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Explication linéaire n°8: « le renoncement de la

princesse »

Introduction:
Madame de la Fayette écrit La Princesse de Clèves en 1678,pleine période du
classicisme. Cette œuvre est considérée comme le premier roman moderne de la
littérature française. Avec ce livre, elle renouvelle le genre du roman d’amour en
privilégiant l’analyse du sentiment amoureux. le roman suscitera de nombreuses
controverses morales, puisqu'il dépeint le tourment dans lequel est plongé la jeune
Mme de Clèves après sa rencontre avec un autre homme que son mari dont elle
tombe instantanément amoureuse.L'extrait qu'on va commenter est la dernière
entrevue entre Mme de Clèves et le duc de Nemours. Celui-ci plaide sa cause, mais
Mme de Clèves se refuse à l’amour et choisit le renoncement.

Nous nous demanderons comment ce dialogue parvient à faire l'alliance de la


lucidité et de l'imagination.

Nous montrerons d'abord que le discours de la princesse montre un souci


d’introspection. Puis, la princesse comme Nemours ont ensuite recours à
l’imagination. Enfin, la princesse répond négativement.

I. Le discours de la princesse montre un souci d’introspection:


A. Le portrait lucide du séducteur:
L’amour est d'abord présenté de manière négative, comme un désir de conquête de
l’autre pour satisfaire son amour propre : « Par vanité ou par goût, toutes les
femmes souhaitent de vous attacher ».
Les déterminant indéfini « toutes » et les adverbes « toujours » ; « souvent » ainsi
que la double litote (« à qui vous ne plaisiez » ; « à qui vous ne puissiez plaire »)
insistent sur l'infinie séduction de Nemours, qui paraît irrésistible, dans le discours
de la princesse.
Les formules « il y en a peu » ; « il n’y en a point » reprises dans le parallélisme et
associées à un présent qui a une valeur générale donnent l’impression d’une vérité
indiscutable.
Il y a donc mise en avant des qualités de l'être aimé qui seront source de souffrance
pour l'amante.

B. La princesse adopte une véritable méthode de dissection


psychologique sur elle-même et Nemours :
Elle avoue ses faiblesses et ses peurs :
Pour imaginer son avenir en tant qu'épouse, elle n’utilise pas le futur mais le
conditionnel (« aurais » ; « oserais »). Elle préfère le conditionnel pour transformer
la possibilité du mariage en simple hypothèse, et même en une situation irréelle
qui ne doit pas se réaliser. Le choix du temps verbal est donc une manière de ne pas
laisser d'espoir à Nemours. Elle évoque le malheur conjugal qu’elle suppose associé
à cette infidélité comme en atteste le champ lexical de l’infélicité : « souffrance » ; «
plaindre » ; « reprocher » ; « plus d’amour ».
La passion est donc liée à la souffrance, puisqu’elle conduit inévitablement à
l'infidélité. Elle précise qu’on ne peut même pas en faire le reproche à un mari : « on
fait des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari, quand on n’a qu’à lui
reprocher de n'avoir plus d'amour ? ». Elle associe ainsi l’amour à la relation
hors-mariage, alors que le mariage ne peut conduire qu’à la fin de l’amour. La
princesse fait donc un tableau négatif du sort des femmes : la passion paraît
incompatible avec le mariage, les femmes mariées semblent vouées à n’être plus
aimées et à être trompées.

II. La princesse comme Nemours ont ensuite successivement recours à


l’imagination :
A. Le devoir dû au prince de Clèves semble extérieur à la princesse car il
arrive en dernier lieu du raisonnement :
Dans son deuxième argument, la princesse imagine accepter de supporter
l'infidélité de Nemours, suggérée par la périphrase « cette sorte de malheur » qui
reprend « cet état », afin d'introduire le second motif qui lui fait renoncer à ce
mariage : sa loyauté au prince de Clèves. Le prince est en effet présenté comme une
sorte de spectre : « croire voir toujours M. de Clèves ». Mme de Clèves mélange deux
espaces, la réalité et le fantasme, comme le souligne l'importance du verbe « croire
». L’énumération de tout ce que rappellera le fantôme de Clèves fait ressortir le
grand nombre de raisons qu'à Mme de Clèves de s’éloigner de Nemours. Le spectre
M. de Clèves est l’allégorie de la morale et de la culpabilité qui pèse sur l’individu.
B. Motivations présentées comme chimériques par Nemours:
Il cherche à persuader la princesse de plusieurs manières :
Il s’appuie sur l’argument de l’amour mutuel et profond (« un homme qui vous
adore et qui est assez heureux pour vous plaire »). La périphrase est galante : elle
évite de nommer directement le duc de Nemours.
Il utilise surtout un argument de moraliste : tournure générale (« ce qui nous plaît
»), présent : « il est plus difficile (…) de résister à ce qui nous plait et à ce qui nous
aime ». Il la rejoint ainsi sur cette idée (janséniste) que l’on ne peut rien contre sa
passion (idée qu’elle partage).
Mais après cette concession, il s’oppose à l’argument de la princesse (« mais »). Il
affirme son point de vue : le problème de la vertu est tombé (« cette vertu ne
s’oppose plus à vos sentiments » ). Il déboute le problème moral :le temps du deuil
décent est passé. Personne dans la société dans laquelle ils évoluent ne s’oppose à
leur mariage.
C'est une réponse d’honnête homme : pleine de mesure et de modération mais
touchante.

III. Réponse négative de la princesse :


Le chiasme « Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible, s'il
n'était soutenu par l'intérêt de mon repos, et les raisons de mon repos ont besoin
d'être soutenues de celles de mon devoir » montre que sa détermination est
focalisée sur son repos, sa tranquillité d’âme.
Lucidité de la princesse sur sa culpabilité mais surtout sur l’amour qu’elle
continuera à ressentir (« je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules et je
n’espère pas aussi de surmonter l’inclination que j’ai pour vous »).Mais aussi sur la
souffrance qu’elle va infliger (« m e rendra malheureuse, quelque violence qu’il
m’en coûte »). Elle reconnaît qu’elle souffrira d’un amour qui résistera au temps et
qu’elle s’interdit malgré tout. Ici on remarque l’apparition du temps futur qui
marque un changement dans l’énonciation : la princesse a la certitude que sa
résolution au malheur tiendra.
Sa requête est très ferme (« je vous conjure »), envers Nemours : « de ne chercher
aucune occasion de me voir », même si la formule « par tout le pouvoir que j’ai sur
vous » met une touche de tendresse et contient l’aveu d’une entente. L’association
de l’ordre formel et de la tendresse est à l’image de la douleur de leur situation.
Conclusion :
L’être humain paraît le jouet des passions ou de la destinée. Le bonheur semble
finalement refusé à l’homme : la passion ne dure pas, le mariage est mal assorti. Il
ne reste plus que le repos, sorte de renoncement, de retrait loin des passions
éphémères du monde et de ses blessures, d’une forme de sagesse tournée vers les
choses d’en haut qui ne sont pas soumises à la finitude. Cette œuvre s’inscrit dans
un pessimisme moral teinté de jansénisme propre à cette époque, et auquel
participent notamment les Maximes de la Rochefoucauld, moraliste proche de
Mme de Lafayette.

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