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EL N°9 extrait du chapitre 19 de Candide, Voltaire (1759) de « En approchant de la ville » à « horrible»

Eléments d’introduction :
Voltaire auteur du 18ème siècle (1694-1778), philosophe français des Lumières qui écrit contre l'intolérance.
Candide ou l'optimisme, publié en 1759, est un conte philosophique (un apologue, argumentation indirecte, fiction pour
forcer à réfléchir) où Voltaire critique la vision optimiste « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Ceci
est une réaction envers certains philosophes de l'époque (comme Leibniz).
Ce chapitre 19 de Candide, « le nègre de Surinam » constitue une dénonciation de l'esclavage et l'exemple même de
l'atteinte aux droits de l'homme et à la liberté. Cette page est un violent réquisitoire contre l’esclavage. Elle s’inscrit à
l’époque dans un vaste mouvement d’opinion qui le dénonce et demande son abolition. Montesquieu, dans L’Esprit des lois,
en fait une satire célèbre au chapitre intitulé « De l’esclavage des nègres ». En France, il faudra attendre 1848 pour que
l’esclavage soit définitivement aboli dans nos colonies. Dans cet extrait le héros Candide rencontre un esclave noir.

Problématiques possibles : En quoi cet extrait de Candide est un violent réquisitoire contre l’esclavage ? ou Comment ce
texte dénonce-t-il l’esclavage ?

Le mouvement (= structure) du texte :


Le texte comprend 3 parties.
Annonce du plan linéaire (qui va suivre le mouvement linéaire du texte) :
Partie 1 : l.1 à 4 La rencontre de l’esclave mutilé (début à « où je te vois »)
Partie 2 : l.4 à 9 les horreurs de l’esclave (jusqu’à du sucre en Europe »)
Partie 3 : l.9 à 16 le réquisitoire contre l’esclavage

I. La rencontre de l’esclave
• Emotion et indignation
Les héros rêvaient de bonheur. Ils ne s’attendent pas à trouver sur leur chemin un homme dans un état aussi déplorable.
Pathétique, sensibilité + émotion et indignation.
• La description de l’esclave est sobreàsuscite d’emblée la pitié, registre pathétique.
Situation d’humiliation, sa posture : il est « étendu par terre ». Son dénuement, ses habits déchirés est traduit par l’adverbe
négatif restrictif « ne...que ». L’auteur ne s’apitoie pas mais constate les infirmités : « il manquait à ce pauvre homme la
jambe gauche et la main droite ». Présentation réduite où ne sont retenus que les détails marquants. Champ lexical de
la misère avec les termes : moitié, manquait, étendu, pauvre ». L’expression pathétique « pauvre homme » possède un
sens à la fois matériel et affectif.
• Réaction émue de Candide double exclamation et interrogation :
« Eh ! mon Dieu ! [...] où je te vois ? ».
- Spontanéité de Candide, toujours sensible à la souffrance d’autrui. Tournures interrogatives et exclamativesàintensité de
l’émotion. Interjection « eh » associée à l’apostrophe « mon Dieu » souligne la compassion de Candide
- Adjectif péjoratif « horribleàmet en avant son rejet de la situation, de ce qu’il voit, il fait écho à l’adjectif « pauvre »
utilisé par le narratuer dans la 1ère partie du texte.

II. Les horreurs de l’esclavage : Le discours de l’esclave


• La situation de l’esclave
- « J’attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant ». L’adjectif mélioratif « fameux » peut aussi être
pris en un sens ironique : le négociant est certes connu, mais plus pour sa cruauté que pour ses vertus. - Fantaisie verbale
sur le nom « Vanderdendur » : il s’agit d’un nom- portrait qui contient dans sa forme la fonction et le caractère du
personnage. L’allitération en « d » fait d’emblée de lui un être ridicule et antipathique. La première partie du nom nous
apprend qu’il s’agit d’un négociant hollandais : « vander » est la transcription sous une forme hollandaise de l’homonyme «
vendeur » ; l’autre partie du nom : « - dendur » nous révèle l’agressivité du personnage : « il a la dent dure », un vendeur
qui n’a aucune de compassion, prêt à mutiler son esclave pour punir. Un négociant dont la prospérité repose sur la misère
des esclaves. Chez Voltaire, on voit que la fantaisie verbale se met au service de la fiction et de l’argumentation indirecte.
• L’esclave explique la raison de son état
Voltaire concentre l’effet du registre pathétique en ne retenant que les détails frappants : caleçon, main, jambe.
« C’est l’usage »àdésigne le traitement dont l’esclave a été victime ; sous-entend une logique de l’habitude à laquelle le
nègre semble se soumettre ; ses malheurs obéissent à une loi supérieure qui n’a d’autre justification que la tradition
(référence au code noir).
Les 2 propositions circonstancielles de temps « quand nous travaillons … » et « quand nous voulons nous enfuir … »
présentent 2 situations différentes mais dont le résultat est le même : la mutilation ; la répétition « on nous coupe » entraîne
un sentiment d’horreur et de compassion.
• Une résignation neutre et objective
L’esclave se contente de juxtaposer sobrement les informations : « On nous donne un caleçon [...] je me suis trouvé dans les
deux cas. » Le constat objectif de l’esclave s’articule autour de trois expressions parallèles formant une sorte de rengaine
tragique : « On nous donne... on nous coupe... on nous coupe... ». Cette juxtaposition de faits produit une accumulation qui
fait mieux ressortir la cruauté des esclavagistes.
• Mais l’esclave s'autorise un commentaire critique :
Ironie, euphémisme : C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ». Voltaire montre l'horreur de l'esclavagisme :
on mutile pour faire baisser le prix du sucre->argument déjà pris par Montesquieu. Ici Voltaire prend la parole par la bouche
de son personnage pour dénoncer le scandale. Par cette phrase incisive, le conte devient pamphlet (= court récit satirique
attaquant avec violence un gouvernement, une institution ou un personnage connu). Ce que Voltaire met en évidence, c’est
le décalage monstrueux entre l’insouciance des Européens et les souffrances de ceux qui sont à leur service aux colonies (la
gourmandise de manger du sucre s’appuie sur le malheur des esclaves). Le narrateur dénonce l ’attitude inhumaine et
égoïste des Européens.

III. Le réquisitoire contre l’esclavage


• L’esclave raconte alors sa vie
Les paroles de la mère montrent qu’elle souhaite le bonheur de son fils, elle lui recommande d’être religieux pour être
récompensé comme le montre l’impératif « les fétiches … adore-les, ils te feront vivre heureux » et rendre heureux ses
parents « tu fais la fortune de ton père et de ta mère ». Le mot « fortune » joue sur le double sens de richesse et de
bonheur. Elle prêche à son fils l’acceptation de l’ordre établi et le persuade, contre toute évidence, de son bonheur.
L’interjection « Hélas » souligne amèrement et ironiquement qu’il a pê permis la richesse de ses parents, mais eux, pas son
bonheur. Par un renversement absurde, la condition d’esclave devient un « honneur ».
- Les « fétiches », qui sont d’ordinaire des petits objets matériels adorés, désignent dans ce contexte les prêtres de la religion
catholique. Par cette appellation amusante, Voltaire se moque d’elle en la réduisant à du fétichisme.
• Rupture dans le discours et prise de recul de l’esclave
Indignation et dénonciation
- On n’accorde même pas aux esclaves la dignité accordée aux animaux. Indignation soulignée par l’accumulation
bouffonne d’animaux : « les chiens, les singes et les perroquets », et par l’hyperbole : « mille fois moins malheureux que
nous ».
- L’esclave s’en prend alors directement à l’attitude des prêtres à l’égard des Noirs. Voltaire, par sa bouche, dénonce le
paradoxe hypocrite des Hollandais qui consiste à convertir les Noirs et à prétendre qu’ils sont les égaux des Blancs, alors
que dans les faits ils sont traités comme des sous- hommes : « Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les
dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs ; mais si ces prêcheurs disent vrais, nous sommes tous
cousins issus de germain. » Alors qu’ils prétendent aspirer à une fraternité religieuse, les Hollandais se sentent supérieurs
aux noirs et les mettent en esclavage, décalage entre leurs discours et leurs actions.
- Sur un ton poli et détaché, l’esclave dénonce l’attitude contradictoire, mensongère et scandaleuse des chrétiens
(un syllogisme = un raisonnement composé de trois propositions dont la troisième dérive nécessairement des deux
premières). Mais, dans la réalité, la conséquence ne correspond pas à la logique des deux premières propositions. Sur un ton
ironique, il feint de croire qu’ils disent la vérité : « si ces prêcheurs disent vrai ». En développant la logique de la
fraternité entre les hommes prônée par le christianisme, il fait mieux éclater le scandale qu’introduit fermement « or », la
conjonction de coordination : « Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus
horrible ». L’ironie tourne ici à l’indignation et prend la forme d’un euphémisme, qui décrit poliment, par une expression
adoucie, le sort lamentable fait aux Noirs par leurs soi-disant frères blancs. Paradoxe entre le discours de l’Eglise
catholique et le sort lamentable réservé, dans les faits, aux Noirs.
L’interjection « Hélas ! » introduit une rupture et apporte un démenti à cette promesse de bonheur. Sur un ton désabusé et
détaché, l’esclave se décrit avec humour : « Je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne ». Cette
attitude de recul vis-à-vis de la situation lui permet de faire une analyse sévère des rapports de l’Eglise avec les Noirs.
Le passage du « je » au « nous » montre que maintenant l’esclave se fait l’avocat de la cause des esclaves en général.
L’émotion est concentrée dans l’adjectif péjoratif « horrible », mis en relief à la fin de la phrase et faisant dramatiquement
écho au même mot employé par Candide au début du texte.

Conclusion :
Cet extrait de Candide est basé sur le constat de l'infamie de la traite négrière. Il décrit de manière authentique la cruauté
des négociants. Au premier abord, le fait que le point de vue soit externe tend à nous faire penser que le constat est neutre.
L'étude de ce texte nous montre que c'est Voltaire qui s'exprime à travers l’esclave. C'est pourquoi on peut dénoter de l'ironie,
notamment quand Voltaire traite de la religion. Comme nous l'avons dit auparavant, le constat paraît neutre. Pourtant la
description très crue de la mutilation des esclaves et du négoce de ceux-ci suscite un sentiment de révolte et d'indignation
chez le lecteur. C'est pourquoi nous pouvons déduire que ce texte participe fortement au combat de Voltaire contre
l'intolérance et l'injustice. Par le pathétique et par l’ironie, Voltaire dévoile le caractère ignoble de l’esclavage afin de secouer
la bonne conscience des européens.

Voc. Le code noir est le titre qui a été donné à l’Ordonnance royale de Louis XIV de mars 1685. Le Code noir vise notamment
à favoriser la culture de la canne à sucre, qui se développe alors dans les Antilles, sans aucune législation concernant
les esclaves. Par cette ordonnance, Louis XIV légifère notamment sur la condition des esclaves, et officialise ou édicte un
certain nombre de pratiques : les dimanches et fêtes chrétiennes seront obligatoirement chômés ; une nourriture suffisante est
exigée, de même pour l'habillement … les maîtres ne peuvent tuer leurs esclaves ; et des limites sont fixées aux châtiments
corporels. Cependant, en l’espace d’un siècle, toutes ces règles ne seront pas respectées par les propriétaires.

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