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LA MORT ET LE BÛCHERON

Jean de La Fontaine

I. Introduction
« Une ample Comédie à cent actes divers, / Et dont la scène est l'Univers. ». C’est ainsi que
Jean de La Fontaine, célèbre fabuliste du 17e , parle du monde.

Celui-ci a l’habitude de se servir « d’animaux pour instruire les hommes », pour critiquer les
mœurs de son temps et plus généralement ceux de l’Homme. Or dans ce texte, nous pouvons observer
une rareté : la présence de deux protagonistes moins fréquents : l’Homme, symbolisé ici par le
Bûcheron, et une allégorie de la mort. Ces deux personnages, qui apportent une pensée philosophique
à la fable, sont réunis par « et », qui les placent dans une situation de face à face.

Cette fable de vingt vers joue sur l’hétérométrie, en passant d’alexandrins à des octosyllabes,
et mêle ici plaisir et réflexion : c’est le principe du Docere & Placere.

Elle fait pourtant partie du premier recueil, et se situe à la seizième place, ce qui montre que ce
sujet était important pour La Fontaine. Cette fable est inspirée d’un apologue d’Esope intitulé Le
Vieillard et la Mort.

Nous ferons de ce texte une étude linéaire, mais tout d’abord, procédons à sa lecture.

II. Lecture
III. Annonce du plan
Au regard de l’enjeu de ce texte, nous verrons en quoi La Fontaine met la fiction au service de la
réflexion.

Ce texte est composé de quatre parties, similaires à celles d’une pièce de théâtre.

I. L’EXPOSITION, de la forêt à la chaumière (vers 1 à 6)

II. LA PLONGEE DANS LES PENSEES (vers 7 à 12)

III. LE FACE A FACE AVEC LA MORT (vers 13 à 16)

IV. LA DOUBLE MORALITE (vers 17 à 20)

Mais avant tout, parlons du titre.


Il est en même temps classique, car il oppose deux personnages, séparés par un « et », ce qui est
commun dans les fables de La Fontaine.
Cependant, il attire l’attention car il est très rare de s’intéresser à un bûcheron à cette époque, celui-ci
étant le plus bas échelon de la société. La Fontaine étant maître des eaux et des forêts, il s’y est, lui,
intéressé. Ce qui est également surprenant est l’ordre des personnages, la Mort précède le Bûcheron,
cependant celui-ci apparaît au premier vers, tandis que la Mort n’entre en scène qu’au treizième. Cela
nous place dans une situation d’attente.
IV. Développement
1. L’exposition (vers 1 à 6)
Revenons à la première partie, l’exposition, qui va du vers 1 au vers 6.

Le Bûcheron est tout d'abord présenté par l'adjectif antéposé pauvre qui présente un double
sens : celui-ci est pauvre d'un point de vue matériel, mais il est également malheureux, comme nous le
verrons ensuite.
Il nous apparaît comme « monstrueux », sous une forme qui n'est pas humaine puisque notre
premier aspect de lui est Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramées.
Sa misère nous est montrée double : du point de vue de la fatigue puisqu’il est écrasé par le
fagot qu'il porte, mais également car il est âgé, il est sous le poids des ans. Cela nous montre ici une
référence à l’apologue d'Esope intitulée Le Vieillard et la Mort , dont La Fontaine s'est inspirée pour
écrire cette fable.
La Fontaine utilise habilement du vers 1 au vers 6 les alexandrins comme une grammatisation
de la difficulté du Bûcheron. De plus, il utilise jusqu'au vers 4 l'imparfait, qui a ici une valeur de
longueur, ainsi que le verbe tâcher au vers 4, qui exprime le doute sur sa réussite.

Pourtant, la destination de ce bûcheron devrait être un endroit agréable, sa chaumine, c'est à


dire sa chaumière, sa maison. Cet aspect est gâché par l'adjectif enfumé, car lorsqu'un feu s'enfume,
c'est que c'est un mauvais feu, avec du mauvais bois. C'est ici le comble de la misère, lorsqu'on sait
que le propriétaire de cette chaumine est un Bûcheron.
Suite à cette phrase de 4 alexandrins, nous sommes libérés au vers 5 par l'adverbe Enfin, et
l’utilisation du présent d’action nous donne l’impression d’assister à la scène. Au vers 6, la virgule a
une fonction de transition puisque nous passons dans ce même vers de l’action au songe.

Cette partie se termine par le mot malheur, qui résume la situation du Bûcheron et fait un lien avec une
autre fable de La Fontaine, « La Mort et le Malheureux ».

2. La plongée dans les pensées du Bûcheron (vers 7 à 12)


Revenons à la deuxième partie, la plongée dans les pensées du Bûcheron, qui va du vers 7 au vers
12. Dans cette deuxième partie nous assistons au monologue intérieur du bûcheron qui fait le
constat et le bilan de sa vie.

La Fontaine à ici l'habileté de recourir aux vers 7 et 8, discours indirect libre : Quel plaisir a-t-
il eu depuis qu'il est au monde ? / En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?. Celui-ci possède la
vivacité du discours direct, mais a l'avantage de ne pas couper le récit, comme le ferait le discours
indirect. Ces deux questions sont donc posées à la 3e personne du singulier.
Le terme de quel plaisir peut attirer l'attention, par la présence du singulier, ce qui montre donc
qu'il n’en a eu aucun. C'est donc une question rhétorique, puisque sa réponse est sous-entendue.
Lors de la deuxième question au vers 8, il utilise le superlatif avec plus pauvre, qui a une
valeur d'hyperbole. La machine ronde représente la terre et montre la naïveté du bûcheron qui se
représente la société comme une machine ronde.

Il utilise au vers suivant une phrase nominale dont l'emploi est très rare, elle attire donc
l'attention. De plus, cette phrase représente presque un chiasme, ce qui permet de mettre en valeur les
deux mots essentiels : c'est-à-dire le pain et le repos.
En effet les plus grands signes de misère sont le froid (l'absence de chaleur, comme a pu le
voir grâce à la chaumine enfumée), la faim (point de pain), et la fatigue (jamais de repos).
À cela s'ajoute deux vers (vers 10 et 11), présentant l'accumulation de tous les problèmes du
Bûcheron. Il commence par parler de sa femme et de ses enfants, qui sont censés être un moyen de
réconfort, mais qui sont ici représentés simplement comme 3 bouches supplémentaires à nourrir. Cela
nous montre que la misère tue même les sentiments. Ce détail n’est pas sans rappeler Le Petit Poucet.
Les soldats arrivent ensuite car, à l'époque, il était de coutume que chaque habitant reçoive
chez lui des soldats, qui représentent, eux aussi, des bouches à nourrir.
Les impôts sont l'injustice totale de l'époque de La Fontaine : en effet, les moins riches en
payaient bien plus que les plus riches. Avec les impôts va le contrôleur des impôts c'est-à-dire le
créancier.
Enfin, pour finir, la corvée était une journée plus ou moins récurrentes durant laquelle les
paysans devaient travailler sans aucun salaire.

Cette énumération représente donc le tableau total de la misère du Bûcheron, qui est mise en
valeur par le mot achevé, grâce à une hypallage au vers 12. Achevé a ici un double sens : cela signifie
la présence de la mort, ainsi que la fin de cette 2e partie, ce qui crée une transition vers la 3e.

3. Le face à face avec la Mort (vers 13 à 16)


On assiste dans cette troisième partie, qui dure du vers 13 au vers 16, à l’arrivée tant attendue du
deuxième personnage : la Mort.

Tout d'abord, l'utilisation du présent montre que l'on assiste à la scène. Le fait que la Mort
vient sans tarder, c'est-à-dire vite, est un rappel philosophique que la Mort est proche de la Vie, ici
symbolisée par le Bûcheron.
Ensuite, celle-ci demande ce qu'il faut faire. Cependant, elle sait très bien ce qu'elle doit faire,
puisqu'on l'a appelé ! Il y a donc deux raisons pour expliquer pourquoi elle le demande :
Tout d'abord, une volonté d'ironie, afin de se moquer du Bûcheron, ou alors elle a décidé de
lui donner une dernière chance de se ressaisir.
En l'occurrence, celui-ci la saisit, mais tout d'abord il hésite, ce qui est montré par la
ponctuation apparente lors des vers 15 et 16. La présence du verbe aider en fin de vers marque
l'hésitation du Bûcheron, car avant de lire le vers 16, le lecteur pourrait penser qu’il lui demande de
l'aide pour mourir. Cependant il lui demande ici de l'aide pour un acte de vie, recharger son bois, ce
qui est assez ironique pour la Mort.
Celui-ci ajoute qu'elle ne tardera guère ce qui a un double sens. Tout d'abord, peut-être pour la
rassurer en lui affirmant que cela ne prendra pas beaucoup de temps, mais c'est également une
demande polie de disparaître grâce à l'utilisation du futur de politesse.

4. La double moralité (vers 17 à 20)


La Fontaine choisit d'interrompre ici son récit, on ne saura donc pas ce que fait la Mort en fin de
compte mais ce n'est pas grave, car c'est le temps de la morale.

Cette morale est longue, car elle est double. La première partie, pour une fois, ne présente pas
de fonction didactique : c'est une simple constatation : Le trépas vient tout guérir ; / Mais ne bougeons
d'où nous sommes. Elle sous-entend ici que la vie emporte sur la mort.
Ensuite, comme si cela ne suffisait pas, une deuxième vient s'ajouter, sous la forme d'une
petite maxime : Plutôt souffrir que mourir, / C'est la devise des hommes.
Le message transmis par la fontaine est confus, et on peut l'observer par la présence de vers au
nombre de syllabes impaires, ce qui a pour signification un problème. Il s’appuie sur les remarques
pathétiques et moqueuses des moralistes envers l'homme, car celui-ci a tendance à se considèrer
comme au centre de tout.
Ici nous prenons conscience de notre petitesse, de par notre acharnement et notre côté forcené
à la Vie.
V. Conclusion
Lorsqu'une fable est pleinement réussie, elle l’est dans le fond et dans la forme ;

Si elle réunit ces 2 caractéristiques, c'est à dire une forme parfaite pour un bon fond, elle est
dans ce que l'on appelle l’harmonie.

Ici cette fable est particulièrement réussie sur le plan de la forme, car celle-ci montre la
virtuosité stylistique de La Fontaine, de par son imitation du genre théâtral, grâce : au récit, au
monologue intérieur, aux dialogues et à la morale.
Elle est également particulièrement réussie sur le plan du fond, car d’habitude La Fontaine a
tendance à montrer à quel point le monde est cruel envers les faibles. Il en a d'ailleurs fait la
description dans deux autres fables : dans Le Loup et l'Agneau et dans Les animaux malades de la
peste. Or, dans cette fable, lorsqu'on regarde du point de vue de la Mort, on réalise que tous les
hommes sont égaux et faibles. Cette fable concerne donc tout le monde. Cela montre donc que la loi
du plus fort n'est pas toujours la meilleure car ici le plus faible des faibles a su résisterà l'épreuve de la
Mort

La présence de la Mort dans cette fable est assez intéressante, car La Fontaine est connu pour
être un amoureux de la vie, il fait d’ailleurs partie du courant épicurien, qui pense que la Mort ne fait
pas partie de la Vie mais qu'elle se trouve seulement au bout. C'est pour cette raison qu'il utilise le
pronom personnel nous : il ne juge pas, il constate simplement.

VI. Ouverture
N°1 :
Il est également d'une lucidité sans pitié, car plus tard dans ses fables, le Bûcheron se
transformera en bourreau : dans La Forêt et le Bûcheron. Celui-ci sera considéré comme un traître,
et celui qui donne la mort, cette fois.

N°2 :
Ce texte n’est pas sans faire penser à cette gravure de Gustave doré, un illustrateur du 19e
siècle. Elle a été publié en 1876 et représente le moment de dialogue entre la Mort et le Bucheron. En
effet, on peut voir que celui-ci a « mis bas son fagot », et il est d’ailleurs en train de le montrer à la
Mort, surement pour qu’elle l’aide à le recharger.

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