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Christiane Seydou

traductrice et éditrice scientifique

Les guerres du Massina


Récits épiques peuls du Mali

KARTHALA
Dans la Boucle du Niger, au Massina, « nombril du monde peul », fleu-
rit une riche production littéraire épique perpétuée par la classe socioprofes-
sionnelle des griots maabuuɓe. Le genre épique est en effet celui qui peut
le mieux, à travers ses héros et la manière de les mettre en scène, illustrer et
ranimer les points d’ancrage identitaires d’un peuple.
On trouvera ici quelques épisodes décisifs de l’histoire du pays au cours
du XIXe siècle : les uns se situent aux heures glorieuses de l’empire peul
du Massina dans sa lutte contre le pouvoir bambara, les autres, à l’époque
de l’assaut du conquérant toucouleur Al-Hadj Oumar. Bien qu’inscrits dans
l’histoire, les personnages et leurs hauts faits sont toujours traités selon les
objectifs classiques de tout projet épique, transfigurant la réalité en images
emblématiques.
Ce recueil de textes offre donc un éventail des degrés de « fidélité » à
l’Histoire que la voix des griots réinterprète selon le contexte, mais tou-
jours avec la même motivation : réveiller en l’auditoire, par la communion
dans l’exaltation, le sentiment d’appartenance à une communauté ressou-
dée autour du pulaaku – manière d’être idéale et identitaire du Peul –, seul
garant, bien plus que la réalité des faits vécus dans le passé, de l’unité d’un
peuple que ses migrations originelles devaient confronter à la diversité
d’autres cultures.

Christiane Seydou, directeur de recherche honoraire au CNRS, a consa-


cré ses travaux au patrimoine littéraire des Peuls du Mali et ses publica-
tions, en édition bilingue, à l’illustration des principaux genres à travers
lesquels s’expriment les lignes de force de cette production littéraire afri-
caine : épopée, conte, poésie profane et religieuse.

Collection dirigée par Henry Tourneux

Tradition orale
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www.karthala.com
Paiement sécurisé

Couverture : Motifs d’une couverture kaasa (laine),


cliché Franck Portelance.

 Éditions KARTHALA, 2014


ISBN : 978-2-8111-1233-2
Christiane Seydou
traductrice et éditrice scientifique

Les guerres du Massina


Récits épiques peuls du Mali

Éditions KARTHALA
22-24, bd Arago
75013 Paris
à Almâmi Mâliki Yattara
avec toute ma gratitude
et à tous les gardiens
du patrimoine culturel du Mali
AVANT-PROPOS

Les textes figurant dans ce recueil ont été enregistrés au cours des
missions que j’ai effectuées de 1970 à 1977 au Massina dans le cadre de
mes travaux de recherche financés par le C.N.R.S. et consacrés à la
collecte et à l’analyse de la littérature peule de cette région du Mali.
J’étais secondée dans cette entreprise par le regretté Almâmi Mâliki
Yattara1 dont les compétences multiples et le dévouement inaltérable
m’ont accompagnée dans ma quête de savoir, tout au long des années
vouées à l’exploration du patrimoine littéraire des Peuls de la Boucle du
Niger. Sa connaissance du terrain, sa grande culture et ses qualités
humaines ont été, pour tous les chercheurs qui l’ont eu pour
collaborateur, d’une aide inestimable dont nous devons tous lui être
reconnaissants. Grâce à lui, l’accès aux griots, aux poètes, aux conteurs et
aux conteuses était immédiat et sans aucune réticence de leur part.
Ainsi a pu être recueillie une importante série de textes oraux (contes,
épopées, poésie profane et religieuse2), en particulier de nombreux récits
épico-légendaires dont ce recueil offre quelques spécimens assez
représentatifs de cette culture populaire diffusée par les griots maabuu!e.
Les récits présentés ici relatent des épisodes décisifs de l’histoire du
pays (rébellions, batailles…) ; mais on verra que, plutôt qu’à transmettre
la mémoire précise de faits attestés, ils s’attachent à brosser le portrait de
quelques personnages anciens… ou plus récents, à travers telle ou telle
anecdote significative illustrant leur fidélité à une idéologie certes
dépassée mais qui sert encore de repère traditionnel virtuel dans toute
production épique peule.

Ces textes – normalement accompagnés au luth – sont déclamés suivant


un rythme que nous avons traduit visuellement en allant à la ligne afin de
conserver à leur transcription ce trait d’oralité fondamental.

1. Voir A. M. YATTARA et B. SALVAING, 2000 et 2003.


2. Cf. Chr. SEYDOU, 1972, 1975, 1976, 1991, 2005, 2008, 2010.

7
I
G A R A N MAAJAGA

GARANE MÂDIAGA

raconté par
YÉRO ASSIKOULA
INTRODUCTION

Dans L’Empire peul du Macina1, cet épisode de la lutte entre Sêkou


Âmadou et les rois bambara est raconté en détail ; il se situerait vers
1835 et met en scène l’affrontement entre Garane Madiaga et Âmadou
Sêkou.
Après la bataille de Noukouma qui, en 1818, marqua la victoire
peule sur le Royaume de Ségou, le roi du Kârta, Bodian Moriba, réus-
sit à maintenir son fief à l’abri de tout incident avec les Peuls des ré-
gions voisines et entretint de bonnes relations avec les Diawambé2 qui
y résidaient.
À sa mort en 18343, Garane – qui tient dans ce récit le rôle princi-
pal – lui succéda4. D’après les récits rapportés par A. Hampâté Bâ, il
se choisit parmi les Diâwambé du royaume un favori, le dénommé
Négué Alao Karagnara, qui finit par acquérir une grande influence ;
mais bientôt, en insistant trop sur l’importance de Sêkou Âmadou et
en laissant percer son intérêt pour l’islam, celui-ci s’attira la disgrâce
de son maître ; scandalisé lui-même par les blasphèmes outrecuidants
de ce dernier, Négué Alao prit alors les devants et, mettant à profit le
mécontentement des Peuls et des Diâwambé musulmans opprimés par
le roi païen, il se rendit à Hamdallâye pour demander à Sêkou
Âmadou son aide afin d’aller délivrer les croyants du joug de Garane.
Après une longue attente, il obtint enfin une armée qui fut placée sous
le commandement du propre fils de Sêkou Âmadou, Âmadou Sêkou ;
à cette armée se joignit un contingent du Massina, composé en grande
partie de Diâwambé et de Bambara convertis à l’islam.
Garane ayant refusé les propositions du Conseil de Hamdallâye, les
hostilités furent ouvertes. Après un premier revers, les Peuls virent

1. Voir A. H. BA et J. DAGET, L’Empire peul du Macina (NEA, 1984), pp. 173-182.


2. Les Diâwambé (sg. Diâwando) constituent un groupe social associé aux Peuls et
considéré comme spécialiste du courtage ; dans les stéréotypes populaires, le
Diâwando est toujours présenté comme plein d’astuce, négociateur entreprenant,
maquignon imbattable dans le négoce du bétail etc. ; il est le salvateur rusé des
contes, l’informateur secret et le conseiller avisé des chefs dans les épopées.
3. Cette date de 1834 est donnée par A. H. BA, tandis que M. DELAFOSSE fait durer le
règne de Bodian Moriba de 1818 à 1835, MAGE de 1815 à 1832 ; plus tard,
l’historien Sékéné Mody CISSOKO situe, lui aussi, la mort de Bodian en 1832.
D. ROBINSON (1988) donne les dates suivantes : Bojan Moriba –1818-1832 et Garane
– 1832-1843 (p. 168).
4. Ce personnage aurait régné, pour MAGE, de 1832 à 1843, pour M. DELAFOSSE, de
1835 à 1844, et de 1832 à 1844, pour M. GUILHEM et S. TOE.

11
GARANE MADIAGA

leur troupe se grossir des partisans de Négué Alao qui, sortis subrepti-
cement de la ville, vinrent leur prêter main-forte. Les affrontements
meurtriers se succédèrent sans qu’un avantage décisif ne se dessine en
faveur de l’un ou de l’autre des adversaires. C’est alors que, à la tête
d’un fort contingent de cavaliers et de fantassins, Bâ Lobbo apporta
son concours à Âmadou Sêkou (son cousin) et mit en fuite Garane et
ses troupes. La victoire resta indécise, mais les Peuls reprirent le che-
min de Hamdallâye et les Diâwambé du Kârta, libérés du joug bamba-
ra, rejoignirent la capitale peule5.
Telle est la version présentée par Â. Hampâté Bâ dans L’Empire
peul du Macina ; le déroulement de ces remous politiques puis de ces
affrontements guerriers y est très longuement et minutieusement dé-
crit, le récit fourmillant d’une masse de détails circonstanciés et de
précisions chiffrées, fruit d’enquêtes auprès de divers informateurs
détenteurs de ces pages d’histoire transmises au cours des générations.
La version que nous présentons ici est due à Yéro Assikoula, griot
originaire de Bôyo (Cercle de Niafounké), qui s’est tout entier consa-
cré à une quête assidue auprès des chroniqueurs et des traditionistes,
parcourant toutes les régions du delta central du Niger pour récolter
les récits concernant l’histoire de Hamdallâye et de la Dîna6.
S’il s’agit bien des mêmes faits historiques, leur « mise en récit »
reste à la discrétion de chaque talent et c’est ainsi que le narrateur fait
ici tout à la fois œuvre de « griot » et de chroniqueur : il nous livre en
effet, dans quelques apartés, ses sources orales ou écrites glanées au-
près des érudits, des marabouts, des griots réputés, rencontrés au cours
de ses enquêtes ; il a consulté des tarikhs manuscrits chez les descen-
dants de Sêkou Âmadou ou de ses compagnons, qu’il cite au cours de
son texte : Amirou Souka7, Mâmoûdou Ahmadou Oumarou Allâye
Galowal etc., donnant même scrupuleusement toute la chaîne de
transmission du renseignement ; ces démonstrations de fidélité à une
vérité historique admise n’empêchent pas Yéro Assikoula de faire
œuvre de griot talentueux en narrant les faits dans un style très per-
sonnel, en insistant particulièrement sur les traits de caractère des per-

5
Cf. A. H. BA et J. DAGET : après des affrontements meurtriers, le combat final met
en scène dix guerriers Massasi envoyés par Garane pour capturer Âmadou Sêkou qui
se trouve isolé avec son Diâwando Yérowel Yégui Aïssa, son griot Tougué et cinq
lettrés dont Âmadou Karsa de Dia et un serviteur. La bataille dure toute la journée
jusqu’à l’intervention de Bâ Lobbo et de son armée qui met en fuite Garane. Âmadou
Sêkou, sachant que les Diâwambé et toutes leurs familles avaient pu rentrer au Maci-
na, reprend la direction de Hamdallâye sans poursuivre le combat.
6
Il a publié sous le nom de Yéro ARSOUKOULA, une plaquette intitulée Notes de ma
guitare. Sékou Amadou (Bamako, Éditions imprimerie du Mali), 47 p.
7
Est connu sous ce nom, Saydou Oumarou Bâ Lobbo Bôkari, descendant du neveu
de Sêkou Âmadou.

12
INTRODUCTION

sonnages et sur les ressorts psychologiques de l’action bien plus que


sur les causes politiques qui intervinrent dans l’enchaînement de ces
conflits. On est frappé par la finesse de l’analyse des sentiments et des
pensées qui déterminent les prises de position des personnages dans le
déroulement de l’action, technique narrative plus romanesque
qu’épique, bien peu pratiquée par les griots peuls qui, habituellement,
donnent la primauté à l’action, ne laissant en deviner qu’implicitement
les ressorts psychologiques ou les causes d’ordre sociologique à tra-
vers quelques touches simplement allusives.
L’originalité de ce griot se reconnaît aussi dans l’organisation de son
récit construit non pas sur un déroulement linéaire de l’action, mais
sur une série de séquences formant comme autant de petits chapitres,
présentant successivement la situation particulière des principaux per-
sonnages engagés dans cette action, de façon à justifier
l’enchaînement des faits. On y trouve aussi une alternance de ce que
l’on pourrait appeler des phases actives et des phases descriptives ; en
effet, l’évocation de la situation des Diâwambé sous le règne de Ga-
rane, celle de Hamdallâye et de son administration, celle de
l’organisation des expéditions militaires et de leur intendance
s’insinuent dans le récit, comme autant de longues incises nécessaires
à la compréhension des faits qui vont suivre. On y trouve enfin des
sortes de flash-back lorsque apparaît un personnage intervenant ex
abrupto dans l’action et dont le portrait doit être brossé pour éclairer
son comportement. Toutes ces techniques narratives apparaissent ori-
ginales et « modernes » par rapport à la pratique rhétorique habituelle
des autres griots.
Autre originalité : le récit une fois clos, y est ajouté un épisode qui
ne concerne plus les relations entre Bambara, Diâwambé et Peuls,
mais qui informe l’auditoire sur la fin de ce Garane, affronté cette fois
au souverain Bambara, Puissance-de-Ségou, qui est présenté selon les
stéréotypes de la littérature épique peule comme un païen outrecui-
dant, pétri d’arrogance, et d’une cruauté gratuite. Une fois le traite-
ment horrible promis appliqué à Garane (cousu vivant dans la peau
d’un taureau), le souverain veut traiter de même son hôte bienveillant,
Tiâdia ; s’ensuit un affrontement qui renoue alors avec le style plus
classique des combats épiques et fait intervenir un motif propre à
l’épopée bambara et repris par les griots peuls uniquement lorsqu’il
s’agit de personnages bambara : celui de la traîtrise féminine ; c’est en
effet la perfidie de l’épouse de Tiâdia qui donne finalement la victoire
à l’adversaire de celui-ci. Et le récit se clôt sur une cascade de trois
morts, chaque vainqueur s’étant trouvé à son tour vaincu et tué.

13
GARANE MÂDIAGA

Narrateur et joueur de luth : Yéro Assikoula (connu aussi sous le nom


d’Arsoukoula), de Bôyo (arrondissement de Sâré-Faran, cercle de Niafounké).
Mopti, mars 1970

Holà l’assistance, bonsoir à vous !


Je suis Yéro Assikoula.
Je vais raconter pour vous une petite partie des histoires
qui se sont passées dans les temps anciens.

Pour l’instant je vais narrer, raconter pour vous, comment a été


rapporté un conflit
entre Sêkou Âmadou et un Bambara du nom de Garane Mâdiaga ;

on l’appelle aussi Garane Kouroubali1.


C’est lui qui avait eu le commandement de la région du Kârta ;
il résidait à Garna.
Il devint un roi extrêmement puissant.
Ce qui fut à l’origine de toute son affaire à lui, Garane Mâdiaga,
c’est qu’il était le dernier-né de sa famille, au dire des chroniqueurs.
Il avait trente frères aînés
qui, tous, se trouvaient avoir sur lui préséance : en un mot ils étaient
ses aînés,
et c’était dans les coutumes des gens de la haute société, en ce temps-
là, en cas de concurrence,
que ce soit à un aîné que revienne le commandement ; si bien que la
perspective de régner était pour lui bien lointaine,
à moins que Dieu ne l’en rapprochât,
– car, bien sûr, ce que Dieu rapproche n’est plus lointain !
Il y avait, par ailleurs, un Diâwando qui appartenait à la maison
royale ;
le roi du moment était très généreux pour ce Diâwando ; ce Diâwando
s’appelait Négué2 Alawo.
Ce Diâwando s’en fut le trouver, lui, le petit enfant dénommé
Garane ; et il lui donna une commission à faire.
En enfant qui avait vu le jour dans la royauté, il était très indocile :
il refusa de faire la commission.

1. Ce nom de Garane évoque le terme désignant les artisans du cuir (garanke) ; il est
glosé par les Peuls – témoignant en cela de l’emprunt de ce terme à la langue
bambara – comme signifiant « entrave » ou « longe pour attacher un cheval » ; quant
à Kouroubali, M. DELAFOSSE (1955) l’explique ainsi : « qui n’a pas été transporté en
pirogue », nom d’un clan dont l’ancêtre aurait traversé un fleuve sur le dos d’un
poisson et qui est à l’origine de la première dynastie bambara de Ségou et du Kârta
(p. 427). Garane aurait régné de 1832 à 1843 (D. ROBINSON, p.168).
2. Négué, mot signifiant « fer », en bambara.

15
GARANE MÂDIAGA

En ce temps-là déjà – et encore de nos jours – ceux qui font ce récit


disent sous forme de dicton que, le plus souvent, de trois hommes,
celui des trois qui possède, inné, l’esprit d’indépendance,
c’est celui-là qui, des trois, a le plus de chance de devenir quelqu’un,
un Bambara authentique !
Le petit enfant qui est le plus éveillé est indocile et c’est lui qui a le
plus de chance de devenir quelqu’un ;
il en est de même pour un Kounta – une ethnie que l’on nomme ainsi
et qui se trouve dans notre pays à nous, les Noirs.
Celui qui, parmi eux, est de nature indocile, celui-là a le plus de
chance de devenir quelqu’un et, une fois grand, lui et les fils de chefs
seront des compagnons !
Lui, ce Garane, on raconte qu’il était excessivement indocile, c’est
pourquoi, aussi, pour dire sa devise, les chroniqueurs s’expriment en
ces termes :
« celui qui refusa de faire la commission ».
Négué Alawo, le Diâwando, s’emporta contre lui.
Quelqu’un répondit alors que, parmi les hommes, là où l’on en trouve
un bon, on en trouvera aussi un mauvais ; celui-ci se doutait en son
for intérieur qu’il avait des intentions sournoises et il dit : « Négué
Alawo, tu devrais être très patient !
Tu t’emportes contre lui, ce matin, mais peut-être que le pouvoir lui
reviendra et que tu seras son client tout comme tu es le client de son
frère aîné ! »
Négué répliqua : « Celui-ci ne pourra, jusqu’à sa mort, avoir le
pouvoir et, quand bien même l’aurait-il,
une méchanceté telle que celle qu’il a au fond de lui ne m’atteindra
pas,
car son règne ne me trouvera pas [encore de ce monde], si telle est la
volonté de Dieu ! De tous les trente frères aînés qu’il a,
il est le dernier-né et moi, je n’imagine pas que je leur survivrai ! »
Lui, le prince, apprit cela et il en fut profondément ulcéré.
Alors il commença,
dès cet instant…
Lui, Garane Mâdiaga,
lorsque celui de ses aînés qui régnait à ce moment-là…
– il s’appelait Bengué —,
chaque fois donc que l’aîné qui régnait alors mangeait et qu’il le
conviait,
si Négué Alawo se trouvait là, il refusait de manger.

17
GARANE MÂDIAGA

Il en voulait tant à Négué


qu’il ne se serait pas assis dans une réunion où ce dernier se trouvait.
Une fois grand, devenu adulte3, il prit son fusil et s’engagea dans la
brousse à cause de sa fâcherie.
Il devint comme un broussard inné ;
il ne se rasait plus la tête et ses cheveux devinrent si longs qu’ils lui
descendaient jusqu’aux reins.

Il adopta l’équipement du chasseur4, en permanence ;


il tirait du gibier
dont il faisait sa subsistance sauvage ;
il devint un tireur doué d’une chance extraordinaire : quoi qu’il vît,
s’il le tirait, il avait toutes les chances de l’avoir.
Il amassait de la viande et il achetait des armes,
il finit par avoir beaucoup de poudre
et beaucoup de balles ;
il élut domicile dans la brousse, ayant ainsi tout le temps de la viande
à sa disposition, sur place ; il se retrancha dans la brousse.
Il s’occupait de fournir les bergers en viande
et finit par être bien plus utile que malfaisant : le seul mal qu’il fît…
le seul mal qu’il fît, c’était que tout ce qu’il voyait avait peu de
chance d’en réchapper,
c’est-à-dire qu’il était un tireur très chanceux, et un fournisseur de
viande pour ceux qui avaient faim.
Il s’installa donc dans la brousse, vivant de cette façon-là ;
et s’accomplirent les desseins de Dieu.

Une colonne armée marcha sur la ville.


Les princes enfourchèrent leurs montures, partirent à sa rencontre.
L’affrontement fut tel qu’ils étaient tout teints de sang.
Ils eurent la victoire, mais ils laissèrent sur le terrain dix membres de
la famille royale et le roi était parmi eux.
Les vingt autres s’en revinrent et l’aîné d’entre eux prit le com-
mandement.

Sur ce, l’année n’était pas encore achevée qu’ils recrutaient des
masses de nouveaux cavaliers ;

3. Textuellement « il devint enfin quelque chose ».


4. Textuellement « il devint un familier des ceintures ». Il s’agit de l’attirail du chas-
seur : baudriers tenant carquois et besaces, mais aussi ceintures talismaniques,
amulettes etc…

19
GARANE MÂDIAGA

la maison royale s’acquit de la gloire


– la gloire est une gêne,
hier tout comme aujourd’hui –
ils y gagnèrent des ennemis prêts à guerroyer,
et, contre eux, furent rassemblés des cavaliers aussi nombreux que
termites.
Ils se rencontrèrent derrière les maisons de Garna et ils engagèrent le
combat :
la bataille fit rage.
Ce jour-là encore, ce furent eux qui l’emportèrent, mais ils laissèrent
gisants sur le terrain dix membres de la famille royale ainsi que
d’autres personnes qui n’en faisaient pas partie.
Des dix qui revinrent, l’aîné prit le commandement.
L’année s’achevait tout juste
qu’ils eurent à nouveau une grande armée [qui marcha sur eux].
Ils engagèrent le combat et le combat fut rude ;
la bataille fut telle que l’écho des coups gagna même les villages
voisins du champ de bataille, qui les entendirent ;
la bataille fit rage à tel point que les arbres secs proches du champ de
bataille furent calcinés
et que les arbres verts se recroquevillèrent.
En ravage, nul combat ne pouvait dépasser ce qui se fit là !
Ce jour-là encore, ce furent eux qui l’emportèrent, mais les dix qui
demeuraient encore de la maison royale restèrent tous, gisants sur le
terrain.

Dans la famille ce fut dès lors la lutte pour le pouvoir.


À ce moment-là, les notables – rendus présomptueux qui, par sa
fortune, qui, par son rang – s’imaginèrent chacun que le pouvoir était
pour lui.
Des hommes se rasèrent la tête et briguèrent le pouvoir.

Lui-même, Négué Alawo, se trouva dans cette campagne aux côtés


d’un homme du nom de Tiêcoura :
ils cherchèrent à avoir le pouvoir,
Dieu voulut qu’ils fussent évincés,
ils ne l’eurent point.
Il dit : « Tiêcoura ! » Tiêcoura lui dit : « Oui ! » Il dit : « Pour sûr, à
présent je vais te montrer en quoi un Diâwando peut être utile à
quelqu’un !
Car – poursuivit-il – maintenant, je vais faire une chose…

21
GARANE MÂDIAGA

Je pense qu’elle me causera des ennuis, et qu’à toi aussi, elle en


causera :
ce prince dernier-né qui vit en brousse et qu’on appelle
Garane,
pour moi, je n’ai nulle envie qu’il soit au pouvoir, car je suis persuadé
qu’il m’a gardé rancune.
Chez un prince, l’oubli n’existe pas ;
de plus, il est très méchant ! Je suis sûr que, s’il a le pouvoir, il me
malmènera ; mais en bon Diâwando que je suis, je déteste avoir le
dessous.
Je suis bien ton partisan, mais je suis convaincu que, si nous n’avons
pas obtenu le pouvoir, le pouvoir ne sera pas davantage obtenu par
ceux qui le briguent actuellement. »

Il convoqua une assemblée.


Il dit : « Pardonnez-moi ! Si moi, j’ai eu tort, vous aussi, à présent,
vous avez tort :
nous tous, du Kârta, nous sommes fautifs ;
nous avons trahi la coutume.
De notre maison royale, il reste encore un homme et nous nous
apprêtons à porter quelqu’un d’autre au pouvoir !
On ne doit pas combattre un prince en s’imaginant qu’il ne possède
pas ce que les rois passés, ses aînés, possédaient ; et si c’est un autre
qui prend le pouvoir, nous nous apercevrons que nous aurons, nous,
causé la ruine de notre cité. Qu’ils aient la chance de l’emporter, et il
entrera en lutte contre nous.
Bon ! De plus, c’est un brave ; dès l’instant qu’il a quitté la ville, il a
porté malheur à l’autre qui régnait et ce fut la ruine de toute la maison
royale. »
Les hommes lui dirent qu’il avait raison.

On dit de seller des destriers et de l’aller quérir.


Et tous leurs hommes d’équiper les chevaux de leurs tapis de selle et
de fixer les sangles : les destriers furent parés de tout ce qui, pour les
chevaux, sert de parure.
Quant aux hommes, chacun boucla son baudrier bien ajusté sur ses
reins, mit ici une corne à poudre, là une corne à balles,
et ils sautèrent en selle.
C’étaient des hommes accoutumés à parcourir la brousse :
ils se mirent en devoir de le rechercher.

23
GARANE MÂDIAGA

Les chroniqueurs rapportent que ce prince était si mauvais que,


entendant les appels qu’ils lui lançaient dès l’instant qu’ils s’enga-
gèrent dans la brousse, il n’en garda pas moins le silence.
Lui, Garane, qui vivait là et qui accumulait de la viande,
il avait aussi pris l’habitude d’accueillir des hôtes là où il se trouvait,
en pleine brousse. À force de tirer, il était devenu un excellent tireur.
Ils finirent par lui tomber sur le cou, mais ils s’étaient donné bien du
mal et, à cette heure, le soleil était fort.
Dès qu’il avait aperçu les cavaliers, les reconnaissant et voyant que
Négué était à leur tête,
il pensa
– et il en eut un grand choc en son âme – que ses aînés avaient donné
l’ordre de le faire rentrer en ville.
Il se rua sur un fusil à double canon,
s’élança d’un bond,
comme un lion agressé.
Là, il mit genou en terre, posa le fusil sur ses jambes et s’apprêta, tout
frémissant, à passer à l’attaque.
Ils lui dirent : « Lion appartenant à la lignée des lions !

Nous, ce n’est pas pour te faire du tort que nous sommes venus ! Nous
ne supporterions pas que tort soit fait à votre maison, pas plus hier
qu’aujourd’hui ; et d’ailleurs lutter contre vous nous serait chose bien
lourde.
Nous ne sommes venus que pour t’annoncer que c’est maintenant ton
tour de gouverner ; nous ne saurions contester les droits de votre
famille.
Le pouvoir ne saurait être assumé par quelqu’un d’autre tant que, de
votre famille – qui est la famille royale –, il en est un encore en vie ;
nous sommes venus pour que tu rentres et que tu règnes, toi. »
Il leur dit que c’était parfait et, en cadeau de bienvenue, il leur offrit
de la viande ;
il leur montra comment il était installé là ;
il leur laissa voir quelle était sa manière d’être et ils lui laissèrent voir
quelle était la leur.
Ils l’engagèrent à monter à cheval ; il dit : « Et pour quelle raison ? »
Ils lui dirent qu’ils avaient harnaché pour lui un cheval bai brun à liste
blanche et balzanes,
nourri avec grand soin,
et qui jamais, du premier au dernier mois de l’année, ne passerait une
journée sans picotin,

25
GARANE MÂDIAGA

un cheval bien entretenu, avec une longue longe et un piquet propre et


qui toujours a sur lui une main, c’est-à-dire un cheval couvert de
caresses : c’est là le maximum de ce qu’un homme puisse faire pour
un cheval.

Il leur dit que ce n’était pas ainsi qu’une affaire pouvait s’arranger.
Ils lui dirent de monter sur le cheval et de chercher à gagner un village
afin qu’il se rase,
se lave,
et qu’il prenne le commandement ;
qu’il enfourche sa monture et qu’ils rentrent avant que des ennemis
n’arrivent en leur absence – les expéditions guerrières étaient en ce
temps-là extrêmement fréquentes.
Il leur dit que, dans ces conditions, il ne prendrait pas le comman-
dement.
Il leur montra – dès cet instant – qu’il avait de la rancœur.
Il leur dit : « “Fais vite, allons chercher de l’eau,
rase-toi, lave-toi, règne, monte à cheval !”, ce n’est pas là un portrait
de roi ! »
Il dit que s’il était vraiment un roi, c’était là même que l’eau devait
venir le trouver.
Ils lui dirent que, à cette heure, tous les villages étaient loin, et que,
pour chercher un endroit où avoir de l’eau, ce serait bien difficile :
voilà pourquoi ils lui suggéraient de s’en rapprocher ; ce n’était point
par irrespect ! Il dit que, pour ce qui en était de l’eau, on n’irait point
en chercher dans un village. Étaient-ils bien certains que des rois, ses
aînés, il n’en restait plus un seul là-bas ?
Ils dirent qu’ils en étaient sûrs. Il dit que, au moment où ils venaient,
eux, c’était bien pour lui remettre le commandement qu’ils étaient
venus ; mais que, si, à présent ils doutaient qu’il eût toutes les qualités
que possède5 un prince6, alors ils n’avaient qu’à accepter d’engager le
combat avec lui.
Ils dirent qu’ils ne l’engageraient point, qu’il était le roi.
Il dit que, s’il en était ainsi, on creusât sur place même, pour faire un
puits, et que l’eau vienne.
Ils acquirent dès lors la certitude que les tourments ne faisaient que
commencer !
On creusa ;
ils y passèrent des journées entières
et ils eurent enfin de l’eau dans le puits.

5. C’est-à-dire : le courage et toutes les vertus requises.


6. Textuellement « un fils de la maison » (royale, sous-entendu).

27
GARANE MÂDIAGA

Il se lava,
il se rasa.
Chacun annonça [ses souhaits et les cadeaux qu’il s’engageait à lui
faire] :
il y en avait qui les annonçaient sincèrement et de bon cœur, il y en
avait aussi qui les annonçaient pour obtenir une place auprès du roi, et
il y en avait qui les annonçaient par crainte ; mais tous en annon-
cèrent ; ils lui offrirent les objets qui s’offrent habituellement aux rois,
en grande quantité.

Il s’installa sur le harnachement du cheval bai brun à liste blanche et


balzanes.
On dit que, à ce moment-là, il était accompagné de six mille hommes
armés de fusils à double coup, aux canons effilés, en acier trempé,
et portant ici une corne à poudre, là une corne à balles,
de ces lutteurs invétérés auxquels il fallait, pour s’arrêter, moult
lambeaux de chair fraîche et caillots de sang frais,
des hommes aux yeux ardents, recelant la bravoure en leur âme
et qui, lorsque la bataille fait rage, ne se battent pas pour celui qui
conduit l’armée, mais seulement pour la gloire qu’ils briguent ; car
celui qui ne se bat pas pour la gloire, mais seulement pour l’amour
d’un roi, le jour où, n’estimant plus celui-ci, il fuira, alors on jugera
que c’est pour sauver sa tête qu’il aura fui, et non pas à cause du roi !
Ils pénétrèrent dans la ville, ils s’installèrent ;
ils revinrent avec lui ; c’était donc lui le roi.

Cela coïncida avec l’époque où la fête du Sacrifice7 n’était plus loin :


et alors, voilà qu’on apportait de la bière !
Il fit restaurer les idoles dont il trouva que sa lignée paternelle était
encore adepte.
Les idoles, d’ailleurs, lui furent favorables :
bien que son règne fut un règne d’opposition
à Dieu, il fut un règne prospère.
Dieu accorde la puissance à celui qui s’oppose à lui
comme il donne la puissance à celui qui lui est fidèle.
Il fut donc un homme doté d’un pouvoir extrêmement important.
Il invoquait des bouts de bois et s’entretenait avec eux, au dire des
chroniqueurs.
Il s’adressait à ses idoles qui lui tenaient lieu de Dieu, et elles ré-
pondaient.

7. Il s’agit de l’Aïd al-Kabîr, ce que l’on appelle aussi, au Mali, Tabaski ou, d’une
manière plus générale, « fête du mouton », car l’acte principal en est le sacrifice d’un
bélier.

29
GARANE MÂDIAGA

Son esprit était alors encore voué à l’erreur et Dieu lui apporta,
malgré cela, une très grande puissance.
Il se trouvait donc dans ces dispositions d’esprit lorsque la fête du
Sacrifice approcha.
Une nuit parmi les nuits,
toute la foule de ses gens s’en alla,
mais, au Diâwando, lorsqu’il fit mine de partir, il ordonna de l’at-
tendre ;
[il faut dire que] dès qu’il fut au pouvoir,
il se comporta exactement de la même manière que ses aînés à l’égard
du Diâwando nommé Négué Alawo, celui qui avait prétendu qu’il ne
règnerait pas :
il ne mangeait pas tant qu’il n’était pas là.

Cette nuit-là, donc, il l’appela et lui dit : « À présent, la fête du Sa-


crifice n’est plus loin ;
je veux, dit-il, faire un sacrifice pour ma femme
comme pour aucune autre femme bambara il ne s’en soit [jamais
encore] fait. »
L’autre lui dit : « Où irons-nous donc chercher ce mouton sacrifi-
ciel ? » Il lui dit : « Te souviens-tu encore du temps d’Un tel,
mon frère aîné, le dénommé Bengué ? Sous son règne,
nous nous trouvions à telle place et tu m’envoyas faire, pour toi, une
commission à Un tel.
J’étais alors un gamin et mon intelligence n’était pas capable de
distinguer ceux qui étaient les amis de la maison royale – notre
maison – de ceux qui en étaient les ennemis ; je refusai – ainsi en
avait décidé Dieu ! –
et cela t’irrita profondément ; [il faut dire que] toi aussi, à cette
époque, comblé de tout, tu en étais devenu quelque peu présomp-
tueux ;
tu t’emportas contre moi et, certains t’ayant remontré que, tout
comme tu étais un client de mon aîné, peut-être t’adviendrait-il aussi
d’être un jour le mien et que tu devrais donc être patient envers moi,
qui étais un prince…, tu rétorquas que la méchanceté qu’au fond de
moi je celais retomberait peut-être un jour sur moi, mais que, en tout
cas, elle ne retomberait pas sur toi ;
tu dis que, en effet, on pouvait bien présumer
que tes jours ne seraient pas assez longs pour que tu leur survives à
tous, jusqu’à moi, le dernier-né de la famille, et que tu voies les temps
à venir jusqu’à ce que, ayant survécu à tous mes frères, tu me trouves
sur le trône et que je te fasse connaître le malheur ;

31
GARANE MÂDIAGA

aussi était-il probable que ma méchanceté ne retomberait que sur


voilà ce que tu dis. » [moi :
Il ajouta : « Est-ce que tu t’en souviens ? »
Le Diâwando lui dit : « Je ne m’en souviens pas. » Il dit : « C’est
bon ! Mais moi, je n’ai pas oublié.
Et c’est de toi que je ferai le mouton de sacrifice pour ma femme ;
puisque c’est toi qui m’as permis d’y rester vigilant, je ne trahirai pas
la tradition ; et ça ne me retiendra pas de réaliser ce que tu avais
prédit ; c’est toi qui m’as dit de faire cela en prétendant que si, un
jour, j’avais le pouvoir, je te malmènerais. »
Le Diâwando resta soucieux, tête baissée, longuement.

Ils restèrent là jusqu’à ce que la nuit fût bien avancée.


Le Diâwando déclara qu’il devait partir chez lui.
L’autre dit : « D’accord8 ! »
En réalité, en son for intérieur, il n’était point du tout résolu à mettre à
mort le Diâwando ;
il savait que tout homme que l’on a effrayé par un “je te tuerai”, en
concevrait une très grande peur
et il avait seulement l’intention de le tourmenter, d’année en année,
par l’obsession de cette menace
jusqu’à ce que – pour les choses qu’il lui avait dites – une année
vienne où sa rancune l’abandonnerait.
Le Diâwando demeura chez lui jusqu’à ce qu’enfin une certaine nuit,
il pêchât dans son esprit l’idée de ce qu’il devait faire. Il estima que la
fuite était chose trop malaisée pour qui avait un roi comme adversaire.

Le Diâwando prit des biens en quantité suffisante, sachant bien que la


richesse, pour l’âme, est un remède,
sachant aussi qu’elle pouvait lui être passablement utile et qu’un roi
appréciait toujours un homme plein de ressources.
Or, il était convaincu d’en être un et, pour ce qui était d’être utile, ce
ne serait pas chose aisée que de trouver, parmi les gens de la suite du
roi, quelqu’un capable de le remplacer.
Le Diâwando pêcha dans son esprit l’idée d’aller lui apporter un riche
présent, et de lui dire de l’épargner pour cette année ; s’il acceptait
cela, alors il saurait que, désormais, il accepterait de recevoir un
présent
et, chaque année, conformément au pacte tacite qui les liait,
il s’efforcerait d’amasser des biens ;

8. Textuellement « au nom de Dieu ! ».

33
GARANE MÂDIAGA

et, lorsque, à l’approche de la nouvelle année, les biens lui auraient


été remis, il lui dirait de chercher un mouton de sacrifice et de l’é-
pargner pour cette année encore…
jusqu’au moment où adviendrait le terme fixé par Dieu. Dieu sait
lequel des deux mourrait le premier, si ce serait l’autre ou lui ?
Le Diâwando ne fit rien jusqu’à minuit
puis il se dirigea vers la porte [du palais].
Cent hommes – couvant des fusils à deux coups, aux canons effilés,
en acier trempé, et dotés d’une provision de poudre et de balles – se
tenaient là, genou en terre, dans le vestibule même, montant le guet.
Des lampes étaient allumées dans l’habitation. Le Diâwando toucha
enfin la porte du vestibule.
Tous, d’un bond, s’y précipitèrent, prêts à l’attaque.
Il leur fit savoir que c’était lui ;
ils savaient qu’il était très… très ami avec le roi ; ils le laissèrent
passer.
Il passa.
Il trouva là-bas le roi ; il lui dit : « C’est chez toi que je suis venu ! »
lui adressa les salutations d’arrivée
et, parvenu près de lui, il s’assit en face de lui.
Il lui dit : « Ce dont tu m’as parlé, lorsque je t’ai dit que je l’avais
oublié, en fait, je ne l’ai pas oublié et ne suis pas près de l’oublier ! »
Il ajouta : « Mais attention ! Ce n’est pas non plus de la peur !
C’est que telle était la volonté de Dieu, et puis que la courtoisie à
l’égard d’un roi est une belle chose ; mais je n’ai pas peur. Ce que
j’avais dit, tu as raison, je l’ai dit ; je ne l’ai pas du tout oublié !
Et maintenant encore, je dis de même.
Je ne t’ai pas dit, non plus, d’ajourner tes projets !
Car un roi qui se dédit ne plaît pas.
Cependant, je voudrais que tu ne te presses pas pour moi, sans tou-
tefois te dédire de ce que tu as dit, à savoir que tu me mettrais à mort
cette année même.
Je souhaite seulement très vivement que tu sois patient envers moi ; la
vie est douce, bon ! Et les affaires de ce monde n’ont pas de fin ;
même si tu ne peux me laisser jusqu’à l’année prochaine – Dieu sait
ce que l’année prochaine apportera ! –, pour cette année, je
souhaiterais que tu m’épargnes et que tu prennes telle quantité d’or
que voici,
que tu le gardes,
et que tu cherches un mouton de sacrifice ; moi, de mon côté, je ne
m’enfuirai pas. Tu sais d’ailleurs que la fuite, dans ce pays, est chose
malaisée pour celui que poursuit un roi :

35
GARANE MÂDIAGA

où que je m’enfuie, je tomberai immanquablement sur tes officiers.


Aussi ne m’enfuirai-je pas.
Bon. Je ne suis pas si lâche que je me mette en peine de fuir et de me
déshonorer.
Tout ce que Dieu veut qu’il m’arrive m’arrivera. Je ne te fuirai pas.
Sois seulement patient envers moi, pour cette année. » Le roi accepta.

Chaque fois que la fête du Sacrifice était là, ce devint une règle ; le roi
lui dit que c’était à ce prix qu’il rachèterait sa vie :
qu’il amasse de l’or et le lui apporte.
Et une fois passée la fête,
nul n’entendait parler de ce qu’il y avait entre eux :
le roi continuait de le traiter tout comme l’avaient traité ses aînés.

Garane devint extrêmement puissant.


Il devint extrêmement puissant.
Ah oui ! Les chroniqueurs le haussent à un tel degré que voici ce
qu’ils rapportent : le ciel ayant grondé, il dit : « Qu’est-ce donc qui
fait gronder le ciel ? »
On lui dit : « Les pouvoirs de Dieu. C’est lui, le Seigneur. »
Il dit que lui, il l’entendait bien mais qu’il ne l’avait pas vu :
« où était-il donc ? »
La plupart d’entre eux étant des mécréants, ils n’étaient guère ca-
pables de décrire la vérité divine ; ils lui dirent que c’était « en haut »
qu’il se trouvait – ils ignoraient que Dieu est en tout lieu !
Cela étant, il ordonna que, dans mille fusils à deux coups, aux canons
effilés, en acier trempé, on mît de la poudre,
que, dans mille fusils, on mît de l’explosif
et que rugissent les coups de feu.
Et de demander « si l’autre, à présent, devait avoir entendu le va-
carme que lui, il avait fait ici : c’était bien le même vacarme que celui
que faisait l’autre là-bas ? ! »
Et ses courtisans de lui dire : « Où qu’il se trouve un royaume, en cet
instant, il a entendu le vacarme que tu as fait ! »
Il dit que, comme cela, l’autre aussi était au courant qu’il y avait un
roi de ce côté-ci.
Les chroniqueurs racontent qu’il fut extrêmement puissant,
à tel point que, lorsqu’un homme venait à mourir, par là-bas,

37
GARANE MÂDIAGA

il demandait : « Qui est-ce qui l’a tué ? »


Il s’imaginait qu’un homme ne pouvait mourir de mort naturelle ; il ne
savait pas, bien sûr, que, si Dieu est créateur, c’est aussi lui qui donne
la mort.

Certains lui disaient : « C’est Dieu qui l’a tué ;


celui-là ce n’est pas pour être allé à la guerre qu’il est mort ! »…
Ils ignoraient que, maladie et mort sont bel et bien des décrets divins ;
et quand ils disaient : « c’est Dieu qui a tué ton sujet »…
il disait que « alors comme ça, il était en train de lui tuer ses gens ! »
Ils disaient : « C’est que, ceux dont tu es le roi, il est, lui aussi, de la
même façon, leur roi, bien que vos règnes ne soient pas compa-
rables. »
Ils n’étaient pas capables de le lui représenter de sorte que son âme
reconnût Dieu ; et son âme ne reconnut pas Dieu.
Pour sa part, il ne mettait à mort qu’individuellement, un à un,
et il disait que si l’autre, lui, tuait les gens, quand il les aurait tués
jusqu’au dernier, alors, entre eux deux, lequel commanderait à son
pair ? Quant à lui, il savait, en tout cas, qu’il n’accepterait pas que ce
fût l’autre qui lui commandât.
Les chroniqueurs ont rapporté qu’il en était encore à ce degré d’i-
gnorance !

Il avait, en ce temps-là, soixante lignées de ce que l’on appelle des


Diâwambé, qui se trouvaient à Garna.
Hormis celui d’entre eux qu’il utilisait comme messager, aucun ne
l’accompagnait à la guerre.
C’était une coutume de leur famille que, lorsque, à cheval, ils devaient
partir au combat, seuls des Bambara noirs et des fils de Bambara de
naissance libre aillent au combat à cheval.
Aucun homme étranger à leur ethnie ne devait partir à cheval avec lui.
On a dit que, sous son règne, un griot n’allait pas à la guerre, un
Diâwando n’allait pas à la guerre.
Alors que telles étaient ses manières d’être,
les Diâwambé, sous son règne, furent rudement mis à la gêne9.
Un roi, quel qu’il soit, c’était un homme que l’on pouvait détrôner,
mais voilà que l’on venait à parler d’un roi qui, lui, n’était pas
quelqu’un que l’on pût détrôner, c’est-à-dire, du Seigneur – gloire à
Lui !
Sa mesure est immense,

9. Le verbe employé exprime la gêne de quelqu’un qui danse d’un pied sur l’autre,
en marchant sur du sable brûlant, qui s’agite sans savoir où aller, qui est perplexe.

39
GARANE MÂDIAGA

Sa destinée définitive,
Sa puissance extrême !
L’inquiétude grandit dans le cœur des hommes qu’elle se mit à
obséder ; or, les hommes sont tels de vifs coursiers : leur lutte ne
saurait fléchir10.
Quand on commence par confier à son ami des critiques à l’égard de
quelqu’un tandis qu’on craint d’en parler avec son ennemi, mais que,
à la fin, ami comme ennemi s’entretiennent sans fard des torts de cette
personne, dès lors, il est évident qu’il ne reste plus qu’à chercher que
faire d’elle11.
Les soixante lignages Diâwambé, eux tous, dirent : « Retrouvons-
nous derrière les habitations, une nuit prochaine… telle nuit ». Ils
fixèrent une nuit.
Cette nuit arriva.
Ils se retrouvèrent tous, à l’exception de Négué,
car, Négué, ils le tenaient pour l’ami de Garane.
Ils se retrouvèrent derrière les habitations, ils ourdirent un complot et
dirent : « Comment nous y prendrons-nous ? »
À ce moment-là, ils discutèrent et tombèrent d’accord,
ils dirent : « Si c’est l’humiliation que nous redoutons, nous sommes
déjà humiliés !
Et si c’est la mort que nous craignons, nous sommes déjà morts !
Maintenant voici ce que nous devons faire :
ne faisons rien, si Dieu le veut, jusqu’au matin.
Alors, tous, nous n’aurons qu’à monter en selle12,
enfourcher nos destriers et prendre des fusils.
Soyons bien résolus, raffermissons nos âmes13
et livrons-lui bataille jusqu’à ce que le sang coule à flots !
Cette mort que nous redoutons nous n’y avons pas échappé pour
autant ;
et l’humiliation non plus, nous n’y avons pas échappé ; si c’est nous
qui remportons la victoire,
c’en sera fait de son règne14 ;
et si c’est lui qui remporte la victoire, alors tout homme tombé au
combat sera victorieux, car il ne connaîtra plus sa tyrannie ; quant à

10. Textuellement « vieillir », c’est-à-dire « faiblir, s’user, s’étioler ».


11. Textuellement « est évident qu’on cherche comment nous lui ferons ».
12. gaali aali : expression fréquemment employée dans les récits épiques pour
désigner les selles. Textuellement gaali désigne le troussequin de la selle, et aali, le
pommeau spécial des selles de combat ou de parade, pommeau destiné à supporter la
lance ou le fusil.
13. Textuellement « resserrons nos âmes ».
14. Textuellement « son règne se détendra, prendra du repos ».

41
GARANE MÂDIAGA

celui qui n’y sera pas tombé, lui, tout ce qu’il projettera, il le fera
aboutir !
Puisque tout ce que nous redoutons de mal, nous le subissons déjà
actuellement, luttons contre le roi. »
Ils n’avertirent pas Négué de cela ; l’un d’entre eux leur dit que ce
n’était pas là bien agir.
Il s’appelait Mâli Sôyrou Goral.
Il leur dit : « Nous devrions mettre au courant
Négué.
Négué Alawo est un homme extrêmement sérieux, même s’il est de
son côté.
Ce n’est pas forcé que nous ayons de bonnes relations avec lui et ce
n’est pas forcé qu’il ait de bonnes relations avec lui15 ; mais il est de
notre famille paternelle : c’est un Diâwando, lui aussi.
Être leurs ministres, partager leurs discussions, leurs intrigues, leur
familiarité, tout cela est pour nous, Diâwambé, chose accessible en
cette cité.
Mais qu’une expédition se prépare, et il lui dira de l’attendre là-bas,
chez lui, dans sa concession ; il le traitera exactement de la même
façon que nous ; nous devons donc le tenir au courant de cela ; il est
de notre famille16 ».

Ils dirent : « Appelle-le, mets-le au courant ; toi, tu es au fait de ses


pensées ; tandis que nous, nous n’avons pas confiance en lui : il est du
côté du roi. »
Il dit : « Puisque vous voilà bien décidés, nous nous en tiendrons à ce
que nous avons dit.
Informons-le de cela.
Au nom de nos liens communs, je le convoquerai et je l’informerai.
Même si, pendant la nuit, il a le front de rapporter la chose au roi,
de toutes façons, nous ne l’aurons pas averti que nous avons fixé la
chose à demain.
Si au réveil, le matin, nous le trouvons parmi nous, et qu’au réveil, il
nous salue, ça ira bien ; mais si, au réveil, il n’est pas venu nous
saluer, alors, c’est que nous, à notre réveil, nous trouverons la guerre.
Qui est bien déterminé passera à l’action, sans plus se soucier de la
peur ; par ailleurs, nous ne pensons pas qu’il puisse toucher le roi dès
la nuit même.
Et si jamais il est allé le trouver dès cette nuit, eh bien, du moins, ne
serons-nous pas de ceux qui agissent traîtreusement :

15. C’est-à-dire « le roi ».


16. Textuellement « de la maison de notre père ».

43
GARANE MÂDIAGA

ou bien, nous tous, nous périrons dans l’aventure, ou bien, le projet


s’accomplira sans faute ; voilà pourquoi nous nous rallions à cette
proposition : informez-le donc ! ».

Ils dirent : « D’accord ! « .


Lui, Mâli Sôyrou Goral, se rendit chez Négué Alawo, le Diâwando, et
lui dit : « Toute la famille de ton père s’est réunie.
Nous tous, les soixante lignages diâwambé au complet,
nous allons nous attaquer au roi :
ou bien nous périrons, nous tous,
et nous trouverons le repos dans la mort qu’il nous infligera, lui qui
est fautif et malfaisant, ou bien c’est lui qui périra et nous serons
libérés17 ; il nous a fait vraiment beaucoup trop souffrir. »
Négué dit : « On me trouve là où l’on vous trouve18.
Comment nous y prendrons-nous ? »
Il dit : « Toute la famille de notre père a comploté de l’attaquer
demain. Sois sincère avec nous et dis quel est ton sentiment. » Il leur
dit : « Eh bien, pour moi, ce n’est pas que nous nous battions avec lui.
Laissez-moi plutôt, moi seul, me battre avec lui : voilà mon sentiment.
Un roi,
il faut absolument que tu aies un autre roi sur qui t’appuyer pour
pouvoir te battre avec lui ; un roi, c’est très puissant.
J’ai entendu parler d’un roi musulman,
qui est loin, dans des régions qu’on appelle Massina,
et lui s’appelle Sêkou Âmadou.
On dit qu’il ne combat que ceux qui s’opposent à Dieu.
Est-ce l’éloignement de notre pays qui l’a empêché de venir ou bien
est-ce la crainte de l’autre qui l’a empêché de venir ?
Je m’en vais aller flatter l’âme de ce roi.
J’étudierai bien son caractère, je chercherai à connaître ses traits de
caractère,
et, cela fait, je chercherai un moyen de les brouiller et de semer entre
eux la zizanie ; je dirai que, vous tous, qui êtes ici, vous n’avez de
goût que pour l’étude et la prière – j’ai entendu dire qu’il affectionne
particulièrement celui qui aime la prière.
Je dirai que nous n’avons pas eu les moyens de prier, que celui que
nous avons pour roi, chaque fois qu’une personne fait mine de prier, il
la met à mort.
Je lui exposerai tous ses méfaits ; le roi dénommé Sêkou Âmadou, j’ai
entendu dire qu’il n’admettait pas cela et que, de la puissance, il en a !

17. Textuellement « nous recouvrerons nos têtes » c’est-à-dire « notre liberté, notre
indépendance, notre dignité ».
18. C’est-à-dire : « je suis avec vous ».

45
GARANE MÂDIAGA

Laissez-moi agir de la sorte et mettre la discorde entre lui et le roi. Si


quelqu’un demande où je suis parti, dites que vous n’en savez rien.
Si Dieu le veut, c’est tout ce qu’il y a de mieux à faire. » Son
stratagème, il le fournit sur le champ, lui, le Diâwando.
Alors, il se mit à dévoiler à Mâli Sôyrou Goral… c’est-à-dire qu’il lui
rapporta
comment celui-ci le traitait depuis qu’il était au pouvoir, comment
chaque année, quand venait la fête du Sacrifice, il lui mettait l’âme en
peine en le menaçant de l’immoler.
Il lui dit : « Moi, j’ai encore bien plus envie que vous qu’il dé-
campe ! »

Selon la volonté du Seigneur, au matin,


l’aube se dégagea du voile des ténèbres19,
le soleil s’éleva et il fit matin :
le soleil brûle l’épaule, alors un aveugle sait que c’est le matin et il
entre dans sa case ; c’est à cela qu’il reconnaît que c’est le matin.
Il avait un beau cheval tout blanc,
entravé d’une corde de pure soie attachée à son piquet ;
il lui mit son harnachement ;
il revêtit une tunique de bougué brodée de soie20 ,
par-dessus, il mit une tunique blanche en bandes de coton.
Il plaça en travers de la selle un fusil à deux coups, au canon effilé, en
acier trempé ;
il mit en bandoulière une sacoche de poudre,
de l’autre côté, il mit en bandoulière une sacoche de balles
et, par-dessus toutes ses affaires, il ceignit un baudrier de cuir.

Il prit la direction de la demeure du roi, lui, Négué Alawo, le Diâ-


wando.
Il fit partir son cheval ventre à terre jusqu’au milieu de la cour ;
il le tint bien en main comme une pièce d’un franc,
il le reprit bien en main comme un bâton de vieux sage,
il fit s’arquer son cheval, tel un écureuil,
il le fit se détendre, tel un poisson-écureuil au fond du fleuve.
Il mit violemment pied à terre et le bougué, sur sa tête, se déroula.
Il dit au roi : « C’est chez toi que je suis venu ! »
Il poursuivit : « Je suis venu pour que tu me donnes des bœufs
porteurs,

19. Textuellement : « une lueur diffuse déroula le pagne de ténèbres », le verbe


taartude évoquant le geste d’une femme qui défait le pagne qui la ceint.
20. Bougué : mousseline très fine teinte à l’indigo, et d’un noir à reflets métalliques.

47
GARANE MÂDIAGA

que tu me donnes des sacs de cuir.


Je m’en vais partir, je m’en vais ramasser21 mes lots d’or qui se
trouvent à travers le pays
et, avec eux, ce que j’obtiendrai en sus
grâce à ton prestige à toi qui es le roi,
et, en tant que ton ami, j’apporterai des richesses et les collecterai.
Notre existence ici-bas a été des plus douces !
Et, aussi longtemps que ce sera toi qui règneras sur ce pays, je sais
que je l’emporterai sur mes semblables. »
Il flatta l’esprit du roi au plus haut point
et l’esprit du roi mordit à l’hameçon22 :
toutes les richesses qu’il serait allé amasser, c’est à lui qu’elles ap-
partiendraient, et comme il le tourmentait, tout ce qu’il lui donnait lui
reviendrait, puisque quand la fête du Sacrifice approcherait… il
n’aurait plus droit à la richesse23.

À cause de ce qu’il avait dit à son propos et qui l’avait fâché, le


Diâwando devait lui faire des dons pour ne pas être vilipendé.
Il allait bien le soigner !
Et, la fête arrivée, tout ce qu’il lui aurait donné, il le récupèrerait.

Le roi lui donna des bœufs porteurs,


il lui donna des sacs de cuir.
Négué s’enfonça donc à travers le royaume
pour, dès lors, s’employer à arracher
l’œil du roi avec la propre main de celui-ci24,
c’est-à-dire que, celui-ci étant roi, c’était en exploitant son prestige
qu’il s’en allait se procurer des richesses qu’il apporterait ensuite
jusque chez Sêkou Âmadou pour aller y chercher une armée.

Il se mit en route avec les bœufs porteurs et les sacs de cuir ; il prit de
l’or dans leur pays, et, quand il en eut suffisamment,
alors, il s’achemina vers
Le Croqueur-de-lettres,
Le Manieur-de-sabre25,

21. Textuellement « approcher ».


22. Textuellement « s’accrocha ».
23. Textuellement « ça lui interdirait la richesse », puisqu’il en ferait les frais.
24. Proverbe invoqué pour illustrer une traîtrise.
25. Textuellement « celui qui se bat avec un sabre ».

49
GARANE MÂDIAGA

Celui-qui-tourmente-les-porteurs-de-pantalons26 qui refusent la sainte


lutte pour Dieu,
celui qu’on appelle le Sabreur, le Vainqueur,
Celui-qui-distribue-[le-butin]-mais-se-l’interdit-à-lui-même,
l’Égreneur-de-chapelet, le Héraut-de-la-vérité-divine,
notre souverain entre Tombouctou et Djenné, naguère,
c’est-à-dire Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou.
En ces jours-là, il trouva que le royaume de Sêkou Âmadou s’étendait
entre Tombouctou et Djenné et que la religion de Dieu y était
manifeste.
En ces jours-là, dit-on, Sêkou Âmadou régnait sur cent mille ag-
glomérations…
soixante-sept mille agglomérations… euh…
en ces jours-là, dit-on, Sêkou régnait sur soixante-sept mille ag-
glomérations,
voilà ce qui constituait le royaume entre Tombouctou et Djenné :
soixante-sept mille agglomérations.

(C’est du moins ce que j’ai vu là-bas… [chez un Peul].


Ce Peul27, je dois dire qu’il n’a pas gardé pour lui ce qu’il a acquis ;
il n’a point contracté de dettes28 et a été sans convoitise pour le monde
d’ici-bas,
il n’a point succombé aux séductions de Satan et les ennemis de son
aïeul n’en ont pas réchappé au jour de Nôkouma29 ; il s’agit de
Amîrou Souka et c’est ce que j’ai pu voir sur des feuillets qui se
trouvaient chez lui).
En ce temps-là, il se trouvait que Sêkou Âmadou avait installé dans
son royaume, c’est-à-dire dans ces soixante-sept mille aggloméra-
tions…

26. C’est-à-dire les hommes adultes et responsables.


27. Le Peul dont il s’agit ici, Amîrou Souka, est un descendant de Sêkou Âmadou,
chez lequel le narrateur a trouvé des manuscrits dont il utilise le contenu pour la
description qu’il nous fait du royaume de Hamdallâye.
28. Le narrateur loue la générosité et la piété de ce personnage et précise qu’il ac-
complissait scrupuleusement ses devoirs religieux : les dettes ici invoquées sont les
prières ou les jours de jeûne que l’on a sautés et que l’on doit « rembourser » dès
qu’on le peut.
29. La bataille de Nôkouma (ou Noukouma, lieu situé à une trentaine de kilomètres
au sud de Mopti et à environ quatorze kilomètres à l’ouest de Kouna) opposa les
Peuls païens du Massina alliés aux Bambara de Ségou, au marabout peul Âmadou
Hammadi Boûbou qui devait devenir le célèbre Sêkou Âmadou ; elle eut lieu, selon
les auteurs, en 1810 (d’après Sékéné-Mody CISSOKO), en 1818 (d’après A. Hampâté
BA), en 1817-18 (d’après Bintou SANANKOUA). Elle marque la première victoire du
futur Sêkou Âmadou, dans la « guerre sainte » qui aboutit à la constitution de la
Dîna, ce que l’on a appelé l’Empire peul du Massina.

51
GARANE MÂDIAGA

il y avait installé trois cent quarante rois


qui légiféraient conformément au Livre du Coran :
ils étaient les notabilités de son temps.
En ce temps-là, dit-on, l’autorité de Sêkou Âmadou était telle qu’il
convoquait dans Hamdallâye
ses chefs de lignage :
cent seize mille
chefs de lignage.

Ce n’est pas là seulement une façon de dire « un grand nombre de


personnes », mais c’était bien Un tel, chef de lignage…, Un tel, chef
de lignage… jusqu’à atteindre le nombre de cent seize mille hommes.
(Tout, il l’a écrit tel quel et, à moins que ce ne soient les scribes qui
l’aient falsifié, pour moi en tout cas, je n’ai pas fait d’erreur.
C’est ainsi, exactement, qu’ils l’ont dit).

En ce temps-là, dit-on, il y avait là-bas, dans Hamdallâye même,


soixante
petits marchés,
c’est-à-dire des marchés où l’on vendait des entraves pour chevaux,
où l’on vendait des bandes de coton, où l’on vendait des cauris, où
l’on vendait des couteaux qui se portent au côté30… (Eh, toi ! C’était
ainsi à leur époque !)

En ce temps-là, dit-on, il y avait soixante-quatre endroits où l’on


menait les vaches laitières,
à Hamdallâye,
c’est-à-dire comme emplacements de parcs à bestiaux ;
ils se trouvaient à la périphérie de Hamdallâye et les vaches ne
pénétraient pas dans la ville pour y causer aux gens des dommages ;
bien plutôt, elles étaient leur bien, et ils en tiraient profit.

En ce temps-là, le chroniqueur a dit…


il a dit qu’il avait visité Hamdallâye et qu’il avait trouvé… à l’inté-
rieur de
la mosquée de Hamdallâye,
trois mille vases à ablutions :
il les avait comptés jusqu’au dernier.

30. Il s’agit des couteaux et des poignards que l’on suspend soit à sa ceinture, soit
aux quartiers de la selle.

53
GARANE MÂDIAGA

Il a écrit cela pour, ainsi, rendre grâce à Dieu de la supériorité de


Sêkou Âmadou : en ce temps-là, ces trois mille vases eux-mêmes,
quand la foule accourait pour prier, le nombre des fidèles en dépassait
le nombre
si bien qu’il y en avait qui se préparaient à l’avance chez eux-mêmes
et il y en avait qui attendaient sur place que leurs frères en aient
terminé.
En ce temps-là, au dire du chroniqueur,
il y avait cent vingt orphelinats à Hamdallâye :
pas un enfant dont les parents étaient morts ne restait seul ; ils étaient
à la charge de Sêkou Âmadou.
On a dit qu’il prenait un tel soin de ceux qui n’avaient plus personne,
lui, Sêkou Âmadou, que, sitôt réveillé, il n’allait pas siéger dans son
Conseil qu’il ne soit allé auparavant saluer tous ces orphelins,
et voir comment ils avaient passé la nuit.
En ce temps-là, au dire du chroniqueur, il y avait sept cent quarante
écoles
dans Hamdallâye.
En ce temps-là, au dire du chroniqueur, il y avait cent
personnes
chefs de guerre, à Hamdallâye ;
et eux tous,
pour leurs projets, c’était Alfâ Bâ Lobbo qui en avait la responsa-
bilité31, c’est-à-dire Bâ Lobbo Bôkari32.

Bâ Lobbo a été un homme épris de combat,


vaillant au combat,
plein de vigueur au combat,
jubilant dès qu’il entendait parler de combat,
redoutable au combat, sans peur au combat
et à qui furent octroyées maintes et maintes victoires au combat.
C’est lui qui fut un lion des Peuls :
Bâ Lobbo, ce fut lui qui livra combat, à Fô !
Bâ Lobbo, ce fut lui qui livra combat, à Folômâni33 !

31. Textuellement « leur point de vue, à Alfâ Bâ Lobbo, revenait ».


32. Bâ Lobbo Bôkari est un neveu de Sêkou Âmadou ; il joua un grand rôle, comme
chef suprême des armées du Massina, sous le règne de son cousin Âmadou Sêkou.
Plus loin, il appelle Sêkou Âmadou « père », comme est normalement appelé tout
oncle paternel.
33. Folômâni est une déformation de Poromani, à 28 km environ au sud de Djenné,
où eut lieu le premier combat qui marqua la marche d’El Hadj Oumar sur
Hamdallâye et mit aux prises les guerriers du conquérant foutanké et les Peuls du
Massina commandés par Bâ Lobbo. Cette bataille eut lieu le 7 mai 1862 (d’après E.
DUCOUDRAY, El Hadj Oumar, A.B.C.N.E.A. 1975).

55
GARANE MÂDIAGA

Bâ Lobbo, c’était lui qui avait livré combat, à Koûndougou !


Bâ Lobbo, ce fut lui qui livra combat, à Dandi.
Les Peuls controversent sur la question de savoir si la religion avait
franchi le Petit-Fleuve-Rouge ou bien…
ou bien si Bâ Lobbo n’a pas franchi le Petit-Fleuve-Rouge ; mais en
tout cas, il est une chose sur laquelle ils n’ont pas de controverse :
où qu’il passât une nuit… sitôt qu’il avait réussi à passer la nuit en
plein cœur d’une ville, ce jour même, quiconque ne se convertissait
pas ne devait plus passer la nuit dans cette ville-là ;
car quiconque, cette nuit-là, n’était pas devenu musulman, passait la
nuit ligoté :
ou bien il mourait, tout ligoté, et on le faisait sortir pour l’enterrer
dans cet attirail ; ou bien il restait ligoté jusqu’à ce que, au matin, il se
convertisse.
C’est seulement s’il ne s’était pas converti qu’il mourait dans ses liens
et qu’on le faisait sortir ainsi.
Hé ! Voici comment les Peuls ont décrit Bâ Lobbo : partout où il
fichait des piquets de malheur34,
il ne les en tirait plus qu’ils ne soient devenus des piquets de sou-
mission.
C’est-à-dire que partout… où il s’installait pour te livrer combat, il
n’en partait pas sans avoir remporté la victoire, dût-il y rester toute
une année35.

C’était lui qui donnait des instructions aux cent chefs de guerre au
complet.

Le Diâwando, à force de questionner,


le Diâwando, à force de parcourir le pays,
le Diâwando se rapprochait et il était de mieux en mieux renseigné :
plus il se rapprochait, plus il avait de renseignements ;
et il finit par apprendre chez qui il devait descendre loger :
on lui dit qu’il devait descendre chez Birêma Kalîlou.
Il entra dans Hamdallâye, au dire du chroniqueur, à l’heure de la
prière du matin.
Il s’enquit de Birêma Kalîlou Birêma.
On lui indiqua la porte de Birêma, mais Birêma se trouvait alors sous
le grand portique de la salle du Conseil, là-bas ;
et il était assis, en plein prône.
Ils étaient mille hommes,

34. Il s’agit des piquets auxquels on attache les chevaux.


35. Textuellement « d’un haram (premier mois de l’année) à un haram ».

57
GARANE MÂDIAGA

de ceux qui ont coutume de combattre jusqu’à ce que le sang leur


atteigne les poignets
et qui, quand la bataille fait rage, n’en sont que plus exaltés,
de ces hommes qui connaissent le Coran par cœur,
qui observent les cinq prières,
qui exultent lorsqu’ils entendent parler de Guerre Sainte et sont
d’accord avec leurs rois.
On dit à Birêma : « Tu as un hôte ! »
Birêma se dirigea précipitamment vers sa porte d’entrée :
« Eh bien ! Salut, Salut ! Es-tu en bonne santé ! »
C’est en ces termes que les fils d’Adam réjouissent l’âme de celui
qu’ils saluent.
Quand tu vois quelqu’un d’apparemment aussi prospère que toi, si tu
as quelque discernement, tu t’en rends compte ;
or, celui-ci lui ressemblait et semblait issu d’une très bonne origine.
Tournant la tête, il chercha des yeux un homme,
il vit un captif, du nom de
Arsiké Malâdo Mangal ;
c’était un captif de la maison de Sêkou.
Il lui dit de partir pour lui dans la brousse ; il lui remit de l’argent,
il dit de lui acheter un taureau et de l’amener.
L’autre s’en fut donc acheter un taureau de trois ans qu’on amena ;
on lui trancha les jarrets,
on fit réunir des condiments…
gamins firent foule autour de ceux qui dépouillaient la bête,
chiens s’attroupèrent, un peu à l’écart
et chats firent cercle autour de celles qui servaient les plats.
Les nouvelles affluèrent dans la concession tandis qu’il lui faisait
grand honneur. Ils restèrent là jusqu’à ce que Dieu voulût qu’il fît
jour, le lendemain.

Il lui dit : « Je veux que nous nous en allions


prier dans notre mosquée, là-bas. »
Négué Alawo lui dit : « Pour moi, en tout cas, je ne saurais y aller. »
Il dit : « Et pourquoi ? »
Il dit : « Moi, je ne sais pas prier.
Je ne sais absolument pas comment on prie.
Je ne veux pas, non plus, que les gens s’aperçoivent que je ne sais pas
prier et qu’ils se gaussent de moi.
Il faut que tu m’enseignes la prière, chez nous, ici, auparavant. »

59
GARANE MÂDIAGA

— « Mais c’est que Sêkou Âmadou a déclaré qu’il n’admettait pas


qu’un homme vienne ici et manque l’heure de la prière ! »
— « Va, dit-il, dire de ma part à Sêkou Âmadou que je ne sais pas
prier,
demande-lui qu’il t’autorise à m’enseigner la prière auparavant ;
lorsque j’en serai capable, je viendrai ; car, lui aussi, j’ai une question
à traiter avec lui. »
Il dit : « D’accord ! »
Birêma s’en alla et il dit à Sêkou : « Dispense-moi de venir à la
mosquée tous ces jours-ci :
j’ai un hôte
qui ne sait pas prier.
Il m’a dit qu’il avait aussi une question à traiter avec toi, mais que je
lui apprenne auparavant à prier afin qu’il puisse venir à la mosquée. »
Il dit : « C’est d’accord ! »
Négué Alawo resta donc là-bas, avec Birêma
et, après qu’on lui en avait donné les explications en peul, quand
arrivait l’heure de la prière, ils priaient ;
bientôt, Birêma se mit en devoir de lui noter les signes qu’on utilise
pour écrire
jusqu’à ce qu’il ait vu, là, l’alphabet.
Et il passa là une année ;
il n’était point pressé pour son affaire.
Au bout d’une année complète,
il était capable de parler peul
et il avait vu les coutumes de Hamdallâye.
Il dit : « Birêma ! » Birêma lui dit : « Oui ! »
Il dit « À présent, je dois t’exposer ce qui m’a amené. »
Ici les griots36 disent que, du jour où il séjourna là-bas, chaque matin,
à son réveil, Birêma abattait pour lui un taureau ;
et, chaque matin, à son réveil,
lui aussi,
il mesurait une pleine mesure d’or, débordante,
et la remettait à l’épouse de Birêma.
(Mais cela, je ne l’ai pas lu, rapporté en ces termes, dans des feuillets,
tandis que ce qu’à présent je rapporte, je l’ai vu tel quel dans des
feuillets).

Il dit à Birêma : « Aujourd’hui, je vais t’exposer ce qui m’a amené à


Hamdallâye.

36. Textuellement « les castés » ou « les artisans » : cette confusion au niveau


lexical reflète une même confusion sur le plan sociologique, les artisans, castés,
notamment les tisserands pouvant, dans cette région, être griots.

61
GARANE MÂDIAGA

Nous avons – dit-il – un roi qui nous cause bien des tourments ;
ce roi – dit-il – se nomme Garane Mâdiaga ;
il est si puissant – dit-il – que, s’il entend gronder le ciel, il demande :
“qui fait gronder le ciel ?” Or, nous, nous n’en savons rien,
nous lui disons : “un autre roi qu’on appelle Dieu”.

Alors, lui, il ordonne que, dans mille fusils à double canon, on mette
de la poudre,
que, dans mille fusils à double canon, on mette de l’explosif et qu’on
tire.
Il dit que si ce Dieu qui est là-haut a fait du tintamarre, il saura que lui
aussi, ici sur la terre, il a fait du tintamarre.
– Il dit à Birêma – l’irritation a grandi en moi : je dispose de dix mille
hommes,
et même davantage ;
soixante chefs de lignages m’ont dépêché pour que je vienne à toi ;
nous voudrions prier, mais nous ne savons pas comment se fait la
prière commune.
Nous venons nous plaindre auprès de Sêkou Âmadou ; comment faire
pour que j’obtienne des chevaux37 ? »
Birêma lui dit : « C’est très facile ;
en effet, je sais que, actuellement, Âmadou Sêkou38…
récemment, Sêkou a fait don de mille cauris, là-bas, sous le portique
de la mosquée, la bénédiction divine étant appelée sur lui,
récemment Sêkou a fait don, là-bas, de mille dinars ;
récemment, Sékou a fait don, là-bas, de quarante brasses
de bandes de coton tissé,
parce qu’on lui a constitué un escadron de chevaux de guerre, et que
ces chevaux lui ont été dévolus ; et tous les musulmans, de leur côté,
ont appelé sur lui la bénédiction divine,
– sur lui, Âmadou Sêkou.
C’est son préféré, un fils cher à son âme39.
Si tu cherches à l’avoir avec toi,
et si, ainsi, il s’en va avec toi, alors, tout ce que Sékou n’aura pas fait
dans cette expédition pour qu’elle soit victorieuse, c’est que ça ne lui
aura pas été possible.
Votre roi est très puissant, il est mauvais et le pays est loin.

C’est le fils de Sêkou, que tu dois chercher à avoir pour toi. »

37. Des chevaux : c’est-à-dire « des cavaliers ».


38. Il s’agit du fils de Sêkou Âmadou.
39. Textuellement « est collé à l’âme ».

63
GARANE MÂDIAGA

Il dit : « Que devrai-je faire pour que Sékou m’accorde son fils ? »
Il dit : « Tu iras à la mosquée, là-bas, tu l’appelleras, tu lui diras que
la religion…
que tu es entré en guerre contre quelqu’un qui ne suit pas la religion
de Dieu et que, bien qu’appartenant à la même communauté que lui,
tu ne l’aimes pas ; tu lui diras que, toi, tu es venu chercher la religion
de Dieu ;
et tu verras qu’il te donnera, des chevaux.
Quel que soit le nombre de chevaux qu’il te donnera, ne dis mot.
Sêkou – dit-il – a une habitude :
si – dit-il – il t’a fait don de ce que peut prendre une main, et que tu
l’as pris d’une seule main, il en ajoutera encore autant ; et, à moins
que tu ne l’aies pris des deux mains,
il se dira que tu n’en as pas fait grand cas ;
si – dit-il – il t’a fait don de ce qu’une bouche agrée, c’est-à-dire de ce
pour quoi l’on dit “merci”, une chose pour laquelle ce mot
est prononcé…
là aussi – dit-il –, si tu ne lui réponds pas, si tu ne lui dis pas
“merci !”, même sans être resté silencieux,
dans ce cas aussi,
il t’appellera, te demandera si ce qu’il t’a donné, tu ne l’apprécies pas
et, tout ce que désire ton âme, s’il le possède, il te le donnera.
Sêkou aime beaucoup qu’on l’estime. »
Il dit : « D’accord ! »

Il s’en tint là… jusqu’au jour où il se rendit à la mosquée.


Des hommes au cœur bouillant d’exaltation40, qui ne redoutent que de
faillir et ont des dards hardis, s’y rendirent ;
ils commencèrent de prier ;
ils firent la prière du moment et sortirent.
Âmadou Hammadi Boûbou Sa’îdou Alhâdji Môdi Hammadi – tel
était le nom de Sékou – ,
le Peul, sortit d’une démarche altière.

Négué dit à Sêkou Âmadou : « J’ai invoqué la religion de Dieu,


voilà ce qui m’a conduit à Hamdallâye pour y rester à attendre de
connaître ton caractère,
c’est-à-dire, de connaître ta nature. »

40. Textuellement « exalté des flancs ».

65
GARANE MÂDIAGA

Il dit encore à Sékou Âmadou Hammadi Boûbou : « J’ai quelque


chose à te dire : nous avons un roi d’une prétention invétérée ; il
s’appelle Garane Kouroubali.
Il nous a infligé bien des souffrances. Nous avons soixante chefs de
lignage
qui, tous, ont déclaré qu’ils voudraient se convertir ; mais ils ignorent
comment on prie ; ils ne connaissent pas Dieu ;
ils ont dit que nous venions te trouver, que nous cherchions des
chevaux afin que ce roi soit détrôné, et qu’ils voient ainsi s’ils
peuvent venir, eux et leurs familles ; il n’y a que ce moyen, car le roi
n’acceptera pas qu’ils viennent. »
Sêkou Âmadou lui dit : « Je te donne les chevaux du Peul dénommé
Boûbakari Hambolâwi de Haoussa-Tiôki. »
Il ne dit mot,
il ne répondit pas à Sékou.
Alors Sêkou lui dit : « Je te donne les chevaux du Peul dénommé
Boûbakari Hambolâwi qui appartient au groupe des Haoussa-Tiôki. »
Il ne dit mot,
il ne répondit pas.
Sêkou lui dit encore : « Je te donne les chevaux du Peul dénommé
Boûbakari Hambolâwi, de Haoussa-Tiôki. »
Il ne répondit pas.
Et voilà ce que disent les griots :
après son entretien avec Sêkou, au cours duquel ce dernier lui dit qu’il
lui avait donné les chevaux du Peul dénommé Bôubakari Hambolâwi,
il ne devait plus revenir le trouver de toute une année.

(C’est ainsi que les griots présentent41 la chose, et moi, je l’ai lu, tel
quel, dans les écrits ;
là où j’ai vu cela, c’était dans les feuillets du chef de Dâri,
le chef actuel, lui, s’appelle Mâmoûdou Ahmadou Oumarou Allaye
Galowal.
Et lui, m’a dit que c’était de la bouche de son père, Sêkou, qu’il
l’avait appris, pour ensuite le coucher par écrit :
il s’agit de Sêkou, le chef de Dâri.
Sêkou Amîri Dâri42, de son côté, a dit qu’il l’avait appris d’un homme
appelé Alfâ Ousmâna fils d’Ibrâhîma.
Alfâ Ousmâna Bî Ibrâhîma
lui, on l’appelait Diounnou ;

41. Textuellement « bavardent ».


42. Le titre de Amîri (chef) devient un nom attaché à la personne titulaire de la
charge.

67
GARANE MÂDIAGA

c’est un homme qui a vécu très longtemps ; on dit de lui que, en


réalité,
quand l’époque du Foûta43 l’a trouvé, c’était déjà un homme âgé).

Bon.
Que ce soit, comme l’ont dit les griots, à savoir qu’il passa une année
sans lui avoir répondu,
ou que ce soit que, lors de son entretien avec Sêkou, ils s’en soient
tenus à ces trois phrases, sans plus,
toujours est-il que, au moment où Sêkou reprit la parole, il lui dit :
« Toi qui es venu chercher des chevaux,
ce que tu cherches, ne serait-ce pas plutôt que je parte moi-même en
guerre ?
Celui que je t’ai accordé, tu n’en as fait aucun cas.
Est-ce que l’on dédaigne quelqu’un que l’on ne connaît pas ?
Tu ne le connais pas ; si n’importe quel chef vient se plaindre à moi,
est-ce à moi, en personne, de lancer une expédition et d’y aller ?
Quand des gens ne se connaissent pas, ils ne peuvent se
comprendre…
Explique-moi quelles sont tes intentions44, esclave-de-Dieu. »
Il dit à Sêkou Âmadou : « Il ne s’agit pas que tu y ailles.
Mais – dit-il – je voudrais que, aux gens à qui je vais le présenter, je
puisse dire : “celui-là, c’est un fils de Sêkou !” »
Sêkou rit,
et lui dit : « J’accepte, je t’accorde mon Âmadou :
tu n’auras qu’à partir avec lui ; on lui a préparé ici des cavaliers45,
c’est-à-dire qu’on lui a amené une troupe de cavaliers ; tu partiras avec
eux tous.»
Alfâ Bâ Lobbo se redressa
et lui dit : « Père, je t’en prie, pour l’amour de Dieu, permets-moi de
partir avec notre Âmadou.
On l’a placé où il mérite de l’être ; mais en tant que prince, il est
d’une témérité par trop inconsidérée.
Si Âmadou tombe au combat, autant dire que c’est mon propre
cadavre que je contemplerai : nul ne nous séparera qu’il ne m’ait au-
paravant occis, ou que j’aie fait, pour lui, en sorte qu’on le revoie46…

43. C’est-à-dire vers 1862, lorsque El Hadj Oumar arriva du Foûta-Tôro dans le
Massina, après avoir envahi l’empire de Ségou.
44. Textuellement « Ce qui est trouvé en toi ».
45. Textuellement « façonné ici des chevaux » ; le verbe tafude évoque l’idée de
forger et de façonner un objet en le concentrant en quelque sorte dans sa forme
définitive… On pourrait traduire ici par « rameuter » au sens propre.

69
GARANE MÂDIAGA

pour le traiter comme il convient que soit traité celui qui a été rappelé
devant son Seigneur,
c’est-à-dire que l’on puisse contempler son cadavre47 [et l’ensevelir] ;
et, s’il se trouve que Âmadou reste debout, moi aussi je resterai de-
bout ; mais je n’ai pas confiance qu’il parte tout seul avec la cava-
lerie. »
Sêkou garda le silence par délicatesse.
Alfâ Bâ Lobbo reprenant la parole, lui dit : « Mon père, je voudrais
que tu me permettes de partir avec notre Âmadou.
Si Dieu a décidé qu’il soit sauvegardé,
alors, c’est en ma présence qu’il le sera, et s’il ne devait pas en être
ainsi, je contemplerai son cadavre ; je n’ai pas confiance que Âmadou
parte seul avec les soldats qui ont été levés. »
Sêkou garda le silence par délicatesse.
Alfâ Bâ Lobbo se tourna vers un homme accompli et tout plein de
science, autant dire un savant
et plein, aussi, de dévotion en Dieu,
un vaillant du nom de Âmadou Ham-Barké Hammadi Âli Soulay-
mâna Moûssé.
Il dit à Âmadou Ham-Barké : « Convainc48 pour moi mon père : je le
supplie pour l’amour de Dieu de me permettre de partir avec Âmadou.
Je ne suis pas d’accord de le laisser, lui, tout seul avec les soldats49
recrutés pour l’accompagner ».
Sêkou lui dit : « J’ai entendu, j’accepte. »
Alfâ Bâ Lobbo passa la nuit comme un homme en instance de départ :
la nuit se passa en prières50,
la nuit se passa à fourbir des lances,
la nuit se passa à grossir les rations des chevaux,
la nuit se passa, pour les palefreniers, à tasser leurs restes de foin…
jusqu’à ce que Dieu voulût qu’il fît enfin matin.

Les destriers furent couverts de leurs coussins de selle ;


ils furent parés d’écarlate51 et de laiton, qui sont parures de cheval.

46. Cela veut dire que Alfâ Bâ Lobbo prend l’engagement, s’il est témoin de la mort
de Âmadou Sêkou, de ramener son cadavre pour qu’il soit enseveli selon les règles
islamiques.
47. Le verbe tiimude signifie au sens propre « surplomber, regarder de haut », com-
me le font les gens qui entourent un mort, pour l’ensevelir.
48. Textuellement « fais-moi atteindre mon père ».
49. Textuellement « les enfants ».
50. Ces prières sont plus précisément des demandes de bénédiction.
51. Murufe ou burufe désigne un drap rouge écarlate, une sorte de velours rouge (cf.
múrufe en bambara, mulfu en songhay, mulufi, en haoussa) utilisé pour le capiton
des selles. L’image ici signifie que les chevaux sont sellés et bridés.

71
GARANE MÂDIAGA

Les Peuls ceignirent leurs têtes de bougué,


ils ce ceignirent les reins de draps de qualité, c’est-à-dire de ce que
l’on revêt pour s’équiper : telle était la coutume des Peuls ;
ils enroulèrent autour de leurs jambes, comme des bottes, des mol-
letières souples brodées de soie, toutes choses que se met un cavalier
pour se faire beau.
Les Peuls se regroupèrent entre l’entrée de la mosquée et la maison de
Sêkou.
Sêkou s’éveilla, il bénit leur départ52 ;
il leur fit un bout de conduite, puis s’en retourna.
Il appela un Peul qui était avec les cavaliers et se nommait Oumarou
Alfâ.
Il dit à Oumarou Alfâ : « Je te confie Âmadou.
S’il t’est confié – dit-il –, c’est parce qu’un enfant n’est jamais qu’un
enfant.
Celui qui, à sa naissance, a trouvé la prospérité est plein de pré-
somption. Sois vigilant et, s’il fait mine de vouloir faire une chose qui
ne soit pas droite, remontre-lui qu’il n’est pas d’homme dont
l’intelligence ne puisse être trahie.
Tous ses compagnons, il suffira qu’il dise “faisons cela !”, pour qu’ils
lui disent “faisons-le !”.
L’amitié, ce n’est pas de suivre quelqu’un pour lui faire plaisir.
S’il fait quoi que ce soit de tordu, remontre-lui que cela est tordu, ne
te fais pas scrupule de lui dire la vérité ! »
Il dit : « C’est bon, mon Sêkou ! Dieu fasse éclater la vérité ! »
C’est Oumarou Alfâ qui répondit ainsi.
Ils détalèrent, ils se mirent en route ;
la poussière se plaqua contre le ciel ;
des fantassins s’insinuèrent parmi les cavaliers comme s’insinuent
dans un tissu les fils, quand on le coud.
Les palefreniers, eux, avec les provisions de route des chevaux, ve-
naient à la suite.
Les lances, sous le soleil, se rassemblant, scintillaient,
le bougué
qui est bleu, avec les chevaux blancs, tout cela faisait très… très joli.
Voilà ces Peuls en route pour une marche de plusieurs jours,
et qui font diligence, portés, dans cette marche, par l’ardeur d’aller au
combat.

52. Fanii : au sens propre, ce verbe signifie « faire une prière de bénédiction pour
protéger des gens, en récitant la fatiha, au moment de leur départ ».

73
GARANE MÂDIAGA

Tous leurs bivouacs connaissent l’animation des chevaux


et, quand ils reprennent la route, ils y laissent des piquets.
Ainsi, leur marche ne connut pas de terme jusqu’à ce qu’enfin ils
fussent arrivés aux abords de la ville ;
coupant à travers les terres,
ils bivouaquèrent sur place.

Almâmi Âmadou se réveilla, au matin, c’est-à-dire Âmadou Sêkou.


Il se réveilla au matin, et lui, le Diâwando dénommé Négué Alawo…
ce Diâwando, donc, s’en vint trouver… Âmadou.
Il dit : « Âmadou ! Aujourd’hui, vraiment, je voudrais te présenter une
requête ; depuis que nous nous sommes rencontrés, je ne t’en ai point
présenté. »
Âmadou lui dit : « Présente-la-moi, Diâwando. »
Il dit : « Je voudrais que tu m’autorises à tricher. »
Âmadou lui dit que, vraiment, un homme qui prohibait la tricherie ne
saurait tricher.
Il dit à Âmadou : « Je voudrais que tu m’autorises à tricher. »
Âmadou lui dit que, vraiment, un homme qui prohibait la tricherie ne
saurait tricher.
Il dit à Âmadou : « Je voudrais que tu m’autorises à tricher. »
Âmadou lui dit : « Explique-moi tes intentions. »
Il dit : « Je voudrais que les soixante hommes avec lesquels j’ai en-
gagé cette action, eux tous, j’entre les avertir que nous sommes ar-
rivés et que, pendant la nuit, ils sortent.
Le roi ne sera pas rapidement au courant de leur départ pour la bonne
raison que, si la guerre éclate le lendemain même du jour où ils seront
sortis, le roi n’enverra avertir aucun d’entre eux de venir au combat53.
Et, sur le champ de bataille, si c’est lui qui, sur nous, a la victoire, du
moins aurons-nous peut-être ouvert la voie à un progrès de la
religion ;
et, si jamais c’est nous qui, sur lui, avons la victoire, là encore, nous
aurons ouvert la voie à tous ceux qui – moi du moins – m’intéressent ;
car, je ne veux pas que le malheur les trouve là-bas, ne sachant pas si,
au cas où il les y trouverait, ils en réchapperaient ou non.
J’ignore s’il les a trouvés là-bas. »
Âmadou lui dit : « Mais, si c’est cela, c’est une bonne chose, c’est
réaliser une promesse54. Pars, va-t’en les avertir que nous sommes
arrivés. »
Il dit : « Je n’ose pas m’y introduire de jour. »

53. Il a été expliqué plus haut que les Diâwambé ne participaient pas aux tâches
guerrières.
54. Sous-entendu « et non pas une tricherie, comme tu l’annonçais ».

75
GARANE MÂDIAGA

Les cavaliers bivouaquèrent là


jusqu’à la nuit.
Alors il s’introduisit dans la ville, lui Négué Alawo, le Diâwando.
Il avertit chacun de ceux avec qui il avait monté le coup.
Ils lui dirent qu’ils avaient compris, et qu’ils étaient d’accord.
Ils se préparèrent ;
ils prirent leurs petits domestiques ;
tout ce qui pouvait s’emporter, ils l’emportèrent
et ils vinrent.

Âmadou dit qu’à présent, il voulait un homme pour les ramener chez
son père.
Il l’appela en consultation,
lui, Oumarou Alfâ.
Âmadou lui dit : « Mon père a dit que, pour tout ce que j’entre-
prendrai, je prenne conseil de toi.
Quel est l’homme qui doit partir avec eux – qui sont des hôtes
étrangers, auxquels on doit indiquer le chemin à suivre –, un homme
qui soit avisé, qui ne maltraitera pas les petits domestiques, ne
fatiguera pas celui qui est déjà fatigué,
c’est-à-dire qui attendra celui qui sera fatigué,
qui prendra bien soin d’eux, ne leur causant aucun dommage, ne se
fâchant contre aucun ;
car les gens, quand ils ne connaissent pas quelqu’un, ne sont pas
spontanément aimable avec lui. »
Il dit : « Vois Mâmaningué. »
Mâmaningué, c’était un captif appartenant à la maison de Sêkou
Âmadou, qui s’appelait ainsi.
C’était un captif de Sêkou Âmadou, il était le fils de sa servante et il
lui était très dévoué.
Il appelait Sêkou Âmadou « oncle »55.
On dit que Sêkou s’était pris d’affection pour lui, au point que, chaque
fois que les cavaliers partaient pour une expédition de guerre sainte,
c’était lui, ce Mâmaningué qui détenait la mesure de voyage pour les
chevaux56.

Partout où ils bivouaquaient, c’était lui qui, vers minuit, se levait, et


passait sa nuit à leur distribuer leur ration ;

55. Plus exactement « oncle maternel », oncle avec lequel on entretient tradition-
nellement une relation privilégiée.
56. Il s’agit de la mesure utilisée pour distribuer aux chevaux leur ration de nour-
riture ; Mâmaningué est une sorte d’intendant des écuries.

77
GARANE MÂDIAGA

chacun avait sa fonction propre parmi les combattants de la guerre


sainte.
Et, si les provisions de route des chevaux venaient à s’épuiser,
il avait une lettre de Sêkou Âmadou qui y avait écrit, pour lui, l’é-
quivalent de ce que l’on appelle aujourd’hui une procuration57.
L’ordre de Sêkou s’y trouvait ; de sa propre plume, il l’avait écrit pour
lui.
Dans tous les villages qui étaient sous le commandement de Sêkou,
s’il apportait cette lettre,
il lui suffisait de la montrer pour que, eût-il ordonné qu’on lui remît
mille mesures, elles lui étaient remises.
Et, après cela, il lui suffisait, une fois rentré à Hamdallâye, d’an-
noncer aux musulmans : « voilà, moi, j’ai emprunté pour les chevaux
de la guerre sainte telle quantité de mesures de grain », pour qu’on en
prélevât le prix sur le trésor public et que l’on payât la dette,
c’est-à-dire, sur le trésor des musulmans58, on prélevait le montant et
on le payait.
On a dit que ce captif avait gagné à ce point l’affection de Sêkou
qu’il détenait la mesure de la ration des chevaux.
Âmadou Sêkou l’appela et lui dit : « Mâmaningué, c’est toi qui devras
rentrer avec nos hôtes ; tu es très calme59,
tu mènes à bien ce que l’on attend de toi
et tu es plein de vaillance. »
Il dit : « Âmadou ! Pour moi, tout ce que tu me diras, je l’accepte.
Pour ce qui est de l’expédition, je pense qu’elle sera très meurtrière et
je voudrais y combattre, même si je ne dois pas m’en sortir. »
Âmadou lui dit : « Voilà ce pour quoi, moi j’ai recours à toi, ici. »
Il accepta par déférence, car l’on dit que, vu son courage, ce fut à
contre cœur et uniquement par déférence vis-à-vis de Âmadou Sêkou
qu’il accepta.
Il partit avec eux, et un autre fut mis à sa place pour donner leur ration
aux chevaux et garder la mesure à grain.
Des griots passaient
se rendant chez le roi, pour lui jouer du luth60.

57. Textuellement « une signature ».


58. Le narrateur ne fait que traduire ici en peul (« la maison des richesses des
musulmans ») le terme arabe (beytel-maali muslimiina) qu’il a employé à la ligne
précédente.
59. Textuellement « tu es frais de cœur ».
60. Textuellement « aller frapper pour lui les crins ».

79
GARANE MÂDIAGA

Il dit à Oumarou Alfâ : « Dépêche quelques-uns de ceux qui sont là


pour qu’ils transmettent au roi la nouvelle que nous nous trouvons ici,
derrière les habitations, que c’est l’intention de l’attaquer qui nous a
conduits ici et que, si jamais nous nous trouvons face à face, la parole
qu’il n’aura pas déjà recrachée, il la gardera dans sa bouche.61 »
Oumarou Alfâ lui dit qu’ils n’accepteraient pas de lui transmettre un
tel propos.
Âmadou lui dit : « Pour moi, certes, je n’ai pas vu notre victoire sur
lui dans toutes les consultations62 que, durant ces trois nuits, j’ai tenté
de faire ; si nous posons le pied dans cette ville, pour sûr, nous ne
serons pas vainqueurs : cette ville a de solides protections magiques et
leurs fétiches sont dangereux.
Dieu leur a accordé ce qu’ils ont recherché ; un combattant invétéré
tel que lui n’a pas de limite à sa quête de victoire.
Il nous trouvera là, derrière les maisons où, je pense, nous avons plus
de chances d’avoir la victoire !
En fait, Dieu seul sait à qui est la victoire. »
Oumarou Alfâ lui dit : « Très bien ! »…
et il allait partir derrière eux,
mais il revint et lui dit : « Reste-t-il quelque chose de nos provi-
sions ? »
On dit qu’il restait des cauris : à peu près telle quantité ; on dit qu’il
restait de l’or : telle quantité ; il partagea les cauris et il partagea l’or.
Il en emporta et rejoignit tous ceux qui étaient les plus mûrs63 et
chenus, c’est-à-dire les adultes seulement.
Il remit à l’un des griots qui se trouvaient là – un homme mûr – ce
pécule, et il dit : « Voici ce que, une fois arrivé là-bas, tu diras de
notre part au roi :

tu lui diras que l’armée des Peuls est derrière les maisons, ici, depuis
trois jours,
et que c’est avec lui qu’ils veulent s’entretenir. »
Le vieux griot s’y rendit.
C’est ce jour-là qu’ils jouèrent
un air de musique64…

61. C’est-à-dire : « nous ne lui laisserons plus le temps de prendre la parole, il sera
mort avant ».
62. Textuellement « preuves, déductions »; il s’agit de « méditations » que l’on
interprète et qui permettent de déduire l’avenir.
63. Textuellement « tout homme qui l’emporte dans le fait d’être devenu possesseur
de poil, blanc de poils ».
64. Il s’agit de la devise musicale attachée au personnage et à l’histoire de Garane
Mâdiaga. Chaque héros possède ainsi son thème musical propre.

81
GARANE MÂDIAGA

les Bambara jouent ici, sur le luth, ce que l’on appelle « l’air de
Garane Mâdiaga ».
(Voici comment ça se joue65).

Interlude musical

(Là donc, aussi…, les Bambara d’alors ont dit que c’était Sang-Rouge
ce que les griots chantaient là).
Ce jour-là, ils jouèrent cet air – eux, les griots.
Garane leur dit que, habituellement, ils ne venaient pas là en
jouant cela !
Quelle réjouissance les avait donc amenés ?
Ou bien quel genre de richesse étaient-ils venus quémander auprès de
lui ?
Ils dirent qu’ils avaient vu une chose qu’ils n’avaient pas l’habitude
de voir.

Il leur dit : « Qu’est-ce donc qu’ils avaient vu ? » L’un d’eux dit


qu’une armée de Peuls bivouaquait derrière les maisons là-bas, depuis
trois jours ; que ces Peuls étaient munis de lances ; que ces Peuls lui
avaient dit que
c’était avec lui qu’ils étaient venus se battre et qu’on l’informe qu’ils
désiraient le rencontrer.
Quoi ! Garane dit au vieux chanteur, au vieux griot : « était-il bien
dans son assiette aujourd’hui ou bien n’avait-il pas déjeuné, ou bien
encore était-il venu pour l’insulter ou était-ce qu’il y avait longtemps
qu’il ne lui avait pas fait de cadeau ? »
Il dit : « Tu n’y es pour rien.
C’est ma mission, je l’ai remplie66. »
Garane, perdant son calme, se redressa et dit : « Soungalo ! »
Il ne dit même pas qu’on lui appelât les captifs, il se mit debout lui-
même pour les appeler.
Tout ce qui avait nom Soungalo et se trouvait en sentinelle à la porte
accourut et le trouva là, à l’entrée,
le trouva là, à la place où il se tenait.
Il dit que trois d’entre eux abandonnent leurs fusils ; ils les aban-
donnèrent. Il leur dit de partir et de lui amener trois Peuls, afin qu’il
voie si un Peul était en mesure de lui donner la réplique au combat,

65. Intermède musical.


66. Textuellement « ce pour quoi j’ai été envoyé, ainsi je l’ai fait parvenir ».

83
GARANE MÂDIAGA

si un Peul n’était pas si faible que, s’il venait à se battre avec lui, les
femmes bambara auraient l’occasion de se gausser de lui.
Ceux-ci s’en allèrent.
Si tu n’as pas bien préparé ton coup67, ton adversaire ne sera pas
ramené68 ; ils s’aperçurent qu’on ne pouvait les ramener.
Ils revinrent lui dire qu’ils n’avaient pas réussi à en amener.
Il s’emporta et leur dit d’y retourner ;

il se mordit les lèvres, se renfrogna ; ils prirent peur et sortirent.


Ils se concertèrent et dirent : « Ces Peuls, nous n’en viendrons pas à
bout, les mains nues, pour les lui amener ; et, lui, si nous n’en ame-
nons pas, il nous mettra à mort. Comment faire ? Filons – dirent-ils –
et ne nous occupons plus que de nos affaires ! »
Les trois captifs,
arrivèrent de conserve entre une colline
et un endroit qui se trouvait là et où il y avait de l’eau.

Ils se dirent qu’ils longeraient le pied de la colline ; les Peuls avaient


installé leur camp là en haut, ils abreuvaient leurs bêtes là où se
trouvait l’eau ; ils y descendaient faire leurs ablutions et prier.
Ils longeraient donc le pied de la colline ; ensemble, ils arriveraient
entre les Peuls et l’eau ;
et, si jamais ils arrivaient à dépasser l’endroit où se trouvaient les
Peuls, ils ne reviendraient plus chez le roi, c’est-à-dire chez Garane
Kouroubali :
ils passeraient leur chemin et s’en iraient.
Mais voilà qu’ils trouvèrent trois Peuls en train de faire leurs ablu-
tions.
Ils dirent : « Ce qu’ils avaient en main tout à l’heure et qui leur
donnait l’avantage sur nous, ils ne l’ont plus, et nous ne pensons pas
qu’ils se trouvent, dans ces conditions, plus forts que nous ». C’est-à-
dire que les Peuls n’avaient pas d’armes, et ils s’emparèrent d’eux par
leur seule force.
Ils les attrapèrent et trouvèrent qu’il en était bien comme ils l’avaient
pensé : [les Peuls] ne purent rien contre eux.
Ils tirèrent les trois Peuls, bon gré mal gré et, enfin, les conduisirent
au roi et lui dirent : « Voici ! »
Le roi dit aux Peuls :
« Je ne commencerai pas par vous les hostilités ; je ne suis pas tri-
cheur à la guerre :

67. Textuellement « celui avec qui tu ne t’es pas concerté ».


68. C’est-à-dire qu’il ne sera pas fait prisonnier, qu’il ne sera pas ramené vaincu.

85
GARANE MÂDIAGA

celui quel qu’il soit avec qui je dois me battre, il faut que je le trouve
sur son propre terrain et qu’il me dise qu’il est prêt pour que nous
nous battions.
Puisque vous avez été capables de quitter votre pays, que vous êtes
arrivés, que vous n’avez pas pris la ville par surprise et de nuit, que
vous n’avez pas commis de traîtrise à mon égard,
j’estime que vous avez du courage et moi, il faudra que je vous trouve
là où vous êtes et que vous vous déclariez prêts. Sachez bien,
cependant, que vous ne serez pas capables de vous battre avec moi.
Qu’est-ce donc qui vous a conduits dans mon pays ? En vérité, c’est
pour m’attaquer, n’est-ce pas ? »
Ils dirent : « Nous, nous ne tramons pas une agression ;
bien plutôt, nous barrons la route à une agression.
Ce qui nous a conduits ici, en fait, c’est l’espoir que tu obéisses à
Dieu, ton Seigneur,
que tu abandonnes l’ignorance dans laquelle nous avons appris que tu
te trouvais, et que tu entres dans la religion qui est la nôtre. »
Il leur dit : « Vraiment !
Que j’abandonne – dit-il – ce dans quoi je me trouve et que j’entre où
vous vous trouvez !
Humm, humm ! De votre Dieu ou de mon Dieu, lequel répond le plus
vite si on l’appelle ? »
Ils se protégèrent contre lui69 : ils lurent des versets qu’ils avaient sur
eux et qu’ils tenaient du Coran ; ils lui dirent que lui, il était un maudit
de Dieu !
Un chien, actuellement, valait mieux que lui !
Car – lui dirent-ils – un chien s’attache aux pas de son maître qui lui
donne de quoi manger, tandis que lui, il s’opposait à son Maître ! » Il
leur demanda « à qui donc il appartenait ? »… et ils lui dirent : « à
Dieu ».
Il leur demanda : « leur Dieu, comment était-il ? » et ils lui dirent :
« Dieu est Un. »

Lui et eux, ils échangèrent des propos acerbes.


Il leur dit qu’il verrait bien, à l’expérience, si leur roi était intelligent
dès le lendemain :
« s’il était assez intelligent pour fuir, ça irait bien…
Et – leur dit-il – au cas où il n’aurait pas fui, leur roi, comment s’y
prenait-il donc pour obéir à son Dieu ? »

69. C’est-à-dire qu’ils conjurent les paroles impies du roi en récitant des versets
coraniques.

87
GARANE MÂDIAGA

Ils dirent qu’on apportât de l’eau : on apporta de l’eau ; ils firent leurs
ablutions et ils prièrent et, sur la place, ils lui montrèrent comment se
faisait la prière.
Il leur dit : « Et qu’est-ce que cela fait à l’homme ? »
Ils lui dirent : « Cela empêche l’homme de brûler. »
Il leur dit que, si cela empêchait l’homme de brûler, eh bien, la preuve
en serait faite sur leur roi, le lendemain !
Il leur dit que, pour sûr, à son avis, si eux disaient « voilà ce qu’est
prier, voilà ce qu’est obéir à Dieu », lui, il leur disait que ce n’était pas
là seulement obéir à Dieu !
C’était surtout se trouver – leur dit-il – libre de sa personne ; car il
était bien certain que, s’il les tuait, eux, leur roi pourrait,
dès le lendemain, faire une provision de dix jours de prières ;
une fois arrivé devant lui, en effet, on ne prierait plus.
Pour s’incliner et se lever, il fallait jouir de toute sa liberté ; or, qui-
conque, en sa présence, s’inclinerait, ne se relèverait plus.
Ils s’en retournèrent informer Almâmi Âmadou de ce qu’ils avaient
vu auprès de lui ;
ils l’informèrent des propos qu’ils avaient échangés70 ; ils dirent que
ce païen était dans une ignorance extrême ;
ils firent des prières pour obtenir d’être, contre lui, secourus.
Dès le matin, cent chevaux blancs arrivèrent jusqu’à eux
et, sans dire quoi que ce fût, s’en retournèrent.
Dès le matin, cent cavaliers montés sur des chevaux à longue liste
blanche arrivèrent jusqu’à eux
et, sans dire quoi que ce fût, s’en retournèrent
– des bais bruns à longue liste blanche.
Dès le matin, cent cavaliers montés sur des bais cerise d’un ton vif,
arrivèrent jusqu’à eux et, sans dire quoi que ce fût, s’en retournèrent.
Almâmi Âmadou dit : « Dieu mette à mal ce païen ! Il a l’esprit af-
fûté !
Le voilà qui nous parle par allusions, à présent !
Les cent chevaux blancs, c’est pour dire que, pour ce qui est de lui, il
n’a pas contre nous de rancœur, puisque lui, il ne sait même pas si
nous nous valons en quelque chose.
Les cent chevaux à longue liste, c’est pour nous montrer que, de
même que la couleur foncée sur les chevaux couvre une surface
inégale par rapport à ce qu’il y a de blanc – c’est-à-dire que les
chevaux à longue liste n’ont seulement de blanc que le chanfrein
jusqu’au poitrail, tout le reste étant foncé –, de même, lui, a plus de
cavaliers que nous.

70. Textuellement « ce qui avait couru entre eux ».

89
GARANE MÂDIAGA

Que nous sommes faibles par rapport à lui, il l’a montré de cette
façon.
Les cent bais cerise, c’est pour signifier que tout homme qu’il
trouvera ici sera mis en sang.
Le païen, c’est nous qu’il veut effrayer en nous signifiant que, si nous
reconnaissons que c’est exact, nous n’avons qu’à fuir. »
Almâmi Âmadou dit aux Peuls : « Préparez-vous ! »
Tous, ils se levèrent et équipèrent les chevaux de leur harnachement,
tous, ils se placèrent entre troussequin et pommeau fauves et écarlates
(c’est la métaphore, en peul, pour désigner71 les selles des chevaux).
Tous, s’appuyant sur leurs lances, attendirent son assaut
et que n’importe quel Bambara, venu avec sa section de cavaliers,
tirât un coup de fusil.
Quant à ses gens, ils étaient déjà tous sortis, avant lui et à son insu72.
Mâmaningué partit avec eux en suivant les traces des chevaux et en
leur indiquant les chemins à prendre ;
ce sont eux que l’on appelle, dans notre pays à nous, Noirs des Peuls :
ceux que l’on appelle chez nous, actuellement, les Diâwambé du
Kârta.

Quand les cavaliers de Garane furent arrivés, Âmadou Sêkou trouva


qu’ils étaient effectivement supérieurs à ses cavaliers à lui, dans la
proportion qu’il avait dite ; ils leur étaient supérieurs, tout comme
dans le corps d’un cheval à longue liste,
l’ensemble du corps est supérieur en importance à la petite surface de
la liste.
L’autre vit les Peuls ; il estima qu’il pouvait en faire bon marché ;
il n’avait aucune envie de se battre contre eux, mais ils l’avaient of-
fensé ;
il dit alors à toute sa troupe de mettre seulement de la poudre dans les
fusils, sans y mettre de balles,
et de tirer tous ensemble
pour les effrayer,
de sorte que les coups claquent73.
Si ceux-là prenaient la fuite,
qu’ils s’en retournent chez eux.

71. Textuellement « c’est ainsi que sont célébrées, en peul, les selles des chevaux » :
le verbe employé évoque la récitation louangeuse du nom de clan et de la devise ;
« fauve » évoque les ornements métalliques en laiton, et « écarlate » le drap rouge du
capiton de la selle.
72. Il s’agit de ses Diâwambé qui sont, pendant la nuit, sortis pour se joindre à
Négué.
73. Textuellement « toussent ».

91
GARANE MÂDIAGA

Et s’ils ne prenaient pas la fuite,


à ce moment-là, ils sauraient qu’ils étaient venus pour être battus, et
alors, qu’ils lancent donc l’attaque contre eux !

Dans tous les fusils, il fut mis de la poudre ;


et ils tirèrent sur les Peuls ;
mais, les coups ne les atteignirent pas
puisqu’ils n’y avaient pas mis de balles.
Ça fit un grand vacarme ; les Peuls, nullement effrayés, dirent : « Ils
ont lancé l’attaque, lançons l’attaque ! » et les Peuls se lancèrent dans
l’action…

et, parmi les leurs, ils leur mirent des hommes à mal !
La bataille devint assez rude, et chacun des adversaires s’étant écarté
de part et d’autre, un champ de bataille se dégagea entre eux.
Alors, Garane commanda à leur troupe d’entourer les Peuls pour les
encercler.
Ils se contentèrent donc d’entourer les Peuls et de les encercler.
Il dit aux uns de rester à cheval
et de bien tenir en main les chevaux,
et qu’une partie mette pied à terre.
Ceux-ci restèrent à cheval, ils tinrent bien en main leurs montures et
une partie des cavaliers mit pied à terre ; ceux qui avaient mis pied à
terre se mirent en devoir de ramasser du bois ;
et ils disposèrent autour des Peuls une haie de fagots, de façon à les
encercler complètement.
Il dit qu’on mît le feu ;
on y mit le feu, et ils y abandonnèrent les Peuls – dans le feu – afin
qu’il puisse constater si de prier allait les empêcher de brûler.
Il s’imaginait que c’était dans ce monde même que la prière avait pour
unique particularité d’empêcher l’homme de brûler.
Durant un bon moment, chacun chercha un moyen de sortir du feu
et cela finit par contraindre les Peuls à la fuite.
Il leur dit de les poursuivre à coups de fusils chargés cette fois ; on
verrait ainsi si les Peuls décamperaient, de sorte qu’ils rentrent chez
eux assez tôt pour aller prendre leur petit déjeuner sans se trouver en-
core en selle quand le soleil serait déjà haut74.
Ils les poursuivirent à coups de fusils chargés.
Les Peuls furent très durement malmenés avant que de pouvoir sortir
de là et d’être en mesure de s’arrêter.

74. Façon alambiquée d’évoquer en s’en moquant la rapidité de la fuite des Peuls.

93
GARANE MÂDIAGA

Ils détalèrent tous ensemble si vite que, lorsque Âmadou Sêkou


s’arrêta, eux ne s’étaient pas encore arrêtés.
Âmadou Sêkou s’arrêta.
À l’instant où il s’arrêta,
il se trouva qu’un homme du nom de Am-Mâmoûdou Sêkou s’était
déjà arrêté.
En effet, Am-Mâmoûdou Sêkou, c’est celui dont on dit qu’il eut tout
son content, en allant jusqu’au bout de sa tâche, au jour de Tiâyéwal ;
c’est à cette bataille de Tiâyéwal75 que, dit-on, Am-Mâmoûdou Sêkou
fut ainsi désigné.
(La raison pour laquelle il fut ainsi désigné,
peut-être viendrai-je aussi vous en parler plus tard).

Un homme du nom de Âli Goûro Sa’îdou Guélâdio se tenait arrêté là,


à côté de Âmadou Sêkou. Hé ! Sept cavaliers
étaient parmi ceux qui s’étaient alors arrêtés. Âmadou Sêkou s’arrêta
sous un grand arbre.
Tous les autres Peuls s’étaient enfuis ;
et c’est alors que, comme dans leur fuite ils se trouvaient déjà loin,
ils regardèrent en arrière et s’aperçurent qu’il n’était pas arrivé.
Alfâ Bâ Lobbo dit : « Ah ! Et mon Âmadou ?
J’étais venu pour me gagner une bonne réputation, et ma bonne
réputation m’a échappé !
Et, si je n’ai pas vu le corps de mon Âmadou, alors, je n’aurai aucun
témoignage à aller rapporter aux Peuls ! »
Bâ Lobbo avança avec résolution76
tout en prononçant ces paroles émouvantes et en s’alarmant fort du
sort de Âmadou.
Tous les Peuls arrivèrent, à la suite de Bâ Lobbo.
Ils trouvèrent que les Bambara avaient encerclé ceux-ci, tout comme
ils les avaient encerclés auparavant.
Âmadou se trouvait sous l’arbre, à cheval.
Les sept Peuls se tenaient autour de lui,

75. Tiâyéwal ou Tiâyawal : bataille célèbre qui suivit de près celle de Poromani
évoquée plus haut et qui vit l’affrontement des Toucouleurs sous la conduite d’El
Hadj Oumar et des Massinankés sous la conduite de Âmadou Âmadou. Cette bataille
qui eut lieu le 10 mai 1862 marque la chute du Massina, et la victoire – si éphémère
fût-elle – d’El Hadj Oumar : les Massinanké ne tardèrent pas à se révolter et El Hadj
Oumar, cerné, mourut en février 1864, à Déguembéré.
76. Textuellement « se retroussa pour venir ». L’image est souvent employée pour
traduire la hâte, la précipitation de quelqu’un de résolu qui se prépare à passer à
l’action et qui, pour ce faire, retrousse les pans de son vêtement ou ses manches.

95
GARANE MÂDIAGA

disant : « Hélas, les ennemis nous pressent, mais nous ne voulons pas
– dussions-nous en pâtir et être vaincus – que toi, du moins, ton corps
tombe aux mains de Noirs…
et que ce soient des adversaires de Dieu qui aient notre Âmadou ! »
Comme ils tenaient ces propos émouvants, les Bambara étaient sur le
point de les encercler,
tandis qu’ils essayaient tous les stratagèmes77 que leur avaient en-
seignés leurs ancêtres pour se préserver.
Au bout de quelque temps, cependant,
comme les Bambara continuaient de parler,
voilà qu’il entendit prononcer le nom de Âmadou…
le voilà donc qui entend prononcer le nom de Âmadou.
Comme il était fort valeureux, lui, Âmadou Sêkou,
il pensa
que c’était lui qu’ils recherchaient.
Justement, c’était précisément de cela qu’ils parlaient, disant :
« Cherchons celui que l’on appelle le chef de leurs cavaliers ; il
s’appelle Âmadou.
Fouillez les lieux pour voir si vous le voyez ! »
L’un des Bambara continua en précisant qu’il s’agissait d’un homme
qui avait un cheval complètement blanc,
au poil long,
et que cet homme tenait quelque chose dans sa main – Âmadou tenait
un chapelet.
Il fallait, dit-il, trouver un homme comme cela.
À ce moment-là, voilà à quel point critique en était arrivée leur si-
tuation.

Âmadou, ayant ouï cela, pensa qu’il s’agissait bien de lui ; il mit pied
à terre,
il s’assit sous l’arbre,
et le voilà qui s’évertue à répéter : « Âmadou, c’est moi ! »
Et d’insister en répétant : « Âmadou, c’est moi-même ! » Et d’insister
encore : « Âmadou, c’est moi en personne ! »…
C’était lui, Âmadou, Âmadou Sêkou, qui leur répondait !
Les choses en étaient là lorsque Alfâ Bâ Lobbo arriva avec ses ca-
valiers, en disant : « Holà, Âmadou ! Même si tu dois être abattu dans
la bataille, je ne veux pas qu’il arrive que d’autres puissent, à ma
place, contempler ton cadavre ! C’est là tout ce qui m’a amené. »
Bâ Lobbo, alors, s’élança, avec les Peuls
et, ensemble, ils leur vinrent en aide.

77. C’est-à-dire les stratagèmes magico-religieux, prières, invocations etc.

97
GARANE MÂDIAGA

Dans cette bataille, Bâ Lobbo assura que, à ce moment-là, les autres


étaient bien plus nombreux qu’eux, et que, s’ils eurent le dessus, ce fut
assurément
grâce à la vérité divine et aux paroles divines que Bâ Lobbo lut d’un
verset du Coran, au moment où il eut le dessus ;
il assura que souvent, c’est un petit nombre qui l’emporte sur un
grand, avec la permission de Dieu.
« Dieu est avec l’homme constant » : il fit le commentaire du verset
ainsi désigné.
Bâ Lobbo se rua sur eux
et il les rejoignit et… exactement comme Dieu a dit qu’un petit
nombre est vainqueur d’un grand nombre, avec la permission de Dieu,
ainsi eut-il sur eux la victoire.
Ils dispersèrent les cavaliers Bambara
et les malmenèrent si durement que ceux-ci s’éloignèrent et, une fois à
distance, stoppèrent.
Âmadou leur dit qu’il voulait marcher hardiment à la sainte guerre de
Dieu.

Une fois qu’ils se retrouvèrent maîtres de la situation, ayant repoussé


les cavaliers ennemis jusqu’à ce qu’ils fussent loin d’eux,
Âmadou dit que le Bambara s’était targué, la veille, de…
il avait dit
qu’il apprendrait à Âmadou que la prière n’empêcherait pas
un homme de brûler.
Âmadou dit que Dieu l’avait égaré
mais que, même un égaré, s’il rencontrait l’occasion d’exhorter son
âme au bien et s’il s’y trouvait destiné, rencontrerait [la bonne voie].
Il dit que l’homme les avait entourés de feu, qu’il avait apporté le feu,
et que le feu l’avait brûlé ;
par là même, n’est-ce pas, il avait eu l’occasion de s’assurer que la
prière n’empêchait pas un homme de brûler !
Âmadou dit qu’il leur avait aussi dit que s’incliner et se lever – c’est-
à-dire faire la prière – ce n’était point redouter Dieu, c’était jouir de la
liberté ; car, devant lui, on ne prierait point.
Âmadou dit qu’ils voulaient le provoquer,
afin qu’il ait une preuve pour voir
si oui ou non il aurait un moyen d’attendrir son âme afin qu’il
abandonne l’ignorance et embrasse la crainte de Dieu.
Âmadou dit aux cavaliers de se disposer en écran entre eux et lui

99
GARANE MÂDIAGA

afin qu’il invoque Dieu et accomplisse les gestes d’un croyant78, pour
voir
s’il y aurait ainsi quelque chance, au cas où il viendrait vers lui, de
voir des prodiges79.
Ceux-ci dirent qu’ils avaient entendu et qu’ils étaient d’accord.
Des cavaliers se disposant en ligne, s’interposèrent entre eux.
Âmadou mit pied à terre, invoqua Dieu, accomplit tous les gestes d’un
croyant,
continua en se tenant les genoux, puis se redressant et faisant tout ce
que fait habituellement un homme qui prie.
L’autre le vit.
Il dit que, lui, Âmadou, le provoquait.
Il se souvint aussi qu’il avait déclaré, la veille, que cela ne se ferait
pas devant lui
et il ne voulait absolument pas que la nouvelle fût rapportée chez lui
que la chose s’était faite.
Il pressa les flancs de son cheval et fonça dans les rangs des Peuls.
Tous les Peuls
cherchèrent à lui barrer la route jusqu’à ce qu’ils ne le pussent plus
et qu’il se trouvât à proximité de Âmadou, auquel quatre hommes
servaient de bouclier :
Bâ Lobbo Bôkari
et, avec lui, Am-Mâmoûdou Sêkou
ainsi qu’un homme du nom de Am-Kôlâdo Wangara
et Am-Sambourou Kôlâdo Doursèye ;
or, Am-Sambourou Kôlâdo Doursèye,
lui, il fut un gisant au jour de la Plaine de Tôyâ (il s’agit là d’une
guerre entre les Peuls et les Bourdâbé80 ;
celle-là aussi, peut-être, viendrons-nous en parler une autre fois).

Ces quatre hommes lui faisaient donc un bouclier. Alors qu’il avait
réussi à franchir tout le groupe des nombreux cavaliers disposés en
écran – lui, le Bambara – pour arriver jusqu’aux quatre hommes,
il fut impuissant à forcer leur barrage.

78. Textuellement « qu’il dise Allaahu Akbar, fasse comme un qui prie ».
79. C’est-à-dire sa conversion.
80. Il s’agit d’une bataille (en 1840, d’après B. SANANKOUA, 1844, d’après Â. H. BA
et DAGET) qui opposa les Peuls aux Touaregs, après une longue guerre
d’escarmouches qui dura toute l’année 1844, pour se terminer par la défaite des
Peuls à Tôyâ. La mort de Am-Sambourou Kôlâdo Doursèye est longuement racontée
dans L’empire peul du Macina (p. 229-231).

101
GARANE MÂDIAGA

Il était stupéfait qu’à eux tous, les cavaliers aient été aussi impuissants
à lui barrer la route et que ces quatre hommes-là, à eux seuls, la lui
barrent.
Comme il était arrêté là, il avait, à l’arrière, un neveu ;
[on raconte que celui-ci,] tandis qu’il exerçait quelqu’un au tir,
en arriva à l’insulter, lui disant « si Dieu le voulait, qu’allait-il se
passer ? !
Sa renommée ne serait pas à la hauteur de celle des Bambara, puis-
qu’il n’était pas capable de manier le fusil »…
— « Depuis sa naissance… »
l’autre dit que, la cause… [c’était que son œil clignait]… Il lui dit… il
lui demanda « si c’était parce que son œil ne pouvait se fermer ;
son œil, cet œil-là clignait, mais sans arriver à se fermer ;
il n’était donc pas capable de viser au fusil. »
Le Bambara mit dans cet œil un poignard et lui dit : « Comme cela tu
ne verras plus ! » et si c’était là ce qui l’empêchait d’égaler ses frères,
eh bien, il les égalait désormais.
On raconte donc qu’il avait un neveu qui était d’une méchanceté
pareille. Sont-ce les propos des griots qui l’ont exagéré à ce point ou
non ? En effet, tout ce qu’une personne a de renommée se trouve
toujours exagéré au maximum ; en tout cas, ici, voilà ce qu’on dit de
ce neveu.
Ce neveu avait nom Dionki.
Le neveu accourut à toutes jambes ;
il lui dit : « Est-ce que par hasard, les propos que tu as proférés, les
Peuls les ont fait s’envoler81 !
Jamais ce que tu as déclaré ne devra être démenti !
Le Peul ne priera pas devant moi, ici, en tout cas.
Ils peuvent bien dire “faisons-le !”, mais eux, ils ne feront pas cela
devant moi ; et encore bien moins le ferons-nous, nous ! »
Le neveu marcha droit sur le Peul.
Il était très méchant.
Les coups de feu se mirent à claquer de plus belle : lorsqu’il tirait un
coup de fusil, ils croyaient que, même de ses doigts, partaient des
coups tant il était expert en magie82.
Les Peuls furent impuissants à lui barrer la route et, en fort peu de
temps, il se trouva que, alors qu’il était déjà passé au milieu d’eux, ils
en étaient encore à se contredire, chacun prétendant qu’il était, quant à
lui, bien sûr que ce n’était pas à côté de lui qu’il était passé.
Il marcha droit sur Âmadou Sêkou

81. Textuellement « fait lever » (pour partir).


82. Textuellement « tant il égalait être chaud en fétiche ».

103
GARANE MÂDIAGA

juste comme celui-ci s’était pris les genoux puis s’était redressé.
Il invoqua le fusil à double canon83.
Le chroniqueur rapporte que le fusil ne tira pas.
Une seconde fois, il pressa la détente ; le fusil ne tira pas84.
Une troisième fois, il pressa la détente ; le fusil ne tira pas ; alors il
brandit le fusil pour en frapper Âmadou Sêkou,
persuadé que, si on le frappait avec du bois, alors, ça pourrait avoir un
effet.

Le chroniqueur dit qu’à ce moment-là, il vit un homme dont il ne


savait absolument pas ce qu’il était :
d’une stature immense,
cet homme était un homme au teint clair,
de belle apparence et impressionnant ;
voilà comment nous décrivons Âmadou tel qu’il le vit.
Il tomba, lui – le neveu – avec son cheval, et il périt sur la place.
Nul doute qu’il avait ainsi péri, là même.
Garane Kouroubali fit partir son cheval au galop, et ordonna
à ses cavaliers d’aller récupérer son cadavre ; ses cavaliers partirent
au galop
mais ne revinrent point et finirent même par rentrer dans le village ;
ils remirent la chose à plus tard et dirent qu’ils reprendraient
l’expédition le lendemain.
Âmadou de son côté, demanda aux hommes de sa troupe s’ils étaient
fatigués.
Les hommes de sa troupe dirent qu’ils s’étaient épuisés au combat.
Il leur dit alors de partir tout de suite.
Il était persuadé que les autres ne les poursuivraient pas, le lendemain,
une fois qu’ils seraient partis.
Ils avaient fait du butin – qu’ils rapporteraient à Sêkou Âmadou –, ils
s’étaient battus, ils avaient, les uns et les autres, été malmenés
et ils avaient été secourus.
L’armée qui devrait soumettre le Bambara
reviendrait, après eux.
Ils dirent qu’ils avaient entendu et qu’ils étaient d’accord. Ils
montèrent en selle
puis, ils repartirent, revenant sur les traces de leurs chevaux ; ils y
passèrent une nuit, ils y passèrent une journée

83. C’est-à-dire, « il appuya sur la gâchette ».


84. Textuellement « il tira un second coup, le fusil ne tira pas,
il tira un troisième coup, le fusil ne tira pas ».

105
GARANE MÂDIAGA

pour enfin arriver au Kârêri où ils retrouvèrent les Diâwambé du


Kârta, c’est-à-dire ceux qui les avaient devancés avec Mâmaningué
pour guide.

C’est alors que Oumarou Alfâ dit :


« Âmadou, pardonne-moi, mais ton père a dit que toutes les mesures
que tu envisagerais, nous les envisagions ensemble.
Où donc mènes-tu tous les Diâwambé que tu as avec toi
– des gens que tu amènes comme hôtes et dont tu ignores le carac-
tère ? »
Il dit : « À Hamdallâye. »
Il dit : « Ce n’est pas cela que je voudrais que nous fassions ;
installons-les – dit-il – en brousse ;
ensuite, nous irons avertir ton père
qu’ils sont, ainsi, ses hôtes.
Généralement il se trouve qu’il sait ce qui est bien et ce qui ne l’est
pas.
Que ceux-ci s’installent donc ici, en brousse ; et on fera en sorte de
venir les trouver là où ils seront et que des hommes de chez nous, bien
avisés, fassent l’expérience de leur caractère,
en leur enseignant la religion : si nous nous rendons compte que nous
pouvons vivre avec eux, nous cohabiterons avec eux et, si nous nous
rendons compte qu’il est préférable que nous gardions avec eux
quelque distance,
nous nous tiendrons éloignés d’eux, et avantage en restera ; c’est
souvent en gardant ses distances avec quelqu’un qu’on peut le mieux
lui être de quelque utilité.
Alors ils installèrent les Diâwambé du Kârta dans leurs campements.
(Il en est qui disent aussi que c’est dans le Kârêri qu’ils laissèrent les
Diâwambé du Kârta et que c’est à l’époque de Tidjâni qu’ils revinrent
à Paré et aussi à Sôkoura du Kounâri, c’est-à-dire dans la région où ils
habitent actuellement.
C’est ce qu’on a dit et, depuis ce temps-là, ils l’ont transmis ainsi ;
mais ça a été controversé et, la vérité, Dieu seul la sait ; les gens, c’est
ce qu’ils ont entendu dire qu’ils racontent).

Cela étant, pendant ce temps, Sêkou fit une prière de bénédiction


pour trouver un homme qui viendrait à bout de Garane.
Lorsque les cavaliers de Hamdallâye furent de retour,
il y avait un Bambara, dans la région de Ségou ;
on lui donnait le titre de Puissance-de-Ségou.
À Ségou, d’ailleurs, la plupart de leurs souverains portaient le titre de
Puissance-de-Ségou.

107
GARANE MÂDIAGA

Ce roi-là apprit que Garane était extrêmement puissant ;

et, ayant appris que Garane Kouroubali était en butte à tous les ennuis
dont nous parlions tout à l’heure,
ce roi donc rassembla85 une troupe de cavaliers
et déclara qu’il partait pour se battre contre Garane
afin de constater
si un Bambara pouvait être si puissant
qu’il prétende être, lui seul, un homme digne de ce nom.

Il arriva là, en pleine brousse ;


il y trouva un minuscule hameau.
Cette agglomération,
l’homme qui s’y trouvait s’appelait Tiâdia Kouroubali.
Il arriva chez Tiâdia ;
il dit : « Qui donc est à la tête de ce village ? » Il lui dit que c’était lui-
même.
Il lui demanda comment il s’appelait ; il lui dit « Tiâdia ».
Ce dernier lui demanda à son tour comment il s’appelait ; il lui dit que
« lui, il était le roi actuel de Ségou. »
Il lui demanda où il allait, il lui dit qu’il s’en allait dévaster
le village de Garane Mâdiaga
pour se battre avec lui
jusqu’à ce qu’il lui rogne les ongles,
jusqu’à ce qu’il lui émousse ses armes,
c’est-à-dire qu’il dévaste des villages importants
et tue ses jeunes soldats, des jeunes gens valeureux, sur qui s’appuyait
son pouvoir.
Tiâdia lui dit que, à ce jour, Garane
n’était plus qu’une poule qui couvait des œufs stériles :
si une poule couve des œufs stériles, ses forces s’épuiseront mais elle
n’aura pas de petits.
Il dit que, Garane, on lui avait tué tous ses hommes et que c’en était
fait de sa puissance.
Des Peuls
qui avaient le commandement à Hamdallâye,
ceux qu’on appelait les gens de Sêkou Âmadou,
c’étaient ceux-là mêmes qui l’avaient mis à mal.
Il dit que ceux-ci
s’en revenaient chez eux, bien tranquillement86,

85. Le verbe employé est le verbe spécifique qui désigne le ramassage du bois pour
en faire des fagots.
86. Le verbe « s’en revenir » est employé ici sous la forme ngartingartina, qui

109
GARANE MÂDIAGA

tandis qu’une bonne partie des siens, des couards, leur avaient fait
leur soumission ;
et ce n’était qu’une fois les autres déjà loin, que se levaient, parmi
eux, un brave par-ci, un brave par-là.
[Le roi de Ségou] dit que, lui aussi, à cette heure, il était un brave,
qu’il n’était pas le moins du monde d’accord avec ceux-ci et qu’il
avait bien l’intention de se battre contre eux.
Mais à présent, puisqu’il s’était trouvé que, même des gens comme
ceux-là pouvaient avoir le dessus sur Garane,
une fois qu’il aurait rebroussé chemin, quant à lui, il lui enverrait dire
que n’était que, malheureusement, il se trouvait déjà mal en point,
il se chargerait bien de lui apprendre qu’un Bambara ne pouvait, seul,
se prendre pour un homme et s’imaginer que tous les autres hommes
bambara étaient des femmes.
Il dit à Tiâdia que ce qu’il cherchait, lui, Puissance-de-Ségou,
c’était un village agréable où passer la nuit et où il puisse restaurer sa
troupe et ses chevaux.
Tiâdia lui dit que son village – qu’il sous-estimait –,
il n’avait qu’à y descendre ; qu’il pouvait le nourrir lui et tous ses
cavaliers.

Il y descendit donc ; Tiâdia lui apporta de la nourriture en quantité


appréciable,
jusqu’à ce que chevaux et gens soient repus.
Il dit à Tiâdia : « Toi, en tout cas, tu m’as fort bien traité.
Donne-moi quelqu’un que je dépêche à Garane. »
Tiâdia lui donna quelqu’un
qu’il dépêcha auprès de Garane Mâdiaga pour lui dire que,
n’étaient les circonstances qui voulaient que, à ce jour, il soit déjà un
homme dépouillé de sa troupe, c’est-à-dire battu et vaincu,
il viendrait bien jusqu’à lui, lui faire savoir qu’il ne pouvait se
prendre, lui, pour un homme, tandis que tous les autres Bambara ne
seraient que des femmes.
Garane lui envoya dire qu’il sache bien que, quant à lui, il n’en était
que plus mauvais
et que, si c’était pour l’attaquer qu’il était venu, il n’avait qu’à venir le
trouver, et en avant87 !

exprime à la fois la répétition de l’action et son aspect discontinu. Il ne s’agit plus


d’une colonne en ordre de marche, mais d’une armée qui rentre, sans craindre aucune
attaque, aussi détendue que si elle revenait d’une simple promenade.
87. Textuellement « au nom de Dieu ! » ; cette invocation précédant toute action
entreprise, finit par signifier une simple invite à passer à l’action : « allons-y,
commençons, en avant ! »…

111
GARANE MÂDIAGA

Il avait d’ailleurs grande envie d’avoir un homme avec qui se battre, à


ce jour, bien durement,
pour tuer le chef des cavaliers, récupérer des chevaux, afin d’en avoir
davantage pour poursuivre les Peuls et se battre contre eux.
Puissance-de-Ségou dit que c’était exactement là ce qu’il cherchait.
Il monta en selle
et envoya avertir Garane.
Garane et ce qui restait de ses cavaliers montèrent en selle,
ils se rencontrèrent derrière les habitations
et ils décidèrent de passer à l’attaque.
Il donna l’ordre que sa troupe et la troupe de Garane engagent le
combat.
Les hommes de Garane étaient si violents,
Garane avait tant de fétiches
et tant de célérité à charger l’ennemi qui assaillait sa ville,
que sa troupe, en dépit de son infériorité, bouscula88 les cavaliers de la
troupe de Puissance-de-Ségou, pourtant nombreux,
au point même qu’ils dépassèrent celui-ci… et que même la piétaille
vint s’arrêter net à la hauteur du roi des cavaliers.
Ils lui dirent : « Toi, ce n’est pas que nous te craignions parce que tu
es roi89.
Mais, il ne convient pas qu’un simple particulier prenne une poignée90
dans la part de nourriture qui est devant son roi : il laisse son roi
prendre sa poignée là où ça a été arrosé de sauce pour le roi ; ce qui
veut dire que, un roi,
c’est un roi qui doit le lier, et c’est aussi un roi qui doit le tuer.
Ce n’est pas du tout que nous ayons peur de toi. »
Puissance-de-Ségou s’emporta vivement contre sa troupe ;
il se mordit les lèvres, suffoqua de colère.
Toute sa troupe s’en revint au galop jusqu’à s’interposer entre lui et
les cavaliers.
Sa troupe – qui était nombreuse – et la troupe de Garane Mâdiaga –
qui était mince – s’affrontèrent.
La troupe de Garane Mâdiaga bouscula ses cavaliers à tel point qu’ils
dépassèrent Puissance-de-Ségou et que la vulgaire piétaille, c’est-à-
dire les aides du roi, s’arrêtèrent net devant lui, et qu’ils dirent :
« Nous, ce n’est pas du tout que nous te craignions !

88. Le verbe employé évoque l’action de « rouler une natte ».


89. C’est-à-dire « si nous nous sommes arrêtés devant toi au lieu de continuer à
poursuivre tes hommes, ce n’est pas parce que tu nous fais peur ».
90. Lorsqu’on mange dans un plat commun, chacun se sert dans la partie du plat qui
lui fait face. Il serait fort impoli d’empiéter sur la part du voisin.

113
GARANE MÂDIAGA

Si nous avons pourchassé ta piétaille et que nous nous arrêtons enfin


net devant toi, c’est que nous estimons que toi, c’est à notre roi qu’il
revient de te lier ! »
Courroucé, il dit : «Dites à votre roi qu’il sorte pour se mesurer avec
moi.»
Il leva la main,
il lança le fusil en l’air et le rattrapa,
il pressa la détente et les deux canons firent feu91.
Il s’élança de nouveau, puis s’arrêta sur le terrain de combat et dit
que, la piétaille, Dieu la mette plus bas que tout !
Ils se tenaient à proximité, derrière lui ; il s’arrêta sur le terrain de
combat
et dit à Garane de sortir.
Garane sortit.
Ils se lancèrent l’un contre l’autre, à l’attaque,
ils se canardèrent l’un l’autre…
chacun montra à son adversaire92 toute la gamme de ses attaques,
et le chroniqueur dit que, ayant épuisé tous les coups possibles,
chacun dut, pour finir, lançant sa monture au galop, replier ses jambes
et lancer des coups de pied à son adversaire ;
et son adversaire, de son côté, s’étant couché sur la selle et lui
donnant lui aussi des coups de pied, leurs étriers s’entrechoquaient.
Chacun fut impuissant à désarçonner son adversaire ; chaque fois que
des hommes s’y prennent ainsi, le plus fort ou le plus persévérant, son
adversaire sera désarçonné, et alors, il le fera piétiner par son cheval.
Mais ils ne purent rien l’un contre l’autre !
Un Bambara, si hors de lui qu’il soit,
ne supportera pas d’être frappé avec un bâton ; cela faisait partie des
coutumes des Bambara de jadis.
Si hors de lui qu’il soit, frapper son adversaire avec un bâton, c’était
tout comme s’il l’avait insulté à propos de sa mère…
ou bien encore avec une corde pour cheval.
Or, il avait une entrave pour cheval…
dans laquelle il avait mis aussi un charme magique.
Quiconque en était frappé prenait immanquablement la fuite,
et il avait sur lui la victoire.
Il tendit la main vers sa besace,
il l’y mit et tira…
l’entrave sortit :
il en cingla Garane, il en cingla Garane.

91. Textuellement « les deux oreilles (i.e. chiens) répondirent des coups ».
92. Le terme banndum désigne « le frère, l’égal, le pair ». Ici, il s’agit de l’ad-
versaire.

115
GARANE MÂDIAGA

Alors que Garane ne se rendait même pas compte qu’il l’avait frappé,
le cheval partit au galop… jusqu’à ce qu’enfin son cavalier recouvrât
ses esprits ; en effet, sitôt qu’il avait été frappé, son esprit s’était
échappé :
il y avait un charme magique dans l’entrave.
Il dit à Garane : « Je ne souhaite pas te pourchasser jusqu’à ce que tes
femmes te voient dans une telle position.
Aussi, maintenant, est-ce que, ce que je dirai, tu l’accepteras ? »
Le charme magique avait « pris » Garane
et il ne savait même plus quoi répondre ; il parlait, c’est tout ;
il lui dit : « Tout ce que tu diras, je l’accepterai. »
Il dit à Garane : « Tu vas immédiatement mettre pied à terre, marcher
à pied et me conduire jusque dans ton village. »
Garane mit pied à terre et le conduisit jusque dans son village.
Il trouva qu’il possédait tout ce qui se pouvait posséder ;
il pillait des villages, il amenait des vaches, il les confiait aux Peuls
pour qu’ils restent en brousse avec les vaches et qu’il n’ait pas à s’en
occuper. Il avait des troupeaux de toutes les sortes de bétail.

Il (Puissance-de-Ségou), appela le Peul [qui en avait la charge],


il lui dit : « Je veux que tu me montres tout ce que tu estimes le plus,
parmi ces vaches. »
Le Peul les lui montra ; il dit : « Prends ! »
Le Peul les prit.
Il lui dit : « Pour le reste, je veux que tu les montres de ma part à mes
gens. »
Ce fut montré à ses gens – ses gens à lui, Puissance-de-Ségou.
Il avait vaincu Garane,
il dispersa son village ;
il égorgea tout le bétail, excepté ce qu’il avait donné au Peul.
Tout le bétail fut transformé en viande séchée.
Lui et sa troupe se servirent et il dit : « Garane ! » Garane lui dit :
« Oui ! » Il dit : « Vois le taureau que voici ; je vais l’égorger pour
nous,
je vais – dit-il – le rôtir :
pour toi et moi93, je vais dire qu’on nous prélève la partie la plus
grasse.
Nous nous assiérons et mangerons ensemble, main contre main94,
et une fois que tu auras bien fini de manger, je te ferai coudre dans la
peau du taureau ;

93. Textuellement « pour moi et toi ».


94. C’est-à-dire qu’ils mangent tous deux au même plat.

117
GARANE MÂDIAGA

je ferai une fente à la mesure de ta bouche


et, une fois que tu seras mort et que la peau aura séché, tes dents
sortiront.
Je t’amènerai à Ségou, je t’appuierai à côté de moi, à ma droite
et, chaque fois que je parlerai, je jetterai un coup d’œil de ton côté et
je trouverai tes dents toutes découvertes ; je dirai : “Eh bien ! Voilà
Un tel qui rit !”
Un roi, quand il a parlé, n’est pas contredit et mes gens95 diront que
les morts ont ri à mes propos ; les griots aussi mettront cela dans les
louanges. Voilà ce que je te ferai ! »
Le taureau fut égorgé.
On leur réserva la bosse, à lui et à Garane ;
ils s’assirent et mangèrent la bosse
jusqu’à ce qu’ils aient bien tout fini.
Il dit à Garane de se laver ; il se lava.
Il dit que Garane soit mis dans la peau du taureau ; il fut cousu à
l’intérieur de la peau du taureau
et, du côté de la bouche, on ménagea une fente.
Il fit de Garane exactement ce qu’il en avait dit.
Puis il le ramena avec lui chez Tiâdia.
Il dit : « Tiâdia Kouroubali ! »
Tiâdia lui répondit.
Il dit : « Quand j’étais en route, toi aussi tu m’as très bien traité :

tu m’as fait dîner, tu as fait dîner mes cavaliers.


Aujourd’hui je vais te payer de ce que tu as fait pour moi.
La façon dont je te paierai, c’est que
je mettrai ton village à sac ;
j’ai mis, comme cela, Garane dans une peau de vache, que voici,
de sorte qu’elle sèche et que ses dents sortent.
Quand je l’aurai amené à Ségou, chaque fois que je ferai une dé-
claration bien frappée, en bambara, je tournerai les yeux vers lui et je
le trouverai les dents toutes découvertes, lui qui est mort ; je dirai que
des morts ont ri à mes propos.
Un roi, lorsqu’il a parlé, on ne le contredit pas.
Mais à présent, voilà que je me suis aperçu que, quand une chose
n’est que d’un seul côté, ce n’est pas bien symétrique.
Pour toi aussi, Tiâdia Kouroubali, pour te payer de ton bienfait, et de
m’avoir fait dîner, moi et mes cavaliers,
pour toi aussi, j’égorgerai un taureau que voici et nous mangerons
ensemble

95. Il s’agit de l’ensemble des membres d’une maison, comprenant les serviteurs, les
clients d’une famille. Ici, il s’agit des favoris, des courtisans du roi.

119
GARANE MÂDIAGA

et toi aussi, de la même manière, je te ferai coudre dans la peau d’un


taureau tout entier, et comme cela, aussi bien à ma gauche qu’à ma
droite, j’aurai des morts qui riront à mes propos. »
Tiâdia lui dit : « Je te demande grâce ! »
Il dit qu’il n’acceptait pas.
Tiâdia lui dit : « Je te demande grâce ! »
Il dit qu’il n’acceptait pas.
Tiâdia lui dit : « Je te demande grâce ! »
Il dit qu’il n’acceptait pas.

[Alors, ils engagèrent les hostilités].


Après qu’ils se furent battus trois jours durant, il finit par s’apercevoir
que, bien que le village de Tiâdia fût si petit qu’il en avait dédaigné la
troupe, il n’en était pas pour autant venu à bout.
N’ayant pu faire, contre Tiâdia, quoi que ce fût,
lui, Puissance-de-Ségou, il appela Tiâdia ;
il proposa qu’ils abandonnent les hostilités.
Tiâdia dit qu’il n’acceptait pas.

Il lui demanda grâce, comme Tiâdia lui avait demandé grâce, mais
celui-ci dit qu’il n’acceptait pas
et il lui dit : « Tu m’as dit que tu me ferais exactement ce que tu as
fait à Garane Kouroubali,
que tu me mettrais à l’intérieur d’une peau de vache,
que tu y ferais une fente à la mesure de ma bouche,
par où mes dents sortiraient,
que tu m’emmènerais à Ségou,
que tu t’assiérais et appuierais Garane à ton côté droit
et que moi, tu m’appuierais à ton côté gauche ;
qu’à chaque parole bambara bien frappée que tu profèrerais,
des griots se dresseraient, t’acclamant,
et que, lorsque tu te tournerais vers tes épouses pour leur demander :
“qui donc commande à Ségou et a réussi à ce que des morts l’ap-
prouvent de leur rire ?”
elles diraient : “toi !”
Eh bien – dit-il –, Garane n’ira pas là-bas et toi encore moins ; toi,
d’ailleurs – dit-il – tu n’iras plus à Ségou. »

Alors il appela96
une petite servante…

96. « Il » représente ici Puissance-de-Ségou.

121
GARANE MÂDIAGA

Il s’arrangea pour, se faufilant en tapinois, aller se mettre des habits


bien fatigués ;
il dit qu’il n’était pas en bonne santé et que Tiâdia ait la patience
d’attendre qu’il se trouvât remis.

Tiâdia lui dit qu’il avait entendu et qu’il acceptait de patienter jusqu’à
ce qu’il fût remis,
mais qu’il sache bien qu’il ne partirait pas sans qu’ils aient combattu,
et que, même s’il trouvait des prétextes pour se dérober, il le
poursuivrait.

Enfin, il s’arrangea pour, en cachette, se mettre les habits d’un pauvre


homme
jusqu’au moment où il aperçut une petite serve97 ;
il l’interrogea et comprit98.
Il dit à la petite serve : « Dis de ma part à l’épouse de Tiâdia, la dé-
nommée Moussokouro,
que moi, c’est uniquement à cause d’elle que je demeure ici depuis un
mois.
J’ai entendu dire que, de toutes les femmes bambara qui sont en ce
pays, c’était elle la reine de beauté.
Hein ? Bon ! D’ailleurs, quand bien même ne le serait-elle pas, moi,
son nom, j’en ai entendu parler ainsi que du nom de sa famille et de sa
condition de fille de gens bien.
Moi, j’ai pour elle un grand amour.
C’est à cause d’elle que je suis resté ici, où ma cavalerie s’épuise.
Si elle m’aime,
qu’elle fasse pour moi en sorte que je l’emporte sur son mari et que
nous soyons l’un à l’autre.
J’abandonnerai toutes les femmes bambara que j’ai ; c’est elle que
j’aime.
C’est d’ailleurs pour elle que j’ai entrepris ce voyage.
Si elle ne veut pas de moi,
cela aussi, qu’elle me le fasse savoir ; je partirai avant que ma cava-
lerie ne soit totalement épuisée et ainsi, je quitterai ces lieux,
des confrères99 ne doivent pas se créer d’ennuis. »
La femme ayant entendu cela, en eut un plaisir extrême.
Une femme est insatiable : elle veut toujours être aimée.
Quoi qu’elle ait obtenu, ce n’est pas cela qu’elle veut,

97. Ce passage du récit est quelque peu désordonné. Ce sont là les aléas des textes
oraux.
98. Il comprit qu’elle était une servante de la femme de Tiâdia.
99. Il s’agit de Tiâdia et de lui-même.

123
GARANE MÂDIAGA

c’est toujours quelque chose d’autre qu’elle cherche.


En effet, lorsqu’un destrier plein d’allant
marchant d’un pas d’école100, sa tête en s’inclinant, descend entre ses
pattes,
nul ne sait ce qu’il peut bien chercher à voir là-bas,
hormis Dieu.
C’est une marche de parade du cheval.
Et une poule, tandis qu’elle gratte la terre en l’éparpillant,
nul ne sait ce qu’elle recherche ;
car, quand bien même lui ferais-tu un tas de trois mesures de grain,
elle ne mangerait pas et gratterait toujours ainsi ;
car, en fait, ce n’est pas tant qu’elle cherche de la nourriture dans la
terre ; c’est tout simplement sa nature.
Le goût de « l’ailleurs », chez la femme,
ce n’est pas qu’elle manque de bien-être ;
nul ne sait ce qu’elle recherche ailleurs ; c’est l’habitude des femmes.
La femme est incapable de se contenter de ce qu’elle a.
Elle dit : « Dis-lui qu’il ait la patience d’attendre un délai de trois
jours :
c’est le délai pour que mon mari revienne chez moi ; il a trois femmes
à part moi101.
Une fois qu’il sera allé passer ses nuits chez elles, et que ce sera mon
tour de le recevoir102,
dis-lui que j’appelle la malédiction de tous les Bambara si je lui dis
qu’il se batte et que, s’étant battu, il n’a pas la victoire. »

Il passa là trois jours, prétendant qu’il n’était pas en bonne santé et


faisant mine d’être alité,
jusqu’au jour où la femme eut à nouveau son tour103.
Moussokouro convoqua
tout ce qu’il y avait de petites servantes dans la concession104 ;
elle dit aux fillettes de puiser de l’eau, pendant toute la nuit,
et de la verser dans les greniers de poudre.

100. Le verbe employé (suudaade) évoque les quatre allures artificielles que l’on
fait acquérir aux chevaux par dressage et qui, bien que portant chacune un nom
distinct, sont regroupées sous la désignation générale de cuudal. C’est pourquoi nous
traduisons par « marcher d’un pas d’école ».
101. Textuellement « qui ne sont pas moi ».
102. Textuellement « il reviendra chez moi ».
103. C’est-à-dire son tour de recevoir son mari chez elle pour la nuit.
104. Terme utilisé dans le français d’Afrique pour désigner l’enclos familial, com-
portant un ensemble de logements distribués autour d’une cour.

125
GARANE MÂDIAGA

Celles-ci s’étaient rendu compte qu’elle était entichée de l’homme


et elles avaient peur de lui :
car, tout ce qu’elle dirait à l’homme de faire à quelqu’un, il le ferait.
Toute la nuit, elles puisèrent de l’eau et la mirent dans les greniers de
poudre ; elle les ouvraient et y mettaient de l’eau.
Le mari, ayant entendu le remue-ménage dit : « Que se passe-t-il dans
la concession aujourd’hui ? Est-ce que ce sont des gens qui sont entrés
dans la concession ou bien y en a-t-il qui ne sont pas encore couchés,
dans la concession ? ».
Elle dit : « Ce sont les enfants qui, jusqu’à présent, ne sont pas encore
couchés. »
Et de rire, elle, la femme bambara, à s’en rouler sur leur couche !

Elle dit : « Par Dieu ! Les gens de Ségou sont terribles !


C’est la querelle avec Puissance-de-Ségou qui hante à ce point ton
esprit que tes oreilles bourdonnent et que tu t’imagines qu’il y a
quelque chose dans ta concession ! Mais qui donc d’autre que toi
oserait pénétrer dans ta concession quand tu y es couché ?
Tu as tellement peur de cet homme !
Prends bien garde à ne pas avoir à connaître la honte ! »
Il dit : « Ah ! Par Dieu ! Je n’ai pas peur de lui et il saura bien que je
n’ai pas peur de lui ! »
Ils passèrent ainsi la nuit ensemble jusqu’au point du jour.
Excepté la poudre qui avait déjà été prélevée et mise à part pour son
usage personnel, celle qu’ils avaient utilisée au début du combat et qui
n’avait pas été épuisée, il n’y avait rien de ce qui en restait qui ne fût
gâté par l’eau.

La femme dépêcha la petite servante à [Puissance-de-Ségou] ; elle


dit : « Tu iras en cachette jusqu’à ce que tu l’aies vu
et tu lui diras que c’est moi qui lui dis de se battre ;
qu’il n’ait pas peur. »

Ils avaient un reste de poudre, de ce qui n’avait pas pu être gâté.


Au matin, il dit à Tiâdia qu’il était prêt pour qu’ils se battent.
Tiâdia dit qu’il acceptait. Ils se mirent en selle.
Il fit ses adieux à sa femme ; il dit : « C’est justement le jour où j’ai
passé la nuit chez toi, que je me suis éveillé avec l’envie de me
battre !
Que j’aie ta malédiction si tu peux t’apercevoir que j’ai eu peur de ton
Bambara ! »

127
GARANE MÂDIAGA

À leur réveil, donc, ils s’affrontèrent.


La bataille fut telle… que les villages proches du combat ouïrent
l’écho des coups de feu !
La bataille fut telle… que les arbres secs proches du combat furent
carbonisés !
La bataille fut telle… que les arbres encore verts se recroquevillèrent
sous la rudesse de l’attaque !
Les sabots de leurs chevaux ne faisaient que piétiner des têtes de
morts et ça fit rage à un degré tel…
qu’il ne saurait être dépassé, dans un combat…
au point que
Puissance-de-Ségou finit par croire
que la femme s’était moquée de lui et qu’elle ne lui avait préparé
aucun stratagème.
C’est alors qu’il commença à entendre les autres dire que la poudre
était épuisée, qu’on rajoute donc de la poudre.
Alors, il redoubla d’acharnement.

Peu de temps après, ils dirent à Tiâdia : « La poudre est terminée,


Tiâdia ! »
Celui-ci dit : « La poudre ne sera jamais terminée ! Si c’est la peur qui
vous retient, abandonnez le combat ; mais la poudre ne sera pas
terminée ! Battez-vous ! »
Ils luttèrent jusqu’au moment où ils dirent : « La poudre est terminée ;
qu’on nous apporte105 de la poudre ! »
Alors, il se tourna pour ordonner que tel grenier de poudre soit
éventré.
Le grenier fut éventré et poudre et eau, ensemble, s’en échappèrent.
Il ordonna que tel autre grenier soit éventré :
un grenier fut éventré et poudre et eau, ensemble, s’en échappèrent.
Il ordonna que tel autre grenier soit éventré :
et, à chaque grenier éventré, on y trouvait la poudre avec de l’eau.
Il rit et, se tournant vers ses hommes, il dit que tous ceux à qui la fuite
convenait n’avaient qu’à s’enfuir.
Il dit : « Pour moi, je ne m’enfuirai pas, car moi, certes, la fuite ne me
va pas bien. »
La troupe accepta et chacun prit la fuite ; il mit un genou en terre
et il s’acharna à tirer des coups jusqu’à ce qu’il tombât entre les mains
de son adversaire.
Puissance-de-Ségou lui dit de s’asseoir.

105. Textuellement « qu’on approche pour nous de la poudre ».

129
GARANE MÂDIAGA

Lui, Tiâdia, lui dit : « Chaque fois que j’étais venu te donner le
bonjour, lorsque tu étais descendu chez moi et que tu devais continuer
ta route vers Garane,
je n’acceptais pas de m’asseoir avec toi, là.
Ce n’était point par crainte de toi, ni parce que tu étais un roi – dit-il.
C’était là-bas, dans votre pays, que tu étais roi – dit-il ; mais, pour
moi, tu n’étais pas mon roi.
Mais aujourd’hui – dit-il –, même chez vous, tu n’es plus un roi ;
car tu ne verras pas plus loin que ce jour et moi non plus, je ne verrai
pas plus loin que ce jour.
Pousse-toi un peu et fais-moi place sur ta couche pour que nous nous
asseyions ensemble et que, ensemble, nous nous racontions ce que se
racontent habituellement des confrères bambara. »
L’autre se poussa un peu ; il s’assit. Il lui dit : « Eh bien ! Tu as du
cœur !
Voilà-t-il pas un mort qui est en train de tenir des propos de poids !
Toi, maintenant, tu es l’image même d’un mort.
Regarde le taureau couché là
et que je vais donner l’ordre d’égorger :
je dirai que sa viande soit grillée,
qu’on nous choisisse la part la plus grasse,
nous mangerons jusqu’à en être repus, toi et moi, main contre main
dans le même plat
et la piétaille, elle, mangera de son côté ;
je te dirai de te laver les mains
et, une fois que tu les auras lavées, je te ferai coudre dans sa peau.
Sache que je ferai une fente à la mesure de ta bouche pour que tes
dents sortent,
tout comme sortent les dents de Garane ; et, une fois que je t’aurai
amené à Ségou, j’appuierai Garane à mon côté droit
et je t’appuierai à mon côté gauche ;
je ferai, en bambara, des déclarations bien frappées
et les griots m’acclameront106 ;
je demanderai “quel est celui qui, à Ségou, détient
le commandement au point que des Bambara morts l’approuvent de
leur rire ?”
et on dira que c’est moi.
Quiconque y regardera de près trouvera que la chose est vraisem-
blable : les mensonges d’un roi, même s’ils ne sont pas vraisem-
blables, sont dits vérités, à plus forte raison s’ils sont vraisem-
blables ! »

106. Textuellement « je parlerai un bambara sec (c’est-à-dire concis et recherché),


les griots crieront sur moi ».

131
GARANE MÂDIAGA

Tiâdia Kouroubali rit et lui dit : « Hé ! Tu ne vaux déjà plus rien !


Tu ne rentreras même pas à Ségou – dit-il –, comment y ramènerais-tu
Garane ?
Si jamais Garane y rentre, ce sera que d’autres l’y auront amené.
Ce serait bien beau, si tu avais réussi à le faire !
Mais tu n’y réussiras pas !
À Ségou, en tout cas, tu n’iras pas et je n’irai pas ! »
Il dit : « Comment t’y prendras-tu ? » Il dit : « Tu verras. »
Il rit et dit : « Voilà donc un mort qui contredit un vivant ! »
Le taureau fut égorgé.
Ils poursuivirent leurs bavardages
jusqu’à ce qu’enfin ce fût cuit à point.
Il dit : « Ta viande est cuite à point, mange avant de mourir. »
Il dit : « Tandis que je mangerai,
garde-toi de m’en laisser, mangeons jusqu’à ce que nous soyons
totalement repus l’un comme l’autre ; aujourd’hui, nous faisons nos
adieux à la nourriture. »
C’est Tiâdia qui dit cela, à lui, Puissance-de-Ségou.
Celui-ci rit de plus belle.
Ils mangèrent jusqu’à ce qu’ils fussent enfin repus. Il lui dit : « Lave-
toi. »
Tiâdia lui dit : « Toi aussi, lave-toi ! »
Il lui dit : « Lave-toi si, du moins, tu ne veux pas partir pour l’autre
monde avec encore sur toi de la sueur et la souillure de la poudre, et si
tu ne veux pas mourir dans cet état pour que je te fasse coudre et que
les femmes bambara de Ségou voient que tes dents ne sont pas
brillantes,
qu’elles voient que toutes tes dents sont souillées de poudre. Voilà
pourquoi je te dis de te laver : c’est pour que tes dents soient bien
propres
et que ton visage, ou du moins ce qui devra en rester découvert, soit
propre. »
Il dit : « Toi aussi, lave-toi !
À Ségou, tu n’iras pas et je n’irai pas. »
La discussion fut longue entre lui et le Bambara…
Il se tendit vers le roi… lui, Tiâdia Kouroubali,
il fit une prise au roi de Ségou, lui coinçant le cou dans son bras
et il le frappa en plein milieu de la tête.
Des gens étaient autour,
la troupe se précipita pour leur faire lâcher prise ; ils disparurent aux
yeux de ces gens,
pour un bon moment.

133
GARANE MÂDIAGA

Tiâdia dit à l’autre : « Fais vite ! S’il y a un message que tu veuilles


faire parvenir à tes femmes, qu’on le leur fasse parvenir !
Tu n’iras plus à Ségou et je n’y irai pas.
Maintenant que nous avons disparu, nos cadavres ne seront plus
retrouvés que lorsque nous serons déjà secs. »

La troupe s’élança à leur recherche. On vit la lueur des coups de feu,


des balles leur furent tirées.
L’autre lui coinça le cou dans son bras et lui asséna encore un coup de
poing.
Ils disparurent aux yeux des gens ; ils moururent.
Les cavaliers restèrent là une semaine à les rechercher et lorsqu’ils les
revirent, ils les trouvèrent morts et secs.
Aucun d’eux ne rentra chez lui : l’un avait mis à mort
Garane – c’était celui appelé Puissance-de-Ségou –
et lui, le roi de Ségou, à son tour, Tiâdia Kouroubali l’avait tué ;

et tous les trois, ils eurent une même fin tragique et ils n’en réchap-
pèrent pas.

Et voilà ce que nous avons comme conclusion de cette histoire.

Quant à moi, qui l’ai racontée pour eux, je m’appelle Yéro Assikoula.
Moi, les jeunes gens m’appellent celui qui joue avec des chevaux alezans,
l’enturbanné de bougué107
qui porte boubous soyeux bien amidonnés ;
et c’est moi qui ai accompli bien des prodiges, au jour de Minassengué.

107. Textuellement « celui qui torsade le bougué ».

135
II
CEEKURA

TIÊKOURA

raconté par
YÉRO ASSIKOULA
INTRODUCTION

Ce nouveau récit relate une révolte fomentée par le dénommé


Tiêkoura contre l’emprise de l’islam sur la ville de Ségou, siège du
pouvoir bambara. La datation de cet épisode reste assez floue ; en
effet le motif de cette rébellion est la requête des Ségoviens venus se
plaindre à Tiêkoura de la soumission de leur ville aux injonctions
religieuses de l’administration mise en place par Sêkou Âmadou,
l’instaurateur, dans la Boucle du Niger, de l’État théocratique désigné
sous le nom de Dîna et plus connu sous celui d’« Empire peul du
Massina1 ». Il faut rappeler que ce qui ouvrit l’aire de cet État
islamique fut la bataille de Noukouma (1818) qui sonna la victoire sur
les Bambara – associés à certains chefs peuls de la région – de celui
qui devait devenir Sêkou Âmadou, et l’extension de la zone
d’influence de Hamdallâye, nouvelle capitale de cet Empire. Le
Royaume bambara de Ségou ne fut pas réellement intégré à la Dîna
dont on dit qu’elle s’étendait « de Tombouctou à Djenné », mais se
trouva directement touché par la diffusion du mouvement
d’islamisation ; ce qui ne fut pas sans provoquer des remous, comme
en témoigne ce récit.
Toutefois, en dépit de la résistance du pouvoir ségovien à
l’imposition d’une situation de quasi vassalité par rapport à la Dîna,
des alliances circonstancielles se nouèrent à plusieurs reprises entre
Peuls et Bambara ; c’est ainsi que, sous le règne de Âmadou Âmadou,
petit-fils de Sêkou Âmadou (1853-1862), le roi bambara Ali Diarra
(ou Ali Da Monzon, qui régna de 1859 à 1861) se convertit à l’islam,
et qu’une coexistence pacifique s’instaura entre Hamdallâye et
Ségou ; doit-on alors situer cette révolte de Tiêkoura plutôt à cette
époque ? Le narrateur précise de façon insistante qu’il s’agit d’une
« troisième » révolte ; ce qui pourrait inciter à attribuer à celle-ci une
date plus tardive qu’aux précédentes, fomentées aux premières années
de la Dîna ; cela d’autant plus que les frères Siddîki, principaux
protagonistes du récit sont présents dans un autre récit épique dont
l’action qui les oppose, cette fois, non plus aux Bambara mais aux
Foutankés (venus avec le conquérant al-Hadj Oumar), se situe à
Bandiagara et donc, vraisemblablement, après 1864.
Toutefois, la conclusion du récit nous oblige à revenir en arrière, au
moins avant 1844, date de la mort de Sêkou Âmadou, puisqu’il est
stipulé que ce sont les prières de celui-ci qui ont dénoué la situation en

1. Cf. A. H. BA et J. DAGET, 1962, 1984.

139
TIÊKOURA

amenant les Bambara à résipiscence ; à moins que ces prières n’aient


eu une efficacité définitive. La datation suggérée par le second récit
dont nous avons connaissance, concernant les frères Siddîki, pourrait
donc être réfutée ; le trio s’y réduisant à un duo, on peut supposer que
leur frère Sêkou Sêkou a été tué par Tiêkoura bien avant leur
affrontement avec le pouvoir foutanké et, dès lors, situer grosso modo
l’action entre les années 1820 et 1840.
Le problème d’une datation exacte de l’action reste donc irrésolu, ce
qui n’entame en rien la valeur du récit qui a une visée idéologique
bien plus qu’une prétention à la vérité historique.
Pour en revenir au principal personnage, Tiêkoura, il nous est
longuement décrit par le narrateur sous les traits – fréquents dans les
contes et dans les récits épiques – d’une sorte d’enfant terrible,
marginal et bagarreur, dont on a d’ailleurs un autre exemple dans le
récit concernant Garane Mâdiaga, l’un et l’autre figurant l’archétype
du héros bambara tel que le représentent les griots des Peuls.
Contestataire outrecuidant, Tiêkoura annonce donc carrément à Sêkou
Âmadou ses intentions de sédition, n’hésitant pas à le provoquer
directement, comme son adversaire personnel.
Un jeune preux, Sêkou Sêkou Siddîki – « frère » (c’est-à-dire cousin
germain) de Saydou Sêkou Siddîki et de Siddîki Sêkou Siddîki –, se
propose pour engager la lutte contre le rebelle. Sa proposition
acceptée, il cherche auprès de l’un de ses amis, Abdourâmane
Guidâdo Ham-Samba une armée. Toutefois c’est dans un combat
singulier que chacun des deux adversaires est bien résolu à se faire
valoir en mettant en jeu tout son honneur ; et le duel, morceau de
bravoure traditionnel dans tous ces récits épiques, est mis en scène de
façon très précise et avec brio ; puis, Sêkou Sêkou Siddîki y ayant
trouvé la mort, l’affrontement rebondit, se doublant d’un nouveau duel
entre Tiêkoura et Abdourâmane Guidâdo, combat tout aussi
prodigieux qui se conclut par la mort du rebelle. L’action se déroule
ici dans une sorte de dynamique cinématographique, image et
mouvement étant remarquablement rendus par le style et le phrasé du
narrateur.
Après l’échec du combat singulier, les Bambara confient la direction
des opérations à Négué, un cousin de Tiêkoura, et l’armée bambara
décime les rangs des Peuls. Et c’est là que, d’une façon quelque peu
abrupte et paradoxale, le récit se clôt en expliquant l’abandon des
hostilités par les Bambara décontenancés par la mort de Négué et
menacés par Bâ Lobbo Bôkari parti les combattre mais sauvé par les
prières miraculeusement protectrices de son oncle Sêkou Âmadou.
L’intervention dans le récit des trois Siddîki y introduit un deuxième
volet longuement développé, au cours duquel l’épouse de Sêkou

140
INTRODUCTION

Sêkou, mort au combat, reproche à son frère, Siddîki Sêkou Siddîki,


de n’avoir pu en ramener la dépouille :
Banndiiko debbo oo wii mo : « … fay so Pullo fa""anetee nagge so nge
nyaamee, haanaa taweede !eynge kaa !
– O wii – Pullo so fa""anaama nagge !eynge,
nge nyaamaama,
– o wii – hersa he!ii "um sanne sanne !
Yella ngol ngartir-"aa e men ?
A fa""anaama nagge !eynge, a nyaamanaama nge duu
– o wii – woo"ii ! Fay !inngel ngel a wartiraay ! »
Sa sœur lui dit : « même si un Peul doit voir sa vache terrassée [par un
lion] et dévorée, ce ne doit pas être une vache suitée !
Un Peul – dit-elle – auquel une vache suitée a été terrassée et dévorée,
connaît la plus grande honte !
Que nous as-tu donc rapporté ?
On t’a terrassé une vache suitée et on te l’a dévorée !
Très bien ! Et tu n’as même pas ramené le petit veau ! »
Et la même scène se répète lorsque, à son tour, Saydou l’accuse de
lâcheté dans les mêmes termes imagés :
« Par Dieu ! Tu nous as apporté aujourd’hui une chose fort laide ;
car il ne sied pas qu’un Peul ait l’une de ses vaches suitées terrassée
et dévorée
sans qu’il n’ait été lui aussi, avec elle, dévoré, s’il ne l’avait pas récupérée.
Celui qu’aujourd’hui on t’a abattu, sans que tu aies pu contempler son
cadavre pour lui rendre les honneurs…
que tu ne sois pas même revenu, voilà qui, à mes yeux, eût mieux valu, plutôt
que ce soit Abdourâmane Guidâdo Samba qui ait retrouvé pour toi son
cadavre ! »
Ce long réquisitoire est l’explicitation d’une formule qui ouvre une
autre anecdote concernant aussi les deux frères Saydou Sêkou et
Siddîki Sêkou, de Kakagné (ou Kakagnan)2. En effet, c’est par un
dicton ordinairement utilisé dans le contexte pastoral que débute cet
autre récit. « A"a tooyree a"a nyaamree », « à cause de toi on va
subir dommage et préjudice3 » : voilà l’apostrophe intempestive que
lance, d’emblée, Saydou à son cadet Siddîki, en ces termes aussi
sibyllins que prémonitoires.
Et le dicton est alors commenté, là aussi, dans un long monologue,
pour en justifier le sens contextuel :
Siddîki dit : « Sais-tu seulement ce que cela veut dire que “subir dommage et
préjudice” ? »
Saydou dit : « Je le sais parfaitement.
Ce que c’est que “subir dommage et préjudice”,

2. Ce récit, intitulé Siddîki Sêkou Siddîki, figure dans le tome I, p. 124-155.


3. Cette expression signifie qu’une bête a été attaquée et dévorée par un fauve devant
son berger qui, resté impuissant, se trouve ainsi spolié dans son bien et atteint dans
son honneur de gardien du troupeau.

141
TIÊKOURA

ce n’est pas que toi, jeune homme, ayant mené paître un troupeau de vaches,
un lion en ait abattu une : ce n’est pas en cela que l’on peut « subir dommage
et préjudice » ;
ce n’est pas davantage – dit-il – que toi, jeune homme, ayant mené paître des
moutons,
une hyène en ait abattu un ; ce n’est pas en cela que l’on peut “subir
dommage et préjudice” ; ni non plus que toi, jeune homme, ayant mené paître
un troupeau de chèvres,
un chacal en ait abattu une ; ce n’est pas en cela que l’on peut “subir
dommage et préjudice” ;
mais bien plutôt – dit-il – qu’il advienne que tu sois un jeune homme dont on
pleure la mort
et dont on la pleurera tout un an ; car t’étant, avec ton destrier, engagé au
milieu des cavaliers,
tu as été jeté bas et tu es resté là-bas sur le terrain ;
et, bien que tu aies un frère cadet
ou un frère aîné,
celui-ci a été impuissant à reprendre ton corps aux mains de l’ennemi : voilà
en quoi l’on peut dire que l’on subit dommage et préjudice. »
Il est frappant que, contrairement au traitement littéraire
habituellement appliqué au duel, acmé de l’action épique – si bien
illustré dans le double affrontement de Tiêkoura contre Sêkou Sêkou,
puis contre Abdourâmane Guidâdo –, dans cet autre récit, la mort de
Siddîki ne donne lieu à aucun développement ; elle est, d’une façon
particulièrement surprenante, tout juste suggérée en ces termes :
les coups partirent :
l’un toucha Siddîki en plein front : il glissa du haut des quartiers de selle et
tomba.
Son cheval blanc entra au trot à Bandiagara.
Et plus tard, c’est avec la même sobriété que, ayant appris la mort de
son frère, Saydou conclut :
« C’est à moi, qu’il est échu, à présent, de subir dommage et préjudice, à
Bandiagara ;
car je ne pourrai reprendre son cadavre aux mains des sofas4. »
Et le griot décrit alors de façon beaucoup plus animée et précise les
tentatives infructueuses du héros pour récupérer le cadavre de son
frère, puis le combat mortel du Peul Âli Boukari Hamman Koulé
contre les soldats de l’armée toucouleur – pendant du duel entre
Tiêkoura et Abdourâmane Guidâdo.
On ne peut que constater combien l’importance accordée, dans ces
deux récits, aux dialogues commentant cette formule, leur confère une
dimension particulière : plus que la narration d’affrontements ayant

4. Il s’agit ici de Bambara enrôlés dans l’armée recrutée par les descendants d’El
Hadj Oumar régnant à Bandiagara, armée composée de Toucouleurs, d’anciens
captifs et de Bambara.

142
INTRODUCTION

ponctué l’histoire mouvementée de cette région, ils deviennent des


sortes de fabliaux destinés à illustrer un dicton ; certes cette
illustration est apparemment attachée à la destinée de ces trois frères ;
mais le fait même qu’elle soit appliquée selon l’occasion à l’un ou à
l’autre, dans des circonstances les opposant à des adversaires
différents, et à des moments historiques successifs, signale bien que la
portée du sens qu’elle véhicule déborde évidemment l’histoire
personnelle de ces personnages.
Comme l’ambitionne tout récit épique, la leçon dépasse les
frontières de l’action évoquée : il a en effet une dimension allégorique
et une intention idéologique générale ; ce qui explique que le souci de
l’exactitude historique ne soit en rien un frein à la présentation des
faits et des personnages dans l’interprétation épique qu’en font les
griots ; car seule compte l’exaltation des représentations constitutives
du pulaaku – ou manière d’être et de se comporter idéale, considérée
comme identificatrice du Peul.

143
TIÊKOURA

Narrateur et joueur de luth : Yéro Assikoula


Mopti 1970

Aujourd’hui aussi, je vais dire pour toi une histoire concernant un


Bambara
qui était venu à Ségou.
Cet homme y organisa une troisième révolte.
Il ne s’agit pas de la première révolte de Ségou,
au début de leur guerre, ni de la seconde.
Celle-là est appelée « celle qui but Ségou et le Massina, un ven-
dredi ».
L’histoire de la troisième révolte de cet homme, qui s’appelait Tiê-
koura,
un Bambara revenu là pour y fomenter une troisième révolte,
voilà ce dont je vais te faire le récit.

Cet homme, ce fut Abdourâmane Guidâdo Ham-Samba qui l’occit, un


Peul dont on dit qu’il était de Tênengou1.
Lui, ce Tiêkoura, voici ce que l’on sait de lui : sitôt que, enfant, son
esprit s’éveilla,
il s’engagea dans la brousse ;
et, en même temps que s’éveillait son esprit, il s’avérait d’un naturel
extrêmement méchant.
Il n’avait d’autre préoccupation que de frapper les poulets d’autrui –
tant, du moins, qu’il ne fut capable que de cela !
Car un petit gamin, bien entendu, ce n’est que sur un poulet qu’il peut
avoir le dessus !
Mais bientôt… il rassembla des enfants en grand nombre ; et il n’eut
plus d’autre préoccupation que de tuer des moutons domestiques
appartenant à autrui, lorsqu’il commença à devenir plus malin.
Et puis un enfant, devenu adolescent, peut alors s’en prendre aussi
aux moutons et aux chèvres.
Il finit par exaspérer le village et les gens ne faisaient que se plaindre
de lui.
Il se trouvait que c’était un orphelin :
son père mourut alors qu’il n’était encore qu’un nourrisson.
Lui et sa mère vivaient avec sa grand-mère,

1. Actuellement Ténenkou.

145
TIÊKOURA

– c’est-à-dire, la mère de son père.


Elle ne put rien faire pour le [calmer].
On se plaignit aux oncles paternels et les oncles paternels furent
impuissants à le [calmer].
Tel était Tiêkoura !
Il réunit un grand nombre d’enfants
et même les enfants d’autres villages voisins n’eurent de cesse de
venir d’eux-mêmes se joindre à lui.
Il était devenu un enfant d’un fort méchant naturel ; il n’avait d’autre
occupation que de tuer les moutons d’autrui.
Les vieux déclarèrent que, chaque fois qu’on le voyait, on n’avait
qu’à le battre et le chasser.
Il quitta le village,
il s’en alla en brousse ;
et désormais ce furent les bergers que, eux, les enfants, importunèrent.
Chaque fois qu’ils voyaient un Peul
ou quelqu’un d’autre en train de faire paître ses bêtes,
ils décidaient d’y prendre de quoi se nourrir :
s’ils avaient sur l’homme le dessus, ils se servaient ;
dans le cas contraire, si c’était l’homme
qui l’emportait, il se battait avec eux ;
si bien qu’à la fin, tout homme qui se mettait en route
pour aller faire paître ses bêtes, chaque jour,
c’était à eux qu’il devait le plus prendre garde
bien plus encore qu’aux fauves : lion, panthère
ou hyène !
Ils sévirent jusqu’au plus profond de la brousse.
Tel était Tiékoura ! Ils finirent par faire un village, lui et les jeunes.
Ils installèrent des maisons.
Et dès lors, les bêtes qu’ils prenaient, ils les mettaient en commun et,
leur subsistance assurée, tout le surplus, ils le vendaient ;
ils achetèrent alors des fusils,
ils achetèrent de la poudre,
ils achetèrent toutes sortes d’armes qu’ils mirent en réserve, dans la
brousse.

Ils se mirent en devoir de confectionner des balles.

147
TIÊKOURA

Ils furent bientôt des jeunes gens dans la fleur de l’âge et ils
constituèrent pour ainsi dire une troupe armée qui finit par compter
une centaine d’hommes,
là-bas, en pleine brousse.
À son départ,
c’était l’ignorance religieuse qu’il avait laissée à Ségou :
il les avait laissés qui adoraient des fétiches,
organisaient des festivités,
achetaient de la bière.
Il y avait longtemps de cela.
Lors, il était un Peul qu’on appelait « le Sabreur, le Vainqueur,
Celui-qui-partage-[le butin]-sans-rien-garder-pour-lui,
L’Égreneur-de-chapelet,
Celui-qui-dit-la-vérité »,
c’est-à-dire notre roi entre Tombouctou et Djenné, autrefois,
le Hammadi de Fâtoumata Alfâ Goûrôwo : c’est Sêkou Âmadou.

Sêkou Âmadou alluma le flambeau de la religion ;


cela arriva, après lui.
Il vainquit les Ségoviens
et il diffusa la religion divine entre Tombouctou et Djenné,
lui, Sêkou.
Il eut sous son commandement un nombre de villages que nous disons
être soixante-sept mille villages…
et qui constituaient son fief.
Un soir, il entreprit de convoquer cent seize mille chefs de lignage,

à Hamdallâye.
Il se trouva qu’il avait là cent hommes, chefs de bataillon,
dont lui revenait l’entière responsabilité ; et il se trouvait que le fils de
son frère cadet, c’était Alfâ Bâ Lobbo Bôkari.
Tiêkoura,
devenu un jeune homme dans toute sa plénitude, convoqua les cent
hommes avec lesquels il se trouvait, dans la brousse,
et il leur dit : « À présent, notre malfaisance a atteint toute sa viru-
lence.
Ce sont les gens des villages qui partent en brousse que nous devons
agresser ; et quand nous ressortons des habitations, c’est à ce qui s’y
trouve que nous nous sommes attaqués,
à présent, il est grand temps que nous nous attaquions aux villages.
Commençons par tirer des bêtes sauvages. »

149
TIÊKOURA

En ce temps-là, Tiêkoura et les jeunes gens se trouvaient ensemble,


dans la brousse, s’occupant tous, uniquement, de tirer du gibier.
Tout ce qui était à la mesure de leur appétit, ils le mangeaient ;
avec tout le surplus, ils s’occupaient d’acheter de la poudre et des
balles
et des fusils…
Jusqu’au jour où, lui, Tiêkoura, convoqua les cent hommes
et leur dit : « À présent, il est temps que nous entrions en ville. »
Eux, donc, ces cent hommes, munis de fusils à double canon et en
acier trempé,
tous, chargèrent sur leur tête leurs sacoches de poudre et de balles.
Ils prirent leurs fusils, ils enfourchèrent leurs montures
et ils pénétrèrent dans la ville de Ségou.
Il arriva et il trouva que la religion s’y était déjà propagée.
Sêkou Âmadou leur intima l’ordre de se conformer à ses prescriptions.
Mais ils n’acceptèrent pas.
Tiêkoura revint donc, se mit à l’écart, derrière la ville.
Il se fit une demeure personnelle
et, dans la cour, il édifia une centaine de greniers ;
à côté de chacun de ces greniers, se trouvait une petite pièce
d’habitation en pisé ;
et cette demeure devint une grande demeure.
À l’entrée,
il mit une porte en bois.
Et il fit
que toute chose qui franchît la porte de sa demeure
devînt aussitôt un tribut destiné à acheter de la poudre :
il en avait besoin.
Cependant il ne causait plus de tort à personne.
Chaque homme se tenait assis à la porte de sa pièce d’habitation ;
et chaque pièce
avait, à sa porte, un grenier ;
et chaque grenier
était plein de poudre et de balles.
Chaque homme se tenait assis, tenant un fusil à long double canon en
acier trempé.
Quant à lui, Tiêkoura, il se tenait assis dans l’une des pièces
d’habitation ; c’était lui qui était à leur tête.
Ils étaient cent hommes à l’intérieur de la demeure.
Il convoqua [des gens de] Ségou.
Il leur dit : « À présent, dans quelle situation vous retrouvè-je ? »

151
TIÊKOURA

Et [les gens de] Ségou lui dirent : « Tu nous a trouvés fort préoccu-
Nous sommes très inquiets. [pés !
Actuellement Dieu a fait briller un homme
et cet homme, nous n’en voulons pas.
C’est en effet un homme du nom de Sêkou Âmadou qui – comme tu
le vois – est apparu là-bas, chez les Peuls du Massina,
et a édifié une ville du nom de Hamdallâye.
Or, à nous, il nous a rogné les ongles
et il a émoussé nos armes,
c’est-à-dire qu’il a anéanti nos cités
et a tué nos jeunes qui étaient des hommes valeureux. »
Il dit qu’il avait parfaitement bien compris – lui, Tiêkoura.
Alors, il convoqua des Ségoviens pour leur annoncer que, tous, il les
dispensait de s’engager dans une guerre contre Sêkou Âmadou.
L’un demanda qui donc alors engagerait les hostilités ?
Il dit qu’il n’en imposerait la charge à personne,
ce serait lui-même, tout seul, qui préparerait cette attaque.
Il dit qu’il priait Ségou – au nom de l’espoir qu’on pouvait mettre en
lui –
[de faire en sorte] que toute personne qui disposait d’un homme de
guerre prêt à combattre, le réfrène.
Il ne leur demanda rien d’autre, sinon que chacun dressât une case à
fétiche partout où il y avait un fétiche,
que tout ce qu’il y avait à Ségou de femmes qui brassaient la bière, se
mettent en devoir de préparer de la bière.
Il dit que toute femme libre à qui l’on avait ordonné de se tenir cachée
chez elle, quitte, si elle le désirait, la chaleur nocive pour se promener
où bon lui semblerait.
Il dit encore que, si, dans les réunions, à Ségou, il y avait parmi les
gens contestation sur la question de savoir quelle femme était la plus
belle,
ils n’avaient qu’à amener les femmes dans les réunions pour qu’elles
y soient examinées.
Cette fois ce serait lui qui s’entretiendrait avec Sêkou Âmadou ! Et
que nul ne se batte avec Sêkou Âmadou !
Les gens de Ségou dirent qu’ils allaient se consulter.
Les anciens de Ségou réunirent un conseil.
Ils dirent : « Ce jeune homme, pour sûr, est revenu chez nous pour
apporter la sédition.
Voyons par quel moyen venir à bout de cette affaire. »
Les anciens de Ségou tinrent conseil et discutèrent.
Ils dirent : « Celui-ci a déclaré qu’il était tout à fait capable d’attaquer.

153
TIÊKOURA

Si, donc, il s’avère qu’il en est réellement capable,


nous n’aurons qu’à lui abandonner l’affaire ; et, puisqu’il a dit qu’il
ne laissait personne se battre avec Sêkou Âmadou, acceptons cela,
ne nous battons donc pas
et laissons-le à son attaque.
Quand les gens de Sêkou Âmadou seront venus et se seront battus
avec lui,
s’ils remportent la victoire,
nous pourrons dire que, nous, nous ne nous serons pas dérobés devant
lui, mais que nous lui avons cédé l’avantage, par respect,
et nous reprendrons la lutte ; nous n’aurons plus qu’à nous révolter.
S’il se bat et qu’il remporte la victoire,
alors là, ce sera tout à fait magnifique !
Mais s’il cherche alors à devenir le chef de la ville, nous refuserons
et nous nous battrons contre lui ;
et, à moins qu’il n’ait eu sur nous le dessus, n’acceptons pas. »
Ils déclarèrent donc qu’ils avaient entendu et qu’ils étaient tout à fait
d’accord.
Alors lui, ce Tiêkoura, chercha un lettré ;
il lui dit d’écrire pour lui une lettre.
Une lettre fut donc écrite de sa part, à l’adresse de Sêkou Âmadou.
Il y disait à Sêkou Âmadou qu’il n’avait pas accepté son mode de vie,
qu’il avait ordonné que partout où, dans Ségou, se trouvait une case à
fétiche, celle-ci fût restaurée.
Il y disait aussi qu’il avait ordonné que, partout où il y avait une
femme libre, si elle désirait se promener, elle aille à sa guise.
Il y disait aussi qu’il avait ordonné que les fabricants de bière en
prépare pour qu’il en achète ;
qui n’en voulait pas n’aurait qu’à ne pas en acheter ! Qui en voudrait,
en achèterait et en boirait ;
si tu ne bois pas, ce n’est pas une raison pour interdire aux autres de
boire !
Il y disait à Sêkou Âmadou que, s’il acceptait cela, alors chacun
resterait chez soi, lui là-bas, et lui, ici ;
mais que, s’il refusait, alors, c’était, quant à lui, comme son adversaire
qu’il était revenu [à Ségou].
Il n’avait pas accepté ce qu’il faisait dans le pays.

155
TIÊKOURA

Cette lettre arriva


alors que Âmadou Hammadi Boubou Sa’îdou Al-Hadj Môdi, c’est-à-
dire Sêkou Âmadou – tels étaient en effet les noms par lesquels il était
désigné –
se trouvait assis,
des hommes faisant cercle autour de lui tout comme un anneau
entoure un doigt :
c’est que, en fait, il avait toute sa cour autour de lui.
Il se trouvait parmi des lions pleins de bravoure,
des jeunes gens au cœur bouillant d’exaltation
qui redoutaient au plus haut point l’opprobre,
dont les dards étaient d’une audace extrême,
qui n’avaient d’autre abri que les pointes des calames, se trouvaient
bien serrés entre pommeau et troussequin
– ce sont des pièces de harnachement des chevaux –
et avaient, tombant jusqu’à l’épaule, des turbans de bougué,
– c’est-à-dire qui s’enturbannaient de bougué –,
qui pourfendaient [l’adversaire] jusqu’à ce que le sang leur couvrît
pieds et mains
et qui, chaque fois qu’ils partaient en campagne, n’avaient pas de plus
cher désir que de tomber au champ de bataille,
et n’en revenaient que par la volonté de Dieu.
Cette lettre arriva. Âmadou – c’est-à-dire Sêkou Âmadou – en fut
courroucé.
Sêkou Âmadou dit : « Mâmaningué ! »
C’était un captif qu’il avait, qui portait ce nom ;
et, pour ce captif, appelé Mâmaningué,
Sêkou Âmadou nourrissait une si grande affection
que, le soir venu, chaque fois que, entre Tombouctou et Djenné,
les cavaliers étaient partis en campagne pour une expédition guerrière,
c’était toujours lui, Mâmaningué, qui se munissait d’une mesure
pour partir avec eux, et qui distribuait leur ration quotidienne aux
cavaliers de l’armée de Hamdallâye, et cela, pour chaque expédition
qui était lancée.
Et si les provisions des cavaliers se trouvaient épuisées,
il avait une « permission »
– ce qu’on pourrait appeler une autorisation légale –
il avait une autorisation de Sêkou Âmadou ;

157
TIÊKOURA

il avait donc une lettre et partout où, dans les villages, il montrait
qu’elle était de la plume même de Sêkou Âmadou,
partout, donc, où il montrait cette lettre, même si c’était mille mesures
qu’il demandait qu’on lui avançât, on les lui avançait sur-le-champ
en attendant que,
une fois de retour à Hamdallâye, il en présentât le décompte au Trésor
public des Croyants et qu’il les remboursât.
C’était aussi lui qui battait le grand tambour d’appel s’il advenait là-
bas quelque événement fâcheux.
Il frappa donc la corde sur la peau du tambour – lui, Mâmaningué.
Il annonça à Hamdallâye que Sêkou Âmadou avait convoqué une
assemblée.
Peuls notables,
et fils de notables, l’apprirent.
Ils s’acheminèrent vers le portique de la mosquée de Hamdallâye,
pour le Conseil.
Une foule vint, nombreuse.
Et Sêkou Âmadou leur annonça que, avec la permission de Dieu, une
sédition avait éclaté là.
Il leur dit : « Mais en fait, cette sédition qui a éclaté m’est agréable !
Un Bambara est revenu à Ségou ; il s’appelle Tiêkoura.
Ce qui l’a amené,
c’est uniquement l’intention de fomenter des troubles.
Il m’a envoyé dire que le mode de vie que j’ai adopté n’est que
mensonge.
Il a levé la claustration des femmes de condition libre,
il a aussi ordonné de lever l’interdiction de rendre un culte aux fé-
tiches ;
il a déclaré qu’il avait aussi supprimé l’obligation de se détourner des
cabarets
et a dit que l’on prépare de la bière : qu’en boive qui voudrait, et qui
n’en voudrait pas, s’en détourne !
Il m’a dit que si j’acceptais cela, je reste à ma place
et que lui, Tiêkoura resterait à la sienne. »
Sêkou Âmadou dit encore aux gens de Hamdallâye : « Il a déclaré
que, en revanche, si je n’acceptais pas, nous en viendrions aux armes.
Quel est donc votre point de vue, à Hamdallâye ? »
Hamdallâye dit : « Quant à nous, notre seule manière d’être, Âmadou,
c’est que, quoi que tu nous ordonnes, nous te le ferons instan-
tanément, si Dieu le permet. »

159
TIÊKOURA

Ils dirent donc : « Vas-y donc ! [Dis-nous ce que nous devons faire] ».
Sêkou Âmadou dit : « Pour ma part, ce que je veux, c’est que tout
ennemi de Dieu,
où qu’il s’en trouve un, ait fait acte de soumission ;
et, si jamais il refuse de se conformer à mes ordres, je le combattrai
jusqu’à ce que le sang coule.
Pour moi donc, c’est se battre avec lui que je vois !
Mais, pour l’instant, accordez-moi quelque délai2. » Et Sêkou
Âmadou s’en retourna chez lui.
Il se livra à ses exercices de divination habituels pour se renseigner
sur une question.
Au bout de trois jours, il s’en revint à Hamdallâye, et il rit.
Lorsque, en plein Conseil, il eut ri, Hamdallâye dit : « Quelle est donc
la raison de ton rire, Sêkou ? »
Il dit : « La raison ? Eh bien voici :
durant les trois jours que j’ai cherché, auprès de Dieu, à être éclairé
sur ce qui se passerait entre ce païen et moi,
Dieu m’a fait savoir que tous les cavaliers qui, sortis d’ici, se seront
rendus là-bas, il aura sur eux la victoire ;
il est très dangereux.
Or moi, quand j’entreprends de m’attaquer à un ennemi de Dieu, ce
n’est pas dans l’unique but de me battre avec lui
et l’unique but de le vaincre.
Qu’il ait sur moi la victoire ou que je l’aie sur lui, dans tous les cas,
nous devrons nous battre ! »
Hamdallâye dit : « Pour ce qui est de nous, quels que soient tes ordres,
nous nous y conformons. »
Ils étaient encore à discuter de cela lorsqu’une nouvelle lettre parvint
à Hamdallâye.
Ils s’aperçurent que cette lettre [venait]
du Peul que les griots nomment : « Celui-qui-s’enfonce-dans-sa-selle,
Celui-qui-supporte-vaillamment-le-choc-des-lances,
Celui-qui-dompte-les-destriers »,
c’était le Lancier-capable-de-vaincre-les-fusils,
Saydou Sêkou Siddîki.
Il avait un cadet, qui s’appelait
Sêkou Sêkou
– c’était un fils de son oncle paternel –
et qui, aussi, avait pour épouse l’une de ses sœurs ; cette sœur
s’appelait Aïssata Sêkou Siddîki.

2. Textuellement, « attendez-moi patiemment un peu ».

161
TIÊKOURA

« Sêkou » : [le même nom] parce que, ceux-ci étant des enfants issus
d’oncles paternels, ils se retrouvaient avec le nom de son père ;
telle est la coutume des Peuls.
Il avait aussi un cadet du nom de Siddîki Sêkou Siddîki.
C’est donc le cadet appelé Sêkou Sêkou – c’est-à-dire le fils de son
oncle paternel –
qui avait écrit une lettre à Sêkou Âmadou.
Il lui disait qu’il le priait pour l’amour de Dieu
de lui laisser lever pour lui une armée
et lancer une expédition pour aller voir cet ennemi de Dieu qui venait
de se poser en rival de Sêkou Âmadou, dans ses fonctions ;
il engagerait la guerre contre cet homme.
Il disait qu’il n’agissait pas ainsi parce qu’il mésestimait Hamdallâye ;
il ne disait pas, non plus, qu’en y allant il avait des chances de
remporter la victoire.
S’il y partait c’était parce que, même s’il ne remportait pas la victoire
dans la sainte lutte pour Dieu, ce lui était une grande joie
que de se battre avec un homme qui avait fait montre à l’endroit de
Sêkou Âmadou d’une telle arrogance.
Sêkou Âmadou fit lecture de cette lettre à Hamdallâye et leur dit :
« Qu’est ce que vous en dites ? »
Bâ Lobbo Bôkari et lui disputèrent de l’affaire.
Bâ Lobbo dit : « Père, il ne faudrait pas confier à quelqu’un d’autre,
une expédition
et que, tandis qu’un homme, encore ignorant de la religion, a fait
montre à ton égard d’une arrogance démesurée, je reste, moi, tran-
quillement assis
alors que si, jusque-là, j’avais attendu patiemment, c’était uniquement
parce que mon seul désir était que ce fût à moi que tu aies confié
l’expédition,
et que je m’en aille voir cet homme qui t’a écrit, à toi, mon père, cette
lettre [où il prétend] que ta parole n’est que mensonge, et que je le
combatte. »

Hamdallâye rejeta la proposition de Alfâ Bâ Lobbo.


Ils dirent que Bâ Lobbo Bôkari laisse la responsabilité de l’expédition
à Sêkou Sêkou.
Ils écrivirent à Sêkou Sêkou qu’ils avaient pris connaissance [de ses
propositions] et qu’ils les acceptaient.
[Sêkou Âmadou] dit qu’il les dispensait tous de partir, excepté Mâ-
naningué,

163
TIÊKOURA

– c’est-à-dire l’homme qui s’occupait des rations quotidiennes des


cavaliers lorsqu’ils partaient en campagne.
On remit à Mânaningué une mesure et la lettre.
Il apporta la lettre à Kakagné3,
et il la remit à Sêkou Sêkou.
Alors Sêkou Sêkou se rendit auprès de Saydou,
et dit : « J’ai prié Sêkou Âmadou de me confier une expédition,
c’est-à-dire qu’il m’accorde, à présent – en laissant Hamdallâye hors
de cette affaire – la charge de mener, moi tout seul, l’expédition
contre le païen qui est revenu à Ségou.
Il a accepté.
C’est moi qui l’en ai prié,
et ce n’est pas du tout une façon de sous-estimer Hamdallâye, mais
bien désir de mener une Sainte Lutte.
Et toi, qu’en dis-tu ? »
Saydou lui dit : « Tu as très, très bien fait, mon cher petit frère. »

Il reprit : « En tout cas, pour moi, en ce qui te concerne, toi Saydou, je


te dispense d’y participer ; tu n’as pas à y aller, car tu es un vieux.
Il faut que je te laisse te reposer
et que toi, en tant que mon aîné, tu permettes que cette expédition me
revienne. »
Saydou Sêkou Siddîki lui dit qu’il avait bien compris et qu’il était
d’accord.

Il avait un ami – lui, Sêkou Sêkou –


qui était à Tênengou
et qui s’appelait Abdou-Guida-Ham-Samba
– autrement dit Abdourâmane Guidâdo Ham-Samba.
Il écrivit une lettre à Abdourâmane Guidâdo Ham-Samba.
Il lui dit qu’il avait écrit à Sêkou Âmadou de lui confier cette ex-
pédition-là afin qu’il parte se battre contre le Bambara qui, derniè-
rement, était revenu à Ségou,
le dénommé Tiêkoura.
Il dit qu’ils lui avaient donné leur accord et qu’il avait reçu une lettre
disant qu’ils acceptaient ;
qu’Abdourâmane équipe donc tout cheval dont [il savait que] le
maître était un jeune homme courageux à qui il pouvait faire
confiance,
qu’ils viennent et se réunissent pour aller combattre contre cet homme
et y gagner gloire et bénédictions.

3. Kakagné ou Kakagnan : ville au nord du Massina, au sud du lac Débo, dans le


Guimbala.

165
TIÊKOURA

Abdourâmane Guidâdo dit qu’il avait compris et que ça lui agréait


tout à fait.
Il leva là-bas, six mille cavaliers
qui avaient les rênes bien en mains
et les pieds bien pris dans les étriers
et qui étaient à la recherche d’un ennemi de Dieu contre qui se battre ;
il leva, lui aussi, six mille cavaliers qui avaient des destriers choyés,
nourris à domicile.
Ils se réunirent et sortirent.
Ils firent leurs préparatifs ; on leur récita les prières de protection et
on leur fit escorte.
Ils firent jonction et les cavaliers firent route, en file indienne4 ;
et, dans la brousse, un énorme nuage de poussière s’éleva jusqu’à
toucher le ciel.
Immédiatement à leur suite venaient des fantassins,
bien équipés, leurs vêtements bien ajustés, et munis de lances agré-
mentées de barbelures.
Cela se mit en marche, s’acheminant jusque derrière les maisons de
Ségou.
Lorsqu’ils se trouvèrent à proximité,
c’est-à-dire une fois qu’ils furent tout près de Ségou,
ils bivouaquèrent : on fixa des piquets pour attacher [les montures],
on arracha de l’herbe, qu’on leur donna ;
on étendit des couches sur le sol.
Les chevaux faisaient comme une colline !
Ils fichèrent les lances en terre et l’on eût dit un champ de mil mûr !
Alors lui, Sêkou Sêkou, se leva, puis il s’arrêta
et dit à Abdourâmane Guidâdo Ham-Samba de chercher
immédiatement, parmi les Peuls qui étaient là, l’un d’eux qui soit plus
courageux encore que lui, Sêkou Sêkou,
pour savoir lequel devrait se rendre à la demeure du païen – c’est-à-
dire de Tiêkoura –
pour lui dire que les cavaliers des « Lettrés » venaient d’arriver
et qu’ils voulaient le voir pour s’entretenir avec lui.
Qui devait y aller ?
Il y avait, au nombre des hommes de Tênengou,
un captif, du nom de Bilâli Ham-Bodéwel ;
il se leva, s’arrêta devant lui et lui dit : « C’est moi qui irai, Sêkou
Sêkou. »
Sêkou rit ;
Sêkou Sêkou Siddîki dit au captif : « Tu n’iras pas !

4. Textuellement, « ils marchèrent d’une marche de fourmis ».

167
TIÊKOURA

Quand c’eût été ton maître même qui aurait proposé d’y aller, il n’irait
pas davantage.
Tout ce que je cherchais, en effet, c’était un homme plus courageux
et, par Dieu ! tu es quelqu’un de tout à fait bien, tu es un homme
valeureux.
Toutefois, moi, l’intention que j’ai, maintenant,
c’est d’enfourcher mon cheval et de m’en aller voir ce païen de visu,
nous nous verrons de nos propres yeux.
Et quand nous nous serons rencontrés, le païen et moi,
s’il se trouve qu’il accepte
ce que j’aurai proposé, il ne pourra rien y avoir de mieux,
et nous ferons alliance.
S’il se trouve qu’il refuse mes propositions,
alors je le combattrai jusqu’à ce que le sang coule !
Je viendrai vous rapporter les nouvelles à vous, les Peuls, afin que
nous engagions le combat entre lui et nous.
Voilà ce qu’il en est. »
Ils lui dirent qu’il n’y avait rien de mieux [à faire].
Lui, Sêkou Sêkou, tourna les talons et laissa là les Peuls.
Il mit la selle sur son cheval ;
il se mit sur la tête un turban de bougué ;
il mit à son cheval tous ses ornements d’écarlate et de laiton ;
il boucla les sangles du Gros-Homme
– c’est-à-dire du destrier.
Toute chose, quelle qu’elle fût, qui passait le seuil de la demeure du
Bambara, là-bas, on devait aller en quérir le propriétaire,
tant Ségou le redoutait – lui, Tiêkoura ;
tout ce qui passait le seuil de sa demeure était d’emblée objet
d’échange pour obtenir de la poudre.
On ne frappait pas, habituellement à la porte
– c’est-à-dire au battant en bois qu’il avait mis à la porte de la de-
meure.
Avant même que ni lui, ni les cent hommes [qui se trouvaient avec
lui] ne s’en fussent rendu compte,
Sêkou Sêkou avait rabattu ses étriers sur sa selle,
bien pris en main le cheval, comme une pièce d’un franc,
relâché le cheval comme une perche de bambou,
fait s’arquer le cheval comme un écureuil,

169
TIÊKOURA

fait se détendre le cheval comme l’un de ces poissons kôndo5 qui


vivent au fond du fleuve ;
il releva ses étriers pour les mettre en travers de la selle et, arrivé sur
le battant de la porte,
il y flanqua un coup de pied : la porte s’ouvrit d’elle-même avec un
fracas qui résonna jusqu’au fond de la demeure.
Les cent hommes se précipitèrent,
chacun sauta sur son fusil à double canon,
chacun sauta sur son baudrier,
chacun s’élança, puis s’immobilisa,
mit un genou en terre,
posa le fusil sur son autre genou
et, l’air sombre
et renfrogné,
se tint prêt,
rassemblant tout son courage.
Et ils attendirent, pleins d’impatience, des nouvelles de l’auteur [de ce
fracas].
Ils ne comprirent que lorsque le cheval avait déjà fait irruption jus-
qu’au milieu de la cour
c’est-à-dire que, ayant lancé son cheval, il l’avait fait entrer, lui,
Sêkou Sêkou.
Tel était son courage qu’il mit les rênes en travers sur le col de sa
monture et les accrocha au pommeau de la selle.
Il mit pied à terre et se tint droit sur ses jambes…
À terre et debout, immobile, droit sur ses jambes,
appuyé sur la lance,
il est d’une beauté extraordinaire !
Tout homme dont les yeux tombent sur lui a la certitude que c’est l’un
des Peuls qui est arrivé.
Il dit : « Où est Tiêkoura ? »
Tiêkoura se levant brusquement, quitta sa place
et appuya le fusil contre le mur
pour bien lui monter qu’il n’avait pas peur de lui.
Et il avança, les mains nues.
Ils s’arrêtèrent tous deux ensemble au beau milieu de la cour.
Il adressa à Tiêkoura les salutations d’usage et lui demanda si c’était
bien lui Tiêkoura.
Tiêkoura dit que c’était bien lui.
Il lui demanda si, lui, il était Sêkou Âmadou. Il dit : « Dieu te fasse
honte ! »

5. Heterotis niloticus.

171
TIÊKOURA

Et il ajouta : «Tiêkoura, Sêkou Âmadou est trop important pour venir


ici.
Si tu es en lutte avec Sêkou Âmadou, eût-il envoyé contre toi mille
troupes,
autrement dit, mille bataillons, toi, en tout cas, tu ne le verras pas !
Ce sera avec ses gens, qui sont ses partisans, que tu te battras.
Toi, tu es un homme dont la gloire n’est pas si grande que quelqu’un
se batte avec toi, sans même t’avoir vu ! Sêkou Âmadou n’est pas
venu.
Mais moi, mon nom est Sêkou Sêkou Siddîki.
Je suis un petit frère de Saydou, celui qui a rogné les ongles de tes
aînés,
autrement dit, celui qui a massacré tes jeunes gens,
après avoir émoussé les armes de tes aînés, c’est-à-dire avoir taillé en
pièces vos cités ;
lui, son nom est Saydou Sêkou Siddîki et il est aux côtés de Sêkou
Âmadou,
je suis son cadet.
Je sais que tous tes aînés qui ont vécu avant toi le connaissaient ;
quant à toi, tu vas me connaître, aujourd’hui, Tiêkoura ! »
Tiêkoura lui dit : « J’ai très bien compris.
Avec combien de Peuls es-tu venu ? »
Il dit : « Je ne te le dirai pas ! En tout cas, ce que j’ai amené, même si
tu as l’avantage en nombre, ça l’a sur toi en vaillance et en force. »
Tiêkoura lui dit : « C’est sur le terrain de combat que l’on doit parler
de combat. Ici, réponds seulement à mes questions
et je viens. »
Il dit : « Ce avec quoi je suis venu, si tu sors, tu le verras.
Mais, tout d’abord, ce avec quoi je suis venu, maintenant, c’est-à-dire
mon intention première, en mon cœur, c’est cela que je vais te
montrer :
moi, ce n’est pas une agression que je prépare, je préfère une alliance,
tout simplement. Je n’ai pas non plus d’animosité envers une
personne si elle est respectable.
Tiêkoura – dit-il –, ce qui m’a amené, assurément, c’est que j’ai
entendu dire que tu étais un brave ;
je suis venu voir si tu étais réellement un brave ou bien un pauvre
d’esprit.
La tradition que tu as trouvée en vigueur dans ce pays, ne l’abolis
pas !
La règle de réclusion des femmes de condition libre,
ne t’en écarte pas !

173
TIÊKOURA

Détourne-toi de la bière : qu’on n’en brasse pas, ni non plus, qu’on en


boive !
Ne permets pas que la licence fleurisse ici
et, les sanctuaires de fétiches, ne permets pas qu’ils soient restaurés !
Si tu agis de la sorte,
quelque question que nous ayons, vous et nous, à débattre,
ça pourra aller très bien.
Dans le cas contraire,
nous nous affronterons très sérieusement. »
Tiêkoura lui dit : « J’ai très bien compris ce que tu as dit. »

Tiêkoura lui dit encore : « Va et dis-lui que moi, je ne puis souffrir


que les femmes de condition libre soient recluses au point que la
chaleur les tue. »
Tiêkoura lui dit aussi : « Moi, je ne puis souffrir que l’on délaisse les
fétiches et que, si nous leur demandons les raisons des choses, ils ne
puissent plus nous les expliquer. »
Tiêkoura lui dit enfin : « Moi, je ne puis non plus souffrir
qu’il arrive qu’on ne puisse boire de la bière quand l’envie d’en boire
nous tourmente.
Je n’accepte pas ce que vous avez proposé. »
Il dit : « Tiêkoura ! C’est bon ! Demain ce sera la guerre entre nous. »

Tiêkoura lui dit : « Il n’est rien qui me fasse davantage plaisir ! »


Ils convinrent qu’ils devraient se battre, c’est-à-dire qu’ils conclurent
qu’ils devraient se battre.
Sêkou Sêkou Siddîki prit le chemin du retour.
Il avertit la gent peule ; il dit : « On n’a pas pu obtenir la paix avec le
païen ;
nous livrerons bataille demain matin. »
Ils dirent : « Dieu nous fasse voir demain matin ! »
Et tous s’affairèrent, car la guerre était pour le lendemain matin.
Lui, Tiêkoura, il désigna un messager qu’il expédia à Ségou.
Aux anciens de Ségou, il fit dire : « Ce que je vous avais déclaré,
dès le premier jour de mon retour, au jour où je devais édifier ici cette
demeure, ça reste inchangé.
Je n’en relève pas un seul, dit-il, de l’interdiction de se battre.
Je n’ai pas apporté cette guerre pour vous causer des ennuis ; car
vous-mêmes, j’avais trouvé que vous aviez déjà été attaqués et vain-
cus ;
c’est à moi de mener une nouvelle fois mon combat.

175
TIÊKOURA

Si je suis vaincu, je ferai comme vous ; si j’ai la victoire, alors, en


revenant, je restaurerai les manières de vivre de nos ancêtres. »
Ségou dit : « Nous avons parfaitement compris. »
Tous, ils furent d’accord et ils mirent sur la bonne voie leurs jeunes.
Et avec eux aussi, ils s’entendirent et ils ne firent qu’un.
Toutes les femmes d’origine bambara qui se trouvaient à Ségou
se concertèrent et se réunirent en assemblée.
Elles, les femmes bambara,
chacune d’elles décida qu’il fallait que son mari lui remît un poulain
de la race des chevaux blancs, mais dont la robe ne fût pas encore
immaculée6 ;
chacune d’elles décida qu’il fallait que son mari lui remît un captif
portant, sur son crâne rasé, une crête de cheveux ; et celui qui n’en
avait pas les moyens devait trouver un copain qui, lui, en avait, car il
en avait la capacité.

Et chacune de chercher une pièce d’étoffe


en bandes tissées teintes à l’indigo ;
chacune déclara qu’il fallait que son mari aille lui acheter mille noix
de cola.

Cela étant, toutes les femmes bambara mirent, à un bout de la pièce de


tissu, cinq cents noix de cola,
et cinq cents à l’autre bout,
des pièces de tissu en bandes de coton tissées et teintes à l’indigo.
Chaque paquet de cinq cents noix de cola une fois attaché,
on en charge un poulain de race, blanc mais à la robe pas encore
immaculée ;
et le petit captif à la tête rasée et ornée d’une crête de cheveux le
monte.
Cela fut réuni ; chaque femme bambara habitant à Ségou fit ainsi.
On apporta tout cela là-bas, dans la demeure [de Tiêkoura] ; on lui dit
que c’était la contribution que lui fournissaient les femmes bambara
de Ségou :
la cola, pour qu’il la donne à croquer à ses combattants – les cent
hommes ;
les petits captifs, pour qu’il ait de quoi acheter de la poudre et des
chevaux.
Il vit cela et cela lui fit très grand plaisir.
Et alors son ardeur à lui, Tiêkoura, s’en trouva accrue.
Il appela les cent hommes avec lesquels il partageait l’habitation.

6. Cette indication marque le jeune âge du poulain, car les chevaux blancs naissent
gris ou bruns et ne prennent leur robe définitive que plus tard et progressivement.

177
TIÊKOURA

Il leur dit : « Lorsque nous étions ensemble dans la brousse,


vous m’avez appelé et vous avez déclaré que c’était moi votre chef.
Vous vouliez de moi – dit-il –, voilà pourquoi vous m’avez placé à
votre tête, comme chef.
Depuis que notre esprit s’est éveillé, depuis le temps où, alors que
nous étions encore au village, et que c’étaient des poulets que nous
étions capables d’attraper,
si, vous désignant du doigt un poulet appartenant à autrui, je vous
disais “attrapons-le !” vous étiez sur lui avant moi ;

et, une fois que vous l’aviez entre les mains, dussions-nous être tués,
nul, à moins qu’il ne fût plus fort que nous, ne pouvait nous le re-
prendre.
Puis – dit-il –, nous en sommes venus à nous en prendre aux moutons
de case des gens
et si, vous en désignant un du doigt, je vous disais “attrapons-le !”,
vous étiez sur lui avant moi
et, une fois que vous l’aviez entre les mains, si quelqu’un survenait,
vous ne vous enfuyiez pas ;
bien plus, vous restiez cloués sur place jusqu’à en être malmenés !
Puis nous avons grandi et nous nous sommes engagés dans la
brousse ;
il n’y avait pas un berger avec un troupeau,
il n’y en avait pas un, tout bardé, muni de sept sagaies ornées de
barbelures – autrement dit, de lances à pointe barbelée –
qui apparût à notre vue, sans que, si je vous disais “emparons-nous de
lui !”, vous ne vous en empariez.
Pour tout méfait sur lequel nous nous étions entendus, nous avons fait
cause commune,
car, dit-il, n’est-ce pas, j’étais capable de vous commander.
Vous m’avez apprécié, et c’est pourquoi vous avez fait de moi votre
chef.

Aujourd’hui – dit-il –, à mon tour, je voudrais que vous fassiez preuve


de patience à mon endroit en attendant que je vérifie si je suis capable
d’avoir le commandement.
Je vais me battre avec lui, moi tout seul :
s’il a sur moi la victoire, alors, l’ayant constaté, vous vous battrez ;
mais s’il se trouve que c’est moi qui remporte sur lui la victoire, alors,
très bien !
J’aurai mérité d’être à votre tête, je reviendrai. »
Il avait un cousin – fils d’un oncle paternel –
du nom de Nêgué,

179
TIÊKOURA

qui se trouvait parmi eux ;


il lui confia la maintenance de la situation dans la maisonnée où il
laissa les cent hommes, et il déclara que lui seul partirait au combat –
lui, Tiêkoura.

Tous les Peuls, ce serait lui qui partirait les affronter.


Sa grand-mère ne lui avait plus adressé la parole – sa grand-mère
paternelle – depuis le temps où il sortait hors du village, parce qu’il
était devenu un gamin d’un si mauvais naturel qu’on s’était détourné
de lui ;
elle dit qu’on l’appelle, qu’il vienne pour qu’ils se rencontrent face à
face. Il y avait fort longtemps qu’elle ne l’avait vu : depuis que, tout
gamin, il faisait des sorties hors du village.
On l’appela ; ils se rencontrèrent.
Elle lui dit : « Lorsque ton esprit s’est éveillé, j’ai pensé que tu étais
un fruit sec.
À présent, je me suis rendu compte que tu étais devenu quelqu’un,
et tout ce que – dit-elle – tu as envoyé dire à Ségou m’a fait très grand
plaisir ; et je m’en suis réjouie.
Dans le temps, il s’est trouvé que j’ai été très en colère contre toi; et,
quand tu devais partir, tu t’es montré d’un si méchant naturel que je
refusai que nous nous saluions.
Mais – dit-elle – ce que j’ai appris que tu avais annoncé ce matin me
fait plaisir plus que tout.
J’ai appris en effet que, tous les jeunes gens avec qui tu es, tes
compagnons de lutte habituels, tu as dit que tu les dispensais de
prendre part à ce combat,
pour voir si tu étais vraiment capable d’être à leur tête ; [tu en as
dispensé] même le fils de ton oncle paternel… »
Et elle ajouta : « À présent, tu mérites que te soit remis ce que ton
père a laissé.
On a laissé pour toi ici, dit-elle, des provisions de route ; viens que je
te les remette et emporte-les pour le combat. Voilà ce pour quoi je t’ai
fait mander. »
La femme bambara sortit trois balles
– la vieille Bambara – ,
elle sortit encore un bonnet de toile brune
et elle lui dit : « Mets-toi ce bonnet sur la tête lorsque tu te battras
et – dit-elle – tu seras impénétrable au fer tant que, en tous cas, le
bonnet n’aura pas été ôté de dessus ta tête.
Les balles – dit-elle encore –, leur effet, chez les gens de ton père,

181
TIÊKOURA

c’était qu’elles ne restaient pas sur le champ de bataille :


qui que tu en aies frappé,
elles se retrouvent soit dans ta cartouchière soit dans ta poche,
toutes, si tu mets la main dans ta poche,
s’y trouvent réunies sans coup férir ;
et, de plus, celles-ci, aussi, ne font pas d’erreur :
qui que tu en aies visé, même s’il a eu sur toi le dessus, elles le tou-
chent.
Ces balles-là, voilà ce que tu as trouvé en héritage, dans ta famille ;
prends-les et emporte-les à la guerre. »
Son ardeur en fut accrue ; il se mit le bonnet sur la tête ;
il prit les balles et les mit dans la poche de son vêtement de toile
brune.
Et le voilà qui se met à faire se cabrer son cheval,
à lancer en l’air son fusil et à le rattraper au vol,
à tirer des coups de feu…
jusqu’à ce qu’enfin il sortît, se dirigeant vers les troupes des Lettrés7.
Tout Ségou le regarda, par-dessus la muraille, juste face à lui :
des femmes griotes poussèrent des youyous pour lui,
des femmes bambara lui adressèrent de fermes paroles d’encoura-
gement.
Il continua d’avancer, faisant danser son cheval
jusqu’à ce qu’il aperçût enfin Sêkou Sêkou ; quand il le vit, il devint
très nerveux.
C’est alors que le Peul du nom de Sêkou Sêkou Siddîki
fit partir son cheval ventre à terre
dans sa direction,
jusqu’à ce qu’ils se trouvent réunis sur le terrain de combat.
Sêkou Sêkou se redressa debout sur ses étriers et lui asséna un coup
de lance
et crut l’avoir frappé avec son poing (qui tenait la lance).
Il s’aperçut qu’il n’était pas facile de le blesser ;
il ne l’avait pas atteint.
Sêkou Sêkou se redressa debout sur ses étriers et lui donna un coup de
lance tel
que les Ségoviens crurent bien qu’il était resté sous le coup !
Mais il s’aperçut qu’il n’était pas facile de le blesser :
la lance avait rebondi sans l’atteindre.
Celui-ci pointa son fusil
et en tira coups sur coups sur Sêkou Sêkou,
si bien que tous deux se trouvèrent cachés dans un nuage de fumée.

7. Il s’agit des fidèles de Sêkou Âmadou désignés généralement du terme de


« marabouts ».

183
TIÊKOURA

La poussière retomba entre eux et l’on s’aperçut que les coups ne les
avaient pas atteints.
Ils combattirent ainsi magnifiquement, toute la matinée.
[Tiêkoura] rit et dit : « Le Peul ! Sais-tu ce qui fait que nous avons
passé la matinée à faire du si beau travail ? »
Il poursuivit : « Tu es très beau et je t’aime !
Quelqu’un de beau attire la sympathie ;
c’est pourquoi j’ai permis que nous nous amusions
afin que, là où tu mourrais, tu aies pu acquérir la gloire.
Toute la matinée – dit-il –, nous avons lutté, alors que, tant que je ne
le veux pas, il n’est pas un Peul qui puisse rester debout devant moi,
fût-ce le temps que pointe le jour !
Mais – dit-il – tu vas nous connaître, tout de suite ! »
Lorsqu’il eut prononcé ces paroles, le Peul en eut du ressentiment
et lui dit : « Dieu a mis à mal le chien ! Tu grognes bien fort !
Toi qui es un chien et un fils de chien, les grondements que tu viens
d’émettre là,
ce sont bien des grondements pour des chiens.
Ce ne sont pas à des hommes que s’adressent ce genre de gronde-
ments !
Attends donc d’avoir un chien comme toi pour lui adresser ce genre
de grondements, et alors peut-être sera-t-il effrayé ! »
Le Peul, tandis qu’il laissait tomber ces mots, se trouvait pris d’un
violent et profond courroux contre lui.
Or, jadis, que ce soit pour un chef peul ou pour un Bambara, pour tout
homme qui agissait avec courage,
être frappé avec un bâton, ou bien avec une longe de cheval ou
quelque chose comme une entrave ou une attache, c’était pour lui le
pire des opprobres :
c’était comme être humilié ou insulté.
Le Peul mit brusquement la main dans ses sacoches, y prit, à tâtons,
une entrave de cuir,
et il l’en cingla,
l’en cingla,
l’en cingla.
Les femmes bambara de Ségou baissèrent les yeux, détournant leurs
regards derrière les murs, pour ne pas le voir frappé d’une corde !
L’homme tourna la tête et s’aperçut que Ségou l’avait vu ; alors,
ulcéré, il prit les balles, les flanqua dans le fusil
et, comme le Peul s’était redressé sur ses étriers
et l’entrave menaçant de lui revenir dessus,
il fit feu sur lui :

185
TIÊKOURA

les balles l’atteignirent à la tête


si bien que la peau de sa tête lui fit comme un turban.
Le Peul s’effondra
et comme, dans sa chute, il s’était courbé, l’encolure de ses tuniques
se prit dans le pommeau de la selle ;
le Peul resta accroché
tandis que le cheval continuait de le traîner tout au long de sa course.
Et le Peul y resta !

Celui qu’on appelait Sêkou Sêkou,


ce fut lui qu’il mit à mal à ce moment-là.
Abdourâmane Guidâdo Ham-Samba – c’était celui à qui il avait
envoyé dire de quitter Tênengou et de venir afin qu’ils répondent à la
déclaration de guerre du Bambara et afin de laisser Sêkou Âmadou en
repos –
lors donc, Abdou-Guida-Ham-Samba lança son cheval au galop,
le dirigeant droit sur lui
pour aller en récupérer le corps.
Au moment où le Bambara avait fait feu sur [Sêkou Sêkou],
il l’avait injurié en bambara, tant il était ulcéré
de ce qu’il l’avait frappé avec une corde.
Un père ou une mère, ça compte plus que tout !
Même si tu n’entends pas ce qui est dit,
il y a de grandes chances que, si quelqu’un t’insulte en invoquant
précisément l’un de tes parents,
au choc que tu en ressens en ton cœur, tu te rendes bien compte que tu
as été insulté !
Le Peul était resté avec, encore à la bouche – là même où il luttait
avec la mort – ces mots : « Il m’a insulté !
Il m’a insulté !
Il m’a insulté… »
Abdou-Guida-Ham-Samba, son ami qui s’était lancé à sa suite, le
serrant de près, pour tenter de le décrocher du cheval et traiter son
cadavre comme celui d’un musulman,
l’entendit qui disait : « Il m’a insulté !
Il m’a insulté… »
Abdou-Guida-Ham-Samba en eut le cœur tout apitoyé et violemment
ému !
Car, pensa-t-il, si quelqu’un tient bon, dans le combat,
alors, il peut chercher à faire preuve de bravoure, il peut chercher ce
qui lui assurera un renom ;

187
TIÊKOURA

mais quelqu’un qui en est au point qu’il se bat avec son âme, à
l’agonie, alors là, c’est Dieu seul qui peut vouloir pour lui qu’il
acquierre la gloire ; mais même à présent que la gloire lui était ac-
quise, Dieu avait voulu pour lui que, dans sa lutte d’agonie, il se battît
encore avec ces mots : « il m’a insulté… il m’a insulté ! »
Abdou-Guida-Ham-Samba déclara qu’il faisait le serment, quant à lui,
que plus jamais un Bambara n’insulterait un Peul.
Alors Abdou-Guida-Ham-Samba fit demi-tour,
il abandonna le cadavre avec le cheval dans la brousse, tandis que le
cheval le cognait contre les arbres – lui, Sêkou Sêkou Siddîki.
Abdou-Guida-Ham-Samba retrouva Tiêkoura sur le terrain de
combat ;
le Bambara, lui, s’y tenait, en train de jouer avec son cheval, lançant
son fusil,
le rattrapant au vol, tout en tirant des coups de feu…
Abdou-Guida-Ham-Samba arriva jusqu’à lui,
il lui asséna un coup de lance, comme on gaule des fruits,
il le frappa de sa lance,
le frappa,
par trois fois. Il s’aperçut qu’il était difficile à blesser :
le coup ne l’avait pas atteint, il ne s’était pas battu avec lui ; il le
regardait, le dévisageant longuement.
Hé ! L’autre le vit et dit : « Eh, Peul ? N’est-ce pas ton heure à toi qui
est arrivée, cette fois ?
Peut-être est-ce toi à qui revient à présent le samedi8, pour mourir,
c’est-à-dire le jour où est venu ton tour.
J’ai déjà fait de ton frère la pâture des oiseaux,
toi aussi, à présent, peut-être bien, vas-tu le devenir ? »
Et, tout en lui tenant ces rudes propos, lui, le Bambara, plein d’au-
dace, mit la main dans sa poche
et s’aperçut que les balles y étaient revenues.
Lorsque Abdou-Guida-Ham-Samba voulut le percer de sa lance – lui,
le Bambara –, il s’aperçut qu’il était très difficile de le blesser :
le coup ne portait pas.
Abdou-Guida-Ham-Samba, plein de courroux contre lui, pointa lui
aussi, son fusil
et lui, le Bambara,
se mit en colère ;

8. Depuis la bataille de Noukouma qui commença un samedi (21 mars 1818) et


inaugura l’instauration de l’Empire peul du Massina sous le commandement de
Sêkou Âmadou, le samedi est toujours considéré comme un jour fortement marqué,
faste aux uns, néfaste aux autres.

189
TIÊKOURA

il s’attaqua à l’autre,
il fit feu sur lui, si bien que la poudre les cacha tous les deux.
Les Peuls ne purent savoir lequel d’entre eux était sorti vivant du
combat.
Et les Bambara craignirent que ce nouveau soutien qu’ils avaient
obtenu ne leur ait été anéanti.
La poussière se dissipa et l’on s’aperçut qu’ils étaient, tous les deux,
sains et saufs.
Ils combattirent jusqu’à la limite de leurs capacités, mais ni l’un ni
l’autre ne put remporter la victoire sur son adversaire.
Il pouvait patienter à loisir, il avait la certitude – lui, le Bambara –
que, dès que l’envie lui en viendrait, il abattrait le Peul ; car il avait là
en réserve les balles qui ne rataient jamais leur cible.
Ils se lancèrent à l’assaut l’un de l’autre, chacun soulevant ses pieds
dans les étriers et s’avançant droit sur son adversaire pour lui allonger
un coup de pied
du haut de son cheval, tandis que l’autre, tenait ses étriers relevés en
suspens,
chacun donnant des coups d’étriers à son adversaire,
mais tous deux échouant à le désarçonner ;
telle était en effet la manière de se battre des guerriers de jadis, sur le
champ de bataille.
C’est alors que le Peul le vit
qui rajustait bien son bonnet.
Quand on se bat avec quelqu’un et qu’on se baisse sur la selle, on doit
assurer sa coiffure sur sa tête, bien sûr !
Mais celui aussi que Dieu aura alerté comprendra !
Le Peul se douta donc que la raison de son invulnérabilité se trouvait
dans son bonnet.
Le Peul se tendit de tout son corps et arracha prestement le bonnet de
la tête de l’autre ;
celui-ci tourna aussitôt le dos en partant au galop et mit la main dans
sa poche ;
il chercha à en sortir les balles ; mais le Peul était déjà sur lui
et, comme il se redressait, l’autre se tenait déjà droit sur ses étriers,
il appuya sur lui la lance, de tout son poids , et… Dieu voulut que ce
fût pour son malheur.
Il toucha le sol et le Peul, vainqueur, lui fit goûter le goût de la mort.
Le Peul saisit brusquement les rênes de son cheval
et fit tout pour barrer la route de la ville à l’autre cheval ;
car le cheval, avait vu
et, dès qu’il avait jeté l’autre à terre, avait pris cette direction.

191
TIÊKOURA

Le cheval, à son tour, s’élança dans la direction où l’autre cheval


s’était élancé.
Et le Peul le suivit jusqu’au moment où le cheval tomba sur celui de
Sêkou Sêkou qui se tenait là, arrêté, au-dessus de Sêkou Sêkou qui
n’était plus qu’un mort.
Le cheval du Bambara, lui aussi, s’arrêta là, et les bêtes cherchèrent à
se battre.
Le Peul mit pied à terre
et les attrapa tous les deux ;
il chercha à les conduire ensemble par leur licol, mais il ne le put ;
il attacha son cheval à un gros billot de bois,
il attacha les deux chevaux à un gros billot
et il s’assit sous un arbre comme un homme qui, à l’issue d’un
combat, prend quelque repos.
Il était bien convaincu qu’il l’avait laissé mort et bien mort.
Quand les Ségoviens virent cela, ils réunirent à la hâte un Conseil,
aussitôt.

Les anciens siégèrent et se demandèrent les uns aux autres : « Que


devons-nous faire ? »
Les Peuls aussi, de leur côté, tinrent un Conseil, se consultant les uns
les autres :
« Devons-nous entrer dans Ségou et l’anéantir ou bien devrions-nous
rester ici, puisque voilà abattu cet homme qui s’était rebellé ? »
Ils dirent : « Restons jusqu’au retour de Abdou-Guida-Ham-Samba. »
Et eux n’avaient pas encore clos leur consultation que Ségou, de son
côté, avait déjà pris sa décision, d’un commun accord.
Ils dirent : « Lorsque ce Bambara est revenu ici pour rallumer les
hostilités
et qu’il a dit qu’on se batte,
c’était bien dans notre intention de nous battre.
Nous l’avons laissé seul combattre jusqu’à ce que nous voyions ce
qu’il est advenu de lui : il a été abattu.
Maintenant, donc, battons-nous, pour cette fois, même si tout ce qu’il
y avait déjà de mauvais ici auparavant est encore pire. »
Ils tombèrent d’accord qu’ils se battraient.
Les cent hommes qu’il avait pour compagnons tombèrent d’accord
pour se battre.
Le fils de son oncle paternel, le dénommé Négué, fut pris pour chef.
Ils sortirent,
et firent face à la troupe peule ;
et la victoire leur fut accordée :

193
TIÊKOURA

tout homme qui, parmi les Peuls, n’avait pas fui, vit peu ou prou la
mort, ce jour-là.
Ils eurent le dessus… et bientôt, les cavaliers furent de retour,
ceux de Tênengou, rentrés chez eux
et ceux revenus de Kakagnan, de retour.
Ils écrivirent une lettre qu’ils remirent à Mâmaningué,
– le captif venu de chez Sêkou Âmadou.
Ils lui dirent de partir avertir Âmadou que les cavaliers avaient été
décimés.

Mâmaningué rapporta la missive.


Sêkou Âmadou convoqua les Peuls
et tout Hamdallâye s’assembla :
hommes au cœur ardent, qui redoutaient l’opprobre, hommes aux
dards hardis ; ils s’assirent sous le portique du Conseil.
On leur annonça que les troupes des Lettrés avaient été décimées,
on ne possédait pas le nombre des morts,
ils ne savaient pas ce qu’il en était, pour ceux d’ici,
et ils citèrent Abdou-Guida-Ham-Samba au nombre des morts
– eux, les cavaliers de Tênengou – parce qu’ils avaient eu à regretter
son absence : il n’était pas venu.
Et eux, les cavaliers de Kakagnan,
ils comptèrent Sêkou Sêkou parmi leurs morts ;
ceux-ci, en effet, avaient bien raison, car il fut le premier de tous à
tomber sur le champ de bataille.
On annonça que, des deux amis
qui avaient la direction des bataillons, aucun des deux n’était revenu.
Les femmes peules furent emplies d’inquiétude.

Pour ce qui était de Sêkou Sêkou,


son cadet, le fils de son oncle paternel, le dénommé Siddîki,
entra dans la cour de l’habitation.
Sa sœur s’élança à sa rencontre – à lui Siddîki ;
elle était l’épouse de Sêkou Sêkou ;
elle attrapa les rênes de son cheval ;
l’épouse de Sêkou Sêkou passa plus avant pour aller à la rencontre de
celui-ci
– c’était une fille de la famille Bôri ;
elle regarda attentivement et s’aperçut que Sêkou Sêkou n’était pas
arrivé ; elle fit demi-tour et s’en revint ;

elle lui dit : « Où est Sêkou ? »

195
TIÊKOURA

Il dit que Sêkou avait été le premier de toute la troupe peule à tomber
sur le champ de bataille.
Aïssata lui dit : « Et où est le grand cheval blanc ? »
Il dit : « Quand il est tombé, nous nous trouvions au plus fort du
combat
et je n’ai pas pu continuer à chercher à voir où était son cheval ni son
corps ;
et quand nous en étions à la fin, il se trouvait que les cavaliers avaient
déjà été décimés ;
il n’y en a pas un seul qui ait pu se préoccuper de voir ce qu’il en était
resté là-bas ». La sœur éclata de rire,
d’un rire mêlé de pleurs : tandis qu’elle riait, ses deux yeux laissaient
couler des larmes.
Elle lui dit : « Eh bien ! Vous avez été vaincus, aujourd’hui ! »
Il lui dit : « Sais-tu seulement ce que c’est qu’être vaincu ? »
Elle dit : « Tout ce que je sais c’est que aucun Peul parti en guerre n’a
été vaincu aujourd’hui, hormis toi !
Se battre sur le champ de bataille – dit-elle – et que de nombreux
combattants y tombent, voilà qui est glorieux !
Il n’est pas d’autre parure pour une armée que les morts tombés au
champ d’honneur ;
car tout homme qui part en guerre pense bien, en homme digne de ce
nom, qu’il peut tomber sur le champ de bataille ;
en effet, lorsque tu as perdu tout espoir d’avoir la victoire, si tu veux
fuir, c’est que tu n’es pas un brave et jamais victoire ne sera
remportée ! »
Sa sœur lui dit encore : « Ce que c’est qu’être vaincu ? C’est qu’on
voie sa vache être terrassée [par un lion] et être dévorée. »
Elle ajouta : « En tout cas, même si un Peul doit voir sa vache ter-
rassée [par un lion] et dévorée, ce ne doit pas être une vache suitée !
Un Peul – poursuivit-elle – auquel une vache suitée a été terrassée
et dévorée,
connaît la plus grande honte !
Que nous as-tu donc rapporté ?
On t’a terrassé une vache suitée et on te l’a dévorée !
Très bien ! Et tu n’as même pas ramené le petit veau !
Je suis convaincue que Sêkou était, au milieu des cavaliers, tout
comme une vache suitée, dans un troupeau !
On te l’a abattu et tu n’as même pas pu faire en sorte de sauvegarder,
en ramenant le destrier, de quoi envisager votre avenir – Dieu sait s’il
a laissé un fils !
Un rejeton de notre famille n’est jamais revenu, en ayant commis une
action aussi laide que celle que tu as commise là. »

197
TIÊKOURA

Or, il se trouva que Le-grand-qui-s’enfonce-dans-sa-selle, Celui-qui-


supporte-vaillamment-le-choc-des-lances,
Celui-qui-dompte-les-destriers, Saydou, l’entendit ; il s’élança ; il
gourmanda la sœur ;
et il courut se réfugier à l’intérieur de la maison ;
et là, Saydou s’assit, l’air accablé.

Et ils ne bougèrent plus de là, presque jusqu’à la pleine nuit.


Pendant ce temps, les chevaux se trouvaient épuisés de faim9,
ils n’avaient pas été abreuvés le matin, ils ne l’avaient pas été à midi.
Quand le soir fut venu, Abdourâmane Guidâdo Ham-Samba se mit en
devoir de les conduire ;
il se trouvait qu’ils étaient épuisés par la faim ; or tout animal qui est
épuisé par la faim devient docile ; il étaient devenus dociles.
Il les conduisit en marchant devant eux.
Au moment où c’était presque la pleine nuit, il salua à l’entrée ;
il reprit ses salutations,
il salua encore,
et encore…
Saydou entendit les salutations ; il se précipita ;
il portait une simple tunique sur le dos et s’était drapé dans un pagne
de nuit ;
il tenait une lance dont tous, Peuls autant que Foûtankés, connais-
saient l’efficacité – et aussi tous les Kounta !
Il s’arrêta à l’entrée et dit : « Qui es-tu, ami de Dieu ? »
Abdourâmane lui dit : « C’est moi, Adbou-Guida-Ham-Samba. »
Il dit : « Quoi ? !
Toi et ton ami, on vous a comptés au nombre de ceux qui ne sont pas
revenus ! »
Il dit : « La nouvelle est tout à la fois exacte et erronée :
c’est-à-dire qu’une partie en est réelle et l’autre pas. »
Il poursuivit : « Mon ami, lui, a été, de tous ceux qui sont tombés là-
bas, le premier abattu.
Mais, mon aîné, je peux te donner la satisfaction de t’apprendre qu’il
s’est comporté exactement comme un homme bien né veut que l’on se
comporte :
car ce qui est le plus fréquent parmi les hommes bien nés, c’est que,

9. Le narrateur reprend son récit interrompu par l’évocation du Conseil tenu par les
Ségoviens puis par le retour de Siddîki ; il retrouve ici Abdou-Guida-Ham-Samba, et
les chevaux qu’il avait attachés aux billots de bois pour, après le combat, prendre
quelque repos.

199
TIÊKOURA

tant que quelqu’un est en vie, il se tient bien droit, amassant sur sa tête
l’honneur et recherchant la gloire ;
mais – poursuivit-il – là où quelqu’un meurt, il ne sait ce qu’il fait ;
tandis que lui, de son vivant, il était glorieux et, à sa mort, Dieu lui a
donné d’être glorieux et, à ce moment-là encore, il l’a été.
En effet – dit-il – je m’étais juré
qu’il faudrait que j’aie vu les sabots de son cheval baignant dans le
sang pour croire que le cheval était blessé ;
mais j’ai trouvé qu’il n’en était rien : c’était lui seul, qui avait été
blessé.
Alors – dit-il – je me jurai
qu’il faudrait que j’aie vu des balles le blesser à la partie supérieure de
son corps pour ne plus m’imaginer qu’il pût en réchapper ;
mais le cheval l’a blessé à la partie inférieure et, bien qu’il ait échappé
à la mort, ses jambes ne purent plus se tenir droites.
Et ce qui sortait de sa bouche, avant que le froid de la mort ne le
prenne, c’était : “il m’a insulté, il m’a insulté !”
et sans cesse ce mot d’“insulte” revenait sur ses lèvres.
Pas un endroit qu’il dît le faire souffrir, aux blessures qu’il avait
reçues.
Or cela – dit-il – nous avons la certitude que ce n’est pas le courage
qui l’accorde à un homme ; cela, c’est la gloire que Dieu a voulu qu’il
acquière !
Cette plainte n’est pas sortie de sa bouche ; et – dit-il – je récitai la
prière de pardon des agonisants.
Mais, en tout cas, mon aîné, je suis sûr et certain que le Bambara
n’insultera plus la mère d’un Peul,
il n’insultera plus la mère d’un Peul !
Car celui-là aussi, en même temps que lui, a vu la mort
de ses propres yeux.
Je l’ai laissé sur le champ de bataille, et sans hommes de bien pour le
ramasser,
car ceux dont il avait le commandement, n’étaient que des païens et
c’est dans cet état qu’il a vu la mort ;
et lui, a eu une mort bien pire
que celle de mon ami.
Celui-ci, en effet, je pus contempler son corps et je le traitai comme
doit l’être un homme mort dans la Sainte Lutte.
J’ai – dit-il – ramené son cheval que voici, pour que tu voies quel
parti en tirer pour ton avenir.
Regarde – dit-il –, le cheval du Bambara, aussi, le voici ; je l’ai
amené.

201
TIÊKOURA

Quand un homme a été mis à mal comme l’a été mon ami,
il en a subi bien grand dommage.
Tu n’auras qu’à vendre ce cheval et acheter ne serait-ce que de la cola
pour les visiteurs.
Quant à moi, je m’en retourne au village pour aller les informer que
Dieu n’a pas voulu que je laisse ma vie dans cette campagne, mais
que nous avons été réduits à néant. »
Il manœuvra les rênes et il prit le chemin du retour. Alors Saydou
resta pensif, tête baissée.
Si des Noirs10 devaient prendre, de sa main, le licol d’un cheval, alors,
sa main aurait tenu bien ferme le licol, à moins qu’ils ne lui aient fait
lâcher prise par force !
Il invoqua l’unicité de Dieu
et dit : « Par Dieu, Siddîki ! Tu nous as apporté aujourd’hui une chose
fort laide ;
car il ne sied pas qu’un Peul ait l’une de ses vaches suitées terrassée
et dévorée
sans qu’il n’ait été lui aussi, avec elle, dévoré, s’il ne l’avait pas ré-
cupérée.
Celui qu’aujourd’hui on t’a abattu, sans que tu aies pu contempler son
cadavre pour lui rendre les honneurs…
que tu ne sois pas même revenu, voilà qui, à mes yeux, eût mieux
valu, plutôt que ce soit Abdourâmane Guidâdo Samba qui ait retrouvé
pour toi son cadavre ; car si c’est lui qui a ramené son cheval, autant
dire que c’est lui qui l’a contemplé mort ; et ils n’étaient que des
amis !
Tu as rapporté ce que, si c’était moi et un aîné qui nous étions trouvés
ensemble sur le champ de bataille, on n’aurait certes pas rapporté à
ma place11. »
Siddîki en fut irrité ;
voilà ce qui l’incita
à envoyer un nouveau message de la part de Saydou.
C’est alors que Bâ Lobbo appela Sêkou Âmadou et lui dit : « Je
voudrais que tu me permettes d’aller rencontrer le païen,
– le cousin12 qui l’a remplacé.
Ségou a remporté la victoire.
Dans la demeure là-bas, le fils de son oncle paternel a été installé à sa
place.

10. Autrement dit « des Bambara ».


11. En tant que cousin, ce serait lui et pas un autre (un simple ami, comme
Abdourâmane Guida-Ham-Samba) qui aurait pu rapporter les circonstances de la
mort de Sêkou Sêkou et qui aurait prononcé les prières sur son cadavre.
12. Il s’agit plus exactement d’un « fils de l’oncle paternel ».

203
TIÊKOURA

Ils lui ont ajouté un homme pour que ça fasse toujours les cent, et on a
fait de la demeure un camp de guerre ;
le reste est resté à Ségou.
Si je les écrase – dit-il –, le camp se dispersera ! »
Alfâ Bâ Lobbo se mit en selle.
Sêkou Âmadou eut très peur pour lui, dans cette campagne.
Il avait pour lui une très grande affection.
Alors, il adressa à Dieu une prière lui demandant d’empêcher qu’il y
trouvât même un seul homme avec qui se battre ;
et c’est ainsi que, en chemin, Bâ Lobbo apprit que le fils de l’oncle
paternel – le dénommé Négué – qui avait remplacé Tiêkoura, était
mort.
Il leur fit une lettre pour leur demander qui, à ce jour, était le maître
de cette habitation de malheur
et leur faire savoir que lui, Alfâ Bâ Lobbo, s’y acheminait :
s’ils se maintenaient, comme ils l’avaient déclaré auparavant, dans
l’acceptation des règles édictées par Sêkou Âmadou, c’était tout à fait
bien,
s’ils s’en écartaient,
tout homme qu’il trouverait là-bas, celui-là rencontrerait la mort ; ou
bien encore, si c’était lui qui rencontrait la mort, la Sainte Lutte n’en
serait pas pour autant abandonnée ; car ils ne se battaient certes pas
contre les gens pour les vaincre ;
il n’y avait à leur combat que deux issues : ou bien la parole de Dieu
serait définitivement établie, ou bien c’en serait terminé d’eux.
Alors ceux-ci dirent qu’ils ne savaient pas qu’ils avaient une autre
alternative que la guerre
et qu’ils ne savaient pas du tout qui mettre à leur tête,
et que tout ce qu’ils ordonnaient, ils l’avaient accepté.
Alfâ Bâ Lobbo s’en retourna donc.
Ainsi advint-il des hostilités entre lui et ces gens.

À cette dernière campagne aussi à laquelle il a participé, avec


Amadoun Yâya,
il a été préservé, il n’a pas été battu ; et il revint en vainqueur, lui,
Alfâ Bâ Lobbo.

205
III
AALI AWDI

ÂL I A W D I

raconté par
BÂBA MÂLIKI YATTARA
INTRODUCTION

Ce récit se situe durant le règne du neveu d’Al-Hadj Oumar, Tidjâni


Âmadou (de 1864 à 1887) et offre un exemple de cette période de
turbulences ininterrompues que provoqua dans le Massina l’intrusion
du conquérant toucouleur en 1862.
Après la bataille de Tiâyawal (15 mai 1862)1 et l’entrée d’Al-Hadj
Oumar dans Hamdallâye, la capitale de « l’Empire peul du Massina »,
l’effondrement de la Dîna est consommé ; toutefois la résistance des
Peuls massinankés2 ne faiblit pas, avec (à leur tête jusqu’en 1880) Bâ
Lobbo pour figure la plus connue. Ce dernier fit basculer en sa faveur
le Cheikh des Kounta de Tombouctou, Ahmad Al-Bakkâye3 (1803-
1866), déçu dans ses tentatives de conciliation auprès d’Al-Hadj
Oumar.
Il faut rappeler que les relations entre ces deux hommes furent très
fluctuantes : dès l’abord les risques de propagation de la Tijâniyya liés
à la progression des forces foutankées, ne furent pas sans éveiller
l’inquiétude du Cheikh kounta, Maître de la Qâdiriyya4 ; et, lorsque se
rapprocha la menace de conquête territoriale, il entreprit diverses
démarches diplomatiques tant auprès d’Al-Hadj Oumar qu’auprès des
Peuls du Massina, essayant tantôt d’amadouer le premier, tantôt de
pousser les seconds à la résistance. À la fin, après la prise de
Hamdallâye par Al-Hadj Oumar en 1862, ne consentant pas à faire
allégeance à celui-ci, il se résolut à apporter son soutien aux Peuls. Et
c’est ainsi que, au retour d’une expédition punitive sur Tombouctou,
les troupes foutankées, tombées dans une embuscade, furent défaites à
Mani-Mani (juin 1863), près du lac Débo, par les Massinankés
assistés d’un contingent kounta.
Al-Hadj Oumar vit alors son influence mise en échec dans le nord
du Massina et une nouvelle vague de rébellion en secouer le sud.

1. Voir D. ROBINSON, 1988, pp. 278-282, B. SANANKOUA, 1990, p. 154, M. A.


TYAM, 1935, pp. 180 sqqu.
2. Nous utiliserons les termes « massinanké » et « foutanké » comme des adjectifs
français désignant, le premier, les Peuls du Massina restés fidèles à la famille
régnante de Sêkou Âmadou, et le second, les Toucouleurs du Foûta Tôro, partisans
d’Al-Hadj Oumar.
3. Petit-fils du Cheikh Mouktâr al-Kabîr, il fut Cheikh des Kounta de 1847 à 1866.
4. Chez les Kounta, c’est la famille Al-Bakkâye qui fut la plus influente dans la dif-
fusion, au cours du XVe siècle, de la confrérie Qâdiriyya dans la région de
Tombouctou. Ce qui explique l’opposition des cheikhs de cette famille à la
Tijâniyya, confrérie plus récente propagée par Al-Hadj Oumar.

209
ALI AWDI

Bloqué dans Hamdallâye par les Massinankés alliés aux Kounta, il


envoya Tidjâni chercher du secours auprès des Dogon et des Peuls
restés opposés aux Massinankés. Bien que pourvu de renforts, Tidjâni
ne put délivrer son oncle qui réussit cependant à quitter la ville
assiégée, mais, poursuivi par Bâ Lobbo et Sidia (neveu d’Al-
Bakkâye), trouva la mort dans la grotte de Déguembéré (12 février
1864)5. Cette mort ranima les divergences entre Massinankés et
Kounta, concernant la succession au trône du Massina et le contrôle
de la région.
Tidjâni mit à profit cette situation et, ayant pu repousser Bâ Lobbo
dans le Kounâri et dénouer la coalition massinankée-kounta, il réussit,
avec l’aide de ses alliés locaux et d’une armée recomposée, à étendre
son territoire ; il établit alors le siège du pouvoir foutanké à
Bandiagara, non sans procéder à des déportations de populations
comme il en est d’ailleurs fait mention dans le texte présenté ici.
Cependant, durant son long règne, il eut à lutter contre d’incessants
mouvements de rébellion fomentés par les Peuls des différentes
régions anciennement inféodées à la Dîna, et par les Touaregs et les
Maures Kounta, ceux-ci s’alliant tantôt aux Massinankés tantôt aux
Foûtankés, selon les avantages qu’ils pouvaient en tirer.
C’est l’un de ces soubresauts de la résistance massinankée que narre
ici Bâba Mâliki, habitant du Guimbala, région située au nord du
Massina et voisine des lieux évoqués dans le récit.
Apparaissent aussi les incertitudes de la coalition peule-kounta,
défaite ici par la trahison d’Al-Bakkâye au profit du pouvoir foutanké
incarné par Tidjâni, et la dramatique dissension qui en résulte entre les
deux frères Âli Awdi et Môdi Awdi6, le premier refusant absolument
toute inféodation à Bandiagara.
La raison immédiate donnée à ce refus ne laisse pas d’étonner : Âli
Awdi évoque en effet de façon allusive – comme l’exige l’éthique
peule – ses sentiments à l’égard d’une des épouses de Tidjâni,
originaire de Dâri-du-Fittouga (région nord-est du Farimaké, leur
fief) ; sentiments dont on saura plus tard qu’ils étaient partagés,
d’après la réaction de celle-ci à l’annonce erronée de l’arrivée de Âli à
Bandiagara. Mais le recours à cet argument, comme à un alibi

5. Voir D. ROBINSON, 1988, pp. 290-293 et M. A. TYAM, 1935, pp. 196-199.


6. Il est fait mention dans Un empire peul au XIXe siècle (B. SANANKOUA, 1990,
pp. 159-160), d’un « Oumar Audi Hamma » qui se serait révolté contre les « travaux
forcés » de construction d’un rempart autour de Hamdallâye, imposés par El-Hadj
Oumar, traitement qu’il aurait perçu comme une humiliation et qui aurait entraîné sa
défection ; toutefois cet « Oumar Audi Hamma » est présenté comme « fils de
l’amiirou du Fakala » (région située au sud, vers Djenné et le Bani), alors que les fils
de Awdi Hamma dont il est question ici se trouvent dans le Farimaké, région située
au nord et à l’ouest du territoire conquis par les Foutankés.

210
INTRODUCTION

chevaleresque, n’est lui-même, de la part d’Âli, qu’une façon


détournée d’affirmer son rejet absolu de toute soumission au pouvoir
foutanké.
Tidjâni et Bakkâye unissent alors leurs forces pour réduire le
rebelle et Bakkâye confie l’expédition à son fils Âbidîna ; leurs
hommes ayant décimé les troupeaux de la fratrie Awdi, Âli reste
sourd aux mises en garde de son frère, Môdi, et se met en devoir de
rechercher le contact avec l’ennemi ; il décime à son tour des jeunes
recrues de l’armée kounta et finit par débusquer Âbidîna ; le combat
s’engage, Âli y trouve la mort et son frère, Môdi, vient à Bandiagara
faire allégeance à Tidjâni, sous la conduite d’Âbidîna. Ce dernier,
présenté ici comme allié de Tidjâni, se replia cependant plus tard dans
le Farimaké et, d’après DELAFOSSE (1972, p. 337, note 1), fut tué en
1889, au cours d’une bataille contre les troupes de Mounirou (fils de
Tidjâni, au pouvoir de 1888 à 1891), en lutte contre les Kounta et les
Peuls du Farimaké.
Ce récit illustre bien les bouleversements que le djihad oumarien a
entraînés dans cette région, allumant des luttes fratricides entre Peuls
et suscitant, au gré des circonstances, des alliances sans cesse
recomposées entre Peuls, Kounta, Dogon, Bambara… jusqu’à ce que
la conquête coloniale vienne, à son tour, redistribuer les influences
politiques et religieuses sous la pression d’une domination nouvelle.

211
ÂLI AWDI

Narrateur : Bâba Mâliki Yattara


enregistré à Tembéni en 1970

Je vais raconter une histoire concernant Âli Awdi Hamma Habboye,


à propos de ce qu’il avait fait avec Tidjâni Âmadou1.
Bon ! Lui, Tidjâni Âmadou, lorsqu’il eut obtenu le pouvoir…
Dieu avait inscrit en son destin que, avec lui, le pouvoir prît une
grande extension.
Il chargea de richesses une pleine pirogue
qu’il achemina, à l’intention de Bakkâye-le-Grand2 jusqu’à Tombouc-
tou.
Il [lui] dit que, tout le pays, il l’avait sous sa coupe
à l’exception de la région qui se trouvait de l’autre côté du Fleuve-
Noir3.
— « Qui donc n’a pu être réduit, là-bas ? »
— « Un Peul du nom de Âli Awdi, qui se trouve avec
son cadet, du nom de Môdi Awdi. »
Bon !
Lui, Bakkâye, dit : « Pour l’instant, patiente
jusqu’à ce que je lui envoie un message.
Une fois que je lui aurai fait parvenir ce message,
s’il accepte exactement ce que j’y dis,
alors, ce sera très bien.
Et, s’il n’accepte pas ce que j’y dis,
alors, bon ! à ce moment-là, ce sera la guerre entre vous. »
Bien. Tidjâni dit qu’il avait bien entendu [et qu’il était d’accord].
Lui, Sêkou Bakkâye, il écrivit une lettre
qu’il expédia à Âli Awdi et Môdi Awdi.
Or, il se trouvait que Âli Awdi était parti jusqu’à Nampala
pour aller se battre contre El-Hadj Bougouni4.

1. Neveu d’Al-Hadj Oumar (fils de son frère Alfâ Âmadou) qui, après la mort de
son oncle en 1864, établit son gouvernement en prenant pour capitale Bandiagara et
tenta de contrôler toute la région depuis Hombori jusqu’au Farimaké, en essayant de
jouer sur des alliances conjoncturelles, en particulier avec les Kounta.
2. Il s’agit ici en fait du chef des Kounta, le Cheikh Ahmad al-Bakkâye (1803-
1866), l’épithète « Le-Grand » est soit une confusion attribuable au narrateur soit une
référence volontaire au nom de son grand-père « Moukhtâr al-Kabîr » (1729-1811) ;
et, plus loin, « Sêkou » le désigne comme étant un cheikh.
3. Nom donné au cours principal du Niger. Il s’agit ici, donc, de la rive gauche du
Niger : le Farimaké.
4. Les dissensions entre Al-Hadj Bougouni à la tête des Peuls Woûwarbé et
Sambounné, fils de Boubakari, à la tête des Peuls Wolarbé, étaient alors encouragées
par les Kounta, dans la région de Nampala (à l’ouest du lac Débo) (cf. A. H. BA et J.
DAGET, pp. 185-193).

213
ÂLI AWDI

Bon. La lettre parvint donc à Môdi Awdi.


Il lut la lettre
et cela lui causa bien du souci
car il savait pertinemment que Âli n’en accepterait pas le contenu.
Alors, bon ! Il attendit que Âli fût de retour.
[Au retour de celui-ci] son épouse lui dit : « Il est arrivé ici une lettre,
en ton absence, pour toi et pour Môdi Awdi ;
et cela a causé bien du souci à Môdi
au point qu’il n’a plus en tête que
le village de Gardio5.
Il faut que, une fois que tu seras rentré chez toi6, tu ailles
le saluer et que tu lui demandes
ce qu’il en est de cette lettre et si ça va bien. »
La volonté de Dieu fit qu’il descendit chez lui et y prit quelque repos
puis qu’il se rendit auprès de Môdi Awdi ; il lui adressa les salutations
d’usage.
Il trouva Môdi assis en compagnie d’une personne du nom de Ndioré
Samaké7.
Il salua Môdi et celui-ci lui répondit.
Il vint et s’assit.
Ndioré Samaké quitta les lieux, puisqu’ils avaient à se voir.
Une fois celui-ci parti, il demanda à Môdi le sujet de la lettre.
Môdi dit : « Sêkou Bakkâye
nous a trahis.
C’est lui notre Cheikh
et, le jour où nous devions nous séparer de lui,
il a fait un talisman8 qu’il a mis dans du lait frais ;
il a dit que nous buvions et que, qui que ce soit avec qui nous combat-
trons, nous aurons la victoire
excepté sur sa postérité.
Nous avons donc pris envers lui l’engagement de ne pas nous battre
contre tout ce qui serait de la souche des Kounta.
Or, maintenant, il nous a envoyé dire que nous obéissions à Dieu et
que nous obéissions à Tidjâni Âmadou de Bandiagara,
que, sur tout le pays, il avait autorité

5. Nom d’un village ancien, fief de Âli et Môdi Awdi, situé à mi-chemin entre le lac
Débo et les lacs Kabara et Tanda.
6. Textuellement « une fois que tu seras descendu » c’est-à-dire que « tu te seras
réinstallé chez toi ».
7. Nom bambara.
8. Textuellement « une supplique à Dieu » ; sans doute s’agit-il de ce que l’on
appelle nasi, verset coranique écrit sur une tablette et dont l’encre est diluée dans un
liquide qui est ensuite absorbé ou bien utilisé en onction.

215
ÂLI AWDI

hormis sur la région de derrière le Fleuve Noir, c’est-à-dire sur Âli


Awdi et Môdi Awdi. »
Âli Awdi resta un long moment sans dire un mot.
Puis il dit : « Môdi, je ne te cacherai pas mon sentiment. Je n’accepte
pas de me ranger sous l’obédience de Tidjâni Âmadou.
Il a une femme peule pour laquelle nous devrions nous faire valoir !
Elle s’appelle Leïla Allâye Galowal9
elle est de Dâri-du-Fittouga.
Je ne pourrai m’asseoir en présence de Leïla pour manger, dans la
demeure de Tidjâni Âmadou, jusqu’à ce que mes yeux n’y voient
plus10.
Je préfère mourir.
Écris ce que je viens de déclarer à l’instant
et envoie pour réponse à Bakkâye-le-Grand
que je n’accepte pas. »
Alors là !… Môdi Awdi dit : « Je t’en prie11… »
Il dit : « Inutile de m’en prier ni de m’en faire prier. Je n’accepterai
pas. »
Môdi écrivit donc une lettre qu’il envoya en réponse à Bakkâye-le-
Grand [disant que] :
« lui-même, en ce qui le concernait, il ne pouvait refuser son injonc-
tion
mais, pour ce qui était de Âli Awdi, malgré ses efforts pour le
convaincre, il n’avait pas accepté. »
Ainsi donc la lettre parvint à Bakkâye-le-Grand.
Bakkâye lut attentivement la lettre et il en écrivit de nouveau une qu’il
leur envoya en retour :
il y enjoignait Môdi Awdi de faire en sorte qu’enfin il accepte,
en lui disant que c’était lui, Bakkâye, qui l’en conjurait,
qu’il était son Cheikh.
Il appela Âli – lui, Môdi – et l’informa qu’une nouvelle missive était
encore arrivée :
— « C’est lui, Sêkou Bakkâye qui te demande instamment…

9. On apprendra plus loin qu’un sentiment amoureux liait cette femme à Âli Awdi,
ce que traduit ici l’allusion au comportement habituel des prétendants qui « font les
paons » en se faisant valoir devant la femme convoitée. Elle est la fille d’Allâye
Galowal, chef de Dâri, village situé dans le Guimbala, sur la rive du Bara Issa, au
nord-ouest du lac Aougoundou.
10. C’est-à-dire « jusqu’au jour de ma mort ». L’impossibilité évoquée ici traduit de
façon détournée l’aveu des sentiments existant entre lui et cette femme ; en effet, la
bienséance ne permet pas à un homme de manger devant la femme qu’il aime.
11. Le verbe utilisé signifie « intercéder auprès de quelqu’un pour le calmer, le
rendre conciliant » ; et Âli répond : « n’intercède pas auprès de moi et ne fais pas
intercéder auprès de moi ».

217
ÂLI AWDI

et demande qu’on te convainque de… »


Il l’interrompit : « Môdi Awdi Hamma Habboye ! » Celui-ci dit :
« Oui ? » Il reprit : « Sêkou Bakkâye nous a trahis
et il a semé la dissension entre nous.
Dans les conditions actuelles – poursuivit-il –, pour moi en tout cas,
mon choix est fait :
je ne me rangerai pas sous l’obédience du Foûta12
tant que mes yeux verront la lumière du jour13.
Quant à toi, si tu y souscris,
libre à toi ! Vas-y, dis-lui que tu t’y es soumis
mais que, pour ce qui est de moi, je ne l’ai pas fait. »
La lettre de réponse repartit.
Bon. Lui, Môdi Awdi, y disait
qu’il obéissait à Dieu et qu’il se rangeait à ce qu’avait dit Bakkâye.
Bakkâye écrivit une lettre qu’il expédia
à Tidjâni Âmadou
lui disant de lui envoyer cinq cents coursiers.
Les cinq cents chevaux furent prélevés à Bandiagara
et Tidjâni donna l’ordre aux cavaliers
de se rendre à un village appelé Douwoye
et d’aller y établir un camp.
Une fois les chevaux arrivés,
Dieu voulut que lui, Bakkâye-Le-Grand fît se mettre en route son fils
premier-né14 appelé Âbidîna.
Il arriva donc avec les cinq cents [cavaliers] ;
ils rejoignirent Douwoye
et y passèrent deux nuits ;
puis ils traversèrent le fleuve et se trouvèrent aux abords d’un village
situé là, appelé Mankâra.
Ils marchèrent, longeant le fleuve, et parvinrent enfin à un village du
nom de Soumpi15.

12. Le Foûta désigne par synecdoque le pouvoir toucouleur incarné par le con-
quérant Al-Hadj Oumar, originaire du Foûta Tôro, qui eut le dessus, à la bataille de
Tiâyawal, en 1862, sur Âmadou Âmadou, le descendant de Sêkou Âmadou à
Hamdallâye, et dut lutter pour étendre son empire à toute cette région du Mali. Après
sa mort, en 1864, son neveu, Tidjâni Âmadou, installé à Bandiagara, suscita à son
tour la résistance de certains Peuls par sa volonté d’imposer sa domination. Les
alliances entre Peuls du Massina et Maures Kounta se firent et se défirent tout au
long de ces luttes. On en a ici un exemple.
13. Textuellement « jusqu’à ce que je ne voie plus ».
14. Textuellement « son Hammadi », ce nom étant traditionnellement attribué au fils
aîné.
15. Soumpi est un bourg, dans le nord du Farimaké, au nord-ouest du lac Débo et
Gardio un village ancien, au sud-ouest de Soumpi, entre les lacs Débo et Tanda.

219
ÂLI AWDI

Ils attrapèrent là un Peul et ils lui demandèrent par où l’on pouvait en


ce moment gagner Gardio.
Il dit : « Comment gagner Gardio ?… mais alors il faut me payer ;
je suis un vieil homme, je suis un pauvre…
je ne peux vous informer. »
Ils dirent : « Soit ! Nous allons te rétribuer ! »
Alors Âbidîna dit qu’il lui donnerait une génisse
pour avoir un bon chemin.
Le précédant, l’homme conduisit Âbidîna jusqu’à un village appelé
Diartou16.
Puis il quitta Diartou,
il coupa à travers la plaine sablonneuse et se trouva bientôt en vue de
Gardio.
Et là, sous les palmiers doums, il leur dit de s’allonger ; ils
s’allongèrent jusqu’à l’arrivée du crépuscule.
Il dit qu’il allait faire un aller-retour – lui, le vieil homme peul.
Il se rendit là-bas
et il trouva que toutes les vaches étaient revenues [du pâturage]
et occupaient la place surplombant la berge du bras d’eau, appelé
Gnâwona17.
Il se trouvait que les Peuls Rouges avaient commencé la traite :
Âli Awdi avait trente
Peuls pour traire,
Môdi Awdi avait trente
Peuls pour traire.
Chacun déposa son vêtement ocre,
ramassa entraves et calebasses,
ramena (les plis de) son pantalon ;
et ils commencèrent à traire.
Le vieux Peul s’en revint
auprès de Âbidîna
et dit : « Montez vos chevaux et tirez des salves !
Vous avez le moyen de gagner le Peul. »
Ils enfourchèrent leurs montures
et s’avancèrent doucement jusqu’aux vaches :
et ce fut coups de fusils, cavalcades18 et hurlements !
Et cela fait,

16. Diartou est un village situé au sud-ouest de Soumpi, entre ce village et le lac
Tanda.
17. Gnawôna est un bras d’eau, en bordure du village de Dar-Assalam, et se jetant
dans le lac Tanda.
18. Textuellement « sabots de chevaux ».

221
ÂLI AWDI

ce fut là un grand désastre : toutes les vaches descendirent dans l’eau


du Gnawôna
et, de toutes les vaches qui étaient descendues
accompagnées de leurs petits,
aucune ne remonta sur la berge.
Et, de tous les hommes qui se trouvaient là parmi les vaches,
glissés sous les vaches [occupés à les traire],
aucun n’en réchappa.
Quand ils surent que l’affaire était réglée, ils partirent au galop
et s’en furent autour du lac appelé Tanda.
Ils s’en allèrent établir leur camp là-bas :
ils coupèrent du bois,
allumèrent du feu
et préparèrent leur thé ;
ils firent griller leur viande et occupèrent leur temps à bavarder.
Quant à Âli Awdi, lui, il se leva
et se rendit discrètement auprès de Môdi Awdi ; il lui dit : « As-tu vu
comment le campement a été ravagé ?
Je t’avais bien dit
que Sêkou Bakkâye nous avait trahis.
Car je sais bien que le Foûta, s’il pénètre dans une région, la sacca-
gera.
Tu as vu maintenant comment, le malheur, nous l’avons tous deux
rencontré !
Tu es perdant et je suis perdant !
Nous ne sommes plus en mesure de rien faire ! »
Ils passèrent la nuit debout :
on passa la nuit à repêcher des gens dans l’eau,
les femmes passèrent la nuit à pleurer
et les vaches à s’agiter
jusqu’à ce que le soleil de Dieu perçât à l’horizon.
Il dit à Môdi Awdi : « Rassemble tout de suite tes affaires et attache-
les !
Que les femmes aussi rassemblent leurs bagages et les attachent !
Et partez ailleurs !
Traversez le Gnawôna
et retournez à Tiouki19.
Et voilà : une fois que vous vous en serez retournés à Tiouki et que
vous y serez parvenus,
alors, moi, je veux aller le chercher.

9. Tiouki est un gros village du Farimaké, à l’ouest du lac Débo, au sud des villages
Diartou et Gardio. On l’appelle aussi Tioukki-Môdi (du nom des chefs ancestraux de
l’endroit).

223
ÂLI AWDI

Je lui demanderai la raison pour laquelle il a agi ainsi.


Je ne suis pas homme à laisser passer cela ! »
Môdi Awdi lui dit : « Ne te bats pas
avec ce qui est de la souche de Bakkâye-le-Grand ! »
Il dit : « Si. Je me battrai.
Car c’est lui qui m’a maltraité. »
Sur ce, suivant le destin fixé par Dieu,
ils émigrèrent et s’en retournèrent à Tiouki.
Môdi Awdi s’y installa du mieux qui fût.
Âli Awdi s’en revint,
accompagné de Sonnâbé20.
Il dit qu’il devait chercher l’autre.
Il suivit la berge
le long de la mare
en partant du Gnawôna
et finit par arriver au lac Tanda.
Il posa des questions
sans résultat probant. Il se rendit au village appelé Soumpi.
Il posa ses questions et on lui dit d’interroger des bergers ; il s’enquit
auprès des bergers.
On lui dit : « Juste comme le soleil allait se coucher,
nous avons aperçu une troupe de cavaliers ;
un cavalier monté sur un grand cheval blanc les précédait
et ils se dirigeaient droit vers le Tanda, là-bas. »
Il continua jusqu’à la prière du crépuscule,
il prit cette direction.
Il fit route jusqu’à ce qu’il fût un peu plus loin et, alors, il aperçut là-
bas la lueur de leurs feux :
ils étaient en train de griller de la viande
et de préparer du thé.
Ils s’installèrent par groupes, les coursiers furent mis à l’attache21
sur la rive du Tanda.
Il se détacha des siens
et, d’en haut, descendit vers eux :
son cri ne fut pas plus tôt entendu
que ce fut dans tout cela un grand désarroi !
Il abattit là-bas trente
jeunes hommes kounta
à la tête hirsute22.

20. Sonnâbé (sg. Tionnâdio) : groupe peul du Farimaké.


21. Le verbe utilisé indique que l’on a mis les chevaux à l’attache avec une longue
longe de façon qu’ils puissent brouter suffisamment loin tout autour de leur piquet.
22. Il s’agit d’hommes aux cheveux longs (comme le sont les jeunes Touaregs ainsi

225
ÂLI AWDI

Il fut pour eux un grand sujet de tourment et ils se débandèrent.


Il chevaucha
et s’en revint à Dianké23 ;
il s’y fit héberger.
Tout le village lui fit des présents de bienvenue ;
on apporta les rations pour les chevaux.
Ils passèrent la nuit là, dans une grande joie.
Bon. Cela étant,
lui, Âbidîna
dit : « À présent,
l’affaire s’est très mal passée ! »
Tandis que lui, Âli Awdi, écrivit une lettre
qu’il envoya à Môdi Awdi.
Il y disait : « Les gens auxquels tu as dit que je devrais obéir,
eh bien, j’ai réussi à les gagner, la nuit dernière :
j’en ai décimé trente,
mes lances ont été meurtrières !
Mes cavaliers sont de retour, ils sont à Dianké
et, à ce jour, ils s’en donnent à cœur joie. »
Môdi Awdi lui renvoya une lettre en réponse :
« In shâ’ Allâh ! Si Dieu y consentait…
s’il avait vraiment fait comme il le disait, il en verrait de ses propres
yeux [les conséquences] ;
car, assurément, ces gens-là étaient des parfaits de Dieu et non des
gens promis au feu. »
Alors là ! Cela fâcha Âli Awdi !
Il s’en retourna là où il les avait tués,
il ramassa des morceaux de bois,
il les plaça sur eux
et il y mit le feu ;
mais il ne réussit pas à faire bien prendre le feu.
Il quitta l’endroit et s’en revint à Dianké
il resta installé à Dianké durant une semaine.
Il apprit à leur sujet qu’ils avaient encore établi leur camp en un lieu
appelé Alloudé-Dâma24.
Il partit à cheval, à l’heure de la prière de lâssara25,

que les Peuls restés nomades). Outre l’indice qu’il s’agit là de Touaregs, cette
coiffure a, dans ce contexte, une connotation particulière dans la mesure où elle
s’oppose à la coutume islamique qui veut que les hommes se rasent la tête.
23. Dianké est sur la rive sud-est du lac Tanda.
24. Textuellement « Acacias (Acacia sieberiana DC.) de-Dâma », lieu-dit situé au
sud de Dianké.
25. C’est-à-dire vers 16 heures.

227
ÂLI AWDI

il descendit dans une plaine appelée Bodié26.


Il y questionna des chevriers qui dirent qu’ils avaient vu là-bas des
cavaliers,
ils étaient tout autour d’une mare
appelée Biya.
Il mit à mal là-bas vingt
Kounta ;
et là encore, les cavaliers se débandèrent.
Il fit demi-tour pour revenir à Dianké où il établit son camp ;
et on apporte aux chevaux du petit mil…
et on leur apporte de l’herbe…
et, à eux, on apporte du lait, on leur apporte des moutons, qu’ils
égorgent…
Suivant le destin fixé par Dieu, il passa des jours…
et il apprit par la rumeur que…
les cavaliers en questions, eux,
s’en étaient retournés
à Mbahé27.
Il fit ses préparatifs et se mit aussitôt en route ;
il enfourcha sa monture et prit tout droit la direction de Mbahé.
Il trouva que les cavaliers avaient établi leur camp
au Sêno-Tyilloudé28.
C’est là que lui et Âbidîna s’affrontèrent en un rude combat.
Il décima ses cavaliers, il le mit en fuite
et il le poursuivit jusqu’à entrer dans Dianké.
Les hommes qu’accompagnait Âbidîna traversèrent le cours d’eau,
mais, lui, ne le traversa pas.
Aussi ne vit-il pas le grand cheval blanc d’Âbidîna,
et cela l’intrigua.
Il dit aux cavaliers d’arrêter29 leurs montures ; ils les arrêtèrent.
Il leur dit d’entrer dans Dianké et de s’y faire héberger. Ils entrèrent
dans Dianké et s’y firent héberger.
Il manda les notables de Dianké, et les notables de Dianké vinrent.
Il dit : « Eh bien voici : ma cavalerie
s’est battue contre le Kounta, au Sêno-Tyilloudé.
et je les ai rudement malmenés.
À présent, j’ai vu

26. Région située à mi-chemin entre le lac Tanda et le cours de l’Issa Ber.
27. Nom d’un village marka.
28. Le Sêno désigne une région dunaire, plaine ou plateau de terre sablonneuse, et
les tyilloudé sont des acacias (Acacia seyal Del. ou polyacantha).
29. Textuellement « de tirer (sous-entendu les rênes) ».

229
ÂLI AWDI

qu’ils ont traversé l’eau ici et ils se trouvent de l’autre côté ; je les ai
vus de loin, sans même avoir traversé,
mais je n’ai pas vu le grand cheval blanc de Âbidîna.
Je sais que c’est dans le village qu’il se trouve.
Si vous ne l’amenez pas aujourd’hui, le malheur va être votre lot. »
Bon. Quant à lui, Âbidîna, il dit aux Mallankôbé30 : « Je suis venu
pour que vous me cachiez pour l’amour de Dieu31.
Eh ! Que le Peul ne m’ait pas ! »
Ils dirent : « Gloire32… ! » ; et ils allèrent le cacher.
Le Peul attrapa des notables de Dianké
au nombre de douze,
il les amena là sur la berge,
il aiguisa bien le fer de sa lance
et il en égorgea trois.
Puis il dit…
à ceux qui restaient, il ordonna de s’asseoir sur ces trois-là jusqu’à ce
qu’ils soient tout froids ;
et voilà tous ceux qui restaient qui s’assoient sur ces trois-là…
jusqu’au moment où ils furent froids.
Il dit : « Alors ? Parlez, dites…
ce qu’est devenu Âbidîna ! »
Ils dirent : « Par Dieu ! Nous l’ignorons. »
Il en égorgea encore trois ;
et il ordonna à ceux qui restaient de s’asseoir sur les trois qui avaient
été égorgés
jusqu’à ce qu’ils refroidissent.
Ils s’y assirent jusqu’à ce qu’ils fussent froids. Il les interrogea de
nouveau. Ils dirent que – par Dieu ! – ils n’avaient pas vu Âbidîna.
Il avait avec lui un Tionnâdio20, chanteur d’hymnes guerriers,
du nom de Bôkari Hadi-Hêri.
Bôkari lui dit : « Âli Awdi Hamma Habboye ! » Celui-ci dit :
« Oui ! »
Il reprit : « Maintenant, je me demande si ce n’est pas que tu as perdu
la raison !
Personne n’use ainsi de son pouvoir ! »
Âli Awdi dit : « C’est que je n’ai pas confiance. » L’autre lui dit : « À
présent, en tout cas, aie confiance. »
Il quitta Dianké
et se rendit à Dâri ;

30. Il s’agit de Sarakollé, habitants de Dianké.


31. Textuellement « à cause de Dieu ».
32. Gloire à Dieu : cette formule, dont le sens s’est affaibli, est prononcée en parti-
culier avant d’entreprendre une action périlleuse.

231
ÂLI AWDI

il alla y séjourner
et y passa une semaine.
Il amena des enquêteurs,
leur demandant de chercher à savoir si on avait vu les autres.
Or, il se trouva que Âbidîna fit là une retraite spirituelle33.
Au matin, il s’éveilla
et, à ses cavaliers, il envoya dire de venir le trouver là,
le samedi.
Il dit : « Mon père et moi, nous nous sommes vus, bien que je me
trouve à Dianké ;
c’est au cours de ma retraite que
mon père m’a dit que, dimanche matin,
c’est-à-dire demain,
si nous n’avons pas réussi à le vaincre,
il faudra attendre de revoir encore un dimanche pour réussir à l’avoir.
Et, en outre, il m’a donné confiance :
ma route est à présent toute tracée34
et elle est claire : avec qui que je me batte, j’aurai la victoire. »
Il réapparut dans Dianké
de sorte que des gens qui passaient par là le virent,
des bergers le virent ; ils partirent et s’en furent en avertir Âli Awdi
qui séjournait à Dâri.
Âli Awdi partit à cheval
il alla s’enquérir de lui à Dianké ;
on lui dit qu’il était parti au Sêno-Tyilloudé.
Il le trouva là-bas,
ils s’affrontèrent ;
les coursiers passèrent la nuit non loin les uns des autres ;
celui qui y prêtait l’oreille pouvait entendre les hennissements de ses
congénères.
Il sut, dès cet instant, que l’autre n’avait pas peur de lui.
C’était la nuit du dimanche.
Le matin venu,
ils enfourchèrent leurs montures, les gens du Foûta et les Kounta en
firent autant
et ils se retrouvèrent ainsi face à face.
Lui, Âli Awdi,
il dit de passer à l’attaque : des Sonnâbé commencèrent, ils formèrent
un peloton.

33. Il s’agit d’une retraite spirituelle consacrée à la prière et au cours de laquelle on


espère obtenir, par inspiration divine, une réponse donnant la solution du problème
pour lequel on procède à cette retraite.
34. Textuellement « mon chemin à présent est terminé ».

233
ÂLI AWDI

Les Kounta et ceux du Foûta s’y mirent


et formèrent un peloton.
Âli Awdi brandit sa lance en la secouant. Âbidîna dit : « Pas ça ! »
Âli coucha la lance en travers de la selle
et de ses yeux giclèrent des larmes.
Des Sonnâbé lui demandèrent : « Qu’as-tu donc, joie de Alfâ et
Mali35, à pleurer ? »
Il dit : « J’ai rêvé, la nuit dernière, que tout le Farimaké avait traversé
le Fleuve Noir
et se tenait de l’autre côté.
Je sais – ajouta-t-il – que c’est ma mort que j’ai vue,
car je sais très bien que je ne traverserai pas pour me retrouver là-bas,
de l’autre côté, et que je ne me rangerai pas sous l’obédience de
Tidjâni Âmadou ! »
Ils dirent : « C’est donc bien ça ! »
Il dit : « À présent, donc, il n’y a là plus rien de bon,
il a bien la chance pour lui36.
Allons-y, en avant ! »
Et voilà ! Alors que les hommes du Foûta ont surgi en troupe, qu’ils
se sont mis à tirer sur eux
et qu’ils ont commencé à les coucher sur le champ de bataille,
il fait partir son cheval au galop, jusqu’à se trouver plus loin
et il dit :« Venez ici, Sonnâbé !
C’est par ici qu’est la victoire ! »
Et des Sonnâbé foncent et viennent à lui
et lui disent : « Tu ne lances donc pas ta sagaie ? ! » Âli Awdi dit :
« Je ne peux la lancer aujourd’hui. »
Et, comme ils étaient arrivés un peu plus loin, sous la poussée des
autres,
il dit : « Bôkari Hadi-Hêri ! » Celui-ci dit : « Oui ! »
Il reprit : « Je te prie, pour l’amour de Dieu, lorsque nous serons
arrivés à Alloungâwol37,
de m’en avertir.
J’ai entendu dire par Awdi Hamma Habboye,
mon père,
que tout homme que la guerre aura trouvé à Alloungâwol,
que ce soit un Tionnâdio
ou un homme de notre famille,

35. Il s’agit des ascendants de Âli Awdi.


36. Textuellement « il a été doté / on lui a donné » ; le participe passif du verbe
« donner », employé absolument, signifie que la personne ainsi désignée a été
gratifiée par Dieu d’une chance, d’une faveur, d’une vertu etc.
37. Bras d’eau situé près de la ville de Ténenkou.

235
ÂLI AWDI

s’il prend la fuite,


survivra à son honneur38.
Or, moi, je ne veux pas survivre à mon honneur. »
C’est alors que Âbidîna pénétra au milieu d’eux en en abattant tout ce
qu’il put…
jusqu’au moment où ils atteignirent Alloungâwol ;
et, tout juste comme Âli Awdi disait : « Sauvez-vous, fuyez,
fuyez ! »…
c’est alors que lui, Bôkari Hadi-Hêri, dit : « Âli Awdi Hamma
Habboye ! » Il dit : « Oui ? »
Il dit : « Ce qui me retient de vouloir te cacher,
c’est que je sais que, si tu meurs, je dois mourir.
C’est ici, Alloungâwol. »
Il arrêta son cheval sous un dattier du désert39 – lui, Âbidîna.
Il tira un coup de fusil en le visant :
le choc des balles dans sa poitrine le souleva
et le fit tomber à terre.
Tous les Sonnâbé s’inclinèrent au-dessus de lui et lui, Âbidîna, en
abattit trente sur Âli Awdi Hamma Habboye.
Il installa son camp.
Et c’en fut fait de tout ce qu’il restait de cavaliers.
Il prépara un message qu’il expédia à Môdi Awdi qui se trouvait à
Tiouki.

Môdi Awdi enfourcha son cheval et arriva.


Il dit : « Au nom de Dieu !
Âbidîna , salut à toi, au nom de Dieu ! Diawiyakoye40 ! »
Il avança [jusqu’à lui]
et ils se saluèrent
longuement.
Il dit : « Qu’en est-il de Âli Awdi ? »
Il montra du doigt Âli Awdi là où il gisait.
Môdi Awdi se leva donc et y alla.
Chaque homme qu’il saisissait, il s’apercevait qu’il était lié à son
compagnon :
ils avaient attaché les uns aux autres leurs vêtements de coton ocre,
ils avaient attaché les unes aux autres leurs ceintures de pantalon.
Il revint et interrogea Âbidîna :
« Comment cela se fait-il ?

38. C’est-à-dire survivra après la perte de son honneur, i. e. « vivra désormais


déshonoré ».
39. Balanites aegyptiaca L.
40. Nom d’honneur des Kounta.

237
ÂLI AWDI

C’est toi qui leur as tiré dessus et ils sont morts


et tu les as attachés les uns aux autres ? »
Il dit : « Pas du tout ! Après que Âli Awdi a été abattu, j’ai entendu
des Peuls Sonnâbé dire qu’eux lui serviraient de tombeau
comme les branches d’épineux que l’on met sur un être humain41. »
On les souleva tous
et ils finirent par trouver Âli Awdi, gisant sur le dos ; comme, au
moment de sa mort, il croquait une noix de cola qui n’avait pas encore
perdu toute sa saveur42,
tout son collier de barbe était très rouge de jus de cola43
et toutes ses dents étaient rouges de jus de cola.
Du haut de sa taille, Môdi regarda Âli Awdi longuement et, de ses
yeux, jaillirent des larmes.
Âbidîna dit : « Môdi, pourquoi pleures-tu ? C’est le fait que je l’aie
abattu qui t’a fâché ? »
Il dit : « Non, ce n’est pas ça. Je suis pris de pitié. »
Il dit : « Bien sûr !
Allez – ajouta-t-il – rentrons ! »
Ils partirent à cheval et il s’en retourna avec Âbidîna, à Tiouki.
Âbidîna passa sept jours à Tiouki
jusqu’à ce qu’il fût reposé.
Il dit : « Eh bien, voici une lettre ! »
Môdi prit la lettre et la lut44 ;
il dit : « Mais je ne comprends pas cette lettre ! »
Âbidîna dit : « Ce qu’il y a d’écrit là, c’est exactement ceci :
mon père a dit que si, moi, j’avais couché Âli Awdi sur le champ de
bataille, nous nous rendions ensemble à Bandiagara :
tu n’auras qu’à te tenir devant Tidjâni Âmadou
et lui dire que tu lui fais allégeance. »
Môdi Awdi se mit à pleurer. Âbidîna dit : « Qu’as-tu à pleurer ? »
Il dit : « Eh ! [Tant que je serai] de ce monde45,
je ne veux pas émigrer hors du Farimaké. »
Il dit : « Mais non, tu n’émigreras pas !
Mais nous devons partir ensemble. »

41. Une fois le cadavre descendu dans la fosse, on ferme celle-ci avec des traverses
en bois sur lesquelles on ajoute des branches d’épineux avant de ramener la terre sur
la tombe. Les combattants qui accompagnent Âli Awdi font de leurs corps un
tombeau pour leur chef en le recouvrant comme le font ces branchages.
42. C’est-à-dire qu’il n’avait pas fini de mâcher sa noix, au point que celle-ci n’ait
plus de goût et ne teinte plus sa salive.
43. Textuellement « ses favoris et sa barbe, tout était rouge vif ».
44. Textuellement « la regarda de haut ».
45. Textuellement « en ce monde, ainsi ».

239
ÂLI AWDI

Môdi Awdi partit accompagné de douze notables


et lui, Âbidîna, il lui restait quarante-sept chevaux46.
On fit traverser l’eau aux chevaux
et ils se trouvèrent près d’un village appelé Akka47.
Puis ils poursuivirent leur route jusqu’à ce que, le jour où ils eurent
enfin atteint Konna48,
il dépêchât un messager à Tidjâni Âmadou.
Tidjâni Âmadou lui envoya un message lui souhaitant la bienvenue.
Tout ce que l’on doit chercher pour un coursier fut cherché pour les
coursiers ;
et tout ce qui est nourriture pour un être humain, fut cherché pour les
hommes.
Ils arrivèrent et descendirent à Bandiagara
à l’heure fraîche de la prière de lâssara,
un vendredi.
Le matin, au réveil, ils vinrent et s’assirent dans le vestibule durant
quelques instants.
Il vit Môdi Awdi – lui, Tidjâni Âmadou – et crut que c’était Âli Awdi.

Il se leva et s’en fut dans la pièce d’habitation.


Il dit : « Leïla Allâye Galowal ! Tu m’avais bien dit que, si jamais Âli
Awdi pénétrait dans Bandiagara, je te coupe la tête et en fasse un
coussin
tant était fort ton amour pour lui et grande ta confiance en lui ? »
Elle dit : « Exactement. »
Il poursuivit : « Eh bien ! Âli Awdi est là. »
Elle dit : «Réellement ? Si c’est vrai que Âli Awdi est là,
alors– confirma-t-elle – ce que je t’ai dit est demeuré inchangé pour
moi :
tu n’as qu’à me couper la tête.
Appelle tout de suite Sambalâna pour qu’il vienne me trancher la tête.
C’est lui ton bourreau ! »
[Tidjâni Âmadou] s’en revint ; il s’assit un bon moment
puis il dit : « Salut, Âli Awdi ! »
Môdi resta silencieux.
Il dit : « Salut, Âli Awdi ! »
Môdi resta silencieux ; et cela, par trois fois ;
[à la troisième fois] Tidjâni dit : « C’est à toi que je parle ! »
Il dit : « Je ne suis pas Âli Awdi. Je suis Môdi Awdi. »

46. C’est-à-dire « cavaliers ».


47. Akka est situé à la pointe nord-est du lac Débo.
48. Konna est une ville située entre le lac Débo et Mopti, à environ 55 km. de cette
ville.

241
ÂLI AWDI

Il dit : « Qu’est-il advenu de Âli Awdi ? »


Il dit : « Demande à Âbidîna. »
Il dit : « Âbidîna, qu’est-il advenu de Âli Awdi ? »
Il dit : « Âli Awdi, c’est moi qui l’ai abattu. »
Il dit : « Et comment était Âli Awdi ? »
Âbidîna dit : « Je ne sais pas.
Un coup de fusil l’a atteint,
ce n’est pas moi qui suis arrivé jusqu’à lui. »
Il s’adressa aux hommes du Foûta : « Comment était Âli Awdi ? »
Ils dirent : « Nous ne savons pas.
Un homme tel que, chaque fois qu’il lève le bras,
c’est une lance plantée dans la poitrine de quelqu’un,
personne ne [prendra le temps] d’examiner comment il est ! »
Il s’exclama : « Dieu Le-plus-Grand !
Môdi Awdi ! – reprit-il. » Môdi Awdi dit : « Oui ? »
Il dit : « Obéis à Dieu, obéis-moi. »
Il dit : « En vérité, j’obéis à Dieu et je t’obéis. »
Il dit : « Installe-toi donc ici. Tu ne dois pas t’en retourner au
Farimaké,
car je ne te fais pas confiance.
Tout ton pays, je vais le faire émigrer,
je vais le faire revenir dans mon pays.
Je n’ai pas confiance, si vous êtes loin de moi,
car, pour sûr, vous êtes bien des Peuls Rouges49. »
Il répondit : « Je voudrais que tu me permettes de m’en retourner à
Tiouki,
pour aller faire tous mes préparatifs. »
Il dit : « Ça t’a échappé50. »
Il reprit : « Môdi Awdi ! » Môdi Awdi dit : « Oui. »
Il dit : « Entre Mâni-Mâni51 et Tiouki, c’est loin, n’est-ce pas ? »

49. Les Peuls Rouges, éleveurs à l’origine et peu sédentarisés, étaient considérés
comme moins fidèles à la loi islamique et plus indépendants vis-à-vis du pouvoir. Ils
s’opposent eux-mêmes aux Peuls Noirs, sédentarisés, souvent métissés avec les
populations auprès desquelles ils se sont fixés, et soumis aux souverains en place.
D’où la méfiance exprimée par Tidjâni.
50. C’est-à-dire « pas question que tu obtiennes cela, c’est une perspective qui est
dépassée ».
51. Mâni-Mâni, dans la région de Gourao, village situé sur la rive nord du lac Débo
fut le théâtre, en 1863, d’un événement douloureux pour les troupes d’Al-Hadj
Oumar qui y furent décimées par les Peuls aidés des Kounta, cette défaite ayant
ensuite déclenché des mouvements de rébellion parmi les Peuls et signé le déclin de
la puissance d’El-Hadj Oumar dans le nord de son fief. Toutefois, nous n’avons pu
identifier à quoi faisait allusion la réponse offensante de Môdi Awdi, qui suscite la
colère de Tidjâni. La ville de Bôré se trouve à l’est, dans le cercle de Douentza, à une
cinquantaine de kilomètres à l’est de Konna.

243
ÂLI AWDI

Il dit : « C’est plus loin qu’entre Yoûmayra et Bôré. »


Tidjâni dit : « Sambalâna ! » Sambalâna dit : « Oui ? » Il dit :
« Égorge Môdi Awdi Hamman Habboye. »
Sambalâna surgit, le couteau à la main.
Âbidîna se dressa, tenant son fusil à deux coups et dit : « Si tu fais ça
maintenant,
la religion en pâtira, car nous nous tirerons dessus, l’un l’autre ;
et si nous nous tirons dessus, en tirant sur moi, tu tireras sur ce que je
représente52. Mon père sera mis au courant
et, si mon père en est au courant, il fera une retraite53 ;
et s’il entre en retraite,
tu auras à pâtir de tout cela. »
[Tidjâni] dit : « Mais tu n’as pas entendu ce qu’il m’a répondu ? »
Il dit : « Ce que tu lui as dit lui a déplu ; c’est pourquoi il t’a répondu
comme il l’a fait. »
Il dit : « Certes. »
Le matin, au réveil,
il fit mander là ses notables, qui vinrent.
Il dit qu’il voulait qu’on lui remît mille cavaliers qui devraient se
rendre au Farimaké,
qu’on lui remît mille pirogues
qui devraient se rendre au Farimaké
et que, depuis les vaches jusqu’aux chèvres et aux moutons, tout cela,
fût déplacé
et se retrouve de ce côté-ci.
Les pirogues partirent ; elles partirent avec les cavaliers.
Et l’on fit abandonner les lieux à tout le Farimaké
qui se plaça de ce côté-ci.
Ils montèrent dans des pirogues
et longèrent la rive
jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus en un lieu appelé Kouna.
Ils envoyèrent dire que les pirogues avaient accosté à la rive de
Kouna54.
Tidjâni Âmadou enfourcha sa monture55 et chevaucha en compagnie
de Môdi Awdi et de Âbidîna Bakkâye
et ils arrivèrent à Kouna.
Il dit : « Regarde bien le pays que voici :

52. Textuellement « ce avec quoi je suis ».


53. Textuellement « il s’assiéra », c’est-à-dire qu’il s’isolera en retraite spirituelle
pour demander à Dieu de décider du destin des hommes.
54. Kouna se trouve au sud de Mopti, sur le Bani, entre Mopti et Sofara.
55. Ce cheval avait nom Caajal-Nasru, textuellement « Grand-au-poitrail-blanc-
Victoire (ou Secours) » (cf. TYAM, 1935, p. 195, note 1114).

245
ÂLI AWDI

je te le donne.
Installe-toi dans ce pays. »
Môdi Awdi s’est donc installé dans la région de Kouna
et aussi à Ngouna
ainsi qu’à Iwré
et, durant douze années,
il resta dans cette région ;
et c’est au cours de ces douze années-là
que les Rouges56 y pénétrèrent.
Et lorsque les Rouges y furent entrés,
il y eut une fusillade à Bandiagara.
Et après qu’il y eut cette fusillade à Bandiagara, c’est alors que le
pouvoir foutanké57 fut évincé ;
et c’est une fois le pouvoir foutanké évincé que,
alors, Môdi Awdi rentra dans son pays.
Puis Môdi Awdi arriva au terme de son commandement
et après cela, il mourut.
Sa fille eut le commandement durant trois ans, puis elle mourut.
Il se trouva que les fils de Âli Awdi se levèrent :
Awdi Âli Awdi58,
ce fut lui qui, alors, eut le commandement.
C’est dans ces circonstances que le Farimaké réintégra sa place.
Durant douze années, le Farimaké avait abandonné son site :
plus une hyène ne devait ricaner,
plus un oiseau ne devait pleurer
dans le Farimaké
depuis lors et jusqu’à présent.

Cette histoire se termine là.

56. C’est-à-dire, ici, les Blancs, les Européens. Archinard entra à Bandiagara en
avril 1893.
57. Textuellement « ce (qui est) des gens du Foûta ».
58. D’après les renseignements fournis par Almâmi Mâliki Yattara, frère du narra-
teur, cet Awdi Âli Awdi, qui eut le commandement jusqu’à l’époque du R.D.A., sous
la colonisation, était le fils de Ousmane Âli Awdi, un frère cadet de Môdi Awdi, qui,
lui aussi, fut un chef sous la colonisation.

247
IV
BOKKIYO

BOKKIYO

raconté par
BÂBA MÂLIKI YATTARA
INTRODUCTION

Le point de départ de l’affrontement rapporté ci-après n’est pas sans


rappeler l’une des anecdotes concernant Âmadou Hammadi Boûbou
(le futur Sêkou Âmadou) telle qu’elle est narrée dans L’Empire peul
du Macina de A. H. Bâ et J. Daget (p. 105) : il s’agit là d’un jeune
captif de Sêkou Âmadou qui se fait malmener et dépouiller par un
métis d’Arabe d’une charge de bourgou (fourrage aquatique) destinée
à son maître ; toutefois, venu se plaindre à ce dernier, il ne reçut
comme réponse que : « Cesse de te plaindre, Dieu pourrait te donner
le commandement de tous les Rimaybé du pays en échange de ta botte
de bourgou » ; ce qui se réalisa lorsque Sêkou Âmadou lui donna le
commandement des Rimaybé de la Dîna.
Ici, le méfait sert simplement de motif à l’entrée en guerre contre
l’ennemi traditionnel dans les récits se rapportant à cette époque : le
Bambara. Le griot historien Yéro Arsoukoula relate dans ses Notes de
ma guitare (pp. 40-44) les remous qui provoquèrent l’envoi par Sêkou
Âmadou d’Al-Hadj Saydou à Sankoura, dans le Bokkiyo. Les raisons
en sont bien plus décisives que l’incident évoqué dans notre texte :
Allâye Galowal, chef de Dâri ayant informé Sêkou Âmadou des abus
du chef de Diré, El Hadj Seydou fut dépêché à Dâri ; en chemin, sa
troupe fut attaquée par une armée envoyée par le chef de Sankoura
(Nioucou Boré : sans doute le Gnôkou de notre récit). À son retour à
Hamdallâye, El-Hadj Saydou informa Sêkou Âmadou de cette
provocation. Après consultation de son Conseil, ce dernier dépêcha
son neveu Bâ Lobbo auprès du chef rebelle de Sankoura pour le
convaincre de se soumettre aux exigences de la Dîna. Nioucou
répondit par des propos hostiles et l’affrontement fut inévitable. Il
tourna à l’avantage de Bâ Lobbo et le rebelle fut contraint de suivre
celui-ci à Hamdallâye. Malgré son attitude peu docile, Sêkou Âmadou
fit preuve de clémence à son égard, mais lui adjoignit son fils Allâye
Sêkou qui fut ainsi amené à s’installer à Sankoura.
Le récit qu’en fait ici Bâba Mâliki Yattara semble bien être un
écho de ces événements, en dépit d’une certaine confusion dans les
personnages et les faits ; l’affrontement entre le chef de Sankoura et
El-Hadj Saydou – qui n’est qu’une escarmouche dans la version
rapportée par Yéro Arsoukoula – prend ici la dimension d’un combat
décisif et semble bien reproduire celui qui, chez cet auteur, oppose Bâ
Lobbo au chef de Sankoura, Nioucou Boré. Quant au départ du fils de
Sêkou Âmadou, Allâye, pour le Bokkiyo, il a ici pour motif, non pas
la surveillance du chef rebelle de Sankoura, mais bien l’islamisation
251
BOKKIYO

de toute la région, islamisation qui, malgré les vingt-cinq années de


présence de Allâye, serait, d’après les dires du narrateur, encore
quelque peu incertaine, voire contestée, chez les Bambara. Cette
conclusion ne fait que refléter l’image conventionnelle du Bambara
dans tous ces récits épiques, qu’ils mettent en scène l’opposition des
anciens Ar!e peuls, rebelles à l’obligation de payer tribut à Puissance-
de-Ségou (titre du souverain bambara) ou, au contraire, les conflits
suscités par la résistance des Bambara au gouvernement de
Hamdallâye, la Dîna instaurée par Sêkou Âmadou et régie par la loi
religieuse.

252
BOKKIYO

Narrateur : Bâba Mâliki Yattara


Tembéni, mars 1970

Je vais raconter une histoire


concernant Al-Hadj Saydou Sêkou
de Hamdallâye :
comment il entra dans Bokkiyo.

Un homme était arrivé au lieu de Sankoura1.


C’était un étudiant d’école coranique2.
Il arriva juste à la récolte ;
il obtint une grande quantité de mil ;
le mil fut chargé sur des pirogues.
Lui, Gnoungourou3, étant sorti, vit le mil et demanda :
« Quoi ?
À qui appartient ce mil ? »
On lui dit : « À l’étudiant d’école coranique qui est venu ici. »
Il lui demanda : « Où va ce mil ? »
Il dit : « Ce mil doit aller à Hamdallâye…
Je suis un disciple de Sêkou Âmadou. »
Il ordonna que l’on fît accoster la pirogue ;
on fit accoster la pirogue.
Et tout le grain4 fut repris à l’étudiant.
Il battit l’étudiant ;
l’étudiant ramassa ses gourdes, sa natte et sa planchette5 et il prit réso-
lument la direction de Hamdallâye.
Il fit route et parvint enfin à Hamdallâye ;
il pénétra de nuit dans Hamdallâye.
Il passa donc là la nuit et, s’étant éveillé, au matin,
il rencontra Sêkou Âmadou Hamman Lobbo Aïssa.
Ils se saluèrent et celui-ci dit : « Quand es-tu arrivé ? » Il dit : « Je suis
arrivé cette nuit. »

1. Sankoura : village dans l’arrondissement de Ngorkou, cercle de Niafounké.


2. Il s’agit de l’un de ces étudiants qui, faisant partie des disciples d’un marabout,
vivent pendant toute la durée de leurs études, de la générosité publique.
3. Gnoungourou est un chef bambara ; plus loin il est fait aussi mention de Gnôkou :
s’agirait-il du chef bambara de Sankoura, Nioucou Boré, signalé par Yéro ARSOU-
KOULA (Notes de ma guitare, pp. 40-41), et dont Al-Hadj Saydou a affonté les
troupes près de Korientzé ?
4. Textuellement « la nourriture » : ce terme désigne, selon les régions, le mil ou le
riz, i. e. la céréale (le « grain ») constituant la nourriture de base.
5. Il s’agit de la planchette à poignée, servant d’écritoire.

255
BOKKIYO

Il dit : « Est-ce que tu vas bien ? » Il dit : « Je vais bien, oui,


seulement voilà : on m’a pillé !
Et tu ne tolères pas le pillage ! »
Il dit : « Qui donc t’a pillé ? »
Il dit : « Gnôkou,
Gnôkou, le chef-de-guerre de Tiémâba,
lui et Gnoungourou.
Ce sont eux que j’ai trouvés dans le pays et qui m’ont pillé. »
Il dit : « Dans quel village ? »
Il dit : « Dans un village du nom de Sankoura. »
Il dit : « Et comment t’ont-ils pillé ? »
Il dit : « Je suis arrivé là-bas et j’ai moissonné du mil.
J’ai demandé qu’on me donne du mil en aumône ;
ce qui m’a été donné pour l’amour de Dieu,
je l’ai chargé sur une pirogue pour te l’apporter.
Ils m’ont tout arraché !
[Il ne m’est resté] plus rien !
Il m’a attrapé, il m’a battu et il a dit que je vienne te rapporter [la
chose et te dire] que,
de tout le pays, c’est lui qui a la plus grande force de feu6,
et qu’il n’est aucun chef de force armée qui le puisse vaincre. »
Sêkou Âmadou dit : « J’ai entendu. »
On fit la prière de sallifana7 ;
Sêkou informa toute l’assistance [de ce qui s’était passé].
On fit la prière de lâssara ;
Sêkou en informa toute l’assistance.
On fit la prière du crépuscule ;
Sêkou en informa toute l’assistance.
On fit la prière du soir,
il en informa toute l’assistance.
On tint séance.
Il dit : « Auquel d’entre vous devrai-je donner Bokkiyo8 ? »
Ils gardèrent le silence…
jusqu’à ce qu’il [eût posé la question] par trois fois.
Alors Allâye Sêkou Âmadou répondit à son père et dit :
« Tu n’as qu’à le donner à Al-Hadj Saydou Sêkou.

6. Textuellement « C’est lui qui l’emporte sur toute la terre en feu (c’est-à-dire en
armes à feu), il n’y a pas un possesseur de feu qui ait sur lui le dessus ».
7. Noms des prières de l’après-midi (vers 14 heures pour la première et vers 16
heures pour la seconde).
8. A. H. BA et J. DAGET (1984, p. 20) rappellent comment le roi des Bambara du
Sêno Bokkiyo ayant chassé de son fief tous les Peuls de Foyna (région de Wouro-
Nguiya), épargna l’un d’eux qui devait s’avérer l’ancêtre lointain de Sêkou Âmadou.

257
BOKKIYO

C’est à lui qu’a été accordée [par le destin divin] la victoire sur Bok-
kiyo. »
On le donna donc à Al-Hadj Saydou Sêkou.
On lui donna cent trente-trois
hommes dotés de chevaux marqués de balzanes et bien découplés.
Ils prirent aussitôt le départ depuis Hamdallâye,
Ils passèrent la nuit dans un village appelé Ségué.
Et ils passèrent la nuit à causer, en leur compagnie.
Puis ils quittèrent sans tarder Ségué
et arrivèrent à un village appelé Wouro-Nêma9.
Il y avait [dans ce village] un disciple de Sêkou Âmadou, du nom de
Oumarou Âmadoun Pérêdio10.
Ils passèrent la nuit à Wouro-Nêma
et, de bon matin, ils prirent la route avec Oumarou Amadoun Pérêdio.
Ils partirent, cette fois encore, et arrivèrent à une agglomération du
nom de Konsa,
ils y passèrent la nuit dans le bien-être.
Lors, il y avait là un disciple de Sêkou Âmadou ;
il s’appelait Djibrîlou.
Ils quittèrent la place
et ils prirent le bord du fleuve, qu’ils longèrent
jusqu’au moment où ils arrivèrent dans un village appelé Diamâ-
Dou’âdié11.

Il demanda : « Comment peut-on actuellement atteindre le Bok-


kiyo ? »
On lui dit : « Actuellement, partout où il y a un gué, on peut passer à
pied. »
On lui demanda quel endroit il cherchait au Bokkiyo.
Il dit qu’il cherchait Sankoura.
Holà ! Les musulmans12 lui dirent :
« Ne va pas à Sankoura ! Si tu vas comme ça à Sankoura,
le Bambara risque de te voir
et il te massacrera ! »
Il dit : « C’est lui avec qui je dois aller discuter. C’est Sêkou qui m’a
dépêché auprès de lui. »

De bon matin, il quitta Diamâ-Dou’âdié.

9. Nom signifiant « Campement-du-Bien-Être » ; village du Kounâri.


10. C’est-à-dire « Le Migrant », nom d’un groupe peul qui occupe surtout le Kou-
nâri.
11. Village situé dans les environs de Korientzé ; de même que, plus loin, Woro.
12. Expression utilisée pour désigner simplement « les gens ».

259
BOKKIYO

Il traversa le fleuve et se trouva à Bougourintié ;


il descendit là,
il y passa la nuit jusqu’à ce que Dieu eût fait décliner le soleil.
Il prit le départ dans la soirée
et il arriva entre le gué et Woro.
Il se trouvait là un grand ficus ombreux13 qui surplombait le cours
d’eau ;
il y passa la nuit jusqu’au moment où le soleil de Dieu apparut.
Tout le Bokkiyo se renseigna sur les cavaliers
et sur ce mouvement de troupe.
Lui, Gnoungourou,
il envoya un messager à Gnôkou.
Gnôkou,
envoya un messager au Massa14 Mâmari.
[C’était pour dire] que « Allez ! Immédiatement, partout où il y a un
gué, on l’occupe…
… l’étudiant coranique,
nous sommes tout à fait convaincus
qu’il a l’intention de traverser le fleuve. »
Bon. Il y avait un endroit de la rive nommé Kanga
et il y avait là un gué.
Lui, Gnoungourou,
il avait un millier de jeunes gens
porteurs d’un gros fusil noir, vêtus d’une tunique et d’un pantalon de
coton teint à l’ocre,
avec chacun un fusil à double canon d’acier trempé et sa cognée ; ils
étaient descendus jusque dans l’eau
au point que leurs pantalons de coton ocre en étaient mouillés.
Ils avaient empoigné leurs fusils et ils les avaient chargés.
Il dit : « Et maintenant,
si jamais c’est ici qu’ils traversent aujourd’hui,
et si tout va bien,
pas un seul d’entre eux ne remontera sur la berge. »
Aux gens
de Gnôkou, à eux aussi, on leur dit que,
s’il arrivait par l’endroit de la rive appelée Gambo,
et si, aujourd’hui, ils réussissaient à l’avoir,
il fallait que tout le pays fût informé
qu’il n’avait pas réussi à traverser
et qu’il n’avait pu sauver sa tête.

13. Ficus platyphylla Del., arbre aux larges feuilles d’un vert profond et qui donne
une ombre dense et très fraîche.
14. Titre bambara : màsa « roi, souverain ».

261
BOKKIYO

Bon !
Là-dessus,
[Al-Hadj Saydou Sêkou] ordonna que les chevaux fussent sellés ; le
soleil déjà haut dans le ciel, les chevaux furent sellés.
Il prit par le bord du lac de Toukârou,
puis descendit sur une petite levée de terre boisée qui se trouvait là
et qu’on appelle Mbaloye15.
Il descendit donc au bord de l’eau et il aperçut les cavaliers, là-bas, de
l’autre côté,
qui se tenaient dressés [sur la berge], surplombant les soldats qui
étaient descendus dans l’eau,
avec leur fusil bien en main.
Alors, là ! Des disciples dirent : « Sêkou Âmadou … (euh… )
Al-Hadj Saydou Sêkou ! Est-ce que tu en as vraiment le courage ?
Ici, aujourd’hui, on ne pourra pas traverser ! »
Il dit : « Sêkou a dit que, où que je descende dans l’eau, je traverse. »
Ils lui dirent : « Même ici ? » Il dit : « Même ici. »
Ils dirent : « Très bien !
Nous, c’est toi que nous suivons.
Quoi que tu fasses, nous ferons de même.
Mais nous avons peur ! »
Il avança jusqu’à ce qu’il fût parvenu au gué.
Une personne le héla [depuis l’autre rive]
et lui dit : « Est-ce que tu es de Hamdallâye ? »
Il dit : « [C’est] cela même ! »
Il dit : « Si tu traverses comme ça, par ici, aujourd’hui,
alors, gare ! Ça n’ira pas du tout !
Ils ont eu de tes nouvelles :
ils ont appris où tu as passé la nuit ;
ton arrivée, aussi, ils en sont au courant.
Et nous savons bien que c’est vers nous que tu te diriges.
Si tu traverses ici, aujourd’hui, ça n’ira plus bien du tout [pour toi] ! »
Des disciples lui dirent : « Humhum ! Al-Hadj Saydou Sêkou, qu’est-
ce que tu en dis ? »
Il dit : « C’est par ici que Sêkou a dit que je descende. »
Il fit descendre son cheval à longue liste blanche dans l’eau et il rele-
va ses pieds,
il les appliqua sur le pommeau de la selle
et il dit : « Ô vous, cavaliers !
Regardez-moi tous !

15. C’est à dire « Petits-Palmiers-Doums ».

263
BOKKIYO

Que tout homme qui me regarde, un autre qui me regarde, le regarde,

et que personne ne regarde à côté. »


Il releva ses jambes
il donna des rênes à son destrier,
avançant tout droit
jusqu’à ce qu’enfin la tête du cheval et les soldats se trouvent comme
imbriqués.
Ils lui dirent [en bambara] : « Bonjour ! »
Il ne dit mot.

Il lui dirent [en bambara] : « Bonjour ! »


Il ne dit mot.
Ils croisèrent leurs fusils canon contre canon !
Il leur dit : « Eh ! Faites excuse ! »
Ils redressèrent les fusils.
Il traversa et continua sa route,
tandis qu’ils se tenaient debout dans l’eau,
jusqu’à ce que tous ses cavaliers fussent remontés [sur la berge].
Il avança jusqu’à ce qu’il s’en fût rencontrer le peloton de tête de
l’artillerie.

Gnoungourou lui dit : « La paix sur vous ! »


Il ne lui répondit pas.
Il continua son chemin jusqu’à ce qu’il fût sûr que tous les cavaliers
étaient bien remontés sur la berge.
Sans même tourner la tête,
il prononça cette phrase : « Êtes-vous bien tous remontés ? »
Et tous, ils allèrent à la rencontre les uns des autres ;
ils remontèrent tous de l’eau jusqu’au dernier.
Il fit tourner la tête à son cheval
et il dit : « Gloire à Dieu le Seigneur des mondes !
Qui est Gnôkou – dit-il ? »
Gnôkou dit : « Me voici, je suis là. »
Il dit : « Et qui est Gnoungourou ? »
Celui-ci dit : « C’est moi Gnoungourou ; me voici aussi, là même ! »
Il dit : « On m’a envoyé vous apporter un message. »
Ils lui indiquèrent un grand ébénier qui surplombait le fleuve
et lui dirent de mettre pied à terre, là.
Il dit qu’il ne mettrait pied à terre que s’il s’était bien entendu avec
eux,

265
BOKKIYO

que, lorsque quelqu’un faisait mettre pied à terre à un hôte pour


l’héberger,
ce n’était pas dans la brousse qu’il l’hébergeait
mais bien dans un village.
Ils dirent : « Qu’est-ce qui t’a amené ? »
Il dit : « Ce qui m’a amené ? Sêkou Âmadou Hamman Lobbo Aïssa
m’a envoyé [vous transmettre le message suivant] :
un de ses étudiants est venu ici travailler pendant son congé.
Vous lui êtes tombés dessus
et vous lui avez fait du tort, injustement.
Or l’injustice n’a pas cours à Hamdallâye,
et il ne s’en commettra pas dans le pays non plus, tant qu’il sera en
Ils dirent : « C’est exact. [vie. »
C’est bien nous qui l’avons pillé ! »
Il dit : « Eh bien ! moi, c’est avec vous que je suis venu discuter : si
vous le pouvez,
vous n’aurez qu’à rendre le mil,
et obéir à Dieu !
Si vous ne le pouvez,
ce sera la lance de la Dîna16 qui discutera avec vous ! »
Ils dirent : « Qu’est-ce que “la lance de la Dîna” ? »
Il dit : « C’est la lance que je tiens en main. »
Ils dirent : « Elle discutera avec nous ! »
Ils avaient à peine dit qu’« elle discuterait avec eux », qu’il toucha
l’un d’eux d’un coup de lance.
Aussitôt tout cela ne fit plus qu’un, en une mêlée furieuse !
Et la fusillade prit là, depuis l’instant où, le matin, ils avaient traversé
et jusqu’au plein soleil de dix heures.
Eh oui ! Leurs cavaliers étaient nombreux,
leur force de feu était importante.
Ils serrèrent de près Al-Hadj Saydou Sêkou,
depuis la rive de Kanga
et jusqu’à ce qu’ils l’eussent amené derrière les habitations de Doû-
roûdié17.

Ils traversèrent un bras d’eau qui se trouve là


et qu’on appelle Sêko :
l’un se trouvait de l’autre côté de l’eau, et l’autre de ce côté-ci.
Ils le bloquèrent là.

16. La Dîna : nom donné à l’État théocratique instauré par Sêkou Âmadou au Mas-
sina.
17. Nom d’un village, du nom de végétaux (Chrozophora brocchiana, pour les uns,
Phyllantus reticulatus, pour d’autres).

267
BOKKIYO

Les cavaliers reçurent l’ordre d’attendre.


Et les notables rentrèrent.
Il passa à Sêko
un mois et dix jours,
sur une toute petite dune seulement.
L’un était de l’autre côté de l’eau, et l’autre de ce côté-ci.
Bon ! Un village se trouvait là, qui s’appelait Nâm ;
un autre village se trouvait là-bas, qu’on appelait Mbouriya ;
et il se trouvait encore, de ce côté-ci, un autre village,
qui s’appelait Dâfi.
Ces villages-là apportaient de quoi les nourrir pendant la nuit,
car il fallait absolument qu’ils agissent en cachette.

C’étaient des musulmans,


ils aimaient Sêkou Âmadou ;
chaque nuit, ils préparaient de la pâte de mil, et du petit bétail
qu’ils égorgeaient puis grillaient.
[Après quoi] ils chargeaient sur leur tête la viande grillée
et ils traversaient l’eau, en restant cachés pour que personne ne les
voie ;
ils marchaient en rampant et venaient remettre cela à Al-Hadj Saydou
Sêkou.
Ils disaient : « Nous te l’apportons pour l’amour de Dieu ! Dîne ! »
Bon. Les autres18 savaient bien, à ce moment-là, que ça faisait long-
temps que ceux-ci n’avaient plus traversé l’eau.
Ils prirent des morceaux de bois et les fichèrent en terre.
Ils disposèrent les bois pour qu’ils forment comme des mannequins19,
ils y mirent de vieux morceaux de tissu ;
ils allumèrent des foyers.
Et eux, ils quittèrent la place ; et il se passa une semaine complète.
Quant aux autres20, ils ignoraient que les épouvantails qui étaient là-
bas, ce n’étaient pas des hommes.
Ils firent la prière du soir et, comme ils étaient assis depuis un petit
moment, un jeune homme, du nom de Âmadou Mâmoûdou,
dit : « Al-Hadj Saydou Sêkou ! » Celui-ci dit : « Oui ! »
Il dit : « Aujourd’hui, il est temps que nous nous renseignions sur ce
qu’il en est,
dussions-nous en périr ! Car, pour sûr, nous nous sommes, ici, com-
plètement épuisés.

18. C’est-à-dire les Bambara.


19. Textuellement « ils mirent les bois comme seraient des membres / corps ».
20. C’est-à-dire les Peuls cernés.

269
BOKKIYO

Nous avons déjà coupé l’herbe de toute la rive le long du fleuve


et, là où il en reste encore à couper, personne ne peut y aller à pied ;
et nous n’avons pas de pirogue ici. »
Saydou Sêkou dit : « C’est très bien.
Eh bien ! Tu vas te renseigner ? »
Il dit : « Oui. Je vais me renseigner. »
Il enfourcha son cheval bai cerise et s’achemina prudemment jusque
là-bas ;
il tourna autour de tous les feux
et il trouva vingt-cinq foyers ;
chacun avait un épouvantail,
exactement à l’image d’un être humain.
Il s’en revint trouver Al-Hadj Saydou Sêkou.
et lui dit : « Tout cela, ce n’était que tromperie !
Des morceaux de bois ont été fichés en terre, là-bas,
et on leur a mis des haillons comme si c’étaient des personnes.
Des feux ont été allumés :
ainsi, en voyant cela, nous devions croire qu’un homme était assis, là-
bas, en train d’allumer son feu.
Mais il n’y a rien, là-bas ! »
Il dit : « Magnifique ! Qu’ils sellent ! »
On fixa les selles,
on prit les muserolles,
on mit aux chevaux les couvertures de selle
et tous les cavaliers montèrent en selle.
Bon ! C’est alors qu’Al-Hadj lui demanda :
« Par où est-il possible de passer, là, tout de suite, sur la rive ?… »
Il ne savait absolument pas où la rive était accessible
et, pour y aller,
il ne savait pas par où il était descendu.
Ils dirent : « C’est exact. »
Ils dirent : « Regarde par où nous sommes descendus :
nous sommes descendus et nous nous en sommes tirés sains et saufs.
Nous n’avons qu’à descendre par là. »
Ils descendirent donc par là et remontèrent sur la dune :
c’est ce qui est devenu le Goumpol-Al-Hadj21,
et ce passage existe encore de nos jours là-bas.
Ils avancèrent prudemment jusqu’à un grand ficus touffu qui était là,
surplombant le fleuve ;
ils se glissèrent sous [ses branches].
L’arbre était non loin de Sankoura.

21. Le terme gumpol désigne un gué ou une piste de transhumance passant dans une
zone inondée.

271
BOKKIYO

Ils dirent : « Et maintenant que devons-nous faire ? »


Il dit aux cavaliers de se diviser.
Il dit : « Âmadou Mâmoûdou ! » Celui-ci dit : « Oui ! »
Il dit : « Rends-toi à Idièye !
Et cette nuit même, si tu réussis à [prendre]
Gnoungourou,
mets-le à mort !
Quant à moi, de là où je me trouve, en ce moment,
je vais faire partir un de mes hommes,
qui comprenne leur langue22
pour qu’il aille me convoquer
Gnôkou,
le chef-de-guerre de Tiémâba,
et qu’il vienne,
car j’ai une question à régler avec lui ;
que le messager parte et aille lui dire que
Gnoungourou lui a envoyé un message. »
Les cavaliers prirent tout droit la direction de Idièye.
Et son homme avança tout doucement jusque dans l’habitation.
Il trouva des gardes qui se tenaient debout, serrés les uns derrière les
autres, dans le vestibule ; il salua ;
il parla en bambara.
Il dit qu’il s’était converti à l’islam et qu’il était de la région de Dôta-
— « Et, dans le Dôtala, d’où es-tu ? » [la.
— « D’un village appelé Mégou23. »
C’était de là-bas qu’il était.
Il parla en bambara.
Ils lui dirent de passer pour aller plus avant.
Il trouva Gnôkou, le chef-de-guerre de Tiémâba ;
au plein cœur de la nuit, il était assis au beau milieu de la cour ;
il avait un tesson de jarre avec du feu,
il avait un poussin,
il se réchauffait avec lui auprès du feu.
[L’homme] arriva [près de lui] et dit les salutations d’usage.
L’autre prit sa couverture noire et blanche et la lança sur le feu.
L’homme le rejoignit et ils se tendirent la main.
Il parla en bambara, il dit : « Qu’est-ce que tu cherches ? »
Il dit : « C’est Gnoungourou qui m’a envoyé. »
Il dit : « Où est-il ? »
Il dit : « Il est là, au ficus ! »

22. Textuellement « qui comprenne ce qu’ils comprennent ».


23. Dotala et Mégou sont des villages situés entre Mopti et Djenné, sur la rive
gauche du Bani.

273
BOKKIYO

Il dit : « Magnifique !
Peut-être – dit-il – a-t-il eu des informations sur le Peul ? »
Il dit : « Ah ! Je ne sais pas. Il m’a dit de t’avertir de venir tout de
suite.
Il a eu une nouvelle. »
Il ramassa son pagne et s’en drapa ;
il s’accrocha la cognée à l’épaule ;
sa pipe, il se la mit à la bouche ;
et il sortit.
Des gardes vinrent pour le suivre.
Il dit : « Arrêtez ! C’est juste une entrevue. »
Les gardes s’arrêtèrent.
Il se rendit tranquillement au ficus.
Il salua l’autre ;
et l’autre lui répondit.
Ils se tendirent la main. Il dit : « Qui es-tu, ami de Dieu ? »
Il dit : « Moi ? Gnôkou, le chef-de-guerre de Tièmâba. »
Il dit : « Justement !
C’est toi – dit-il – que je cherche. »
Des cavaliers qui se trouvaient à côté, descendirent sur la berge ;
ceux qui étaient sur la berge remontèrent,
ils formèrent un cercle autour de lui.
Il dit : « Eh bien ! Moi, je suis Al-Hadj Saydou Sêkou !
Je suis celui que tu as bloqué à Sêko. »
Il dit : « Vous m’avez dupé !
C’est un de mes hommes que tu as pris pour me l’envoyer en mes-
sager n’est-ce pas ? »
Il dit : « Pas du tout, c’est un homme qui a rejoint la religion. »
Il dit : « Et maintenant, qu’est-ce que tu décides24 ?
Car, pour moi, je n’ai rien à dire. »
Il dit : « Je ne te dis rien sinon que, si tu obéis à Dieu, je t’épar-
gnerai. »
Il dit : « Je ne pourrai te dire que j’obéis à Dieu !
Pour la bonne raison que nous nous sommes mis d’accord – et nous
n’avons qu’une seule parole, fidèles les uns aux autres25 –
pour qu’aucun ne te suive.
Si jamais moi, je te suivais, maintenant, toute ma descendance en pâti-
rait.

24. Le verbe « dire » peut avoir selon les contextes et le contenu de l’énoncé qui le
suit, un sens très fort, comme ici : « qu’est-ce que tu décides ? », « quels sont tes
ordres ? » ou « quelles sont tes intentions ? ».
25. Le pronom « nous » correspond au pronom peul min, dit « exclusif », car il
s’agit de ses concitoyens qu’il ne peut trahir en se soumettant à la Dîna.

275
BOKKIYO

Je ne puis te suivre. »
[Al-Hadj Saydou Sêkou ] dit : « Lance de la religion de Dieu ! »
Et aussitôt les lances s’abattirent sur lui
et il ne fut plus que charpie.
Au village, ce fut fusillade et coups de lance jusqu’au cœur de la
nuit !
Ils le pilonnèrent jusqu’à faire table rase.
Lui, Âmadou Mâmoûdou, celui qui s’était rendu à Idièye,
il trouva, cette nuit-là,
que lui, Gnoungourou, avait beaucoup de fétiches.
Ainsi fut-il averti
que les cavaliers arrivaient pour l’attaquer.
Il sortit du village, à minuit. Personne n’en sut rien, pas même son
épouse.

Idièye fut brisé.


On le chercha, on ne le retrouva pas.
Ils poursuivirent leur route et prirent la direction du village de Mâmari.
À l’approche de l’aube,
on dit qu’ils étaient arrivés.
À l’approche de l’aube,
Massa Mâmari entendit dire que Sankoura avait été brisé.
Bon. Alors, lorsqu’il eut appris que Sankoura avait été brisé
et comme il sortait du village de Mâmari,
derrière l’agglomération, là où il y avait des figuiers,
le voilà qui tombe juste sur les cavaliers.
Il dit : « Griots ! » Ceux-ci dirent : « Oui ! » Il dit : « Je ne vous de-
manderai rien d’autre, aujourd’hui, que de faire votre métier pour
moi26
afin que je reste sur place, que je ne fuie pas.
Si je suis attaqué par surprise et que ça aille très mal pour moi,
faites votre métier afin que je reste droit sur place !
Si je rentre dans le village, aujourd’hui, en ayant fui,
[même] si je ne suis pas mort, dans la situation où je me trouve, ma
vie serait perdue pour rien,
car tous les enfants de mon père sont morts. »
Ils se lancèrent sur le village de Mâmari ;
le soleil n’avait pas même encore déployé ses rayons
qu’ils avaient déjà détruit le village et tué Massa Mâmari.
Ils continuèrent leur route et se rendirent à un village, appelé Bou-
roûdé ;

26. Les griots, par leurs louanges et leurs récits exaltent la bravoure de leurs audi-
teurs : c’est ce que leur demande Massa Mâmari.

277
BOKKIYO

[les habitants] dirent qu’ils faisaient soumission27.


Ils s’en furent à un village appelé Dendiya ;
[les habitants] dirent qu’ils faisaient soumission.
Ils s’en furent à un village appelé Kokoro ;
[les habitants] dirent qu’ils faisaient soumission.
Ils arrivèrent au-dessus d’un cours d’eau, ils firent demi-tour
et trouvèrent que Al-Hadj siégeait à Sankoura.
Ils pilonnèrent les villages jusqu’à faire table rase.
Ils stationnèrent [là] six jours,
sans avoir vu la moindre agitation,
aucun signe d’opposition.
Là ils chargèrent de grain deux grandes pirogues.
Ils dirent d’aller à la pagaie à Hamdallâye
tandis qu’eux s’y rendraient avec [leurs] destriers.
Ils s’en retournèrent [donc] à Hamdallâye et ils allèrent informer
Sêkou Âmadou
de ce qu’ils avaient fait.
Sêkou dit que « au nom de Dieu ! ils avaient fait du très beau tra-
vail ! »
Ils restèrent ainsi jusqu’à l’arrivée des pirogues.
On annonça que le grain était arrivé,
qu’on avait apporté ce qui avait été enlevé à l’étudiant.

Sêkou convoqua l’étudiant et dit : « Les pirogues, c’en étaient deux


que tu avais eues ou bien une seule ? »
L’étudiant dit : « Une seule. »
Il dit : « Et des gerbes de mil, combien ? »
Il dit : « J’ai eu quarante gerbes. »
Sêkou dit : « Que le reste s’en retourne. »
Comme le reste devait s’en retourner, Allâye Sêkou monta dans la pi-
rogue.

C’est alors que Sêkou lui donna l’ordre de partir et d’aller convertir à
l’islam le Bokkiyo.
Il y arriva en pirogue, avec des notables.
Tous les villages furent convoqués et arrivèrent.
On dit : « Eh bien, le fils de Sêkou Âmadou est arrivé, il s’installe ici
pour convertir à l’islam le village. »
Ils dirent que c’était très bien et qu’ils lui souhaitaient la bienvenue.
Tous les villages lui offrirent des présents en gage d’hospitalité.
Tous les villages vinrent à lui.

27. Textuellement : « il (i.e. le village) dit qu’il faisait soumission ».

279
BOKKIYO

Ils édifièrent la mosquée,


ils la construisirent en deux mois et vingt jours.
Tout le Bokkiyo venait là pour la prière du vendredi.
Celui qui ne venait pas à la prière, c’était ou qu’il n’était pas en bonne
santé ou qu’il était en voyage.
Il resta au Bokkiyo vingt-cinq ans.
Allâye Sêkou Âmadou s’installa au Bokkiyo, [mais]
les Bambara n’ont pas suivi Sêkou Âmadou
et encore jusqu’à nos jours [il en est ainsi].
Quiconque est de la descendance de Sêkou Âmadou, ils ne l’hé-
bergent pas.
Et, à Sankoura même, non plus, un descendant de Sêkou Âmadou ne
pénètre pas.

Voilà donc ce que Al-Hadj Saydou Sêkou


fit au Bokkiyo,
le jour où il y était entré.
C’est fini.

281
V
DUMA

DOUMA

raconté par
BOURAYMA MÂLIKI YATTARA
INTRODUCTION

Bourayma Mâliki Yattara rapporte ici l’un des épisodes de l’époque


de la Dîna dont on trouve par aillleurs un récit détaillé dans L’Empire
peul du Macina1 ; toutefois les différences entre les deux textes
incitent à supposer qu’il s’agit de la part du narrateur soit d’erreurs sur
l’événement relaté, soit d’une confusion sur le lieu concerné ; en effet,
dans ce récit, le village dont il s’agit semble devoir être situé dans la
région de Douentza, Bankassi et Bandiagara, alors que Douma se
trouve au sud de Hamdallâye, à l’est de Jenné.
D’après les données fournies par A. H. Bâ et J. Daget, Douma a été
le théâtre de luttes, durant la campagne d’islamisation de l’Empire
peul du Massina. Le Grand Conseil de Hamdallâye, excédé par les
troubles fomentés par les populations du sud (Peuls, Bobo, Samo,
Marka, Dogon), donne les pleins pouvoirs à Alfâ Samba Fouta2 pour
lancer une expédition. Bâ Lobbo et Mâliki, fils de Alfâ Samba, en
font partie. Au cours de ces turbulences, Alfâ Samba Fouta ayant été
tué par les Peuls de Barani à Taslima, Bâ Lobbo décide de venger la
mort de celui-ci, en prenant d’assaut Taslima ; les survivants vont se
barricader à Douma, gros bourg bien approvisionné en vivres et en
munitions (p. 164). Bâ Lobbo marche alors sur Douma, mais ses
assauts sont repoussés. Il met le siège devant la ville pour en affamer
les habitants. Au bout de cinq mois, les assaillants, à court de vivres,
envoient chercher des renforts auprès de Sêkou Âmadou qui finit par
donner l’ordre à Bâ Lobbo de lever le siège. Bâ Lobbo, déçu, quitte
les lieux de nuit ; mais le chef de Douma, qui a jugé préférable de
faire soumission à la Dîna, envoie une lettre à Sêkou Âmadou. Le
messager arrive avant Bâ Lobbo. Le Grand Conseil, informé, se
félicite de cette attitude car « faire venir un seul homme à Dieu par la
paix vaut mieux que d’en faire venir mille par le sabre » (p. 165). Et
lorsque Bâ Lobbo arrive, réclamant de nouvelles forces pour repartir à
l’attaque, on lui remontre que l’affaire est réglée et on lui annonce
qu’il est nommé chef de la garde de Hamdallâye à la place du défunt
Alfâ Samba Fouta.

1. A. H. BA et J. DAGET, 1984, pp. 164-166.


2. Alfâ Samba Fouta fut nommé par Sêkou Âmadou, Amîrou du Fakala, région
entre le Bani et les falaises de Bandiagara ; puis, chef de la cavalerie, il eut la
responsabilité de la garde de Hamdallâye et fut alors remplacé au Fakala par Bâ
Lobbo.

285
DOUMA

Le récit de Bourayma Mâliki Yattara place toute l’action dans la


perspective hagiographique qui teinte généralement les récits
concernant Sêkou Âmadou et l’histoire de la Dîna ; en effet, Sêkou
Âmadou y est présenté d’emblée comme gratifié d’une inspiration
divine qui fait de lui, un medium du destin : c’est ainsi qu’il annonce
que Douma est promis au seul Bâ Lobbo ; affirmation que, envers et
contre toute apparence, il réitèrera à ce dernier, vaincu et fait
prisonnier.
En effet, dans sa version des faits, notre narrateur dramatise encore
bien davantage l’échec de Bâ Lobbo puisqu’il le fait tomber entre les
mains du chef de Douma ; toutefois, contre toute attente, un
retournement positif de la situation intervient miraculeusement : après
un rêve au cours duquel lui apparaissent Sêkou Âmadou et Bakkâye-
le-Grand, le célèbre Cheikh des Kounta, Bâ Lobbo se retrouve, au
réveil, devant la ville de Douma soumise, toute sa population corde au
cou ! Il n’a plus qu’à ramener les prisonniers à Hamdallâye et à
plaider pour eux l’indulgence pour prix de la tolérance religieuse dont
il a bénéficié durant sa captivité. Et voilà comment cette ville de
Douma, dont la prise lui avait été dès l’abord annoncée comme
promise par son destin, rejoint sans coup férir la communauté de la
Dîna et se signale, jusqu’à présent encore, par sa grande piété.
Ainsi voit-on se réaliser, en dépit des contradictions apparentes, les
prédictions de Sêkou Âmadou, le dénouement de l’histoire apportant,
à travers une intervention divine, la confirmation éclatante et
irréfutable du statut privilégié du Cheikh comme élu de Dieu pour
instaurer la loi religieuse sur les terres de la Dîna.

286
DOUMA

Narrateur : Bourayma Mâliki Yattara


Tembéni, le 10 mars 1970

Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou Hamman, Premier-parmi-ses-


pairs !
Écoles et élèves récitant le Coran, steppes et femmes en quête de petit
bois,
puits et gens qui puisent, tombes et défunts visités, père de Hammadi !
Longs cours d’eau qui s’écoulent,
petites mares d’où s’arrache le fourrage, aux abords de Hamdou1
– que Dieu l’agrée pleinement !

Un beau matin, il s’était éveillé


dans Hamdallâye [où il se trouvait].
Âmadou Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou alla trouver Sêkou
Âmadou Hammadi Boûbou Hamman Premier-parmi-ses-pairs2 ; il
dit : « Père ! » Celui-ci lui dit : « Oui ? » Il dit : «Je voudrais que tu
m’accordes Douma3. »
Il dit : « Je ne l’accorderai pas. »

Allâye Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou Hamman Premier-parmi-


ses-pairs, alla trouver Sêkou Âmadou et dit : « Père ! » Celui-ci lui
dit : « Oui ? » Il dit : « Je voudrais que tu m’accordes Douma. »
Il dit : « Je ne l’accorderai pas. »

Mâmoûdou Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou Hamman Premier-


parmi-ses-pairs, alla trouver Sêkou Âmadou et dit : « Père ! » Celui-ci
lui dit : « Oui ? » Il dit : « Je voudrais que tu m’accordes Douma. »
Il dit : « Je ne l’accorderai pas. »
Saydou Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou, dit : « Père ! » Celui-ci
dit : « Oui ? » Il dit : « Je voudrais que tu m’accordes Douma. » Il dit :
« Je ne l’accorderai pas. »

1. Il s’agit là de la devise traditionnelle réservée à la ville de Hamdallâye.


2. Sêkou [fils de] Âmadou est désigné ici non seulement par une amorce de sa gé-
néalogie mais aussi par une qualification qui lui tient lieu de devise. Tous ses fils
(Âmadou, Allâye, Mâmoûdou, Saydou) vont venir tour à tour solliciter l’honneur de
conquérir pour lui le village de Douma. Ce sera son neveu, Bâ Lobbo, qui obtiendra
cette faveur.
3. L’histoire de Douma est racontée d’une façon tout à fait différente dans l’ouvrage
de A. H. BA et J. DAGET (1984, pp. 164-166). S’agirait-il ici de la conquête d’un
autre village du même nom, situé dans la région de Douentza ?

289
DOUMA

Bâ Lobbo Bôkari Hammadi Boûbou Hamman Premier-parmi-ses-


pairs lui dit : « Père ! » Il dit : « Oui ? » Il lui dit : « Je voudrais que tu
m’accordes Douma. »
Il dit : « Je te l’accorde, mon grand Bâ4 ! »
Il dit : « Tu me m’accordes ? »
L’autre dit : « Je te l’accorde. »
[Bâ Lobbo] dit : « Pour quelle raison ? Tous, ils t’ont prié de leur ac-
corder Douma et tu l’as refusé ; et quand c’est moi qui te le demande,
tu me l’accordes ! »
Il dit : « C’est à toi, bien à toi, que ça a été accordé ; [car c’est] à qui
fut accordée la faveur de Dieu que ce doit être accordé. » Il dit : « Très
bien. J’accepte5 ! » Et il ajouta : « Qu’après-demain, au matin… »
– [Sêkou] dit : « Soit… » –… « la troupe6 se forme à Hamdallâye et
prenne la direction de Douma. »
Il dit : « Très bien. »

La nuit passa ; vint le matin.


Le matin, au réveil,
Hamdallâye fut informée.
Les ministres se réunirent
les étudiants s’assirent sur leurs jambes repliées
et le Conseil commença.
Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou Hamman Premier-parmi-ses-pairs
dit : « Bâ Lobbo Bôkari Hammadi Boûbou ! » Il dit : « Oui ! » Il dit :
« Je te donne cent jeunes gens, dénommés Âmadou, qui ont su réciter
le Coran, portent au côté, tant à droite qu’à gauche, un dala’îl 7, qui ont
au front la marque des prières8,
au cou, un chapelet
et qui professent que “il n’est de divinité que Dieu, et Mouhammad est
l’Envoyé de Dieu !
Celui qui fuit, c’est en sa tombe qu’il doit tomber.
Une lance de la religion de Dieu…
qu’elle vive, elle aura le commandement ;

4. Bâ, correspond ici à « Père » : Sêkou Âmadou l’interpelle ainsi parce qu’il porte
le nom de son propre père, Bôkari, nom qu’il n’est donc pas séant qu’il prononce.
5. Textuellement, « je prends ».
6. Textuellement, « elle », c’est-à-dire, la colonne de cavaliers qui doit partir en ex-
pédition guerrière contre Douma.
7. Nom d’un recueil de rogations, Les guides des biens… [dal%’il &ayrat].
8. Il s’agit de la marque sombre imprimée par le frottement du front sur le sol, lors
des prosternations qui accompagnent la prière et qui, de ce fait, est le signe visible
d’une grande piété.

291
DOUMA

qu’elle meure, elle entrera au paradis !”


Ils sont prêts à t’escorter et à t’accompagner à Douma. »
Il dit : « C’est très bien, père. »

Ils passèrent la journée à se préparer jusqu’au moment où Dieu fit le


soleil se coucher.
La nuit passa ; vint le matin.
Prier vaut mieux que dormir !
Dans les fusils malfaisants, on a versé les grains de poudre !
Sur des chevaux bai brun à la crinière sombre, aux genoux et aux
épaules noires,
au chanfrein court et aux sabots plats, et tels que celui sur lequel ils
s’élancent au galop, disparaît à jamais,
furent posées les selles.
Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou Hamman Premier-parmi-ses-pairs
sortit et bénit leur départ. Ils se mirent en route.
Et chaque homme se tenait, tête inclinée, regardant le pommeau de sa
selle, et songeant aux périls du lendemain ;
car lorsqu’un homme passe la nuit avec l’idée que le matin, au réveil,
la mort l’attend, il ne peut dormir !

Les cavaliers, tout le jour, firent route, jusqu’au moment où Dieu fît
décliner le soleil.
Alors chacun se retira un peu à l’écart, attacha son cheval,
tira un peu d’herbe qu’il jeta sur le sol devant lui,
puis se tint un peu à l’écart, restant à dire : « Gloire à Dieu et louange
à Dieu ! Il n’est de divinité que Dieu, Mouhammad est l’Envoyé de
Dieu ! »
Le lendemain matin, on dit : « À Douma ! »
Au matin, ils s’éveillèrent
et entrèrent dans [la cité] des doums, [cité] de Addou Ham-Barké,
Âmadou Ham-Barké, Goûro Ham-Barké, Bourayma Ham-Barké,
Oummou Ham-Barké, Ham-Barké Hammadi Ali Soulaymâna Moûs-
sé9, Nêdi-Borôma et Dinda-Borôma et cours d’eau de Borôma10,
le Peul qui ne malmena point la religion de Dieu, le matin où la re-
ligion avait dû pénétrer à Ougourou11.
Allâye Ham-Barké Ali Soulaymâna Moûssé leur offrit en cadeau de
bienvenue tout ce qu’un homme bien né offre à l’un de ses pairs.

9. Il s’agirait de la ville de Douentza et le narrateur cite ici le nom et la généalogie


du chef de l’époque.
10. Noms de lieux.
11. Ougourou est un village dogon situé près de Bankassi, agglomération au sud de
Bandiagara. Toutes ces lignes constituent la devise de la ville de Douentza.

293
DOUMA

Il alla le trouver, lui, Bâ Lobbo Bôkari Hammadi Boûbou, le chef des


cavaliers et ils se saluèrent
et se questionnèrent ;
Allâye lui dit : « Bâ Lobbo Bôkari ! » Il dit : « Oui ! » Il dit : « Où
vas-tu donc ? » Il dit : « À Douma. »
Allâye le regarda durant quelques instants en souriant et finit par rire.
L’autre dit : « Qu’as-tu à rire ? »
Il dit « Pourquoi je ris ? » L’autre lui dit : « Oui. » Il dit : « Il faut que,
sitôt que nous aurons levé le camp d’ici,
tu enfourches ton cheval et que, tes cavaliers à ta suite,
tu t’en retournes à Hamdallâye ;
tu n’auras qu’à dire que tu as cherché Douma jusqu’à en être épuisé et
que tu ne l’as pas vu.
Car, si jamais tu ne fais pas ainsi
et si tu y vas et que tu voies Douma, à ton retour, [de toute façon], tu
diras que tu n’as pas vu Douma !
Or si quelqu’un doit aller voir et s’en revenir en disant qu’il n’a pas
vu, mieux vaut qu’il s’en aille avant que d’avoir vu ! »
[Bâ] dit : « Certes ! [Mais], poursuivit-il, ce qui m’empêchera de faire
ainsi… » – Allâye dit : « Ah bon ? » – « … c’est qu’une lance de la
religion de Dieu [qui agirait] ainsi, vivante, aura [peut-être] le com-
mandement, [mais] à sa mort, se verra exclue du Paradis12 !
Voilà ce qui m’interdit de m’en retourner tout de suite. »
[L’autre dit] : « Très bien. »
Il dit : « Est-ce que Douma est loin ? »
Il dit : « Ici, les gens de Douma peuvent passer la journée jusqu’à la
tombée du jour et, le soir venu, être de retour. »
Il reprit : « Notre ville et celle de Douma sont très proches13,
car la parade de leurs destriers, nous l’entendons, tous les jours, soir et
matin14.
Tout le temps hommes et femmes14 se mêlent,
tandis que, sous les ficus touffus15, les jeunes gens montent leurs des-
triers, viennent sous les arbres et boivent de la bière de mil,
[puis] on fait galoper les destriers !
Douma est dangereux ! Ce n’est pas bon ! N’y va pas ! »

La nuit passa ; vint le matin.

12. Bâ Lobbo reprend ici la formule prononcée plus haut par Sêkou Âmadou, en
inversant le dernier verbe : « entrera au paradis », « sortira du paradis ».
13. Textuellement « ici et Douma sont très proches ensemble ».
14. Le peul dit « matin et soir » et « femmes et hommes ».
15. Il s’agit en réalité du Ficus platyphylla Del., grand arbre aux grandes feuilles
d’un vert profond et dont l’ombre est particulièrement fraîche.

295
DOUMA

La troupe se regroupa et partit derrière les habitations de Douma, à


l’extrémité de la petite colline ; et les cavaliers firent halte.

Bâ Lobbo Bôkari Hammadi Boûbou Hamman Premier-parmi-ses-


pairs dit : « Un ami de Dieu
me permettra-t-il de le dépêcher en messager auprès du chef de Dou-
ma ?
Je ne veux pas agir par traîtrise ; un musulman ne saurait agir traî-
treusement. »
Il y avait là un jeune homme, du nom de Âmadou ; il dit : « Je réponds
à ton appel, pour le nom de Dieu ; j’y vais. »
Il dit : « Eh bien, va ! Tu diras à Douma
que le chef de Douma a un hôte
et que, pour [l’amour de] Dieu et de son Envoyé,
il vienne. »
L’autre se rendit donc à Douma.
Il mit pied à terre, à l’intérieur du village et il entra ;
il rencontra une foule de gens montés sur leurs chevaux,
des jeunes filles et des jeunes gens mêlés,
des hommes respectables16, assis sur leurs jambes repliées, installés
sous les ficus touffus15, et des pots de bière posés là.
Il dit : « Où est le chef de Douma ? »
L’un d’eux lui dit : « Et qu’est-ce que tu as à faire avec le chef de
Douma ? »

On dit : « Montrez-le-lui ! » On lui dit : « Regarde, au ficus qui est là-


bas ! »

Des bonnets blancs et des cannes17 s’y trouvaient adossés.


Il arriva à eux, leur adressa les salutations d’usage et ceux-ci y ré-
pondirent.

Il dit : « Où est le chef de Douma ? »


Ils dirent : « Voici le chef de Douma. »
Il dit : « Chef de Douma ! » Celui-ci lui dit : « Oui ? »
— « C’est Bâ Lobbo Bôkari Hammadi Boûbou Hamman qui m’a dé-
pêché auprès de toi.
Il a dit que tu viennes, que tu as un hôte, pour [l’amour de] Dieu et de
son Envoyé. »

16. Des hommes « vieux » : le terme utilisé évoque moins le grand âge que la res-
pectabilité conférée par l’âge.
17. Synecdoque pour désigner des vieillards ; ces cannes sont de très longs bâtons
sur lesquels s’appuient ceux-ci pour marcher.

297
DOUMA

Il dit : « Qu’il soit le bienvenu !


Va et dis-lui que je viens ! »
Il se remit en route vers Bâ Lobbo et il lui fit son rapport.
Bâ Lobbo lui dit que c’était très bien.

[Le chef de Douma] se mit en route, accompagné de ses notables et


vint trouver Bâ Lobbo Bôkari.
Ils se saluèrent. Bâ Lobbo Bôkari lui dit : « Chef de Douma ! » Celui-
ci lui dit : « Oui ! »
Il dit : « Sêkou Âmadou m’a dépêché auprès de toi ;
il a dit que je vienne t’avertir que tu devais obéir à Dieu et à son En-
voyé. »
Il dit : « Et comment doit-on faire pour obéir à Dieu ? » Il dit : « On
prie. » L’autre dit : « Montre-moi ! »
Un jeune étudiant se leva et prit, là même, une bouilloire et, là même,
il procéda aux ablutions,
fit deux rakat18, récita la formule finale de la prière.
Il dit : « Voilà comment on fait pour obéir à Dieu. »
L’autre dit : « Eh bien ! Il faut donc se laver le derrière, s’incliner et se
poster fesses en l’air en montrant à Dieu son postérieur, pour obéir à
Dieu ! Et c’est là ce qui est correct et bien ? »
Et il poursuivit : « Pour moi, ce n’est pas mon genre de correction19 :
je n’exhibe pas mon derrière, je n’ai pas d’aptitude pour ce genre de
correction-là. »
Il dit : « Si tu refuses, la guerre, cela aussi, c’est conforme à la loi reli-
gieuse ! »
Il dit : « D’accord ! »
On chercha à sauvegarder la paix entre eux, mais en vain.

Tisserins pleurèrent, oseille fut broyée,


les malheureux enfants de la mort mirent, à se battre, toute leur éner-
gie,
un chat mordit sa femelle20 :
et ce fut la mêlée !
Dieu leur donna et leur refusa l’avantage, tour à tour21,
jusqu’à ce qu’enfin ceux [de Douma] n’eussent fait de tous les autres
qu’une seule bouchée22 et que ce fût le tour de Bâ Lobbo Bôkari.

18. Rakat [ra’kat] : inclination du corps pour la prière.


19. Textuellement, « je ne serai pas correct de cette correction ».
20. Formule caractéristique du style des griots, utilisée ordinairement pour évoquer
une dure bataille.
21. Textuellement « Dieu les aima, les haït, Dieu les aima, les haït ».
22. Le verbe utilisé pour cette image évoque l’action de s’envoyer dans la bouche,

299
DOUMA

Bâ Lobbo Bôkari Hammadi Boûbou Hamman Premier-parmi-ses-


pairs, ils se saisirent de lui, le firent descendre de son cheval et, le
maintenant, ils le ramenèrent dans le village ; ils le mirent dans une
maison en pisé et l’enfermèrent durant trois jours.
À l’heure de sallifana23, ils lui ouvraient la porte et il priait ; à l’heure
de lâssara22, ils lui ouvraient et il priait ; au crépuscule, ils lui ou-
vraient et il priait ; à l’aube, ils lui ouvraient et il priait ; cela, durant
trois jours.
Il dit qu’il désirait qu’on lui appelât le Chef de Douma. On appela le
Chef de Douma qui vint jusqu’à l’entrée, et à la porte d’entrée, il vint
et s’assit.

Il dit : « Chef de Douma ! » Il lui dit : « Oui ! » Il dit : « Nous nous


sommes battus ; tu m’as vaincu, tu m’as fait prisonnier et tu m’as en-
fermé ;
mais je voudrais te prier de me donner l’un de tes hommes pour que
j’envoie un message à Hamdallâye. »
Le Chef de Douma dit : « Très bien ! De tous mes gens, il n’en est pas
un qui craigne d’aller à Hamdallâye, pas un seul !
Car j’ai entendu dire que c’est un élève-mendiant24 qui est là-bas.
Un élève-mendiant,
lorsqu’il mendie,
si ça te plaît, tu lui donnes,
si ça ne te plaît pas, tu lui dis : “va-t’en !”.
C’est un élève-mendiant qui se trouve là-bas ; aussi n’ai-je aucune
crainte qu’un de mes hommes aille à Hamdallâye ! »
Il sortit de là et en informa la communauté ;
il y eut cent jeunes gens pour dire : « Au nom de Dieu, envoie-moi là-
bas, pour que j’aille voir Âmadou-le-Mendiant !
J’ai entendu dire que l’adversité lui plaît ! Moi, pour sûr, je veux voir
Âmadou-le-Mendiant ! »

Un jeune homme peul, vêtu d’une tunique ocre, muni d’une lance à fer
barbelé et propriétaire d’un grand destrier bai cerise, se déplaça et vint
se planter devant lui, là ; il dit : « Chef de Douma ! » Celui-ci dit :
« Oui ? »

en une bouchée, tout ce que l’on a dans la main.


23. Nom des prières de l’après-midi : la première s’effectuant vers 14 heures, la
seconde vers 16 heures.
24. Gariibu : nom donné aux élèves d’un marabout, pour lesquels c’est un devoir de
vivre, durant leurs études, de la charité publique. L’attribution de ce qualificatif à
Sêkou Âmadou par ses adversaires, dans une intention railleuse, est un motif récur-
rent dans ces textes épiques.

301
DOUMA

Il dit : « Allez ! Moi, Chef de Douma, je voudrais que tu m’envoies. »


Il dit : « J’accepte. »
Il ajouta : « Viens, allons trouver l’homme. »
Ils se rendirent auprès de Bâ Lobbo Bôkari.
[le Chef de Douma] dit : « Eh bien ! Celui-ci a dit que tu l’envoies. »

Bâ Lobbo Bôkari écrivit une lettre et la lui remit.


L’ayant reçue, l’autre enfourcha son cheval et détala.

Il fit route jusqu’à Hamdallâye, écoles et élèves récitant le Coran,


steppes et femmes en quête de bois, puits et gens qui puisent, tombes
et défunts visités, père de Hammadi ! Longs cours d’eau qui
s’écoulent et petites mares d’où l’on arrache le fourrage, aux abords
de Hamdou ! Que Dieu l’agrée pleinement !

Il continua jusqu’à la foule [assemblée là] ; il trouva que Sêkou


Âmadou était au siège du Conseil, une foule faisant cercle autour de
lui.
Des livres étaient là, ouverts, que l’on feuilletait, tandis que les gens
disaient : « Il n’est de divinité que Dieu et Mouhammad est l’Envoyé
de Dieu ! »
C’est alors que le jeune homme arrêta son cheval à leur hauteur et leur
dit : « La paix sur vous ! » Ils dirent : « Sur vous, la paix ! »
Il dit : « Où est Âmadou-le-Mendiant ? » Ils restèrent silencieux.
Il dit : « Où donc est Âmadou-le-Mendiant ? »
Ils restèrent silencieux. Il dit : « Mais où est Âmadou-le-Mendiant ? »
Bourêma Kalîkou Bourêma dit : « Sêkou Âmadou, réponds !
Tu sais bien que c’est toi, Âmadou-le-Mendiant. » Il dit : « Oui, ma
Joie25, tu as raison. » [Le cavalier] dit : « Bâ Lobbo Bôkari a dit que je
vienne te remettre la lettre que voici. »
D’un geste brusque, il lui tendit la lettre. Sêkou Âmadou la saisit.
Dans cette lettre, il ne trouva rien d’autre écrit si ce n’est que lui, Bâ
Lobbo Bôkari, sa troupe avait été détruite
au point même qu’il avait été capturé et se trouvait entre leurs mains ;
que Sêkou Amadou envisage donc ce qu’il y avait lieu de faire.
À ce jour, il se trouvait aux mains de l’adversaire,
toute la troupe avait été détruite,
mais pas un seul n’avait fui.
Assurément, il n’y en avait pas un seul qui eût agi honteusement à
l’égard de Dieu, ni à l’égard de la religion de Dieu
pas plus qu’à son égard à lui, Bâ Lobbo Bôkari Hammadi Boûbou,

25. Terme d’affection à l’adresse de Bourêma, qui est son griot.

303
DOUMA

car tout ce qu’il y avait de combattants pour la religion de Dieu, ceux-


là étaient morts, jusqu’au dernier !
Quant à lui, il se trouvait entre leurs mains ;
il était prisonnier ;
que Sêkou voie ce qu’il y avait lieu de faire.
Sêkou lut jusqu’au dernier mot,
lui rendit la lettre et dit : « Va-t’en et dis-lui de lutter contre Douma. »

Il écrivit une lettre.


Ce qu’il y écrivit : que Bâ Lobbo lutte contre Douma.
Le messager prit la lettre, [s’en alla]
et la remit au Chef de Douma.
Le Chef de Douma se rendit de nouveau auprès de Bâ Lobbo
et lui remit la lettre.
Celui-ci déplia la lettre et regarda
et il vit que ce que Sêkou Âmadou avait écrit dans la lettre, c’était
qu’il poursuive la lutte contre Douma.
Il regarda la lettre durant quelques instants et pleura.
Il se dit que, en vérité, au nom de Dieu, il savait bien que Sêkou
Âmadou n’était pas son vrai père ;
car si c’étaient son Âmadou, son Allâye, son Mâmoûdou ou son Say-
dou qui avaient lancé une expédition
et si, toute la troupe ayant été décimée, c’eût été bientôt au tour de
l’un d’entre eux et que celui-ci fût capturé,
s’il avait envoyé lui dire cela,
il ne [lui] aurait pas dit de lutter contre cet homme.
À cela, il savait bien que celui-ci n’était pas son vrai père ; il n’était
que son oncle paternel et tout ce que l’on disait d’un oncle paternel
était bien vrai26.
Cependant il avait entrepris cela pour [la gloire] de Dieu.
Pendant cette nuit-là, un songe lui vint.
Il dormait.
Sêkou Âmadou
et Bakkaye-le-Grand de Tombouctou27…
[Bâ Lobbo] ne les reconnut pas jusqu’au moment où il se retrouva
entre les deux, là où il dormait.
Sêkou Âmadou le toucha ainsi, de la main ; il se redressa et s’assit.
Il lui dit : « Est-ce que tu me reconnais ? »
Il dit : « Oui, je te reconnais. »

26. À la différence de l’oncle maternel, l’oncle paternel est considéré comme dur et
sévère à l’égard de ses neveux, voire même, ressenti parfois par ceux-ci comme sans
affection.
27. Il s’agit du chef des Kounta.

305
DOUMA

Il dit : « Qui suis-je ? » Il dit : « Tu es Sêkou Âmadou Hammadi


Boûbou. »
Il dit : « Salue ton père que voici ! »
Il salua Bakkaye-le-Grand.
Il dit : « Est-ce que tu connais celui-ci ? »
Il dit : « Celui-ci, je ne l’ai pas vu, même une seule fois ; mais je
pense que c’est Bakkaye-le-Grand. »
Il dit : « Mon grand Bâ ! » Celui-ci lui dit : « Oui ! » Il dit : « Je suis
bien ton père. Je ne suis pas ton oncle paternel, c’est bien moi, ton
père.
Lutte contre Douma, ai-je dit. Le Seigneur te l’a accordé !
Nul autre que moi ne t’a engendré28.
Ce n’est ni Âmadou, ni Allâye, ni Saydou, ni Mâmoûdou [à qui Dieu
l’a accordé].
Lutte contre Douma, ai-je dit. J’ai imploré Le Seigneur pour Douma,
et Le Seigneur m’a accordé [ce que je lui demandais] et je te l’ai ac-
cordé. Lutte contre Douma ! »
Ils se levèrent et sortirent.

Quand le matin se fut levé, ce jour-là,


tout homme qui s’éveilla dans la ville de Douma se trouva avec, au
cou, une corde à nœud coulant29
et nul moyen de s’en dégager en dépit de toutes ses contorsions.
Un destrier se tenait à la porte du vestibule où se trouvait Bâ Lobbo.
Le matin, au réveil, celui-ci se mit en selle.
Il rassembla tous les habitants de Douma et il les mit tous, sans excep-
tion, à une seule et même corde.
Et il poussa tout ce troupeau jusque dans Hamdallâye.
Lorsqu’il fut parvenu au Conseil,
comme tout Hamdallâye passait habituellement la journée à la place
du Conseil,
il trouva tout Hamdallâye là même.
Il avait mis tout Douma attaché avec une seule corde :
[il n’y manquait] pas un mouton, pas une chèvre, pas une vache, pas
un cheval…
Il dit : « Sêkou Âmadou Hammadi Boûbou ! » Celui-ci dit : « Oui ! »
Il dit : « Je voudrais que tu fasses pour eux une prière de bénédiction.
Quoi que tu doives leur faire, je voudrais que tu les bénisses. »
Il dit : « Et pour quelle raison ?

28. Affirmation surprenante, Bâ Lobbo étant bien le neveu de Sêkou Âmadou.


29. Textuellement « une corde était enchaînée à son cou » (le verbe peul utilisé si-
gnifiant plus exactement « mettre aux fers »).

307
DOUMA

— Depuis le jour où le destin leur a accordé de s’emparer de moi,


– car ils m’ont capturé depuis tel nombre de jours –… »
Sêkou Âmadou fit : « Oui, eh bien ?… »
— « … à chaque heure de prière qui arrivait – poursuivit-il –, ils
m’ouvraient la porte pour que je prie ;
nuit et jour, ils m’apportaient du lait. »
Sêkou dit : « Bien.
Que le Seigneur laisse toujours parmi vous des Croyants
et que le Seigneur ne vous prive jamais de lait30. »

Et jusqu’à nos jours, chaque année, il y a toujours, dans Douma,


jusqu’à soixante-dix jeunes gens qui vont à la Mekke,
et aussi, ils n’ont besoin d’aller chez aucun Peul [chercher du lait]31.

Ils avaient agi ainsi en ces temps-là.

30. Textuellement : « Que le Seigneur n’ôte pas de vous ceux qui prient, que le
Seigneur ne vous empêche pas [d’avoir] du lait ».
31. C’est là le résultat de la bénédiction de Sêkou Âmadou à l’égard des gens de
Douma : leur piété et leur richesse.

309
VI
TOOYAA

TÔYÂ

raconté par
OUGOU MALA SÂRÉ
INTRODUCTION

Cet épisode de la bataille de Tôyâ est l’un des temps marquants de la


lutte qui opposa les Touaregs à la domination de la Dîna de Sêkou
Âmadou. Comme cela est longuement décrit par A. H. Bâ et J. Daget,
Sêkou Âmadou ne réussit pas à imposer à Tombouctou l’autorité du
gouvernement de Hamdallâye sans provoquer maints mouvements de
résistance, les Touaregs Tenguéréguif, en particulier, ne cessant de
provoquer escarmouches et rezzou. Il eut ainsi à faire face à
d’incessantes tentatives de rébellion1 jusqu’à l’expédition victorieuse
engagée par Ibrâhîma Amirou, Alfâ Âmadou Guidâdo et Bâ Lobbo
contre la troupe de Sérim ag-Baddi, défendue par Attawal ; ce combat
qui eut lieu en 1828, rapporta aux Peuls un butin si important qu’il fut
désigné sous le nom de Ndoukkouwal, terme peul signifiant « bonne
aubaine, chance extraordinaire ». Les prisonniers, parmi lesquels
l’épouse de Sérim ag-Baddi, conduits à Hamdallâye, furent ensuite
libérés par Sêkou Âmadou ; et c’est lors de ce déplacement à
Hamdallâye et non après la bataille de Tôyâ – comme cela est dit dans
le texte reproduit ici – que cette femme donna naissance au fils de
Sérim ag-Baddi et lui donna le nom de Fondo-Goumo, « Chemin-
Heureux » (p. 205) ; Sêkou Âmadou la fit ensuite reconduire auprès
de son époux ; ce qui eut pour effet, après bien des péripéties, de
sceller la paix et de permettre d’étendre l’empire de Hamdallâye
jusqu’à Gao (p. 211).
Mais cette soumission indisposa les Maures Kounta qui finirent par
rallier les mécontents et fomenter de nouveaux mouvements de
révolte parmi les Touaregs, tout en tirant habilement parti des rivalités
entre les chefs peuls de la région (pp. 211-218). Poussé à bout, le
Grand Conseil de Hamdallâye décida de combattre les Touaregs et
Sérim ag-Baddi reprit les hostilités ; dix ans durant, les Peuls eurent à
subir la pression touarègue dans toute cette région jusqu’à l’année
1844 où Sérim ag-Baddi décida de préparer une attaque contre
Tombouctou. L’information étant parvenue à Hamdallâye, une armée
peule fut dépêchée, sous le commandement de Âmadou Sêkou et,
pendant de longs mois, se succédèrent victoires et défaites dans les
deux camps jusqu’à cette bataille de Tôyâ2 où s’illustrèrent

1. Voir à ce sujet A. H. BA et J. DAGET, ch. X, pp. 199-205.


2. Cette bataille est datée en 1844 par A. H. BA et J. DAGET et en 1840, par B.
SANANKOUA (Un Empire peul au XIXe siècle, Karthala-ACCT, 1990 : p. 73 et 165).
Cet affrontement se situe au sud de Tombouctou et de Kabara ; à cet endroit, le

313
TÔYÂ

particulièrement Âmadou Sambourou et son griot Sorba Am-Tayrou


(pp. 226-230) ; cette bataille sonna la défaite des Peuls et la prise de
Tombouctou par les Touaregs, mais signa aussi pour cette ville une
période de grave crise qui coïncida avec la mort de Sêkou Âmadou
(pp. 222-231). Soumise à un blocus, la ville dut négocier un accord
qui lui permettait de recouvrer, moyennant toutefois la reconnaissance
de l’autorité de la Dîna sous la forme du paiement d’un tribut à
Hamdallâye, une certaine autonomie administrative et militaire.
Le récit que nous en offre le griot Ougou Mala Sâré, diffère
lourdement, en de nombreux points, de la version des faits rapportée
dans L’Empire peul du Macina. Il faut dire que tout l’éclairage est dès
l’abord dirigé sur la personne de Âmadou Sambourou Kôlâdo dont la
célébrité et les vertus sont illustrées, avant son combat contre le
Touareg, par l’épisode de la visite de la femme peule, à l’étape de
Niafounké et, après sa mort, par l’espèce d’oraison funèbre prononcée
par son père en réponse aux questions de Sêkou Âmadou.
L’épisode de la punition infligée à Sérim Agâ-Baddi, à travers sa
fille, tourmentée par Âli Soutourâré – le chef des génies aux ordres de
Sêkou Âmadou –, et les négociations qui s’ensuivent, prend – semble-
t-il – ici la place de la conduite de l’épouse du Touareg à Hamdallâye
après la bataille de Ndoukkouwal et des échanges épistoliers qui
finirent par relancer les hostilités entre Hamdallâye et Tombouctou
pour aboutir à la défaite des Peuls à Tôyâ.
La différence la plus flagrante et la plus surprenante est la mutation
de la défaite des Peuls à Tôyâ en leur victoire, et la mise à mort de
Sérim Agâ-Baddi par Bâ Lobbo. Il semble bien que notre griot ait
interverti la chronologie des faits ; l’épisode opposant Bâ Lobbo et
Sérim Agâ-Baddi se situant chez A. H. Bâ et J. Daget à propos de la
victoire de Ndoukkouwal (1828), l’intervention de Bâ Lobbo dans la
bataille de Tôyâ (1844) n’y étant pas signalée et encore moins la mort
de Sérim Agâ-Baddi. Quant à la naissance de Fondou-Goumo, qui
clôt ici le récit, elle se situerait, comme on l’a vu après Ndoukkouwal.
Nous ne pouvons certes établir la vérité historique de tous les faits
évoqués dans ces versions, nous contentant de signaler les
divergences que l’on peut y relever ; on remarquera toutefois que les
innombrables informateurs consultés par les auteurs de L’Empire peul
du Macina étaient d’origines et de statuts assez divers pour que la
confrontation des données recueillies permette un établissement des
faits plus sûr ; au contraire l’orientation donnée par le griot,
essentiellement motivée par l’exaltation des personnages et de leurs

fleuve se scinde en deux bras qui enserrent une île. Tôyâ est sur la rive gauche (bras
nord) et Nonga sur la rive droite (bras sud).

314
INTRODUCTION

exploits héroïques, entraîne couramment une réinterprétation des faits,


l’objectif de son discours étant non pas la transmission fidèle d’une
réalité historique, mais la perpétuation d’une idéologie culturelle
fondée sur une sorte d’esthétique de la personne qu’incarnent les
héros dans leur comportement ; l’histoire n’est alors là que pour
fournir à ceux-ci des occasions de s’illustrer ; ce qui entraîne souvent
les narrateurs dans des dérives telles que celles dont nous avons ici un
exemple : erreur chronologique, inversion des faits (défaite vs
victoire), confusion dans l’identité des personnages intervenants… ;
pourtant demeurent inchangés les « morceaux de bravoure »
significatifs tel, en particulier, la longue scène entre Âmadou
Sambourou Kôlâdo et son griot Sorba Am-Târi avant l’affrontement
avec l’ennemi. Ce sont en effet ces mini-récits inclus dans la
narration, qui sont en fait porteurs de la signification réelle de la prise
de parole du griot qui, lui, n’a aucunement vocation à faire œuvre de
chroniqueur, laissant ce soin aux rédacteurs de tarikhs. Et c’est ainsi
que survivent les noms prestigieux de ces personnages, désormais
investis d’une fonction emblématique qui finit par dépasser leur
dimension historique et les érige en héros légendaires.

315
TÔYÂ

Narrateur : Ougou Mala Sâré, de Ngouma


Joueur de luth : Diougal Sâré
Ngouma, 1970

Nous commençons un récit.

Âmadou Sambourou Kôlâdo Doursèye1


allait se rendre dans la plaine de Tôyâ.
Ils lui dirent : « Écoles coraniques et élèves psalmodiant le Coran,
mares et [cavaliers] entravant [leurs montures],
savane et [femmes] en quête de petit bois, plaine sablonneuse et nuage
de poussière,
portique du Grand Conseil de Âmadou !
Au Peul a été accordée la Dîna2, sans qu’il l’ait voulu
a été accordée la mission d’être guide, sans qu’il l’ait voulu ! Contem-
pla hautes demeures et honora sépultures, Âmadou3 ! »

Il se trouvait à Hamdallâye.
On dit que toute personne qui se trouvait dans le pays était inféodée à
la Dîna, hormis des Touaregs, qui avaient refusé.
[Sêkou Âmadou] envoya ses cavaliers en expédition contre eux ;
il leur dit d’aller dans la plaine de Tôyâ.
Siroum Agâ-Baddi Tôyâ Mahammane4, c’est de lui qu’il s’agit au jour
de la bataille de Tôyâ5 !
Lui, Siroum Agâ-Baddi…
comme les cavaliers de Hamdallâye envisageaient de se mettre en
route pour s’acheminer vers lui,
ce fut lui, Âmadou Sambourou Kôlâdo, qui partit en campagne ; il
passa la nuit à Niâfounké.
Il trouva là une femme peule
qui avait pour lui grande estime.

1. Âmadou Sambourou Kôlâdo Doursèye qui était chef du Haoussa Kattawal, région
de la rive gauche de l’Issa Ber, à l’ouest de la région de Niâfounké, s’est vu confier
par le Grand Conseil de la Dîna, le commandement d’un contingent de l’armée
envoyée pour réduire les mouvements de rébellion des Touaregs. Il trouvera la mort
à la bataille de Tôyâ.
2. Nous conservons ici, pour parler de ce qu’on a appelé l’Empire peul du Massina,
le terme de Dîna, terme désignant dans ce contexte un État régi selon la loi
islamique.
3. Devise habituelle de la ville de Hamdallâye et de Sêkou Âmadou.
4. Connu aussi sous le nom de Sérim Ag Baddi.
5. On trouve une description détaillée de la bataille de Tôyâ et des mouvements
stratégiques des deux camps dans A. H. BA et J. DAGET, L’Empire peul du Macina
(NEA, 1984), pp. 226-230.

317
TÔYÂ

Depuis l’instauration de la Dîna à Hamdallâye, elle nourrissait pour


lui une grande estime, mais ils ne s’étaient jamais rencontrés avant ce
jour où – dit-on – il passa la nuit à Niâfounké.
Dans l’étape qu’il y fit,
il était accompagné d’un millier de destriers noirs
avec lesquels il était parti de Hamdallâye ;
il avait avec lui Sorba Am-Târi Sorba Le-Mâbo6 ;
c’était son griot et son ami.
C’est alors que
la femme peule lui envoya – comme il se doit – un présent pour lui
souhaiter la bienvenue ; tout ce qu’une personne bien née peut offrir
de bien, elle le lui offrit, à lui, Âmadou Sambourou.
La nuit vint.
Elle décida d’aller voir celui qu’elle n’avait encore jamais vu ;
ils ne se connaissaient que de réputation.
Se faisant précéder de sa griote,
de sa Diâwando,
et de sa servante,
elle dit qu’elle allait venir le saluer.
La nuit étant avancée,
elle effleura la porte [de la pièce] où se trouvait Âmadou.
La porte résonna.
[Âmadou Sambourou] dit : « Sorba ! » Celui-ci dit : « Oui ? » il dit :
« Renseigne-toi sur [le visiteur].
Qui est-ce ? »
Sorba mit la main sur la porte et dit : « [Qui es-tu,] toi, ami de Dieu,
qui touches à la porte alors que nous sommes dans la nuit noire, à
cette heure ? »
La griote de la femme répondit par ces mots : « Une telle, fille d’Un
tel. »
La griote
cita le nom de la Peule.
Elle avança et dit : « C’est Une telle, fille d’Un tel,
qui est venue pour saluer Âmadou.
Elle a beaucoup d’estime pour Âmadou.
Le Haoussa le sait,
le Gourma le sait7,
Hamdallâye le sait.
Et maintenant Âmadou sait qu’elle l’estime beaucoup.

6. Ce personnage est aussi connu sous le nom de Sorba Am-Tayrou.


7. Le Haoussa désigne la rive gauche du Niger et le Gourma la rive droite.

319
TÔYÂ

Le Seigneur a voulu qu’ils se trouvent à séjourner dans la même ville


aujourd’hui et que la nuit les y ait trouvés ensemble.
C’est elle qui, ainsi, est venue pour voir Âmadou et que, en le voyant,
elle satisfasse en son cœur l’amour qu’elle lui porte.
Elle aura vu Âmadou, à ce jour :
il s’en va lancer une campagne pour la Sainte Lutte,
et Dieu seul sait s’il en reviendra ! »
Âmadou lui dit : « Sorba ! » Il dit : « Oui ? »
Il dit : « Va lui dire que
c’est moi qui ai dit
que je l’excusais [si elle ne vient pas me saluer] ;
je l’en dispense
et qu’elle ne m’en tienne pas rigueur.
Maintenant nous allons nous coucher.
Dis-lui que nous encourrons son mépris
si, ayant vu le jour de demain, je ne fais pas des ravages [chez l’en-
nemi] :
voilà l’engagement qu’il y a entre nous8. »
Elle s’en retourna chez elle sans avoir vu Âmadou,
et non sans en éprouver quelque déception.

Et le matin, au réveil, les cavaliers ont poursuivi leur route…


Ils continuèrent jusqu’au moment où ils se trouvèrent en vue de la
plaine de Tôyâ.
Ils installèrent leur bivouac.
Tout ce qu’il pouvait se trouver de Touaregs
avec
Siroum Agâ-Baddi,
tout, était aux alentours de Tôyâ.
Du haut de leur taille, les griots s’adressaient à lui [Âmadou Sam-
bourou] en ces termes : « Écoles coraniques et élèves récitant le
Coran, mares et [cavaliers] entravant [leurs montures] ; Houlaymatou,
Halaymatou9 !
Sambourou Kôlâdo Doursèye10 !
Worso et Karbanga11,

8. Le refus poli de recevoir cette visiteuse nocturne est en même temps l’occasion
pour le héros de situer la relation entre cette femme et lui sur le terrain de l’héroïsme
chevaleresque.
9. Première partie de la devise de la ville de Hamdallâye, commune, en partie, à la
devise de la ville de Dia (près de Ténenkou). Suivent des noms de femmes de la
lignée du héros.
10. Nom du père de Âmadou, chef de Attara (près de Niâfounké), village natal de
l’ancêtre Doursèye.

321
TÔYÂ

Koûriké-du-Paradis12
Tanière-de-Crocodile !
Dunes y masquent les habitations
tas de fumier y dissimule les gens qui traient, tiges rampantes y
couvrent le sable
et calebasses, les paillotes13 !
Chez le Peul, entrez et mangez !
Asseyez-vous et étudiez !
Sortez et allez d’un pas majestueux14 ! »
Ainsi s’adressaient-ils à lui, Âmadou Sambourou.
Quant à lui, Siroum,
depuis longtemps déjà il avait déclaré…
– depuis la place où il se trouvait
et où était son cordonnier –…
il avait donc déclaré qu’il voudrait voir un Peul
qui soit bien, et qu’on le lui cherche comme gardien pour ses vaches.
Le cordonnier n’avait pas répondu ni pipé mot.

Lui, Âmadou,
s’éveilla, au matin.
Ils traversèrent le cours d’eau,
et tous ensemble s’engagèrent dans la plaine sablonneuse et,
ensemble, pénétrèrent dans [la zone de] Tôyâ.
Ils se rassemblèrent juste à la hauteur de Tôyâ.
Un cours d’eau faisait barrage entre eux.
Il avait avec lui Sorba Am-Târi Sorba.
Âmadou lui dit : « Sorba ! »
Celui-ci dit : « Oui ? »
Il reprit : « Sorba, lève-toi et apporte-moi de l’eau pour que je fasse
mes ablutions
et que je prie pour ensuite lancer l’attaque. »
Les cavaliers touaregs se séparèrent en pelotons,
et des hommes restèrent en place.
Ce jour-là, deux cents fils de Touaregs, des Rouges de la tribu des
Tenguéréguif, aux boubous de bougué à poche d’écarlate,
vêtus de boubous de bougué à poche d’écarlate

11. Noms de villages.


12. Nom d’une mare (les Koûriké seraient des arbres ?).
13. Ces lignes représentent la devise des villes de Youwarou et Attara.
14. Ces dernières lignes reprennent une partie de la devise de la ville de Hamdallâye.

323
TÔYÂ

et auxquels, sitôt le soleil haut dans le ciel, il faut absolument un


morceau de viande rouge dans la poche – mais, surtout pas ! que le
bougé leur déteigne sur la poitrine15 –
s’assemblèrent ce jour-là – de ceux qu’on appelle des Tenguéréguif16.
Partout où ils s’assemblaient, c’était la ruine !
Ils s’étaient donc assemblés, au jour de la bataille de Tôyâ.

Âmadou Sambourou, là-même où il faisait ses ablutions,


tira de sa poche une chaînette d’or
et la tendit à Sorba Am-Târi Sorba.
et dit : « Sorba ! » Celui-ci dit : « Oui ? »
Il dit : « Prends ça et tu auras de quoi vivre ici-bas avant que mon
cadavre ne soit pourri dans la terre
et en attendant que tu trouves aussi, de ton côté, un homme bien né
auprès duquel tu puisses encore passer des jours. »

Sorba lui dit : « Âmadou ! »


Celui-ci dit : « Oui ? »
Il dit : « Peux-tu me savoir si les poissons mangent l’or ? »
Il dit : « Je n’en sais rien ! »
Sorba appuya [sur les étriers et fit avancer] son beau cheval blanc
dont toutes les articulations étaient marquées au henné, jusqu’à ce que
l’eau lui arrivât aux garjor!e…
(ce que c’est que le mot garjor!e, en peul ?… jusqu’à ce que l’eau lui
arrivât au ventre).
Il brandit la chaînette d’or et la lança dans le fleuve en disant :
« Poissons, mangez !
Si les poissons n’ont jamais mangé d’or, ils en mangeront au-
jourd’hui, Âmadou !
– Il reprit – Âmadou Sambourou ! » Celui-ci dit : « Oui ! »
Il dit : « Chaque fois que nous devons passer la nuit quelque part en
ce monde,
c’est toujours moi qui dois te retenir un lieu d’hébergement,
en ce monde-ci,
aujourd’hui encore – dit-il –, je vais te retenir un lieu d’hébergement,
mais en l’autre monde.

15. Textuellement « ne mange pas leur poitrine ». L’ensemble de cette phrase ex-
prime l’âpreté au combat de ces guerriers qui doivent trouver jusque dans leur poche
des débris de chair sanglante et ne pas risquer, en se jetant à l’eau pour fuir, d’avoir
leurs vêtements de bougué mouillés jusqu’à la poitrine ; le bougué est un tissu teint à
l’indigo, d’un noir très intense et qui, mouillé, perd les reflets métalliques qui font
tout son prix.
16. Groupe touareg qui nomadisait selon les saisons entre Tombouctou et Gao, ou
vers Niâfounké.

325
TÔYÂ

Toutefois, Âmadou, je vais t’adresser une requête, au nom du Sei-


gneur :
te voilà, monté là, sur Mousseyga... »
Mousseyga,
ses sabots étaient chaussés d’argent afin qu’ils ne se brisent pas et, de
plus, c’était très joli ;
tout Hamdallâye connaissait Mousseyga, nom unique entre
Tombouctou et Djenné17 ;
on l’appelait Mousseyga de Âmadou Sambourou…
— « Âmadou, je t’adresse, au nom du Seigneur, une requête :
je te prie de ne pas être le premier pour lequel un bougué doive être
essoré et étendu à sécher au soleil,
ni d’être le premier pour lequel un bougué perde de sa noirceur.
Âmadou, si tu descends dans le fleuve, habillé de bougué rouge18,
que le premier bougué à devoir être essoré et mis à sécher au soleil ne
provienne pas des Peuls.
Que tu ne sois pas le premier pour lequel un bougué doive être essoré
et mis à sécher au soleil19 ! »
Et il n’ajouta plus un seul mot.
Il avança sur son beau cheval blanc, lui, Sorba,
et il dit : « Dieu est Le-Plus-Grand !
Dieu est Le-Plus-Grand !
Dieu est Le-Plus-Grand !
La paix soit sur vous ! »
Et il donna le coup d’envoi !
Les Tenguéréguif l’accueillirent en retour :
sagaies et lances l’empêchèrent de tomber étendu sur le sol20 !
Et voilà Sorba abattu !
Le Peul [le descendant] de Houlaymata et Haleymatou, Âmadou
Sambourou et Bôkar Sambourou21, avisa un scribe
– car ils avaient un scribe et, tout ce qui avait été accompli au cours
du combat par chacun, [ce scribe] devait l’inscrire.

17. C’est-à-dire, sur tout le territoire de la Dîna, l’empire de Chêkou Âmadou.


18. Le bougué est dit rouge à cause de ses reflets mordorés.
19. Cette longue image signifie que Sorba demande à son maître de ne pas fuir, en
traversant le fleuve pour échapper à l’ennemi. Cette expression reprend celle
expliquée à la note 15. Sorba souhaite que le déshonneur que traduirait l’obligation
de faire sécher les vêtements de bougué ainsi mouillés, ne soit pas le fait des Peuls,
ni surtout de son maître.
20. La pluie de lances et de javelots est si drue que, s’enfonçant en terre, les traits le
maintiennent debout.
21. Noms des ascendants de Âmadou.

327
TÔYÂ

Il se tourna donc vers un scribe et dit : « Écris : “que Dieu agrée la


mort de Âmadou Sambourou” ! »
L’autre écrivit.
Il dit : « Dieu agrée la mort de Sorba Am-Târi ! »
L’autre écrivit.
Il invoqua Dieu Le-Très-Grand,
lui aussi, par trois fois.
Puis il s’engagea parmi les Tenguéréguif,
lui avec Mousseyga :
sagaies et lances les empêchèrent de tomber étendus à terre.
Et le Peul a reposé à Tôyâ.
Les cavaliers s’étrillèrent dans la mêlée, quelque temps.
Parmi eux se trouvait un garçon qui était avec son cadet, né de même
mère et de même père que lui.
Le cadet, frappé d’un coup de javelot,
tomba à terre
tandis que lui, s’en fut choir – vois-tu ? – dans le fleuve ;
et le voilà qui nage.
Il dit : « On m’a eu par traîtrise22 ! »
Même cela, le scribe l’écrivit : « Dieu Très-Grand, on m’a eu par
traîtrise » (en songhay).
Le scribe a écrit même cela :
« la cavalerie a été mise à mal,
tout ce qui pouvait être abattu l’a été,
les hommes se sont débandés. »
La moitié s’en revint à Hamdallâye.
La lettre était arrivée avant eux.
Ils la tendirent à Sêkou Âmadou.
Il prit la lettre.
Ce que contenait la lettre, c’était que sa cavalerie avaient été mise à
l’épreuve.
Il regarda la lettre et il pleura.
Le Fils-Unique de Fâtouma, Alfâ Hamman Alfâ ! Ndoukkouwal23,
Pâssi-Panga !
Le père de Sorba était présent.

22. Textuellement « j’ai été eu à cause de (en peul) main derrière (en songhay) ».
23. Ndoukkouwal (ndukkuwal signifiant « bonne aubaine, chance extraordinaire »)
est le nom donné à une expédition particulièrement fructueuse lancée par les Peuls,
sous la direction de Alfâ Âmadou Guidâdo, contre une coalition de Touaregs dirigée
par Sérim Agâ-Baddi. Cette victoire est aussi connue sous le nom de bataille de
Ndukkuway en 1828. Pâssi-Panga ou Passipangou (A. H. BA & J. DAGET, p. 222)
rappelle aussi une défaite de Sérim Agâ-Baddi. Dans les devises et dans les
louanges, on cite ainsi des noms évoquant diverses victoires.

329
TÔYÂ

Il dit : « Je donne l’absoute à mon Sorba24. »


Sêkou Âmadou dit : « J’ai entendu. »
Âli Sambourou
était assis là.
Il dit : « Je donne l’absoute à mon Âmadou. »
Sêkou Âmadou dit : « J’ai entendu. »
Puis il dit : « Âli Sambourou ! »
Celui-ci dit : « Oui ! »
Il dit : « Quels traits particuliers as-tu reconnus en ton Âmadou25 ? »
Il dit : « Depuis le jour où Dieu m’a accordé mon Âmadou,
mon Âmadou, assurément,
m’a montré qu’il n’aimait rien que trois choses26 :
je l’avais mis à l’école coranique,
et il m’a montré que c’était là tout ce qu’il aimait dans sa vie.
Il advint – dit-il – que Mousseyga fut mis en vente ;
je vis mon Âmadou qui tenait sa planchette et qui, tout en lisant,
défaisait des paquets d’herbe pour le cheval
au point que, tombant de sommeil, il s’endormit sur son fourrage.
Il m’a prouvé qu’il aimait ce cheval ;
aussi, moi, l’ai-je acheté ;
je dis que, quel que fût le prix demandé, je l’achèterais ; et je l’ai
acheté ; je lui dis : ‘‘Mon Âmadou, voici donc ! C’est Mousseyga27 !”
Il m’avait montré qu’il l’aimait.
Il s’est toujours contenté des fréquentations28 que je lui avais mé-
nagées ; il ne connaissait à Hamdallâye que trois portes :
la nôtre,
la tienne, Sêkou Âmadou,
et celle de la mosquée de Dieu.
Depuis le jour où j’eus mon Âmadou, il ne connut d’autres lieux que
ceux-ci.
Je donne l’absoute à mon Âmadou. »
Il dit : « Et toi, Sorba, quels traits particuliers as-tu reconnus
24. Expression rituelle, par laquelle le locuteur libère l’âme du mourant ou du mort,
en lui pardonnant les fautes qu’il a pu commettre à son égard.
25. Textuellement « à quoi as-tu reconnu ton Âmadou ? ».
26. Il semble que le narrateur ait fait ici un lapsus en disant « qu’il aimait tout, hor-
mis trois choses ».
27. Dans L’Empire peul du Macina (A. H. BA et J. DAGET, NEA, 1984, p. 226 et
p. 230), il est dit que ce pur-sang avait coûté « un saawal (mesure correspondant à
trois litres ou 2,5 kg de grain) d’or et trente captifs ». Par ailleurs, Sambourou
Kôlâdo avant de mourir, le fit partir pour qu’il échappe aux Touaregs : le coursier
traversa le fleuve et rejoignit ainsi le camp peul.
28. Textuellement « la porte (ouverture) que je lui ai faite » ; le terme dammbugal
signifie aussi, au figuré, « la lignée, la famille » ; ici l’image traduit l’accès à des
fréquentations extérieures.

331
TÔYÂ

en ton enfant ? »
C’est au père de Sorba qu’il dit : « Quels traits particuliers as-tu
reconnus en Sorba ? »
Il dit : « Ce que j’ai bien su c’est que,
toute personne appelée griot
qui se trouve rassasiée de bouillie de mil, c’est Âmadou Sambourou
qui l’a ainsi rassasiée
et, quelle qu’elle soit, elle aurait grande honte de s’entendre dire
“pour toi, le bien-être survivra à ton Peul29”,
surtout si c’est un vrai griot mâbo30.
Voilà – dit-il – ce que je sais de mon Sorba ! Je sais que Sorba
ne reviendra pas pour s’entendre dire “le bien-être survivra, pour toi, à
Âmadou”. Je sais qu’il n’en sera rien. »

La lettre fut dépliée


et lue et l’on y trouva : « Que Dieu agrée Âli Sambourou !
et que Dieu agrée Sorba Am-Târi Sorba31 !
La cavalerie a été rudement mise à l’épreuve,
les hommes d’Un tel sont tombés sur le champ de bataille,
les hommes d’Un tel sont tombés sur le champ de bataille,
Un tel y est tombé… »
[et ainsi de suite] jusqu’à ce que fût énumérée la liste complète de
ceux qui étaient tombés sur le champ de bataille.
Ils dirent aussi qu’un homme, seul, dont le cadet avait été abattu
[et qui avait échappé au massacre] en se jetant à la nage dans le
fleuve, avait dit qu’il « avait été pris en traître »

et que celui-ci était revenu, lui, sain et sauf.


Sêkou, les yeux encore baissés sur la lettre,
dit : « Je porte plainte devant Dieu, contre Siroum Agâ-Baddi
qui m’a abattu Âmadou Sambourou !
Harnachez-moi le petit Kowel-de-Dôri32. »
On sella Kowel-de-Dôri.
Il se mit en selle – lui, Sêkou Âmadou ;

29. Formule de consolation dite aux personnes affectées par un deuil. Ici, la formule
adressée au griot pour la mort de son maître peul est sentie comme insultante : le
griot ne pourra accepter de survivre à un maître qui l’a toujours si bien traité.
30. Un maabo : griot tisserand qui transmet les généalogies, récite les devises des
personnalités, exalte les exploits des personnages illustres et déclame les récits
épiques.
31. Formule euphémistique pour signaler le décès du personnage cité.
32. Nom d’un cheval, évoquant sa robe – le cheval kowu étant bai brun avec les
genoux noirs – et son origine, la ville de Dôri, dans le nord du Burkina Faso.

333
TÔYÂ

et sitôt qu’il fut en selle,


il y eut quatre cents lettrés
qui se mirent en selle, à Hamdallâye, ce jour-là…
trois cents qui possédaient par cœur le Coran tout entier,
qui se mirent selle
et, alors que tous, élèves adolescents, jeunes étudiants et jeunes
adultes, avaient pris leurs affaires,
voilà que des hommes mûrs et des sages de Hamdallâye lui dirent :
« Gloire à Dieu, ma joie !
Tu as, pour lancer une expédition contre Siroum,
quelqu’un d’autre que toi !
Tu as, pour lancer une expédition contre Siroum Agâ-Baddi,
quelqu’un d’autre que toi33 !
Entre Tombouctou et Djenné
qui que tu appelles, te répondra ! »
(Ah, pardon34 !
Depuis Hamdallâye et jusqu’à ce qu’il soit descendu sur la rive de
Batâmâni –, c’est là qu’ils l’avaient rattrapé).
Il dit … (excusez-moi ! )
il appela : « Bâ Lobbo ! »
Celui-ci dit : « Oui, père ! »
Il dit : « Tu es bien là ? »
Il dit : « Oui. »
Il dit : « Je te donne Siroum Agâ-Baddi Tôyâ Mahammane.
L’homme qui m’a couché sur le champ de bataille
Âli Sambourou,
quel qu’il soit – dit-il –, je chercherai à lui faire payer son dû.
Je te donne Siroum Agâ-Baddi. »
Il dit : « Âmadou, tu es là ? »
Âmadou Sêkou dit : « Oui, père. »
Il dit : « Je te donne Siroum Agâ-Baddi
Tôyâ Mahammane. »
Il dit : « J’ai entendu ; j’accepte. »
Il dit : « Âli Soutourâré35 ! »
Celui-ci dit : « Oui ? »
Il dit : « Siroum a une fille ;
je t’en rends responsable :

33. C’est-à-dire « tu n’as pas besoin d’y aller toi-même ! » Les gens veulent le
retenir en lui assurant qu’il a bien d’autres lieutenants qu’il peut envoyer contre
Siroum.
34. Le narrateur demande à l’auditoire de l’excuser parce qu’il se reprend pour
situer exactement la scène.
35. Âli Soutourâré est le chef des Génies, au service de Sêkou Âmadou.

335
TÔYÂ

qu’elle ne mange,
ni ne boive,
ni ne dorme ! »
Âli Soutourâré était attaché à son service ;
Âli Soutourâré devrait donc convier à dîner, comme ses hôtes, des
Génies de Hamdallâye :
quand du lait serait servi, à Tôyâ, pour être donné à la fille de Siroum,
lorsqu’elle voudrait en avaler une gorgée, ça devrait s’arrêter dans sa
gorge !
Ou encore si l’on en déposait devant elle, elle le renverserait.
[La fille fut ainsi traitée] deux jours durant.
Ses yeux en devinrent tout exorbités !
Siroum dit : « Je sais bien que je me suis battu contre un maître lettré
mais ce n’est pas mon enfant qui a été son adversaire !
C’est moi, et lui, qui avons combattu ! »
Il partit à cheval, accompagné de mille destriers noirs
et il prit le chemin de Hamdallâye.
Il poursuivit sa route et fut bientôt en vue de Hamdallâye.
On annonça que des cavaliers en opération
étaient arrivés à Hamdallâye.
On dit : « Est-ce que… ? »… qu’on se renseigne à leur sujet.
On dit que c’était Siroum.
Sêkou déclara que, sur tout homme qui poserait sur eux ne fût-ce
qu’un brin d’herbe, il poserait une pierre36 ;
qu’une affaire l’avait amené, qu’on le laissât donc entrer.
[Siroum] entra. On lui dit : « Sois le bienvenu ! »
Les hommes de ce temps-là avaient des principes37.
Ils se battaient,
ils réglaient leurs comptes entre eux,
mais une fois le combat apaisé,
ils abandonnaient toute hostilité
et, si une guerre se déclarait,
chacun était prêt à partir en campagne pour défendre son partenaire.
Lui, Siroum fut donc hébergé
et il reçut des présents de bienvenue ;
il se rendit au lieu où Sêkou Âmadou dispensait son enseignement.
Il dit : « Sêkou Âmadou ! »
Celui-ci dit : « Oui ? »
Il dit : « C’est une unique fille que Dieu a mise entre mes mains !
Or – dit-il –, ce n’est pas ma fille qui a combattu contre toi !

36. Sêkou interdit à ses gens tout acte d’hostilité à l’égard de Siroum.
37. Textuellement « tenaient la coutume ».

337
TÔYÂ

C’est moi que tu as cherché à faire entrer dans la Dîna ; et en cas de


refus
nous devions devenir des adversaires et nous battre.
Mais ma fille, elle ne s’est pas battue avec toi !
Et, qui mieux est, c’est une femme !
Alors, je t’en prie,
tout ce que tu pourras demander de richesse,
je te le donnerai, et tu cesseras [de tourmenter] ma fille.
Permets que nous nous battions : je ne me soumettrai pas à ta loi, ni
toi à la mienne ;
nous nous battrons, simplement.
Toute guerre implique une victoire
et, quel que soit le vainqueur, c’est lui qui devient le maître. »
Le taureau truité, plein de charme, l’enfant unique de Fâtouma
Hamma Alfâ et de Hammadi ! Ndoukkouwaye, Pâssi-Panga, Sélé-
guindé38 ! Il se plaint : rien ! Il se plaint à Dieu et Dieu lui répond39 !
[Sêkou Âmadou] dit : « Que proposes-tu, Siroum ? »
Siroum dit : « Je te donnerai
mille bœufs de dix ans ;
mais laisse ma fille [tranquille].
Je te donnerai mille Bella – des hommes –
et tu laisseras ma fille.
Je te donnerai mille vaches stériles
mais laisse ma fille ;
et permets que nous nous battions, entre nous,
et, quel que soit – de toi ou de moi – celui qui aura la victoire, l’un ou
l’autre pourra partir avec sa victoire. »
Il dit : « Siroum ! »
Siroum dit : « Oui ? »
Il dit : « Tu devras me donner mille génisses,
– il dit – tu devras me donner mille chevaux,
– il dit – tu devras me donner mille femmes bella. »

38. Passipangou (Passipanga ?) et Séléguindé sont cités par Sérim Ag Baddi (selon
l’orthographe de ces noms dans A. H. BA et J. DAGET, op. cit., p. 222) comme des
combats entre Peuls et Touaregs au cours desquels, sans être véritablement vaincus,
les Touaregs ont « été perdants et leur bétail ruiné ».
39. Devise de Sêkou Âmadou : Nyaakoori désigne un taureau à la robe truitée,
métaphore évoquant un bel homme grisonnant ; quant à lenkoori, cette épithète qui
qualifie d’ordinaire une personne coquette – voire minaudière – caractérise ici le
charme délicat du personnage. Suit l’évocation de batailles victorieuses : Ndukkuwal
(ou Ndukkuway) fut une expédition contre les Touaregs (en 1828) qui – comme son
nom l’indique (bonne aubaine, chance extraordinaire) – fut particulièrement
fructueuse. Passi-Panga ou Paspanga est aussi un village réputé pour la bravoure de
ses habitants.

339
TÔYÂ

L’autre dit : « Je ne les donnerai pas.


Personne – ajouta-t-il – ne donne à son ennemi
de quoi accroître sa puissance !
Que je te donne – dit-il – mille chevaux noirs, pour que tu les fasses
monter par mille hommes pour te battre contre moi, et que tu aies sur
moi la victoire !
Je ne les donnerai pas – dit-il.
Que je te donne – dit-il – mille femmes bella, pour qu’elles enfantent
mille hommes bella, que tu les envoies en campagne pour te battre
contre moi, et que tu aies sur moi la victoire ! Je ne les donnerai pas.
Que je te donne – dit-il – mille génisses
qui, toutes, mettront bas, et tu auras du lait à donner à boire à tes gens
qui partiront en campagne, bien repus, et remporteront la victoire ! Je
ne les donnerai pas. »
Et il reprit : « Je vais te donner mille bœufs de dix ans
et rien n’augmentera dans ton parc à bétail que bouse et purin.
Je te donnerai – dit-il – mille vaches stériles
et rien n’augmentera en ton parc à bétail que leur urine et leur fèces.
Je te donnerai – dit-il – mille hommes bella qui, réveillés en sursaut à
Hamdallâye, me retrouveront à Tombouctou40.
Ce sont ceux-là que je te donnerai. »
Sêkou dit : « Je prends.
Nous n’avons qu’à nous battre. »
Il dit : « Battons-nous donc ! Allons-y ! »
Et il dit à Âli Soutourâré : « Laisse sa fille ! »
Âli Soutourâré la laissa…
et Siroum s’en retourna chez lui.
Sêkou fit ses préparatifs
et il confia l’expédition à Bâ Lobbo
et à Âmadou Sêkou.

Les cavaliers commencèrent par Lanam-Bouya


et ils continuèrent jusqu’à Campement-Gravillonneux-des-Plaines-
Sableuses, Paix-de-Dieu-des-Plaines-Sableuses et Grande-Plaine-
Sableuse-Coupe-Sablons,
et, à Kikiri-Bangou-au-Grand-Cheval-Blanc et Bandia-aux-Rives-
Propres,
[les habitants] dirent : « Paix ! »

40. Expression raccourcie et percutante illustrant la rapidité à la course qui fait


toujours, dans ces textes, la réputation des populations touarègues et surtout des
Bella. On peut aussi y voir soit la pleutrerie de ces hommes, soit – interprétation plus
vraisemblable – leur propension irrésistible à revenir à leur premier maître, à la
première occasion.

341
TÔYÂ

Il dit : « Paix ! Nous ne faisons que passer ! »


C’est
Niâfounké.
Petit-fils [de celui] qui a acheté des chevaux, et pour qui l’on a acheté
des chevaux, qui, accablé par le soleil, se glissa à l’ombre des
chevaux, qui, sollicité, donna pour présent des chevaux, Hammadou
al Hadj Samba !
Irâri-Bouya et Diammiri-Bouya et Woykôré-Bouya41 !
Ils lui dirent : « Paix ! » Il dit : « Paix ! Nous ne faisons que passer. »
Les cavaliers poursuivirent leur chemin jusqu’au moment où ils se
trouvèrent en face de Tôyâ.
Siroum Agâ-Baddi,
entre temps, avait envoyé chercher des troupes : depuis tous les
Tenguéréguif
jusqu’aux
Dagâbé ;
et tout cela s’était assemblé à Tôyâ, attendant la cavalerie de Ham-
dallâye.

Le jour où Âmadou Sambourou devait tomber sur le champ de bataille,


s’y étaient trouvés deux cents Tenguéréguif ;
mais, ce jour-là, ils atteignaient le nombre de mille Tenguéréguif,
des Touaregs rouges,
vêtus de tuniques de bougué, montant de splendides destriers de race
blancs, et munis de sagaies,
d’épées,
de sabres,
et dont le litham remonté jusqu’aux yeux empêchait qu’on les vît.
Tout cela s’assembla, ce jour-là, à Tôyâ, chacun rivalisant avec son
pair,
observant les actions de son pair et les imitant.
Bâ Lobbo Bôkar
et Âmadou Sêkou Âmadou
bivouaquèrent sur la berge ;
un cours d’eau séparait les deux camps.
Les Tenguéréguif poussaient là-bas des hurlements tout en s’activant ;
tandis que lui, de ce côté-ci, disait : « Gloire à Dieu !
Et louange à Dieu ! Il n’est de divinité que Dieu ! Dieu est Le-Plus-
Grand !
Les cavaliers ne partent pas avec l’idée de revenir ! »
Ils continuèrent jusqu’à ce qu’ils se fussent retro
Telle fut exactement leur marche,

41. Série de devises : devises des villages et lieux-dits de la région de Niâfounké, et


devise de Bâ-Lobbo, suivies du nom des lieux traversés par l’expédition.

343
TÔYÂ

s’activant tous à leurs occupations, chacun à la sienne.


Comme ils s’étaient mis en route et se trouvaient enfin face à Tôyâ,
un fils de cordonnier se rendit auprès de Siroum Agâ-Baddi Tôyâ
Mahammane,
il dit : « Siroum ! »
Celui-ci dit : « Oui ! »
Il dit : « Tu m’avais bien dit que nous te cherchions un Peul qui soit
bien, pour te garder tes vaches ? »
Il dit : « Eh bien, quoi ? »
Il dit : « Voilà Bâ Lobbo Bôkar, avec mille destriers noirs, là sur la
berge :
il a toute compétence pour garder des vaches ! »
Il ajouta : « Âmadou Sêkou Âmadou se trouve avec mille destriers
noirs ; le voici sur la berge de notre fleuve,
il est capable de garder des vaches ! »
Siroum dit au cordonnier :
« Celui-là, un meneur de vaches ?
Ce Peul si bien dont tu m’as parlé ?
Un Peul bien
a toujours quelque chose autour de lui !
Or, la poussière que soulèvent des chevaux ne l’a pas enveloppé,
pas plus que celle soulevée par des vaches !
Alors quoi ? S’il n’y a pas un nuage de poussière sur un Peul, ce n’est
pas un Peul !
Allons donc !
Le Peul bien dont tu m’as parlé,
c’est bien de Bâ Lobbo qu’il s’agit ?
Il est un Peul bien et capable de garder des vaches !
Lui, en tout cas, il les conduira. »
Pendant la nuit tous les cavaliers se placèrent discrètement d’un côté.
Siroum Agâ-Baddi et lui s’observèrent, installés en vis-à-vis dans l’île
de Tôyâ.
Le matin, au réveil, ils prièrent,
firent deux rakat42 et dirent la formule finale.
Alors seulement leur armée se mit sur pied.
Les hommes s’observèrent
et chacun se prépara, avec ce qu’il avait sur lui, pour l’attaque.
Bâ Lobbo Bôkar,
la façon dont il arrangeait l’ordonnance de ses cavaliers
pour bien équilibrer leurs forces…

42. [rak’at] : inclination et prosternation du corps pour la prière.

345
TÔYÂ

ce qu’était donc arranger la ligne de front de ses cavaliers, voilà :


tout poltron était placé entre deux courageux ;
on retirait tout jeune poulain,
et tout cheval déficient ;
on plaçait un poltron au milieu de courageux,
tout vieux était relégué en position arrière et tout jeune homme, lancé
en position avancée ;
et [pendant que cela se mettait en place] serments étaient faits de
s’illustrer43.
Pour la cavalerie, il arrangea [ainsi] la ligne de front de ses cavaliers
tandis que Siroum, de son côté, arrangeait la ligne de front des siens.
Ils continuèrent ainsi jusqu’à ce qu’enfin ils en eussent terminé [avec
la mise en place des troupes].
Bâ Lobbo, avec son pur-sang,
prit le départ…
Âmadou Sêkou lui dit :
« Non ! »
Il tira sur les rênes.
Les Touaregs reprirent leurs serments de fanfarons et leurs hurle-
ments.
Il partit, avec son pur-sang – lui, Bâ Lobbo –, pour le faire s’engager
[dans les lignes ennemies].
Âmadou lui dit : « Non ! »
Et à peine s’était-il arrêté, au milieu des cavaliers,
que Âmadou Sêkou lui dit : « Attaque Siroum !…
Attaque, Bâ Lobbo ! »
Celui-ci dit : « Donne-moi la raison pour laquelle,
par deux fois, comme je faisais détaler mon cheval,
tu m’as dit : “Non !”
et, maintenant, tu me dis d’attaquer ?
Dis-moi pourquoi je dois attaquer. »
Il dit : « Si je t’en ai empêché auparavant, c’est que je n’avais pas vu
Sêkou Âmadou.
À présent, j’ai vu que Sêkou Âmadou a abattu Siroum et que nous
avons remporté la victoire44.
Attaque ! »
Aussitôt Bâ Lobbo attaqua.
Les cavaliers se rejoignirent en une mêlée serrée.
Et ce ne fut pas long…

43. Il s’agit des serments publics que chaque futur combattant fait avant un combat,
s’engageant aux exploits les plus hardis et se vouant, en cas d’échec, au mépris, à la
malédiction, etc.
44. Vision prémonitoire attendue par Âmadou pour donner le départ à l’expédition.

347
TÔYÂ

sitôt, entre eux, le soleil un peu haut dans le ciel,


déjà Siroum avait dépassé les dix mille [cavaliers]45,
sans même un arrêt à Tôyâ !
La victoire était assurée !
Il continua jusqu’à Tombouctou !
Il trouva qu’un boucher avait sorti ses têtes de moutons cuites à point
et encore toutes fumantes.
Il donna un coup de sa sagaie dans une tête, car la faim l’avait pris :
et de là, et jusqu’à Banèye, où il alla la découper,
la tête de mouton
était encore toute fumante45.
Il mit pied à terre pour la manger ;
et c’est là que Bâ Lobbo l’envoya chercher.
Le messager lui dit : « Siroum Agâ-Baddi Tôyâ Mahammane ! »
Il dit : « Oui ? »
Il dit : « N’éloigne pas ton cadavre de tes gens46 !
Quel que soit l’homme qui nous a abattu Âmadou Sambourou sur le
champ de bataille, je prélèverai sur lui le prix du sang.
C’est pourquoi, ne cherche pas à te soustraire aux yeux de tes gens, ne
t’éloigne pas ! »

Le matin, au réveil,
les cavaliers de Hamdallâye le cernèrent ; il voulut filer ventre à terre,
mais il tomba entre les mains de Bâ Lobbo Bôkar.
Le sabre de celui-ci courut sur le cou de Siroum ;
il ramassa la tête et la mit au bout de sa sagaie ;
il dit : « Par Dieu !
Nous qui sommes des fils de Hamdallâye, voilà comment nous
payons celui qui nous a fait cela :
Âmadou Sambourou a été abattu,
nous avons trouvé, à notre tour, comment en être vengé. »
Ils s’en revinrent.
Tout ce qui, ce jour-là, se trouvait sous sa dépendance,
tout, ils le firent émigrer
vers Hamdallâye.
Il se trouvait que Siroum Agâ-Baddi
avait son épouse ;
et cette femme était enceinte.
La femme accoucha en chemin [sur la route de l’émigration].
Ils donnèrent à l’enfant le nom de

45. Images fulgurantes traduisant la vitesse de la débandade de Siroum.


46. Conseil « amical » : mieux vaut pour lui mourir parmi les siens qui pourront
ainsi prendre soin de son cadavre et l’ensevelir décemment..

349
TÔYÂ

Fondo-Goumo47 ;
fondo-goumo,
c’est-à-dire « bon chemin » :
c’est ainsi qu’ils le dénommèrent.
« Chemin, » pour qu’ils aillent suivre la loi religieuse…
ils lui donnèrent le nom de Bon-Chemin. Ce Fondo-Goumo devait
engendrer
Sobbo qui, lui, devait engendrer Addéguel-Koba ; et son temps est
passé.

Ainsi avaient-ils fait.

47. Dans L’Empire peul du Macina (A. H. Bâ et J. Daget, 1984, pp. 205-206), la
naissance de cet enfant se situe non après la bataille de Tôyâ mais après celle de
Ndoukkouwal. Il est dit que Sêkou Âmadou fit ensuite reconduire la femme et
l’enfant à Diré pour que Siroum Ag Baddi vienne les y chercher, mais aussi qu’il
libéra les combattants que les Peuls avaient faits prisonniers.

351
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ARSOUKOULA Yéro, Notes de ma Guitare. Sékou Amadou, Bamako,


Éditions Imprimerie du Mali.
BA Amadou Hampâté, Jaawambe, Traditions historiques des Peul
JAAWAMBE, présentées par…, (Centre Régional de Documentation pour la
Tradition Orale, Niamey (ronéot.).
BA Amadou Hampâté et DAGET Jacques, L’Empire peul du Macina (1818-
1853), Paris - The Hague (Abidjan), Mouton & Co, 1962 ; rééd. Les
Nouvelles Éditions Africaines et Éditions de l’EHESS, 1984.
DELAFOSSE Maurice, Haut-Sénégal-Niger, 3 t., Paris, Maisonneuve et
Larose, 1972.
GUILHEM Marcel et TOE S. Précis d’Histoire du Mali, n° 382, Paris, Ligel,
1963.
KYBURZ Olivier, Les Hiérarchies sociales et leurs fondements idéologiques
chez les Haalpulaar'en (Sénégal). Doctorat d'Université, université Paris
X-Nanterre : 1994, 444 p., cartes h.-t., cartes, fig.
MAGE Eugène, Voyage dans le Soudan Occidental, Paris, Hachette, 1972.
ROBINSON David, La Guerre sainte d’al-Hajj Umar. Le Soudan occidental
au milieu du XIXe siècle, Paris, Karthala, 1988.
SALVAING Bernard, voir YATTARA A. M.
SANANKOUA Bintou, Un Empire peul au XIXe siècle. La Diina du Maasina,
Karthala-ACCT, 1990, 174 p.
SISSOKO Sékéné-Mody, Histoire de l’Afrique occidentale, Paris, Présence
africaine, 1966.
SEYDOU Christiane, Silâmaka et Poullôri, récit épique peul raconté par
Tinguidji (Classiques africains 13), Paris, Les Belles Lettres, 1972,
275 p., 3 disques*.
– Contes et fables des veillées, Paris, Nubia, 1975, 300 p.
– La Geste de Ham-Bodêdio ou Hama Le Rouge (Classiques africains
18), Paris, Les Belles Lettres, 1976, 419 p., 2 disques*.
– « La devise dans la culture peule : évocation et invocation de la
personne », in G. Calame-Griaule (éd.), Langage et cultures africaines.
Essais d'ethnolinguistique, Paris, Maspero, Bibliothèque
d'anthropologie, 1977, pp. 187-264.
– « Épopée et identité : exemples africains », Journal des Africanistes,
t.58, fasc.1, 1989, pp. 7-22.
– Bergers des mots, poésie peule du Massina présentée et traduite par...
(Classiques africains 24), Paris, Les Belles Lettres, 1991, 360 p*.

353
– « L’épopée : genre littéraire ou institution sociale ? L’exemple
africain », Littérales, n° 19, 1996, L’épopée : mythe, histoire, société,
Paris X-Nanterre, pp. 51-66.
– Contes peuls du Mali, Karthala, 2005, 489 p.
– La Poésie mystique peule du Mali, Paris, Karthala, 2008, 450 p.
– Profils de femmes, Paris, Karthala, 2010, 273 p.
– L’Épopée peule de Boûbou Ardo Galo. Héros et rebelle, Paris,
Karthala-Langues 0’, 2010, 278 p.
TAMARI Tal, Les Castes de l’Afrique occidentale. Artisans et musiciens
endogames, Nanterre, Société d’ethnologie 1997, 464 p.
TYAM Mohammadou Aliou, La Vie d’El Hadj Omar. Qacida en Poular,
transcription, traduction, notes et glossaire par Henri GADEN, Paris,
Institut d’ethnologie, 1935.
WANE Yaya, Les Toucouleurs du Fouta Tooro (Sénégal). Stratification
sociale et structure familiale, IFAN-Dakar, 1969, 250 p.
YATTARA Almamy Maliki et SALVAING Bernard, Almamy. Une jeunesse
sur les rives du fleuve Niger, t. 1 et Almamy. L’âge d’homme d’un lettré
malien, t. 2, Brinon-sur-Sauldre, 2000 et 2003, 437 p. et 446 p.

* Collection Classiques africains, distribuée par Karthala.

354
TABLE DES MATI È RES

AVANT - PROPOS . ............................ 7


TEXTES .................................... 9
I Garan Maajaga par Yéro Assikoula
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Texte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
II Ceekura par Yéro Assikoula
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Texte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
III Aali Awdi par Bâba Mâliki Yattara
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Texte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
IV Bokkiyo par Bâba Mâliki Yattara
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
Texte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
V Duma par Bourayma Mâliki Yattara
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
Texte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
VI Tooyaa par Ougou Mala Sâré
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313
Texte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES .................. 353

355
ÉDITIONS KARTHALA

Collection Tradition orale


dirigée par Henry Tourneux

Anthropologie de la parole, Fédry J.


Approches littéraires de l’oralité, Baumgardt U. et Ugochukwu (dir.)
Arbre-mémoire (L’), Ndoricimpa L. et Guillet C.
Chants de femmes au Mali, Luneau R.
Contes à rire de Roumanie, Lebarbier M.
Contes arabes de Mauritanie (bilingue), Tauzin A.
Contes arawak des Guyanes, Patte M.-Fr.
Contes comoriens en dialecte malgache, Gueunier N.
Contes de femmes et d’ogresses en Kabylie, Lacoste C.
Contes de l’inceste, de la parenté et de l’alliance chez les Bemba
(République démocratique du Congo), Verbeek L.
Contes maghrébins en situation interculturelle, Decourt N. et al.
Conteuse peule et son répertoire (Une), Baumgardt U.
Contes peuls du Mali, Seydou Ch.
Critique de la raison orale, Diagne M.
Discours du griot généalogiste chez les Zarma (Le), Bornand S.
Épopée peule de Boûbou Ardo Galo, Seydou Ch.
Épopée peule du Fuuta Jaloo, Barry A.
Épopées d’Afrique noire, Kesteloot L.
Fantang. Poèmes mythiques des bergers peuls (Le), Ndongo S.M.
Gens de la parole, Camara S.
Histoire d’une chefferie kanak, Bensa A. et Goromido A. A.
Légendes historiques du Burundi, Guillet C.
Littérature orale quechua de la région de Cuzco – Pérou (La), Itier C.
Littératures orales africaines, Baumgardt U.
Oralité africaine et création, Dauphin-Tinturier A.-M. et Derive J.
Paroles nomades, Baumgardt U. et Derive J.
Profils de femmes dans les récits peuls, Seydou Ch.
Proverbe chez les Bwa du Mali (Le), Leguy C.
Proverbes jóola de Casamance, Diatta N.
Proverbes yaka du Zaïre, Van der Beken A.
Sombre destinée (Une). Théâtre yoruba, Isola A.
Traditions des Songhay de Tera, Soumalia H. et al.
Collection Études littéraires
dirigée par Henry Tourneux

Aux sources du roman colonial, Seillan J.-M.


Coran et Tradition islamique dans la littérature maghrébine, Bourget C.
Culture française vue d’ici et d’ailleurs (La), Spear T. C. (éd.)
De la Guyane à la diaspora africaine, Martin F. et Favre I.
De la littérature coloniale à la littérature africaine, János Riesz
Dictionnaire littéraire des femmes de langue française, Mackward C. P.
Dynamiques culturelles dans la Caraïbe, Maximin C.
Écrivain antillais au miroir de sa littérature (L’), Moudileno L.
Écrivain francophone à la croisée des langues (L’), Gauvin L. (éd.)
Écrivains afro-antillais à Paris – 1920-1960 (Les), Malela B.
Édouard Glissant : un « traité du déparler », Chancé D.
Esclave fugitif dans la littérature antillaise (L’), Rochmann M.-C.
Essais sur les cultures en contact, Mudimbe-Boyi E.
Habib Tengour ou l’ancre et la vague, Yelles M. (éd.)
Histoire de la littérature négro-africaine, Kesteloot L.
Imaginaire d’Ahmadou Kourouma (L’), Ouédraogo J. (dir.)
Imaginaire de l’archipel (L’), Voisset G. (éd.)
Insularité et littérature aux îles du Cap-Vert, Veiga M. (dir.)
Itinéraires intellectuels, Chaulet Achour Ch. (dir.)
Littérature africaine et sa critique (La), Mateso L.
Littérature africaine moderne au sud du Sahara (La), Coussy D.
Littérature et identité créole aux Antilles, Rosello M.
Littérature franco-antillaise (La), Antoine R.
Littérature francophone et mondialisation, Veldwachter N.
Littérature ivoirienne (La), Gnaoulé-Oupoh B.
Littératures caribéennes comparées, Maximin C.
Littératures d’Afrique noire, Ricard A.
Littératures de la péninsule indochinoise, Hue B. (dir.)
Le métissage dans la littérature des Antilles fr., Maignan-Claverie Ch.
Maryse Condé, rébellion et transgressions, Carruggi N. (dir.)
Mobilités d’Afrique en Europe, Mazauric C.
Mouloud Feraoun, Elbaz R. et Mathieu-Job M.
Nadine Gordimer, Brahimi D.
Parades postcoloniales, Moudileno L.
Poétique baroque de la Caraïbe, Chancé D.
Roman ouest-africain de langue française (Le), Gandonou A.
Trilogie caribéenne de Daniel Maximin (La), Chaulet-Achour C.
Achevé d’imprimer en septembre 2014
sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery
58500 Clamecy
Dépôt légal : septembre 2014
Numéro d’impression : 408126

Imprimé en France

La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim'Vert®

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