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Explication de texte : Francis Ponge, Le Parti pris des choses , « Le Cageot », 1942

Introduction : (Elle est trop longue, mais elle est aussi destinée à vous faire connaître la poésie de Ponge, vous y sélectionnerez les informations essentielles
pour une introduction traditionnelle)

Au début des années 30, Francis Ponge travaille aux Messageries Hachette, à Paris. C'est en traversant, comme
chaque matin, le quartier des Halles, que lui vient un jour l'idée de consacrer un poème au cageot. Objet banal,
insignifiant, méprisé, ce dernier mérite, aux yeux de Ponge, d'être redécouvert et réhabilité. Publié pour la 1ère fois en
janvier 1935 dans le numéro 1 de la revue intitulée Mesures, « Le Cageot » peut être considéré comme l'un des textes
majeurs du Parti pris des choses , recueil publié en 1942. Dans ce poème en prose, composé de trois courts
paragraphes, le poète présente l'objet en partant du mot qui le désigne. Il en propose une définition puis s'intéresse à son
destin et à la relation qu'il entretient avec l'homme. L'approche de Ponge peut, à première vue, paraître impersonnelle.
C'est en réalité avec humour et tendresse que le poète se penche sur l'existence du cageot. Sans intervenir directement
dans son texte (le pronom « je » en est absent), Ponge s'attache à rendre cet objet sympathique. Le poème est d'une
grande unité. Les trois paragraphes qui le composent sont exclusivement consacrés au cageot. Mais cette unité n'est pas
seulement thématique. Le fait que ces trois parties soient de longueur quasiment équivalentes confère à cette évocation
du cageot une unité formelle évidente. On peut voir dans la disposition graphique de ce poème en trois paragraphes,
comme le dessin de l'objet sur la page, fait de planches parallèles, à claire-voie ; cette forme serait alors un rappel des
Calligrammes.

La formulation adoptée par le poète est également un facteur d'unité. Faisant abstraction du point de vue de
l'homme pour ne s'intéresser qu'à l'objet, Ponge n'emploie jamais le pronom « je » et parle constamment du cageot à la
3è personne. Cette formulation volontairement impersonnelle renforce la cohésion du texte. Elle nous rappelle aussi le
titre du recueil « le parti pris des choses », volonté d'objectivité du poète. Le premier paragraphe est consacré à la
place du mot dans la langue française, le deuxième paragraphe révèle l’une existence éphémère mais utile de l’objet, le
troisième s’attache à la banalité de cet objet injustement ignoré.

Premier paragraphe : la définition d’un objet familier


Ponge s'intéresse à la place du mot dans la langue française et débute par une définition du mot. Il définit
ensuite ce mot comme pourrait le faire un dictionnaire : un cageot est « une simple caissette à claire-voie ». Il
désigne enfin sa fonction qui est de transporter des denrées périssables.
Dans ce premier paragraphe, Ponge semble donc faire table rase de tout savoir antérieur pour en revenir aux
données les plus élémentaires. Il procède comme s'il voyait l'objet pour la 1ere fois et nous invite à le re-découvrir.
Le poète ne cherche pas à nier la banalité de l'objet. A plusieurs reprises, il en souligne, au contraire, la
simplicité et la modestie : dès les premières lignes du texte, il précise que le cageot n'est qu'une « sim ple caissette ».
On peut le « briser sans effort ». C'est un objet utile et fonctionnel. C'est ce que connotent les termes « transport » et
« usage » ou les verbes « vouer » et « servir ».
Le poète fait allusion aux aliments périssables qu'enferme le cageot. Il souligne la fragilité des fruits (« une
maladie », « la moindre suffocation »)
Ponge s'intéresse autant au mot qui désigne l'objet qu'à l'objet lui-même. Dans la 1ère phrase du texte, il fait
référence explicitement à la place du mot dans le dictionnaire « entre cage et cachot ».
Ces références soulignent le fait que les denrées qu'il contient sont emprisonnées et privées de lumière. Avec
humour, Ponge joue librement avec la langue. Il laisse entendre que « cageot » serait un mot composé de « cage » et
du dernier son de « cachot » (cage + ot = cageot). C'est un mot-valise, deuxième strate du jeu de mot puisque la valise
sert à transporter des objets, comme le cageot.

Deuxième paragraphe : Un objet fragile et éphémère


Le Poète insiste maintenant sur le caractère éphémère de l'existence du cageot. Il précise d'abord que cet objet,
conçu pour être « brisé sans effort », ne sert pas deux fois. Il en déduit comme une évidence que la vie du cageot est
plus brève que celle des denrées qu'il enferme.
Le cageot a une existence fragile et éphémère : il « ne sert pas deux fois » ; « il dure » « moins encore que ».
Cependant, le cageot est tout le contraire d'un objet méprisable. Le poète ne parle pas de « denrées périssables »
comme on le fait habituellement de façon dépréciative, mais de « denrées fondantes ou nuageuses », expression
mélioratives, comme si le cageot devenait un écrin (cf « L'Huître » autre poème de Ponge). L'objet est valorisé pour les
services qu'il rend.
Cette valorisation indique que Ponge nous invite à la redécouverte d'un objet faussement ordinaire : sous des
apparences banales et médiocres, il enferme une réalité à la fois simple et précieuse.

Troisième paragraphe :
Le troisième paragraphe est sensiblement plus long que les deux premiers. Il s'achève sur une ligne qui occupe
pratiquement toute la largeur du poème. Si les deux premiers paragraphes font songer à la partie supérieure du cageot,
le dernier paragraphe rappelle la planchette, de taille supérieure, qui se trouve à sa base. Ponge veut adapter la structure
de son poème à la forme et aux caractéristiques de l'objet
Dans cette dernière partie du texte, Ponge change à nouveau de perspective et situe l'objet dans l'espace de la
ville : le cageot est présent « à tous les coins de rues qui aboutissent aux halles ».
Faisant allusion à la façon dont ce dernier est mis au rebut (il est « à la voirie jeté sans retour »), le poète en
revient au destin de ce malheureux objet.
L'allusion au quartier des Halles est significative : elle ouvre l'évocation de l'objet sur le monde du travail et de la
vie quotidienne. Objet simple et utilitaire pour des gens dont le travail est simple et utilitaire (rappel de la poésie de la
modernité avec ses allusions au monde du travail comme dans « Zone » d'Apollinaire, les belles sténodactylographes
par exemple
Le fait d'associer dans la même phrase, des termes qui connotent la nouveauté et des termes qui évoquent la
destruction et la mise au rebut, suggèrent la brièveté de l'objet : « tout neuf encore » ; « jeté à la voirie sans retour ».
l'emploi du verbe « jeter » et l'allusion aux cageots vides que l'on entasse sur les trottoirs rappellent que cet objet est
irrémédiablement voué à la destruction.
Sans jamais employer le pronom « je », Ponge exprime la tendresse et la sympathie que lui inspire le cageot. Il
le fait en le personnifiant. L'objet « se voue » au transport des fruits (premier paragraphe), il est « sans vanité »,
« légèrement ahuri ». Le poète dévoile même dans une hyperbole ses sentiments : le cageot est « des plus
sympathiques ». Un tel adjectif n'est pas choisi au hasard. Etymologiquement, ce terme est composé des mots grecs
« sun » et « pathos » qui signifient respectivement « avec » et « souffrance » : à l'origine, la « sympathie » est le fait
de partager la souffrance de quelqu'un. Emu par le sort que l'on fait au cageot, Ponge se veut solidaire de l'objet. Prendre
son parti, c'est d'abord tenter d'exprimer la tendresse et la compassion qu'il inspire.
Le texte s'achève sur un jeu de mots significatif qui nous invite à tirer une leçon de cette évocation, une sorte de
pirouette destinée à faire disparaître l'objet (« ne pas s'appesantir longuement »).
Le verbe est à comprendre de deux façons : dans son sens figuré, il suggère que le texte doit rester aussi léger
que l'objet qu'il décrit. On ne peut parler du cageot avec emphase : un tel sujet implique au contraire la concision, la
simplicité, la banalité. Mais ce verbe signifie aussi « rendre plus pesant » et laisse entendre que le cageot est un objet
fragile. Ponge demande donc au lecteur de le respecter et de mieux le considérer.

Conclusion :

Dans Le Parti pris des choses, Ponge invite à « un voyage dans l'épaisseur des choses, une invasion de qualités,
une révolution ou une subversion comparable à celle qu'opère la charrue ou la pelle, lorsque, tout à coup et pour la 1ère
fois, sont mises à jour des millions de parcelles, de paillettes, de racines, de vers et de petites bêtes jusqu'alors
enfouies ». Chaque être, chaque chose possède des richesses insoupçonnées et souvent invisibles. Ponge parle de
« sapate », objet d'apparence banale, qui dissimule en son sein quelque chose de valeur, chaque élément du réel mérite
d'être découvert, méthodiquement exploré. Dans ce recueil, les objets aussi banals que l'olive, la cruche, ou l'huître,
sortent de leur médiocrité pour devenir des objets poétiques à part entière.

La richesse du poème n'est pas tellement celle du thème mais celle du travail poétique de Ponge, qui creuse les
mots, leur sens, remontant souvent leur étymologie, compilant leurs strates de sens, leurs sonorités, bref jouant avec le
langage. Pour relier ce poème à notre parcours on pourrait dire que Ponge par son travail d’écriture poétique sublime
un objet trivial pour le réhabiliter et créer une forme de beauté moderne empreinte d’humanité et de dérision.

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