'est pas seulement dire, c'est aussi pouvoir
commentaires, attentif au développement des techniques. Rabelais
elle nous a fait les oreilles toujours ouvertes, « n'y apposant porte ni clôture modernité : Ia vérité est fllle du temps, nous ne sommes pas condamnés à la communiquer par tout son être, savoir associer son corps à l'acte de parole, est aussi le défenseur du français contre le latin * qu'il connaît par-
aucune », alors que nos yeux, eux, peuvent se fermer au monde. Les yeux pure répétition. C'est la conviction des hommes de la Renaissance : parmi bien car il y a, disait déjà Quintilien, une sorte d'éloquence du corps. Conception faitement - et tourne en dérision les « subtiles niaiseries » des sco-
sont assurément l'une des voies du savoir : Pantagruel est dit « amateur d'autres, Ambroise Paré l'affirme au début de son ceuvre, comme, de son côté, charnelle du langage dont tout lecteur de Rabelais qui a de l'oreille sent lastiques, revendiquant l'« ignorance sacrée » à laquelle lui donne
de pérégrinité et désirant toujours voir et touiours apprendre ». Mais, dans le cosmographe André Thevet. C'est aussi la leçon de l'oracle Bacbuc : « Vos qu'elle est consubstantielle à son écriture. Etudiant à Montpellier, Rabelais droit son immense érudition.
cette quête, les oreilles semblent bien l'emporter. Ce n'est peut-être pas sans philosophes, qui se complaignent que toutes choses ont été par les anciens a participé à la représentation d'une comédie. Chacun de ses livres s'ouvre
raison que Gargantua a choisi, pour venir au monde, de sortir par lbreille de écites, que ien neleur est laissé de nouveau à inventer, ont tort trop évident. » par un prologue, terme emprunté au théâtre. Le langage ne se dit pas
sa mère. Et Frère fean, qui n'est guère avide d'accroître son savoir, soutient Et Rabelais, dans la généalogie de Pantagruel, s'amuse à parodier ceux qui, seulement, il se joue. Cela parce que la culture n'est pas de lbrdre de I'avoir, aussi qu'on n'est pas prisonnier du savoir, mais capable de iouer avec lui.
qu'il n'étudie iamais de peur des oreillons, des « auripeaux ».Nous sommes tout entiers tournés vers le passé, voudraient que toutes les inventions mais de l'ordre de l'être. « Deviens ce que tu es », recommandait Érasme : Mais ce n'est pas assez dire. Lexamen de l'épisode de Bridoye suggère une
ainsi faits pour que « tous jours, toutes nuits, continuellement, puissions remontent à la plus haute Antiquité. Parmi ses lointains ancêtres, le Géant la culture bien comprise en est le moyen. troisième voie, qui pourrait bien être la principale. Bridoye est un iuge actif,
ouilr, et par ouie perpétuellement apprendre ». compte Gemmagog, « quifut inventeur les souliers à poulaine », Morguan, qui Rabelais - et c'est là une conviction profonde de l'humanisme tout entier affairé même, qui ne se détermine qu'en respectant scrupuleusement les
Les oreilles grandes ouvertes, attentif à tous les savoirs, Rabelais est un « premier de ce monde joua aux dés avec ses besicles », et Happemousçhs, « qui formes luridiques, qu'en vérifiant sans cesse la conformité de ses choix
- suggère, en effet, qu'il peut y avoir mauvais usage de la connaissance.
témoin actif de la culture de son temps. II en a l'ampleur et brasse avec premier inventa defumerles langues de bæuf à la cheminée, car auparavant Dans ce magniflque éloge de la culture nouvelle qu'est la célèbre lettre avec les textes de droit ; mais, au moment de prononcer la sentence, il s'en
aisance théologie, droit et médecine, comme il accueille des savoirs plus le monde les saloit comme onfait les jambons ». de Gargantua à son flls, il vaut la peine de relever ces mots révélateurs : remet au sort des dés I Tout se passe comme si, après avoir multiplié les
secrets ou qui n'accèdent guère à l'expression écrite : on sait quel document En ce xu" siècle qu'on a justement déflni comme le siècle des ingénieurs, la « le vois les brigands, les bourreaux, les aventuriers, les palefreniers de actes de la procédure selon les règles les mieux reçues du droit, il estimait
exceptionnel est son ceuvre pour les historiens de la culture populaire. modernité, c'est aussi le développement des techniques. Rabelais a perçu maintenant, plus doctes que les docteurs et les prêcheurs de mon temps. » que juger est un acte suprême qui requiert l'aide et l'assistance du ciel et
De la culture de son temps, il a aussi l'ambition ; il est l'un des premiers cette nouveauté. Lépisode de Messere Gaster, au Quart Livre, n'est pas tant En certaines mains, la culture peut se pervertir. Si le jeune Épistémon illustre que toute son activité préalable, à laquelle certes il avait le devoir de s'adon-
à introduire en français Ie mot « encyclopédie » - et il ne lui donne pas le l'expression d'une philosophie « matériali5fs » qui placerait dans la satis- les vertus de la rhétorique, instrument de la maîtrise de Ia parole, d'autres ner, n'était que l'expression de sa bonne volonté. Extraordinaire apologue
sens mou auquel nous sommes accoutumés : l'encyclopédie, pour lui, ne faction des besoins et des désirs de l'homme le ressort de son ingéniosité peuvent la mettre au service de leur appétit de tromper ou de se tromper. Le de la nécessité et, pourtant, du néant de l'érudition. Toute la culture de la
consiste pas à savoir tout de tout, mais bien à disposer d'un savoir attentifà qu'une alerte méditation sur l'esprit humain qui, confronté au manque et à séduisant Panurge est là pour l'attester. Conduit par son désir, amoureux de Renaissance est Ià : la quête ardente du savoir se résout finalement en cet
sa propre cohérence, essentiellement soucieux d'apercevoir les connexions la pénurie, trouve dans son ingéniosité les arts aptes à aménager la nature, à soi, il est toujours en quête d'argent et prétend que l'univers est régi par les idéal auquel, dans la tradition de la docte ignorance, Lefèvre d'Étaples a
des disciplines. Pour traduire ce mot qui est encore un néologisme, du apprivoiser ses forces latentes. Ingéniosité si grande que les hommes, ayant emprunts et les dettes et qu'il ne fait que se conformer à l'ordre universel. donné le nom d'« ignorance sacrée ».
Bellay parle dt « rond des sciences », et Guillaume Budé forge le bizarre inventé l'agriculture, puis le commerce, puis, pour les défendre, l'art militaire, Son interlocuteur Pantagruel ne se refuse pas au plaisir dbuïr son beau
équivalent d'« érudition circulaire ». C'est bien ainsi que Rabelais I'entend : ne se trouvent pas démunis quand leurs ennemis s'avisent de retourner discours, mais préférerait assurément que Panurge, au lieu de Ie donner L'aptitude à rire de tout
Gargantua invite par exemple son fils à apprendre les plus beaux textes celui-ci contre eux, et découvrent la manière de forcer les boulets de canon pour iustification de sa conduite, ne l'eût prononcé que par manière de ieu. Cette attitude s'exprime dans la critique véhémentement moqueuse des
du droit civil en les confrontant avec la philosophie. à rebrousser chemin et à revenir à l'envoyeur ! I1 y a un Léonard de Vinci en C'est encore Panurge qui, prêt à aller prendre conseil de la fameuse Sibylle, théologiens, des scolastiques, et de leurs « subtiles niaiseries », pour parler
Rabelais. Il n'a évidemment pas manqué de célébrer l'art de l'imprimerie assure que les plus grands personnages se sont bien trouvés d'avoir comme Érasme. Nulle part on ne les a raillés avec plus de verve que dans le
Revenir à I'authenticité comme ses contemporains éclairés. Et il devance beaucoup d'entre eux dans recueilli les avis des femmes. Et il cite Pythagore, Socrate, Empédocle et discours que prononce Maître Janotus de Bragmardo pour obtenir restitution
la perception des changements profonds que ne manquera pas de provoquer « notre maître Ortuinus », espérant sans doute que le souvenir de la célèbre
Rabelais témoigne encore de la culture de son temps quand il en recom- des cloches de Notre-Dame ; il faut l'entendre vanter « Ia substantifique qualité
la découverte des terres nouvelles. Diotime, à qui Socrate devait une partie de sa sagesse, fera oublier que le
mande la méthode principale, qui porte le beau nom de « philologie » : il dela complexion élémentaire qui est intronifiquée enlatenestréité deleur nature
Ce sens de la modernité, l'usage résolu de Ia langue française en témoigne. I1 théologien Ortuinus passait pour avoir engrossé une servante - originale
faut revenir aux textes rendus autant que possible à leur authenticité et quidditative », ou bâtir ce beau raisonnement : « Omnis clocha clochabilis in
est significatif de voir un ardent amateur de lAntiquité ieter le discrédit sur façon de progresser dans la sagesse grâce aux femmes. Lérudition aussi
débarrassés des gloses qui les chargent et les souillent, à la façon - cette clocherio clochando clochans, clochativo clocharefacit clochabiliter clochantes. »
les « rapetasseurs de vieillesferrailles latines »,les « revendeurs de vieux mots peut être mise au service d'un certain terrorisme intellectuel.
rude image est de Pantagruel - d'une « belle robe d'or triomPhante et Dans la parodie burlesque du latin savant, Molière n'a pas fait mieux.
précieuse à merveille » qui serait « bordée de merde ». Cette méthode latins tout moisis et incertains » et soutenir que « notre langue vulgaire n'est La scolastique ne s'est iamais tout à fait relevée de tels sarcasmes. Sarcasmes
consiste aussi à conioindre sans cesse les mots et les choses, les verba et les tant vile, tant inepte, tant indigente et à mépriser qu'ils l'estiment ». Tout le Références érudites injustes, assurément. Mais il serait également iniuste de ne pas voir dans ces
res. Pantagruel n'étudiera pas seulement Plutarque et Platon, mais aussi
monde se souvient de l'épisode de l'écolier limousin qui ne veut parler qu'un partis pris, dans ces dérisions, le sentiment qui anime toute la Renaissance
Humaniste, Rabelais multiplie dans son ceuvre les références érudites. :

Pausanias et Athénée, ces antiquaires si soigneux de consigner les choses indigeste et prétentieux franco-latin et dédaigne « l'usance commune de Certaines pages, comme au liers Iivre la consultation du iuge Bridoye, en la certitude de vivre un âge nouveau, de réinventer la culture, de déflnir une
et de nous en transmettre l'épaisseur : la philologie est tout le contraire
parler ».Mais,à la différence des faux modernes qui ne méprisent que parce nouvelle manière de penser, de parler, d'être au monde. Cette certitude est
sont presque illisibles. Le lecteur d'auiourd'hui les regarde avec respect, dé-
qu'ils ne savent pas, Rabelais plaide pour « notre langue gallique » parce qu'il
de la logophilie, qui aime Ies mots pour eux-mêmes. concerté par ce déferlement. Il ne lui reste, pour en rendre compte, qu'à louer source de gaieté, et les personnages de Rabelais sont gais : c'est la gaieté,
Comme les novateurs de son époque, Rabelais croit à I'éducation, mais, est également chez lui dans l'antiquaille. globalement la science de Maître François, bon représentant de « l'esprit » de l'aptitude à rire de tout, qui sauve ceux{à mêmes que son æuvre tourne
comme eux aussi, il ne la conçoit que comme une sorte de va-et-vient la Renaissance et de sa boulimie intellectuelle, ou, à f inverse, à soupçonner en dérision, pour peu que leur rire ne les épargne pas. Ianotus lui-même
entre l'observation du monde et le témoignage des livres, et ceux-ci ont L'éducation des sphincters Rabelais de parodier un travers de son temps. C'est aller trop vite en besogne. s'associe à l'immense éclat de rire qui accueille sa harangue, et l'amour de
assez d'importance pour que, pendant les repas, on s'informe de la qualité Ce dynamisme d'un savoir tourné vers Ia modernité, vers les tâches du Le rire de Rabelais n'épargne pas l'érudition, sans pourtant qu'il ne faille y soi qui conduit Panurge ne l'empêche pas de savoir souvent garder quelque
des aliments dont on se nourrit en se reportant aux grands auteurs qui monde d'auiourd'hui, d'un savoir qui hérite pour transmettre, innerve voir que dérision. Rire de connivence quand la référence érudite est comme distance avec soi, rire de soi. Pour être sage, il faut savoir être fou.
en ont traité, au point, pour en être plus assuré, de les faire apporter à l'æuvre de Rabelais. C'est lui qui permet de faire du petit Gargantua cet un signe adressé à la complicité du lecteur qui partage le même savoir :
Dans les temps de désenchantement et de crise - et Dieu sait si la Renais-
table. Le savoir des autres est appelé à guider et à contrôler l'expérience ; être apte à commander que révélera la gu'erre picrocholine. Pourtant sa l'Europe culturelle, c'est aussi ce sentiment, très fort chez les humanistes, de sance a connu de profondes crises, dont la phis apparente est I'éclatement
les oreilles sont appelées à guider et à contrôler le témoignage des yeux. nature ne l'y disposait guère ; né flegmatique, il semblait destiné, comme formet une communauté - supranationale, dirions-nous -, qui, constituée de la chrétienté millénaire -, il n'est pas sans fruit de prêter l'oreille à
Ni les yeux ni les oreilles ne suffisent séparément à fonder le savoir ; pour dit un médecin du temps, à se sufflre d'un lit et d'une marmite. Sa petite dans et par une commune passion pour les lettres antiques, fondement lbptimisme vigilant dont témoigne l'æuvre de Rabelais. Né au soir du
l'établir, leur collaboration est nécessaire. Épistémon, entrant dans la chau- enfance le fait voir livré aux manifestations de son naturel, flantant, de l'identité européenne, a conscience de ce que la diversité de ses intérêts xv'siècle, il ignore la mélancolie des flns de siècle.
mine de la sibylle de Panzoust, a tort de s'assurer, au vu de sa seule aPparence, pissant, rendant sa gorge, rotant, éternuant et se morvant en archidiacre, répond à de mêmes enieux. Rire d'espièglerie, quand la référence érudite,
qu'elle est une vraie sibylle. Mais ceux qui se contentent dbuiï ont également peu pressé de quitter le lit et avide de gagner Ia table. plus ou moins truquée, concourt à resserrer cette complicité, mais signale lean Céard, Le Monde daté du 25.03.1994

B2 Enseignement de littérature - première L Enseignement de littérature - première L 8]


L'ESSENTIEL DU COURS
L'ESSENTIEL DU COURS

est d'abord apparu à Gdipe sous les traits d'une jeunefille,lui donne la Dans tous les cas, la création est une inscription dans une lignée

Les réécritures, du xvII" siècle à nos iours solution de l'énigme.) Le Sphinx- [...] fe te demanderais par exemple :
Quel est l'animal qui marche sur quatre pattes Ie matin, sur deux
d'euvres. Cette position est celle de la Renaissance et du xvlr" siècle.
L humanisme, qui redécouvre les textes de lAntiquité, puis le classi-
pattes à midi, sur trois pattes le soir ? Et tu chercherais, tu chercherais. cisme, ne conçoivent pas I'écriture autrement que comme l'imitation

Un écrivain est avant tout un lecteur : il est nourri de littérature. De fait, lorsqu'un À force de chercher, ton esprit se poserait sur une petite médaille de
ton enfance, ou tu répéterais un chiffre, ou tu compterais les étoiles
des Anciens. La valeur d'une æuvre ne réside pas, alors, dans le fait
d'être totalement inédite : elle réside dans sa capacité à redonner vie
auteur décide de prendre la plume, il est déjà imprégné des textes, des histoires et du entre deux colonnes détruites ; et je te remettrais au fait en te dévoi- à l'æuvre ancienne, et à l'enrichir par un style propre.
style de ceux qui I'ont précédé : ilemprunte donc des chemins déjà parcourus. Quelles lant l'énigme. Cet animal est l'homme qui marche à quatre pattes Cependant, on peut également considérer que l'emprunt n'est pas
formes peut prendre cet emprunt ? Comment I'emprunt s'intègre-t-il au texte nou- lorsqu'il est enfant, sur deux pattes quand il est valide, et lorsqu'il est
vieux, avec Ia troisième patte d'un bâton. Gdipe - C'est trop bête ! »
loin du plagiat, c'est-à-dire du « pillage » d'æuwes, et de la répétition,
c'est-à-dire du ressassement sans apport nouveau. De plus, le fait de
veau, et comment en révèle-t-il I'originalité ? La transformation du texte initial a pour conséquence d'ôter à Gdipe penser, comme le faisaient les Classiques, que l'imitation est Ia seule
sa grandeur, sa sagacité, puisque la solution lui est donnée par le voie possible, comporte des risques, en particulier celui de briser un
compte alors sur la culture de son lecteur, avec lequel il tisse un lien Sphinx lui-même. La réplique du personnage « C'est trop bête ! », élan créateur original. Les modèles peuvent alors devenir les gardiens
de connivence. par son registre familier, souligne le prosaisme choisi par Cocteau : d'une prison littéraire.
Exemple : dans le même roman de Robbe-Grillet, on trouve ainsi le le tragique n'est plus le domaine réservé des héros, mais il reioint ici Au xx" siècle, les Romantiques voient la réécriture comme un carcan.
dialogue suivant : « - Dis-moi un peu quel est I'animal qui est parricide la sphère commune. Pour eux, les modèles jusque{à admis sont des prescripteurs de
le matin... - Il ne manquait plus que cet abruti-là, s'écrie Antoine. Tu La traduction est encore un autre mode de réécriture ; le passage normes facteurs de sclérose.
ne sais même pas ce que c'est qu'une oblique, ie parie ? - Tu m'as l'air d'une langue à une autre entraîne de nombreuses transformations, Mais, tout en respectant le désir de nouveauté et en acceptant une
oblique, toi, dit l'ivrogne d'un ton suave. Les devinettes, c'est moi qui et pose des problèmes d'interprétations au traducteur. En effet, il est ouverture, il faut admettre que celui qui écrit ne peut faire autrement
les pose. J'en ai une tout exprès pour mon vieux copain... [...] - Quel délicat de parvenir à traduire le sens exact d'un mot ou d'une phrase, que de puiser dans un fonds (que ce soit au niveau des mots, du
est l'animal qui est parricide Ie matin, inceste à midi et aveugle Ie mais aussi ses connotations, le registre de langue, etc. De plus, chaque lexique, ou des thèmes). La réécriture est créative, dynamique,
soir ? » Il est ainsi fait allusion au mythe d'Gdipe, en le détournant :
langue s'accompagne d'une culture propre, et aucune transposition lorsqu'elle articule l'ancien et l'inédit. Il faut, pour cela, que l'auteur
Les différents modes de la réécriture la forme des questions est la même, mais la réponse attendue n'est n'est jamais parfaite, ce que le proverbe italien « Traduttore, tradit- comprenne et écoute la source qu'il a choisie, mais sans la recopier
Un texte littéraire peut, tout d'abord, contenir un certain nombre plus « l'homme » mais « Gdipe ». Ce dialogue vient donc s'aiouter à tore » (« Traducteur, traître ») met en lumière. servilement. Un angle novateur est nécessaire pour « dépoussiérer »
de fragments venus d'un ou de plusieurs autre(s) texte(s). Dans ce l'épigraphe et forme un réseau souterrain, qui permet au lecteur de La transposition ou l'imitation est une variation littéraire assumée le modèle, de même que le modèle est nécessaire pour donner vie au
cas, l'auteur intègre à son æuvre des éléments propres à l'éclairer ou comprendre que Ie texte qu'il découvre prend sens à partir du mythe à partir d'un suiet, d'un thème déjà exploité par un autre auteur, successeur. C'est le sens de la formule de Paul Valéry : « Le lion est fait
l'enrichir. La citation est un court extrait, reproduit généralement antique. ou encore d'un « mythe » (comme celui d'Gdipe, mais aussi celui de de mouton assimilé. »

entre guillemets ou en italiques. EIIe peut être présente dans le récit, Le pastiche est l'imitation du sÿle d'un auteur. Dans ce cas, I'écrivain Faust, de Dom fuan, etc.). Des auteurs comme Racine ou Corneille, D'autre part, chaque ceuvre d'art est multiple, riche d'interprétations
ou bien dans le discours des personnages, ou encore en épigraphe - B « joue » à écrire comme l'écrivain A, la plupart du temps en ampli- au xvrr" siècle, puisent ainsi dans le fonds antique pour écrire leurs différentes. Les réécrire, c'est finalement leur redonner sa richesse, en
c'est-à-dire au début d'une æuvre ou d'un chapitre. flant certaines marques de son écriture (par exemple, la longueur et tragédies. Le changement de forme, par exemple l'adaptation d'un accentuant un aspect jusqueJà peut-être négligé ou minimisé.
Le sens de la citation influe sur le sens du texte de différentes façons : Ia complexité des phrases de Proust). I/intention peut être comique, roman au cinéma, est également une forme de transposition.
elle peut venir appuyer une argumentâtion ou, au contraire, faire voire satirique, mais elle peut constituer également un simple ieu
lbbjet d'une contestation. Elle permet parfois de caractériser un avec le lecteur, qui prend plaisir à reconnaître le style de l'auteur imité. Les positions face à ces procédés d'écriture TROIS ARTICLES DU MONDE A CONSULTER
personnage (notamment lorsque l'auteur, ou un personnage, qualifie La parodie consiste en une déformation du style, ou du texte On peut d'abord considérer qu'une écriture totalement vierge de toute
Ie héros du nom d'un autre personnage célèbre : un Dom |uan, un d'origine. Il peut y avoir un changement de registre (du tragique au référence à d'autres textes est une illusion. Écrire, c'est forcément . Tout pouvoir est-il criminel ?« Macbett »,
Rastignac, etc.). comique, de l'épique au prosaique, etc.), ou changement de genre réécrire : d'Eugène lonesco p. 88-89
(du théâtre à la chanson). Si Ie plus souvent, la parodie a, comme le (Bertrand Poirot-Delpech , Le Monde d,até du o3.oz.tg7zl
Exemple : l'épigraphe du roman Les Gommes dAlain Robbe-Grillet - soit parce que de façon inconsciente, tout auteur est imprégné de
. La seconde Guerre des boutons p. 89
(1985) est une citation de Sophocle : « Le temps, qui veille à tout, a pastiche, un but comique, elle peut cependant avoir pour obiectif ceux qui l'ont précédé ;
(Nils C. Ahl, Ie Monde des livres daté du ro.o7.zoo9)
donné Ia solution malgré toi ». Cette phrase initiale met Ie lecteur de souligner l'écart entre le texte source et le texte actuel, afin de - soit parce que, de façon volontaire, les auteurs cherchent à rendre . Kamel Daoud double Camus p. 90
sur la piste de la mythologie grecque, et, avec le terme « solution », lui renouveler une réflexion. hommage à leurs prédécesseurs ou, au contraire, à les tourner en (Macha Séry,Le Monde deslivres daté du z7.o6.zo14)
indique que le roman tourne peut-être autour d'une énigme. Exemple : dans Ia Machine infernale, Cocteau s'emPare lui aussi du dérision.
Lallusion permet de faire écho à un texte précédent, mais de façon mythe d'Gdipe ; lorsqu'arrive le moment de l'énigme posée par le
implicite. La source n'est pas donnée de façon claire, et l'auteur Sphinx au héros, voici le dialogue qui nous est livré : « (Le Sphinx, qui

REPERES
Cette diablesse de Madame logie pénétrante et surtout une mande, vient demander des Bouvard et Pécuchet, Baudelaire,
femme trouve la consolation dans À partir des derniers mots chucho- découverts au début de ce siècle
Diffé r ent e s r é é cr it ur e s Bov ary,Lionel Acher, zo or maîtrise de l'écriture qui est un comptes à Flaubert :inversant les frères Goncourt... Lauteur ac-
la relecture de Madame Bovary. tés par Emma : « Assassinée, Pas dans un grenier. La signature, un Alliée au Diable, Madame Bova- défi à Flaubert. fiction et réalité, Raymond Jean
de Madame Bovary. complit le proiet inachevé de son
suicidée. », deux policiers de Rouen «B» énigmatique, pourrait être
Madame Bovary est le roman qui ry ressuscitée, alias Fausta de la s'introduit avec une irrévérence grand-père, son homonyme, qui
. Claro, Madman Bovary, zoo8. sont dépêchés à Yonville afin d élu- celle d'un des acolytes silencieux Vaubyessard, règle ses comptes Madame Bovary sort ses grffis,
a le plus suscité le « désir palimp- affectueuse dans le chef-d'ceuvre avait reçu de Flaubert l'autorisa-
Avec le même point de départ, le cider l'affaire. Plusieurs suspects du narrateur de Madame Bovary, avec tous ces hommes qui furent Patrick Meney, r99r. qu'il admire. tion d'écrire une « suite.
sestueux » (selon le mot de Ge-
narrateur trouve ici dans le ro- possibles : un mari cocufié, un Prê- qui, dans le premier chapitre fait causes de ses malheurs et se Transposition parodique dans le
nette) des réécritures : pastiches, teur sur gages, deux femmes de
man de Flaubert un antidote en entendre sa voix diluée dans le venge de Flaubert lui-même. monde de la publicité, de la spon- Mademoiselle Bovary, Madame Homais,
parodies, transpositions, suites « entrant » dans Ie texte pour en caractère, un cynique libertin, un « nous » d'un sujet pluriel. sorisation et de la privatisation, Maxime Benoît-)eannin, r99r. Sylvère Monod, r988.
et développements romanesques modifler l'intrigue et la structure, pharmacien concupiscent...
Dans cette veine de réécriture Emma, Oh ! Emma !, oit Gustave Flaubert se voit prié Mademoiselle Bovary non seu- Sylvèqe Monod conte la vie de la
sur Ies personnages secondaires en endossant diverses identités :
centrée sur Charles Bovary : Laura facques Cellard, r992. par son éditeur de revoir sa copie. lement redonne vie aux per- femme du pharmacien, avant,
dont voici quelques exemples... puce, voyeur, pique-assiette, rô- Antoine Billot, Monsieur Bovary, Une réécriture iconoclaste
Grimaldi, Monsieur Bovary, 1991' où sonnages du roman précédent pendant et après le séjour des Bo-
deur et passager clandestin de la zoo6. Jacques Cellard donne Ia pleine Mademoiselle Bovary, (Homais, Rodolphe, I'usurier vary à Yonville. Le bon Charles ne
Monsieur Bovary était-il vrai- et JeanAméry Charles Bovary, Mé'
nef flaubertienne en déroute. mesure de ses talents d'auteur Raymond fean, t99t. Lheureux...) mais s'enrichit plus fut pas le seul mari trompé de la
Alain Ferry Mémoire d'un fou ment ce cocu pitoyable, ce prati- decin de campagne, Portrait d'un
romanesque : intrigue sans faille, Berthe, la fllle de Mme Bovary encore de figures inattendues commune.
d'Emma,zoog. Philippe Doumenc, Contre-enquête cien incompétent ? Réponse dans homme simple,t99t.
mouvement dramatique, psycho- ouvrière dans une filature nor- et hautes en couleur telles que
Un homme abandonné par sa sur la mort d'Emma Bwary , zooT . une dizaine de cahiers manuscrits

Enseignement de littérature - première L 8§


8{ Enseignement de littérature - première L
UN SUIET PAS A PAS UN SUJET PAS A PAS

Commentaire de texte
b) Une récriture amusée discours caractéristiques d'humains confrontés aux « tempêtes )) symbo-
: Allusions à la version de La Fontaine : la tempête se déchaîne <( tout comme Iisant les événements difficiles, les crises de la vie. Évocation explicite des
la première fois ». Les personnages eux-mêmes semblent connaître la fable hommes : « l'humaine nature », « petites gens », « certains orgueilleux ».

Jean Anouilfi, « Le Chêne et le Roseau » de La Fontaine : « N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?/ La morale
en est détestable ».
Ces pluriels et l'usage du « nous » permettent d'ailleurs de donner une
portée générale au discours du roseau, encore renforcée par le verbe au
Lusage que les adultes font des fables de La Fontaine lues aux enfants : « Les présent gnomique : « nous [...] résistons ». La position du narrateur se
radicalement différente : le chêne apparaît noble, alors que le roseau est hommes [sont] bien légers de l'apprendre atrx marmots. » = ton critique + dessine de plus en plus clairement au fil de la fable :
Le texte flnalement plutôt mesquin et haineux. Comment Anouilh reprend-il ici terme familier et péioratif suggèrent avec humour une forme de supériorité, -commentaire entre parenthèses (« Il ne füt jamais permis ce mot avant »
ce récit célèbre pour donner à entendre une morale inattendue ? témoignant ainsi d'une grande distance par rapport à la fable originale. = lâcheté et vindicte du roseau qui apostrophe le chêne en Ie nommant
Le chêne un iour dit au roseau :
Dans un premier temps, nous observerons ce récit vif et plaisant, avant Transition: En effet, même si le chêne meurt aussi dans cette version, la « mon compère ») ;
« N'êtes-vous pas Iassé d'écouter cette fable ?
de nous intéresser aux caractéristiques de la récriture. Nous étudierons morale qui se dégage de l'apologue est bien différente de celle de La Fontaine. - pronom personnel indéfini (( on )), = narrateur témoin (« 9n sentait [...]
La morale en est détestable ; III. La morale haine satisfaite »).
enfin les deux personnages et la morale de I'apologue. sa
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots. Critiquant ainsi le roseau et sa mesquinerie, il laisse le dernier mot au
a) Le roseau
Plier, plier touiours, n'est-ce pas déjà trop Le roseau se caractérise par sa lâcheté. Il se réfugie derrière le groupe qu'il chêne, qui meurt, certes, mais devient par là même héroiQue et garde toute
Le pli de l'humaine nature ? » Le plan détaillé du développement prétend former avec « les petites gens ». Au lieu de parler simplement en sa grandeur iusqu'à la fin. À un homme qui choisirait de se soumettre et
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ; I. Un récit vifet plaisant de courber l'échine, le narrateur préfère l'homme qui résiste et ne renonce
son nom, il utilise le pronom personnel « nous », en affirmant par exemple
Le vent qui secoue vos ramures a) Un récit vif et dense
« nous autres [...] résistons [...] mieux ». Discours revendiquant sa petitesse. pas à son identité et à ses valeurs, quitte à en mourir.
(Si je puis en luger à niveau de roseau) Brièveté, 31 vers, alternance aléatoire octosyllabes/ alexandrins. Variété
Répétition de l'adiectif « petit » ; énumération d'adlectifs : « si faibles, s'
Pourrait vous prouver d'aventure, des rimes utilisées : croisées puis suivies succèdent aux rimes embrassées.
chétifs, si humbles, si prudents ». Répétition de « si » rythme régulier de Conclusion
Que nous autres, petites gens, Peu de détails et absence d'indices spatio-temporels précis « un iour »,
l'alexandrin (quatre groupes de trois syllabes) suggèrent une forme de A.vec « Le Chêne et Ie Roseau »,Anouilh offre une récriture originale de la
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents, dans « les bois ». Les personnages ne sont pas décrits, ils sont simplement
mesquinerie. Méchanceté dans le dénouement, attitude haineuse mise fable de La Fontaine. Déiouant les attentes du lecteur, il transforme les
Dont la petite vie est le souci constant, désignés avec le déterminant défini : « le chêne », « le roseau ». Densité :
en valeur dans la brève phrase nominale : « Son morne regard allumé. » caractéristiques des deux personnages pour livrer une fable plaisante, aux
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde dialogue initial introduit par un seul vers, suivi d'une péripétie narrée en
l,ss « peines » du chêne lui permettent d'exprimer sa « haine », comme le accents parodiques, et surtout nous incite à porter un regard plus critique
que certains orguellleux qui s'imaginent grands. » 4 vers ; dernier dialogue, après la tempête = dénouement agonie du chêne soulignent les deux termes à la rime.
Le vent se Iève sur ces mots, lbrage gronde. et une ultime réplique. sur cette « humaine nature » si encline à « plier ,. À un peuple humble
Transition: Le portrait du roseau est donc bien négatif et s'oppose à celui mais parfois servile, Anouilh oppose la grandeur et la fierté de celui qui
Et le souffle profond qui dévaste les bois, Transition :La concision et la versiflcation de la fable en font donc un texte
du chêne. refuse de céder. Dans cette perspective, le chêne ne rappelle-t-il pas Anti-
Tout comme la première fois, plaisant à lire, d'autant plus qu'il se caractérise aussi par une grande vivacité.
b) Le chêne gone, autre personnage célèbre de l'æuvre dânouilh, auquel il a consacré
Jette le chêne fier qui le narguait par terre. b) Un récit vivant
Le chêne se caractérise par son orgueil et sa fierté. une tragédie ? ii
« Hé bien, dit le roseau, Ie cyclone passé - Récit central de la tempête au présent de narration.
Première réplique : arrogance face au roseau, auquel il reproche implici-
I1 se tenait courbé par un reste de vent - Théâtralité : large part du dialogue, répliques introduites par la répétition tement de « plier ».
Qu'en dites-vous donc mon comPère ? du verbe « dire ». Enchaînement de questions / réponses. Ironie envers lui et envers la morale de La Fontaine : répétition de « plier »,
Ce qu'il ne faut pas faire
(ll ne se fût iamais permis ce mot avant.) Oralité : interiection suivie de I'adverbe « Hé bien », première réponse en iouant sur le mot pour mieux dénoncer cette faiblesse humaine (« le
Choisir de traiter ce suiet sans connaître « Le Chêne et le Roseau »
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ? » du roseau qui semble d'abord décalée par rapport à la question du chêne pli de l'humanité »).
de La Fontaine.
On sentait dans sa voix sa haine mimant ainsi une conversation banale et quotidienne. Transformation du personnage dans le dénouement : devient héroïque
Satisfaite. Son morne regard allumé. MéIange de registres de langue : soutenu (« lassé », « d'aventure » ou et touchant :

Le géant, qui souffrait, blessé, « ramures ») et familier (« marmots »).


De mille morts, de mille peines, Transition: Ainsi, Ies personnages prennent vie à travers Ie dialogue qui
- champ lexical de la souffrance (« souffrait », « blessé », « morts »,
SUJETS TOMBÉS AU BAC SUR CE THÈME
« peines », « triste », souligné d'ailleurs par l'enjambement du vers z7 au
Eut un sourire triste et beau ; donne une grande vivacité à la fable, tout comme dans Ie texte original vers z8)
Et, avant de mourir, regardant le roseau, de La Fontaine.
;
DisseÉations
Lui dit : « fe suis encore un chêne. »
- rythme saccadé des derniers vers, accents pathétiques à l'agonie de - La transposition d'une æuvre d'un genre dans un autre vous pa-
II. Une récriture parodique l'arbre ;
(Jean Anouilh, « Le Chêne et Ie Roseau », Fables.) a) Les effets d'écho raît-elle être un enrichissement ou un appauvrissement ? (Suiet na-
- appellation métaphorique « le géant » et répétition de « mille » qui lui tional, zoo3, série L)
Éléments repris de La Fontaine : le titre de la fable, Ies personnages, Ie sché- confèrent une dimension quasiment épique.
ma général de I'apologue (deux végétaux confrontés à la même péripétie, - Quand vous abordez une æuwe, cherchez-vous plutôt la nouveauté
lntroduction Transition: Sa grandeur s'oppose de façon flagrante à la petitesse du et lbriginalite, ou appréciez-vous les æuwes qui s'inspirent de situa-
La Fontaine, célèbre fabuliste du xvrf siècle, mais aussi partisan des Anciens, mort du chêne et survie du roseau). Premier vers de la version dAnouilh roseau. Sa dernière réplique révèle sa noblesse : au moment de mourir, il
identique à celui de La Fontaine : « Le chêne un iour dit au roseau ». tions, de thèmes ou de personnages connus ? (Amérique du Nord,
c'est-à-dire de l'imitationdes textes de I'Antiquité, s'est en grande partie inspiré réaffirme une identité à laquelle il n'a pas voulu renoncer. Par là, l'auteur
Répétition du vslfs « plier » par le chêne = écho de Ia célèbre réplique du zoo6, série L)
des fables d'Ésope pour composer ses propres récits' Ainsi, sa fable « Le Chêne suggère une morale originale.
et le Roseau » trouve son origine dans « Le Roseau et l'Olivier » d'Ésope. roseau : « Je plie et ne romps Pas. » c) La morale
- Selon vous, réécrire, est-ce chercher à dépasser son modèle ? Vous
pourrez vous intéresser à d'autres genres que le roman. (Suiet natio-
À son tour, I'écrivain et dramaturge f ean Anouilh s'est inspiré de 1a réalisa- Fable brève faisant alterner alexandrins et octosyllabes. Les végétaux personnifiés représentent deux types d'hoComportement et nal, zoro, série L)
tion de La Fontaine pour donner sa propre version de cette fable, également Termes archaisants connotés xvu" siècle : inversion de l'adiectif « l'humaine
intitulée « Le Chêne et Ie Roseau ». Comme son prédécesseur, Anouilh nature », « voire », synonyme ancien de « vraiment », « mon compère ».
présente le dialogue entre les deux végétaux, l'un droit et « grand », l'autre Transition, À l'évidence, cette fable est bien une récriture de celle de La LA FABLE D'ÉSOPE
petit et souple, puis Ia tempête qui s'abat sur eux, déracinant le chêne Fontaine, dont elle reprend clairement les caractéristiques. Cependant,
mais laissant la vie sauve au roseau. Pourtant, au-delà de ces emprunts, cette reprise se nuance d'une certaine distance amusée, qui donne à la Le roseau etlblivier disputaient de
parfois parodiques, Anouilh livre ici un apologue à la morale implicite fable moderne des accents parodiques. Ieur endurance, de leur force, de
leur fermeté. Lblivier reprochait au
roseau son impuissance et sa facili-
LA FABLE DE LA FONTAINE té à céder à tous les vents. Le roseau
È
garda le silence et ne répondit mot. .o
Le Chêne un iour dit au Roseau :/ Brave l'effort de la tempête./ Tout - Votre compassion, lui répondit accourt avec furie/ Le plus ter- Or le vent ne tarda pas à souffler o
« Vous avez bien suiet d'accu- vous est Aquilon, tout me semble lArbuste,/ Part d'un bon naturel ; rible des enfants/ Que le Nord eût avec violence. Le roseau, secoué et ts
Zéphyr./ Encor si vous naissiez à mais quittez ce souci./ Les vents portés iusque-là dans ses flancs./ §
ser la Nature ;/ Un Roitelet pour courbé par les vents, s'en tira faci E
un pesant fardeau./ me sont moins qu'à vous redou- LArbre tient bon ; le Roseau Plie./
vous est l'abri du feuillage/ Dont le couvre le lement ; mais lblivier, résistant aux sFo
Le moindre vent, qui d'aven- voisinage,/ Vous n'auriez Pas tant tables./ Je plie, et ne romPs pas. Le vent redouble ses efforts,/ Et vents, fut cassé par leur violence. o
ture/ Fait rider Ia face de l'eau,/ à souffrir :/ Je vous défendrais de Vous avez jusqu'ici/ Contre leurs fait si bien qu'il déracine/ Celui de Cette fable montre que ceux qui !
Vous oblige à baisser la tête :/ I'orage;l Mais vous naissez Ie Plus coups épouvantables/ Résisté qui la tête au Ciel était voisine/ Et cèdent aux circonstances et à Ia c
o
Cependant que mon front, au souvent/ Surles humides bords des sans courber le dos ;/ Mais at- dont les pieds touchaient à l'Em- force ont l'avantage sur ceux qui ri- G

Caucase pareil,/ Non content Royaumes du vent./ La nature en- tendons la fln. » Comme il disait pire des Morts. valisent avec de plus puissants.
d'arrêter les rayons du soleil,/ vers vous me semble bien iniuste. ces mots./ Du bout de I'horizon (fean de La Fontaine,,Fables). (Ésope, « Le Roseau et l'Olivier »)
=
86 fnseignement de littérature - première L Enseignement de littérature - première t 8/
LES ARTT.LES DU lÏ[onûe LES ARTICLES DU !]J[ONûC

Personnellement, fe préfère Ionesco en visionnaire du mal intime de vivre

Tout pouvoir est-il criminel ?


d'lonesco à renvoyer les idéologies dos à dos, la fragilité de sa dialectique
qu'en philosophe de l'histoire ; ie le crois plus poète qu'homme d'idées, et la naiVeté de ses remèdes n'effacent pas l'originalité de sa dramaturgie.
bête de théâtre avant d'être une tête politique, ou antipolitique. Mais il est Sans doute en sont-ils même les conditions si on admet, comme c'est

« Macbett )), d'Eugène lonesco vrai que les liens du pouvoir et du crime méritent d'être montrés dans ce
qui ressemble à une fatalité bouffonne, il est vrai surtout que l'entêtement
probable, que le théâtre est un art d'enfant.

Bertrand Poirot-Delpech , Le Monde daté du 03.oz.1g7z


On nous l'a changé I Après quelque trente pièces ouvertement nourries de
POURqUOI CET ARTICTE ?
ses fantasmes intimes, c'est bien la première fois qu'lonesco développe en

scène une conviction d'ordre général sur un phénomène extérieur à lui'


Avec cette critique contemporaine de Ia pièce Macbett, créée au
La secondê « Guerre des boutons ))
Extérieur et même opposé tout son être connu. Loin de céder à la folie du
à
Théâtre de lAlliance française eîtg72,le iournaliste, écrivain et
pouvoir telle qu'il entend la dénoncer aulourd'hui, ses créatures avalent Ce roman a quelque chose du ieu d'un enfant qui aime les livres. Voire des
académicien Bertrand Poirot-Delpech livre un regard inestimable
généralement la hantise de ne pas régner. Si son double Bérenger montait leux d'enfants (t87r), de Georges Bizet, pièce pour piano à quatre mains. POURQUOT CET ARTTCLE ?
sur Ia création d'Eugène Ionesco. Le critique place cette nouvelle
parfois sur un trône, c'était malgré lui, par dérision, sans autorité sur Lebrac, trois mois de prison repose, en effet, sur le plaisir gratuit de la
ceuvre dans la perspective des pièces antérieures - notamment les réécriture d'un classique, celui de Louis Pergaud (t882-r9r5), I a Guerre des Dans Ia Guerre des boutons, best-seller de Louis Pergaud paru en
personne, pas même sur son propre corPs, roi sans royaume, image de meurt r9rz, les enfants de deux villages s'affrontent dans une « guerre » lu-
Chaises (t952),Victimes du devoir (t953) ou encore Ie roi se
boutons (t9rz). En citant abondamment et méticuleusement son modèle,
notre néant. Seuls les Personnages d'épouses-mères, celles de Victimes dique non dénuée de violence. Lun des héros du roman est Lebrac,
(r962)- et en dégage Ia singularité : même si certains motifs carac- Bertrand Rothé écrit un livre effectivement à quatre mains : les siennes qui conduit ses troupes au combat dans une ambiance rabelai-
du devoir et des Chaises en particulier, avaient de l'ambition pour lui,
téristiques comme l'humour noir et la répétition s'y retrouvent, et celles de Pergaud, Prix Goncourt un peu oublié en rgro pour un recueil sienne. Les péripéties tragicomiques du conflit ont enchanté des
l'incitaient à se pousser, à devenir u chef », au besoin « maréchal-chef ».
générations de lecteurs, parmi lesquels Bertrand Rothé, écolier des
Macbett se distinguerait comme une pièce à thèse, contrairement de nouvelles, De Goupil à Margot.
Lui ne rêvait, à l'inverse, que de s'effacer, de rentrer sous terre, comme avec années soixante. Mais qu'en serait-il auiourd'hui ? C'est le propos
aux « drames intimes » précédents. Surtout, comme le note De la référence récurrente, de la reprise du synopsis original, mais aussi
de cette réécriture au titre lourd de mauvais présages, Lebrac, trois
l'espoir que la mort l'oublie... l'affection évidente pour le texte de 1912, se dégage un charme littéraire
Bertrand Poirot-Delpech, « Ionesco s'inspire pour la première fois de
mois de prison, parue en 2oo9. Ni pastiche ni parodie, le roman de
Que ce peintre de la pusillanimité maladive s'en prenne subitement à candidat au baccalauréat trouvera donc indéniable. Alors que son objectif a priori n'est pas celui-là, mais plutôt de Bertrand Rothé est d'abord un hommage à son modèle, qu'il cite
d'un drame existant » : le
son contraire ne prouve peut-être pas qu'il quitte tout à fait le monde des seservir d'une fiction connue pour se demander de quelle façon la société abondamment. Mais en transposant l'action de nos jours et en s'ap-
ici un exemple de réécriture, celuid'une parodie de Shakespeare
pulsions pour celui des idées. Rien ne dit qu'en s'attaquant au goût criminel contemporaine répond à la violence de la jeunesse. En interrogeant des puyant sur les avis des représentants de « l'autorité », (policiers, ma-
où I'auteur cherche non à adapter strictement l'oeuvre mais gistrats, parents, éducateurs), il se voit obligé de changer de registre,
de dominer, et en lui opposant implicitement l'innocence de l'ambition policiers, des iuges, des éducateurs et des médecins, Bertrand Rothé, agrégé
écrit « sous le coup » de sa lecture de Macbeth pour en tirer une passant de la farce au drame. Il montre à quel point notre société
artistique, l'auteur ne délivre pas d'avoir brimé en lui quelque tendance
se d'économie et enseignant à l'lUT de Sarcelles, fait ce constat surprenant :
s'est corsetée, judiciarisée, qui traiterait les joyeux vauriens de Louis
farce grinçante sur les dérives du pouvoir. les héros de Ia uerre des boutons seraient auiourd'hui considérés comme
à la tyrannie, fût-elle domestique. Mais c'est un fait qu'au lieu de matéria- G Pergaud en délinquants (certes) juvéniles ! C'est précisément l'in-
des délinquants. térêt de cette réécriture que de susciter la réflexion sur la société
liser une obsession profonde comme presque toutes ses æuvres, Macbett
actuelle à partir d'une æuvre du passé.
traduit un raisonnement, répond à un prolet délibéré, soutient une thèse.

l'ambition du pouvoir n'est autre qu'une envie personnelle sur Ie modèle De la farce au drame
Ce n'estd'ailleurs pas un hasard si Ionesco s'inspire pour la première fois
d'une libido déviée et dévoyée, c'est au cours d'un strip-tease des sorcières
En renvoyant Lebrac (l'un des deux chefs de bande de La Guerre et de la ieunesse, la disparition d'un monde d'ouvriers et d'artisans, la
d'un drame existant, si ses personnages ne sortent pas tout droit de son
des boutons) devant ses iuges (pour enfants), l'auteur prend le risque panne de 1'ascenseur social, l'apparition de la précarité nouvelle.
Imagination, s'il inaugure une carrière d'adaptateur. Car enfin cette pièce que s'afûrme Ia vocation de Macbett au crime politique. Au lieu de masquer
d'affadir considérablement le roman pour se donner les moyens de la Lenfance et la jeunesse nbnt pas tant changé, elles : leurviolence, leur bruta-
n'aurait pas vu Ie jour sans le chef-d'æuvre de Shakespeare. Ducan, Banco, leur ioie de dominer sous des faux-semblants flatteurs, comme dans
démonstration. On aurait ainsi pu lire les longues minutes d'un procès lité, ont Ies mêmes accents, les mêmes codes, la même beauté barbare. Mais
Macbeth, Ies fameuses sorcières, lui ont été donnés, ainsi que leurs forfaits Shakespeare et dans la vie, les tyrans assistent gaiement aux massacres,
banal, comme la presse en rapporte à l'occasion. Heureusement, servi Ies conséquences sont différentes. Parmi d'autres choses passionnantes,
et la leçon à en tirer. les prônent sans vergogne et Ies multiplient à plaisir.
par un style sobre, Bertrand Rothé n'oublie iamais - en basse continue, ceque la traduction contemporaine de La Guerre des boutons mesure avec
Cette jubilation éhontée et cet enchaînement fatal deviennent les thèmes en sourdine - le cantiquel'enfance qu'est le roman de Pergaud. Il nous
à précision, c'est le carcan d'une langue imposé à une autre - et le boulever-
Des poignards dans les sourires essentiels de la pièce. Sans offrir d'alternative, en paraissant les encourager convie à une promenade en compagnie des fantômes. Il compose pour sement social que cela trahit. « Le vocabulaire de l'administration » couvre
La leçon, surtout. En fait d'adaptation, il a plutôt écrit « sous le coup » pour mieux les dénoncer par l'absurde, l'auteur leur applique son sens cé- quatre mains à la quinte juste - les deux voix du passé et du présent ainsi de son ronronnement mécanique le rélouissant tintamarre des an-
de sa lecture de Shakespeare et, au moins autant, du critique polonais Ièbre de Ia prolifération cauchemardesque, son comique de l'énumération sont toujours superposées, mais pas à l'unisson. ciennes saillies et des anciens iurons de Lebrac, lAztec, Camus, Grangibus,
Jan Kott ramenant Macbeth à Ia folie de tout pouvoir (Shakespeare, notre hétéroclite, son goût de l'anachronisme et du calembour - il est question Le plus surprenant, peut-être, c'est que s'il s'agit d'une réécriture, elle ne La Crique et les autres.
contemporain,pages 1oo à rr4, Julliard, édit., 1962). de fuir au Canada, d'exécuter à Ia guillotine et de manger des crêpes... de se fait pas (comme souvent) sur le mode du pastiche ou de la parodie. Ici, Lebrac, trois mois de prison est en vérité le roman d'un regard, le nôtre.
Qu'aucun gouvernant n'échappe à la démence et au crime paraît avoir Chine ! Alors, il n'y a plus à se tromper : c'est bien l'lonesco de touiours pas de Virgile travesti. Si l'undeux livres est trivial, rabelaisien, libéré,
des Dessillé, croit-on, mais surtout désenchanté et aseptisé. La modernité du
tenu lieu d'idée fixe à l'auteur, et l'avoir moins scandalisé - puisque, par c'est celui de Pergaud. A contrario, Lebrac, trois mois de prison célèbre le
que nous reconnaissons, imprévisible et familier, rageur et ingénu, d'une livre de Pergaud résidait dans sa sincérité, dans la justesse d'un ton. Celui
passage de Ia farce au drame, avec une moue dubitative, mais non sans
hypothèse, il n'y a rien à faire là-contre, pas de meurtre qui mette fin aux Iiberté d'invention sans égale. de Bertrand Rothé brille par ce qu'il dit de la flction de l'enfance, de la fiction
ironie. De nos iours, l'hymne à la liberté conduit entre les murs d'une tout court. Ia Guerre des boutons n'est plus un livre pour les enfants, c'est
meurtres - que conforté dans son refus instinctifdes engagements et dans
prison. Les ieux (dangereux) de l'enfance décrits par l'instituteur Louis
Ie sentiment, touiours facile à faire partager, que les dirigeants du monde Un art d'enfant un procès-verbal. C'est une histoire devenue impossible. Impossible à vivre
Pergaud mènent tout droit au tribunal des mineurs. sans que la justice des adultes s'en mêle. Impossible à lire en classe « sans
« se Quant aux hécatombes de lampistes qu'entraînent les
valent tous ». Le cadre aide à le retrouver : ce Théâtre de lAlliance française, oir - il va y
Le lecteur trouvera ici deux livres en un. Non seulement l'ancienne et la soulever un tollé [des] parents
avoir dix ans déià - s'est impo sé. Le roi se meurt,le d,écor de facques NoëI,
», comme Laurent Bonelli le suggère dans
courses au pouvoir, loin de s'en indigner comme l'Hector de Giraudoux nouvelle Guerre des boutons, mais encore un essai et un roman parfai- sa postface. Fausse pudeur ?
dans la Guerre de Troie, il s'en amuse Presque, sans qu'on sache si I'assas- dont Ies lointains en gouffres d'opéra rappellent chaque fois les vertiges tement consubstantiels. C'est un hommage à la flction et à ses pouvoirs. On ne dira pas « Si l'avais su, j'aurais pas venu », comme P'tit Gibus dans
sinat des autres au combat lui paraît à tout prendre moins digne de pitié métaphysiques de l'auteur, Ia mise en scène baroque et le ieu touiours Mieux encore que les instantanés statistiques des articles et des enquêtes l'adaptation d'Yves Robert (196r). « Le Crapaud » de Victor Hugo
que sa propre fin naturelle, lu si son écæurement prend par pudeur Ie étonné de |acques Mauclair, devenu f inteiprète d'lonesco par excellence' consacrés aux relations difficiles de Ia jeunesse et de ses figures d'autorités (La Légende des siècles, XIII, 2) nous avait depuis longtemps prévenus de
masque du cynisme. Si la présence de ieunes et Jolies comédiennes, comme Brigitte Fossey et (policiers, professeurs, juges), la fiction donne à voir la continuité d'un la sauvagerie de l'enfance 2 « l'étais enfant, j'étais petit, j'étais cruel/(...)
Car il y a beaucoup d'humour noir dans ce Macbett. Selon le mot du flIs Geneviève Fontanel, a de quoi surprendre - après la distribution quasi changement inéluctable de société. Lebrac, trois mois de prison ne té- que faire/sinon torturer quelque être malheureux ? » :i
de Duncan, dans ShakespeTls, « il y a des poignards dans les sourires des rituelle de Tsilla Chelton - Alain Mottet, en Duncan aussi veule qu'acharné moigne pas que de l'enfance, mais aussi, et surtout, du monde des adultes.
daggers in men's smiles », II,3). Pour bien montrer que à tuer, se révèle un comédien très « ionescien ». En creux, il brosse le portrait des parents et des professionnels de I'enfance
hommes » (« There's Nils C. Ahl, Ie Monde des livres d.até du 1o.o7.2oo9

8 B Enseignement de littérature - première L Enseignement de littérature - première L 8ÿ


LES ARTT.LES DU !l[[onûe

Kamel Daoud double Camus


Avec « Meursault, contre-enquête )), l'écrivain algérien a réécrit « L'Etranger »
- du point de vue arabe. Superbe.
De Maissa Bey à Boualem Sansal, de Yahia Belaskri à Salah Guemriche,
Albert Camus ne cesse de hanter la littérature algérienne contemporaine.
Tantôt comme mentor et figure tutélaire, tantôt comme repoussoir. Dans AvecMeursault, contre-enquête, paru en2c14, Kamel Daoud donne
L'Etranger, son chef-d'æuvre publié en7942, Meursault tue un Arabe sur à lire un autre procédé de réécriture : Ie changement de point de
vue incarné par le changement de narrateur. Meursault est le per-
une plage dAlger. Pour cela, il sera iugé. Mais ce n'est pas vraiment pour sonnage narrateur de L'Étranger, le roman mondialement connu
ce crime qu'il sera condamné à mort. A peine celui-ci sera-t-il évoqué dAlbert Camus, publié en 1942. Meursault, un Européen dAlgé-
lors de son procès. Au reste, on ne connaîtra pas Ie nom de la victime, rie, est iugé pour un crime sans mobile apparent commis sur une
plage dâlger. Or, la victime, dans le roman, n'â pas de nom ; elle est
vingt-cinq fois désignée par 1e terme d'« Arabe ».
constamment désignée par le terme « lArabe », cet anonymat étant
Cet angle mort dans L'Etranger, et plus largement l'absence d'« indi- révélateur de la domination coloniale. C'est le point de départ du
gènes » dans l'æuvre dAlbert Camus, ainsi que ses prises de position roman de Kamel Daoud. Lhomme assassiné sur la plage s'appelait
Moussa et c'est son frère, Haroun, qui, bien des années après, dans
pendant la guerre dAlgérie - mort en ianvier 1960, soit un an avant Ie IAlgérie contemporaine, se fait le narrateur de leur histoire fami-
référendum d'autodétermination de lAlgérie, il prônait une alliance Iiale. Si son récit est d'abord la revendication d'une identité, il est
fédérale - valent auiourd'hui au Prix Nobel un culte ambivalent de l'autre aussi l'expression d'une parenté philosophique profonde, puisqu'il
côté de la Méditerranée. Comment l'amoureux fou de cette terre, l'enfant inclut l'aveu d'un crime également « gratuit » : le iour de l'indépen-
dance, Haroun a tué Joseph, un Européen, « parce qu'il fallait, dit-il,
LE GUIDE PRATIQUE
du pays qui sentit en exil dès lors qu'il fut contraint d'en partir en 1940,

r
se
faire contrepoids à l'absurde de notre situation. » Salué par Ia cri-
a-t-il pu ainsi reléguer dans l'ombre le véritable opprimé, au point de lui
confisquer son identité
tique pour son style proche de celui de Camus, sans en être une imi-
tation, le roman de Kamel Daoud pourrait bien lnspirer les auteurs rB
*[F''
?

de suiets de bac illustrant le thème des réécritures.


)amais le nom de Camus n'est prononcé dans Meursault, contre-
enquête,le superbe roman de Kamel Daoud qui, auiourd'hui, répond à
L*.,Mffi *
L'Etranger et le prolonge. Le livre y est attribué à I'assassin lui-même, ce « roumi », cet « Européen », désigné comme victime expiatoire par
Meursault, qui l'aurait écrit à sa sortie de prison. Comme s'il s'agissait sa mère ? Il rentrait tous les iours de Ia plage, à r4 heures - l'heure du
d'une histoire vraie, comme si la fiction avait contaminé le réel au point meurtre de lArabe -, heureux et insouciant. « Oui, j'ai tué loseph parce
de s'y substituer. Quel plus beau tribut à la littérature ?
qu'il fallait faire contrepoids à l'absurde de notre situation » Visité par un
Afin que « lArabe » ne soit plus une simple utilité romanesque, imam en prison, Haroun, qui « déteste les religions et la soumission »,
I'auteur lui donne un nom pour sépulture : Moussa Ouled El- prononce, quasiment au mot près, la diatribe qu'adressait Meursault à ,I !t

Assasse. Le ieune homme, peu loquace, possédait un corps maigre et l'aumônier. Il finit donc par lui ressembler trait pour trait.
noueux, un visage anguleux à moitié mangé par une barbe. Que faisait-il I1 en va de même pour Albert Camus et Kamel Daoud. Lui aussi romancier
-
ce jour-là, allongé sur le sable, lorsque Meursault a croisé son chemin ? et iournaliste, Ie second tient, depuis dix-sept ans, une chronique poli-
Son frère cadet, le narrateur de Meursault, contre'enquête l'ignore, tique féroce à l'égard de Bouteflika dans Le Quotidien d'Oran. Sa langue,
malgré ses tentatives de reconstitution. Toute sa vie, Haroun a vécu à la fois classique et neuve par ses métaphores, dense et sensorielle, =
dans le deuil de son aîné, au côté d'une mère assoiffée de vengeance. admirable de clarté et de mystère mêlés, rappelle, sans le copier toutefois,
Au soir de son existence, pareillement à Jean-Baptiste Clamence, le juge le style dAlbert Camus.
pénitent de La Chute (1956), l'homme se confesse dans un bar : un long Comme le gamin de Belcourt, Kamel Daoud est né dans une famille ou
monologue proféré devant un prétendu « universitaire ». C'est, ni plus ni personne ne savait lire. C'est seul qu'il a appris la langue française, seul
moins, une oreille. La nôtre, à l'écoute d'un homme désabusé, prompt à enfant encore de sa fratrie à avoir suivi des études supérieures. « Une
digresser et à remâcher ses souvenirs. Peut-être n'est-il qu'un alcoolique langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors, elle prend
mythomane. Lintéressé, au reste, n'écarte pas cette hypothèse. Lhabitué I'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche
fantôme de la bouteille ».
du bar invoque, en effet, à plusieurs reprises, le «
comme le fait le couple dans le baiser vorace », dit Haroun, le narrateur.
Inversant la perspective dès l'incipit (« Auiourdhui, M'ma est encore Voilà comment écrit Kamel Daoud : magnifiquement. Après Minotaure
vivante »), le récit de Kamel Daoud constitue en quelque sorte le hors- jo4 (Sabine Wespieser, zou), recueil de quatre nouvelles sur la condition
champ de L'Etranger et son double en miroir. Car Haroun est aussi humaine en Algérie, son premier roman flappe par son ambiguité morale
implacablement lucide que l'était Meursault. Sa mère, qui lui préférait et son désespoir politique. A l'avenir, L'Etranger et Meursault, contre-
son frère, lui a toujours témoigné méflance et indifférence. Et, comme enquête se liront tel un diptyque.
Meursault, Haroun a commis un crime sans réel motif. Il avait 27 ans,
c'était le 5 juillet l962,,our de l'indépendance, la guerre venait de prendre Macha Séry, Ie Monde des livres daté du z7.o6.zot4
fin, et son geste manquait de sens aux yeux des autorités. La faute de
LE GUIDE PRATIQUE LE GUIDE PRATIQUE

présenté uniquement en fonction de l'idée qu'il sert. Si vous choisissez en exprimer l'originalité (par rapport aux conventions d'une époque,
Méthodologie et conseils d'introduire des citations (tirées, par exemple, du corpus proposé),
veillez à bien leur attribuer un auteur, à les mettre entre guillemets,
par exemple), dégager une coniugaison ou une opposition de thèmes,
montrer en quoi un premier niveau de lecture est supplanté par un

tuil
à les retranscrire à Ia lettre et à signaler par des crochets ([...]) tout
I -le planthématique organise un raisonnement à l'appui d'une thèse,
tentant d'en dégager tous les aspects de façon cohérente 4 questions
passage supprimé.
second, moins évident mais plus profond, etc.
. seront les différentes parties de votre plan. Deux écueils
Ces axes
. Pensez à soigner la présentation en aérant votre devoir par des principaux sont à éviter :
du type « Qubst-ce que... une æuvre engagée... un dénouement réussi... ?
sauts de lignes. - ne pas tomber dans la paraphrase du texte (« d'abord I'auteur parle
ou « Montrez que... » ;
VI. Rédiger la conclusion ensuite il parle de... ,)

&i
de... ;
- le plan comparatif met en parallèle deux thèmes ou deux concepts . La conclusion est peut-être la dernière étape de la dissertation, mais - ne pas non plus séparer le fond de la forme.
tout au long du devoir et s'achève sur une synthèse qui peut, selon Ie
ce n'est pas la moins importante. C'est sur cette note flnale que le III. Rédiger l'introduction
cas, mettre en évidence les ressemblances, les différences ou Proposer
correcteur restera. Il est conseillé de rédiger au brouillon la conclusion, Lintroduction d'un commentaire procède en trois étapes :
un dépassement.
avant même de commencer le développement. Vous saurez ainsi dès - présenter le texte et son auteur (titre de l'ouvrage, situation dans
. Le plan doit être construit selon une progression Iogique : suivez un
le départ or) vous souhaitez aboutir. l'histoire littéraire, situation de 1'extrait au sein de I'ouvrage, forme,
fil conducteur qui vous mène à une conclusion. Le plan achevé, toutes
. La conclusion a une double fonction : d'une part récapituler le etc.) ;
vos idées doivent y avoir trouvé leur place.
chemin parcouru en mettant l'accent sur ce que vous avez démontré - exposer votre approche du texte ;
IV. Rédiger l'introduction
ou sur I'opinion personnelle que vous avez développée ; d'autre part, - annoncer votre plan (deux ou trois axes de lecture, articulés entre
. Procédez en trois étapes : amenez le suiet, dégagez la problématique,
élargir le sujet, par exemple en évoquant une autre ceuvre du même eux).
La dissertation annoncez le plan.
auteur, un courant littéraire qui s'est opposé par la suite à celui dont IV. Citer le texte
L Lire le corpus de textes . Lesujet : vous devez le resituer dans son contexte (histoire littéraire,
vous avez parlé. . Chacune de vos remarques doit s'appuyer sur Ie texte. Lorsque vous
Les textes proposés vous fourniront un certain nombre de pistes de évolution d'un genre, événements historiques, etc.) en montrant qu'il
faites une citation, veillez à la retranscrire à la lettre et à signaler par
réflexion, d'arguments et d'exemples que vous pourrez réutiliser a un intérêt, qu'il ne sort pas de nulle part. Les phrases trop vagues et
générales (du type « de tous temps, Ies hommes... ») sont à proscrire.
Le commentaire de texte des crochets ([...]) tout passage supprimé.
dans votre dissertation.
I. Lire le corpus de textes . Attention, une citation ne remplace pas une remarque sur le texte,
II. Analyser le suiet Ensuite, citez la phrase du suiet : s'il s'agit d'une citation un peu
. Bien que le commentaire ne porte généralement pas sur Ia totalité mais vient soutenir votre interprétation. En d'autres termes, citer ne
. Abordez le sujet sans idée préconçue. Posez-vous vraiment la longue, vous pouvez la tronquer en conservant les mots essentiels.
. Dégager la problématique revient à montrer en quoi Ia question des textes du corpus, vous pourrez vous appuyer sur ces documents vous dispense pas d'analyser.
question formulée par Ie suiet. S'il s'agit d'une citation, mobilisez vos
pour comprendre le sens du texte à commenter, sa place dans l'histoire . Enfln, utilisez des expressions variées pour
introduire vos citations :
connaissances sur son auteur, l'æuvre dont elle est issue, etc. posée par Ie suiet donne matière à réfléchir. Cette étape doit vous
littéraire, ses enjeux, etc. l'auteur souligne », « évoque », « dépeint », « tourne en dérision »,
«
. Arrêtez-vous sur chaque terme du suiet et demandez-vous ce qu'il permettre d'indiquer dans quel sens va progresser votre argumenta-
II. Dégager des axes de lecture « met en évidence », « met en valeur », etc.
implique. Soyez attentif aux expressions employées : « dans quelle tion. Le plus souvent, on peut formuler la problématique sous forme
. Lisez d'abord Ie texte plusieurs fois, sans vous laisser décourager V. Rédiger la conclusion
mesure... » « peut-on vraiment dire ». Interrogez-vous : s'agit-il de d'une ou plusieurs questions.
. Enfln, vous devez annoncervotre plan, en mettant l'accent surles si vous avez du mal à Ie cerner : appuyez-vous sur les connaissances La conclusion a une double fonction : dresser le bilan de votre lecture
réfuter une thèse ? de la discuter ? de la soutenir ?
que vous avez de I'auteur, du genre, de l'époque à laquelle il a été et faire une ouverture, par exemple en effectuant un rapprochement
. Dès Ia lecture du sujet, notez au brouillon les idées qui vous viennent articulations logiques entre les parties.
écrit. N'hésitez pas annoter le texte au cours de la lecture. Notez au un autre texte du même auteur, ou avec un autre auteur de la
avec
immédiatement à I'esprit : vous en écarterez sûrement certaines, mais V. Rédiger le développement
. Lorganisation générale du développement doit montrer que votre brouillon vos premières impressions, quitte à les retravailler ensuite même période.
cela vous permettra de solliciter rapidement vos ressources.
et à en éliminer certaines.
III. Construire le plan dissertation est cohérente et progresse : chaque partie ou sous-partie
. Puis, analysez Ie texte plus en détail. Vous pouvez commencer par
. On distingue principalement trois types de plan : doit s'achever sur une transition qui récapitule ce qui vient d'être dit ATTENTION !
faire une étude linéaire qui aboutira à une série de remarques que
- le plan dialectique confronte différentes thèses, avant de donner et fait le lien avec Ia partie suivante.
. Il est important d'illustrer chaque idée par des exemples tirés de vous regrouperez ensuite selon les axes de lecture choisis. Ils doivent Laconclusion ne doit jamais vous servir à aiouter, à la dernière
un avis personnel4 suiets du type « Pensez-vous que...? » « Dans quelle
rendre compte des caractéristiques du texte : selon le cas, vous pourrez minute, une idée oubliée.
mesure peut-on dire que...? », etc. ;
votre expérience de lecteur et d'élève. Un exemple doit être concis et

TEXTE OFFICIEL zooM suR...


L' épreuv e é crite de fr ançais portent sur les contenus du pro- -aptitude à construire un iugement Accompagné, ou non, de ques-
gramme de la classe de première. argumenté et à prendre en compte tions, le suiet offre le choix entre L'oral defrançais : une dites, les connaissances que vous ments de manière ordonnée sont N'ayez pas peur enfin de ménager
:j Elles évaluent les compétences et d'autres points de vue que le sien ; trois types de travaux d'écriture, question deJond et deJorme. avez accumulées tout au long de très largement pris en compte quelques silences (pas trop longs,
Durée : 4 heures / Coefficients
- exercice raisonné de la faculté votre scolarité, mais aussi sur la
en série L; 2 en séries ES et S et 2 en connaissances suivantes : liés à la totalité ou à une partie dans la notation. Pensez-y au mo- tout de même...) après votre intro-
séries technologiques (hors STAV). - maîtrise de la langue et de l'ex- d'invention. des textes étudiés : un commen- Si l'examinateur iuge avant tout de forme de votre exposé, la manière ment de la préparation et, dans duction, entre les différentes par-
pression ; prennentappui surunen-
Les suiets taire, une dissertation ou une vos aptitudes et connaissances, il dont vous vous exprimez. le fil de votre exposé, utilisez des ties de votre exposé, et avant la
Les épreuves anticipées de fran- - aptitude à lire, à analyser et à in- semble de textes (corpus), pouvant écriture d'invention. Cette pro- sera sensible également à la façon Faites attention à ne pas parler mots de liaison : cela donnera le conclusion. De Ia même manière
comprendre un document icono- duction écrite est notée au moins dont vous vous présenterez, à votre trop vite et à bien articuler en po- sentiment à l'examinateur que que vous sautez des lignes à l'écrit
çais portent sur le contenu du terpréter des textes ;
programme de première ; elles - aptitude à tisser des liens entre graphique aidant à sa compréhen- sur 16 points pour les séries gé- comportement face au suiet et face sant votre voix : non seulement votre pensée est structurée, que sur votre copie, cette pause as-
évaluent grâce à un suiet unique différents textes pour dégager sion. Ce corpus peut également nérales et sur 14 points pour les à lui. Consciemment ou non, il sera cela permettra à l'examinateur de vous savez où vous allez, et il aura sumée.montrera que vous avez
Ies obiets d'étude communs à l'en- une problématique; consister en une æuvre intégrale séries techno-logiques quand elle influencé par votre ton, votre facon comprendre sans difficulté ce que moins de mal à vous suivre que si la maîtrise de votre discours et
semble des séries et, pour la série L, - aptitude à mobiliser une culture brève ou un extrait long et doit est précédée de questions, sur zo de vous tenir, etc. Voici quelques vous dites, mais cela vous aidera vous passez sans transition d'une signifiera clairement que vous
ceux de français et de littérature. littéraire fondée sur les travaux s'inscrire dans le cadre d'un ou de dans toutes les séries quand il n'Y conseils pour vous y préparer. aussi à avoir confiance en vous. idée à I'autre. N'hésitez pas à écrire passez à une autre étape de votre
Elles permettent de vérifler les conduits en cours de français, sur plusieurs obiets d'étude du pro- a pas de questions. Par ailleurs, sachez que la qualité sur votre brouillon ces connec- raisonnement.
compétences acquises en fran- des lectures et une expérience gramme de première, imposés À l'oral, vous êtes évalués à la fois de votre raisonnement et votre teurs logiques pour ne pas oublier
çais tout au long de la scolarité et personnelles ; dans la série du candidat. sur Ie contenu de ce que vous aptitude à présenter des argu- de les employer le moment venu I

Le guide pratique Le guide pratique 93


92
LE GUIDE PRATIQUE LE GUIDE PRATIQUE

III. Soigner l'expression La lecture méthodique à l'oral


. Selon le suiet, vous pourrez I. Lire le texte L'IMPORTANCE DE LA PRÉPARATION ET DU
tE CORPUS DE TEXTES
être amené à vous exprimer de Le passage que vous aurez à expliquer est tiré de la liste d'æuvres BROUITLON
Quel que soit le suiet que vous décidez de traiter, vous disposez d'un
différentes manières : la rédac- et de textes que vous avez étudiés au cours de l'année. Lisez atten-
corpus de textes qui ont nécessairement un lien entre eux : vous tion d'un blâme, par exemple, tivement le texte plusieurs fois en mobilisant vos connaissances
impose souvent d'employer un Bien sûr, tout se joue au moment où vous passez devant l'exa-
devez donc vous demander ce qui les rapproche (problématique, sur l'auteur, le genre, Ia période, Ia forme, etc. Au fll de la lecture,
thèmes évoqués, genre, registre, etc.) et ce qui les distingue. Lisez{es vocabulaire péjoratif ; un dis- n'hésitez pas à annoter le texte. Listez au brouillon les premières minateur. Mais la préparation est un moment indispensable
très attentivement et nbubliez pas d'étudier soigneusement le pa- cours enflammé recourt à des idées qui vous viennent. pour mettre toutes Ies chances de votre côté. Alors, utilisez bien
ratexte (nom de I'auteur, titre, date, introduction éventuelle, etc.). phrases exclamatives ; une des- IL Dégager un âxe de lecture le temps qui vous est imparti. Si besoin, commencez par vous
cription s'appuie sur de nom- . Il faut dégager un axe de lecture, une perspective qui orientera

L'écrit d'invention
I. Lire le corpus de textes
f,tr:
--lJ-
breux adjectifs ; une argumen-
tation est structurée par des
connecteurs, etc.
votre explication et montrera l'intérêt du passage étudié. Pour dé-
terminer cet axe, posez-vous des questions : Qui parle ? De quoi ?
relaxer en respirant profondément, puis lisez tranquillement
l'énoncé du sujet.
Notez quelques idées en vrac avant de réfléchir à l'organisation
Quel est I'enjeu du texte ? Quel est son plan (les différents mouve-
Lécrit d'invention n'est pas un exercice de pure imagination : vous . Dans tous les cas de flgure, ments du passage) ? Quel registre et quelle tonalité sont employés ? devotre exposé. Préparez-vous alors un brouillon clair, qui vous
devez vous appuyer fortement sur les textes du corpus, en com- veillez à employer un vocabu- En quoi ce passage est-il caractéristique d'un mouvement ou d'un servira d'appui pendant tout le temps de l'épreuve. N'hésitez
prendre les caractéristiques, les lire à la lumière des genres littéraires laire riche et varié, traquez les genre ?, etc. pas à écrire gros, uniquement sur le recto et en numérotant les
et des obiets d'étude au programme. répétitions maladroites et reli- . Attention à ne pas calquer artificiellement une perspective sur un
pages : cela vous évitera de mélanger vos feuilles et de commen-
sez-vous attentivement. texte en récitant un cours.
cer votre exposé par la conclusion...
IIL Conduire l'explication
. La lecture méthodique est structurée en quatre étapes : Vous n'avez pas le temps de tout rédiger, mais prenez soin
La question liminaire
- l'introduction situe le texte dans l'æuvre et dans l'histoire littéraire ; d'écrire entièrement votre introduction : vous vous sentirez
I. Comprendre la question
. La (ou les) question(s) liminaire(s) s'appuie(nt) directement sur Ie - la lecture à haute voix doit montrer que vous comprenez le sens plus à l'aise pour commencer, sans oublier pour autant de lever
corpus de textes, en vous invitant selon le cas : du texte et respectez son ton, sa forme, etc. (en poésie, faites atten- les yeux vers l'examinateur. De plus, celui-ci aura une meilleure
tion en particulier au mètre du vers) ;
- à situer les documents dans leur contexte (mise en relation avec un impression si vous débutez d'un ton assuré, grâce à votre
mouvement littéraire) - l'analyse proprement dite développe votre axe de lecture en vous
; brouillon rédigé, que si vous vous Iancez dans une improvisation
plusieurs documents appuyant sur le texte ;
- à dégager un thème commun à ;
plus hasardeuse...
- à comparer les différents genres et registres ; - la conclusion récapitule les points les plus importants et tente
une ouverture vers d'autres problématiques ou d'autres textes. Pour le corps de votre exposé, utilisez en revanche la technique
- à confronter les textes pour montrer à la fois leurs points com-
. Pour développer votre axe de lecture, vous pouvez suivre lbrdre de prise de notes, en soulignant les idées phares, et en mettant
muns et leurs spécificités.
. Ces textes ont toujours un rapport avec les genres littéraires et du texte ou choisir une approche synthétique qui examine Ie en avant les transitions entre chaque idée ou chaque partie :
les obiets d'étude au programme : vous devez donc mobiliser les texte en son entier sous différents angles à chaque fois (comme
écrivez les mots de liaison, pour que votre interlocuteur puisse
connaissances acquises au cours de l'année. dans un plan thématique de commentaire composé).
facilement suivre le cheminement de votre pensée.
II. Rédiger et organiser la réponse
II. Respecter les contraintes du sujet . Votre réponse doit se présenter sous Ia forme d'un texte construit Inscrivez sur votre brouillon le mot « conclusion » et, Iors de
. Vous pourrez être invité à rédiger un article (éditorial, article polé- l'oral, n'hésitez pas à employer une formule du type « i'en viens
et correctement rédigé : les notes et les abréviations sont à pros-
mique, article critique - éloge ou blâme, etc.), une lettre (réponse à
crire. à Ia conclusion » ou « en conclusion, on peut dire que... ». Vous
une lettre présentée dans le corpus, courrier des lecteurs, lettre ou- . Bien que Ia question posée nécessite de vous appuyer sur Ies textes, signiflerez ainsi clairement à l'examinateur que votre exposé
verte, lettre fictive d'un personnage tiré d'un texte, etc.), un mono-
prenez garde à ne pas transformer votre réponse en un catalogue de touche à sa fin.
logue délibératif, un dialogue théâtral, un essai, un récit didactique
citations qui n'apporte aucun élément d'analyse. Toute citation doit
(fable, apologue, etc.), une réécriture (parodie, pastiche), etc. Ainsi muni d'un brouillon clair et bien organisé, vous aurez
. Votre devoir devra donc respecter un certain nombre de contraintes
en effet venir à l'appui d'une interprétation.
. Enfln, votre réponse doit être organisée : quel que soit le type de moins de mal à prendre de l'assurance lors de l'épreuve. Car si
liées à la forme et au genre littéraire. Avant de rédiger, récapitulez
rapprochement que vous avez à faire, il faut dégager des points com- 3
a iamais vous perdez un peu le fiI, vous savez que vous pourrez
ce que vous en savez : procédés d'écriture utilisés, registre (comique, I
muns ou des différences, en ne perdant pas de vue la spéciflcité de vous raccrocher à lui. Comme une soupape de sécurité, il vous
tragique, polémique, etc.), point de vue du narrateur, mise en forme
chaque document. évitera de paniquer.
(une lettre ou un texte de théâtre, par exemple, ont des caractéris-
tiques très spécifiques), etc.

COACHING tez ce temps à profit pour élabo- en le regardant. Ne lisez pas vos
6. APPORTEZ VOTRE s'agit là d'une véritable épreuve,
MATÉRIEL rer un plan. Ne rédigez surtout notes car cela donne un ton mo- aussi importante que'l'écrit qui
to conseils pourfaire bonne 2. AVANT DE PASSEB, 3. RESTEZ NATUREL 5. MAÎTRISEZ VOTRE STRESS
Rien de plus agaçant pour un pas l'ensemble de votre réponse, nocorde très ennuyeux à écouter. se prépare avec sérieux et moti-
impression à I'oral. RESTEZ CONCENTRE Choisissez une tenue correcte Le trac, tout le monde l'a, même
notez uniquement quelques Au contraire, n'hésitez pas à im-
'n 1. ARRIVEZ
Avant de passer l'épreuve, vous de- mais dans laquelle vous êtes à ceux qui ont l'air très à l'aise. La
examinateur qu'un candidat qui
n'a pas de quoi noter, qui fouille points de repère et les transitions. proviser pour rendre votre dis-
vation.

',r À t'ltnuRr
wez probablement attendre dans
un couloir, ou dans une salle, le plus
l'aise. Ne forcez pas le ton de difficulté, c'est de le surmonter. Il
dans son sac à la recherche d'une En revanche, réfléchissez aux cours plus vivant.
10. APRÈS L,ÉPREUVE, NE
VOYEZ PAS TOUT EN NOIR
votre voix. existe quelques techniques simples
Cela peut pa- gomme ou - pire - de sa liste de mots que vous allez utiliser et aux Si l'examinateur vous a posé des
souvent avec d'autres candidats. pour essayer : respirez à fond, évi- 9. soYEz CoNFIANT... MAIS
llt
raître évident I Durant ces instants, il est important 4. soYEZ POLI ET SOURIANT textes. Et ne pas avoir ses affaires, différentes questions que I'exa- PASARROGANT questions, ce n'est pas forcément
Sauf cas tez de trop bouger, installez-vous
de de rester concentré, de rassembler Ce n'est pas parce que vous êtes c'est aussi source de stress pour le minateur pourrait vous poser. Il ne faut pas arriver non plus parce que votre exposé était in-
force majeure, stressé, fatigué, angoissé ou au cbrrectement sur votre chaise, par- trop sûr de vous le jour de l'oral.
calmement ses idées. Chercher, candidat... ! suffisant... S'il ne souriait pas, ce
si vous arrivez par exemple, des informations au- contraire trop sûr de vous qu'il Iez calmement. Concentrez-vous 8. SOYEZ INTÉRESSANT Lexaminateur est là pour estimer n'est pas parce qu'il ne vous « ai-
en retard, vous près des autres candidats (sur l'exa- faut en oublier la politesse. Rester sur ce que vous avez à faire et sur 7. UTILISEZ PLEINEMENT tE Pensez que l'examinateur a beau- vos connaissances à leur iuste mait » pas, etc. Faites Ia chasse
correct et aimable, toujours poli ce que vous voulez dire, plutôt que TEMPS DE PRÉPARATION coup de candidats à voir dans la valeur, ni pour vous « aider » ni aux idées sombres et
aurez déià fait mauvaise impres- minateur, les questions qu'il pose, prépa-
sion-.- avant même d'avoir ouvert etc.) ne peut que vous stresser da- sans obséquiosité ne peut que sur l'air plus ou moins « symPa- Vous avez en général autour de iournée, essayez donc de susciter pour vous « sacquer ». En d'autres rez-vous plutôt pour l'écrit s'il n'a
la bouche ! vantage et ne vous apportera rien. vous être favorable. thique » de votre examinateur. zo minutes de préparation. Met- son intérêt. Parlez-lui posément termes, prenez conscience qu'il pas encore eu lieu !

94 Le guide pratique Le guide pratique ÿ§


Crédits iconographiques

Couverture
Edward John Poynter, Orphée et Eurydice,1832,
@ collection pr\vée/avec I'aimable autorisation de Julian Hartnoll/Bridgeman lmages

Le personnage de roman, du xvtt" siècle à nos jours


Définition(s) et évolution du genre romanesque du xvtt" siècle à nos jours
p. 6 : M'" de La Fayette DR - p.7 : Montesqieu DR ; Jean-Jacques Rousseau DR
p. 8 : Balzac @ Getty lmages/ Photos.com,/ Thinkstock - p. 9 : Flaubert DR
Le personnage de roman : du héros à I'antihéros
p. 14 : Cosette DR - p. 15 :Jeanne DR - p. 16 : Livres ancien @ Fotolia
Personnage romanesque et vision(s) du monde
p. 20 : Voltaire @ Pierre-Marie Philipp/ Fotolia - p. 21 : Gargouille DR - p. 22-23:Fond papier DR

Le texte théâtral et sa représentation du xvrr" siècle à nos jours


L'évolution des formes théâtrales depuis le xvrl" siècle
p. 28 : Molière @ Georgios Kollidas,/ istockphoto/ Thinkstock ; Jean Racine @ Getty lmages/ Photos.com,/ Thinkstock
Pierre Corneille DR - p. 29 : Les Comédiens italiens DR ; Ubu Roi DR ;
Richelieu @ Getty lmages./ Photos.coml Thinkstock - p. 30 : Caligula @ Plrang,/ Fotolia
Le théâtre et la question de la mise en scène
p. 36 : Masques @ Thinkstock - p.37 : Théâtre @ Getty lmages/ Photos.com,/ Thinkstock
p.38 :Alfred de Musset DR - p.40 : Beaumarchais DR

Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos iours


Place et fonction du poète au fil des époques
p.44: Rimbaud DR - p.45 : Ronsard DR
Versification et formes poétiques
p.51,: L'lnspiration du poète DR - p. 52: Érato @ Gallica
L'écriture poétique : redécouvrir la langue, redécouvrir le monde
p. 58 : Charles Baudelaire DR - p. 59 : Calligramme DR - p. 61 : Calligraphie @ Sqback/ iStockphoto

La question de I'homme dans les genres de I'argumentation, du xvt" siècle à nos jours
Les formes de I'argumentation
p. 64: Allégorie de Ia rhétorique DR ; p. 65 : Discours @ Hemera/ Ïhinkstock
iStockphoto/ Thinkstock
p. 66 : Victor Hugo @
La réflexion sur I'homme à travers les textes argumentatifs
p. 71 : François Rabelais DR - p. 72: Jean de La Bruyère DR

Enseignement de littérature - Première L


Vers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme
p. 78 : Érasme @ Photos.com/ Getty lmages/ Thinkstock - p.80 : Manuscrit de La Boétie @ Gallica
Les réécritures, du xvtt" siècle à nos jours
p. 84 : Livres @ Franck Boston/ Fotolia
p. 87 : Le Chêne et le Roseau @ Thomas Tessier

Le guide pratique
FatCamera/istock ; Peoplelmages./iStock ; Steve Debenport/istock ; f izkes./iStock
p. 91 :
p.92 : Élèves @ iStockphoto - p.94: Livres, Oral et Élèves @ istockphoto - p.95 : Diplôme DR

Edité par Ia Société Editrice du Monde - 8o, boulevard Auguste Blanqui - 75o13 Paris
Tél : +(33)or 57 28 20 oo - Fax : +(33\ ot 57 z8 zt' zr
lnternet I www.lemonde.fr
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Directeur de la rédaction : lérôme Fenoglio
Dépôt légal : décembre zot8 - lmprimé par Aubin lmprimeur - Achevé d'imprimer: décembre zor8
Numéro hors-série réalisé par te Monde '@ Le Monde - rue des écoles zorg

p1 origine du papier : Allemagne (r oz5 km) - Taux de fibres recyclées : o %


\,§q c".iifi.rtion : roo % PEFC - Eutrophisation : o,o27 kg/tonne de papier

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,6)ra-"- i0-3i-tEoli cenffiàpEFc/ceproduitestissudelorèrsgéréesdurâblemenletdesourcescontôlée§./pefcjranceorg
Toujours plus connectés, nous partageons chaque jour un grand nombre de données
qui, mal maîtrisées, mettent en péril nos libertés individuelles. À ta tvtRtE nous prenons
des engagements concrets en faveur de la protection des données personnelles
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Réviser son boc or"" {rfionût Les tests

Le personnage de roman Personnage romanesque


Le personnage de roman,
:
du héros à l'antihéros et vision(s)du monde
du xvu" siècle à nos iours ETIETTIIIEIIIzI E[Eltitlltlf[I
Question 5 Question 8
Définition(s) et évolution Question 3 On nomme « héros » le personnage
Quel romancier, disparu en 2016, est
La Princesse de Clèves, roman publié principal d'un roman, terme qui l'auteur de Vendredi ou les Limbes du
du genre romanesque du sans nom d'auteur en t678, est désigne également un demidieu dans Pacifique, une réécriture du Robinson
xvuu siècle à nos iours considéré comme le chef-d'æuvre lAntiquité (Hercule) ou un homme Crusoé de Daniel Defoe, réinterprété
classique du roman d'analyse. exceptionnel (Ulysse dans L'Ody ssée).
Eltr:r:liErln Quelles sont les caractéristiques du
dans une vision du monde rousseauiste ?

Qui en est l'auteur ?


héros romanesque depuis le xvu" siècle ?
Question 1 tr r.La Rochefoucauld
Cochez les bonnes propositions.
À quelle époque situez-vous chacune E z.Mme de Lafayette
tr r. Il incame des sentiments et un parcours
des formes romanesques ci-dessous tr 3.Mme de Sévigné Quel est le point commun des trois
qui pourraient être ceux des lecteurs.
illustrées par des exemples ? n 4.Segrais personnages que sont Mme Bovary
tr2. Il manifeste des qualités morales
A. Moyen Âge/ B. xvn"/ C. xvuf/ D. xrx"/ E. xx" (Madame Bovary, Flaubert), Carmen
Question 4 exceptiormelles (héroisme, générosité, etc.).
n3. II représente un être humain lCarmen, Mérimée) et Nana (Nana,Zola)?
n r. Roman réaliste :Zola,L'Assommoir Parmi ces æuwes romanesques, lesquelles
face au monde, un être aux réactions r. Ce sont des personnages dits
appartiennent au genre épistolaire ?
n z. Roman courtois : Chrétien lf r. La Nouvelle Héloise
complexes et diverses. « éponymes ».

de Troyes, Ie Ch evalier à Ia charrette z. Leur destinée romanesque s'achève


(Jean-|acques Rousseau) 176r Question 7
Les personnages suivants sont une par un suicide.
D z. Les Liaisons dangereuses
n 3. Roman engagé : Malraux,I?spoir
(Choderlos de Laclos) r78z représentation de l'amoureux contrarié 3. Ce sont des figures de « femme fatale ».

[ 4. Roman pastoral : Honoré d'Urfé, ü 3. Mme Bovary (Flaubert) t857 par des circonstances défavorables
(femme aimée mariée à un autre,
L'Astrée n 4. h Condition humaine (Malraux) 1933 Dans les années cinquante, le « nouveau
différence de rang social, etc.).
fl 5. Roman épistolaire : Montesquieu, Question 5 Associez chacun d'entre eux au roman roman » remet en cause les éléments
Lettres persanes À quel courant ou mouvance littéraire dans lequel il flgure. du roman traditionnel : personnage
chacune des ceuvres romanesques A. Lancelot/ B. M. de Nemours/ C. Frédéric avec sa psychologie, Iinéarité du récit,
Question 2 ci-dessous appartient-elle ? Moreau/ D. Saint-Preux/ E. Julien Sorel distinction entre forme et contenu.
Les auteurs de ce courant laissent au
Quelles sont les affirmations vraies A Classicisme/ B. Lumières/
I
Préromantisme/ D. Romantisme/
r. fe Chevalier à Ia charrette lecteur le soin de « construire » un
concernant l'origine médiévale du genre C.
(roman courtois)
E. Réalisme/F. Nouveau roman personnage et un univers.
romanesque ?

Jz.La Princesse de Clèves Quelles sont les ceuvres qui relèvent de


tr r. Les romans médiévaux étaient des I r. r", Gommes(A. Robbe-Grillet) (roman d'analyse) ce courant ?
récits en vers. r. André Gide, Le Sagouin (t95t)
fJz. Lettres persane (Montesquieu) I3.Ia Nouv elle HéloTse
E z. Iæs romans médiérraux étaient en latin z. Alain Robbe-Grillet, Les Gommes
fJ3. La Nouvelle Héloise (1.-1. Rousseau) (roman épistolaire)
tr3. Les romans médiévaux étaient en (rssr)
Iangue romane. J a. La Comtesse de Tende
J 4. re nouge et le Noir 3. Michel Butor, La Modification (t957)
n4. (Mme de Lafayette) (roman réaliste)
Les rornans médiévaux avaient 4. Nathalie Sarraute, Le Planétarium
pour héros des chevaliers.
J 5. Atala(Chateaubriand)
J 5. L r ducation s e ntime ntale
(rgss)
tr5. Les romans médiévaux évoquaient (un roman d'apprentissage qui se solde 5. Claude Simon,La Route des
des suiets religieux. J 6. Une vie (Maupassant) par un échec) Flandres (196o)
Réviser son boc or"c Itfitnûe Les tests

4. ]ean-Paul Sartre
Le texte théâtral et sa représentatioil, (Les Mouches, Huis clos, Kean). Associez chaque registre à la définition
qui lui correspond.
du )nrf siècXe à nos purs Le théâtre et la question
de la mise en scène
3. L'Île des esclaves, r7z5
L'évolution des formes r. Registre destiné à apitoyer le
4. Le Mariage de Figaro,1778 récepteur en utilisant le lexique de la
théâtrales depuis 5. Le leu de I'amour et du hasard, r73o compassion : termes évoquant Ia misère et
le xvu" siècle 6, Les Fausses Confidences, t737 Quels sont les procédés de l'écriture la douleur, vocabulaire affectif exprimant
Hlrl!J?Er!;r{ théâtrale définis dans les afflrmations tristesse, lamentation, supplications.
suivantes ?

La première moitié du xx'siècle voit 2. Registre consistant à traiter


Qr-restion 11 r. Dialogue fondé au départ sur une
un retour du tragique : les dramaturges un suiet héroique ou sérieux en
Quel siècle a été marqué par un grand méprise, source d'effets comiques :
des termes vulgaires ou populaires.
renouveau du genre théâtral, avec reprennent des mythes antiques, un personnage ou un obiet est pris C'est un comique outré, dans lequel
notamment les tragédies les plus comme ceux d'Gdipe, dAntigone ou pour un autre, une phrase est mal les situations sont caricaturées, les
célèbres de Corneille et de Racine ? d'Électre, tout en les modernisant. interprétée, etc. individus travestis (dieux humanisés,
- t. xvr" siècle Indiquez quel est l'auteur de chacune
hommes animalisés).
de ces tragédies.
l- z. xvu" siècle
2.Situation dans laquelle 1e personnage 3. Registre utilisé dans la célébration
.. 3. xvrrr" siècle
-- prononce des paroles que les autres des prouesses et des exploits de héros.
4. xrx" siècle sont censés ne pas entendre et qui sont Le vocabulaire est souvent emprunté au
t. La guerre de Troie n'aura pas donc destinées au seul spectateur. Iexique guerrier et aux qualités morales
lieu, t935, portant sur l'impossibilité (courage, sacriflce, stoi'cisme, héroisme).
Quelles caractéristiques s'appliquent à
la tragédie du xvrr" siècle ? d'échapper à la guerre.

r. personnages principalement Machine infernale, créée en


z. La À la fois dramaturge et metteur
bourgeois r934, variation poétique inspirée de Le dialogue théâtral est constitué de en scène, il élabore Ie texte de ses
2. personnages nobles l'Gdipe roi de Sophocle. l'ensemble des répliques prononcées pièces à partir d'une interaction avec
par les comédiens. Trouvez chaque type les comédiens au cours de séances.
suiet relevant de la sphère publique
3.
Antigone, 1944, inspirée de
3. de réplique en fonction de la définition. d'improvisations. (Ça ira (t) Fin de
(pouvoir, politique)
Sophocle, elle devient l'allégorie de la Iouis, pièce sur Ia Révolution créée en
4. sujet relevant de Ia sphère privée r. Longue réplique, souvent
Résistance. zot5). Qui est cet homme de théâtre
(mariage, argent, etc.) argumentative et/ou appartenant à un
contemporain ?
4. Caligula, 1945, sur la fin du règne
registre lyrique, tragique, épique.
5. forme assez libre ; vers ou prose
r. fean-Louis Barrault
6. forme stricte : cinq actes, texte en vers et la mort de Caligula, empereur romain
z. Joël Pommerat
du I"'siècle.
7. unité de lieu, de temps, d'action z. Réplique évoquant des faits qui ne 3. Roger Planchon
sont pas représentés sur scène (soit
Marivaux et Beaumarchais sont Quels auteurs se sont illustrés dans le parce que la bienséance s'y oppose, soit
les deux grands dramaturges du siècle théâtre de l'absurde au xx" siècle ? parce qu'ils se déroulent dans un autre
des Lumières. Dans la liste suivante, r. Samuel Beckett Iieu ou à une autre époque).
qui comprend des pièces de ces deux (En attendant Godot)
auteurs, qu-elles sont celles écrites par z. Albert Camus
Marivaux 3. Faux dialogue. Le personnage se parle
? (Caligula, Le Malentendu, Les lustes)
à lui-même, seul sur scène ou en aparté.
t. La Double lnconstance,1723 3. Eugène Ionesco
z. Le Barbier de Séville, 1775 (La Cantatrice chauve, Rhinocéros\
Les tests
Réviser son boc ovec ftJfionûe
Question 25 I r. xvr'siècle : Ronsard, Du Bellay
Écriture poétique et quête du sens, La répétition d'un même son dans
un ou plusieurs vers contribue à la
n
[
2. xur" siècle : La Fontaine, Boileau
3. xvrru siècle : Voltaire, Rousseau
du Moyen Âg" à nos iours musicalité d'un poème. Comment
désigne-t-on la répétition du même
[
[
4. xrx" siècle : Baudelaire, Rimbaud
5.xx" siècle : Aragon, Prévert
son dans les mots en gras de l'extrait
Place et fonction du poète C) 4.Htgo, La Légende des siècles suivant ? Question 27
tr 5. Lamartine, Méditations poétiques « Un frais parfum sortait des touffes À quel mouvement artistique des
au fil des époques d'asphodèles années vingt, théorisé par André Breton,
E]I?t+:lflllirE Question 23
Les souffles de la nuit flottaient les poètes Louis Aragon, Paul Éluard et
Quand un poète exprime les
sur Galgala. » (Victor Hugo, « Booz Robert Desnos ont-ils participé ?
Question 2O mouvements les plus intimes de sa
endormi », La Légende des siècles, t859)
Le terme « poète formé à partir
» a été sensibilité, il cherche par son lyrisme tr r. le symbolisme
de Ia racine grecque poiein. Quel est le à faire partager les sentiments et tr z. l'impressionnisme
sens de cette racine ? émotions qui l'étreignent. Associez n 3. Ie surréalisme
chaque auteur à son recueil lyrique.
[] r. rêver L'écriture poétique : Question 28
A lamartine/ B. Ronsard/ C. Aragon/ D. Hugo
E z. combattre redécouvrir la langue, Quel poète, disparu en 2016, exprime
D 3. créer fl r. Sonnets p our Hélène,t578
redécouvrir le monde ainsi sa conception de la poésie :
« Ce que cherche la poésie, c'est à
Question 21 A z. Utéditations poétiques,rSzo Er?r*ïmrTEEI déconstruire les idéologies. » ?
Dans la mythologie grecque, le poète est
incamé par une figure mythique. Lorsque J 3. ks Contemplatiors, tB 56 Question 26 tr r. |acques Prévert
son épouse Eurydice, voulant échapper Quel siècle a été marqué par n 2. Yves Bonnefoy
J4.rc rou d'Elsa,1963 l'apparition d'une poésie en prose, c'est- tr 3. Michel Tournier
aux avances d'un dieu, est mordue par
un serpent et meurt, ce héros se rend à à-dire une poésie non versifiée, illustrée
l'entrée des Enfers et, grâce à son chant et
Versification et formes par les deux auteurs cités ?
à sa musique, réussit à attendrir Charon, poétiques
le passeur. Hadès lui permet de ramener E:I?ttilHlEg
son épouse à la vie. Quel est Ie nom de ce
héros mythologique ? Question 24
La question de l'homme dans
n r. Gdipe
tr z. Orphée
Dans la poésie versiflée, chaque vers
porte un nom précis selon son nombre les genres de l'argumentation,
de syllabes. Associez chaque nom de
tr 3. Sisyphe vers à ces exemples. du xvru siècle à nos iours
Question 22 A. octosyllabe/ B. heptasyllabe/ C. hexasyllabe
Certains poètes consacrent des
Les formes de ! 2. C'est un texte qui explique une
æuvres aux grands événements qui I r. « Autrefois le rat de ville/ Invita le théorie philosophique.
marquent l'Histoire. Ils les magniflent rat des champs/ D'une façon fort civile/ l'argumentation tr 3. C'est un texte qui vise à séduire
grâce à I'ornement poétique et les À des reliefs d'ortolan. » (La Fontaine) EtT*ill+ilâ Ie lecteur pour influencer son
transmettent : la poésie relève alors du comportement.
registre épique. Quels sont Ies recueils
f] ,. u et rose elle a vécu/ Ce que Question 29
vivent les roses/ Lespace d'un matin. »
qui appartiennent au registre épique ? Quelle est la proposition qui convient Question 30
(Malherbe)
pour définir un texte argumentatif ? Fable et conte appartiennent à une
n r. Homère, I'Odyssée
n E r. C'est un texte dont le but est de même forme argumentative consistant
ü z. Ronsard, Ia Franciade 3. o si vous n'avez rien à me dire, /
Pourquoi venir auprès de moi ? » (Hugo) faire partager une thèse au lecteur. à donner un enseignement à partir
[l 3. La Fontaine,Fables
Réviser son boc or"" ftfionûe Les tests
d'un récit. Comment désigne-t-on cette Question 34 Question 37 E z. u L absurde, c'est la raison lucide
forme ?
Labbaye de Thélème dans Gargantua La réflexion sur Ia condition humaine qui constate ses limites. C'est au bout du
de Rabelais et le pays d'Eldorado ne peut échapper à la dimension absurde chemin difflcile que l'homme absurde
dans Candide de Voltaire évoquent qu'elle comporte. En vous aidant du titre reconnaît ses vraies raisons. »
Question 31 des communautés d'individus vivant de l'æuvre dont elle est tirée, rendez à (Le Mythe de Sisyphe)
Dans quel genre argumentatif heureux et en harmonie. Quel nom chaque citation son auteur.
chacun des auteurs suivants s'est-il
(également titre de son ouvrage
A. Albert Camus/ B. fean-|acques
[ 3. « Certes l'absurde n'est ni dans
particulièrement illustré paru en t5t6), forgé par l'écrivain l'homme ni dans le monde, si on les
?
anglais Thomas More, désigne la Rousseau/ C. lean-Paul Sartre
A. Diderot/ B. La Fontaine/ C. Voltaire I prend à part ; mais comme c'est Ie
représentation littéraire d'une réalité n r. u quand un homme ne peut croire caractère essentiel de I'homme que
n r. t'apologue idéale et sans défaut ? I ce qu'il trouve absurde, ce n'est pas sa d"'être-dans-le monde", I'absurde, pour
n z. te conte philosophique faute, c'est celle de sa raison. » flnir, ne fait qu'un avec la condition
(Lettre à d'Alembert) humaine. » (Situations, I)
n 3. te dialogue philosophique Question 35
[a réflefon surl'homme a souvent eu
Question 32 recours à Iacomparaison avec l'animal. En
« Texte dans lequel est exposé un
programme politique ou une ambition
vous aidant dutitre de l'æuwe dont elle est
tirée, rendez à chaque citation son auteur.
I
Enseignement de littérature
artistique. » Quelle est la forme
argumentative ainsi déflnie ?
A. Boileau/ B. Montaigne/

n r. o Il n'y a point de bête au


C. Pascal
- première L
tr r. l'éloge
monde tant à craindre à l'homme que D r. C'est une nouvelle approche de la
E z. le manifeste Vers un espace culturel
l'homme. » (Essais) Bible qui est à lbrigine du culte protestant.
D3. I'apologue européen : Renaissance et fI2. C'est une nouvelle conception de
E z. o Lhomme n'est ni ange ni bête,
tr 4. la satire
et le malheur veut que qui veut faire
humanisme la Iittérature qui reiette les normes de la
l'ange fait la bête. » (Pensées) rf!;;IiErlrr| culture gréco-romaine.
tr3. C'est un mouvement politique qui
La réflexion sur l'homme
f1 3. n oe Paris au Pérou, du |apon Question 38 remet en cause Ia monarchie.
à travers les textes jusqu'à Rome, Le plus sot animal, à mon Associez chaque personnage historique
Question 4O
argumentatifs avis, c'est I'homme. »(Satire VII\ au rôle qu'il a tenu.
Quels textes ont fortement contribué
A. Henri IV/ B. Marguerite de Navarre/
FTIilTilEIEil Question 35 C. François I" à afflrmer la langue française face au
De quel écrivain du xx" siècle, auteur latin ? Cochez les réponses exactes.
Question 33 de romans évoquant son métier de I n r. Introduction en France des flr. l'édit de Nantes
Quel auteur du xvf siècle déclare, dans pilote d'avion et d'un conte intitulé éléments de la Renaissance artistique E z. l'ordonnance de Villers-Cotterêts
un ouvrage intitulé Essars :« ]e ne peins ,l italienne. 43. DéJense et illustration de Ia langue
Le Petit Prince, est cette courte parabole
pas l'homme, je peins le passage » ? (Cela
sur la condition humaine ? n z. Paciflcation du royaume de France française de Du Bellay
signifie que, selon lui, l'homme n'est pas « Force-les de bâtir une tour et tu les
une unité donnée une fois pour toutes, après les guerres de religion entre Question 41
changeras en frères. Mais si tu veux catholiques et protestants.
mais un être en changement permanent.) qu'ilsse haissent, jette{eur du grain. » Quel Discours, publié en 1574 par
Étienne de La Boétie, propose une thèse
Er. Ronsard (Citadelle) n 3. Protection des écrivains.
politique très novatrice ?
Dz. Montaigne Er. Malraux Question 39 tr r. le Discours de la méthode
tr3. La Boétie Ez. Mermoz En quoi consiste Ie mouvement de la tr z. le Discours de la servitude
tr4. Rabelais tr3. Saint-Exupéry Réforme ? Cochez la réponse exacte. volontaire
Réviser son boc ou"" frfiontr Les corrigés

E 3. le Dr'scours surl'origine et les n 3. Mention imprimée en tête d'un Le personnage de


et Merteuil, deux libertins qui poursuivent
plaisir et vengeance en pervertissant
fondements de I'inégalité parmi les hommes ouvrage pour rendre hommage à une des
femmes vertueuses.
Question 42
personne. roman, du xvrr" siècle 1'eunes

Répondez aux questions suivantes. Question 5:LF ;28; 3C ; 4A ; 5D ; 6E.


Question 45 à nos iours Le roman Ia Nouvelle Héloïse, de Rousseau,
r. Quel nom les sept poètes groupés publié en U61, contient déià les grands
autour de Ronsard et Du Bellay se sont- Quelle est la définition des « textes »
QuestionI : lD ; 2A ; 3E ; 4B ; 5C. thèmes du romantisme (sentiment de la
ils donné ?
suivants ? Composé vers ttSo, Le Chevalier à la nature, passion malheureuse, méditation
A. hypertexte/ B. intertexte/ C. paratexte charrette évoque les exploits de Lancelot et mystique dans la solitude) qui seront re-
son idylle avec Ia reine Guenièvre. pris par Chateaubriand dans Atala puis
n r. Ensemblé des textes en relation Les cinq volumes de L'Astrée, publiés René, publiés au début du xrx" siècle. Le ro-
z. Quelle forme poétique, inspirée du avec un texte donné par citation, entre 16o7 et 1625, content les amours du man de Robbe-Grillet, publié en 1953, est
poète toscan Pétrarque, ont-ils mise à allusion, référence. berger Céladon et de la belle Astrée. une parodie de roman policier qui subver-
l'honneur ? Publié en r7zr, le roman épistolaire de tit tous les codes du roman traditionnel,
n z. Ensemble de textes mis en Montesquieu marque le début du mouve- notamment l'illusion du personnage et la
relation par des liens, sur un support ment des Lumières- chronologie de l'action.
électronique. L'Assommoir de Zola, publié en t877, ap-
Question 43
partient au cycle de vingt romans réalistes Question6:1;3.
Associez chaque auteur au genre n 3. fnsemble des discours de intitulé Les Rougon-Macquarr, æuvre ma- Selon le genre du roman ou le mouvement
littéraire dans lequel il s'est illustré. commentaires ou de présentation qui Iittéraire auquel il appartient, le person-
ieure du courant naturaliste.
A. la poésie lyrique/ B. la poésie épique/ accompagnent une æuvre. Publié en 1937, L'Espoir évoqrte les combats nage sera différent et s'adressera ainsi à
C. l'essai/ D. Ie roman parodique de la guerre civile espagnole, en 1936, à la- des « parts » diverses chez son lecteur : dé-
Question 45 quelle Malraux participa dans le camp ré- sirs d'exploration dans les romans d'aven-
E r. Rabelais (v. 1494-1553) Quel procédé n'est pas une véritable
publicain. tures et d'action, affres de la passion dans
réécriture ? le roman d'analyse, volonté d'ascension
E z. Ronsard (1524-1585) tr r. pastiche Question 2: l:3 ; 4. sociale dans le roman réaliste...
Le terme « roman » a été utilisé pour la pre-
n 3. uo.,t"igne (1533-1592) tr z. parodie
mière fois au Moyen Âge pour désigner un Question 7 :1A:28 ; 3D ; 4E ; 5C.
tr3. plagiat Lamour contrarié, un des thèmes maieurs
récit littéraire, généralement écrit en vers,
n 4. ag.lpp" dAubigné (155o-163o)
rédigé en « roman », c'est-à-dire en langue
de la littérature, se retrouve dans tous les
Question 47 genres romanesques et toutes les époques.
« vulgaire », par opposition au latin. Les
De quel fabuliste La Fontaine s'est-il Il est aussi un thème privilégié au théâtre
æuvres de Chrétien de Troyes, au xu'siècle
Les réécritures, du inspiré pour composer ses Fables ?
(Lancelot ou Le Chevalier à la charrette,
et dans la poésie.

xvu" siècle à nos iours E r. Homère Perceval ou Ie Conte du Graal) sont des Question B : Michel Tournier.
rllnFiIEtITITI tr z Ésope exemples de ce nouveau genre littéraire). D'autres flgures célèbres, légendaires ou
tr 3. Sophocle historiques deviennent les personnages de
Question 3 : 2. Mme de Lafayette. ses romans : lbgre dans Le Roi des aulnes,
Question 44 Le nom de l'auteur dela Princesse de Clèves les Rois mages dans Gaspard, Melchior et
Associez à chaque mot la définition qui a été longtemps discuté. La Rochefoucauld Balthazar, Castor et Pollux, symboles de la
lui correspond. et Segrais étaient des hommes de gémellité, dans Les Météores.
A. dédicace/ B. allusion/ C. citation lettres proches de Mme de Lafayette.
Mme de Sévigné, réputée pour sa corres- Question 9 : 1..

E r. rigure par laquelle certains mots pondance avec sa fllle, était une amie. Un personnage éponyme donne son nom
au titre du roman. C'est bien le cas de ces
ou tournures éveillent dans I'esprit
Question 4:l;2. trois personnages.
l'idée d'une personne ou d'un fait dont Le roman épistolaire est constitué de Mme Bovary se sücide en ingérant de l'arse-
on ne parle pas expressément. lettres échangées par les personnages. nic. Carmen meurt poignardée par son amânt
Dans le roman de Rousseau, ce sont deux
n ,. r"rr"g. emprunté à un auteur, amants, Julie d'Étange, une ieune fllle de Ia
ialoux (le narrateur de llhistoire dont Mérimée
recueille les confldences en prison). Quant à
que lbn reproduit textuellement, pour noblesse, et Saint-Preux, son précepteur. Nana elle meurtde maladie (syphilis).
illustrer, éclairer ou appuyer un propos. Dans le roman de Laclos, ce sont Valmont Carmen et Nana correspondent au sté-
10 11
Réviser son boc or"" fe]llonde Les corrigés

réotype de la « femme fatale » : elles mis(e) en prenant le costume de son valet Question 18 : 18 ; 2A ; 3t. ainsi la dimension humaine du poète. Le
provoquent autour d'elles des passions (ou de sa suivante). Pathos, en grec, désigne tout ce qui peut mythe d'Orphée sera repris au xx" siècle
destructrices. Beaumarchais (tl1z-rlgg\ donne au per- nous toucher ou nous émouvoir. On exclut par différents auteurs : Marguerite Your-
sonnage du valet une importance cru- du pathétique tout ce qui est mêlé au rire : cenar dans La Nouvelle Eurydice, lean
ciale. Porteur de revendications de iustice gaieté, moquerie, hilarité impliquent en ef- Anouilh d.ans Eurydice, fean Cocteau dans
Les romanciers du nouveau roman ne se
reconnaissent pas dans une « école » litté- et d'égalité sociale, il est un acteur clé du fet un détachement qui est précisément le Orphée et, au cinéma, Marcel Camus dans
théâtre prérévolutionnaire. contraire du sentiment pathétique, où l'on Orfeu Negro.
raire au sens traditionnel, comme les « na-
se met à la place du personnage.
turalistes » du xlx'par exemple. Cependant,
Ubu (dans Ubu roi, de larry) est Ia représen- Question 22 : l;2 : 4.
l'essai intitulé Po ur un nouveau roman (en- En reprenant ies mythes antiques, ces au- Les Fables de La Fontaine appartiennent au
semble d'études littéraires écrites depuis tation burlesque d'un despote qui opprime
teurs montrent la permanence des interro- le peuple. Le burlesque peut être rapproché registre didactique (enseignement d'une
1956) de Robbe-Grillet peut être considéré
gations humaines et le sens nouveau que lbn de la parodie, du pastiche ou de la carica- morale par le récit).
comme le manifeste du nouveau roman,
peut donner à ces mythes dans le contexte ture en ce qu'il relève d'une imitation. Les Méditations poétiques de Lamartine
notamment le chapitre : « Sur quelques no-
agité de la première moitié du xx" siècle. Le registre épique, au théâtre, apparaît sou- sont un recueil lyrique.
tions périmées : le personnage, l'histoire,
l'engagement, la forme et le contenu ». vent dans les récits tel celui de la victoire
du Cid.
Question 23 : L8 ;24;3D ; 4C"
Le Sagouin de Gide est un roman d'appren- Dans Ia poésie lyrique, le poète se fait
Cesauteurs mettent en question dans leurs
tissage dans la veine naturaliste. proche de chacun : son lyrisme renvoie le
æuvres Ie personnage théâtral, le genre des Question 19 :2.
pièces, et le langage même. Des cris, des ré- Les pièces de foël Pommerat sont écrites à lecteur à ses propres expériences et sen-
pliques apparemment dénuées de sens se partir de séances d'improvisations. Celles-ci sations. Les romantiques (Lamartine et
succèdent pour donner une image à la fois sont préparées au moyen des pochettes Hugo) ont particulièrement revendiqué
rte théâtral et drôle et effrayante de l'humanité. de documents constituées en fonction du cette facette de la poésie.
Pour Albert Camus, I'absurde est un thème découpage de Ia pièce.
u fondamental, mais son théâtre (Caligula, |ean-Louis Barrault (rgro-r994) était comé-
Questron i!4 : LB ; ÊC ; 34.
Le Malentendu, Les Les vers pairs comptent un nombre pair de
Justes) reste clas- dien, metteuren scène et directeur de théâtre.
sique dans sa forme, comme celui syllabes. Ex. : hexasyllabe (6), octosyllabe
de Roger Planchon (r93r-zoo9) est une flgure
(8), décasyllabe (ro), alexandrin (rz).
fean-Paul Sartre. ma1'eure du Théâtre national populaire. Il a
mis en scène et ioué des auteurs classiques
Les vers impairs comptent un nombre
marqué par le
Le xvrr" est le siècle classique,
(Shakespeare, Molière) et contemporains impair de syllabes. Ex. : pentasyllabe (S),
règne de Louis XIV
Le quiproquo comporte généralement (Adamov, Vinaver). heptasyllabe (7), ennéasyllabe (9).
Au théâtre, à côté des tragédies de Corneille
trois étapes : la méprise parfaite, l'appari-
et Racine, on retient aussi les grandes réus-
tion progressive du doute, la révélation de Question 25 : une allitération.
sites de Molière dans le genre de la comédie. La répétition d'un même son isÈu de
la méprise.
Le nom « aparté » vient de l'italien a parte consonnes se nomme « allitération ». Le
La tragédie est, au xvrf siècle, le genre noble (« à part, à l'écart »). Ce procédé, qui ma- Écriture poétique son est ici produit par f (frais, parlum,
par excellence. Molière défend avec beau- nifeste clairement la double énonciation flottaient), ff (touffes, soufrles) ou ph
coup d'ardeur un autre genre théâtral : du texte théâtral, permet d'exprimer une et quête du sens, (asphodèles).
la comédie. Il en exploite toutes les res- réaction intime du personnage et crée un La répétitiond'un même son fourni par
sources : de la farce à la grande comédie, lien de connivence avec le public.
du Moyen Âge à des voyelles se nomme « assonance )).
c'est-à-dire des comédies en vers offrant nos iours Cet exemple: « Lélixir de ta bouche
des personnages nuancés, autour de sul'ets
2- r&il où l'amour se pavane » (Baudelaire)
importants (Tartuffe, Le Misanthrope\. Question 20 :3. comporte une assonance en ou et une
La tirade se déflnit par sa longueur, le récit, Un poète est avant tout un créateur, celui qui assonance en d.
par son contenu, le monologue, par sa si- « fait æuwe » ; mais la matière qu'il travaille
Marivaux (t688-t763) crée des personnages tuation d'énonciation. Le récit de la victoire est spécifique puisqu'il s'agit des mots. Question 26:,4.
qui ne sont plus des types comiques ou des sur les Maures dans Ie Cid de Corneille Après Aloysius Bertrand lGaspard de la
héros tragiques, mais des individus aux (acte IV scène 3) est à la fois une tirade, un Question 21 : 2. nuit), Charles Baudelaire a illustré la poésie
prises avec un questionnement sur leur monologue et un récit (« Nous partîmes Orphée ne parvient pas à respecter Ia condi- en prose avec ses Petits Poèmes en prose.
identité. Ainsi, dans plusieurs comédies cinq cents ; mais par un prompt renfort, / tion imposée par Hadès - ne pas regarder Arthur Rimbaud est l'auteur de deux re-
(comme La Double lnconstance), les per- Nous nous vîmes trois mille en arrivant au Eurydice avant d'avoir revu la lumière du cueils de poèmes en prose : Une saison en
sonnages cachent leur identité à leur pro- port... »). iour - et la perd définitivement. Il incarne enfer et Les llluminations.

12 t5
Réviser son boc or"" fe fiondt Les corrigés

Question 2.i : 3" droit des Européens à coloniser les peuples Question 42 : 1. la Pléiade
Le terme « surréalisme », inventé dès du Pacifique. Enseignement 2. le sonnet.
;

t9t7 par Guillaume Apollinaire, est repris Les Fables de La Fontaine sont des apolo- À lbrigine, la Pléiade rassemble Ronsard,
par André Breton dans son Manifeste du gues en vers. de littérature Du Bellay, Étienne Jodelle, Pontus de Tyard,
surréalisme, paru en t924.Il y donne l'es- Voltaire est l'auteur de contes philoso- ]acques Peletier du Mans, fean de La Péruse
prit et la méthode du mouvement : révolte phiques, tel Candide oul'Optimisme, qui ré-
fute la thèse de Leibniz selon laquelle Dieu
- première L et Jean-Antoine de Baif.
Le sonnet, introduit en France au début du
contre les conventions morales et esthé-
tiques, libération de I'esprit par l'écriture a créé le meilleur des mondes possible. Question 38:lC ; 2A; 38. xvf siècle, est alors une nouvelle forme poé-
automatique et l'exploration du rêve. François I"' a été le mécène d'artistes tique, brillamment illustrée par Du Bellay
Question 32 : 2. italiens, notamment Léonard de Vinci, avec son premier recueil, I Olive (tS+ù.
Manifeste du surréalisme,d'André Breton,
Qluestior: 28 : 2. Le qu'il a accueilli au Clos Lucé, près de son
Yves Bonnefoy (tgz3-zot6l est une flgure publié en 1924, lance le mouvement surréa-
château dAmboise, pour les dernières Question 43 : lD ;2A;3C;48.
maieure de la poésie des xx" et xxf siècles. liste, dans lequel s'illustreront des poètes Gargantua et Pantagruel de Rabelais sont
années de sa vie.
tels Aragon, Soupault, Éluard, Desnos. des romans parodiques.
Éveillé à la poésie par la découverte des Henri IV a mis fln aux guerres entre catho-
Le recueil Amours de Ronsard relève de la
textes surréalistes, il publie son premier Question 33 : 2. liques et protestants en promulguant l'édit poésie lyrique.
poème, Le Cæur-espace, en 1.946. Paru en Dans les Essais (r58o-r588), Montaigne de Nantes en 1598. Les Essais de Montaigne abordent Ia ré-
iuin 2016, quelques iours avant son dé- tente de se dépeindre pour se comprendre. Sceur de François I"', Marguerite de Navarre, flexion sur soi.
cès, son dernier livre, L'Écharpe rouge, est Lautoportrait prend une valeur argumen- auteur de L'Heptaméron. vit entourée de Le recueil de poésie épique les Tragiques
un essai autobiographique dans lequel le tative lorsqu'il se tourne vers une réflexion poètes et de savants, auxquels elle apporte dAgrippa dAubigné, publié en r6r6, évoque
poète.revient sur un texte resté inédit. théorique à partir de l'observation de
un soutien sans faille. les misères de la guerre civile pour dénon-
Disparu également en 2076, Michel soi-même.
cer la folie persécutrice des catholiques.
Tournier est un romancier.
Question 34: I'utopie. Question 39: l.
Le néologisme de Thomas More signifie lit- Luther (r483-r546), théologien augustinien, Question 44:.LB;2C;34.
excommunié en 1521, est le principal arti- La citation est fréquente dans Ies ouvrages
téralement « qui ne se trouve nulle part ».
de réflexion : les Essais de Montaigne, les
Le titre de son livre en latin est Utopia. san de la Réforme protestante avec, notam-
Pensées de Pascal contiennent des cen-
La question de Question 35 : lB :2C ;3A.
ment, l'édition d'une traduction de la Bible taines de citations latines.
en allemand.
l'homme dans Sur le même thème, fules Renard dit
avec humour dans son lournal (t894)
Question 45 : 18 ; 2A; 3C.
:
Question 40 : 2 et 3. La sensibilité à I'intertexte, notamment
les genres de « Lhomme est un animal qui lève la tête Lordonnance de Villers-Cotterêts, promul- dans le procédé de l'allusion, dépend de la
au ciel et ne voit pas les araignées au guée en 1539, prescrit le français pour la ré- culture du lecteur.
l'argumentation, plafond. »
daction des actes;'udiciaires et Ies registres Le paratexte facilite la compréhension en
d'état civil. Défense et illustration de la donnant des indications sur le contexte de
Question 36 : 3.
du xvr" siècle à Les trois auteurs cités étaient bien avia- langue française, manifeste du groupe de composition.
teurs. Mermoz a écrit un livre de souve- poètes de la Pléiade, se prononce contre
nos iours nirs, Mes vols (t9371. Malraux a combattu l'usage du grec et du latin dans la création
Question 46:.3.
Le pastiche et la parodie sont des réécri-
dans l'aviation républicaine au cours de poétique et prône un enrichissement lexi- tures ludiques, de l'ordre de l'imitation. Le
Question 29 :1. la guerre civile espagnole (tg:6), thème de
La thèse est soutenue par des arguments et cal du français. plagiat est un emprunt pur et simple qui
son roman I Espoir (ty7). constitue un délit.
généralement par des exemples.
Question 41 : 2.
Question 37 :18 ; 2A; 3C. Question 47 : 2.
Question 30 : un apologue. Le thème de l'absurde a également été dé-
Le Discours de la servitude volontaire, prt-
Le nom « apologue » vient du latin apo- blié en t574, soutient une thèse originale La Fontaine a également puisé les sujets de
veloppé au théâtre, au xx" siècle, par des ses fables auprès d'autres fabulistes, parmi
logus (« récit »). Il ne faut pas le confondre selon laquelle le peuple qui se donne un
avec « apologie », qui consiste en la défense
dramaturges tels que Beckett, Ionesco lesquels Phèdre, Abstémius, Pilpay.
ou Duras. roi ou un tyran assure volontairement son
publique de quelqu'un ou de quelque Homère (poète épique, auteur de I?liade et
esclavage.
chose (par exemple, faire l'apologie d'un d,e L'Odyssée) et Sophocle (dramaturge, au-
Le Discours de la méthode (t637) est un trai- tevr d'Antigone, d'Gdipe roi et d'Electre) ne
souverain ou d'un régime politique).
té philosophique de Descartes. sont pâs des fabulistes.
Question 31 : 18 ; 2C ; 34. Le Discours sur l'origine et les fondements
Le Supplément au voyage de Bougainville de I'inégalité parmi les hommes (IZSS) a
de Diderot est un dialogue qui réfute le pour auteur f ean-f acques Rousseau.

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