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La

Ville, Verhaeren
Poète Belge (1855-1916) de la fin du 19 eme s, Verhaeren veut montrer que la ville et plus globalement le
monde moderne, par ses transformations, peut devenir poétique. Mais Verhaeren critique aussi la misère des
villes, nostalgique de ses plaines natales. Il critique l'exode rural, et le travail harassant des hommes en
proposant des poèmes d'inspiration fantastique et sociale (voir "Usines, "Villes tentaculaires"). Le premier
poème “La ville” que l’on va étudier, extrait de son recueil Campagnes hallucinées publié en 1893, annonce
des thèmes se rapportant aux villes tentaculaires.


PROBLÉMATIQUE : Quelle représentation l'auteur donne-t-il ici de la ville ?

I : LA VILLE : UN ESPACE CHAOTIQUE ET GIGANTESQUE V.1 à 16
L’inquiétude, le doute entre la vision du réel ou de l’irréel dominent à la lecture du poème. (Le titre du
recueil dont est extrait le poème, Les Campagnes Hallucinées, énonce clairement un choix esthétique non
réaliste)
V 1, monostiche : permet de mettre en valeur la ville avec l'utilisation du pronom indéfini “tout” qui
marque aussi le présent de vérité générale + le poète souligne le choix multiple des chemins, il montre
que la ville est incontournable, cette première strophe met en avant le caractère vertical
Un lieu fantastique : la ville surgit « des brumes v2 », comme un mirage, elle semble sortir « comme d’un
rêve vv5 » (comparaison), comme une créature magique (registre fantastique).
- Mise en valeur de l'action : séparation syntaxique du groupe sujet verbe "elle s'exhume" par rapport
au rejet du complément en fin de vers.
- En outre, les vers irréguliers traduisent le rythme saccadé du poème (vers 6 : 2 syllabes ; vers 7 et
suivants 8 syllabes, nombreux décasyllabes crée un rythme chaotique qui correspond au sentiment
d’inquiétude engendré par le spectacle de la ville et accompagne la création de cette atmosphère
inquiétante qui corrobore l’atmosphère fantastique des 3 premiers vers.
Les figures mythologiques, les images du Sphinx et des « Gorgones v10 » renforcent l’atmosphère
sombre et fantastique
Une verticalité à l’infini (hybris : démesure chez les Grecs)
- Caractère hyperbolique du mouvement vers le haut : le poète est dans l’exagération lorsqu’il évoque le
mouvement vers le haut "de plus hauts étages v4" (expression au superlatif) ; "jusques au ciel v4".
- Présence de termes appartenant à l'architecture évoquant la verticalité (champ lexical de la
verticalité): "étages v3 » ; "hauts étages v4" ; "colonnesv9" ; « toursV11" ; « toits v12" ; "
- Les verbes renvoient également à cette notion : "dressant v13 (repris plus loin en écho au V 22) ;
"s’exhume v5"
- L’adverbe "debout v15 " (mis en valeur par son isolement, vers dissyllabique : vers de 2 syllabes, voir
l’horizontalité dénotée en opposition au vers suivant).
-Les déictiques spatiaux sont nombreux et concourent à la création d'un espace immense, sans point de
repère clair, qui s’étend sans limite : "du fond v2" "là-bas v6" "au bout v16", image des tentacules de la
pieuvre qui rampe
Þ La ville est perçue comme un espace à l’infini, chaotique, non maîtrisable, celle qui écrase le
paysage et s'oppose aux campagnes : c'est la dominante.
Un lieu chaotique
La ville semble n'obéir à aucune règle en matière d'architecture. C'est l'impression d'anarchie qui domine.
- Ses mouvements semblent ingérables voire inquiétants : les transports imitent le mouvement des
tentacules qui pénètrent partout souligné par l’expression : « ponts lancés à travers l’air v7/8 », caractère
inéluctable du mouvement.
- L'accumulation d'éléments architecturaux sans règle particulière concourt à cette impression
d'anarchie : "pont v7" "blocs v9" "colonnes v9" "tours v11" "toits v12" "angles droits v13" +anaphore en
"ce sont" qui semble éparpiller les éléments ça et là. Tout a l'air enchevêtré, tout s’entasse.
- La pluralité des éléments renforce l'impression d'entassement. "Tous ses étages v3" "des ponts v7" "des
blocs v9" "des colonnes" des tours v1 …
-l’hyperbole « de mille en mille » l’exagération renforce cette impression de lieu incontrôlable
Þ Le lecteur a comme l'impression que l'auteur fait une peinture abstraite, cubiste de la ville : la
représentation n'a pas de perspective, on note un mélange des plans, une accumulation
d'éléments architecturaux.

II : LA VILLE MONSTRE, DÉSHUMANISÉE V.17 à la fin
Une ville dévoreuse
- Parallèlement a cette image de la créature qui rampe, on trouve également l'image de la dévoration mise
en valeur par le registre fantastique : les "sous-sols de feu v20" sont comme des bouches qui dévorent
des "cubes d'ombre v19", et "les ponts s’ouvrant par le milieu v21" imitent le mouvement des mâchoires.
-Les déictiques spatiaux sont nombreux également dans cette partie et concourent à la création d'un
espace immense, sans point de repère clair, qui s’étend sans limite : « par à travers v24" Et tout là-
bas v27» « jusqu’aux v29 »de mille en mille v30"», ils reprennent l’image des tentacules de la pieuvre qui
rampe, à laquelle on n’échappe pas
- On a ici l'image d'une créature rampante dans la description des rails V31-33 et des rues v36-38(voir
aussi allitérations en R " les rails ramifiés rampent sous terre" v31 / "pour réapparaitre en réseaux clairs
d'éclairs" v33).
-Cette ville a non seulement dévoré la nature, absente, mais aussi l’homme qui n’est présent que par les
métonymies « les mains folles, les pas fiévreux v40 » ou bien dans les « foules inextricables v39 », il a
perdu son individualité. Il n’existe plus que comme une masse indistincte rendue encore plus anonyme
par l’emploi du pluriel ou un être dévoré réduit à des mains. Le poète, lui-même est absent
- La ville est une ville-pieuvre, métaphore de « la pieuvre » v 52: répétition du vers "c'est la ville
tentaculaire v35/51" dont l'image est reprise dans le vers initial "tous les chemins mènent vers les villes"
Þ Une ville déshumanisée qui dévore tout
Un lieu inquiétant : mélange de violence, folie et Mort
-Les preuves de vie présentes au sein du poème ne consistent qu'en des sons agressifs, allitérations et
consonnes gutturales – k et –g et assonances en –i « des quais sonnent aux chocs de lourds fourgons
v17". + "des tombereaux grincent comme des gonds ; (Allitération en /K/G désagréable) / « glissent,
inscrivent, filent, … » = ces sons désagréables font entendre le vacarme du vers 34
-des phrases contenant des sujets inanimés « des quais sonnent … des tombereaux grincent … « qui
montrent la déshumanisation de la ville
- champ lexical du « bruit v44, tumulte v44, vacarme v34 »
- La violence est aussi présente dans l’expression comparative "face à face comme en bataille v26".
Cette violence réside également dans le contraste entre l'obscurité des enfers « sous terre, puits,
cratères » (champ lexical de l’enfer) v31/32 et le rouge du feu qui détruit ("sous-sols de feu v20"
"fronton d'or" " lettre de cuivre v23" " réseaux clairs d'éclair v33")
-la violence de l’homme des villes est soulignée par la métaphore du vers 42 « Happent des dents le
temps », à l’origine de cette violence, sont le travail et l’activité économique qui mènent à la « démence
v50 » ; l’énumération des vers 43/44 crée un effet de violence et d’agitation « A l’aube, au soir, la nuit,
/Dans la hâte, le tumulte, le bruit ».
- La mort est enfin explicitement présente sous la forme des "gibets" que constituent les "mâts" des
navires au port.
-De plus, l'obscurité « au soir, la nuit », « les comptoirs mornes et noirs v47 » créent une atmosphère
douteuse et sans vie.
- Le texte se clôture sur l’avant dernier vers, le vers 54, un alexandrin et le dernier un vers de 2 syllabes
(dissyllabe), crée un rythme chaotique, une rupture qui correspond au sentiment d’inquiétude engendré
par le spectacle de la ville et accompagne la création de cette atmosphère inquiétante.

CONCLUSION : Ce poème particulièrement riche en symboles dénonce les faux espoirs que fait naître la
ville. L'espace urbain est un enfer où l'effort des populations s'épuise, à la recherche de l'argent, guidé
vers une mort rapide. La ville est celle qui dévore les hommes.

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