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Soleil »
Introduction :
Dans Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire révolutionne la poésie. Il y dépeint la tension intérieure entre le
spleen, source de détresse, et l’idéal, mouvement vers une perfection imaginaire. Baudelaire est également le poète de la
modernité et de la ville, comme le confirme la deuxième édition de 1861, consécutive au procès de 1857 qui a mutilé le
recueil en condamnant six pièces. Le poète crée à cette occasion une nouvelle section, « Tableaux parisiens », la
deuxième du recueil. Le poète assimile ainsi la ville moderne aux vices et à la misère, mais également à la rêverie, et à la
possibilité d’une beauté nouvelle. « Le soleil » est le deuxième poème de cette section. A travers le soleil, Baudelaire
évoque les pouvoirs salvateurs de la poésie. Comment le soleil est-il d’abord représenté comme l’inspirateur du
poète, avant de représenter les divins pouvoirs guérisseurs de la poésie ? Dans une première partie, correspondant au
premier huitain, Baudelaire raconte comment ses vers naissent de ses prom enades au soleil. Puis, dans une
deuxième partie, correspondant au deuxième huitain, le poème fait l’éloge du soleil, guérisseur de tous les maux. Enfin,
dans la troisième partie, le quatrain final, le poète est comparé au soleil, guérisseur universel.
I/ Premier huitain : Baudelaire raconte comment ses vers naissent de ses prom enades au soleil
Le poème s’ouvre sur deux alexandrins dépeignant Paris : « Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
/ Les persiennes, abri des secrètes luxures ». La rim e « masures / luxures » souligne l’alliance de la misère et du vice dans
la ville moderne. Le verbe «pendre» suggère la langueur et l’ennui dans une ville étouffante. Paradoxalement, la ville
Un chiffonnier est une personne dont le métier consiste à passer dans les
villes et villages pour racheter des choses usagées et les revendre à des
entreprises de transformation. Le chiffonnier est une figure emblématique des
villes du XIXème et de la première moitié du XXème siècle.
Avec la réglementation de plus en plus serrée du système de ramassage des
ordures entreposées dans des poubelles hermétiques, enlevées par des sociétés
spécialisées, ce métier a progressivement disparu dans les sociétés occidentales.
Exercé en France jusque dans les années 1960 par exemple par les
chiffonniers d’Emmaüs, il continue à l'être par des personnes dans une
situation économique de grande précarité ainsi que dans de nombreuses
régions du monde.
La deuxième strophe retourne au sujet premier annoncé par le titre : le soleil. Ce dernier est personnifié et
divinisé par la métaphore « Ce père nourricier » (v.9) qui renvoie au Père de la Trinité chrétienne. L’adjectif
« nourricier » crée néanmoins une image étonnante, la fonction nourricière étant traditionnellement un attribut féminin.
Les pouvoirs de l’astre sont salvateurs. Il guérit ainsi des maladies et de la faiblesse (« ennemi des chloroses », v.9), à la
manière de l’élixir que rêve l’alchimiste. Ses pouvoirs ne se limitent pas à protéger de la mort, puisqu’il donne aussi la
vie comme l’indique le verbe éveiller « Éveille dans les champs les vers comme les roses » (v.10). Le rythme équilibré des
alexandrins accentue l’impression de vitalité.
Baudelaire place au même niveau « les vers » et « les roses », ce qui crée un contraste surprenant entre la
putréfaction (les vers qui mangent les cadavres) et les roses, symbole de la beauté. Le soleil incarne donc l’alliance de
l’horrible et du sublime propre à l’esthétique baudelairienne et au projet des Fleurs du Mal. Les vers font également
songer par homonymie aux vers poétiques, le soleil devenant alors la source de la poésie. L’alliance antithétique
entre la beauté et la laideur est également présente dans la rime riche « chlorose/roses » qui lie deux termes opposés.
L’énumération des pouvoirs solaires se poursuit : « Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel, / Et remplit les cerveaux et les
ruches de miel. » (v.11-12).
Les Soleil est sujet de tous les verbes, ce qui renforce son om nipotence. Tel un dieu, il guérit des souffrances
morales : « Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel ». L’évaporation signifie la disparition mais aussi l’élévation, comme
dans le poème « Elévation » : le soleil abolit le spleen et porte vers l’idéal (« le ciel »).
Le soleil est également doué de vertus sociales : « C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles / Et les rend gais et doux
comme des jeunes filles » (v.13-14). L’antithèse « porteurs de béquilles » / « jeunes filles » montre que le soleil
transform e la vieillesse en jeunesse, comme l’alchimiste transform e la boue en or.
L’assonance en « i » fait entendre les rires des miséreux qui retrouvent les douceurs de la jeunesse : puisque « C’est
lui qui rajeunit les porteurs de béquilles / Et les rend gais et doux comme des jeunes filles »
Les pouvoirs du soleil permettent de rajeunir les êtres, mais également de les faire croître comme le souligne le champ
lexical de la croissance : « Et commande aux moissons de croître et de mûrir /Dans le cœur immortel qui toujours
veut fleurir ! » (v.15-16). La polysyndète (polysyndète : multiplication de conjonctions de coordination ; asyndète :
absence de coordination) en « et » insiste sur les pouvoirs de génération du soleil qui semblent sans fin : « Et les rend
gais et doux comme des jeunes filles, Et commande aux moissons de croître et de mourir ». L’adjectif « immortel »,
l’adverbe temporel « toujours », et l’emploi du présent de vérité générale présentent le soleil comme éternel : « Dans le
cœur immortel qui toujours veut fleurir ! ». Le point d’exclamation concluant la strophe exprime l’emportement lyrique
du poète qui perçoit dans le soleil une puissance supérieure.
Dans le quatrain final, Baudelaire établit une comparaison entre le soleil et le poète : « ainsi qu’un poète ».
Le poète, comme le soleil, « descend dans les villes » et « ennoblit le sort des choses les plus viles » (v.18). La rime des
homophones « villes/viles » assimile l’espace urbain des « Tableaux parisiens » à l’espace du vice et de la misère
(v.1-2). Mais le poète est celui qui, tel un alchimiste, transforme la boue en or comme le souligne l’antithèse «
ennoblit » / « viles ». Le poète fusionne les contraires, le beau et le laid, le prestigieux et le misérable. Comme le
soleil, il confère une dignité et une beauté à tout.
Le quatrain poursuit sa dynamique descendante pour suivre le soleil-poète qui s’immisce dans la vie de la ville. Ce
dernier « s’introduit en roi, sans bruit et sans valets, /Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais. » (v.19-20) Le poète est
un souverain comme l’indique l’expression « s’introduit en roi », mais c’est un souverain immatériel, spirituel comme
l’indiquent les locutions prépositionnelles qui expriment la négation: « sans bruits et sans valets ». Le poète solaire ne se
caractérise pas par ses richesses matérielles. Il est au contraire un justicier, indifférent aux conditions sociales. Il pénètre
ainsi dans des espaces antithétiques : les hôpitaux, où meurent les miséreux, et les palais, où vivent les puissants : «
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais ». Le poète est un rayon de soleil, une divine lumière spirituelle qui
soulage indifféremment tous les humains.
Conclusion :
Nous avons vu comment, dans ce poème, le soleil est d’abord représenté comme l’inspirateur du poète, avant de
devenir une métaphore des pouvoirs de la poésie. « Le soleil » témoigne d’une représentation ambivalente du
poète. En effet, le poète est dans la première strophe un misérable chiffonnier à la recherche de fantastiques
trouvailles langagières dans les rues misérables. Puis, à la dernière strophe, le poète est divinisé, doué des pouvoirs
surnaturels, comparé au soleil. Il guérit les maux du corps et de l’esprit, purifie l’espace souillé de la ville. Le poète solaire
est cet alchimiste des mots qui transform e la boue du langage en or poétique.