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du
Septentrion
Écritures, aventures | Jean-Pierre Giusto
L’expérience
Baudelairienne
p. 249-289
Texte intégral
62 Plus tard, à la saison mûre, le fer est remplacé par les dents
et les ongles. Le poème s’achève dans le bestiaire
64 Les poèmes de cette série sont sans doute les plus acerbes
de Baudelaire. En effet, si le corps du mal est entièrement
subi, ce nouveau ravage est, lui, désiré. Le poète fait le
tableau de son déshonneur. De cette scène alors se dégage
la figure du Prince cruel, amer. Les rôles s’inversent : dans
« Bénédiction » l’amante se faisait adorer puis arrachait le
cœur du poète, dans « A une Madone », après l’adoration,
Baudelaire immole son idole. Ultime métamorphose : le
poète lui-même devient démon. Le sacrilège est
consommé : l’amante devient une idole mise en place de la
Vierge. Et c’est une messe noire infernale avec
reconstitution d’une statue de Marie aux sept douleurs,
victime d’un lanceur de poignards d’une fête foraine du
Diable. Le plus notable dans ce texte est la délectation de
Baudelaire fixant avec la plus grande précision tous les
détails de sa mise en scène cruelle. La rêverie est
extrêmement active, « Ex-voto dans le goût espagnol » est-
il écrit en sous-titre pour cette pièce, bel exemple de
saturation par le baroque. Le poème est le lieu clos de la
chambre de tortures, activement édifiée sous nos yeux.
« Le Vin du Solitaire » :
Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au cœur altéré du poète pieux (p. 109)
ou encore « Le Vin des Amants » :
Aujourd’hui l’espace est splendide !
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin (id.).
109 Etre enlevé, être enlevé mais pour nager dans la mer qui a
envahi la chambre. Aussi n’est-ce pas « Le Bateau ivre » qui
nous attend. La houle ne fait « démarrer » aucune
péninsule et ne jettera pas le nageur dans l’indéfini des
découvertes. Afrique, Asie, mer, houle conduisent à l’image
d’un port : le port qui transpose la chambre envahie par les
flots, le port, équivalence sensible du temple abstrait,
intellectuel. Voici bien et très directement un lieu clos
ouvert au grand large, métaphore exacte du poème de la
sensation heureuse. Le goulu s’y manifeste en toute
innoncence :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur.
110 Car la mer de Baudelaire n’est pas notre mer mais création
d’une nouvelle matière mêlant, ici, parfum, son et couleur.
La liquidité n’est que la synthèse accordant au poète la
possibilité de boire sa nouvelle substance. Liquidité qui boit
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Écritures, aventures - L’expérience Baudelairienne - Presses universitaires du Septentrion 05/12/2023 13:13
l’indéfini « Tout » :
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
un troisième, groupe de trois sujets identiquement repris
dans l’indéfini :
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Notes
1. « L’Albatros », p. 9. (Toutes nos citations renvoient à l’édition de la
Pléïade établie par Claude Pichois Tome I).
2. Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris PUF, 1960.
3. Rimbaud : Poésies, Une saison en Enfer, Illuminations, éd. L.
FORESTIER, Poésie/Gallimard, 1973, p. 205.
4. Walter BENJAMIN : Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée
du capitalisme. Paris, Petite bibliothèque Payot, 1982, p. 214.
Écritures, aventures
Baudelaire, Char, Jacottet, Laforgue,
Lautréamont, Michaux, Rimbaud, Saint-John
Perse, Segalen, Verlaine
Jean-Pierre Giusto
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