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Explication linéaire du poème «Correspondances» (IV).

Les synesthésies

La Nature est un temple où de vivants piliers


Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent


Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,


Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,


Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

INTRODUCTION :

Charles Baudelaire est un poète français du XIXème siècle. Publié en 1857, le recueil de
poésie, Les Fleurs du Mal, constitue une œuvre majeure de la littérature française. Charles
Baudelaire révolutionne la poésie en transformant «la boue en or» , c’est-à -dire en prenant des
sujets tabous ou outrageants à son époque pour les transformer en œuvre poétique.

Après avoir désigné, dans « Au lecteur », l’Ennui comme le plus grand ennemi, Baudelaire
tente d’échapper au spleen par l’intermédiaire de l’Idéal, en créant une poésie symboliste,
dans laquelle il exprime ce désir d’élévation vers le monde spirituel.

Mon projet de lecture sera de déterminer en quoi ce sonnet est représentatif de la


modernité de Baudelaire, précurseur du symbolisme.

Tout d’abord, j’étudierai les correspondances verticales évoquées dans la première strophe
puis, j’analyserai le rô le-clef que joue le poète, intermédiaire entre la Nature et les hommes, et
donc, les correspondances horizontales révélées dans le second quatrain. Enfin, j’aborderai
avec les deux tercets, l’art du poète à la croisée de ces correspondances.

Première strophe.

Le lecteur entre dans ce sonnet comme un voyageur dans un temple : « La Nature est
un temple » : la métaphore sacralise la Nature et en fait un temple naturel, où l'homme est en
communion avec le divin.
Mais ce temple est vivant et tente de communiquer avec l'homme : « […] où de vivants piliers /
Laissent parfois sortir de confuses paroles ». Les « vivants piliers » sont peut-être des arbres,
quoi qu'il en soit, la « Nature » émet des signes sonores auxquels l'homme perplexe reste
sourd comme l'indique l'adjectif « confuses » car il ne les comprend pas. La Nature sollicite
également la vue des humains avec des signaux visuels : « L'homme y passe à travers des
forêts de symboles ».

Mais encore une fois, l'homme reste aveugle à ces symboles, puisqu'il ne les voit pas : ce sont
les symboles qui observent l'homme et non l'inverse : « Qui l'observent avec des regards
familiers ». L'homme est familier à la Nature, alors que celle-ci ne lui est pas du tout familière
puisque son statut de simple mortel entraîne qu’il ne «passe» que de manière éphémère, il y
passe sans la voir.

Le poète crée chez le lecteur des images mentales. Dans ce premier quatrain, le lecteur est
amené à voir un temple prendre vie, des arbres avoir des yeux. Le rô le du poète est donc
clairement exprimé : Il doit dévoiler ce que les hommes ne verraient pas sans lui.
Le monde visible est ainsi relié au monde invisible par des correspondances verticales.

(Les correspondances verticales partent du monde réel vers le monde des Idées, du fini
vers l'infini, du relatif vers l'absolu, de l'objet vers son essence.)

Deuxième strophe.

Seuls les poètes, sont capables d'entendre les signes de la Nature. Un poète comprend
révèle aux hommes quelles sont les voix de la Nature. Les « confuses paroles » ne sont pas
confuses pour le poète car ce sont des « élus » et son rô le est de les révéler. Il en va de même
pour l'unité synesthésique du monde. Le poème affirme au vers 6 que cette unité est
« ténébreuse ». Or, le poète voit clair dans ces ténèbres puisque cette unité « ténébreuse » peut
être comparée par lui à de la « clarté ». 

Le poète fait également entendre les sons de la Nature au vers 5 : « Comme de longs
échos // qui de loin se confondent ». Dans chaque hémistiche, les sons consonantiques se
répètent : K D L K // K D L K D, ainsi que les sons vocaliques : O ON O // ON ON.
L'imperfection de la symétrie fait entendre au lecteur ce que le poème rappelle : de
« loin », d'un hémistiche à l'autre, les sons se confondent. Le lecteur est donc mis dans la
situation de celui qui entend les sons de la nature.

Tandis que le monde visible est relié au monde invisible de manière verticale, tous les
éléments du monde visible sont reliés entre eux de manière horizontale : ils se correspondent.
Le vers qui formule le plus clairement la théorie des correspondances horizontales est le vers
8 : «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent» : chaque sensation correspond, dans
son essence même, à une autre.
C'est en tout cas ce que semblent illustrer les vers 9 et 10 : « Il est des parfums frais
comme des chairs d'enfants, / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies ». Le verbe
« être » au présent de vérité générale indique que certains parfums correspondent à une
sensation tactile « frais comme des chairs d'enfants », à une sensation auditive « doux comme
les hautbois », et à une sensation visuelle « verts comme les prairies ».

(Ainsi, on nomme "correspondances horizontales" le rapprochement de deux sensations… par


ex. doux)

Les deux tercets :

Dans les deux tercets suivants, Le parfum est au croisement de l'horizontal et du


vertical, le sens que Baudelaire développe dans les deux tercets est l'odorat : « Il est des
parfums frais […] doux […] verts […] Et d'autres corrompus, riches et triomphants ». Il relie les
univers visibles avec les mondes de l'invisible. En effet, en tant que sens, l'odorat fait partie du
monde physique, mais il s'agit du sens le plus immatériel, et en cela il est le plus apte à faire la
liaison entre monde physique et monde immatériel.

« Qui chantent les transports de l'esprit et des sens » : les parfums créent une fusion
finale entre le monde spirituel et le monde physique. Par l'intermédiaire du parfum, l'homme
réalise la fusion entre le corps et l'esprit et peut aspirer à l'idéal. L'art du poète est finalement
supérieur à la nature.

Après avoir comparé des parfums qui évoquent une nature bucolique : les « chairs
d'enfants », les vertes « prairies », le son du « hautbois ». Le poète utilise un tiret au vers 11. Ce
tiret indique un changement de registre : le poète laisse de cô té ces parfums bucoliques et
naturels qui ne l'intéressent pas et qu'il ne nomme pas, pour s'intéresser à quatre parfums
qu'il nomme mais que, cette fois, il ne compare pas : « Comme l'ambre, le musc, le benjoin et
l'encens ». Ce sont des parfums « corrompus » car ils sont artificiels et non pas naturels, tout
comme la poésie de Baudelaire est un artifice qui transforme la Nature en Art : l’Alchimie
poétique

Ce sont des parfums « riches » car ils sont capiteux, c'est-à -dire qu’ils sont puissants,
comme toute la poésie de Baudelaire. Ce sont des parfums « triomphants » car ils annoncent le
triomphe de ces productions artistiques humaines, c’est-à -dire transformer, sublimer le réel,
s’envoler « bien loin de ces miasmes morbides » pour « se purifier dans l’air supérieur ».
« Qui chantent » dans le dernier vers du poème « les transports de l’esprit et des sens ».
A l'image de ces parfums artificiels, la création artificielle, comme la poésie par exemple, est la
seule à permettre la fusion idéale, parfaite du corps et de l’esprit : une « Elévation » vers un
Idéal.

Pour répondre à mon projet de lecture qui était en quoi ce sonnet est
représentatif de la modernité de Baudelaire, précurseur du symbolisme, je dirai
qu’avec ce quatrième poème de « Spleen et Idéal », l’ouverture du recueil semble donc
dans un premier temps poursuivre une tradition poétique : celle du poète « voyant »,
entendant les voix de la Nature. Mais très vite Baudelaire rompt avec la tradition pour affirmer
le règne de l’Art et de l’artifice, supérieurs à la Nature. « Correspondances » de Baudelaire
nous fait penser au poème « Voyelles » de Rimbaud qui, lui, fait correspondre les lettres et les
couleurs.

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