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Théâtre et représentation:
Le Mariage de Figaro de Beaumarchais (1784)

LA 14: le complot des femmes acte IV, 3

INTRODUCTION
Ce texte est la scène 3 de l’acte IV du MF de Beaumarchais, jouée pour la 1ère fois en 1784.

Figaro, valet du Comte Almaviva, veut épouser Suzanne, la suivante de sa femme La Comtesse.
Cependant leur union est compromise par le libertinage (voir note) du Comte, qui souhaite
exercer sur Suzanne « le doit du seigneur » qui veut que le maître passe un moment seul avec la
mariée avant la nuit de noces. Depuis l’acte I, Figaro cherche à contrecarrer les projets du Comte
par divers stratagèmes, mais en vain.

Dans cette scène, c’est la Comtesse qui va, avec l’aide de Suzanne élaborer une stratégie pour
s’opposer au Comte.

Comment la Comtesse, personnage présenté jusqu’à présent essentiellement comme la victime


des infidélités de son mari, va-t-elle s’y prendre pour prendre la main sur l’intrigue ?

Plan :
I) ligne 1 à 10 : scène de reproche de la Comtesse à Suzanne
II) ligne 11 à 16 : une réconciliation
II) ligne 16 à 26 : élaboration du stratagème par la comtesse avec la complicité de S

I) ligne 1 à 10 : scène de reproche de la Comtesse à S

1) ligne 1 à 6 : la révélation de S
1ère réplique de la comtesse lance le démarrage du stratagème : changement de vêtement pour se
rendre au RV, cela s’est décidé en secret entre la comtesse et S auparavant acte II, scène 24.
Complicité entre les 2 femmes question et tutoiement.
Le refus de Suzanne (forme négative X2 ) va détruire cette harmonie. En effet IV, 1, Figaro lui a
fait promettre de ne pas se rendre au rendez-vous. Suzanne se retrouve entre deux obligations :
celle d’obéir à F/à sa maîtresse.
Harmonie rompue se traduit par changement de pronom : « tu » devient « vous », question.
Suzanne se défausse sur Figaro, argument d’autorité. Elle est donc convaincue qu’une épouse
doit obéir à son mari.
Mais la comtesse dans une phrase très courte reproche à S de la trahir : « Vous me trompez, »
formule lourde de menace pour S : la perte de la confiance de sa maîtresse peut avoir de graves
cqs pour elle. D’où son exclamation affolée ligne 7

2) ligne 7 à 10 : La Comtesse attaque S


On découvre un nouvel aspect du personnage de la Csse. Jusqu’ici bienveillante et généreuse, elle
se montre agressive et menaçante. C’est une femme aristocrate qui entend qu’on lui obéisse La
comtesse attaque ainsi F, en le réduisant à son goû t pour l’argent= insulte caractérisée. Le
rabaisse à un valet de comédie traditionnel. Plus menace implicite : je ne donnerai pas la dot
promise si vous ne m’aidez pas.
Suzanne est déstabilisée : exclamation et question sur ce que pense la Csse.
Accusation de la Csse se fait alors plus précise sur Suzanne, elle se serait mise d’accord avec le
Comte et regretterait d’avoir informé sa maîtresse des manœuvres de son mari. Trahison en tant
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que maîtresse mais aussi en tant que femme. Formules finales « Je vous sais par cœur » « laissez-
moi » + didascalie : « elle veut sortir » place les deux femmes en situation de rupture.

Conclusion du I : Les deux femmes jusqu’ici unies dans un rapport de complicité et d’affection
sont au bord de la rupture.

II)ligne 11 à 16 : réconciliation

1) Soumission de S ligne 11 à 12
Face à ce risque, Suzanne ne peut que céder à sa maîtresse : didascalie : « elle se jette à genoux »
signe de soumission, exclamations qui montrent son désespoir. Appel au ciel. Evoque sa
souffrance « le mal » et précise ensuite tout ce qu’elle perd avec la confiance de sa maîtresse :
pluriel + adj continuelles « bontés », perte affective mais aussi matérielle « dot ». Importance de
l’argent : cet argent c’est le moyen de se marier, sans argent, aucune autonomie, c’est pour cela
que la question de la dot dans la pièce revêt une telle importance.

2) Retournement de l’attitude de la Csse : lignes 13 à 15


Cette soumission de S provoque un changement radical dans l’attitude de la comtesse :
didascalie « la relève », retour du tutoiement , apostrophe affective « mon cœur », revient sur sa
condamnation « je ne sais ce que je dis » et lui propose une façon de résoudre son dilemme.
Comme c’est la comtesse qui ira au RV, S lui obéira et obéira à son mari en même temps. // « tu
tiens/ tu m’aides » en parataxe. Elle installe ainsi un lien entre elle et S /leur mari : » ton mari/le
mien ». En dépit des différences sociales, elles rencontrent les mêmes problèmes.

3) une complicité retrouvée :Lignes 15 16


Fin de la dispute : passé composé ligne 15 : accompli = soulagement, en opposition avec la
désinvolture de la Csse qui attribue sa cruauté à de l’étourderie ligne 16 : elle reste celle qui
décide sans assumer les cqs de ses paroles. Didascalies : elle la baise au front : réconciliation et
affirmation de son autorité (mère/fille alors que différence d’â ge est réduite)/ lui baise la main
ligne 16-7 : soumission.

Conclusion du II : Cette scène marque une étape importante dans l’action (le RV aura bien lieu à
l’acte V) et dans la relation entre les deux personnages féminins qui vont s’associer dans le dos
de F pour contrecarrer les projets libertins du Comte.

III) ligne 16 à 26 : élaboration du stratagème par la comtesse avec la complicité de S

1) la prise en main de l’action par la comtesse : ligne 16 à 21


La comtesse personnage assez passif jusqu’ici va prendre les choses en main : après avoir
obtenu la soumission de Suzanne, elle va l’utiliser pour piéger son mari. Elle enchaîne avec une
question sur le lieu du RV l18. Puis une série de courtes phrases à l’impératif : « prends/fixons »
ligne 20. Elle écarte les scrupules de S en assumant l’artifice : phrase laconique « il le faut », « je
mets tout sur mon compte » + elle interrompt S ligne 23 ( …). Attitude impérieuse didascalie :
//isme S s’assied/comtesse dicte. Situation paradoxale de S qui obéit à la Comtesse et désobéit à
son mari. D’une certaine façon, La Csse la force à assumer une certaine indépendance / autorité
de Figaro.

2) ligne 21 à 26 : la lettre
Lettre sous la forme d’une chanson « air » : il y a du vaudeville dans cette pièce (chants et danses
à la fin de l’acte V ou pendant le mariage acte IV). Fantaisie inattendue de ce personnage si
sérieux, qui rappelle la Rosine du Barbier. Hypothèse :la Comtesse s’est « endormie » dans le
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mariage (ce qui justifierait dans une certaine mesure les infidélités du Comte…), elle se réveille
grâ ce aux événements ! Elle fixe ainsi implicitement grâ ce l’air le lieu du RV : la Csse connaît
donc les jeux galants, qui consistent à susciter le désir par le mystère. Elle décide donc
d’affronter son mari sur son propre terrain : le libertinage.
Suzanne paraît plus naïve : elle ne perçoit pas immédiatement l’implicite du message : elle n’a
pas l’expérience de la galanterie.

CONCLUSION

1) Cette scène a un triple intérêt :


- Sur le plan dramaturgique, elle correspond à la prise en main de l’action par les
personnages féminins de la pièce, en particulier par la Comtesse, qui s’opposent par la
ruse à la brutalité du Comte.
- Sur le plan psychologique, on découvre la complexité du personnage de la comtesse, qui
fait preuve d’autorité et de stratégie galante.
- Sur le plan social : on voit qu’en dépit de la dissymétrie sociale entre la Comtesse et
Suzanne, les deux personnages féminins, partagent les mêmes préoccupations, sans
doute par ce que, dans une société dominée par les hommes, elles doivent revendiquer
leur liberté en faisant preuve d’une solidarité féminine qui dépasse les différences
sociales.
2) Le stratagème mis en place par la comtesse a donc plusieurs fonctions : une fonction
amoureuse (la Comtesse cherche à reconquérir son mari), une fonction politique (le Comte va
être défait par une domestique) et sociale (les femmes revendiquent ainsi leur liberté de penser
et d’agir). MF est une pièce pré-révolutionnaire.

NOTE :
Libertinage : liberté de pensée en particulier/religion
On distingue libertinage intellectuel (liberté religieuse= athéisme) et libertinage moral (liberté
dans les relations amoureuses, homosexualité, bisexualité, refus du mariage comme sacrement
impliquant la fidélité). Libertinage peut aboutir à la manipulation de l’autre (envisagé comme un
moyen) au profit de son plaisir personnel (Dom Juan, les Liaisons dangereuses) : on parle alors
de libertinage noir.
Le comte est un libertin noir qui utilise sa position sociale pour assouvir ses désirs personnels.
La comtesse se révèle habile dans le libertinage rose, qui consiste à réveiller le désir par le
mystère et le jeu. C’est par ce moyen qu’elle va reconquérir son mari.

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