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cette analyse du poème Une charogne de Charles Baudelaire est rédigée sous le prisme de l’alchimie

poétique. Cependant, ce célèbre poème peut très bien s’inscrire dans le parcours “émancipations
créatrices” lié au Cahier de Douai de Rimbaud.

qui fait l’éloge de la femme par le prisme d’un cadavre en décomposition.

Introduction de l’analyse linéaire du poème “une charogne” des Fleurs du Mal

Présentation de l’auteur

"À une charogne" : Analyse Linéaire (Bac 2023)

Charles Baudelaire, né en 1821 et mort en 1867, incarne pour beaucoup la figure du poète maudit.

Dandy parisien, dépensier à profusion, amoureux expansif, dépressif chronique, drogué, alcoolique,
misogyne incurable, poète de génie, on a pu dire de nombreuses choses sur Baudelaire, dont beaucoup
sont vraies …

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Installé à Paris à l’âge de 21 ans, il dépense une bonne partie de l’héritage familial avant que sa mère ne
décide de le placer sous tutelle, ce qu’il vit comme une humiliation. Toujours est-il qu’il est dès lors
obligé de travailler pour vivre, et devient donc, en 1845, critique littéraire.

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Présentation de l’oeuvre

C’est en 1857 qu’il publie son chef-d’oeuvre : Les Fleurs du Mal. Dès sa sortie, le recueil est mis en
procès, et finalement condamné pour “délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs”. Ce
verdict est un choc pour le poète, qui tout de même rencontre un immense succès pour son recueil.
De fait, Les Fleurs du Mal est un recueil éclectique, entre Romantisme, Parnasse et Symbolisme, lyrique
parfois dans les poèmes d’amour dédiés à ses deux grandes maîtresses.

Mais dans ce recueil, il s’agit surtout pour Baudelaire, de se faire alchimiste poétique, c’est à dire
d’utiliser la poésie pour accomplir le Grand Oeuvre de transformer la boue en or. Sublimer par les vers, la
laideur du réel, tel est son accomplissement.

Présentation du poème

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Pour illustrer cette alchimie poétique, quel meilleur exemple que le 28e poème du recueil, issu de la
section « Spleen et Idéal » : « Une Charogne » ?

Ce long poème de 12 quatrains en alexandrins et octosyllabes en rimes croisées se situe entre les
poèmes « Le Serpent qui danse » et « De profundis clamavi », inspirés par Jeanne Duval.

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Ce poème, dont nous n’analyserons que les 4 premiers et 3 derniers quatrains, a pour thème un cadavre
en décomposition qui étrangement permet au lecteur d’assister à la naissance d’une « Fleur du Mal ».
C’est à dire à l’éclosion de la beauté dans l’horrible.

Problématique

Ainsi, nous pourrons nous demander de quelle manière le poète transforme l’horrible en objet
poétique ?

Plan

Pour mener cette analyse linéaire du poème “Une charogne”, nous suivrons les mouvements du texte.
D’abord La description du cadavre en décomposition du vers 1 au vers 16 puis la comparaison avec la
femme aimée du vers 17 à 28.
Les numéros de vers tiennent compte de la coupure. Sinon, le dernier vers serait le 48.

Texte du poème “Une charogne” pour l’analyse linéaire

XXIX – Une Charogne

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux :

Au détour d’un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s’épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l’herbe

Vous crûtes vous évanouir.


(…)

– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

A cette horrible infection,

Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,

Apres les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

De mes amours décomposés !

“Une charogne” de Charles Baudelaire : Analyse linéaire

I. La description du cadavre

Strophe 1

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Dès le titre, le thème est annoncé : la description d’un cadavre en décomposition. Ce titre interpelle car
ce n’est généralement pas un sujet que l’on traite en poésie. On peut sentir, par les sonorités
désagréables du nom charogne (ch – r – gn) l’annonce du laid, de l’horrible.

Le nom de charogne, renvoie aussi au thème du vieillissement, de la fuite du temps, et de la mort. En


effet, une charogne est un cadavre que le temps détruit, éloigne toujours un peu plus de la vie, de ce
qu’il a été.

On constate dans le premier vers que le poème est adressé à quelqu’un que le poète nomme “mon
âme”. Cette apostrophe a valeur de compliment et doit se lire avec le vouvoiement de politesse
“rappelez-vous” qui semble témoigner d’un grand respect du poète pour la personne désignée.

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Jusqu’à la fin du poème où le lecteur comprend que “mon âme” désigne la femme aimée (“étoile de mes
yeux”), l’expression reste mystérieuse et pourrait laisser penser que le poète se parle à lui-même.

Les deux vers suivants présentent un cadre bucolique et plutôt positif, proche du cliché romantique de la
nature : “beau matin d’été́ si doux ” ; ” sentier”. On remarque ici que le souvenir du poète (temps du
passé) paraît d’une beauté ordinaire.

L’utilisation du pronom “nous” souligne que ce beau souvenir est partagé, et peut laisser penser à une
promenade dans la nature une belle journée d’été. Pourtant, dès le vers 3, l’horrible vient déranger le
cadre idyllique : “charogne infâme”.

Le poète cherche à mêler la beauté avec l’horreur, aussi remarque-t-on que le mot “âme” rime avec le
mot “infâme”, ce qui souligne bien que les deux thèmes s’entremêlent.

Les rimes croisées permettent d’accentuer cet entremêlement du beau et du laid, ce jeu de contrastes
perpétuels. La rime des vers 2 et 4 en témoigne : “doux / cailloux”.

Strophe 2

Dès le début de sa description dans les strophes suivantes, la charogne est personnifiée : “jambes” ;
“suant” ; “ventre” et comparée à “une femme lubrique”. On peut donc affirmer que le poète mêle
habilement les atouts d’un modèle féminin avec l’ostentatoire laideur du cadavre.
Et d’ostentatoire, il n’y a pas que la laideur. En effet, les connotations sexuelles sont nombreuses. La
charogne est d’abord “lubrique” et “brûlante”, et pose, si ce n’était pas assez évocateur, “jambes en l’air”.
De plus, elle ouvre son “ventre” (référence aux parties intimes).

Enfin, notons que les “exhalaisons” peuvent désigner un parfum de femme agréable, mais désigne ici
l’odeur de putréfaction.

Pour donner vie à la charogne décrite, le poète utilise la synesthésie. Il s’agit d’un procédé qui consiste à
livrer une description très précise en mobilisant plusieurs sens. Ici la vue (“nous vîmes”) et l’odorat avec
les “exhalaisons”. On peut donc dire que le poète n’épargne rien de l’horreur au lecteur.

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Strophe 3

Dans la troisième strophe, l’horreur ne fait que se renforcer. D’abord le déterminant démonstratif
accompagné du nom pourriture (“cette pourriture”) véhicule une image très péjorative.

Ensuite, la comparaison du soleil qui cuit la charogne “comme afin de la cuire à point” cherche à
dégoûter le lecteur en amenant ironiquement le lexique de la cuisine dans une description de cadavre.

Enfin, l’antithèse entre “soleil” et “pourriture” amène un jeu de clair / obscur qui est à rapprocher du jeu
d’alchimie poétique : transformer la boue en or.

Ensuite, l’allégorie de la “grande Nature” à qui l’on rend “ce qu’ensemble elle avait joint” ramène le
lecteur au thème de la fuite du temps. Le poète rappelle que la mort est un phénomène naturel et que
tout être vivant connaîtra la même fin.

Ainsi, on peut se demander si Baudelaire n’a pas cherché, dans cette description à dresser une nature
morte poétique. Le “soleil” sert d’éclairage à l’objet décrit qui n’est là que pour rappeler à l’homme la
fragilité de sa vie.
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Strophe 4

Dans la quatrième strophe, l’oxymore “carcasse superbe” rappelle l’opposition entre beauté et laideur
qui traverse l’ensemble du poème. L’hyperbole créée par l’adjectif “superbe” souligne l’ironie et la
provocation du poète. On note également l’opposition entre “fleur” et “puanteur” dans les deux vers
suivants.

Enfin, c’est jusqu’à la vie et la mort qui s’opposent par une antithèse dans cette strophe, la comparaison
“comme une fleur s’épanouir” pouvant représenter le vivant, la “puanteur” ainsi que l’infinitif “évanouir”
pouvant représenter la mort.

De plus, la personnification “le ciel regardait” peut suggérer l’au-delà et donc la mort.

Au niveau des sonorités, cette strophe fait entendre deux allitérations : une en -r et une en -s.
Respectivement des sonorités dures et douces qui accentuent le contraste entre vie et mort que dessine
ici le poète.

Concluons ce premier mouvement en notant que la description de la charogne est d’abord visuelle avant
de se tourner vers l’odorat.

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Même l’odeur n’est au début qu'”exhalaisons” avant de devenir une “puanteur si forte”. Il semble que le
poète donne à voir et sentir les étapes et la progression de la décomposition du cadavre.

II. Comparaison avec la femme aimée

Strophe 5

La strophe suivante est la dixième strophe du poème, mais la cinquième de notre découpage. Elle opère
un passage de la charogne à la femme aimée. Ou plutôt un retour puisqu’on l’a vu, la femme était déjà
mentionnée dans la première strophe où le poète évoquait leur promenade.
Ici, le poète délaisse la charogne pour s’adresser directement à la femme et livrer la clé du poème. Le
pronom “vous” accompagné d’un verbe au futur (“et pourtant vous serez semblable à cette ordure”)
marque une volonté de prophétie, presque menaçante.

L’adverbe “pourtant” marque la grande beauté de la femme à qui s’adresse le poète, mais cela pour
souligner qu’elle ne la protègera pas de la mort et de la putréfaction.

La comparaison à une “ordure” et à une “horrible infection” peut créer un effet de choc, d’autant qu’elle
est faite au futur : “vous serez”. L’utilisation du déterminant démonstratif “cette ordure” et “cette
horrible infection” témoigne d’une volonté de forcer la femme à regarder, de l’empêcher de détourner le
regard.

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On voit que le poète rapproche l’amour et la mort, la femme et la charogne, en faisant rimer “infection”
avec “passion”. Par ailleurs, il accentue ces mots à l’aide de deux diérèses pour arriver à des octosyllabes
complets.

Ici, le poète ironise sur le topos de l’amour dans la poésie courtoise où la femme est un objet de
perfection. Aussi, utilise-t-il des périphrases hyperboliques et ampoulées : “Étoile de mes yeux, soleil de
ma nature”.

Il se moque ici des poètes de La Pléiade, et notamment de Ronsard, dont il reprend pourtant la stratégie
argumentative.

Rappelons en deux mots, que dans son célèbre sonnet pour Hélène, Ronsard menaçait Hélène en faisant
miroiter le spectre de son vieillissement pour l’enjoindre de se donner à lui sans plus attendre. Pour lire
le poème, cliquez ici.

Strophe 6

Le poème se fait plus lyrique dans cette dernière partie. En témoignent les exclamations ainsi que les
apostrophes “ô ma beauté” et “ô ma reine des grâces”.
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Le poète semble maintenant faire l’éloge de la femme par l’intermédiaire de la description de la


charogne. Il transforme donc effectivement la boue en or, la laideur en beauté.

On ne peut que souligner le changement de ton entre la vulgarité des expressions des premières
strophes (“lubrique” “les jambes en l’air”) et le raffinement des compliments dans ces 3 dernières
strophes : “vous, mon ange et ma passion”.

Pourtant, si l’on s’intéresse aux rimes, le lyrisme n’est qu’une façade ironique : “grâces” rime avec
“grasses” et “vermine” avec “divine”. Le poète reste cynique et irrévérencieux malgré les compliments
ampoulés qu’il prétend faire à la femme aimée.

Strophe 7

Les champs lexicaux laissent percevoir un entremêlement entre amour et mort : éros et thanatos.
L’amour avec les mots « reine » ; « beauté́ » ; « baisers » côtoie la mort avec les mots « derniers
sacrements » ; « sous l’herbe » ; « moisir » ; « ossements ».

C’est une opposition supplémentaire qui rappelle que le poème met en place l’alchimie poétique, la
transformation de la boue en or.

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Enfin, le poète se montre à l’avant dernier vers par le pronom personnel “je”. Il vient ici affirmer son rôle,
celui de préserver “la forme et l’essence divine / De (ses) amours décomposés”.

Pour lui, seul l’art et la poésie permettent de préserver la beauté dans son essence divine de la fuite du
temps.

Conclusion de l’analyse linéaire du poème “Une charogne” de Charles Baudelaire


Rappel du développement

Nous avons pu voir que si le poète semble d’abord évoquer le souvenir heureux d’une promenade en
amoureux, c’est en fait un prétexte à la description morbide et vulgaire d’une charogne.

Il utilise ensuite l’horreur qu’il a mise en évidence pour rappeler à la femme aimée que malgré sa
beauté, elle finira, elle aussi dans cet état de décomposition, et que seule subsistera son essence
poétique préservée par le poète.

Réponse à la problématique

En détournant les codes de la poésie courtoise, et en imposant le thème de la mort dans sa version la
plus crue au sein de son poème, Baudelaire illustre parfaitement l’alchimie poétique.

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Il montre que le poète est capable de sublimer la laideur de la mort en redonnant vie à des impressions
figées dans sa mémoire.

Ce poème nous montre donc un parfait exemple de la façon dont le poète transforme l’horrible en objet
poétique : la charogne devient la femme et la femme devient la charogne, toutes deux superbes, et
toutes deux maintenues en vie par l’art du poète.

Ouverture

il serait intéressant de mettre ce poème en relation avec plusieurs poèmes de Ronsard, notamment
“mignonne allons voir si la rose” ou “quand vous serez bien vieille”.

En effet, le poète de la Pléiade y avertissait, comme Baudelaire à sa façon, la femme de sa finitude, pour
l’enjoindre à profiter du jo

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