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Baccalauréat général

Session 2023

Épreuve : Epreuve Anticipée

Durée de l’épreuve : 4 heures

Coefficient : 3

PROPOSITION DE CORRIGÉ

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Commentaire
Il s’agit d’un texte de Denis Diderot extrait de son compte-rendu du Salon de 1767. On
peut se demander comment, à partir du tableau d’Hubert Robert Grande Galerie
antique, éclairée du fond, par l’expression d’une esthétique de la finitude, de rêveries
existentielles, et une qualité de révélation accordée à l’art, Diderot nous dépeint les
éléments concourant à ce qu’on peut appeler une poétique des ruines.

La première partie du commentaire pourrait se concentrer sur cette esthétique de la


finitude sur laquelle Diderot développe ses réflexions : d’abord sur ce tableau de la
Nature que représente l’œuvre de Robert, par le champ lexical adapté (« rocher »,
« vallon », forêt » …). Diderot s’y attarde en effet, mais on peut ensuite remarquer que
cette description est déjà orientée par la notion de sublime qui, dix ans plus tôt, était
définie ainsi par Edmund Burke dans sa Recherche philosophique sur l’origine de nos
idées du sublime et du beau : « Tout ce qui est propre à exciter les idées de la douleur
et du danger, tout ce qui est en quelque sorte terrible, est source du sublime, c’est-à-
dire capable de susciter la plus forte émotion que l’âme puisse ressentir. » Et de fait,
les « masses suspendues », puis les verbes comme « se creuse », « s’affaisse »,
« chancelle » montrent que la contemplation de cette Nature trouve aussi de la beauté
dans la crainte, le danger. Cette vision fait aboutir Diderot à une réflexion sur la mort,
quand la décrépitude du paysage s’étend au « marbre des tombeaux » et à leur
« poussière », symbole aussi de la fin humaine comme un éternel retour.

La deuxième partie peut alors s’intéresser au cas particulier du locuteur, qui s’interroge
personnellement, car ce tableau le touche tout aussi personnellement : le choix de la
première personne se diversifie en pronoms et adjectifs de la 1e personne (« je »,
« moi », « mon »), et exprime toute son angoisse dans la question oratoire du premier
paragraphe. Cette réflexion s’élargit en une rêverie existentielle sur l’humain, dont la
« fin » est inéluctable et « attend ». Et la fragilité de l’humanité est accentuée par son
opposition avec l’éternité du temps (« il n’y a que le temps qui dure ») car elle entraîne
tout aussi bien la Nature qui le contient selon une « loi générale » : le « torrent »,
l’« abîme » sont des termes récurrents du sublime, et ce lexique de la description
picturale sert également ici à exprimer l’effroi de la fatalité.

Dans une troisième partie, il sera alors temps de s’arrêter sur le pouvoir de révélation
de l’art : il s’agit en effet, de la part de Diderot, d’un véritable sursaut, d’une révolte
aussi farouche que vaine : « je ne veux pas mourir ! ». Il est pourtant conscient de tout
ce que son refus contient d’orgueilleux : « moi seul, je prétends m’arrêter sur le
bord… ! » C’est dans la solitude qu’il peut puiser plus de force, tant que tient la
promesse d’une certaine « sécurité » : « je suis plus libre, plus seul, plus à moi, plus
près de moi ». La solitude est ici valorisée par les superlatifs, comme un retour à une
sensibilité plus apaisée. Mais le véritable secret de cette ataraxie, de « la douceur du
repos » de l’âme, c’est la présence amicale, voire amoureuse ; paradoxalement, le
lexique du manque exprime alors un surcroît de vie : « nous jouirons de nous sans
trouble, sans témoins, sans importuns, sans jaloux ». La liberté du désert, c’est de se
retrouver loin des « embarras de la vie » et de la foule avec qui on est, et qui on aime,
sans souci du reste et « sans contrainte ».

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La contemplation du tableau de Robert plonge ainsi Diderot, une fois apaisés les
tourments de la finitude, dans une réflexion paradoxale sur les bienfaits de la solitude
révélés par l’art.

Dissertation
A. Manon Lescaut
Le plaisir de lire Manon Lescaut ne tient-il qu’au récit d’une passion
amoureuse ?

Il semble judicieux, pour répondre à cette question, de s’arrêter d’abord sur le récit de
cette passion : il s’agit d’une héroïne qui est dépeinte de manière expressive et
délicate, et qu’on a plaisir à voir vivre et agir. Elle est présentée dès le début comme
encline au libertinage, thème annoncé. Ensuite, le plaisir tient aussi à la passion
éprouvée par Des Grieux, qui trouve une réponse à sa séduction, et vit avec elle une
histoire d’amour dont le récit nous est promis dès le début, ce qui nous met dans une
certaine attente de lecteur.

Pourtant, cette passion amoureuse est contrariée : le récit commence par le malheur
de Des Grieux dont le narrateur est témoin, ce qui donne un indice dès le début que
le récit conté à rebours ne parlera pas que d’un amour heureux. En effet, cette héroïne
est infidèle, et la passion revient pour lui à son étymologie de souffrance : il subit
trahison sur trahison de sa part. Si la passion est chez lui la plus forte, la tendance de
l’héroïne est de la faire passer après son intérêt propre.

Et de fait, si le plaisir de lire Manon Lescaut persiste, c’est bien que le roman puise sa
source dans d’autres éléments, qui sont ceux qui fondent l’identité du genre
romanesque : il s’agit d’un couple marginal puisque Manon est une femme qui vend
ses charmes, et que le chevalier est un noble qui rompt avec sa classe sociale pour
suivre celle qu’il aime. En outre, la narration offre un second degré sur l’empathie que
le lecteur peut éprouver pour Des Grieux, en le teintant d’un recul non dénué d’une
certaine ironie devant sa naïveté ; et les péripéties sont nombreuses, attendues dès le
paradoxe du début entre le malheur du jeune chevalier et l’histoire d’amour annoncée.

Pour conclure, si le plaisir de lire Manon Lescaut tient certes au récit d’une passion
amoureuse, cette passion amoureuse – par ailleurs problématique - n’est pas le seul
élément, et le plaisir du lecteur tient principalement au fait que le genre romanesque y
est exploité dans ses ressorts de narration et de péripéties. Ainsi le disait
Montesquieu : « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne
une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes les actions du héros, le chevalier
Des Grieux, ont pour motif l'amour qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit
basse. »

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B. Balzac

Peut-on lire La Peau de chagrin comme le tableau d’un monde exténué ?

Pourquoi peut-on parler de « monde exténué » ? Il peut être intéressant ici de faire
référence à la situation politique instable, au règne du libéralisme et du pouvoir par
l’argent. L’argent, son manque, peut d’ailleurs être perçu comme un point de départ de
l’action puisque c’est après avoir perdu ses possessions que Raphaël songe au
suicide, dans une sorte de fatigue extrême, une perte d’énergie vitale. Le thème de la
débauche hante aussi le roman, avec la compagnie de Rastignac et les déboires dus
à Foedora : « vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit », révèle l’antiquaire, et cette
débauche n’est rien d’autre qu’un épuisement des sens, et du sens.

Pourtant, le roman montre aussi la présence d’une certaine énergie vitale : la vie du
héros, si elle est riche en bouleversements, le montre dans une maîtrise de cette
énergie lorsqu’il prend son destin en main et se range dans une vie sobre, où il projette
d’écrire une Théorie de la volonté en espérant la gloire pour ses mérites. Cette force
de vie est également animée par l’amour avec Pauline et la vie qu’ils partagent
ensemble. C’est d’ailleurs le moment où il décide de se débarrasser de la « peau de
chagrin ».

Cependant, cette « peau de chagrin » peut être vue comme un symbole : celui d’une
énergie destructrice qui, sous prétexte de réveiller d’une exténuation, la renforcerait
finalement. Balzac se sert de cette irruption du fantastique pour narrer l’influence
diabolique de la facilité qui condamne. Faire un vœu est une promesse qui provoque
paradoxalement le malheur : c’est ce qui entraîne la perte du héros. Et c’est ce surcroît
de puissance qui renforce l’impuissance du héros face à son destin.

Ainsi, la valeur de l’énergie est dans la création, et la mesure. Le « monde exténué »


que dépeint Balzac est le fait des passions humaines qui se révèlent destructrices, et
dont la peau de chagrin, acquise par une sorte de pacte diabolique, est un symbole.

C. Colette

Peut-on considérer Sido et Les Vrilles de la vigne comme des œuvres de


l’émerveillement ?

Il s’agit en effet d’œuvres de célébration du monde, puisqu’elles font la part belle à


l’enfance de l’auteur, avec la figure tutélaire de la mère, et e retour sur le passé est
l’occasion de souvenirs heureux. En outre, la Nature y est principale, Sido y jouant le
rôle d’une sorte d’intercesseur puisque Colette la montre comme lui donnant la liberté
de cette Nature offerte ; les animaux y sont aussi source de plaisir et d’apprentissage
de la beauté du monde, qu’ils soient sauvages ou plus familiers. Enfin, la précision du
vocabulaire, notamment botanique, révèlent une joie de la connaissance de l’autrice,
et une volonté de transmettre cet émerveillement (qu’elle tient de source maternelle).

Cependant, les sujets abordés dans Sido et Les Vrilles de la vigne dépassent cet
émerveillement : c’est l’occasion du portrait d’un père malheureux, aux ambitions
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manquées (« le capitaine »), qui tranche aussi avec la mère (quand lui est plutôt citadin
même si « poète » quoique raté, et elle déifiée en divinité de la Nature) et plus
largement celui de l’arbre généalogique d’une famille dont les Vrilles de la vigne
évoquent les ramifications, c’est le portrait plus réaliste des lieux de l’enfance, puis
d’une vie plus mondaine, c’est aussi la réflexion sur la mort et la solitude.

Et en effet, il s’agit beaucoup de nostalgie dans ces deux volumes, puisque ces lieux
d’émerveillement n’existent plus, ni cette période de l’enfance, ni même ses frères et
sœurs (dont la mort est déplorée dans Sido). C’est aussi le regret des amours perdues,
du temps enfui. Mais c’est aussi la prise de conscience de la naissance d’une écriture,
le retour en arrière sur les conditions de création d’une future écrivaine, et la
célébration du monde, son émerveillement, peuvent se lire aussi comme des éléments
constitutifs de ce qui l’ont faite artiste, joies et regrets mêlés.

Ainsi, si ces deux livres peuvent être lus dans l’esprit d’une célébration du monde,
l’émerveillement face à la Nature n’occulte pas l’évocation d’autres sujets, et surtout,
ils retracent l’itinéraire d’une artiste qui est aussi née au monde par les mots et qui
s’est imposée malgré les épreuves de la vie grâce à ce cadeau d’émerveillement reçu,
des mains de sa mère, dès l’enfance.

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