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Lorsqu’il publie, en 1942, Le Parti pris des choses, Francis Ponge rompt avec la tradition de la poésie
lyrique, qui plaçait au cœur de l’écriture poétique le « je » du poète, sa sensibilité et ses émotions.
Bien au contraire, Le Parti pris des choses se concentre sur la matérialité du quotidien : le recueil se présente
comme une suite de poèmes descriptifs, chacun étant centré sur un objet familier (le pain, la cigarette, la
bougie, le cageot), ou sur un élément minéral (la pluie), végétal ou animal (l’huitre, l’escargot).
« Le cageot » propose ainsi la description d’un objet banal et insignifiant. Saisi par le langage poétique,
il prend pourtant vie pour acquérir un sens nouveau.
« Le cageot » participe ici de cette esthétique, puisqu’il est avant tout caractérisé par la brièveté de
son existence.
A – Une réalité inquiétante
Objet trivial et familier à première vue, le cageot fait pourtant l’objet d’une description parcourue
de signes inquiétants.
Le jeu de mot qui ouvre le poème est en effet troublant : à partir de l’appréhension phonétique du mot, le
poète rapproche le cageot de la « cage » et du « cachot ».
Au cœur de l’objet familier et fonctionnel s’ouvre alors un univers plus sombre, celui de
l’emprisonnement, comme si toute réalité, même la plus triviale, contenait en elle sa face cachée, plus
noire et plus inquiétante, le risque d’un enfermement.
De même, les fruits contenus par le cageot ne sont pas seulement d’agréables « denrées fondantes », ils
comportent aussi un risque vital, celui de l’étouffement, puisque « de la moindre suffocation » ils
peuvent faire « à coup sûr une maladie ».
B – Une dimension tragique
Le cageot acquiert alors une dimension tragique : il devient le signe du caractère éphémère de toute
existence.
Le poème ne cesse de rappeler la brièveté de sa durée de vie : « il ne sert pas deux fois », il ne «
dure » pas.
Le vocabulaire employé rappelle celui du registre tragique : le cageot est « voué au transport de ces
fruits », comme s’il s’agissait là d’un destin inéluctable, il est soumis à un « sort ».
Le poème confère au cageot un statut singulier, entre sujet (qui devient presque humain)
et objet (extrêmement passif, soumis à toutes les volontés, il peut « être brisé sans effort » ou « à la voirie
jeté sans retour »).
Ce statut hybride incarne bien la fragilité de la vie humaine : doté de sentiments propres, le cageot est
pourtant soumis aux caprices du sort et voué à disparaître. En ce sens, il joue ici le rôle d’un
véritable memento mori (en latin : « souviens-toi que tu dois mourir »).
C – Tragédie et humour
On ne peut cependant se contenter de lire le texte que comme un constat tragique. Le poème « Le
cageot » est en effet teinté d’humour.
Le texte s’achève ainsi sur une pointe comique, un jeu de mot léger. Lorsque le poète évoque « le
sort » du cageot, sur lequel « il convient toutefois de ne pas s’appesantir longuement », il joue bien sur
la polysémie (un terme polysémique est un terme qui a plusieurs sens) du verbe « s’appesantir », qui
peut avoir un sens figuré (ne pas s’attarder sur un sujet) mais aussi un sens propre (ne pas peser de tout
son poids sur le fragile cageot, prêt à céder à tout moment).
La dimension tragique se teinte alors d’une légèreté et d’un humour caractéristique du Parti pris des
choses : l’objet insignifiant recèle un sens plus riche et plus profond que ce que l’on veut bien croire,
mais il convient aussi de le traiter avec humour.
Le cageot, Ponge, conclusion :
Le poème « Le cageot » opère bien un renouvellement du regard propre à Ponge, dont la poésie cherche
à réenchanter le monde muet des choses inanimées : objet familier et insignifiant, le cageot révèle une
beauté insoupçonnée, et acquiert une dimension symbolique, puisqu’il devient le signe du caractère
éphémère et périssable de toute réalité.