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L’examen -> La Grande Guerre (la Première Guerre Mondiale) / L’œuvre de Louis-Ferdinand Céline

➔ L’événement historique le plus souvent traité dans la littérature française du XXe et du XXIe siècles ? -
> la GRANDE GUERRE (la Première Guerre mondiale, la Guerre de 14-18, la DER DES DERS)
➔ La Belle-Époque et sa fin en 1914
La France au début du XXe siècle -> Population: 39 millions; Pertes militaires: 1 397 800 ; Pertes civiles
: 300 000; Total : 1 697 800; Blessés militaires: 4 266 000
« La guerre 14-18 a surtout fauché toute une génération d’hommes qui avaient
une vingtaine d’années au moment de l’entrée en guerre. Comme l’explique le
démographe François Héran dans «Générations sacrifiées : le bilan
démographique de la Grande Guerre » (Populations&Sociétés, Ined,2014), la
‘classe 14’, c’est-à-dire la génération qui avait 20 ans en 1914, ‘subit de plein fouet
le choc des premiers mois de guerre et fut mobilisée pendant tout le conflit’.
Résultat, 31% des hommes incorporés sont morts, soit 22% de leur génération. »
(Comment évaluer le nombre de morts de la Première guerre mondiale ? Anne-Aël
Durand ; publié le 10 novembre 2018
https://www.lemonde.fr/lesdecodeurs/article/2018/11/10/comment-evaluer-le-nombre-de-
morts-de-la-premiere-guerre-mondiale_5381812_4355770.html)

Le thème littéraire -→ Le trauma intergénérationnel


Les Monuments aux Morts- > le deuil omniprésent -> le retour du refoulé;
-> briser le silence, les tabous, les mythes et les stéréotypes (conflits intérieurs/mythe héroïque)

La Grande-Guerre dans la prose française – quelques exemples choisis

➔ les échos des catastrophes des années 1914-1918 et 1939-1945 dans la littérature française =>
Apollinaire, le surréalisme, Céline, le théâtre français du XXe siècle
- La Grande Guerre (1914-1918), dans la culture et la mémoire collective françaises, s’est construite
autour des clichés. (POURCHER, Yves 2000 : « Les clichés de la Grande Guerre. Entre histoire et
fiction ». Terrain, no 34, p. 143- 158. <http://journals.openedition.org/terrain/1027>.)
- une épreuve héroïque collective / une boucherie absurde -> le thème historique le plus souvent traité
dans la prose narrative française

- les écrivains contre les stéréotypes de la propagande : p. ex. Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Georges
Duhamel, Jean Giono, dès le début de la catastrophe de 14, -> « la religion drapeautique » (Céline) et
d’autres clichés discursifs mythifiant la guerre

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- Le spectre de 14-18, avec ses stéréotypes, ne cesse de hanter les romanciers français une centaine
d’années après les événements vus comme « l’origine historique et problématique d’un siècle de
ténèbres et de désillusions », pour qui l’expérience de leurs ancêtres constitue un lourd héritage
traumatique. (VIART, Dominique 2005 : « Écrire l’Histoire . In : La Littérature française au présent.
Héritage, modernité, mutations. Dominique VIART et Bruno VERCIER. Paris, Bordas, p. 127.)

- Jean Norton Cru, Témoins -> l’analyse de plus de 300 textes de témoignages de combattants (articles
de presse, souvenirs, commentaires, lettres, ouvrages romanesques) :
Sur le courage, le patriotisme, le sacrifice, la mort, on nous avait trompés, et aux premières balles
nous reconnaissions tout à coup le mensonge de l’anecdote, de l’histoire, de la littérature, de l’art,
des bavardages de vétérans et des discours officiels. Ce que nous voyions, ce que nous éprouvions,
n’avait rien de commun d’avec ce que nous attendions d’après tout ce que nous avions lu, tout ce
qu’on nous avait dit. Non, la guerre n’est pas le fait de l’homme : telle fut l’évidence énorme qui
nous écrasa. (CRU, Jean Norton 2015 [reprint de l’édition de 1929] : Témoins. Essai d’analyse et
de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928. Paris, Eurédit, p. 13-14.)

Henri Barbusse (1873-1935)


Le Feu (Journal d’une escouade) (1916, Prix Goncourt)
- la littérature du témoignage
- le récit écrit en direct -> l’expérience des « poilus » - leur quotidien sur le front, dans les tranchées.
[Le mot « poilu », la traditionnelle dénomination des soldats de 14-18. Selon le linguiste français, Albert
Dauzat, l’auteur de l’étude L’argot de la guerre, d’après une enquête auprès des officiers et soldats
(Paris, Armand Colin, 1918), le mot « poilu », dont l’usage que nous connaissons actuellement s’est
répandu en France à partir de 1914, a une histoire dans le langage militaire remontant à l’époque
napoléonienne. Dauzat souligne la connotation laudative de ce terme associé principalement au concept
de virilité. Il note également l’attitude réservée, voire critique des soldats mêmes à l’égard de cette
expression : « Le mot a fait irruption du faubourg, de la caserne, dans la bourgeoisie, dans les
campagnes plus tard, par la parole, par le journal surtout, avec une rapidité foudroyante. Il
correspondait à une conception nouvelle du soldat, il était imagé : double motif du succès. Le plus
curieux, c’est que la nuance nouvelle n’a pas été goûtée au front et a plutôt continué à discréditer
le mot dans les tranchées. Et voici poilu mis à l’index par... les ‘poilus’ parce qu’il était devenu
trop ‘civelot’, au moment où il retournait à son origine : quel paradoxe ! et quel injuste retour de
l’histoire des mots ! » (p. 52)]
➔ Mot « poilu » -> une manipulation, une sorte de propagande
- la nouvelle Le Dernier Survivant de Quatorze (1999) d’Henri-Frédéric Blanc (né en 1954) :
« D’abord, « poilus » c’est déjà un mensonge. Un mensonge pour masquer le jeunocide. On nous
appelait « poilus » parce que nous étions trop gamins pour avoir du poil. Vous voyez, on n’a pas

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attendu aujourd’hui pour se foutre des gens. Notre jeunesse, ils voulaient la dissimuler, faire
comme si nous étions des hommes alors que nous étions encore des enfants. » (Blanc 1999 : 11 ;
l’italique dans le texte) ]

- une belle aventure héroïque, une noble croisade patriotique vs une réalité - la boue, le froid, la poudre,
le gaz, les obus, la douleur, l’horreur, les blessés, les cadavres, la peur – horrible et insupportable
- la fraternité, la solidarité de simples soldats, victimes de la politique
- survivre.
- le réalisme langagier -> le chapitre « Les gros mots » - Barbusse transcrit les paroles, les conversations
des combattants en gardant les caractéristiques de leur parler populaire, de leur langage simple, courant,
familier
- le réalisme de la représentation de la guerre et de la langue vs la propagande politique et patriotique
dominant dans les discours officiels de l’État à l’époque

Roland Dorgelès (1886-1968)


Les croix de bois (1919)
- les expériences personnelles de l’auteur
- l’image de la guerre très réaliste, dépourvue de toute propagande politique et patriotique
- certaines situations humoristiques de la vie des combattants
« Je vous sens présents, mes camarades. Arrivé à la dernière étape, il me vient un remords d’avoir osé
rire de vos peines, comme si j’avais taillé un pipeau dans le bois de vos croix. »
- le réalisme plus subjectif et plus intériorisé -> l’analyse de ses propres sentiments, émotions devant la
mort violente et la souffrance
« Mais, moi, c’est dans ma tête, dans ma peau que j’emporte l’horrible haleine de mort. Elle est en moi,
pour toujours : je connais maintenant l’odeur de la pitié. »

Raymond Radiguet (1903-1923)


Le Diable au corps (1923)
- une dérision scandaleuse à l’égard de la mémoire des soldats, victimes et héros nationaux
- le roman libertin - la relation adultère d’un adolescent avec la femme dont le mari est soldat au front
de la Première guerre mondiale
« Si grande était l’audace du Diable au corps, en 1923, de cet adultère derrière le front, ce couple
d’amants qui se réjouissaient d’offensives privant le mari de permission et le retenant loin de son foyer,
de cette peinture effrontée de grandes vacances au milieu des croix de bois, au cœur de la patrie en
danger mortel, que le roman, la paix à peine signée, paraissaient une atteinte au moral de l’État […]. »
(Paul Morand, Mon plaisir... en littérature, Paris, Gallimard, 1967)

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Louis-Ferdinand Céline (1894-1961)
- Louis-Ferdinand Céline (le pseudonyme littéraire de Louis-Ferdinand Destouches) - une des
personnalités les plus controversées dans l’histoire de la culture française - > un fin intellectuel critique
à l’égard de la politique et un collaborateur / l’idéologie antisémite
- le lieu de son origine, Courbevoie, une banlieue parisienne. La réalité de la vie de banlieue - le cadre
de ses romans autobiographiques– (p. ex. Mort à crédit, publié en 1936)
- blessé pendant la Première guerre mondiale
- un poste de surveillant de plantations d’une compagnie coloniale française au Cameroun => les
horreurs de la guerre et du colonialisme –> son premier roman Voyage au bout de la nuit (1932) Revenu
en France, il se prépare comme autodidacte au baccalauréat, qu’il obtient en 1919 -> la carrière
professionnelle de médecin à Clichy
- le fonctionnaire de la Société des Nations dans la section d’hygiène -> en mission à l’étranger, entre
autres aux États-Unis. (-> certains épisodes de Voyage au bout de la nuit)

Entre 1937 et 1941 - une série de pamphlets racistes -> la propagande du gouvernement collaborateur
de Vichy.
- le refuge au château à Sigmaringen -> D’un château l’autre (1957)
- au Danemark – en prison ; l’amnistie en 1951
- la médecine et la littérature

Voyage au bout de la nuit (1932 ; Le Prix Renaudot)


- la guerre l’horreur, la peur, la lâcheté, l’égoïsme et l’absurdité vs le mythe épique et héroïque
« Aussi loin que je cherchais dans ma mémoire, je ne leur avais rien fait aux Allemands [...] La
guerre en somme c’était tout ce qu’on ne comprenait pas. [...] Décidément, je le concevais, je
m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique. »
- le cauchemar du colonialisme
- la misère aux États-Unis.
- un cabinet médical à La Garenne-Rancy -> la vie de banlieue parisienne
- un hôpital psychiatrique
- Robinson, une sorte d’alter-ego négatif du héros principal
- Madelon, la fiancée de Bardamu

- la révolution stylistique
L’incipit de Voyage au bout de la nuit : « Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien.
C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade.
On se rencontre donc place Clichy. C'était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l'écoute. «
Restons pas dehors ! qu'il me dit. Rentrons ! Je rentre avec lui […] »

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[carabin – en argot – étudiant en médecine]
- le style parlé (le pronom ça, la formule qu’il me dit, la narration au présent)
- le français populaire dominant dans le discours et dans le récit remplace le français littéraire
conventionnel
- l’argot, l’oralité
- une « langue anti-bourgeoise », opposée aux normes académiques

- mettre l’accent sur l’émotion :

« D’instinct je cherchais un autre langage qui aurait été chargé d’émotion immédiate,
transmissible mot par mot, comme dans le langage parlé. » (Entretiens familiers avec L.-F. Céline,
1958)
- une corrélation entre la violence des expériences de la guerre et la violence du langage et du style de
l’écriture
 des exclamations, une syntaxe relâchée, des ellipses et des redondances
 l’argot, des jeux de mots, des néologismes, des onomatopées, des blancs, des suspensions (le bruit
du métro parisien)
 le langage émotif et violent pour exprimer le scandale du monde absurde, violent, misérable

« L’argot est né de la haine »


la violence du langage -> la vision d’un monde obscène -> la dénonciation de l’humanité hypocrite, des
masques de la bourgeoisie bien-pensante et des stéréotypes sociaux ; l’humour noir et le grotesque (=>
à comparer avec Jarry, Beckett, Ionesco)

- l’inspiration par l’œuvre de Rabelais - l’écriture explorant la langue populaire, vulgaire avec tous ses
registres, toutes ses ressources (ce qui doit permettre d’exprimer toutes les tonalités, les cris, les silences,
les interrogations, la colère, la tristesse, la joie).

- l’intertextualité
- la parodie des témoignages de guerre, des romans d’aventure et du roman populiste ;
- le schéma narratif de Voyage au bout de la nuit -> une réécriture du scénario anti-optimiste de Candide
de Voltaire (le héros jeté d’un continent à un autre découvre partout une nouvelle forme du mal et de la
violence)

L’influence de Céline :
- Raymond Queneau (le français populaire, oral, argotique)
- les existentialistes

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« Le livre français qui compta le plus pour nous cette année, ce fut Voyage au bout de la nuit de
Céline. Nous en savions par cœur des tas de passages. Son anarchisme nous semblait proche du
nôtre. Il s'attaquait à la guerre, au colonialisme, à la médiocrité, aux lieux communs, à la société,
dans un style, sur un ton, qui nous enchantaient. Céline avait forgé un instrument nouveau : une
écriture aussi vivante que la parole. […] » (Simone de Beauvoir, La force des choses. Paris :
Gallimard, 1960)

Céline et la Première Guerre Mondiale


- Voyage au bout de la nuit -> un résultat du trauma (auteur / personnage)

- Guerre – roman publié le 5 mai 2022 (soixante ans après la mort de Céline)

[à comparer avec Le Premier Homme de Camus – en 1994 ; -> Camus deuxième génération / Céline –
première génération]

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QUATRIEME DE COUVERTURE
Guerre
« Parmi les manuscrits de Louis-Ferdinand Céline récemment retrouvés figurait une liasse de
deux cent cinquante feuillets révélant un roman dont l’action se situe dans les Flandres durant la
Grande Guerre. Avec la transcription de ce manuscrit de premier jet, écrit quelque deux ans après
la parution de Voyage au bout de la nuit (1932), une pièce capitale de l’œuvre de l’écrivain est mise
au jour. Car Céline, entre récit autobiographique et œuvre d’imagination, y lève le voile sur
l’expérience centrale de son existence : le traumatisme physique et moral du front, dans l’«
abattoir international en folie ». On y suit la convalescence du brigadier Ferdinand depuis le
moment où, gravement blessé, il reprend conscience sur le champ de bataille jusqu’à son départ
pour Londres. À l’hôpital de Peurdu-sur-la-Lys, objet de toutes les attentions d’une infirmière
entreprenante, Ferdinand, s’étant lié d’amitié avec le souteneur Bébert, trompe la mort et
s’affranchit du destin qui lui était jusqu’alors promis. Ce temps brutal de la désillusion et de la
prise de conscience, que l’auteur n’avait jamais abordé sous la forme d’un récit littéraire
autonome, apparaît ici dans sa lumière la plus crue. Vingt ans après 14, le passé, « toujours saoul
d’oubli », prend des « petites mélodies en route qu’on lui demandait pas ». Mais il reste vivant, à
jamais inoubliable, et Guerre en témoigne tout autant que la suite de l’œuvre de Céline. »

Citation : Guerre dans la vie et l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline (appendice)


« J’ai attrapé la guerre dans ma tête. » À elle seule, cette dernière phrase du premier feuillet du
manuscrit retrouvé de Guerre résume ce qu’il représente à la fois dans la vie de Louis Destouches et
dans l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. Toute sa vie, le médecin et écrivain répétera qu’il souffre des
séquelles d’une blessure à la tête reçue en effectuant une mission pour son régiment le 27 octobre 1914.
Quant aux répercussions de la Grande Guerre sur l’ensemble de son œuvre, y compris ses écrits
polémiques, elles ont fait l’objet de nombreuses études. Cet aveu : « À présent je suis entraîné. Vingt
ans, on apprend. J’ai l’âme plus dure, comme un biceps. Je crois plus aux facilités » donne à penser,
même s’il avait vingt ans lors de ces événements, qu’il écrit vingt ans plus tard, soit en 1934.

Pour développer et approfondir le sujet – quelques articles conseillés (lectures facultatives)

l’article : Piotr Sadkowski, « Des regards médicaux et psychologiques sur la Grande Guerre chez
Georges Duhamel, Louis-Ferdinand Céline et Sergio Kokis », dans : Julia Pröll, Hans-Jürgen
Lüsebrink, Henning Madry (dir.), Médecins-écrivains français et francophones : imaginaires,
poétiques, perspectives interculturelles et transdisciplinaires, Würzburg : Königshausen &
Neumann, 2018, p. 239-254. [Art-Sadkowski_CELINE.pdf]

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l’article : Piotr Sadkowski, « Les narrations micro-(h)istoriques de Claude Duneton et de Jean
Echenoz », Kwartalnik Neofilologiczny, R. 65 z. 3, 2018, p. 335-343.
[Kwartalnik Neofilologicznt_Sadkowski.pdf; disponible en ligne:
https://journals.pan.pl/dlibra/show-content?id=107708&]

l’article : Piotr Sadkowski, « Francuskie (nie)oswajalne widmo : Wielka Wojna w małych formach
narracyjnych », Teksty Drugie, nr 4 (172), 2018, p. 94-114, [disponible en ligne :
https://journals.openedition.org/td/11038#ftn15]

l’article : Piotr Sadkowski, « La fiction hantée par le passé / le passé hanté par la fiction : les
spectres de la Grande Guerre dans Douze lettres d'amour au soldat inconnu d'Olivier Barbarant
et Visites aux vivants de Cathie Barreau », Cahiers Erta, No 18, 2019, p. 61-73
[Sadkowski_ERTA.pdf]

L’article : Piotr Sadkowski, „Pierwszy człowiek Alberta Camusa na tle ponowoczesnych narracji
o Wielkiej Wojnie”, Litteraria Copernicana, 3 (27) 2018, p. 103-120;
[Sadkowski_Camus_Pierwszyczłowiek.pdf; disponible en ligne:
https://apcz.umk.pl/LC/article/view/LC.2018.034]

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