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Classe de 1ère, 11 SIV, les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire Mme Lamblin, SJP23

Objet d’étude : la poésie du XVIII au XXIe siècle


Parcours : la boue et l’or
Œuvre étudiée : Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, 1857 (1861)

Dans un épilogue inachevé, Baudelaire écrit :


« Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence/Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de
l’or »
Le poème « Au lecteur » ouvre le livre : c’est une adresse au lecteur qui présente l’esthétique
paradoxale du recueil (la beauté du mal). On a voulu donner à ce poème la désignation de
« préface ». Néanmoins, tous les thèmes du recueil de 1857 ne sont pas ici traités, et c’est bien
celui de la première section, « Spleen et idéal », le « spleen », qui est privilégié.
Mais le ton y est assez agressif à l’égard du lecteur et plus qu’un « mea culpa », ce poème
apparait comme un « tu quoque ». Les vices ne sont pas seulement ceux du poètes, mais aussi
ceux du lecteur qui est impliqué dans toutes les dérélictions, c’est-à-dire un profond sentiment
de solitude morale, voire d’abandon (le Christ à Gethsémani) où s’aventure le poète.

Étude de Au lecteur

Introduction à l'auteur : Baudelaire a publié en 1857 Les Fleurs du mal. Auparavant, il s’est
consacré à la critique d’art (peinture, musique) et à la littérature (découvre Edgar Poe dont il
traduit les contes).
Introduction à l’œuvre : Dans les Fleurs du Mal, à travers sa propre expérience, le poète
exprime la tragédie de tout être humain (« - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère
! » = vers qui clôture le poème liminaire en forme de dédicace). Pour guérir son âme de
l’Ennui, il s’adresse à la Poésie puis à l’Amour, puis au Vin, mais sans succès. Dans les «
Tableaux parisiens » qui suivent la première partie intitulée « Spleen et idéal » (spleen = rate
en anglais d’où le sens d’humeur noire, de bile), il cherche, dans le spectacle de la ville et la
communion avec ses semblables un autre moyen d’évasion.
Introduction au poème liminaire : premier poème des Fleurs du Mal, « Au Lecteur », se
compose de 10 quatrains en alexandrins, vers noble et solennel. Il est placé hors numérotation
dès la première édition est toujours resté la première pièce du recueil.

Lecture

Comment Baudelaire expose-t-il une partie de son projet des Fleurs du mal ?

Mouvements :

Progression du poème :
- deux premiers quatrains : l’homme en proie au péché
- cinq quatrains suivants (nous en verrons trois) : l’influence de Satan
- trois derniers quatrains : l’Ennui

Premier mouvement :

« Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure » disait Pascal au XVIIe siècle.
Classe de 1ère, 11 SIV, les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire Mme Lamblin, SJP23

Vers 1 : Un constat péjoratif décrit par une accumulation dès le premier vers.
Cette accumulation de sujets des verbes « occuper » et travailler insiste sur la part active jouée
par ces vices sur toutes les dimensions de l’homme, marquées par le parallélisme entre l’esprit
et le corps.
Dans ce vers comme dans tout le reste du poème, les verbes sont au présent de vérité générale
ce qui laisse peu de place à la contradiction et exprime la vision du poète sur l’homme.
Dès le vers 2, le déterminant « nos » provoque le lecteur qui a toujours voulu se dissocier du
poète, le maudit, l’albatros décalé, celui que la cité bien-pensante veut bannir.
V3 et 4 : métaphore entre les « remords » et la « vermine » par la place des deux mots à la
rime. L’image est très crue et violente. Elle dérange et évoque tout de suite un poème tel que
« Une charogne ». Par ailleurs, cette comparaison place sur le même pied une notion
fondatrice de la foi catholique, le remord, qui sauve et élève, et un vers de terre.
Pronom P4 qui parle de « nous tous », et accentue cette fois notre pro-activité dans ce travail
de dégradation.
Vers 3 l’oxymore « aimable remords » traduit cette complaisance, notre complaisance. Cet
oxymore annonce le thème du péché puisque la religion catholique repose entre autres
sacrements sur celui de la réconciliation : on aime avoir du remord…pour mieux pécher à
nouveau semble dire le poète.
Vers 4 l’evocation du mendiant est très provocatrice aussi puisque le « mendiant », c’est
limage même du poète marginal que l’on chasse de chez soi.

Dans le quatrain suivant, avec ce même rythme binaire formé par un parallélisme s’appuyant
sur la césure de l’alexandrin, dans la plus pure tradition classique, Baudelaire décrit les
péchés, acception très religieuse du mal, des hommes de manières plus directe puisqu’il les
isole de la première accumulation et les place à l’attaque du vers.
Les « péchés » et les « repentirs » qu’ils provoquent sont personnifiés, leur donnant une
existence propre et concrète.
Vers 4, l’adverbe « gaiement » montre avec quelle légèreté et quelle facilité nous retournons
au péché après avoir fait acte de contrition.
Tout ce qui fonde cette contrition est méprisé par le poète et tourné en dérision. « aveux » à la
rime répond à « bourbeux »
Alors que le participe présent « croyant » à l’attaque du vers 8 joue sur la polysémie du mot :
on pense également au « croyant », continuant ainsi de nourrir le champ lexical de la religion.
Ce participe présent au vers 8 reprend aussi le thème de l’illusion, donc l’absence de vérité,
d’ « erreur » (v.1) dans laquelle vit l’homme.

Ainsi dans ces deux premiers quatrains, Baudelaire décrit comment le péché se saisit de
l’homme, mais agresse déjà le lecteur en l’accusant de s’y complaire d’une part et de se
montrer sinon hypocrite, bien naïf d’autre part dans le vers 8.

2ème mouvement

Dans les trois (cinq) quatrains suivants, apparait l’image de Satan, ange maléfique qui tente
les hommes et essaye de les détourner du chemin de Dieu.

La langueur et la douceur, et même le confort, du péché sont évoquées par le champ lexical du
lit « oreiller » et « berce » aux vers 9 et 10, vocabulaire qui accentue l’image de l’enfant que
nous sommes face à ce « très grand » satan.
Au vers 10 l’effet très impressionnant du l’adjectif « trismégiste » est renforcé par le
présentatif « c’est » qui révèle Satan dans toute sa majesté
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La langueur dans laquelle nous plonge Satan est exprimée par l’adjectif « enchanté » qui
exprime toute perte de « volonté », veut dire « fasciné », « envouté ». Les deux mots sont
placés à la rime
Le poète se fait sarcastique face à cet envoutement avec l’adjectif « riche », fortement e-
ironique (on parle de « volonté de fer », ici, il évoque un métal qui serait plus riche encore,
donc plus résistant…et qui est « tout vaporisé ». L’adverbe « tout » traduit le ton narquois du
poète.

Le quatrième quatrain s’ouvre sur un nouveau présentatif. « C’est le Diable » (v.13), (auquel
répondra plus tard « C’est l’Ennui ! » (v.37)).
Pour la première fois depuis le début du poème, une seule phrase ne couvre pas toute la
strophe, et l’on observe un point d’exclamation traduisant l’émotion du poète.
A nouveau, la fascination du mal s’exprime par des antithèses « répugnants » à la césure vers
14, « appats » à la rime, « Enfer » sous l’accent.
Vers 15, cette déchéance progressive est marquée par le CCT « chaque jour » et « un pas »
qui se répondent en miroir, l’un à l’attaque, l’autre à la rime.

Le dernier quatrain consacré à Satan s’ouvre sur un vers à la même construction que le
premier : accumulation de quatre vices.
Il offre une apparence très logique, avec une corrélative « Si […] / C’est que » qui le soude
en une seule phrase.
- la métaphore filée de la broderie renforce la cohésion de l’image : les crimes « brod[ent] »
sur « Le canevas banal de nos piteux destins »
-Vers 19 « Le canevas banal de nos piteux destins » : ce vers comporte un chiasme syntaxique
(N-Adj-Adj-N) et semble lui-même tisser des fils !
« Destins » renvoie au registre tragique, idée renforcé par l’adjectif « piteux » (= digne de
pitié)
Les brodeuses pourraient alors être les Parques.
« Banal » (v.19) étymologiquement est « ce qui appartient à tous » => renforce l’idée d’un
destin commun - mais le quatrain est mis en tension par une forte antithèse : « viol », « poison
», « poignard », « incendie » sont qualifiés de « plaisants dessins » > cela brouille le propos et
prête à confusion, et révèle à nouveau l’ironie très sarcastique et grinçante du poète.
- Le vers 20 est construit comme une chute : c’est par lâcheté que l’homme ne se laisse pas
aller au Mal. L’interjection « hélas ! » et le registre soutenu « âme » « hardie » opèrent ici un
renversement de valeurs. " Baudelaire propose une vision paradoxale de la vie qui bouscule le
lecteur et le provoque de manière presque polémique.

Ainsi dans ce 2e mouvement, Baudelaire propose une vision paradoxale de la vie qui serait
habitée par l’omniprésence de Satan, tournant en dérision la religion hypocrite du lecteur.

Et c’est bien vers cette hypocrisie que s’achemine le 3e mouvement qui nous en révèlera la
source dans les derniers quatrains.

Le deuxième mouvement s’ouvre sur une marque d’opposition forte : la conjonction de


coordination « Mais » introduit un effet d’attente
- Accumulations d’animaux « les chacals, les panthères, etc. », tous connotés péjorativement,
pour mimer un effet de bestiaire infernal.
- Allitérations du liquide [l], puis de la sifflante [s] et de l’occlusive [t] qui miment
phonétiquement la présence de ces bêtes.
- 23e v : Resserrement > la foule des bêtes est contenue dans l’hyperonyme « monstres »
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- « hurlants, grognants, rampants » : rythme ternaire + assonance en [ã] + gradation


décroissante : de plus en plus silencieux, de plus en plus insidieux
- v 24 : explicite le propos : ces animaux sont la métaphore allégorique des vices : Baudelaire
crée un effet d’attente en décrivant, puis en expliquant… mais la phrase n’est pas finie !
- jusque-là, tout est au pluriel… Le quatrain singularise un élément : « il en est un »
- nouveau rythme ternaire, mais cette fois la gradation est croissante, relance le mouvement :
« plus laid, plus méchant, plus immonde » (NB la gradation est dans la force des mots, mais
aussi dans leur nombre de syllabes : 1, 2, 3)
- Une définition qui joue du mystère, Baudelaire construit une énigme : apparence
inoffensive renforcée par le parallélisme « ni grands gestes ni grands cris »
- mais puissance énorme : usage de l’hyperbole « dans un bâillement avalerait le monde »,
(on pense à toutes ces peintures représentant le grand Moloch) et de l’oxymore « de la terre un
débris » : le raccourci est saisissant "
De quoi peut-il s’agir ?
Portrait de l’Ennui - Le début du 8e quatrain est en réalité la fin des quatrains 6 et 7 :
L’ensemble est très soudé, il n’y a pas de temps de respiration !
- « C’est l’Ennui ! » formule très courte, avec le présentatif « C’est » qui rappelle les
précédents présentatifs et qui rassemble et ramasse la longue définition qui précède.
- Côté déceptif de cette résolution… Juste l’ennui ?
Mais attention, sens étymologique très fort > latin in esse odio, dans la haine, signifie
tourment, dégout, et notamment dégoût de vivre : cela annonce le spleen.
- La majuscule allégorise l’Ennui, en fait un personnage=> personnification renforcée par les
actions proprement humaines de pleurer, rêver et fumer.
On a un véritable tableau, l’Ennui prend la pose.
- Deux derniers vers, le poète interpelle directement le lecteur avec le pronom de la P2 « Tu
le connais, lecteur ».
Ce changement de la P4 à la P2 est assez violent et brutal. Il secoue le lecteur, voire l’agresse.
- Notons qu’on reste dans l’usage de singuliers : relation un à un, effet de miroir
- « ce monstre délicat » oxymore qui rassemble les contradictions de cet Ennui, silence,
rêverie ( il « [fume] son houka »et puissance destructrice mais aussi reprise de « les monstres
» => l’inclut bel et bien dans la ménagerie des vices
- Dernier vers : Répétition ternaire, rythme décroissant (6/4/2) mais croissant en proximité >
assimilation progressive du lecteur au poète.
- NB « hypocrite » vient du grec où il signifiait « acteur, comédien » > manière pour
Baudelaire de nous mettre sur la scène.

Conclusion :

Le ton qu’utilise le poète pour accueillir le lecteur au seuil de son recueil peut paraître
surprenant. Il le bouscule à coup de paradoxe, joue de lui avec des énigmes, semble même
l’insulter… Mais il ne lui ferme pas la porte au nez. Au contraire, il le fait monter à ses côtés,
et l’emmène dans l’univers des Fleurs du Mal, un univers d’images infernales, un univers que
le poète lui tend comme un miroir, un univers sombre mais également poignant car il nous
livre l’âme d’un poète aux prises avec la Peur et l’Angoisse.
Les Fleurs du Mal sont une longue et bouleversante aspiration à guérir de l’Ennui. Dans notre
univers déchu, en proie au spleen, ou l'âme est engluée dans le péché et ******* à
l'interférence infernale le poète est celui dont l'esprit ne se plaît que dans les hautes sphères de
l'idéal. spin et idéal débute par une dizaine de pièces sur la condition du poète et la mission de
la poésie. dans bénédiction le poète nous est présenté comme un déshérité étrangers parmi les
hommes et torturés par la foule qui ne le comprend pas. mais Baudelaire semble accepter cette
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infortune : » soyez béni mon Dieu c'est donné la souffrance comme un divin remède à nos
impuretés ». c'est que « la douleur et la noblesse unique », la rançon contre laquelle Dieu
permet à l'artiste d'accéder au monde supérieur de la beauté reflet de la perfection divine. en
cela Baudelaire se montre très pascalien.

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