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LL15 – Une charogne (v.

1 à 32)
Etude générale
• 1. En quoi ce poème et ceAe descripCon sont-ils
originaux? Quel effet général produisent-ils
DescripCon très détaillée d’une charogne, objet
répugnant, que le poème nous force à contempler.
Effet de dégoût.
Effet de contraste et d’opposiCon entre ceAe
représentaCon répugnante de la nature et un aspect
magnifié, beau, de la nature. Contraste entre la beauté
de la poésie et la laideur de l’objet décrit.
Un objet anC-poéCque : originalité du poème.
Etude générale
1. En quoi ce poème et ceAe descripCon sont-ils originaux? Quel effet général produisent-ils?

2. Faites les remarques de forme (strophes, vers, rimes…)

• 12 quatrains
• Alternance alexandrin (vers long) / octobsyllabe (vers plus
court), régulier sur tout le poème. Renforce la musicalité et la
dynamique du poème.
• Rimes croisées ; superposiCon avec l’alternance des vers.
• Forme précise, régulière et musicale # objet en
décomposiCon, informe, insaisissable.
Projets de lecture (proposiCons)
• Comment la charogne est-elle magnifiée dans
ce texte?
• En quoi ce poème est-il original / déroutant /
surprenant / dérangeant?
• En quoi ce poème répond-il à l’ambiCon
baudelairienne d’ « extraire la beauté du
mal »?
• Comment ce poème associe-t-il le beau et le
laid, le répugnant?
Etude de la strophe 1
3. Analyse de détail : montrez que la première
strophe détourne les aAentes du lecteur.

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,


Ce beau maCn d’été si doux :
Au détour d’un senCer une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Etude des strophes 2 à 7 par groupe
Faites les analyses essenCelles de la strophe, en
interprétant vos relevés en lien avec ce qu’on a dégagé
du sens du poème et avec le projet de lecture
Soyez aAenCfs :
• aux images (comparaisons, métaphores) et aux représentaCons
qu’elles véhiculent
• aux figures sonores (assonances, allitéraCons)
• à la versificaCon (mots accentués, mots à la rime, rythme,
figures de discordance)
• aux effets de contrastes et d’opposiCon
• à la sollicitaCon des sens
• aux représentaCons de la Nature
Etude de la strophe 2
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique1
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique2
Son ventre plein d’exhalaisons3.

1lubrique : qui a un penchant excessif pour les plaisirs charnels


2 cynique : qui assume une conduite contraire aux convenCons sociales ; immoral

3 exhalaison : gaz ou odeur s’échappant d’un corps.


Etude de la strophe 3
Le soleil rayonnait sur ceAe pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint :
Etude de la strophe 4
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Etude de la strophe 5
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortait de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons4.

4 haillons : vêtement en loques, morceaux de Cssus en lambeaux.


Etude de la strophe 6
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en péCllant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se mulCpliant.
Etude de la strophe 6
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en péCllant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se mulCpliant.
« Tout cela » : pronom démonstraCf indéterminé qui désigne ensemble la charogne et les insectes, formant une
nouvelle réalité, dont Baudelaire souligne le caractère vivant à travers
les verbes de mouvement; l’opposiCon entre « descendait » et « montait » de chaque côté de la césure
accentue l’effet de vague évoqué dans la comparaison.
CeAe idée de vie, surprenante puisque le poème décrit un cadavre mais qui prend sens dans le grand cycle de
la nature déjà évoqué, est reprise dans les vers qui suivent avec
> La référence au « souffle », qui évoque le récit biblique de la créaCon : ayant créé l’ homme à parCr de l’argile,
Dieu lui « insuffle » la vie, souffle pour le rendre vivant. Le souffle, l’air qui circule dans le corps à travers la
respiraCon, est une image du vivant. Ainsi la carcasse semble rendue à la vie à travers le mouvement des
insectes qui la rongent. L’allitéraCon créée par l’associaCon des consonnes « f » et « l », dans « enflé » et
« souffle » , recrée dans les sonorités du poème le soufflr dont il est quesCon.
> le verbe « vivait » et le gérondif« en se mulCpliant » renforce ceAe idée de vie puisqu’il renvoie à une
reproducCon nombreuse.

=> Le processus de décomposi0on individuelle apparaît alors, à l’échelle de la nature, comme un processus
de vie et de créa0on.
Etude de la strophe 7
Et ce monde rendait une étrange musique
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van5.

5 van :tamis en osier uClisé par le vanneur pour séparer la paille et la poussière du bon grain
Etude de la strophe 7
Et ce monde rendait une étrange musique
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van5.
- L’expression « ce monde » fait de la charogne un microcosme; la référence aux éléments et à l’ensemble du vivant renforce ceAe idée :
après la terre (« les cailloux », strophe 2), le feu du soleil (strophe 3), l’eau de la « vague » et l’air du « souffle (strophe 5), le poète
convoque à nouveau les éléments avec la comparaison de la charogne à « l’eau courante et le vent » puis au « grain ». De même, de
nombreuses références au vivant sont faites pour décrire la charogne :la « femme lubrique » dans la strophe 2, puis les insectes dans la
strophe 4, enfin ici « le vanneur ».

⇒ Le monde en0er est convoqué pour décrire cet objet, qui acquiert ainsi une grandeur ina@endue.

- CeAe comparaison se fonde sur un nouveau sens, l’ouïe, qui vient compléter ceux du l’odorat, de la vue, mais aussi du toucher et du
goût, déjà sollicités. L’univers sonore est mis en valeur à travers les expression à la rime : « étrange musique » et « rythmique ». Ce n’est
pas un « bruit », mais une « musique » : le son est esthéCsé.

=> La référence à l’art pour décrire la charogne lui donne une dimension esthé0que. Baudelaire magnifie la charogne et révèle la beauté à
l’œuvre au cœur de la laideur et du repoussant.

5 van :tamis en osier uClisé par le vanneur pour séparer la paille et la poussière du bon grain
Etude générale

4. Lisez les dernières strophes du poème : en quoi


donnent-ils une nouvelle foncCon et un nouveau
sens à la descripCon?
Les dernières strophes font du poème une
réinterprétaCon assez crue et cruelle du moCf
poéCque du memento mori : « Souviens-toi que
tu vas mourir », qui tranche également avec ce
qu’on aAend d’une poésie amoureuse. Le poète
compare la femme aimée à la charogne pour lui
annoncer qu’elle sera, elle aussi, un cadavre
pourrissant.
Etude générale
4. Lisez les dernières strophes du poème : en quoi donnent-ils une nouvelle foncCon et un nouveau sens à la descripCon?
5. Quel rôle est donné à l’arCste dans ceAe fin de poème et dans la strophe 8?

> La fin du poème

Si la femme (comme tout être humain) ne peut luAer contre la mort et la décomposiCon du corps qui
l’aAend, malgré sa beauté, l’arCste, lui, peut luAer contre la décomposiCon. En effet, les mots ne
s’altèrent pas, ne pourrissent pas. Ainsi le poète peut-il affirmer qu’il a « gardé la forme et
l’essence divine / De {s}es amours décomposés ».
CeAe puissance la poésie à éterniser, à immortaliser ce qui est soumis à la dispariCon et ainsi
transcender la mort est un moCf présent dans la poésie depuis l’AnCquité. La poésie est alors
assimilé à ce qu’on appelle un « tombeau »* : un monument (fait de mots, immatériel) qui garde
la mémoire intact de ce qui est voué à la dispariCon, au delà du temps qui passe et abîme, au
delà de la mort qui détruit.
Ainsi l’amour, comme les êtres humains et avec eux, s’abîme, et meurt. Mais il reste intact dans le
poème qui le célèbre.

* En li6érature, l’expression « tombeau poé<que » désigne un poème ou un ouvrage rassemblant des


poèmes, des<né(s) à honorer la mémoire d’un défunt.

> Dans la strophe 8


CeAe thémaCque arCsCque est déjà amorcé dans la strophe 8, qui termine notre étude linéaire.
Etude de la strophe 8
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’arCste achève
Seulement par le souvenir.
plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’arCste achève
Seulement par le souvenir.
Etude de la strophe 8
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’ar<ste achève
Seulement par le souvenir.
> La dispariCon du corps à travers la décomposiCon est abordée de manière esthéCque et abstraite à travers l’expression « les formes
s’effaçaient »; la négaCon restricCve introduit le mot « rêve » éloigne la matérialité de la descripCon qui dominait jusqu’alors.
> CeAe vision esthéCque est confirmée par la présence du champ lexical de l’art avec « formes », « ébauche », « toile », « arCste », tandis que
« rêve » et « souvenir » renvoie à l’acCvité de l’imaginaCon qui est aussi primordiale dans la créaCon arCsCque. On a donc l’appariCon
d’un nouveau thème dans ceAe strophe: celui de l’art.
> La strophe reprend le thème de la métamorphose de la mort (« s’effaçaient » + négaCon) en vie, puisque le corps qui disparaît en se
décomposant devient en quelque chose qui apparaît qui est en cours de créaCon: une « ébauche », une « toile », un dessin ou un
tableau. L’expression « à venir » évoque bien la naissance de quelque chose, et ouvre sur une existence future alors même que le
poème décrit une décomposiCon.
> Mais ce qu’affirme ici Baudelaire, c’est que l’œuvre de la nature n’est pas finie : c’est ce que suggère l’emploi du mot
« ébauche » (synonyme : esquisse), ainsi que l’adjecCf « oubliée » qui qualifie toile. C’est à l’ar<ste, au poète, qu’il revient de terminer la
« créa<on », à l’aide de sa mémoire du monde, comme le suggèrent les deux derniers vers.

> Ce passage est métapoéCque, c’est-à-dire qu’il parle de lui-même : il décrit ce que fait le poème, puisque c’est bien un « souvenir » qui est
raconté (cf. v.1 :le verbe « Rappelez-vous » renvoie au souvenir). Le poème « Une charogne » ainsi « achève » l’œuvre de la Nature.

=> Au final, Baudelaire ici célèbre la puissance de l’art, du poème, qui peut compléter l’œuvre de la nature, la fixer dans la forme des vers
et dans les mots, et la soustraire au Temps. Si la charogne est un objet pourrisssant, informe, depuis longtemps décomposé, le
poème la décrit dans une forme extrêmement précise et maîtrisée et la soustrait au temps : on peut encore la voir aujourd’hui, en
lisant Les Fleurs du Mal.
On peut faire le lien avec la conclusion du poème, où Baudelaire réaffirme la même idée en l’appliquant à la femme aimée : « Dites à la
vermine / Qui vous mangera de baisers / Que j’ai gardé la forme et l’essence divine / De mes amours décomposés ». La femme et
l’amour sont mortels, le poème est immortel et survit à leur pourrissement.
MeAre en valeur la progression du poème au cours de l’étude
(proposiCon)

On peut envisager la progression du poème en abordant


les strophes deux par deux :
> Strophes 1 et 2 : Un début déroutant et provocateur
qui annonce un poème amoureux pour nous plonger
dans une descripCon répugnante
> Strophe 3 et 4 : mouvement de recul : le lyrisme de la
Nature associé à la décomposiCon de la charogne
> Strophe 5 et 6 : rapprochement : plongée au cœur de la
décomposiCon qui révèle les forces de vie du
pourrissement
> Strophe 7 et 8 : la charogne comme objet d’art
Conclusion
PENSEZ À REPARTIR DE LA FORMULATION CHOISIE EN PROJET DE LECTURE POUR CONSTRUIRE VOTRE CONCLUSION.

DU POINT DE VUE DES ENJEUX POETIQUES DU TEXTE, ET POUR COMPRENDRE BAUDELAIRE, VOICI CE QU’ON PEUT
RETENIR :

Baudelaire à travers ce poème renouvelle le lyrisme poéCque et pend le contre-pied de la tradiCon : le thème de
l’amour et de la nature (thèmes tradiConnels de la poésie lyrique) sont revisités de manière provocatrice et
dérangeante.

Au final, il ressort une affirmaCon de la puissance de l’art sous plusieurs aspects :


• l’art peut faire du « beau » à parCr de l’objet le plus laid, répugnant, informe qui soit
• l’art est supérieur à la nature car il résiste au temps et à la décomposiCon

« Une charogne » est un poème très célèbre car il est emblémaCque de la modernité poéCque qu’inaugure Baudelaire
(= du fait que Baudelaire modifie la manière même de concevoir la poésie) : Baudelaire sépare la quesCon du Beau
de la quesCon du Bien (c’est aussi le sens du Ctre « Les Fleurs du Mal »). Ainsi, même un objet répugnant, malsain,
horrible, contraire aux normes sociales… peut être un objet pour la poésie, peut être célébré et « travaillé »
comme un bijou poéCque. L’essenCel pour Baudelaire n’est pas le Bien, mais l’Art.

Le poème en prose « L’huître » de Francis Ponge((texte complémentaire) peut être rapproché de ceAe démarche :
Ponge, en s’appuyant sur tout ce que meAent à sa disposiCon les mots et l’écriture, consacre un poème à une
chose jugée laide, écoeurante, et en révèle la beauté parCculière.

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