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Objet d’étude : la poésie du XIX au XXIè siècle

Oeuvre : Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire


Parcours : Alchimie poétique, la boue et l’or

Lecture linéaire 3 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « L’invitation au voyage », 1861

Mon enfant, ma sœur,


Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
5 Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
10 Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
 
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
 
15 Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
20 Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
25 À l’âme en secret
Sa douce langue natale.
 
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
 
Vois sur ces canaux
30 Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
35 — Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
40 Dans une chaude lumière.
 
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

La volupté: 1. Vif plaisir des sens (surtout plaisir sexuel) ; jouissance pleinement goûtée.
2. Plaisir moral ou esthétique très vif.

L’ambre : 1. Ambre gris


substance parfumée provenant des concrétions intestinales du cachalot ; parfum qui en est extrait.
2. Ambre jaune
résine fossilisée, dure et transparente.

L’hyacinthe : 1. Ancien nom de la jacinthe. 2. Pierre fine de couleur orange à rouge, variété de zircon.
Séance n°6 : Explication linéaire n° 3 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « L’invitation au
voyage », 1861

INTRODUCTION :

 L'auteur et l’œuvre

Ce poème, extrait des Fleurs du Mal, un recueil de poèmes de Charles Baudelaire publié en 1857, est le
poème 53 du recueil. Rappelons que l'ambition de Baudelaire dans cet ouvrage est de s'inspirer du mal et de
la laideur pour la transfigurer grâce à l'alchimie de la poésie. L'ouvrage des Fleurs du Mal, reflète le malaise
de son auteur à travers la notion de spleen mais aussi son aspiration de Baudelaire à un certain idéal, qui seul
lui permettrait d'échapper à sa condition. C'est ici le cas de ce poème qui aurait été inspiré par Marie
Daubrun, une actrice qui fut sa maîtresse et à qui il demande dans son texte de l'accompagner dans un
voyage vers un pays idéal baigné d'or.

ANALYSE DU POÈME :

 La structure formelle de l’oeuvre

3 strophes (douzains) séparées par un refrain (distique) sur le modèle de la ballade

Les vers sont des pentasyllabes ou des heptasyllabes. Les heptasyllabes se terminent par des rimes féminines
(e muet).
Les rimes sont suivies dans les distiques et embrassées ou suivies dans les douzains. Beaucoup de rimes sont
riches ou suffisantes.
Il n'y a pas de rejet, et contre-rejet, ce qui contribue à l'harmonie du texte.

Cette structure, qui est très régulière avec des rimes courtes induit une musicalité douce qui est renforcée par
la présence de deux vers jouant le rôle de refrain à trois reprises.

 Les mouvements

Mouvement 1 = strophe 1 + refrain : Une invitation à un voyage : « aller là-bas »


Mouvement 2 = strophe 2 + refrain : La description d’un intérieur luxueux
Mouvement 3 = strophe 3 + refrain : Un personnage idéal

 Problématique : Comment l’auteur nous fait vivre un voyage enchanté en compagnie de l’aimée
au travers d’une utopie ?

 lecture linéaire
I. 1er mouvement

Citation Procédé Interprétation

Mon enfant, ma sœur, *Adresse + pronoms * Marque la proximité affective


possessifs +référence aux âmes sœurs

Songe à la douceur
*Marque une invitation
*Impératif présent + phrase Le choix du verbe place l’invitation dans
D’aller là-bas vivre ensemble ! exclamative+ adverbe de le domaine du rêve. + renvoie à un
lien ailleurs exotique (« là-bas »+ »douceur »)

*L’expression à loisir indique une


Aimer à loisir,
*Anaphore +expression dilatation du temps, aimer serait indéfini
Aimer et mourir temporelle ( à loisir => tant dans le temps (nb déf de loisir : temps
que l’on veut) + dont on dispose pour faire commodément
conjonction de coordinatio, quelque chose ». Anaphore du verbe
« aimer » souligne l'importance de
l'amour et la coordination de ce verbe
avec le verbe « mourir » permet de
donner la place prépondérante à l'amour.
*prop sub relative qui crée L'amour comble toute la vie.
Au pays qui te ressemble ! une comparaison
*L’image de la femmes se confond avec
le lieu idéal
*Oxymore + pluriel de
soleil
Les soleils mouillés *Insiste sur l’aspect imaginaire du lieu

* pluriel de ciel + mise en *Avec les soleils mouillés correspondent


De ces ciels brouillés parallèle des ciels brouillés aux larmes de la femme « brillants à
avec les yeux travers leurs larmes ». On peut d'ailleurs
Pour mon esprit ont les charmes + des soleils mouillés avec penser que les soleils mouillés renvoient
Si mystérieux les larmes. aux yeux pleins de larmes de la femme.
La femme et le paysage se confondent.
De tes traîtres yeux, Montre la dualité de la femme dans
Brillant à travers leurs larmes. + antithèse entre « traîtres » l’esprit baudelairien
et « charmes »
 
Doit se prononcer en 4 syllabes pour
+ diérèse de mystérieux respecter la forme pentasyllabique du
vers. Cela a pour effet de souligner le
côté magique, onirique de ce lieu.
*adverbe de lieu +
énumération
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. *Cela renvoie à un univers lointain et
imaginaire avec « là » + imaginaire
 
correspond à un idéal de vie
Bilan : Il s’agit avant tout d’un voyage onirique. C’est un voyage de l’amour qui peut suffire à
combler une vie. L’amante et le pays merveilleux se confonde dans un idéal imaginaire.
II. 2è mouvement

Citation Procédé Interprétation

Des meubles luisants, *Lexique de la lumière , *La strophe débute avec une description d'un
cela renvoie aux reflets, intérieur. Les meubles de la chambre sont
Polis par les ans, ce qui brille=> or raffinés et anciens, comme baignés d’or.
( « luisants » « polis »)
*lnsiste sur le caractère intime de la pièce, ce
qui est renforcé par le choix de celle-ci, la
Décoreraient notre chambre ; *Conditionel + chambre. Cela montre aussi l'aspect
détermiant possessif hypothétique de ce lieu décrit, ce qui confirme
qu'il s'agit avant tout d'une douce rêverie.

Les plus rares fleurs


*champ lexical du * Cela enrichit la description avec le choix de
Mêlant leurs odeurs parfum « fleurs, odeurs, parfums particulièrement rare
Aux vagues senteurs de senteurs de l’ambre » +
superlatif
l’ambre, *Renforce l’effet de richesse. L'adjectif
oriental vient confirmer l'exotisme du lieu, qui
*Lexique descriptif qui se situe dans un ailleurs lointain. La beauté et
Les riches plafonds,
renvoie au luxe avec des la richesse de l'intérieur sont rendus par le
Les miroirs profonds, adjectifs qualificatifs biais de tous les sens qui sont sollicités que ce
La splendeur orientale, riches et profonds soit l'odorat « senteurs », le toucher « polis »,
+ hyperbole « la la vue « miroirs » et l 'ouïe « parlerait » v 24.
splendeur orientale »

*« l'âme » est la partie la plus secrète et intime


Tout y parlerait *Lexique du langage + de l'humain. Le lieu parle à l'âme, comme s'il
À l’âme en secret personnification de la était magique et comme s'ils se
pièce « tout »=ensemble reconnaissaient d'instinct. C'est une
Sa douce langue natale.
de la pèce + allitération synesthésie dans laquelle l'ouïe perçoit un lieu.
  en « l » = liquide Le pronom indéfini « tout » symbolise l'unité
de ce lieu, qui en son entier parle à l'âme. On
retrouve le conditionnel, qui marque toujours
la rêverie et la référence à la langue « natale »
est une référence à la langue des origines, qui
serait encore pure, non corrompue par les
hommes et donc idéale. Cette idée d'état
d'origine non corrompu est fréquente chez
Baudelaire.La « douce langue natale » serait
aussi celle qui est comprise naturellement, ce
qui vient renforcer la symbiose entre le lieu et
Là, tout n’est qu’ordre et le poète. On retrouve une idée d'harmonie
*refrain parfaite entre le lieu et l'âme.
beauté, Enfin la douceur du passage est renforcée par
Luxe, calme et volupté. les assonances en « an » et les allitérations en
« l » qui adoucissent l'expression.

Bilan : Baudelaire nous transpose dans un imaginaire exotique et intemporel avec une référence
implicite au paradis originel. Dans ce lieu rêvé tout les sens sont convoqués pour apprécier le luxe et
l’harmonie qu’on y trouve.
III. 3è mouvement

Citation Procédé Interprétation

Vois sur ces canaux *Impératif présent + * Les caneaux qui renvoient à une
personnification ville exotique : amsterdam ?
Dormir ces vaisseaux venise ?
Dont l’humeur est vagabonde ; Imperatif qui donne l’impression
qu’on est face au paysage
Les vaisseaux personnifiés
incarnent l’idée de voyage

C’est pour assouvir *présentatif « c'est » + préposition * Façon de complimenter la


Ton moindre désir « pour » + verbe « assouvir » + femme en lui présentant un lieu
« ton moindre désir » = hyperbole idéal destinée à répondre à ses
Qu’ils viennent du bout du monde. désirs. Dans ce monde idéal, elle
aurait beaucoup d’importance.
— Les soleils couchants *énumération de lieu+ champ
Revêtent les champs, lexical de la lumière + *Cela donne l'impression que le
rapprochement entre « chaude paysage est recouvert d'une douce
Les canaux, la ville entière,
lumière » et « s’endort » lumière brillante. Cela concerne
D’hyacinthe et d’or ; tout le paysage,comme le montre
Le monde s’endort l 'énumération. On a l'impression
d'un tableau de paysage au soleil
Dans une chaude lumière. couchant. Enfin, le luxe fait une
  apparition avec la référence
« d'hyacinthe et d'or ».
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, *refrain L'association de l'adjectif
Luxe, calme et volupté. « chaude » à la lumière donne une
impression de douceur qui se
trouve confirmée avec le vers « le
monde s'endort ». On ressent un
sentiment de plénitude actuel avec
l'emploi du présent de l'indicatif.
Bilan : Ce denier mouvement nous transporte dans un paysage idyllique baigné d’or. La lumière douce,
source de rêverie permet l’endormissement et boucle donc le poème qui est un voyage onirique qui se fait
les yeux fermés et avec tout les sens.

Synthèse :
Poème destiné à la femme aimée et qui nous présente une utopie, un voyage imaginaire. C’est aussi un
exemple de l’aspiration à l’idéal baudelairien qui se fonde sur un art de vivre mettant en jeu les sens et
l’esthétique. L’idéal pour baudelaire nécessite la présence de l’être aimé sans qui le bonheur ne peut
être complet.
PROLONGEMENT
William Turner, Sunset, c. 1830-1835 / © Tate https://www.tate-images.com/N01876-Sunset.html

Dans une quête du sublime comparable à celle de Caspar David Friedrich, le père de l’âge romantique à
l'anglaise a peint et dessiné des centaines de couchers de soleil pendant la première moitié du XIXe siècle.
Des paysages éclatants de lumière que J. M. W. Turner fait glisser, toujours un peu plus, vers l’abstraction,
comme pour insinuer qu’il n’y a ni de mots, ni de formes pour exprimer la puissance de ce phénomène
naturel. Thème de prédilection du « peintre de la lumière », le crépuscule à la mode de Turner a contribué à
élever le paysage au rang des sujets nobles de l’histoire de l’art, tout en préfigurant l’impressionnisme, voire
la peinture abstraite.

Felix Ziem (1821 - 1911) https://fr.gallerix.ru/storeroom/22508075/N/457378135/

QUESTION DE GRAMMAIRE

Analysez les propositions dans la phrase « Vois sur ces canaux, dormir ces vaisseaux, dont l'humeur est
vagabonde ».
Transformez cette phrase complexe en deux phrases simples.

2 propositions
1 principale : Vois sur ces caneux, dormir ces vaisseaux
1 sub relative : dont l’humeur est vagabonde

Dont : pronom relatif fonction sub  : comlplément du nom fonction de dont : Complément du nom :
l’humeur

Vois sur ces caneuax, dormir ces vaisseaux. L’humeur de ces vaisseaux est vagabonde.

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