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Explication linéaire de 17ème

« Les lettres choisies » de Madame de Sévigné sont publiées à titre posthume en 1726, et
rassemblent les relations épistolaires que celle-ci enrichie, notamment avec une correspondance bi-
hebdomadaire soutenu avec sa fille Françoise Marguerite de Grignan à la suite du départ de cette
dernière pour le sud. Cette séparation la bouleverse tant qu’elle se réfugie dans la prose, exprimant
une détresse profonde qui marque une nouvelle phase dans la vie de Madame de Sévigné. Les 764
lettres dépeignent avec un humour et une ironie très présente, tout en les relatant avec attention, les
mœurs de son époque. La lettre des foins, datant du 22 juillet 1671, n’y fait pas exception. Madame
de Sévigné entreprend de raconter à son cousin, monsieur de Coulanges, une anecdote de son
quotidien sur le ton de l’humour tout en essayant de persuader son interlocuteur par le biais de la
verbe et d’éléments rhétoriques que son acte fût juste et que ce dernier ne doit pas prendre Picard à
son service. Cette lettre est écrite rapidement, dans un style oralisé car rédigé dans la précipitation.
De plus nous pouvons souligner qu’elle n’est qu’un résumé allégé des faits traités dans la lettre
précédente, datant du même jour, adressée à sa fille, Madame de Grignan. Dans cette lettre, la
marquise se pose comme une narratrice originale nous offrant un récit à suspense ponctué d’humour
et d’exagération dans une lettre se voulant légère. À partir de là, nous pouvons nous demander
comment Madame de Sévigné, à travers la narration de l’incident des foins nous propose un modèle
de récit idéal alliant entretien du suspense et humour ironique ? Cette très courte lettre peut se
découper en deux grands temps. Dans le premier, allant de la ligne 1, « ce mot sur la semaine », à la
ligne 32, « on sait faner », Mme de Sévigné justifie l’écriture de cette lettre à travers une captatio
malevolentiae envers Picard avant d’exposer à son cousin la situation dans laquelle elle se trouve et
les enjeux de cette dernière. Dans le second allant de la ligne 32 à la fin de la lettre, « des narrations
agréables », la marquise relie la situation initiale au fameux Picard en le plaçant comme élément
perturbateur qu’elle a congédié, avant d’achever son récit sur une conclusion aux allures d’art
poétique.

La lettre commence par la salutatio, suivant le cadre rhétorique de la lettre, passant par une
expression très familière « par dessus le marché » (l-1). Cela prouve que Madame de Sévigné
s’exprime à quelqu’un d’intime, en qui elle a confiance et qu’elle n’a donc pas besoin d’utiliser de
longues phrases de politesse. La lettre commence par le pronom démonstratif « ce » pour marquer le
caractère sensationnel. En effet, Madame de Sévigné est contrariée et elle doit absolument en faire
part à son cousin afin de le rallier à sa cause. De plus, cette lettre n’était pas prévue et est une
conséquence directe du renvoi de Picard, il est donc nécessaire de justifier son écriture et d’insister
sur sa singularité puisqu’elle va très vite s’avérer être une lettre informelle. Cette impression est
accentuée par le début in medias res et le style d’écriture plus pure, voir instinctif de la marquise.
Elle va droit au but, démontrant dès les premières lignes l’agacement qu’elle éprouve avec l’adverbe
du mécontentement « seulement » mis en opposition avec l’adjectif juxtaposé « tous ». L’objet de
ces sentiments est désigné deux fois par la dislocation « ….Picard ; et comme il est le frère du laquais
de madame de Coulanges,… » et est mis en opposition avec le « je » présent en fin de phrase
montrant qu’elle veut reprendre le contrôle de la situation. Elle utilise l’art oratoire, instaurant, dans
un plan très embrayé, un dialogue avec le « vous » et met en place une captatio malevolentiae
envers Picard à travers des procédés ironiques comme l’antiphrase « vous aurez bientôt l’honneur de
voir Picard » (l-4). Madame de Sévigné cherche donc à persuader son interlocuteur en utilisant le
terme hypocoristique « mon cher cousin » (l-3) écrit entre virgules pour le mettre en valeur. Elle joue
ici sur une modalité affective en rappelant dès la première phrase leur lien de parenté et leur affinité.
De plus, elle justifie sa prise de parole, car elle n’est pas censée lui parler ce jour-là, par le
polysyndète « et » présent au début des deux propositions coordonnées et l’anacoluthe créée par le
point-virgule séparant les deux arguments signifiant les raisons de la rédaction de la lettre. Elle finit
sa salutatio par « mon procédé » (l-6), montrant avant même le début de la narration une fierté dans
l’acte qu’elle a commis.
Ensuite, Madame de Sévigné fait l’exorde de son argumentation par la modalité intersubjective
« vous savez que » (l-7) qui semble apostropher l’interlocuteur. Cela a pour effet de dynamiser la
lettre et de maintenir un suspens tout au long de son récit. Ces tournures rhétoriques sont visibles à
divers endroits de la lettre captant l’attention de l’auditoire afin qu’il puisse suivre l’argumentation et
ponctue l’arrivée de nouveaux arguments, tout en entretenant le suspense. Suite à l’exorde, viens la
narratio où Madame de Sévigné expose le décor de la situation initiale à travers des déictiques de
temps et de lieu pour que l’interlocuteur puisse s’imaginer mentalement la scène. L’expolition et les
nombreuses dislocations « …la duchesse de Chaulnes est à Vitré : elle y attend » « le duc, son mari »
sont des processus d’emphase appuyant en fait un seul argument : le fait que la duchesse de
Chaulnes soit seule à Vitré. Madame de Sévigné se met en scène à travers la question rhétorique de
la ligne 10 s’achevant sur « j’extravague ». Ce verbe est une exagération montrant la certitude, elle
recherche ici la captatio benevoluntiae de son interlocuteur. Dans le même temps, elle cherche à
mettre en avant la solitude et la détresse mentale de la duchesse via l’isotopie de l’isolement  :
« toute seule », « mourant d’ennui » et l’antanaclase d’attendre « elle y attend », « Elle attend », « en
attendant » associé au gérondif qui est par excellence le temps de l’agonie, de la lenteur. Elle insiste
sur la situation de la duchesse pour mettre en exergue la place unique qu’elle occupe au sein de la
société aristocratique.
La phrase suivante débute par l’apostrophe négative « vous ne comprenez pas que cela
puisse jamais revenir à Picard » (l-13). Madame de Sévigné écrit avec humour et ironie, elle s’amuse
avec son interlocuteur avant de reprendre son argumentation qui sera par la suite une accumulation
d’hyperbole avec « elle meurt d’ennui » « sa seule consolation ». Ce parallélisme de construction
hyperbolique est ici pour mettre en exergue le lien cause, conséquence, l’interlocuteur passe de la
situation initiale avec Madame de Chaulnes à une focalisation sur Madame de Sévigné. Puis, elle
termine sa phrase en mettant en opposition le « je » aux demoiselles de Kerbone et de Kerqueoison,
la mettant d’autant plus en valeur puisque ces noms sont des sobriquets qu’elle invente pour amuser
sa fille. Nous pouvons remarquer au travers des lettres de Madame de Sévigné qu’à chaque fois que
le préfixe -ker est utilisé, c’est pour se moquer de certains personnages de cours, les tournant en
dérision via une sonorité burlesque et peu harmonieuse. Enfin, l’accumulation d’hyperboles et de
polyptotes « mourant d’ennui » « Elle meurt donc d’ennui » sont ici pour édifier l’ethos supérieur de
Madame de Sévigné par rapport aux autres, mais surtout par apport à Picard. Le jeu mélioratif et
l’abondance de superlatifs prouvent qu’elle sait qu’elle est au-dessus de tout le monde «  je l’emporte
d’une grande hauteur » (l-15). Madame de Sévigné termine sa grande démonstration de la situation
qui la relie à Madame de Chaulnes, visible par l’utilisation de la préposition « Voici » (l-15) qui est
impersonnel, unimodal et unitemporel, mis en opposition à la conjonction de coordination « mais »
montrant qu’elle va arrêter d’atermoyer et conclue la présentation d’un premier pôle de la situation
initiale. Le but est d’en venir aux véritables faits de cette lettre, c’est-à-dire le différend qui l’oppose
à Picard. Pourtant, elle continue dans l’exposition de la situation initiale, mais cette fois-ci en
abordant un autre point de vue. Mme de Sévigné passe de l’amie à la femme de maison qui se doit
de bien accueillir Mme de Chaulnes.
En effet, elle n’est pas prête à passer au cœur de l’action puisque s’en suit une phrase avec
une proposition principale alourdie par les deux conjonctions « comme » et « donc ». Cette phrase
n’est qu’une reprise de ce qu’elle a déjà répété auparavant. La marquise crée une mise en abîme de
ses arguments ne distribuant que petit à petit les événements et les ressorts de la situation. Suite à la
proposition principale, il y a une inclusion utilisant le futur qui est le temps de la certitude «  elle
viendra ici » (l-19) et montre l’empressement de Madame de Sévigné à la rédaction de sa lettre, car
la duchesse n’a pas encore eu le temps d’arrivée et l’évènement est donc tout récent. La dernière
partie de la phrase utilise la persuasion, elle joue sur les sentiments de son interlocuteur, monsieur
de Coulanges. Cela est visible en un premier temps par le verbe transitif de volonté « vouloir » qui
exprime le désir, associé à la modalité évaluative « ces grandes allées que vous aimez ». Le pronom
démonstratif « ces » prouve qu’elle en appelle aux souvenirs de son cousin et subséquemment à quel
point ils sont intimes tous les deux, il la connaît autant qu’elle le connaît. La persuasion de son
discours est également mise en évidence par la présence d’une dislocation « mes allées, ces grandes
allées » et de la répétition de l’adjectif « net » qui tend à mettre en avant son rang. Elle veut
impressionner la duchesse et c’est donc à son honneur que Picard s’attaque. La phrase suivante
débute une fois de plus par une modalité intersubjective à travers la question rhétorique «  vous ne
comprenez pas encore ?» (l-21). Cette question montre qu’elle va entrer dans la seconde phase de
son argumentation tout en lui permettant de maintenir l’attention de l’interlocuteur, d’entretenir le
suspense. De plus, toutes les tournures rhétoriques donnent une impression de conversation
dynamique retranscrivant la théâtralité de cette lettre. La reprise de la conjonction de coordination
« donc » à chaque répétition de faits montre un tic langagier démontrant une forte oralité de la lettre
et qui la conduit sans cesse à une relation cause/effet entre tout ce qu’elle dit. Tout est lié et tout a
un sens « Elle attend donc son mari », « Elle meurt donc d’ennui », « je suis donc sa seule
consolation ». Elle exprime point par point son procédé avec humour, ironie et rhétorique tout en
laissant percevoir l’exaspération que lui a provoqué la situation. Madame de Sévigné ne fait pas
attention aux tournures qu’elle utilise ce qui rompt avec son style d’écriture qui relève plus de l’art
poétique de récit dans ces précédentes lettres, constatation rendant très ironique la conclusion
qu’elle fait de sa lettre où elle part d’un « modèle des narrations agréables » (l-51).

Ainsi, la première partie de sa lettre se centre sur les ressors sociaux et mondains menant
Madame de Sévigné à cette situation. La description de la situation avec madame de Chaulnes est
d’une grande importance pour l’époque, d’où l’insistance là-dessus, car c’est le cœur de la vie de la
marquise. En outre, la venue de Mme de Chaulnes et son amitié permet de montrer la place que
l’écrivaine occupe dans l’espace mondain de son époque. Elle en parle à son cousin pour montrer
qu’elle se comporte parfaitement, en respectant les codes de l’époque dans une sorte de vantardise
formant aussi une manière de montrer à son cousin qu’elle fait honneur à la famille. Or, cette
situation sociale justifie la venue de Madame de Chaulnes et l’entretien des jardins, mais ne permet
toujours pas de relier cette situation au fameux Picard évoqué dans la salutatio.

Dans ce second temps de son récit, Mme de Sévigné montre enfin de lien entre Picard,
qu’elle présente dans son introduction comme élément central et motivant l’écriture de sa lettre,
Mme de Chaulnes et son jardin. En effet, après avoir exposé la situation initiale de son récit, elle
s’attaque à la description de la situation d’un point de vue pratique, et non social comme auparavant,
afin d’introduire l’élément perturbateur qu’est Picard. Cette partie s’ouvre à la ligne 22 avec l’usage
du présentatif impératif « voici » qui donne un nouvel élan à sa narration tout en jouant sur
l’intersubjectivité avec son auditoire. Elle continue l’énumération des ressorts de son récit en disant
« une autre petite proposition incidente » (l-23), utilisant un terme technique d’analyse narrative,
consciente des étapes de son récit. L’ouverture de la proposition juxtaposée par « vous savez »
insiste encore sur la modalité intersubjective de son discours avec cette adresse directe, logique dans
une lettre, donnant l’impression d’être dans un réel dialogue avec une forte expression de la fonction
phatique. De plus, l’appel au savoir de son cousin replace de dernier dans un contexte familier, ce qui
resserre les liens les unissant. Cette phrase introduit donc une nouvelle information pour
comprendre la suite de l’intrigue : « on fait les foins ». Cette proposition simple pose un deuxième
contexte de narration centré cette fois sur une activité concrète et qui concerne tout le monde,
comme le montre l’usage du pronom personnel indéfini « on » : le fanage. À la ligne 24, Mme de
Sévigné se place comme quelqu’un de pragmatique et de logique lorsqu’elle décide d’inverser la
place de ses gens et des paysans. Les deux propositions juxtaposées courtes commençant par « je »
marquent la rapidité de l’enchaînement des événements. La première est négative, l’autre est
positive ce qui illustre que, pour répondre à un manque, Mme de Sévigné le comble de façon logique
et pragmatique. Elle justifie ici son acte en appelant à notre logos et va continuer à argumenter en
faveur de son geste durant la suite du texte.
Elle entame ensuite une description de la prairie tout en affirmant la proximité entre elle et
son cousin avec le déterminant démonstratif « cette prairie » et le déictique « ici » (l-26) qui
renforcent la modalité intersubjective. Elle met presque en scène son récit, sans prendre en compte
la distance, et donne de la vie à son histoire, un élan de vitalité en nous incluant concrètement dans
sa narration. La description du champ en lui-même vient en faveur de son argumentation puisqu’elle
parle d’une « prairie », renvoyant sémantiquement à un imaginaire bucolique et léger, célébré par
les poètes. Elle fait dès lors une présentation méliorative et renvoie aux images dépeintes de la
nature par les artistes ou décrites par les romanciers dans les pastorales, ce qui nous donne envie de
nous y rendre. Pourtant, cette description est loin de la réalité puisque faire les foins est un
dur labeur s’effectuant dans la chaleur et la poussière et non un petit batifolage dans les herbes
hautes. En effet, Mme de Sévigné nous décrit la scène de son point de vue de noble et est donc très
éloignée de la réalité du terrain. Elle parle d’ailleurs de ses gens comme s’ils étaient des pions
puisqu’elle utilise dans la phrase suivante trois verbes consécutifs à l’infinitif (prendre, venir,
nettoyer) montrant l’impersonnalité de ces actions. À la ligne 27, la question rhétorique «  vous n’y
voyez encore goutte ? » entretient le suspense narratif, Mme de Sévigné travaille au corps son
lecteur pour le mettre en tension en utilisant une expression idiomatique familière pour accentuer la
légèreté de la lettre et inviter son cousin à rire de cette anecdote avec elle. Mais juste après, nous
retrouvons de nouveau la marquise froide et puissante. Dans « et, en leur place, j’envoie », en
réutilisant de nouveau « j’envoie » (l-24 et l-27), la marquise renforce l’impression que les ouvriers
sont des objets manipulables à souhait, puisqu’en tant que sujet supérieur elle peut les envoyer ici
ou là au gré de ses envies. Elle se place dans une position omnipotente et n’hésite d’ailleurs pas à
utiliser un possessif pour parler de « mes gens ».
S’ensuit ensuite une focalisation sur l’action de faner elle-même, étant le cœur du désaccord
entre Picard et elle. Nous retrouvons en seulement deux lignes trois occurrences de « faner » à
l’infinitif, plaçant le verbe comme sujet, qui marquent que c’est ici le cœur de la lettre, car la base du
conflit. À partir de là, Mme de Sévigné se lance dans une explication de son point de vue sur le
fanage. Pour ce faire, elle lance la question « savez-vous ce que c’est que faner ? » (l-28) afin de
renforcer l’intersubjectivité avec son cousin. Néanmoins, il est notable dans cette question qu’elle
cherche à se détacher de son image de mondaine, afin de faire passer au premier rang une oralité
familière, lui permettant d’affirmer son bon droit pour parler d’une activité paysanne qu’elle n’a
jamais pratiqué. La construction est, en effet, bancale syntaxiquement, « savez-vous ce qu’est
faner ? » étant plus juste et au vu de l’éducation de la marquise, elle ne peut ne pas en avoir
conscience. Suite à cette question, Mme de Sévigné se pose comme la détentrice d’un savoir absolu
en disant « il faut que je vous explique ». L’alliance entre l’auxiliaire modal « falloir » et la tournure
impersonnelle vient insister sur la nécessité : il est essentiel que Coulanges sache ce qu’est faner
pour comprendre la suite de l’intrigue. à travers cette modalité déontique, elle justifie son explication
de l’activité, sous couvert de rendre compréhensible son récit, alors qu’en fait elle ne décrit pas la
réalité du fanage mais en donne une vision extrêmement méliorative. Cela créait en nous une jolie
image des foins qui nous pousse à nous demander dans la suite de la lettre pourquoi, si faner est si
bien, Picard refuse d’y aller. La seule réponse que nous avons, et cela à cause de la description
tournée à son avantage par Mme de Sévigné, est que Picard est un homme dédaigneux et précieux.
En réalité, Mme de Sévigné nous donne une image bourgeoise des activités paysannes qu’elle n’a
jamais fait que regarder de haut sans y participer. Nous comprenons donc pourquoi à la ligne 30, elle
dit que « faner est la plus jolie chose du monde ». Cette hyperbole méliorative et totalisante de l’acte
de faner renvoie encore une fois à la motion d’esthétique avec l’adjectif « jolie » qui rappelle l’idée
de peinture. Mme de Sévigné, nous dépeint l’acte de faner comme le ferait un artiste, d’un œil
extérieur. Elle utilise le présentatif « c’est » pour donner une définition simple et ne laissant pas de
place à une autre vision puis donne une vérité : retourner du foin. Mais cette vérité sur le fanage est
tout de suite contrastée par le gérondif « en batifolant » qui nous rappelle l’image bucolique déjà
esquissée. Le fanage apparaît comme une activité agréable et simple, comme une partie de
campagne pour les basses classes sociales. Le gérondif dénature donc l’acte réel de faner : oui c’est
retourner l’herbe fauchée, mais cela ne peut pas s’apparenter à du batifolage. Cette phrase s’achève
sur une incise finale introduite par le « ; ». Cette proposition mise en avant, courte et simple, sonne
comme une conclusion de son explication ce qui réduit l’acte de faner à ce qu’elle a dit, suggérant
même que sa théorie suffit pour réussir la pratique, ce qui rend sa présentation à la fois méliorative
et réductrice de l’acte. Pour achever notre analyse de ce premier temps du second mouvement, nous
pouvons nous pencher sur la construction intéressante de cette dernière phrase dans sa globalité.
Mme de Sévigné dans sa définition ne s’embête pas d’une explication longue et approfondie avec
des exemples. Elle explique cela en une seule phrase avec une protase hyperbolique méliorative, un
cœur de phrase servant d’acmé et contenant la définition pure, et une apodose servant de
conclusion et se voulant réductrice. Elle montre ainsi l’implicite de l’acte tenant tout entier dans une
phrase, avec à la fin un rythme binaire accentué par la reprise du verbe savoir : « dès qu’on en sait
tant, on sait faner » (l-31) ce qui laisse échapper une forme de dédain de sa part pour cet acte si
simple, si léger et si peu intellectuel.
La ligne 32 marque le début d’une nouvelle étape du récit. Après avoir exposé longuement la
situation initiale en montrant la base du problème et les enjeux sociaux qui en dépendent, voici enfin
l’introduction de l’élément perturbateur annoncé dans la salutatio. Nous avons donc une première
image, « tous mes gens y allèrent gaiement », rappelant, suite à la définition, l’image bucolique,
idyllique et florale suggérée par l’adverbe « gaiement » supposant joie et légèreté. Mais cette
première proposition sert surtout à contraster la deuxième juxtaposée. En effet, les deux
propositions, opposant tous les gens à Picard, s’opposent sémantiquement avec le « tous » opposé à
« le », article défini singulier, et « seul » qui s’oppose à la totalité. Les deux verbes de mouvement
s’opposent aussi avec « y allèrent » illustrant une prise de distance, contre « me vint dire » suggérant
un rapprochement et incluant directement Mme de Sévigné en tant que COI. La tournure oralisée
« le seul Picard » illustre le dédain que la comtesse éprouve pour lui puisque mettre un article devant
un prénom ou nom de famille marque soit une forte familiarité entre le locuteur et le sujet, soit un
fort mépris.
À partir de cette introduction de Picard en opposition avec tout le monde et donc connoté
négativement, Mme de Sévigné fait, à la ligne 33, une accumulation des arguments de ce dernier à
travers quatre propositions conjonctives en « que ». Cet enchaînement de propositions forme un
discours indirect de Picard introduit par le verbe locuteur « dire ». Mais cette retranscription de
paroles se fait uniquement à travers les quatre incises conjonctives qui passent au second plan face à
la proposition principale de la phrase centrée sur Mme de Sévigné. Nous pouvons même nous
demander si nous ne sommes pas dans un discours narrativisé puisque la marquise ne garde des
paroles de Picard que l’objection, deux raisons à cette objection et la conséquence de cette
objection, ce qui forme le cœur de ses paroles, mais pas l’intégralité. Nous notons d’ailleurs ici un
défaut épistolaire puisque Mme de Sévigné dans sa lettre se focalise uniquement sur elle, sur ses
actions, réactions, sa place. Ici, elle refuse de présenter les raisons de Picard pour se focaliser sur elle,
tout comme au début de la lettre, elle parle de Mme de Chaulnes en mettant l’accent sur sa place
privilégiée auprès de cette dernière. La présentation des paroles de Picard est aussi intéressante, car
tous ses arguments sont dans des tournures négatives alors que les paroles de Mme de Sévigné sont
toujours positives. Il est en opposition, en négation, alors qu’elle est celle qui va dire «  oui » à sa
provocation de partir. Elle répond à ses envies et le laisse partir pour Paris en le congédiant comme il
l’a lui-même demandé.
Nous avons une forme d’ironie de la situation qui la rend drôle, uniquement pour la
marquise, qui se montre fière de son bon tour au point de le raconter à sa fille dans la lettre
précédente et à son cousin dans ce mot court. Sa façon de retranscrire les paroles de Picard nous
donne presque l’impression qu’il fait un caprice, que ses arguments ne sont pas recevables et futiles.
À travers l’interjection « ma foi ! » (l-36), Mme de Sévigné se fait conteuse et incorpore même des
marques de sa réaction première pour apporter un effet d’immédiateté. Elle n’hésite pas à affirmer la
focalisation sur sa personne à travers une allégorie de sa colère reprise dans l’expression très
imagière, et une nouvelle fois familière, « la colère me monte à la tête ». À partir de la ligne 37, nous
faisons une plongée dans l’esprit de Mme de Sévigné avec le verbe « je songeai » introduisant une
nouvelle hyperbole « la centième sottise ». L’usage du mot « sottise » recoupe la volonté
d’infantiliser Picard avec ce vocabulaire nous donnant l’impression que Picard est un enfant faisant
un caprice, enfant ingrat puisqu’elle l’a pris sous son aile comme tous ses autres gens. L’ingratitude
de Picard est renforcée avec la double restrictive « ni cœur ni affection » (l-38) qui vient, par effet de
contraste, donner une image de femme généreuse et affectueuse à Mme de Sévigné puisqu’elle est
tout le long de la lettre l’exact opposé de Picard. La phrase suivante insiste sur la bonté de Mme de
Sévigné qui s’est montré patiente et tolérante envers lui comme le laisse entendre l’expression «  la
mesure était comble », suggérant qu’il y a eu d’autres événements avant cela. À la ligne 38, elle
reprend une nouvelle expression : « je l’ai pris au mot ». Ici, elle exprime la fermeté de sa résolution
avec son isotopie : « demeurée », « ferme », la comparaison à un rocher. L’incise suivante montre un
rapport de cause conséquente avec la conjonction de coordination simple « et il est parti » (l-41).
Cette proposition est cinglante, courte, sans plus de manières et renforce l’isotopie de la fermeté.
Mme de Sévigné justifie ensuite son comportement avec la reprise, ligne 41 d’une maxime à
tournure présentative affirmative et faisant appel à la modalité déontique avec le mot justice  : « c’est
une justice de traiter les gens selon leurs bons ou mauvais services » (l-42). Cette phrase sonne de
façon ironique encore une fois, car il n’a pas fait de mauvais service, il n’a justement rien fait, et nous
pouvons même nous demander s’il a vraiment un tort, la marquise n’ayant pas à autant se justifier et
à utiliser tout son bagage argumentatif si c’est le cas.
À la ligne 43, elle revient à une adresse directe à son cousin en introduisant la justification de
l’écriture de la lettre. En plaçant son récit et l’entretien de son auditoire avant la justification de
l’écriture de la lettre, Mme de Sévigné ne respecte pas les codes épistolaires et reprend plutôt les
codes du conte, ce qui prouve que nous ne sommes pas dans une lettre banale. La raison de l’écriture
de cette lettre est d’ailleurs floue car nous sommes dans une formulation hypothétique. La marquise
n’est même pas sûre que Picard se présentera devant Coulanges mais elle lui livre tout de même une
mise en garde. Nous avons alors deux hypothèses possibles pour justifier son récit : soit elle veut
raconter sa version des événements avant que Picard ne se présente à lui, soit elle lui écrit
uniquement pour le plaisir du contage et du commérage et pour se mettre en avant à travers
l’exposition de sa riche vie sociale et de sa sagesse dans la gestion de sa maison. Suite à cette
hypothèse, elle enchaîne sur une enfilade de quatre impératifs et se montre très autoritaire sur son
cousin. Les impératifs ont une valeur de conseil pour préserver son cousin qu’elle aime tant, comme
elle l’a suggéré tout du long en jouant sur la modalité affective, de ce malotru. Les trois premières
juxtapositions, à l’encontre de Picard, sont intrinsèquement reliées avec une épiphore de « point » et
une anaphore de « ne le ». Mais, cette anaphore connaît une variante avec la dernière proposition
dont elle fait l’objet : « ne me ». En effet, elle peut se permettre de lui dicter son comportement
envers elle car, au vu du récit qu’elle lui a fait, lui prouvant qu’elle a raison, il ne peut la blâmer. Ce
dernier impératif sonne comme un ordre mais aussi une supplication de sa cousine qui l’affectionne.
La dernière partie de cette longue phrase se focalise sur un rappel des torts de Picard introduit par
« et songez que », ce nouvel impératif montrant qu’il est important, pour comprendre la situation, de
se rappeler que Picard est un enfant méchant. En disant « c’est le garçon du monde », elle utilise un
nouveau terme enfantin et très réducteur, allié à une hyperbole pour le blâmer de plus en plus. Son
tort est rappelé ensuite « qui aime le moins faner », ce qui à la suite de la description faite plus haut
du fanage, place Picard comme une personne ennuyeuse, précieuse, dédaigneuse et se pensant au-
dessus de toutes les joies simples de la vie, soit les plus grands torts selon la haute société de
l’époque (reproches d’autant plus ironiques puisque la marquise n’a jamais fané et ne voit ces petites
joies du peuple que de loin). La conjonction de coordination « et qui est » qui suit marque le lien
logique entre le fait que Picard n’aime pas faner et le fait que l’on ne doit pas bien le traiter. L’usage
du superlatif « le plus indigne » profile une nouvelle hyperbole finissant de le dénigrer et l’usage du
pronom personnel indéfini « on » montre que Picard ne mérite la reconnaissance de personne.
La ligne 47 marque le début de la conclusion de son récit et de sa lettre. Après avoir exposé
son récit et relié sa narration à la justification de sa lettre, Mme de Sévigné fait la péroraison. Elle
l’entame par l’impératif présentatif « voilà » qui marque sémantiquement la fin de l’histoire, allié à
« en peu de mots », justifiant le résumé et la longueur étonnamment courte de sa lettre par rapport
à celle adressée à sa fille juste avant et racontant la même histoire.
Elle ouvre sa peroratio sur une prise de parole rhétorique sur la littérature, sous couverture
d’exprimer simplement ses goûts littéraires subjectifs. Mme de Sévigné commence sa phrase
conclusive par l’affirmation de la subjectivité de cette prise de parole, subjectivité redoublée par
l’alliance du pronom personnel disjoint « moi », du pronom personnel sujet « je » et du verbe le plus
appréciatif de la langue française « aimer ». Mais juste après cette affirmation de subjectivité, la
marquise passe à une généralisation de son propos avec l’usage de déterminants articles définis
« les », « l’ » et surtout du pronom personnel indéfini « on » lié à plusieurs présents d’énonciation
simples. Mme de Sévigné forme une sorte de mini art poétique de la narration parfaite en donnant
trois règles articulées autour du « où l’on » anaphorique. Elle prône la simplicité de la narration avec
son isotopie : « nécessaire », les constructions restrictives et les trois constructions négatives avec
pour même idée sémantique la réduction des détails inutiles. Cette construction ternaire est rompue
par le « ; » qui fait basculer la phrase dans sa seconde partie, cette fois-ci réellement conclusive.
Mme de Sévigné conclue par un rappel de sa subjectivité avec le verbe « je crois », puisqu’elle ne
veut pas passer pour une faiseuse de morale ou une théoricienne et tient à garder sa posture humble
et généreuse. Elle dit qu’elle parle « sans vanité », la modalité épistémique contenu dans le « je
crois » laissant aussi la place à l’erreur et au doute. Néanmoins, elle termine tout de même en
parlant de « modèle des narrations agréables », prétendant que son récit de son aventure avec
Picard doit être pris comme un exemple, exemple d’autant plus attrayant qu’il est «  agréable » ce qui
est une grande qualité dans le monde aristocratique du XVIIème siècle, puisqu’il faut être agréable
pour divertir élégamment sans ennuyer ou en faire trop.
D’un point de vue anachronique, cette conclusion peut nous paraître ironique puisque nous
avons l’impression qu’elle ne suit pas ses propres règles puisqu’elle nous offre des détails inutiles
dans la première partie de sa lettre. Mais à l’époque, ces détails étaient nécessaires, car participaient
pleinement au divertissement produit par le récit dans ce microcosme de noblesse où les aventures
extraordinaires se faisaient rares. Néanmoins, la tournure de phrase laisse entendre que Mme de
Sévigné elle-même saisi l’ironie de la situation et fait ici, soit une critique de son style propre, soit
une critique des autres modèles de narration existants.

Pour conclure, la lettre du 22 juillet 1671 destinée à monsieur de Coulanges est une lettre se
distinguant des autres de par sa longueur et sa construction inédite mélangeant les codes de la lettre
et du récit romanesque. La marquise de sévigné soigne ici sa posture auprès de son cousin en
rappelant sa place privilégiée dans le milieu aristocratique. Elle y raconte sa mésaventure avec Picard
à travers un regard de femme noble et supérieure mais ce qui interpelle dans son récit humoristique
est la conclusion qu’elle en tire. En effet, elle conclue en prétendant donner un modèle de narration
parfaite. Cette prétention, liée au mini-art poétique qui en découle, nous interpelle car la lettre est
destinée uniquement à la lecture de son cousin et de quelques proches nobles. Quelle est alors
l’intérêt de conclure là-dessus au lieu de finir par les formules d’usage. De plus, cette lettre est
dissonante dans le recueil par plusieurs aspects tels que son oralité forte, le soin donné à l’entretien
du suspense, les tournures familières et l’ironie la parcourant. Voici autant d’éléments qui nous
feraient presque adhérer à la théorie exposée par Nathalie Freidel dans l’unique note reliée à cette
lettre : celle-ci serait un auto-pastiche de Mme de Sévigné se moquant de sa tendance à faire des
narrations-commérages trop en détails et exagérées, ou bien nous serions face à un faux dans le style
de l’auteur.

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