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BILAN DE LA LECTURE ANALYTIQUE N° 2 – Arthur Rimbaud « Lettre à Paul Demeny » (1871)

Un manifeste engagé

Un programme pour « l’homme qui veut être poète » : ce poète qui doit advenir opère un
véritable travail sur lui-même et avec lui-même :

 atteindre une totale connaissance de soi qui se confond avec une connaissance de
son âme ;
 cultiver, développer et faire progresser cette âme par un enlaidissement
monstrueux ;
 se faire « voyant » ;
 arriver à l’inconnu et
 préparer l’avenir.

Les étapes de ce travail conservent une part assez mystérieuse en dépit des explicitations proposées
dans cette lettre. Elles sont par ailleurs caractérisées par démesure soutenue par des procédés
hyperboliques :

- l’accumulation et l’énumération : l. 2, 9, 10 et 13,


- le vocabulaire et les tournures hyperboliques : tout au long de la correspondance,
- les images frappantes : l. 6-7.

Le tout jeune auteur de la lettre se montre particulièrement offensif et engagé comme pour mieux
entraîner l’adhésion de son destinataire, traduisant déjà la lutte formidable et nécessaire dans
laquelle doit s’engager le poète à venir. On peut à ce propos souligner les multiples modalités de la
certitude :

∗ le présent de vérité générale ou permanent ou de futur proche : toute la lettre,


∗ le futur : l. 17-18,
∗ les auxiliaires modaux : « vouloir », « devoir »,
∗ le verbe impersonnel exprimant la nécessité : « il faut »,
∗ l’usage du pronom personnel « je » en une phrase brève qui tient lieu de paragraphe,
∗ l’enchaînement logique : « Dès que […], il doit […], Mais » dans le premier
paragraphe ; et dans le second paragraphe « Car […], puisque […] il arrive ».

On peut également souligner le champ lexical antithétique qui traduit cette lutte :

 « le poète » vs « aux autres » ;


 « raisonné » vs « dérèglement » ;
 « amour » vs « souffrance » ;
 « foi » vs « force surhumaine » ;
 « le grand malade […] maudit » vs « Savant » ;
 « bondissement » vs « affaissé ».

Cette lettre s’apparente au final à un art poétique et, plus encore, à un manifeste tant l’engagement
et la passion du poète sont sensibles. Il reste cependant à tenter d’élucider ses impératifs.

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Un pas vers l’inconnu

Selon Rimbaud, pour « se faire voyant », « arrive[r] à l’inconnu », « l’homme qui veut être
poète » doit s’imposer de façon systématique des épreuves qui évoquent la sorcellerie ou l’alchimie,
le mystère et qui le métamorphosent en poète par une série de dérèglements :

 corrompre son âme : « des verrues sur le visage »,


 vivre des expériences extrêmes et en conserver les effets que sont les
« quintessences »,
 passer du « grand malade […] grand maudit » au « suprême Savant »,
 mourir pour laisser place à d’autres poètes.

Les groupes nominaux « Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie » ainsi que « le grand
malade, le grand criminel, le grand maudit » illustrent l’idée d’exploration et d’expérimentation de la
malédiction (voire de la folie) qui sous-tend toute démarche poétique :

 dysfonctionnement des sens physiques : dérèglement du corps aimant, souffrant et


malade ;
 désordre moral : à l’image du criminel et du maudit,
 trouble du sens, de la signification : dérèglement du sens par le savant suprême.

Passé cette étape, le poète peut alors « se faire voyant », c’est-à-dire :

1. annoncer ce qui va advenir, être le poète visionnaire, le poète des « horizons » ;


2. voir ce que « les autres » ne voient pas, être le poète qui arrive « à l’inconnu », celui des
« visions » ;
3. se faire voir, remarquer, être le poète marginal qui provoque : « le grand criminel » et le
« suprême Savant ».

En réalité, Rimbaud veut se démarquer d’une poésie traditionnelle et définir ses nouvelles ambitions.
On serait tenté de croire que l’on a surestimé son originalité, tant on peut y percevoir des échos des
conceptions antérieures de la figure et du destin du poète.

SYNTHÈSE

Rimbaud apparaît ici comme un jeune homme engagé, enthousiaste et habité par une
ambition démesurée ou folle. Il est aussi proche de « l’homme qui veut être poète » et il accorde à la
poésie une place imminente dans sa vie et dans la vie. Le poète à venir, qui doit advenir, partage le
même but. Il hérite des « horizons » ouverts par celui qui « s’est affaissé » et de « ses visions », mais
il devra lui aussi s’impliquer dans un travail « horrible », une séance de « torture » aux enjeux
tragiques.

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