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OBJET D’ÉTUDE N°1 : LA POÉSIE DU XIX° AU XXI° SIÈCLES

Support : BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (1857 pour la première édition ; 1861 puis
1868)

Parcours associé : La boue et l’or : l’alchimie poétique.

LL n°1 : « Le Serpent qui danse »

« Le Serpent qui danse » fait partie du recueil des Fleurs du mal (1857, puis 1861) de Charles
Baudelaire, qui a suffi à imposer son auteur comme le grand poète de la modernité. Du point de vue
biographique, on sait que le poète évoque ici Jeanne Duval, sa maîtresse, une jeune femme métisse aux
origines géographiques mal établies, qu’il a rencontrée lorsqu’il n’avait que vingt ans. Celle-ci,
obscure comédienne dans de petits théâtres, représente à ses yeux la femme sensuelle et exotique. Il lui
consacre d’ailleurs, dans la section « Spleen et Idéal », un certain nombre de poèmes qui constituent
une sorte de cycle, qui, dans l’édition de 1861, s’étend fort probablement de « Parfum exotique »
(XXII) à « Je te donne ces vers afin que si mon nom… » (XXXIX).
L’inspiration amoureuse pousse Baudelaire, dans « Le serpent qui danse », à célébrer la beauté
physique de la femme et son irrésistible pouvoir de séduction, exacerbé par le mouvement
chorégraphique.
Problématique : Comment Baudelaire fait-il de ce poème un objet érotique ?

Le poème peut se diviser en trois parties : le poète interpelle d’abord la femme aimée en
exprimant son désir pour elle (v. 1-4), puis détaille chaque partie de son corps dans une description
élogieuse (v. 5-28), avant d’exprimer un désir de fusion chargé d’érotisme (v. 28-36).

Le titre

Le titre du poème annonce la description de la femme en danseuse, puisque le poème précédent,


« Avec ses vêtements ondoyants et nacrés… » (XXVII), a déjà comparé la femme dansant aux « longs
serpents que les jongleurs sacrés / Au bout de leurs bâtons agitent en cadence » (v.3-4). Mais les
connotations de ce titre sont ambiguës : s’agit-il d’évoquer les charmeurs de serpents, en développant
une rêverie orientaliste à la mode au XIX° siècle ? Ou de rappeler la proximité de la femme et du mal,
incarné par le serpent qui tente Ève, dans le célèbre récit de la Bible sur le paradis originel ? On peut y
voir aussi une désignation de la forme même du poème qui, s’il reprend des motifs et des mots du
poème qui le précède, quitte la forme du sonnet pour adopter la forme de neuf quatrains
hétérométriques1 où alternent octosyllabes et pentasyllabes. Cette forme, en effet, peut suggérer
typographiquement la forme allongée et ondulante du reptile sur la page.

Premier mouvement : une apostrophe à la femme (quatrain 1)

• Le poème s’ouvre sur une phrase exclamative, qui exprime l’admiration du poète pour la femme qui
danse : « j’aime voir » (expression du plaisir). L’apostrophe « chère indolente » indique l’affection
amoureuse, mais ce sera la seule marque du sentiment amoureux ; tout de suite, le nom « indolente »
oriente plutôt le poème vers le désir charnel : il connote la lascivité2 de la danseuse.
• La « peau », brillante et comparée à une « étoffe », fait de la femme un serpent (dont la peau luisante
est susceptible de muer). En mentionnant cette « peau », le poète amorce immédiatement l’analyse du
« corps si beau » de la femme en éléments distincts, ce qui rapproche le poème d’un blason du corps
féminin.

Deuxième mouvement : Un blason du corps féminin (quatrains 2 à 7)

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• Le tutoiement permet d’imposer la présence de la femme, qui semble danser sous nos yeux, et de
souligner l’intimité qu’elle partage avec le poète.
• Les strophes 2 et 3 poursuivent la description du corps de la danseuse commencée par la « peau »
moirée en insistant sur la chevelure, élément chargé d’un érotisme puissant chez Baudelaire. Le poème
« La chevelure » (XXIII) associait déjà les cheveux au parfum et au voyage. Valorisée par l’adjectif
« profonde », la chevelure permet en effet la transition entre l’ondulation du serpent et le tangage d’un
navire, mais aussi entre les notations visuelles du premier quatrain et les notations olfactives.
• Les strophes 2 et 3 initient le mouvement de la rêverie du poète, qui, par la métaphore de la mer et la
comparaison avec le navire, déréalise le corps de la femme au profit d’une dérive de l’imagination.
Mais elles n’oublient pas de suggérer une musicalité propre à l’évocation de la danse, par le rythme
des vers comme par les allitérations marquées en [v] et, plus localement, en [b] (v. 8).
• Après les cheveux, ce sont les yeux qui retiennent l’attention du poète. Dans le sillage des
« Correspondances » (IV), le poème joue de la synesthésie : la vue est associée au goût (antithèse
« doux » vs « amer ») et au toucher (« froids »), deux sens qui prennent le relais de la vue et de
l’odorat évoqués auparavant. Les « bijoux » sont un comparant valorisant, qui soutient l’éloge sensuel,
mais comme l’âcreté du vers 6, des éléments négatifs nuancent cet éloge : l’indifférence, voire la
cruauté, transparaît par l’évocation du « fer » (métal froid, dur, militaire) aux côtés de « L’or », dans
un saisissant effet d’allitération en [R] en clausule3 de strophe, qui attire notre attention sur le thème de
l’alchimie : la femme est capable d’associer des métaux contraires (l’or précieux et le fer vil), initiant
le poète à une transmutation matérielle que les dernières strophes vont mettre en œuvre.
• Constituant la strophe centrale du poème (la cinquième sur neuf), les vers 16 à 20 reprennent et
explicitent le titre du texte en revenant sur le mouvement de la danse et en ravivant l’image du
charmeur de serpents oriental. Les allitérations en [d] et en [b] participent à la musicalité obsédante du
poème. Mais celui-ci prend soudain une coloration plus nettement sensuelle : l’expression « Belle
d’abandon » suggère une posture voluptueuse, et l’image du bâton est clairement phallique.
• L’isotopie4 de la nonchalance5 se fait plus insistante dans la seconde moitié du poème. On la retrouve
dans les deux strophes suivantes à travers les termes « paresse » et « mollesse » à la rime, et avec les
verbes « Se balance » et « s’allonge ».
• L’éléphant, animal exotique, rappelle comme le serpent les origines de la métisse qu’était Jeanne
Duval. Mais, plus profondément, ces deux bêtes suggèrent la sensualité animale, physique, de la
femme. C’est pourquoi le poète peut glisser, à l’inverse du début du poème, de la parcellisation (peau,
cheveux, yeux) à la globalisation du « corps ». Le retour de la comparaison avec le navire souligne le
caractère obsessionnel de la rêverie du poète ; mais avec le mot « vergues », qui par paronomase
appelle le mot verge, cette rêverie érotique gagne en audace.

Troisième mouvement : Le rêve de fusion érotique.

• La quatrième occurrence de l’adverbe de comparaison « comme » ouvre le dernier mouvement du


poème en soulignant avec insistance que l’imagination et l’écriture du poète font subir des
métamorphoses successives au corps désiré, déréalisé et comme spiritualisé par la démultiplication des
images (comparaisons, mais aussi métaphores). Le motif de l’eau participe de l’alchimie poétique : du
métal froid de la femme, le poète fait un liquide qu’il peut absorber, avec lequel il peut fusionner.
• Cette transmutation de la matière est rendue par les sonorités des vers 29 et 30, qui opposent
l’harmonie fuyante des [f] (« flot », « fonte ») à l’aspect rugueux des [g] et des [r] (« grossi »,
« glaciers grondants »), au moment où l’ouïe, dernier des cinq sens à être mentionné, fait enfin son
apparition.
• Elle se poursuit dans l’eau métamorphosée en « vin de Bohème », qui dit l’ivresse du plaisir. La
fusion rendue possible est alors, paradoxalement, à la fois très érotique (« l’eau de la bouche » suggère
la baiser) et très spirituelle : le « ciel liquide » témoigne de la valeur mystique de la fusion des corps,
de l’initiation au sacré qu’elle permet. Dernière transmutation alchimique : le « cœur » du poète
devient ciel plein « D’étoiles », l’intime se transforme en infini.

Le poème met ainsi en œuvre une alchimie poétique qui, dans la sensualité la plus marquée,
trouve un accès au sacré. La femme, dangereux « serpent » qui attire le poète vers la tentation
diabolique de la chair, est aussi une initiatrice au divin et à l’infini. Elle tient donc à la fois du spleen et

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de l’Idéal, et l’écriture poétique peut retrouver, dans l’abondance et l’ambivalence des sensations
synesthésiques liées au corps féminin (les cinq sens sont ici présents), une voie vers le suprasensible,
le céleste, qui est l’objet de la quête du poète. Ce poème illustre ainsi parfaitement la poétique de
Baudelaire, entre pouvoir alchimique de la poésie et « correspondances » entre les sens et le spirituel.

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1. Forme hétérométrique : utilisation de vers de métriques différentes – Lascivité : érotisme – 3. Clausule : dernier membre
d’une strophe – 4. Isotopie : répétition d’éléments semblables facilitant la compréhension d’un texte – 5. Nonchalance :
paresse.

LL n°2 : « Une Charogne » (XXIX)

Le poème « Une Charogne » prend place dans la section Spleen et Idéal entre « Le Serpent qui
danse » et « De profundis clamavi » : il se trouve donc dans un environnement de la décomposition.
Le poème est formé de douze quatrains composés de deux alexandrins et de deux octosyllabes
qui se croisent. Les rimes sont croisées.
Dans ce poème, le Poète et la femme qu’il aime se promènent ensemble. C’est alors qu’ils
voient une horrible charogne. Le Poète décrit alors la carcasse en décomposition de la bête morte puis
rappelle à la femme qu’elle-même sera un jour semblable « à cette horrible infection ». Néanmoins, il
explique aussi que sa poésie le préservera des effets de la mort.
Problématique : En quoi ce poème est-il un poème de la modernité ?
Ce poème est essentiel dans Les Fleurs du mal car il en exprime l’esthétique.

Citations + procédés littéraires Interprétation


Titre « charogne » + sonorités désagréables Peu poétique, provocateur, désagréable
[ch], [r] [gn]
Article indéfini : « une » Cadavre indéfini : de quoi ? de qui ? → mystère
er
1 mouvement : Une découverte macabre
Impératif + pronom : « vous » Adresse intime : à la femme aimée
Article défini : « l’objet » On ne sait de quoi on parle, flou mais l’article défini montre que
le couple s’en souvient → effet d’attente car l’objet n’est défini
qu’au vers 3 « une charogne infâme »
Apostrophe : « mon âme » Connotation amoureuse
Strophe 1

Redondance « charogne » + « infâme » Effet d’insistance sur l’horreur de la découverte


Antithèses sémantiques : « beau matin d’été si Fusion du beau et du laid
doux » / « charogne infâme »
+ antithèses dans les rimes : âme/infâme,
doux/cailloux
Polysémie « un lit » « lit » de la rivière ou de la chambre → contribue à personnifier
le cadavre comme s’il s’agissait d’une femme
Personnification dégradante « les jambes en Connotation sexuelle
l’air »
Comparaison dégradante et sexuelle : Association de la charogne et de la femme (Eros et Thanatos*)
Strophe 2

« comme une femme lubrique »


Connotation polysémique « brûlante et Évoque soit la fièvre amoureuse soit la fièvre maladive (Éros et
suante » Thanatos)
Métaphore « ouvrait […] son ventre » Ventre : siège de la sexualité → image très crue, provocante
Isotopie du mal : « lubrique », « poisons », Cadavre lié au péché, au mal
« cynique »
Antithèse : « soleil » / « pourriture » Fusion du beau/laid, vie/mort (rappelle le titre Fleurs du mal)
Strophe 3

Antithèse : « ensemble », « joint » / « rendre La nature unit, le cadavre est en état de décomposition avancée
au centuple » → la vie unit, la mort décompose.
Allégorie : « la grande Nature » + verbe Personnification majestueuse : la Nature est unificatrice

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d’action « elle avait joint » (comme l’artiste, comme le poème le montrera plus tard)
Comparaison culinaire « cuire à point » Très provocateur : comme si on pouvait imaginer manger la
charogne (ce que la chienne fera à la strophe 9) → dégoûtant,
horrible
Oxymore « carcasse superbe » Beauté de la laideur
Comparaison « comme une fleur » Comparaison étonnante d’un cadavre et d’une fleur → lien
Strophe 4

beau/laid
Antithèses et rapprochements Laid et beau s’alimentent l’un l’autre : quand l’un s’éveille,
paronymiques : « s’épanouir » / « évanouir » l’autre s’endort
Oppositions et rapprochement dans une Rapprochement étonnant qui lie encore une fois le Laid et le
rime interne « puanteur » / « fleur » Beau
2ème mouvement : le travail de la décomposition
Évocation de la mort et de la pourriture : La mort évoquée comme une décomposition, un éparpillement
putride, noirs, haillons, épais liquide
Image concrète, très visuelle : « larves », Présence de la mort dans sa forme la plus concrète et visible de
« mouches » (au pluriel), épais liquide la décomposition
Mais aussi lexique de la vie : De la mort sort la vie : paradoxe ; cycle vie/mort
Strophe 5

« bourdonnaient », « sortaient », « bataillons »,


« vivants »
Image de naissance : « ce ventre […] d’où Idem : la mort donne naissance à la vie
sortaient »
Rejet « noirs bataillons / De larves » Accompagne l’écoulement de « l’épais liquide », comme si ça
ne s’arrêtait jamais
Verbes d’action à l’imparfait : sorte de Continuité de la vie qui sort de la mort
mouvement permanent et perpétuel
Gradation dans la multitude : « tout cela », Expansion du cadavre comme si de l’un naissait le multiple
« enflé », « multipliant »
Verbes de mouvement : « descendait », Paradoxe absolu du cadavre vivant, effet fantastique
« montait », « s’élançait »
Strophe 6

Comparaison « comme une vague » et Images issues de la nature avec idée de distribution,
métaphore « souffle vague » d’expansion
Comparaison avec connotation Poursuite de l’image de la naissance commencée à la strophe
d’accouchement « on eût dit que le corps, précédente : comme s’il y avait eu relation intime entre la
enflé […] vivait », femme et la nature (strophe 2), et que de cette union naissait la
vie (des larves, certes, mais la vie tout de même).
Allitération en [v] Vibration, vrombissement des mouches = vie
Métaphores musicales : « étrange musique », Strophe très lyrique, en décalage avec ce qui précède : il ne
« mouvement rythmique » s’agit plus de provoquer (lier le beau et le laid) mais de faire
émerger une nouvelle forme de poésie : montrer que de la
laideur surgit la beauté = alchimie poétique.
Strophe 7

Comparaison avec des éléments naturels Idée d’écoulement, qui poursuit la comparaison de l’ « épais
« comme l’eau courante et le vent » liquide » : continuité beau / laid ou vie / mort. Ici, seulement la
beauté.
Lexique du mouvement « agite », « tourne », Éparpillement de la vie aux quatre vents, dispersion dans la
« mouvement » nature
+ assonance en [an] Le [an] rythme la strophe, comme une musique qui coule
Poursuite de l’allitération en [v] Vie
C.L de l’oubli : « s’effaçaient », « oubliées », La mort comme disparition, dilution des formes et des souvenirs
Strophe 8

« souvenir »
Métaphores artistiques : « formes », Par opposition, l’art serait une manière de fixer des formes, afin
« ébauche », « toile », « artiste » qu’elles ne s’effacent pas. L’art serait une manière de dépasser
la mort.

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Suite et fin de l’allitération en [v] Fin du vrombissement et de la vie ? Accompagne la disparition
des formes.
Métaphore : « l’artiste achève » Fonction de l’artiste : il unit ce qui se décompose, rassemble les
souvenirs éparpillés, les fixe pour l’éternité sur sa toile ou dans
un poème.
Cadre spatial : « derrière les rochers » Retour au récit après la parenthèse lyrique des strophes 7 et 8
Allitération en [r] Récit dur, avec sonorité rauque.
Gradation : « Charogne » (§ 1) → « carcasse Gradation dans la décomposition : auparavant, la charogne était
superbe » (§ 4) → « le corps » (§6) → le comparée à une femme, désormais, elle n’est plus qu’un tas
Strophe 9

« squelette » d’os
« le morceau » Fragmentation du cadavre qui part en morceaux : la mort
comme éparpillement
Enjambement : « reprendre… / Le morceau » Continuité vie/ mort + la mort nourrit la vie (le squelette nourrit
la chienne)

3ème mouvement : Les pouvoirs de la poésie


Tiret + adversatif* « pourtant » + retour au Marquent une rupture : après le récit, le poète semble entamer
dialogue avec le pronom « vous » une morale : poème à valeur d’exemplum* ?
Futur de certitude « serez » Certitude ironique et horrible
Strophe 10

Comparaison « vous serez semblable à cette Comparaison provocatrice et horrible, totalement en décalage
ordure / à cette horrible infection » avec les mots d’amour traditionnels
Apostrophes pétrarquistes* « Étoile de mes Clin d’œil aux poètes de la Pléiade, notamment à Ronsard →
yeux », « soleil de ma nature », « mon ange, ma Baudelaire signe ce poème comme étant une parodie de l’ « Ode
passion » à Cassandre »* de Ronsard. Contraste saisissant entre
l’évocation gothique* de la mort et ces apostrophes lyriques.
Exclamation « Oui ! » Confirmation presque joyeuse de la mort à venir.
Réitération de la comparaison « telle vous Idem : confirme de nouveau la décomposition future de la
serez » femme aimée.
Apostrophe lyrique « ô la reine des grâces » Lyrisme décalé par rapport à ce qui est dit → on est dans le
registre héroï-comique* (employé un style élevé pour aborder
Strophe 11

un sujet bas, prosaïque ici). Noter que les Grâces dans la


mythologie sont les déesses de la beauté. Idée que la beauté
deviendra laideur… mais heureusement, le poète est là pour
fixer cette beauté à jamais.
Futur de certitude « serez », « irez » Aucun doute possible sur le devenir de la femme.
Indicateur spatial « sous l’herbe et les La femme appartiendra au domaine du bas, de la boue ; mais
floraisons grasses » + verbe « moisir » dans le même temps, sa décomposition nourrira la vie (cycle
vie/mort)
Apostrophe lyrique « ô ma beauté » Reprend l’apostrophe de la Reine des Grâces : effet d’insistance
sur sa beauté présente
Impératif présent « Dites » Le présent rend réelle, présente cette mort, comme si elle était
déjà là.
Enjambement + expression employée au De nouveau la continuité vie/mort (dans l’enjambement) +
Strophe 12

sens propre « à la vermine / qui vous mangera Eros et Thanatos* (amour et mort imbriqués, inextricablement
de baisers » liés : l’amour est inséparable de la mort)
Pronom de la 1ère personne du singulier Première occurrence du « je » (employé auparavant dans un
« j’ai » « nous » qui associait la femme) → dissociation poète / femme
aimée : elle est mangée alors qu’il garde sa forme originelle.
Opposition singulier / pluriel : « gardé la Le poète, par opposition à la femme, appartient au domaine du
forme et l’essence divine » / « mes amours divin, de l’or grâce à la poésie.
décomposées » = L’artiste est celui qui recompose ce que la mort a décomposé
→ il unit, il donne une forme unique à ce qui se désagrège.

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En conclusion, nous pouvons retenir trois points essentiels exprimés par le Poète :
- Volonté de choquer, écriture provocatrice pour le lecteur.
- Image de la modernité : « tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». Baudelaire illustre dans ce
poème le titre du recueil. Il arrive à partir de la misère, de l’horreur, du mal à créer la beauté, « une
fleur ». La poésie est une fleur rare qui fait naître une forme nouvelle de beauté. Le Poète =
alchimiste qui transforme le laid en beau = NOUVEL ART POÉTIQUE, tournant dans l’histoire
de la poésie.
- Élargissement : RONSARD. Il conseille à la femme de profiter du temps qui passe et de
l’immortalité que peut lui offrir le poète. Ici Baudelaire insiste surtout sur l’immortalité du poète
(fin du poème) et est plus cruel avec la femme, qui, simple mortelle, n’a pas d’espoir de salut.
Force de Baudelaire : renouveler les thèmes classiques.

***
LL n°3 : Victor HUGO, « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie », Les Contemplations, Livre III,
« Les luttes et les rêves », XXVII (1856).
Problématique : Comment le Poète invite-t-il le lecteur à aimer au-delà des apparences ?
Premier mouvement : vers 1 à 16  Un amour paradoxal du locuteur
Vers 1 Il s’agit de la proposition principale, annonçant d’emblée et avec force
la position du locuteur : « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie ».
Insistance par la coupe à l’hémistiche (« J’aime l’araignée / et j’aime
l’ortie »), par l’anaphore mettant en valeur l’affection et la 1ère
personne (« j’aime »), par la prononciation du -e final de « j’aime »
dans les deux cas.

Ces vers sont un argumentaire, structuré par l’anaphore de « Parce


Vers 2 à 16
qu’ » / « Parce que » en début de vers, seulement interrompu au vers
10 par deux exclamations, qui reprennent d’ailleurs l’argument du
destin funeste. La mise en page (retrait pour les vers courts, alors que
la plupart des « Parce qu’» sont au début des vers longs) et la
ponctuation (points-virgules séparant les différentes subordonnées de
cause, remplacées par des virgules dans la 4ème strophe) soulignent
cette structure.
Les deux mal-aimées, toutes deux désignées par des substantifs
féminins, sont toujours associées : « l’araignée et […] l’ortie » vers 1 ;
« l’ortie est […] / L’araignée » vers 11-12, « toutes deux » vers 15 (+
suite 17-18, 19,27) ; « elles » 5, 7, 9, 13, 15, « les » 2,14, « leur » 4, 8,
9.
Vers 1-2 : opposition du locuteur à l’opinion commune grâce à deux
antithèses : « hait » - « aime » et « on » - « j’». Le lien logique énoncé
Vers 1 à 16 est surprenant : pas l’opposition mais la cause.
Vers 3 : de nouveau une double antithèse « exauce » - « châtie »,
« rien » - « tout » renforcée par l’opposition entre la phrase négative et
la phrase affirmative ; peut-être pouvons-nous voir une autre antithèse
entre « souhait » (connoté d’espoir, d’allant) et « morne » (abattement
connoté de résignation). « Morne » est mis en valeur par le -e prononcé
et la coupe qui suit ainsi que par la répartition du nombre de syllabes
dans le vers (3 pour la résignation, 2 pour le souhait) : l’abattement et
la résignation silencieuse l’emportent.

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Elles sont frappées par le malheur : leurs timides désirs sont
sanctionnés comme un crime « que tout châtie / Leur morne souhait »
3-4 ; tout se ligue contre elles, « rien ne » et « tout » répétant leur
solitude et l’adversité générale
Victimes d’une véritable malédiction : explicitation par le participe
passé adjectivé « maudites » (vers 4), répété par « tristes » au vers 7
(triste : qui fait pitié ou tristis en latin = funeste). Cette idée est
développée par « captives / De leur guet-apens » (vers7-8), « prises
dans leur œuvre » (vers 9) qui montrent la fatalité comme source de
leur malheur : elles portent en elles-mêmes la source de leur sort.
Fatalité à travers l’adjectif « fatals » (vers 10), le nom « sort » (vers 10)
invoqué en une exclamation, l’image des « nœuds » (vers 10). Ce sort
funeste se manifeste par leur condition physique « chétives » (vers 5),
l’apposition « Noirs êtres rampants » (vers 6) les montrant comme
condamnées à une position basse et à l’obscurité, sans doute à une
apparence provoquant le dégoût
La 3ème strophe s’ouvre par la reprise de l’idée qu’araignée et ortie sont
prisonnières d’elles-mêmes (« prises dans leur œuvre » [vers 9] faisant
écho à « captives / De leur guet-apens » [vers7-8]), suivie de deux
exclamations qui interrompent la suite des « parce que » mais
expriment l’horreur et la pitié du locuteur, peut-être aussi des
victimes : « Ô sort ! fatals nœuds ! ». L’absence de verbe dans ces
exclamations permet la concision et renforce l’émotion exprimée. Elle
se poursuit par deux métaphores.
Ces 2 métaphores « Parce que l’ortie est une couleuvre, / L’araignée un
gueux » (vers 11-12) posent question, et peuvent s’interpréter par
rapport à l’insistance sur la fatalité qui précède. La « couleuvre », sorte
de serpent inoffensif, rampe au sol (« rampants ») et peut donc montrer
l’humilité, le manque de majesté ou la condition inférieure de l’ortie.
De plus, dénuée de venin, la couleuvre peut susciter l’effroi de
l’ignorant mais est en réalité désarmée. On peut alors y voir une
malédiction : comme la couleuvre, l’ortie suscite la peur ou la haine,
mais sans raison, et ne peut se défendre contre les manifestations de
cette haine. La métaphore de l’araignée présentée comme « un gueux »
(vers 12), avec le verbe « est » sous-entendu, rappelle que l’araignée ne
peut se nourrir qu’en attendant, discrète et silencieuse, postée dans sa
toile, comme le mendiant qui tend la main, tributaire des autres, ne
pouvant agir pour assurer sa survie.
Les deux mal-aimées sont condamnées par l’effroi qu’elles suscitent à
vivre loin des regards, dans les endroits sombres et peu propices à la
vie ou à l’épanouissement : « elles ont l’ombre des abîmes » (vers13).
Elles sont « victimes / De la sombre nuit » (vers 15-16) dans laquelle
elles sont rejetées par les autres et le fait qu’elles soient méconnues,
accusées à tort. « On les fuit » (vers14) sans les connaître, sans les
laisser montrer leurs désirs, leur âme évoquée plus haut.
Elles ne sont pas responsables de leur sort, et ne peuvent lutter contre
lui, obligées de subir les préjugés des autres : elles sont désignées dans
« qu’on les fuit » (vers 14) par un pronom COD (elles ne sont pas

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sujet, n’agissent pas) et sont donc de pures « victimes » (vers 15).

Deuxième mouvement : vers 17 à 20  L’appel aux passants.


La 5ème strophe s’ouvre par l’apostrophe « Passants » (vers 17) qui
interpelle les lecteurs comme ceux qui sont amenés à considérer l’ortie
et l’araignée. L’interpellation se poursuit par les impératifs de la 2ème
personne du pluriel : « faites » « plaignez ».
Il s’agit d’un appel à la compassion. La demande qui suit
immédiatement l’apostrophe est « faites grâce » (vers 17). Suivent
deux compléments d’objet seconds de cinq syllabes chacun, ce qui
renforce le parallélisme : « à la plante obscure, / Au pauvre animal »
(vers 17-18). L’ortie et l’araignée sont désignées par périphrase.
L’intérêt est que cela pourrait s’appliquer à d’autres plantes ou
animaux partageant leur sort. Cela insiste aussi sur deux de leurs
aspects : méconnues et humbles (« obscure »), pitoyables car souffrant
(« pauvre »).
Les deux vers suivants, (vers19-20), combinent un autre parallélisme
des CO et l’anaphore de l’injonction « plaignez ». Le parallélisme en
trois temps permet encore une fois de mettre les deux mal-aimées sur
le même plan, mais finalement « la laideur […], la piqûre » (vers 19)
peuvent s’appliquer aussi bien à l’araignée qu’à l’ortie. Le troisième
temps « le mal » (vers 20) englobe les deux, élargit le propos et
généralise.
Les deux exclamations du vers 20 et l’interjection « Oh » dénotent le
désir de convaincre et la conviction du locuteur de la nécessité d’être
compatissant envers les mal-aimées : « Oh ! plaignez le mal ! ». Cette
nécessité est exprimée de façon paradoxale : ce qui est donné à
plaindre, c’est le désagrément, voire la douleur infligée, à travers deux
termes péjoratifs ou connotés de manière péjorative : « laideur »,
« piqûre », « le mal » (vers 20) serait donc l’inverse du bien.
L’anaphore « Plaignez […], plaignez […], / […] plaignez » en deux
vers et trois groupes au rythme proche (5, 5, 4 syllabes) renforce le
désir de faire agir ceux à qui est adressé cet impératif. S’agit-il de
considérer que « le mal » est victime de malchance, comme le méchant
est mal tombé, indépendamment de sa volonté ? Ou simplement de
compatir de manière universelle ? Ou encore de se rappeler que l’ortie,
l’araignée, tous les mal-aimés sont de simples victimes de leur destin,
comme il était montré plus haut dans le poème ?

Troisième mouvement : vers 21 à 28  L’appel général à la caritas (amour du prochain).

La 6ème strophe est la seule qui ne se finisse pas par de la ponctuation


forte mais par une virgule : elle forme un tout avec la dernière strophe ;
ceci est confirmé par le parallélisme « pour peu qu’on » qui court des
vers 23 à 25. Enfin, la dernière phrase s’étend des 23 à 28, à cheval sur
les deux strophes, avec des enjambements aux vers 23-24 et 27-28.
Le vers 21 énonce la raison d’avoir au moins pitié, voire d’aimer : la

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« mélancolie » des mal-aimés. La reprise de la même idée à la forme
négative puis affirmative autour d’une antithèse (« rien » – « Tout »),
« Il n’est rien qui » – « Tout » insiste : tout a besoin d’amour, « Tout
veut un baiser » (vers 22), tout mérite donc l’amour.
Ainsi, « La vilaine bête et la mauvaise herbe » (vers 27) ne sont pas
forcément à réduire à des périphrases désignant l’araignée et l’ortie :
tous les êtres qualifiés de vilains et de mauvais peuvent être concernés
Vers 23-25 : « pour peu qu’on oublie / De les écraser, / Pour peu qu’on
leur jette un œil moins superbe ». L’anaphore « pour peu qu’ », avec
un rythme 5+5+5+5 qui renforce le parallélisme, suggère deux
reproches adressés aux « passants », à ceux qui ne considèrent pas bien
la plante obscure et le pauvre animal. Au vers 23 « oublie » suggère
que pour ceux-là, ne pas « écraser », ne pas anéantir le faible n’est que
faute d’attention ; ils sont donc enclins à la méchanceté. Au vers 25
« moins superbe » les accuse d’arrogance ; il suffirait qu’elle soit
moindre pour que l’on devienne capable de compassion ou d’amour.
La construction de la phrase des vers 23 à 28, CC + subordonnée
conditionnelle + subordonnée conditionnelle + CC + CC + principale,
permet une progression : « Dans leur fauve horreur » – « Tout bas, loin
du jour » – « Murmurent » – « Amour » 28.
D’abord l’horreur suscitée chez le passant inattentif par l’aspect
« fauve », sauvage ; puis les circonstances permettent l’audace timide
des mal-aimés habitués à voir repoussés leurs désirs ; ensuite
l’expression timide du désir ; enfin sa nature, l’objet du désir.
Ce retard à la fois du cœur de la phrase (sujet-verbe-COD) et de
l’expression de la prière des mal-aimés permet de terminer sur
« Amour ! », appel lancé par les obscurs et ceux associés au mal, « La
vilaine bête et la mauvaise herbe », mais aussi par le poète.
Aussi, les adjectifs dévalorisants « vilaine » (déplaisante à la vue ;
réprouvée moralement) et « mauvaise » peuvent-ils paraître décalés,
voire ironiques

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